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Poésies+7 000

Alfred De Musset

Alfred De Musset

@alfredDeMusset

Le Rhin allemand Réponse à la chanson de Becker Nous l’avons eu, votre Rhin allemand, Il a tenu dans notre verre. Un couplet qu’on s’en va chantant Efface-t-il la trace altière Du pied de nos chevaux marqué dans votre sang ? Nous l’avons eu, votre Rhin allemand. Son sein porte une plaie ouverte, Du jour où Condé triomphant A déchiré sa robe verte. Où le père a passé, passera bien l’enfant. Nous l’avons eu, votre Rhin allemand. Que faisaient vos vertus germaines, Quand notre César tout-puissant De son ombre couvrait vos plaines ? Où donc est-il tombé, ce dernier ossement ? Nous l’avons eu, votre Rhin allemand. Si vous oubliez votre histoire, Vos jeunes filles, sûrement, Ont mieux gardé notre mémoire ; Elles nous ont versé votre petit vin blanc. S’il est à vous, votre Rhin allemand, Lavez-y donc votre livrée ; Mais parlez-en moins fièrement. Combien, au jour de la curée, Etiez-vous de corbeaux contre l’aigle expirant ? Qu’il coule en paix, votre Rhin allemand ; Que vos cathédrales gothiques S’y reflètent modestement ; Mais craignez que vos airs bachiques Ne réveillent les morts de leur repos sanglant.

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Alfred De Musset

Alfred De Musset

@alfredDeMusset

Les secrètes pensées de Rafaël, gentilhomme Français Fragment Ô vous race des dieux, phalange incorruptible, Électeurs brevetés des morts et des vivants; Porte-clefs éternels du mont inaccessible, Guindés, guédés, bridés2, confortables pédants! Pharmaciens du bon goût, distillateurs sublimes, Seuls vraiment immortels, et seuls autorisés; Qui, d'un bras dédaigneux, sur vos seins magnanimes, Secouant le tabac de vos jabots usés, Avez toussé, — soufflé, — passé sur vos lunettes Un parement brossé, pour les rendre plus nettes, Et, d'une main soigneuse ouvrant l'in-octavo, Sans partialité, sans malveillance aucune, Sans vouloir faire cas ni des ha! ni des ho! Avez lu posément — la Ballade à la Lune!!! Maîtres, maîtres divins, où trouverai-je, hélas ! Un fleuve où me noyer, une corde .où me pendre, Pour avoir oublié de faire écrire au bas : Le public est prié de ne pas se méprendre... Chose si peu coûteuse et si simple à présent, Et qu'à tous les piliers on voit à chaque instant! Ah !povero, ohimé3 ! — Qu'a pensé le beau sexe? On dit, maîtres, on dit qu'alors votre sourcil, En voyant cette lune, et ce point sur cet i, Prit l'effroyable aspect d'un accent circonflexe! Et vous, libres penseurs, dont le sobre dîner Est un conseil d'État, — immortels journalistes! Vous qui voyez encor, sur vos antiques listes, Errer de loin en loin le nom d'un abonné! Savez-vous le Pater, et les péchés des autres Ont-ils grâce à vos yeux, quand vous comptez les vôtres ? — 0 vieux sir John Falstaff! quel rire eût soulevé Ton large et joyeux corps, gonflé de vin d'Espagne, En voyant ces buveurs, troublés par le Champagne, Pour tuer une mouche apporter un pavé! Salut, jeunes champions d'une cause un peu vieille, Classiques bien rasés, à la face vermeille, Romantiques barbus, aux visages blêmis! Vous qui des Grecs défunts balayez le rivage, Ou d'un poignard sanglant fouillez le moyen âge 4; Salut! —J'ai combattu dans vos camps ennemis. Par cent coups meurtriers devenu respectable, Vétéran, je m'assois sur mon tambour crevé. Racine, rencontrant Shakspeare sur ma table, S'endort près de Boileau qui leur a pardonné. Mais toi, moral troupeau, dont la docte cervelle S'est séchée en silence aux leçons de Thénard6, Enfants régénérés d'une mère immortelle, Qui savez parler vers, prose et naïf dans l'art, O jeunesse du siècle! intrépide jeunesse! Quitteras-tu pour moi le Globe ou les Débats 6? Lisez un paresseux, enfants de la paresse... Muse, reprends ta lyre, et rouvre-moi tes bras. France, ô mon beau pays! j'ai de plus d'un outrage Offensé ton céleste, harmonieux langage, Idiome de l'amour, si doux qu'à le parler Tes femmes sur la lèvre en gardent un sourire; Le miel le plus doré qui sur la triste lyre De la bouche et du cœur ait pu jamais couler! Mère des mes aïeux, ma nourrice et ma mère, Me pardonneras-tu? Serai-je digne encor De faire sous mes doigts vibrer la harpe d'or? Ce ne sont plus les fils d'une terre étrangère Que je veux célébrer, ô ma belle cité! Je ne sortirai pas de ce bord enchanté Ou, près de ton palais, sur ton fleuve penchée, Fille de l'Occident, un soir tu t'es couchée... Lecteur, puisqu'il faut bien qu'à ce mot redouté Tôt ou tard, à présent, tout honnête homme en vienne, C'est, après le dîner, une faiblesse humaine Que de dormir une heure en attendant le thé. Vous le savez, hélas! alors que les gazettes Ressemblent aux greniers dans les temps de disettes, Ou lorsque, par malheur, on a, sans y penser, Ouvert quelque pamphlet fatal à l'insomnie, Quelques Mémoires sur*** — Essai de poésie... — ô livres précieux! serait-ce vous blesser Que de poser son front sur vos célestes pages, Tandis que du calice embaumé de l'opium, Comme une goutte d'eau qu'apportent les orages Tombe ce fruit des cieux appelé somnium ! Depuis un grand quart d'heure incliné sur sa chaise, Rafaël (mon héros) sommeillait doucement. Remarquez bien, lecteur, et ne vous en déplaise, Que c'est tout l'opposé d'un héros de roman. Ses deux bras sont croisés; — une ample redingote, Simplicité touchante, enferme sous ses plis Son corps plus délicat qu'un menton de dévote, Et ses membres vermeils par le bain assouplis. Dans ses cheveux, huilés d'un baptême à la rose, Le zéphir mollement balance ses pieds nus, Et son barbet grognon, qui près de lui repose, Supporte fièrement ses deux pieds étendus; Tandis qu'à ses côtés, sous le vase d'albâtre Où dort dans les glaçons le bourgogne mousseux Le pudding entamé, de sa flamme bleuâtre, Salamandre joyeuse, égayé encor les yeux. Son parfum, qui se mêle au tabac de Turquie, Croise autour des lambris son brouillard azuré, Qui s'enfuit comme un songe, et s'éteint par degré. Le roturier Franklin foudroya sur la terre Où le colon grillé gouverne en liberté Ses noirs, et son tabac par les lois prohibé; Toi qui créas Paris, tuas Athène et Sparte, Et, sous le dais sanglant de l'impérial pavois, Comme autrefois César, endormis Bonaparte Aux murmures lointains des peuples et des rois! — Toi qui, dans ton printemps, de roses couronnée, Et comme Iphigénie, à l'autel entraînée, Jeune, tombas frappée au cœur d'un coup mortel... — As-tu quitté la terre et regagné le ciel ? Nous te retrouverons, perle de Cléopâtre, Dans la source féconde, à la teinte rougeâtre, Qui dans ses flots profonds un jour te consuma... « Hé! hé! dit une voix, parbleu! mais le voilà. — Messieurs, dit Rafaël, entrez, j'ai fait un somme. »

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Alfred De Musset

Alfred De Musset

@alfredDeMusset

Les vœux stériles Puisque c'est ton métier, misérable poète, Même en ces temps d'orage, où la bouche est muette, Tandis que le bras parle, et que la fiction Disparaît comme un songe au bruit de l'action ; Puisque c'est ton métier de faire de ton âme Une prostituée, et que, joie ou douleur, Tout demande sans cesse à sortir de ton coeur ; Que du moins l'histrion, couvert d'un masque infâme, N'aille pas, dégradant ta pensée avec lui, Sur d'ignobles tréteaux la mettre au pilori ; Que nul plan, nul détour, nul voile ne l'ombrage. Abandonne aux vieillards sans force et sans courage Ce travail d'araignée, et tous ces fils honteux Dont s'entoure en tremblant l'orgueil qui craint les yeux. Point d'autel, de trépied, point d'arrière aux profanes ! Que ta muse, brisant le luth des courtisanes, Fasse vibrer sans peur l'air de la liberté ; Qu'elle marche pieds nus, comme la vérité. O Machiavel ! tes pas retentissent encore Dans les sentiers déserts de San Casciano. Là, sous des cieux ardents dont l'air sèche et dévore, Tu cultivais en vain un sol maigre et sans eau. Ta main, lasse le soir d'avoir creusé la terre, Frappait ton pâle front dans le calme des nuits. Là, tu fus sans espoir, sans proches, sans amis ; La vile oisiveté, fille de la misère, A ton ombre en tous lieux se traînait lentement, Et buvait dans ton coeur les flots purs de ton sang : "Qui suis-je ? écrivais-tu; qu'on me donne une pierre, "Une roche à rouler ; c'est la paix des tombeaux "Que je fuis, et je tends des bras las du repos." C'est ainsi, Machiavel, qu'avec toi je m'écrie : O médiocre, celui qui pour tout bien T'apporte à ce tripot dégoûtant de la vie, Est bien poltron au jeu, s'il ne dit : Tout ou rien. Je suis jeune; j'arrive. A moitié de ma route, Déjà las de marcher, je me suis retourné. La science de l'homme est le mépris sans doute ; C'est un droit de vieillard qui ne m'est pas donné. Mais qu'en dois-je penser ? Il n'existe qu'un être Que je puisse en entier et constamment connaître Sur qui mon jugement puisse au moins faire foi, Un seul !... Je le méprise. - Et cet être, c'est moi. Qu'ai-je fait ? qu'ai-je appris ? Le temps est si rapide ! L'enfant marche joyeux, sans songer au chemin ; Il le croit infini, n'en voyant pas la fin. Tout à coup il rencontre une source limpide, Il s'arrête, il se penche, il y voit un vieillard. Que me dirai-je alors ? Quand j'aurai fait mes peines, Quand on m'entendra dire : Hélas ! il est trop tard ; Quand ce sang, qui bouillonne aujourd'hui dans mes veines Et s'irrite en criant contre un lâche repos, S'arrêtera, glacé jusqu'au fond de mes os... O vieillesse ! à quoi donc sert ton expérience ? Que te sert, spectre vain, de te courber d'avance Vers le commun tombeau des hommes, si la mort Se tait en y rentrant, lorsque la vie en sort ? N'existait-il donc pas à cette loterie Un joueur par le sort assez bien abattu Pour que, me rencontrant sur le seuil de la vie, Il me dît en sortant : N'entrez pas, j'ai perdu ! Grèce, ô mère des arts, terre d'idolâtrie, De mes voeux insensés éternelle patrie, J'étais né pour ces temps où les fleurs de ton front Couronnaient dans les mers l'azur de l'Hellespont. Je suis un citoyen de tes siècles antiques ; Mon âme avec l'abeille erre sous tes portiques. La langue de ton peuple, ô Grèce, peut mourir ; Nous pouvons oublier le nom de tes montagnes ; Mais qu'en fouillant le sein de tes blondes campagnes Nos regards tout à coup viennent à découvrir Quelque dieu de tes bois, quelque Vénus perdue... La langue que parlait le coeur de Phidias Sera toujours vivante et toujours entendue ; Les marbres l'ont apprise, et ne l'oublieront pas. Et toi, vieille Italie, où sont ces jours tranquilles Où sous le toit des cours Rome avait abrité Les arts, ces dieux amis, fils de l'oisiveté ? Quand tes peintres alors s'en allaient par les villes, Elevant des palais, des tombeaux, des autels, Triomphants, honorés, dieux parmi les mortels ; Quand tout, à leur parole, enfantait des merveilles, Quand Rome combattait Venise et les Lombards, Alors c'étaient des temps bienheureux pour les arts ! Là, c'était Michel-Ange, affaibli par les veilles, Pâle au milieu des morts, un scalpel à la main, Cherchant la vie au fond de ce néant humain, Levant de temps en temps sa tête appesantie, Pour jeter un regard de colère et d'envie Sur les palais de Rome, où, du pied de l'autel, A ses rivaux de loin souriait Raphaël. Là, c'était le Corrège, homme pauvre et modeste, Travaillant pour son coeur, laissant à Dieu le reste ; Le Giorgione, superbe, au jeune Titien Montrant du sein des mers son beau ciel vénitien ; Bartholomé, pensif, le front dans la poussière, Brisant son jeune coeur sur un autel de pierre, Interrogé tout bas sur l'art par Raphaël, Et bornant sa réponse à lui montrer le ciel... Temps heureux, temps aimés ! Mes mains alors peut-être, Mes lâches mains, pour vous auraient pu s'occuper ; Mais aujourd'hui pour qui ? dans quel but ? sous quel maître ? L'artiste est un marchand, et l'art est un métier. Un pâle simulacre, une vile copie, Naissent sous le soleil ardent de l'Italie... Nos oeuvres ont un an, nos gloires ont un jour ; Tout est mort en Europe, - oui, tout, - jusqu'à l'amour. Ah ! qui que vous soyez, vous qu'un fatal génie Pousse à ce malheureux métier de poésie Rejetez loin de vous, chassez-moi hardiment Toute sincérité; gardez que l'on ne voie Tomber de votre coeur quelques gouttes de sang ; Sinon, vous apprendrez que la plus courte joie Coûte cher, que le sage est ami du repos, Que les indifférents sont d'excellents bourreaux. Heureux, trois fois heureux, l'homme dont la pensée Peut s'écrire au tranchant du sabre ou de l'épée ! Ah ! qu'il doit mépriser ces rêveurs insensés Qui, lorsqu'ils ont pétri d'une fange sans vie Un vil fantôme, un songe, une froide effigie, S'arrêtent pleins d'orgueil, et disent : C'est assez ! Qu'est la pensée, hélas ! quand l'action commence ? L'une recule où l'autre intrépide s'avance. Au redoutable aspect de la réalité, Celle-ci prend le fer, et s'apprête à combattre ; Celle-là, frêle idole, et qu'un rien peut abattre, Se détourne, en voilant son front inanimé. Meurs, Weber ! meurs courbé sur ta harpe muette ; Mozart t'attend. - Et toi, misérable poète, Qui que tu sois, enfant, homme, si ton coeur bat, Agis ! jette ta lyre; au combat, au combat ! Ombre des temps passés, tu n'es pas de cet âge. Entend-on le nocher chanter pendant l'orage ? A l'action ! au mal ! Le bien reste ignoré. Allons ! cherche un égal à des maux sans remède. Malheur à qui nous fit ce sens dénaturé ! Le mal cherche le mal, et qui souffre nous aide. L'homme peut haïr l'homme, et fuir; mais malgré lui, Sa douleur tend la main à la douleur d'autrui. C'est tout. Pour la pitié, ce mot dont on nous leurre, Et pour tous ces discours prostitués sans fin, Que l'homme au coeur joyeux jette à celui qui pleure, Comme le riche jette au mendiant son pain, Qui pourrait en vouloir ? et comment le vulgaire, Quand c'est vous qui souffrez, pourrait-il le sentir, Lui que Dieu n'a pas fait capable de souffrir ? Allez sur une place, étalez sur la terre Un corps plus mutilé que celui d'un martyr, Informe, dégoûtant, traîné sur une claie, Et soulevant déjà l'âme prête à partir ; La foule vous suivra. Quand la douleur est vraie, Elle l'aime. Vos maux, dont on vous saura gré, Feront horreur à tous, à quelques-uns pitié. Mais changez de façon : découvrez-leur une âme Par le chagrin brisée, une douleur sans fard, Et dans un jeune coeur des regrets de vieillard ; Dites-leur que sans mère, et sans soeur, et sans femme, Sans savoir où verser, avant que de mourir, Les pleurs que votre sein peut encor contenir, Jusqu'au soleil couchant vous n'irez point peut-être... Qui trouvera le temps d'écouter vos malheurs ? On croit au sang qui coule, et l'on doute des pleurs. Votre ami passera, mais sans vous reconnaître. Tu te gonfles, mon coeur?... Des pleurs, le croirais-tu, Tandis que j'écrivais ont baigné mon visage. Le fer me manque-t-il, ou ma main sans courage A-t-elle lâchement glissé sur mon sein nu ? Non, rien de tout cela. Mais si loin que la haine De cette destinée aveugle et sans pudeur Ira, j'y veux aller. - J'aurai du moins le coeur De la mener si bas que la honte l'en prenne.

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Alfred De Musset

Alfred De Musset

@alfredDeMusset

Lucie Mes chers amis, quand je mourrai, Plantez un saule au cimetière. J’aime son feuillage éploré ; La pâleur m’en est douce et chère, Et son ombre sera légère À la terre où je dormirai. Un soir, nous étions seuls, j’étais assis près d’elle ; Elle penchait la tête, et sur son clavecin Laissait, tout en rêvant, flotter sa blanche main. Ce n’était qu’un murmure : on eût dit les coups d’aile D’un zéphyr éloigné glissant sur des roseaux, Et craignant en passant d’éveiller les oiseaux. Les tièdes voluptés des nuits mélancoliques Sortaient autour de nous du calice des fleurs. Les marronniers du parc et les chênes antiques Se berçaient doucement sous leurs rameaux en pleurs. Nous écoutions la nuit ; la croisée entr’ouverte Laissait venir à nous les parfums du printemps ; Les vents étaient muets, la plaine était déserte ; Nous étions seuls, pensifs, et nous avions quinze ans. Je regardais Lucie. – Elle était pâle et blonde. Jamais deux yeux plus doux n’ont du ciel le plus pur Sondé la profondeur et réfléchi l’azur. Sa beauté m’enivrait ; je n’aimais qu’elle au monde. Mais je croyais l’aimer comme on aime une soeur, Tant ce qui venait d’elle était plein de pudeur ! Nous nous tûmes longtemps ; ma main touchait la sienne. Je regardais rêver son front triste et charmant, Et je sentais dans l’âme, à chaque mouvement, Combien peuvent sur nous, pour guérir toute peine, Ces deux signes jumeaux de paix et de bonheur, Jeunesse de visage et jeunesse de coeur. La lune, se levant dans un ciel sans nuage, D’un long réseau d’argent tout à coup l’inonda. Elle vit dans mes yeux resplendir son image ; Son sourire semblait d’un ange : elle chanta. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fille de la douleur, harmonie ! harmonie ! Langue que pour l’amour inventa le génie ! Qui nous vins d’Italie, et qui lui vins des cieux ! Douce langue du coeur, la seule où la pensée, Cette vierge craintive et d’une ombre offensée, Passe en gardant son voile et sans craindre les yeux ! Qui sait ce qu’un enfant peut entendre et peut dire Dans tes soupirs divins, nés de l’air qu’il respire, Tristes comme son coeur et doux comme sa voix ? On surprend un regard, une larme qui coule ; Le reste est un mystère ignoré de la foule, Comme celui des flots, de la nuit et des bois ! – Nous étions seuls, pensifs ; je regardais Lucie. L’écho de sa romance en nous semblait frémir. Elle appuya sur moi sa tête appesantie. Sentais-tu dans ton coeur Desdemona gémir, Pauvre enfant ? Tu pleurais ; sur ta bouche adorée Tu laissas tristement mes lèvres se poser, Et ce fut ta douleur qui reçut mon baiser. Telle je t’embrassai, froide et décolorée, Telle, deux mois après, tu fus mise au tombeau ; Telle, ô ma chaste fleur ! tu t’es évanouie. Ta mort fut un sourire aussi doux que ta vie, Et tu fus rapportée à Dieu dans ton berceau. Doux mystère du toit que l’innocence habite, Chansons, rêves d’amour, rires, propos d’enfant, Et toi, charme inconnu dont rien ne se défend, Qui fis hésiter Faust au seuil de Marguerite, Candeur des premiers jours, qu’êtes-vous devenus ? Paix profonde à ton âme, enfant ! à ta mémoire ! Adieu ! ta blanche main sur le clavier d’ivoire, Durant les nuits d’été, ne voltigera plus… Mes chers amis, quand je mourrai, Plantez un saule au cimetière. J’aime son feuillage éploré ; La pâleur m’en est douce et chère, Et son ombre sera légère À la terre où je dormirai.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

L’Andalouse Avez-vous vu, dans Barcelone, Une Andalouse au sein bruni ? Pâle comme un beau soir d’automne ! C’est ma maîtresse, ma lionne ! La marquesa d’Amaëgui ! J’ai fait bien des chansons pour elle, Je me suis battu bien souvent. Bien souvent j’ai fait sentinelle, Pour voir le coin de sa prunelle, Quand son rideau tremblait au vent. Elle est à moi, moi seul au monde. Ses grands sourcils noirs sont à moi, Son corps souple et sa jambe ronde, Sa chevelure qui l’inonde, Plus longue qu’un manteau de roi ! C’est à moi son beau corps qui penche Quand elle dort dans son boudoir, Et sa basquina sur sa hanche, Son bras dans sa mitaine blanche, Son pied dans son brodequin noir. Vrai Dieu ! Lorsque son oeil pétille Sous la frange de ses réseaux, Rien que pour toucher sa mantille, De par tous les saints de Castille, On se ferait rompre les os. Qu’elle est superbe en son désordre, Quand elle tombe, les seins nus, Qu’on la voit, béante, se tordre Dans un baiser de rage, et mordre En criant des mots inconnus ! Et qu’elle est folle dans sa joie, Lorsqu’elle chante le matin, Lorsqu’en tirant son bas de soie, Elle fait, sur son flanc qui ploie, Craquer son corset de satin ! Allons, mon page, en embuscades ! Allons ! la belle nuit d’été ! Je veux ce soir des sérénades À faire damner les alcades De Tolose au Guadalété.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Madame la marquise Vous connaissez que j’ai pour mie Une Andalouse à l’oeil lutin, Et sur mon coeur, tout endormie, Je la berce jusqu’au matin. Voyez-la, quand son bras m’enlace, Comme le col d’un cygne blanc, S’enivrer, oublieuse et lasse, De quelque rêve nonchalant. Gais chérubins ! veillez sur elle. Planez, oiseaux, sur notre nid ; Dorez du reflet de votre aile Son doux sommeil, que Dieu bénit ! Car toute chose nous convie D’oublier tout, fors notre amour : Nos plaisirs, d’oublier la vie ; Nos rideaux, d’oublier le jour. Pose ton souffle sur ma bouche, Que ton âme y vienne passer ! Oh ! restons ainsi dans ma couche, Jusqu’à l’heure de trépasser ! Restons ! L’étoile vagabonde Dont les sages ont peur de loin Peut-être, en emportant le monde, Nous laissera dans notre coin. Oh ! viens ! dans mon âme froissée Qui saigne encor d’un mal bien grand, Viens verser ta blanche pensée, Comme un ruisseau dans un torrent ! Car sais-tu, seulement pour vivre, Combien il m’a fallu pleurer ? De cet ennui qui désenivre Combien en mon coeur dévorer ? Donne-moi, ma belle maîtresse, Un beau baiser, car je te veux Raconter ma longue détresse, En caressant tes beaux cheveux. Or voyez qui je suis, ma mie, Car je vous pardonne pourtant De vous être hier endormie Sur mes lèvres, en m’écoutant. Pour ce, madame la marquise, Dès qu’à la ville il fera noir, De par le roi sera requise De venir en notre manoir ; Et sur mon coeur, tout endormie, La bercerai jusqu’au matin, Car on connaît que j’ai pour mie Une Andalouse à l’oeil lutin.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Madrid Madrid, princesse des Espagnes, Il court par tes mille campagnes Bien des yeux bleus, bien des yeux noirs. La blanche ville aux sérénades, Il passe par tes promenades Bien des petits pieds tous les soirs. Madrid, quand tes taureaux bondissent, Bien des mains blanches applaudissent, Bien des écharpes sont en jeux. Par tes belles nuits étoilées, Bien des senoras long voilées Descendent tes escaliers bleus. Madrid, Madrid, moi, je me raille De tes dames à fine taille Qui chaussent l’escarpin étroit ; Car j’en sais une par le monde Que jamais ni brune ni blonde N’ont valu le bout de son doigt ! J’en sais une, et certes la duègne Qui la surveille et qui la peigne N’ouvre sa fenêtre qu’à moi ; Certes, qui veut qu’on le redresse, N’a qu’à l’approcher à la messe, Fût-ce l’archevêque ou le roi. Car c’est ma princesse andalouse ! Mon amoureuse ! ma jalouse ! Ma belle veuve au long réseau ! C’est un vrai démon ! c’est un ange ! Elle est jaune, comme une orange, Elle est vive comme un oiseau ! Oh ! quand sur ma bouche idolâtre Elle se pâme, la folâtre, Il faut voir, dans nos grands combats, Ce corps si souple et si fragile, Ainsi qu’une couleuvre agile, Fuir et glisser entre mes bras ! Or si d’aventure on s’enquête Qui m’a valu telle conquête, C’est l’allure de mon cheval, Un compliment sur sa mantille, Puis des bonbons à la vanille Par un beau soir de carnaval

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Marie Ainsi, quand la fleur printanière Dans les bois va s’épanouir, Au premier souffle du zéphyr Elle sourit avec mystère ; Et sa tige fraîche et légère, Sentant son calice s’ouvrir, Jusque dans le sein de la terre Frémit de joie et de désir. Ainsi, quand ma douce Marie Entr’ouvre sa lèvre chérie, Et lève, en chantant, ses yeux bleus, Dans l’harmonie et la lumière Son âme semble tout entière Monter en tremblant vers les cieux.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Quand bien même une amère souffrance Non, quand bien même une amère souffrance Dans ce cœur mort pourrait se ranimer ; Non, quand bien même une fleur d'espérance Sur mon chemin pourrait encor germer ; Quand la pudeur, la grâce et l'innocence Viendraient en toi me plaindre et me charmer, Non, chère enfant, si belle d'ignorance, Je ne saurais, je n'oserais t'aimer. Un jour pourtant il faudra qu'il te vienne L'instant suprême où l'univers n'est rien. De mon respect alors qu'il te souvienne ! Tu trouveras, dans la joie ou la peine, Ma triste main pour soutenir la tienne, Mon triste cœur pour écouter le tien.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Quand on perd par triste occurrence Quand on perd, par triste occurrence, Son espérance Et sa gaieté, Le remède au mélancolique, C'est la musique Et la beauté ! Plus oblige et peut davantage Un beau visage Qu'un homme armé, Et rien n'est meilleur que d'entendre Air doux et tendre Jadis aimé !

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Que j’aime le premier frisson d’hiver Que j'aime le premier frisson d'hiver ! le chaume, Sous le pied du chasseur, refusant de ployer ! Quand vient la pie aux champs que le foin vert embaume, Au fond du vieux château s'éveille le foyer ;

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Qu’elle est superbe en son désordre Avez-vous vu, dans Barcelone, Une Andalouse au sein bruni ? Pâle comme un beau soir d’automne ! C’est ma maîtresse, ma lionne ! La marquesa d’Amaëgui ! J’ai fait bien des chansons pour elle, Je me suis battu bien souvent. Bien souvent j’ai fait sentinelle, Pour voir le coin de sa prunelle, Quand son rideau tremblait au vent. Elle est à moi, moi seul au monde. Ses grands sourcils noirs sont à moi, Son corps souple et sa jambe ronde, Sa chevelure qui l’inonde, Plus longue qu’un manteau de roi ! C’est à moi son beau corps qui penche Quand elle dort dans son boudoir, Et sa basquina sur sa hanche, Son bras dans sa mitaine blanche, Son pied dans son brodequin noir.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Rappelle toi Rappelle-toi, quand l’Aurore craintive Ouvre au Soleil son palais enchanté ; Rappelle-toi, lorsque la nuit pensive Passe en rêvant sous son voile argenté ; A l’appel du plaisir lorsque ton sein palpite, Aux doux songes du soir lorsque l’ombre t’invite, Ecoute au fond des bois Murmurer une voix : Rappelle-toi. Rappelle-toi, lorsque les destinées M’auront de toi pour jamais séparé, Quand le chagrin, l’exil et les années Auront flétri ce coeur désespéré ; Songe à mon triste amour, songe à l’adieu suprême ! L’absence ni le temps ne sont rien quand on aime. Tant que mon coeur battra, Toujours il te dira Rappelle-toi. Rappelle-toi, quand sous la froide terre Mon coeur brisé pour toujours dormira ; Rappelle-toi, quand la fleur solitaire Sur mon tombeau doucement s’ouvrira. Je ne te verrai plus ; mais mon âme immortelle Reviendra près de toi comme une soeur fidèle. Ecoute, dans la nuit, Une voix qui gémit : Rappelle-toi.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Retour Heureux le voyageur que sa ville chérie Voit rentrer dans le port, aux premiers feux du jour ! Qui salue à la fois le ciel et la patrie, La vie et le bonheur, le soleil et l’amour ! — Regardez, compagnons, un navire s’avance. La mer, qui l’emporta, le rapporte en cadence, En écumant sous lui, comme un hardi coursier, Qui, tout en se cabrant, sent son vieux cavalier. Salut ! qui que tu sois, toi dont la blanche voile De ce large horizon accourt en palpitant ! Heureux ! quand tu reviens, si ton errante étoile T’a fait aimer la rive ! heureux si l’on t’attend ! D’où viens-tu, beau navire ? à quel lointain rivage, Léviathan superbe, as-tu lavé tes flancs ? Est-tu blessé, guerrier ? Viens-tu d’un long voyage ? C’est une chose à voir, quand tout un équipage, Monté jeune à la mer, revient en cheveux blancs. Es-tu riche ? viens-tu de l’Inde ou du Mexique ? Ta quille est-elle lourde, ou si les vents du nord T’ont pris, pour ta rançon, le poids de ton trésor ? As-tu bravé la foudre et passé le tropique ? T’es-tu, pendant deux ans, promené sur la mort, Couvrant d’un œil hagard ta boussole tremblante, Pour qu’une Européenne, une pâle indolente, Puisse embaumer son bain des parfums du sérail Et froisser dans la valse un collier de corail ? Comme le cœur bondit quand la terre natale, Au moment du retour, commence à s’approcher, Et du vaste Océan sort avec son clocher ! Et quel tourment divin dans ce court intervalle, Où l’on sent qu’elle arrive et qu’on va la toucher ! Ô patrie ! ô patrie ! ineffable mystère ! Mot sublime et terrible ! inconcevable amour ! L’homme n’est-il donc né que pour un coin de terre, Pour y bâtir son nid, et pour y vivre un jour ? Le Havre, septembre 1855.

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Alfred De Musset

Alfred De Musset

@alfredDeMusset

Rêverie Quand le paysan sème, et qu'il creuse la terre, Il ne voit que son grain, ses bœufs et son sillon. — La nature en silence accomplit le mystère, — Couché sur sa charrue, il attend sa moisson. Quand sa femme, en rentrant le soir, à sa chaumière, Lui dit : « Je suis enceinte », — il attend son enfant. Quand il voit que la mort va saisir son vieux père, Il s'assoit sur le pied de la couche, et l'attend. Que savons-nous de plus ?... et la sagesse humaine, Qu'a-t-elle découvert de plus dans son domaine ? Sur ce large univers elle a, dit-on, marché ; Et voilà cinq mille ans qu'elle a toujours cherché !

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Se voir le plus possible… Se voir le plus possible et s’aimer seulement, Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge, Sans qu’un désir nous trompe, ou qu’un remords nous ronge, Vivre à deux et donner son coeur à tout moment ; Respecter sa pensée aussi loin qu’on y plonge, Faire de son amour un jour au lieu d’un songe, Et dans cette clarté respirer librement – Ainsi respirait Laure et chantait son amant. Vous dont chaque pas touche à la grâce suprême, Cest vous, la tête en fleurs, qu’on croirait sans souci, C’est vous qui me disiez qu’il faut aimer ainsi. Et c’est moi, vieil enfant du doute et du blasphème, Qui vous écoute, et pense, et vous réponds ceci : Oui, l’on vit autrement, mais c’est ainsi qu’on aime.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Sonnet au lecteur Jusqu’à présent, lecteur, suivant l’antique usage, Je te disais bonjour à la première page. Mon livre, cette fois, se ferme moins gaiement ; En vérité, ce siècle est un mauvais moment. Tout s’en va, les plaisirs et les moeurs d’un autre âge, Les rois, les dieux vaincus, le hasard triomphant, Rosafinde et Suzon qui me trouvent trop sage, Lamartine vieilli qui me traite en enfant. La politique, hélas ! voilà notre misère. Mes meilleurs ennemis me conseillent d’en faire. Être rouge ce soir, blanc demain, ma foi, non. Je veux, quand on m’a lu, qu’on puisse me relire. Si deux noms, par hasard, s’embrouillent sur ma lyre, Ce ne sera jamais que Ninette ou Ninon.

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Souvenir J’espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir En osant te revoir, place à jamais sacrée, O la plus chère tombe et la plus ignorée Où dorme un souvenir ! Que redoutiez-vous donc de cette solitude, Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main, Alors qu’une si douce et si vieille habitude Me montrait ce chemin ? Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries, Et ces pas argentins sur le sable muet, Ces sentiers amoureux, remplis de causeries, Où son bras m’enlaçait. Les voilà, ces sapins à la sombre verdure, Cette gorge profonde aux nonchalants détours, Ces sauvages amis, dont l’antique murmure A bercé mes beaux jours. Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse, Comme un essaim d’oiseaux, chante au bruit de mes pas. Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse, Ne m’attendiez-vous pas ? Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères, Ces larmes que soulève un coeur encor blessé ! Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières Ce voile du passé ! Je ne viens point jeter un regret inutile Dans l’écho de ces bois témoins de mon bonheur. Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille, Et fier aussi mon coeur. Que celui-là se livre à des plaintes amères, Qui s’agenouille et prie au tombeau d’un ami. Tout respire en ces lieux ; les fleurs des cimetières Ne poussent point ici. Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages. Ton regard tremble encor, belle reine des nuits ; Mais du sombre horizon déjà tu te dégages, Et tu t’épanouis. Ainsi de cette terre, humide encor de pluie, Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour : Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie Sort mon ancien amour. Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie ? Tout ce qui m’a fait vieux est bien loin maintenant ; Et rien qu’en regardant cette vallée amie Je redeviens enfant. O puissance du temps ! ô légères années ! Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets ; Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées Vous ne marchez jamais. Tout mon coeur te bénit, bonté consolatrice ! Je n’aurais jamais cru que l’on pût tant souffrir D’une telle blessure, et que sa cicatrice Fût si douce à sentir. Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées, Des vulgaires douleurs linceul accoutumé, Que viennent étaler sur leurs amours passées Ceux qui n’ont point aimé ! Dante, pourquoi dis-tu qu’il n’est pire misère Qu’un souvenir heureux dans les jours de douleur ? Quel chagrin t’a dicté cette parole amère, Cette offense au malheur ? En est-il donc moins vrai que la lumière existe, Et faut-il l’oublier du moment qu’il fait nuit ? Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste, Est-ce toi qui l’as dit ? Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m’éclaire, Ce blasphème vanté ne vient pas de ton coeur. Un souvenir heureux est peut-être sur terre Plus vrai que le bonheur. Eh quoi ! l’infortuné qui trouve une étincelle Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis, Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle Ses regards éblouis ; Dans ce passé perdu quand son âme se noie, Sur ce miroir brisé lorsqu’il rêve en pleurant, Tu lui dis qu’il se trompe, et que sa faible joie N’est qu’un affreux tourment ! Et c’est à ta Françoise, à ton ange de gloire, Que tu pouvais donner ces mots à prononcer, Elle qui s’interrompt, pour conter son histoire, D’un éternel baiser ! Qu’est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine, Et qui pourra jamais aimer la vérité, S’il n’est joie ou douleur si juste et si certaine Dont quelqu’un n’ait douté ? Comment vivez-vous donc, étranges créatures ? Vous riez, vous chantez, vous marchez à grands pas ; Le ciel et sa beauté, le monde et ses souillures Ne vous dérangent pas ; Mais, lorsque par hasard le destin vous ramène Vers quelque monument d’un amour oublié, Ce caillou vous arrête, et cela vous fait peine Qu’il vous heurte le pied. Et vous criez alors que la vie est un songe ; Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant, Et vous trouvez fâcheux qu’un si joyeux mensonge Ne dure qu’un instant. Malheureux ! cet instant où votre âme engourdie A secoué les fers qu’elle traîne ici-bas, Ce fugitif instant fut toute votre vie ; Ne le regrettez pas ! Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre, Vos agitations dans la fange et le sang, Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière : C’est là qu’est le néant ! Mais que vous revient-il de vos froides doctrines ? Que demandent au ciel ces regrets inconstants Que vous allez semant sur vos propres ruines, A chaque pas du Temps ? Oui, sans doute, tout meurt ; ce monde est un grand rêve, Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin, Nous n’avons pas plus tôt ce roseau dans la main, Que le vent nous l’enlève. Oui, les premiers baisers, oui, les premiers serments Que deux êtres mortels échangèrent sur terre, Ce fut au pied d’un arbre effeuillé par les vents, Sur un roc en poussière. Ils prirent à témoin de leur joie éphémère Un ciel toujours voilé qui change à tout moment, Et des astres sans nom que leur propre lumière Dévore incessamment. Tout mourait autour d’eux, l’oiseau dans le feuillage, La fleur entre leurs mains, l’insecte sous leurs pieds, La source desséchée où vacillait l’image De leurs traits oubliés ; Et sur tous ces débris joignant leurs mains d’argile, Etourdis des éclairs d’un instant de plaisir, Ils croyaient échapper à cet être immobile Qui regarde mourir ! Insensés ! dit le sage. Heureux dit le poète. Et quels tristes amours as-tu donc dans le coeur, Si le bruit du torrent te trouble et t’inquiète, Si le vent te fait peur? J’ai vu sous le soleil tomber bien d’autres choses Que les feuilles des bois et l’écume des eaux, Bien d’autres s’en aller que le parfum des roses Et le chant des oiseaux. Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres Que Juliette morte au fond de son tombeau, Plus affreux que le toast à l’ange des ténèbres Porté par Roméo. J’ai vu ma seule amie, à jamais la plus chère, Devenue elle-même un sépulcre blanchi, Une tombe vivante où flottait la poussière De notre mort chéri, De notre pauvre amour, que, dans la nuit profonde, Nous avions sur nos coeurs si doucement bercé ! C’était plus qu’une vie, hélas ! c’était un monde Qui s’était effacé ! Oui, jeune et belle encor, plus belle, osait-on dire, Je l’ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois. Ses lèvres s’entr’ouvraient, et c’était un sourire, Et c’était une voix ; Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage, Ces regards adorés dans les miens confondus ; Mon coeur, encor plein d’elle, errait sur son visage, Et ne la trouvait plus. Et pourtant j’aurais pu marcher alors vers elle, Entourer de mes bras ce sein vide et glacé, Et j’aurais pu crier :  » Qu’as-tu fait, infidèle, Qu’as-tu fait du passé?  » Mais non : il me semblait qu’une femme inconnue Avait pris par hasard cette voix et ces yeux ; Et je laissai passer cette froide statue En regardant les cieux. Eh bien ! ce fut sans doute une horrible misère Que ce riant adieu d’un être inanimé. Eh bien ! qu’importe encore ? O nature! ô ma mère ! En ai-je moins aimé? La foudre maintenant peut tomber sur ma tête : Jamais ce souvenir ne peut m’être arraché ! Comme le matelot brisé par la tempête, Je m’y tiens attaché. Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent; Ni ce qu’il adviendra du simulacre humain, Ni si ces vastes cieux éclaireront demain Ce qu’ils ensevelissent. Je me dis seulement :  » À cette heure, en ce lieu, Un jour, je fus aimé, j’aimais, elle était belle.  » J’enfouis ce trésor dans mon âme immortelle, Et je l’emporte à Dieu !

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Alfred De Musset

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@alfredDeMusset

Sur la paresse « Oui, j'écris rarement et me plais de le faire : Non pas que la paresse en moi soit ordinaire; Mais, sitôt que je prends la plume à ce dessein, Je crois prendre en galère une rame à la main. » Qui croyez-vous, mon cher, qui parle de la sorte? C'est Alfred, direz-vous, ou le diable m'emporte! Non, ami. Plût à Dieu que j'eusse dit si bien Et si net et si court pourquoi je ne dis rien! L'esprit mâle et hautain dont la sobre pensée Fut dans ces rudes vers librement cadencée (Ôtez votre chapeau), c'est Mathurin Régnier, De l'immortel Molière immortel devancier; Qui ploya notre langue, et dans sa cire molle Sut pétrir et dresser la romaine hyperbole 2, Premier maître jadis sous lequel j'écrivis, Alors que du voisin je prenais les avis, Et qui me fut montré, dans l'âge où tout s'ignore, Par de plus fiers que moi, qui l'imitent encore; Mais la cause était bonne, et, quel qu'en soit l'effet, Quiconque m'a fait voir cette route a bien fait. Or je me demandais hier dans la solitude; Ce cœur sans peur, sans gêne et sans inquiétude, Qui vécut et mourut dans un si brave ennui, S'il se taisait jadis, qu'eût-il fait aujourd'hui? Alors à mon esprit se présentaient en hâte Nos vices, nos travers, et toute cette pâte Dont il aurait su faire un plat de son métier À nous désopiler pendant un siècle entier : D'abord, le grand fléau qui nous rend tous malades, Le seigneur Journalisme et ses pantalonnades; Ce droit quotidien qu'un sot a de berner Trois ou quatre milliers de sots, à déjeuner; Le règne du papier, l'abus de l'écriture, Qui d'un plat feuilleton fait une dictature, Tonneau d'encre bourbeux par Fréron défoncé, Dont, jusque sur le trône, on est éclaboussé; En second heu, nos mœurs, qui se croient plus sévères, Parce que nous cachons et nous rinçons nos verres, Quand nous avons commis dans quelque coin honteux Ces éternels péchés dont pouffaient nos aïeux; Puis nos discours pompeux, nos fleurs de bavardage, L'esprit européen de nos coqs de village, Ce bel art si choisi d'offenser poliment, Et de se souffleter parlementairement; Puis, nos livres mort-nés, nos poussives chimères, Pâture des portiers; et ces pauvres commères, Qui, par besoin d'amants ou faute de maris. Font du moins leur besogne en pondant leurs écrits; Ensuite, un mal profond, la croyance envolée, La prière inquiète, errante et désolée, Et, pour qui joint les mains, pour qui lève les yeux, Une croix en poussière et le désert aux cieux; Ensuite, un mal honteux, le bruit de la monnaie, La jouissance brute, et qui croit être vraie, La mangeaille, le vin, l'égoïsme hébété, Qui se berce en ronflant dans sa brutalité; Puis un tyran moderne, une peste nouvelle, La médiocrité qui ne comprend rien qu'elle, Qui, pour chauffer la cuve où son fer fume et bout, Y jetterait le bronze où César est debout, Instinct de la basoche, odeur d'épicerie, Qui fait lever le cœur à la mère patrie, Capable, avec le temps, de la déshonorer, Si sa fière native en pouvait s'altérer; Ensuite, un tort léger, tant il est ridicule, Et qui ne vaut pas même un revers de férule, Les lamentations des chercheurs d'avenir, Ceux qui disent : Ma sœur, ne vois-tu rien venir? Puis, un mal dangereux qui touche à tous les crimes, La sourde ambition de ces tristes maximes Qui ne sont même pas de vieilles vérités, Et qu'on vient nous donner comme des nouveautés; Vieux galons de Rousseau, défroque de Voltaire, Carmagnole en haillons volée à Robespierre, Charmante garde-robe où sont emmaillotés Du peuple souverain les courtisans crottés; Puis enfin, tout au bas, la dernière de toutes, La fièvre de ces fous qui s'en vont par les routes Arracher la charrue aux mains du laboureur, DanS l'atelier désert corrompre le malheur, Au nom d'un Dieu de paix qui nous prescrit l'aumône Traîner au carrefour le pauvre qui frissonne, D'un fer rouillé de sang armer sa maigre main. Et se sauver dans l'ombre en poussant l'assassin. Qu'aurait dit à cela ce grand traîneur d'épée, Ce flâneur « qui prenait les vers à la pipée »? Si dans ce gouffre obscur son regard eût plongé, Sous quel étrange aspect l'eût-il envisagé ? Quelle affreuse tristesse ou quel rire homérique Eût ouvert ou serré ce cœur mélancolique? Se fût-il contenté de nous prendre en pitié, De consoler sa vie avec quelque amitié, Et de laisser la foule étourdir ses oreilles, Comme un berger qui dort au milieu des abeilles ? Ou bien, le cœur ému d'un mépris généreux, Aurait-il là-dessus versé, comme un vin vieux, Ses hardis hiatus, flot jailli du Parnasse, Où Despréaux mêla sa tisane à la glace? Certes, s'il eût parlé, ses robustes gros mots Auraient de pied en cap ébouriffé les sots : Qu'il se fût abattu sur une telle proie, L'ombre de Juvénal en eût frémi de joie, Et sur ce noir torrent qui mène tout à rien Quelques mots flotteraient, dits pour les gens de bien. Franchise du vieux temps, muse de la patrie, Où sont ta verte allure et ta sauvagerie? Comme ils tressailleraient, les paternels tombeaux, Si ta voix douce et rude en frappait les échos! Comme elles tomberaient, nos gloires mendiées, De patois étrangers nos muses barbouillées B, Devant toi qui puisas ton immortalité Dans ta beauté féconde et dans ta liberté! Avec quelle rougeur et quel piteux visage Notre bégueulerie entendrait ton langage, Toi qu'un juron gaulois n'a jamais fait bouder, Et qui, ne craignant rien, ne sais rien marchander. Quel régiment de fous, que de marionnettes, Quel troupeau de mulets dandinant leurs sonnettes, Quelle procession de pantins désolés, Passeraient devant nous, par ta voix appelés ! Et quel plaisir de voir, sans masque ni lisières, À travers le chaos de nos folles misères, Courir en souriant tes beaux vers ingénus, Tantôt légers, tantôt boiteux, toujours pieds nus! Gaieté, génie heureux, qui fus jadis le nôtre, Rire dont on riait d'un bout du monde à l'autre, Esprit de nos aïeux, qui te réjouissais Dans l'éternel bon sens, lequel est né français, Fleurs de notre pays, qu'êtes-vous devenues ? L'aigle s'est-il lassé de planer dans les nues, Et de tenir toujours son regard arrêté Sur l'astre tout-puissant d'où jaillit la clarté? Voilà donc, l'autre soir, quelle était ma pensée, Et plus je m'y tenais la cervelle enfoncée, Moins je m'imaginais que le vieux Mathurin Eût montré, de ce temps, ni gaieté ni chagrin. « Eh quoil me direz-vous, il nous eût laissés faire, Lui qu'un mauvais dîner pouvait mettre en colère! Lui qui s'effarouchait, grand enfant sans raison, D'une femme infidèle et d'une trahison! Lui qui se redressait, comme un serpent dans l'herbe, Pour une balourdise échappée à Malherbe, Et qui poussa l'oubli de tout respect humain Jusqu'à daigner rosser Berthelot de sa main 6 ! » Oui, mon cher, ce même homme, et par la raison même Que son cœur débordant poussait tout à l'extrême, Et qu'au moindre sujet qui venait l'animer, Sachant si bien haïr, il savait tant aimer, Il eût trouvé ce siècle indigne de satire, Trop vain pour en pleurer, trop triste pour en rire, Et, quel qu'en fût son rêve, il l'eût voulu garder. Il n'est que trop facile, à qui sait regarder, De comprendre pourquoi tout est malade en France; Le mal des gens d'esprit, c'est leur indifférence, Celui des gens de cœur, leur inutilité. Mais à quoi bon venir prêcher la vérité, Et devant les badauds étaler sa faconde, Pour répéter en vers ce que dit tout le monde? Sur notre état présent qui s'abuse aujourd'hui? Comme dit Figaro : « Qui trompe-t-on ici7 ? » D'ailleurs est-ce un plaisir d'exprimer sa pensée? L'hirondelle s'envole, un goujat l'a blessée; Elle tombe, palpite et meurt, et le passant Aperçoit par hasard son pied taché de sang. Hélas! pensée écrite, hirondelle envolée! Dieu sait par quel chemin elle s'en est allée! Et quelle main la tue au sortir de son nid! Non, j'en suis convaincu, Mathurin n'eût rien dit. Ce n'est pas, en parlant, qu'il en eût craint la suite; Sa tête allait bon train, son cœur encor plus vite, Et de lui dire non à ce qu'il avait vu Un journaliste même eût été mal venu. Il n'eût pas craint non plus que sa faveur trahie Eût fait au cardinal rayer son abbaye; Des compliments de cour et des canonicats, Si ce n'est pour l'argent, il n'en fit pas grand cas. Encor moins eût-il craint qu'on fût venu lui dire : Et vous, d'où venez-vous pour faire une satire? De quel droit parlez-vous, n'ayant jamais rien fait Que d'aller chez Margot, sortant du cabaret? Car il eût répondu : N'en soyez point en peine; Plus que votre bon sens ma déraison est saine; Chancelant que je suis de ce jus du caveau, Plus honnête est mon cœur, et plus franc mon cerveau Que vos grands airs chantés d'un ton de Jérémie. À la barbe du siècle il eût aimé sa mie, Et qui l'eût abordé n'aurait eu pour tout prix Que beaucoup de silence, et qu'un peu de mépris. Ami, vous qui voyez vivre, et qui savez comme, Vous dont l'habileté fut d'être un honnête homme, À vous s'en vont ces vers, au hasard ébauchés, Qui vaudraient encor moins s'ils étaient plus cherchés. Mais vous me reprochez sans cesse mon silence; C'est vrai : l'ennui m'a pris de penser en cadence, Et c'est pourquoi, lisant ces vers d'un fainéant, Qui n'a fait que trois pas, mais trois pas de géant, De vous les envoyer il m'a pris fantaisie, Afin que vous sachiez comment la poésie A vécu de tout temps, et que les paresseux Ont été quelquefois des gens aimés des dieux. Après cela, mon cher, je désire et j'espère (Pour finir à peu près par un vers de Molière *) Que vous vous guérirez du soin que vous prenez De me venir toujours jeter ma lyre au nez.

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Alfred De Musset

Alfred De Musset

@alfredDeMusset

Sur trois marches de marbre rose Depuis qu'Adam, ce cruel homme, A perdu son fameux jardin, Où sa femme, autour d'une pomme, Gambadait sans vertugadin, Je ne crois pas que sur la terre Il soit un lieu d'arbres planté Plus célébré, plus visité, Mieux fait, plus joli, mieux hanté, Mieux exercé dans l'art de plaire, Plus examiné, plus vanté, Plus décrit, plus lu, plus chanté, Que l'ennuyeux parc de Versailles. Ô dieux ! ô bergers ! ô rocailles ! Vieux Satyres, Termes grognons, Vieux petits ifs en rangs d'oignons, Ô bassins, quinconces, charmilles ! Boulingrins pleins de majesté, Où les dimanches, tout l'été, Bâillent tant d'honnêtes familles ! Fantômes d'empereurs romains, Pâles nymphes inanimées Qui tendez aux passants les mains, Par des jets d'eau tout enrhumées ! Tourniquets d'aimables buissons, Bosquets tondus où les fauvettes Cherchent en pleurant leurs chansons, Où les dieux font tant de façons Pour vivre à sec dans leurs cuvettes ! Ô marronniers ! n'ayez pas peur ; Que votre feuillage immobile, Me sachant versificateur, N'en demeure pas moins tranquille. Non, j'en jure par Apollon Et par tout le sacré vallon, Par vous, Naïades ébréchées, Sur trois cailloux si mal couchées, Par vous, vieux maîtres de ballets, Faunes dansant sur la verdure, Par toi-même, auguste palais, Qu'on n'habite plus qu'en peinture, Par Neptune, sa fourche au poing, Non, je ne vous décrirai point. Je sais trop ce qui vous chagrine ; De Phoebus je vois les effets : Ce sont les vers qu'on vous a faits Qui vous donnent si triste mine. Tant de sonnets, de madrigaux, Tant de ballades, de rondeaux, Où l'on célébrait vos merveilles, Vous ont assourdi les oreilles, Et l'on voit bien que vous dormez Pour avoir été trop rimés.

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Alfred De Musset

Alfred De Musset

@alfredDeMusset

Tristesse J'ai perdu ma force et ma vie, Et mes amis et ma gaieté ; J'ai perdu jusqu'à la fierté Qui faisait croire à mon génie. Quand j'ai connu la Vérité, J'ai cru que c'était une amie ; Quand je l'ai comprise et sentie, J'en étais déjà dégoûté. Et pourtant elle est éternelle, Et ceux qui se sont passés d'elle Ici-bas ont tout ignoré. Dieu parle, il faut qu'on lui réponde. Le seul bien qui me reste au monde Est d'avoir quelquefois pleuré.

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Alfred De Musset

Alfred De Musset

@alfredDeMusset

Une amère souffrance Non, quand bien même une amère souffrance Dans ce cœur mort pourrait se ranimer ; Non, quand bien même une fleur d'espérance Sur mon chemin pourrait encor germer ; Quand la pudeur, la grâmece et l'innocence Viendraient en toi me plaindre et me charmer, Non, chère enfant, si belle d'ignorance, Je ne saurais, je n'oserais t'aimer. Un jour pourtant il faudra qu'il te vienne, L'instant suprême où l'univers n'est rien. De mon respect alors qu'il te souvienne ! Tu trouveras, dans la joie ou la peine, Ma triste main pour soutenir la tienne, Mon triste cœur pour écouter le tien.

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Alfred De Musset

Alfred De Musset

@alfredDeMusset

Venise Dans Venise la rouge, Pas un bateau qui bouge, Pas un pêcheur dans l’eau, Pas un falot. Seul, assis à la grève, Le grand lion soulève, Sur l’horizon serein, Son pied d’airain. Autour de lui, par groupes, Navires et chaloupes, Pareils à des hérons Couchés en ronds, Dorment sur l’eau qui fume, Et croisent dans la brume, En légers tourbillons, Leurs pavillons. La lune qui s’efface Couvre son front qui passe D’un nuage étoilé Demi voilé. Ainsi, la dame abbesse De Sainte-Croix rabaisse Sa cape aux larges plis Sur son surplis. Et les palais antiques, Et les graves portiques, Et les blancs escaliers Des chevaliers,

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Alfred De Musset

Alfred De Musset

@alfredDeMusset

À Aimée d'Alton Déesse aux yeux d'azur, aux épaules d'albâtre, Belle muse païenne au sourire adoré, Viens, laisse-moi presser de ma lèvre idolâtre Ton front qui resplendit sous un pampre doré. Vois-tu ce vert sentier qui mène à la colline ? Là, je t'embrasserai sous le clair firmament, Et de la tiède nuit la lueur argentine Sur tes contours divins flottera mollement.

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Alfred de Vigny

Alfred de Vigny

@alfredDeVigny

A M. le Comte de Moncorps Vous aimez, cher ami, les vers à la douzaine {Douzaine, par respect, car j'aurais dit centaine, En ne faisant parler que mon juste courroux). Eh quoi! ces vers, Moncorps, vous en contentez-vous ? Je vous en fais ici, mais puisse cet exemple Vous montrer la raison, vous mener à son temple, Vous y loger s'il peut, malgré l'aversion Que vous semblez avoir pour l'habitation. Ces vers sans harmonie, et ces rimes blessées *, Ces discours sans liens, ces petites pensées Ont donc pu vous séduire ! O que je crois d'esprit A celui qui vous fit goûter un tel écrit! Qu'il fallait que sa voix flexible, harmonieuse, Trompât avec douceur votre oreille trompeuse, Pour que de tous ces riens vous fussiez enchanté. Jamais je ne vous vis d'un tel zèle emporté; J'admirais vos yeux bleus et vos vives prunelles D'où jaillissait la joie en vives étincelles, Et vos gestes fréquents et votre teint rougi — Teint sur lequel des vers l'amour avait agi ! Quelle honte, grand dieu ! Cette divine flamme, Ces petits vers ont pu l'arracher à votre âme ? Non, je n'y veux pas croire, et j'aime mieux penser Que votre tendre cœur s'était senti blesser Par des verres meilleurs, pleins du jus d'une vigne Que je préférerais même aux vers de Lavigne, Ou bien par les beaux yeux de quelque aimable objet, Ou bien par le courroux de quelque vain projet. Laissez-moi cette erreur, elle m'est nécessaire Tant j'ai besoin pour vous d'estime bien entière, Et même en poésie, hélas ! si vous saviez A quels dédains cruels vous vous exposeriez Si votre opinion de la sorte égarée D'auteurs un peu connus se trouvait entourée ! Ce rire dédaigneux, farouche et sans pitié Que ne tempère pas l'indulgente amitié, Viendrait vous interdire, ou le triste silence, Plus dur que les éclats, armerait leur vengeance; Ou si l'un d'eux, plus doux, sachant vous distinguer Voulait sur votre auteur un peu vous haranguer, Il vous dirait : « Monsieur, sachez de moi la haine Que nous professons tous pour les vers faits sans peine; Le vers le plus obscur d'un auteur sérieux A plus de vrai mérite et vaut plus à nos yeux Que l'inutile amas de légères paroles Qui forme le tissu de ces œuvres frivoles Qui, sans rien peindre au cœur, cherche à nous éblouir, Qu'on dit vers fugitifs parce qu'ils sont à fuir. » Adieu, Moncorps, soyez à ce discours sensible, Moi, je vais déjeuner et puis lire la Bible.

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Alfred de Vigny

Alfred de Vigny

@alfredDeVigny

A vous les chants d'amour A vous les chants d'amour, les récits d'aventure, Les tableaux aux vives couleurs, Les livres enchantés, les parfums, les parures, Les bijoux d'enfant et les fleurs; A vous tout ce qui rit aux yeux, qui plaît à l'âme, Et fait aimer l'instant présent; Vous qui donnez à tous une vie, une flamme, Un nom tout jeune et séduisant; Vous que l'illusion couronne, inspire, enivre De bonheur ou de désespoir; Reine des passions, qui deux fois savez vivre, Pour vous le jour, pour tous le soir; Pensive solitaire, ou tragique merveille, Cœur simple, esprit capricieux, Riant chaque matin des larmes que la veille Vous fîtes tomber de nos yeux; Des chants inspirateurs respirez l'ambroisie Loin du vulgaire âpre et fatal, Vivez dans l'art divin et dans la poésie Comme un phénix sous un cristal.

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Alfred de Vigny

Alfred de Vigny

@alfredDeVigny

Chant de Suzanne au Bain De l’époux bien-aimé n’entends-je pas la voix ? Oui, pareil au chevreuil, le voici, je le vois. Il reparaît joyeux sur le haut des montagnes, Bondit sur la colline et passe les campagnes. Ô fortifiez-moi ! mêlez des fruits aux fleurs ! Car je languis d’amour et j’ai versé des pleurs. J’ai cherché dans les nuits, à l’aide de la flamme, Celui qui fait ma joie et que chérit mon âme. Ô ! comment à ma couche est-il donc enlevé ! Je l’ai cherché partout et ne l’ai pas trouvé. Mon époux est pour moi comme un collier de myrrhe ; Qu’il dorme sur mon sein, je l’aime et je l’admire. Il est blanc entre mille et brille le premier ; Ses cheveux sont pareils aux rameaux du palmier ; A l’ombre du palmier je me suis reposée, Et d’un nard précieux ma tête est arrosée. Je préfère sa bouche aux grappes d’Engaddi, Qui tempèrent, dans l’or, le soleil de midi. Qu’à m’entourer d’amour son bras gauche s’apprête, Et que de sa main droite il soutienne ma tête ! Quand son cœur sur le mien bat dans un doux transport, Je me meurs, car l’amour est fort comme la mort. Si mes cheveux sont noirs, moi je suis blanche et belle, Et jamais à sa voix mon âme n’est rebelle. Je sais que la sagesse est plus que la beauté, Je sais que le sourire est plein de vanité, Je sais la femme forte et veux suivre sa voie : « Elle a cherché la laine, et le lin, et la soie. « Ses doigts ingénieux ont travaillé longtemps ; Elle partage à tous et l’ouvrage et le temps ; Ses fuseaux ont tissu la toile d’Idumée, Le passant dans la nuit voit sa lampe allumée. « Sa main est pleine d’or et s’ouvre à l’indigent ; Elle a de la bonté le langage indulgent ; Ses fils l’ont dite heureuse et de force douée, Ils se sont levés tous, et tous ils l’ont louée. « Sa bouche sourira lors de son dernier jour. » Lorsque j’ai dit ces mots, plein d’un nouvel amour, De ses bras parfumés mon époux m’environne, Il m’appelle sa sœur, sa gloire et sa couronne.

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Alfred de Vigny

Alfred de Vigny

@alfredDeVigny

Comme deux cygnes blancs Comme deux cygnes blancs, aussi purs que leurs ailes, Vous passez doucement, sœurs modestes et belles, Sur le paisible lac de vos jours bienheureux. En langage français, quelques vers amoureux En vain voudraient vous peindre avec des traits fidèles ; Vous lirez sans comprendre, et, sur votre miroir, Comme les beaux oiseaux, passerez sans vous voir !

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Alfred de Vigny

Alfred de Vigny

@alfredDeVigny

Dolorida Yo amo mas a tu amor que a tu vida (J’aime mieux ton amour que ta vie) Proverbe espagnol. Est-ce la Volupté qui, pour ses doux mystères, Furtive, a rallumé ces lampes solitaires ? La gaze et le cristal sont leur pâle prison. Aux souffles purs d’un soir de l’ardente saison S’ouvre sur le balcon la moresque fenêtre ; Une aurore imprévue à minuit semble naître, Quand la lune apparaît, quand ses gerbes d’argent Font pâlir les lueurs du feu rose et changeant ; Les deux clartés à l’oeil offrent partout leurs pièges, Caressent mollement le velours bleu des sièges, La soyeuse ottomane où le livre est encor, La pendule mobile entre deux vases d’or, La Madone d’argent, sous des roses cachée, Et sur un lit d’azur une beauté couchée. Oh ! jamais dans Madrid un noble cavalier Ne verra tant de grâce à plus d’art s’allier ; Jamais pour plus d’attraits, lorsque la nuit commence, N’a frémi la guitare et langui la romance ; Jamais, dans nulle église, on ne vit plus beaux yeux Des grains du chapelet se tourner vers les cieux ; Sur les mille degrés du vaste amphithéâtre On n’admira jamais plus belles mains d’albâtre, Sous la mantille noire et ses paillettes d’or, Applaudissant, de loin, l’adroit Toréador. Mais, ô vous qu’en secret nulle oeillade attentive Dans ses rayons brillants ne chercha pour captive, Jeune foule d’amants, Espagnols à l’oeil noir, Si sous la perle et l’or vous l’adoriez le soir, Qui de vous ne voudrait (dût la dague andalouse Le frapper au retour de sa pointe jalouse) Prosterner ses baisers sur ces pieds découverts, Ce col, ce sein d’albâtre, à l’air nocturne ouverts, Et ces longs cheveux noirs tombant sur son épaule, Comme tombe à ses pieds le vêtement du saule ? Dolorida n’a plus que ce voile incertain, Le premier que revêt le pudique matin Et le dernier rempart que, dans sa nuit folâtre, L’amour ose enlever d’une main idolâtre. Ses bras nus à sa tête offrent un mol appui, Mais ses yeux sont ouverts, et bien du temps a fui Depuis que, sur l’émail, dans ses douze demeures, Ils suivent ce compas qui tourne avec les heures. Que fait-il donc, celui que sa douleur attend ? Sans doute il n’aime pas, celui qu’elle aime tant. A peine chaque jour l’épouse délaissée Voit un baiser distrait sur sa lèvre empressée Tomber seul, sans l’amour ; son amour cependant S’accroît par les dédains et souffre plus ardent. Près d’un constant époux, peut-être, ô jeune femme ! Quelque infidèle espoir eût égaré ton âme ; Car l’amour d’une femme est semblable à l’enfant Qui, las de ses jouets, les brise triomphant, Foule d’un pied volage une rose immobile, Et suit l’insecte ailé qui fuit sa main débile. Pourquoi Dolorida seule en ce grand palais, Où l’on n’entend, ce soir, ni le pied des valets, Ni, dans la galerie et les corridors tristes, Les enfantines voix des vives caméristes ? Trois heures cependant ont lentement sonné ; La voix du temps est triste au coeur abandonné ; Ses coups y réveillaient la douleur de l’absence, Et la lampe luttait ; sa flamme sans puissance Décroissait inégale, et semblait un mourant Qui sur la vie encor jette un regard errant. A ses yeux fatigués tout se montre plus sombre, Le crucifix penché semble agiter son ombre ; Un grand froid la saisit, mais les fortes douleurs Ignorent les sanglots, les soupirs et les pleurs : Elle reste immobile, et, sous un air paisible Mord, d’une dent jalouse, une main insensible. Que le silence est long ! Mais on entend des pas ; La porte s’ouvre, il entre : elle ne tremble pas ! Elle ne tremble pas, à sa pâle figure Qui de quelque malheur semble traîner l’augure ; Elle voit sans effroi son jeune époux, si beau, Marcher jusqu’à son lit comme on marche au tombeau. Sous les plis du manteau se courbe sa faiblesse ; Même sa longue épée est un poids qui le blesse. Tombé sur ses genoux, il parle à demi-voix : « — Je viens te dire adieu ; je me meurs, tu le vois, Dolorida, je meurs ! une flamme inconnue, Errante, est de mon sang jusqu’au coeur parvenue. Mes pieds sont froids et lourds, mon oeil est obscurci ; Je suis tombé trois fois en revenant ici. Mais je voulais te voir ; mais, quand l’ardente fièvre Par des frissons brûlants a fait trembler ma lèvre, J’ai dit : Je vais mourir ; que la fin de mes jours Lui fasse au moins savoir qu’absent j’aimais toujours. Alors je suis partis ne demandant qu’une heure Et qu’un peu de soutien pour trouver ta demeure. Je me sens plus vivant à genoux devant toi. — Pourquoi mourir ici, quand vous viviez sans moi ? — Ô coeur inexorable ! oui, tu fus offensée ! Mais écoute mon souffle, et sens ma main glacée ; Viens toucher sur mon front cette froide sueur, Du trépas dans mes yeux vois la terne lueur ; Donne, oh ! donne une main ; dis mon nom. Fais entendre Quelque mot consolant, s’il ne peut être tendre. Des jours qui m’étaient dus je n’ai pas la moitié : Laisse en aller mon âme en rêvant ta pitié ! Hélas ! devant la mort montre un peu d’indulgence ! — La mort n’est que la mort et n’est pas la vengeance. — Ô Dieux ! si jeune encor ! tout son coeur endurci ! Qu’il t’a fallu souffrir pour devenir ainsi ! Tout mon crime est empreint au fond de ton langage, Faible amie, et ta force horrible est mon ouvrage. Mais viens, écoute-moi, viens, je mérite et veux Que ton âme apaisée entende mes aveux. Je jure, et tu le vois, en expirant, ma bouche Jure devant ce Christ qui domine ta couche, Et si par leur faiblesse ils n’étaient pas liés, Je lèverais mes bras jusqu’au sang de ses pieds ; Je jure que jamais mon amour égarée N’oublia loin de toi ton image adorée ; L’infidélité même était pleine de toi, Je te voyais partout entre ma faute et moi, Et sur un autre coeur mon coeur rêvait tes charmes Plus touchants par mon crime et plus beaux par tes larmes. Séduit par ces plaisirs qui durent peu de temps ! Je fus bien criminel ; mais, hélas ! j’ai vingt ans. — T’a-t-elle vu pâlir ce soir dans tes souffrances ? — J’ai vu son désespoir passer tes espérances, Oui, sois heureuse, elle a sa part dans nos douleurs ; Quand j’ai crié ton nom, elle a versé des pleurs ; Car je ne sais quel mal circule dans mes veines ; Mais je t’invoquais seule avec des plaintes vaines. J’ai cru d’abord mourir et n’avoir pas le temps D’appeler ton pardon sur mes derniers instants. Oh ! parle ; mon coeur fuit ; quitte ce dur langage ; Qu’un regard… Mais quel est ce blanchâtre breuvage Que tu bois à longs traits et d’un air insensé ? — Le reste du poison qu’hier je t’ai versé. » Écrit en 1823, dans les Pyrénées

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Alfred de Vigny

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@alfredDeVigny

L'heure ou tu pleures Une heure sonne dans la nuit, La journée enfin s'est éteinte, L'ombre calme efface l'empreinte De ses clartés et de son bruit; Tout ce théâtre, où l'on t'adore, N'est plus qu'une salle sonore Où ta voix retentit encore Comme un faible écho qui s'enfuit. La colonnade illuminée Se perd dans l'ombre et nous paraît Une sombre et noire forêt. Sortant d'une terre minée. Nos pas ébranlent en passant Le sourd plancher retentissant Qui résiste à ton pied glissant Comme une ville ruinée. Et toi, tu rêves solitaire, Toi, l'âme de ce corps désert, O toi, la voix de ce concert Qui ce soir enchantait la terre, Tu viens de remonter aux deux Ainsi qu'un oiseau gracieux Se tait, et dans son nid soyeux Cherche la paix et le mystère. Mais dans son nid le doux oiseau Dort mollement sur sa couvée; Et sur sa couche inachevée S'arrondit comme en un berceau; Il met sa tête sous sa plume, Baigné des vapeurs de la brume Qui monte à astre du ruisseau. Et toi, tu penses et tu pleures.

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