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Alphonse de Lamartine

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Alphonse de Lamartine, de son nom complet Alphonse Marie Louis de Prat de Lamartine, né le 21 octobre 1790 à Mâcon et mort le 28 février 1869 à Paris, est un poète, romancier, dramaturge et historien français. Il est l'une des grandes figures du romantisme en France. Il participe aussi à la révolution de 1848 et proclame la Deuxième République. Il passe son enfance en Bourgogne du sud, en particulier à Milly, qui nourrira son inspiration poétique, et se forme au collège à Lyon puis à Belley avant de revenir dans le Mâconnais où il mène une vie de jeune homme oisif et séducteur. Il voyage en Italie et occupe une éphémère fonction militaire auprès de Louis XVIII. En octobre 1816, en cure à Aix-les-Bains, la rencontre avec une jeune femme mariée, Julie Charles, marque un tournant décisif dans la vie du poète mais leur histoire d'amour passionnée vire à la tragédie lorsque Julie, restée à Paris, meurt en décembre 1817. Alphonse de Lamartine écrit alors les poèmes des Méditations dont le recueil est publié en 1820 et obtient un succès fulgurant. Il épouse la même année Mary Ann Elisa Birch, une jeune Anglaise, et occupe des fonctions de secrétaire d'ambassade en Italie avant de démissionner en 1830. Il publie durant cette période d'autres œuvres poétiques comme, en 1823, les Nouvelles Méditations poétiques et La Mort de Socrate, ou encore, en juin 1830, les Harmonies poétiques et religieuses après avoir été élu à l’Académie française en 1829. En 1830, il décide d'entrer en politique en se ralliant à la monarchie de Juillet mais échoue à la députation. Il effectue alors un voyage en Orient, où il visite la Grèce, le Liban et les lieux saints du christianisme, relaté dans Voyage en Orient et marqué par le drame de la mort de sa fille Julia. En 1833, Lamartine est élu député. Il joue un rôle important au moment de la Révolution de 1848, proclamant la République, et assure pendant trois mois le poste de député siégeant à la commission exécutive au gouvernement provisoire. Il se retire de la vie politique après sa lourde défaite à l’élection présidentielle de 1848, alors que Louis-Napoléon Bonaparte l’emporte. Lourdement endetté, il vend le domaine de Milly en 1860 et écrit des œuvres alimentaires comme de nombreuses compilations historiques, son Cours familier de littérature (1856-1869), et d'autres œuvres moins décriées mais demeurant mineures telles que Le Tailleur de pierre de Saint-Point en 1851. Son dernier grand poème La Vigne et la Maison est écrit en 1857. Alphonse de Lamartine meurt en 1869, à 78 ans, et repose dans le caveau familial au cimetière communal, le long du mur du parc du château de Saint-Point qu'il a habité et transformé depuis 1820. Son lyrisme associé à une expression harmonieuse fait la qualité des poèmes de Lamartine, la partie la plus marquante de son œuvre étant constituée par les poèmes pleins de sensibilité inspirés par son amante Julie Charles, empreints des thèmes romantiques de la nature, de la mort, et de l'amour (par exemple dans Le Lac, L'Isolement, L'Automne, etc.). Admiré et salué par toute la génération romantique (Victor Hugo, Nodier, Sainte-Beuve), Lamartine est parfois jugé plus sévèrement par les générations suivantes : Flaubert parle de « lyrisme poitrinaire » et Rimbaud écrit dans sa Lettre du voyant à Paul Demeny que « Lamartine est quelquefois voyant, mais étranglé par la forme vieille ». Il reste cependant largement admiré pour la puissance de son génie poétique et compte parmi les plus grands poètes français du XIXe siècle.

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Poésies

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    Alphonse de Lamartine

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    Le désespoir Lorsque du Créateur la parole féconde, Dans une heure fatale, eut enfanté le monde Des germes du chaos, De son oeuvre imparfaite il détourna sa face, Et d’un pied dédaigneux le lançant dans l’espace, Rentra dans son repos. Va, dit-il, je te livre à ta propre misère ; Trop indigne à mes yeux d’amour ou de colère, Tu n’es rien devant moi. Roule au gré du hasard dans les déserts du vide ; Qu’à jamais loin de moi le destin soit ton guide, Et le Malheur ton roi. Il dit. Comme un vautour qui plonge sur sa proie, Le Malheur, à ces mots, pousse, en signe de joie, Un long gémissement ; Et pressant l’univers dans sa serre cruelle, Embrasse pour jamais de sa rage éternelle L’éternel aliment. Le mal dès lors régna dans son immense empire ; Dès lors tout ce qui pense et tout ce qui respire Commença de souffrir ; Et la terre, et le ciel, et l’âme, et la matière, Tout gémit : et la voix de la nature entière Ne fut qu’un long soupir. Levez donc vos regards vers les célestes plaines, Cherchez Dieu dans son oeuvre, invoquez dans vos peines Ce grand consolateur, Malheureux ! sa bonté de son oeuvre est absente, Vous cherchez votre appui ? l’univers vous présente Votre persécuteur. De quel nom te nommer, ô fatale puissance ? Qu’on t’appelle destin, nature, providence, Inconcevable loi ! Qu’on tremble sous ta main, ou bien qu’on la blasphème, Soumis ou révolté, qu’on te craigne ou qu’on t’aime, Toujours, c’est toujours toi ! Hélas ! ainsi que vous j’invoquai l’espérance ; Mon esprit abusé but avec complaisance Son philtre empoisonneur ; C’est elle qui, poussant nos pas dans les abîmes, De festons et de fleurs couronne les victimes Qu’elle livre au Malheur. Si du moins au hasard il décimait les hommes, Ou si sa main tombait sur tous tant que nous sommes Avec d’égales lois ? Mais les siècles ont vu les âmes magnanimes, La beauté, le génie, ou les vertus sublimes, Victimes de son choix. Tel, quand des dieux de sang voulaient en sacrifices Des troupeaux innocents les sanglantes prémices, Dans leurs temples cruels, De cent taureaux choisis on formait l’hécatombe, Et l’agneau sans souillure, ou la blanche colombe Engraissaient leurs autels. Créateur, Tout-Puissant, principe de tout être ! Toi pour qui le possible existe avant de naître : Roi de l’immensité, Tu pouvais cependant, au gré de ton envie, Puiser pour tes enfants le bonheur et la vie Dans ton éternité ? Sans t’épuiser jamais, sur toute la nature Tu pouvais à longs flots répandre sans mesure Un bonheur absolu. L’espace, le pouvoir, le temps, rien ne te coûte. Ah! ma raison frémit ; tu le pouvais sans doute, Tu ne l’as pas voulu. Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître ? L’insensible néant t’a-t-il demandé l’être, Ou l’a-t-il accepté ? Sommes-nous, ô hasard, l’oeuvre de tes caprices ? Ou plutôt, Dieu cruel, fallait-il nos supplices Pour ta félicité ? Montez donc vers le ciel, montez, encens qu’il aime, Soupirs, gémissements, larmes, sanglots, blasphème, Plaisirs, concerts divins ! Cris du sang, voix des morts, plaintes inextinguibles, Montez, allez frapper les voûtes insensibles Du palais des destins ! Terre, élève ta voix; cieux, répondez ; abîmes, Noirs séjours où la mort entasse ses victimes, Ne formez qu’un soupir. Qu’une plainte éternelle accuse la nature, Et que la douleur donne à toute créature Une voix pour gémir. Du jour où la nature, au néant arrachée, S’échappa de tes mains comme une oeuvre ébauchée, Qu’as-tu vu cependant ? Aux désordres du mal la matière asservie, Toute chair gémissant, hélas! et toute vie Jalouse du néant. Des éléments rivaux les luttes intestines ; Le Temps, qui flétrit tout, assis sur les ruines Qu’entassèrent ses mains, Attendant sur le seuil tes oeuvres éphémères ; Et la mort étouffant, dès le sein de leurs mères, Les germes des humains ! La vertu succombant sous l’audace impunie, L’imposture en honneur, la vérité bannie ; L’errante liberté Aux dieux vivants du monde offerte en sacrifice ; Et la force, partout, fondant de l’injustice Le règne illimité. La valeur sans les dieux décidant des batailles ! Un Caton libre encor déchirant ses entrailles Sur la foi de Platon ! Un Brutus qui, mourant pour la vertu qu’il aime, Doute au dernier moment de cette vertu même, Et dit : Tu n’es qu’un nom !… La fortune toujours du parti des grands crimes ! Les forfaits couronnés devenus légitimes ! La gloire au prix du sang ! Les enfants héritant l’iniquité des pères ! Et le siècle qui meurt racontant ses misères Au siècle renaissant ! Eh quoi ! tant de tourments, de forfaits, de supplices, N’ont-ils pas fait fumer d’assez de sacrifices Tes lugubres autels ? Ce soleil, vieux témoin des malheurs de la terre, Ne fera-t-il pas naître un seul jour qui n’éclaire L’angoisse des mortels ? Héritiers des douleurs, victimes de la vie, Non, non, n’espérez pas que sa rage assouvie Endorme le Malheur ! Jusqu’à ce que la Mort, ouvrant son aile immense, Engloutisse à jamais dans l’éternel silence L’éternelle douleur !

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    Le golfe de Baya Vois-tu comme le flot paisible Sur le rivage vient mourir ! Vois-tu le volage zéphyr Rider, d’une haleine insensible, L’onde qu’il aime à parcourir ! Montons sur la barque légère Que ma main guide sans efforts, Et de ce golfe solitaire Rasons timidement les bords. Loin de nous déjà fuit la rive. Tandis que d’une main craintive Tu tiens le docile aviron, Courbé sur la rame bruyante Au sein de l’onde frémissante Je trace un rapide sillon. Dieu ! quelle fraîcheur on respire ! Plongé dans le sein de Thétis, Le soleil a cédé l’empire A la pâle reine des nuits. Le sein des fleurs demi-fermées S’ouvre, et de vapeurs embaumées En ce moment remplit les airs ; Et du soir la brise légère Des plus doux parfums de la terre A son tour embaume les mers. Quels chants sur ces flots retentissent ? Quels chants éclatent sur ces bords ? De ces deux concerts qui s’unissent L’écho prolonge les accords. N’osant se fier aux étoiles, Le pêcheur, repliant ses voiles, Salue, en chantant, son séjour. Tandis qu’une folle jeunesse Pousse au ciel des cris d’allégresse, Et fête son heureux retour. Mais déjà l’ombre plus épaisse Tombe, et brunit les vastes mers ; Le bord s’efface, le bruit cesse, Le silence occupe les airs. C’est l’heure où la mélancolie S’assoit pensive et recueillie Aux bords silencieux des mers, Et, méditant sur les ruines, Contemple au penchant des collines Ce palais, ces temples déserts. O de la liberté vieille et sainte patrie ! Terre autrefois féconde en sublimes vertus ! Sous d’indignes Césars maintenant asservie, Ton empire est tombé ! tes héros ne sont plus ! Mais dans ton sein l’âme agrandie Croit sur leurs monuments respirer leur génie, Comme on respire encor dans un temple aboli La majesté du dieu dont il était rempli. Mais n’interrogeons pas vos cendres généreuses, Vieux Romains ! fiers Catons ! mânes des deux Brutus ! Allons redemander à ces murs abattus Des souvenirs plus doux, des ombres plus heureuses, Horace, dans ce frais séjour, Dans une retraite embellie Par le plaisir et le génie, Fuyait les pompes de la cour ; Properce y visitait Cinthie, Et sous les regards de Délie Tibulle y modulait les soupirs de l’amour. Plus loin, voici l’asile où vint chanter le Tasse, Quand, victime à la fois du génie et du sort, Errant dans l’univers, sans refuge et sans port, La pitié recueillit son illustre disgrâce. Non loin des mêmes bords, plus tard il vint mourir ; La gloire l’appelait, il arrive, il succombe : La palme qui l’attend devant lui semble fuir, Et son laurier tardif n’ombrage que sa tombe. Colline de Baya ! poétique séjour ! Voluptueux vallon qu’habita tour à tour Tout ce qui fut grand dans le monde, Tu ne retentis plus de gloire ni d’amour. Pas une voix qui me réponde, Que le bruit plaintif de cette onde, Ou l’écho réveillé des débris d’alentour ! Ainsi tout change, ainsi tout passe ; Ainsi nous-mêmes nous passons, Hélas ! sans laisser plus de trace Que cette barque où nous glissons Sur cette mer où tout s’efface. Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques

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    Les voiles Quand j’étais jeune et fier et que j’ouvrais mes ailes, Les ailes de mon âme à tous les vents des mers, Les voiles emportaient ma pensée avec elles, Et mes rêves flottaient sur tous les flots amers. Je voyais dans ce vague où l’horizon se noie Surgir tout verdoyants de pampre et de jasmin Des continents de vie et des îles de joie Où la gloire et l’amour m’appelaient de la main. J’enviais chaque nef qui blanchissait l’écume, Heureuse d’aspirer au rivage inconnu, Et maintenant, assis au bord du cap qui fume, J’ai traversé ces flots et j’en suis revenu. Et j’aime encor ces mers autrefois tant aimées, Non plus comme le champ de mes rêves chéris, Mais comme un champ de mort où mes ailes semées De moi-même partout me montrent les débris. Cet écueil me brisa, ce bord surgit funeste, Ma fortune sombra dans ce calme trompeur ; La foudre ici sur moi tomba de l’arc céleste Et chacun de ces flots roule un peu de mon coeur.

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    Les étoiles À Mme de P***. Il est pour la pensée une heure... une heure sainte, Alors que, s'enfuyant de la céleste enceinte, De l'absence du jour pour consoler les cieux, Le crépuscule aux monts prolonge ses adieux. On voit à l'horizon sa lueur incertaine, Comme les bords flottants d'une robe qui traîne, Balayer lentement le firmament obscur, Où les astres ternis revivent dans l'azur. Alors ces globes d'or, ces îles de lumière, Que cherche par instinct la rêveuse paupière, Jaillissent par milliers de l'ombre qui s'enfuit Comme une poudre d'or sur les pas de la nuit ; Et le souffle du soir qui vole sur sa trace, Les sème en tourbillons dans le brillant espace. L'oeil ébloui les cherche et les perd à la fois ; Les uns semblent planer sur les cimes des bois, Tel qu'un céleste oiseau dont les rapides ailes Font jaillir en s'ouvrant des gerbes d'étincelles. D'autres en flots brillants s'étendent dans les airs, Comme un rocher blanchi de l'écume des mers ; Ceux-là, comme un coursier volant dans la carrière, Déroulent à longs plis leur flottante crinière ; Ceux-ci, sur l'horizon se penchant à demi, Semblent des yeux ouverts sur le monde endormi, Tandis qu'aux bords du ciel de légères étoiles Voguent dans cet azur comme de blanches voiles Qui, revenant au port, d'un rivage lointain, Brillent sur l'Océan aux rayons du matin. De ces astres brillants, son plus sublime ouvrage, Dieu seul connaît le nombre, et la distance, et l'âge ; Les uns, déjà vieillis, pâlissent à nos yeux, D'autres se sont perdus dans les routes des cieux, D'autres, comme des fleurs que son souffle caresse, Lèvent un front riant de grâce et de jeunesse, Et, charmant l'Orient de leurs fraîches clartés, Etonnent tout à coup l'oeil qui les a comptés. Dans la danse céleste ils s'élancent... et l'homme, Ainsi qu'un nouveau-né, les salue, et les nomme. Quel mortel enivré de leur chaste regard, Laissant ses yeux flottants les fixer au hasard, Et cherchant le plus pur parmi ce choeur suprême, Ne l'a pas consacré du nom de ce qu'il aime ? Moi-même... il en est un, solitaire, isolé, Qui, dans mes longues nuits, m'a souvent consolé, Et dont l'éclat, voilé des ombres du mystère, Me rappelle un regard qui brillait sur la terre. Peut-être ?... ah ! puisse-t-il au céleste séjour Porter au moins ce nom que lui donna l'Amour ! Cependant la nuit marche, et sur l'abîme immense Tous ces mondes flottants gravitent en silence, Et nous-même, avec eux emportés dans leur cours Vers un port inconnu nous avançons toujours ! Souvent, pendant la nuit, au souffle du zéphire, On sent la terre aussi flotter comme un navire. D'une écume brillante on voit les monts couverts Fendre d'un cours égal le flot grondant des airs ; Sur ces vagues d'azur où le globe se joue, On entend l'aquilon se briser sous la proue, Et du vent dans les mâts les tristes sifflements, Et de ses flancs battus les sourds gémissements ; Et l'homme sur l'abîme où sa demeure flotte Vogue avec volupté sur la foi du pilote ! Soleils ! mondes flottants qui voguez avec nous, Dites, s'il vous l'a dit, où donc allons-nous tous ? Quel est le port céleste où son souffle nous guide ? Quel terme assigna-t-il à notre vol rapide ? Allons-nous sur des bords de silence et de deuil, Echouant dans la nuit sur quelque vaste écueil, Semer l'immensité des débris du naufrage ? Ou, conduits par sa main sur un brillant rivage, Et sur l'ancre éternelle à jamais affermis, Dans un golfe du ciel aborder endormis ? Vous qui nagez plus près de la céleste voûte, Mondes étincelants, vous le savez sans doute ! Cet Océan plus pur, ce ciel où vous flottez, Laisse arriver à vous de plus vives clartés ; Plus brillantes que nous, vous savez davantage ; Car de la vérité la lumière est l'image ! Oui : si j'en crois l'éclat dont vos orbes errants Argentent des forêts les dômes transparents, Qui glissant tout à coup sur des mers irritées, Calme en les éclairant les vagues agitées ; Si j'en crois ces rayons dont le sensible jour Inspire la vertu, la prière, l'amour, Et quand l'oeil attendri s'entrouvre à leur lumière, Attirent une larme au bord de la paupière ; Si j'en crois ces instincts, ces doux pressentiments Qui dirigent vers nous les soupirs des amants, Les yeux de la beauté, les rêves qu'on regrette, Et le vol enflammé de l'aigle et du poète ! Tentes du ciel, Edens ! temples! brillants palais ! Vous êtes un séjour d'innocence et de paix ! Dans le calme des nuits, à travers la distance, Vous en versez sur nous la lointaine influence ! Tout ce que nous cherchons, l'amour, la vérité, Ces fruits tombés du ciel dont la terre a goûté, Dans vos brillants climats que le regard envie Nourrissent à jamais les enfants de la vie, Et l'homme, un jour peut-être à ses destins rendu, Retrouvera chez vous tout ce qu'il a perdu ? Hélas ! combien de fois seul, veillant sur ces cimes Où notre âme plus libre a des voeux plus sublimes, Beaux astres ! fleurs du ciel dont le lis est jaloux, J'ai murmuré tout bas : Que ne suis-je un de vous ? Que ne puis-je, échappant à ce globe de boue, Dans la sphère éclatante où mon regard se joue, Jonchant d'un feu de plus le parvis du saint lieu, Eclore tout à coup sous les pas de mon Dieu, Ou briller sur le front de la beauté suprême, Comme un pâle fleuron de son saint diadème ? Dans le limpide azur de ces flots de cristal, Me souvenant encor de mon globe natal, Je viendrais chaque nuit, tardif et solitaire, Sur les monts que j'aimais briller près de la terre ; J'aimerais à glisser sous la nuit des rameaux, A dormir sur les prés, à flotter sur les eaux ; A percer doucement le voile d'un nuage, Comme un regard d'amour que la pudeur ombrage : Je visiterais l'homme ; et s'il est ici-bas Un front pensif, des yeux qui ne se ferment pas, Une âme en deuil, un coeur qu'un poids sublime oppresse, Répandant devant Dieu sa pieuse tristesse ; Un malheureux au jour dérobant ses douleurs Et dans le sein des nuits laissant couler ses pleurs, Un génie inquiet, une active pensée Par un instinct trop fort dans l'infini lancée ; Mon rayon pénétré d'une sainte amitié Pour des maux trop connus prodiguant sa pitié, Comme un secret d'amour versé dans un coeur tendre, Sur ces fronts inclinés se plairait à descendre ! Ma lueur fraternelle en découlant sur eux Dormirait sur leur sein, sourirait à leurs yeux : Je leur révélerais dans la langue divine Un mot du grand secret que le malheur devine ; Je sécherais leurs pleurs ; et quand l'oeil du matin Ferait pâlir mon disque à l'horizon lointain, Mon rayon en quittant leur paupière attendrie Leur laisserait encor la vague rêverie, Et la paix et l'espoir ; et, lassés de gémir, Au moins avant l'aurore ils pourraient s'endormir ! Et vous, brillantes soeurs! étoiles, mes compagnes, Qui du bleu firmament émaillez les campagnes, Et cadençant vos pas à la lyre des cieux, Nouez et dénouez vos choeurs harmonieux ! Introduit sur vos pas dans la céleste chaîne, Je suivrais dans l'azur l'instinct qui vous entraîne, Vous guideriez mon oeil dans ce brillant désert, Labyrinthe de feux où le regard se perd ! Vos rayons m'apprendraient à louer, à connaître Celui que nous cherchons, que vous voyez peut-être ! Et noyant dans son sein mes tremblantes clartés, Je sentirais en lui.., tout ce que vous sentez !

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    A la grande chartreuse Jéhova de la terre a consacré les cimes ; Elles sont de ses pas le divin marchepied, C’est là qu’environné de ses foudres sublimes Il vole, il descend, il s’assied. Sina, l’Olympe même, en conservent la trace ; L’Oreb, en tressaillant, s’inclina sous ses pas ; Thor entendit sa voix, Gelboé vit sa face; Golgotha pleura son trépas. Dieu que l’Hébron connait, Dieu que Cédar adore, Ta gloire à ces rochers jadis se dévoila; Sur le sommet des monts nous te cherchons encore; Seigneur, réponds-nous ! es-tu là ? Paisibles habitants de ces saintes retraites, Comme l’ont entendu les guides d’Israël, Dans le calme des nuits, des hauteurs où vous êtes N’entendez-vous donc rien du ciel ? Ne voyez-vous jamais les divines phalanges Sur vos dômes sacrés descendre et se pencher ? N’entendez-vous jamais des doux concerts des anges Retentir l’écho du rocher ? Quoi ! l’âme en vain regarde, aspire, implore, écoute ; Entre le ciel et nous, est-il un mur d’airain ? Vos yeux, toujours levés vers la céleste voûte, Vos yeux sont-ils levés en vain ? Pour s’élancer, Seigneur, où ta voix les appelle, Les astres de la nuit ont des chars de saphirs, Pour s’élever à toi, l’aigle au moins a son aile; Nous n’avons rien que nos soupirs ! Que la voix de tes saints s’élève et te désarme, La prière du juste est l’encens des mortels ; Et nous, pêcheurs, passons: nous n’avons qu’une larme A répandre sur tes autels.

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    Le lac Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour ? Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière, Et près des flots chéris qu'elle devait revoir, Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre Où tu la vis s'asseoir ! Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes, Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés, Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes Sur ses pieds adorés. Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ; On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux.

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    Adieu Oui, j'ai quitté ce port tranquille, Ce port si longtemps appelé, Où loin des ennuis de la ville, Dans un loisir doux et facile, Sans bruit mes jours auraient coulé. J'ai quitté l'obscure vallée, Le toit champêtre d'un ami ; Loin des bocages de Bissy, Ma muse, à regret exilée, S'éloigne triste et désolée Du séjour qu'elle avait choisi. Nous n'irons plus dans les prairies, Au premier rayon du matin, Egarer, d'un pas incertain, Nos poétiques rêveries. Nous ne verrons plus le soleil, Du haut des cimes d'Italie Précipitant son char vermeil, Semblable au père de la vie, Rendre à la nature assoupie Le premier éclat du réveil. Nous ne goûterons plus votre ombre, Vieux pins, l'honneur de ces forêts, Vous n'entendrez plus nos secrets ; Sous cette grotte humide et sombre Nous ne chercherons plus le frais, Et le soir, au temple rustique, Quand la cloche mélancolique Appellera tout le hameau, Nous n'irons plus, à la prière, Nous courber sur la simple pierre Qui couvre un rustique tombeau. Adieu, vallons; adieu, bocages ; Lac azuré, rochers sauvages, Bois touffus, tranquille séjour, Séjour des heureux et des sages, Je vous ai quittés sans retour. Déjà ma barque fugitive Au souffle des zéphyrs trompeurs, S'éloigne à regret de la rive Que n'offraient des dieux protecteurs. J'affronte de nouveaux orages ; Sans doute à de nouveaux naufrages Mon frêle esquif est dévoué , Et pourtant à la fleur de l'âge, Sur quels écueils, sur quels rivages N'ai-je déjà pas échoué ? Mais d'une plainte téméraire Pourquoi fatiguer le destin ? A peine au milieu du chemin, Faut-il regarder en arrière ? Mes lèvres à peine ont. goûté Le calice amer de la vie, Loin de moi je l'ai rejeté ; Mais l'arrêt cruel est porté, Il faut boire jusqu'à la lie ! Lorsque mes pas auront franchi Les deux tiers de notre carrière, Sous le poids d'une vie entière Quand mes cheveux auront blanchi, Je reviendrai du vieux Bissy Visiter le toit solitaire Où le ciel me garde un ami. Dans quelque retraite profonde, Sous les arbres par lui plantés, Nous verrons couler comme l'onde La fin de nos jours agités. Là, sans crainte et sans espérance, Sur notre orageuse existence, Ramenés par le souvenir, Jetant nos regards en arrière, Nous mesurerons la carrière, Qu'il aura fallu parcourir. Tel un pilote octogénaire, Du haut d'un rocher solitaire, Le soir, tranquillement assis, Laisse au loin égarer sa vue Et contemple encor l'étendue Des mers qu'il sillonna jadis.

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    Adieu a Graziella Adieu ! mot qu'une larme humecte sur la lèvre ; Mot qui finit la joie et qui tranche l'amour ; Mot par qui le départ de délices nous sèvre ; Mot que l'éternité doit effacer un jour ! Adieu !.... Je t'ai souvent prononcé dans ma vie, Sans comprendre, en quittant les êtres que j'aimais, Ce que tu contenais de tristesse et de lie, Quand l'homme dit : "Retour !" et que Dieu dit : "Jamais !" Mais aujourd'hui je sens que ma bouche prononce Le mot qui contient tout, puisqu'il est plein de toi, Qui tombe dans l'abîme, et qui n'a pour réponse Que l'éternel silence entre une image et moi ! Et cependant mon coeur redit à chaque haleine Ce mot qu'un sourd sanglot entrecoupe au milieu, Comme si tous les sons dont la nature est pleine N'avaient pour sens unique, hélas ! qu'un grand adieu !

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    Adieux à la mer Murmure autour de ma nacelle, Douce mer dont les flots chéris, Ainsi qu'une amante fidèle, Jettent une plainte éternelle Sur ces poétiques débris. Que j'aime à flotter sur ton onde. A l'heure où du haut du rocher L'oranger, la vigne féconde, Versent sur ta vague profonde Une ombre propice au nocher ! Souvent, dans ma barque sans rame, Me confiant à ton amour, Comme pour assoupir mon âme, Je ferme au branle de ta lame Mes regards fatigués du jour. Comme un coursier souple et docile Dont on laisse flotter le mors, Toujours, vers quelque frais asile, Tu pousses ma barque fragile Avec l'écume de tes bords. Ah ! berce, berce, berce encore, Berce pour la dernière fois, Berce cet enfant qui t'adore, Et qui depuis sa tendre aurore N'a rêvé que l'onde et les bois ! Le Dieu qui décora le monde De ton élément gracieux, Afin qu'ici tout se réponde, Fit les cieux pour briller sur l'onde, L'onde pour réfléchir les cieux. Aussi pur que dans ma paupière, Le jour pénètre ton flot pur, Et dans ta brillante carrière Tu sembles rouler la lumière Avec tes flots d'or et d'azur. Aussi libre que la pensée, Tu brises le vaisseau des rois, Et dans ta colère insensée, Fidèle au Dieu qui t'a lancée, Tu ne t'arrêtes qu'à sa voix. De l'infini sublime image, De flots en flots l'oeil emporté Te suit en vain de plage en plage, L'esprit cherche en vain ton rivage, Comme ceux de l'éternité. Ta voix majestueuse et douce Fait trembler l'écho de tes bords, Ou sur l'herbe qui te repousse, Comme le zéphyr dans la mousse, Murmure de mourants accords. Que je t'aime, ô vague assouplie, Quand, sous mon timide vaisseau, Comme un géant qui s'humilie, Sous ce vain poids l'onde qui plie Me creuse un liquide berceau. Que je t'aime quand, le zéphire Endormi dans tes antres frais, Ton rivage semble sourire De voir dans ton sein qu'il admire Flotter l'ombre de ses forêts ! Que je t'aime quand sur ma poupe Des festons de mille couleurs, Pendant au vent qui les découpe, Te couronnent comme une coupe Dont les bords sont voilés de fleurs ! Qu'il est doux, quand le vent caresse Ton sein mollement agité, De voir, sous ma main qui la presse, Ta vague, qui s'enfle et s'abaisse Comme le sein de la beauté ! Viens, à ma barque fugitive Viens donner le baiser d'adieux ; Roule autour une voix plaintive, Et de l'écume de ta rive Mouille encor mon front et mes yeux. Laisse sur ta plaine mobile Flotter ma nacelle à son gré, Ou sous l'antre de la sibylle, Ou sur le tombeau de Virgile : Chacun de tes flots m'est sacré. Partout, sur ta rive chérie, Où l'amour éveilla mon coeur, Mon âme, à sa vue attendrie, Trouve un asile, une patrie, Et des débris de son bonheur, Flotte au hasard : sur quelque plage Que tu me fasses dériver, Chaque flot m'apporte une image ; Chaque rocher de ton rivage Me fait souvenir ou rêver...

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    Adieux à la poésie Il est une heure de silence Où la solitude est sans voix, Où tout dort, même l’espérance ; Où nul zéphyr ne se balance Sous l’ombre immobile des bois. Il est un âge où de la lyre L’âme aussi semble s’endormir, Où du poétique délire Le souffle harmonieux expire Dans le sein qu’il faisait frémir. L’oiseau qui charme le bocage, Hélas ! ne chante pas toujours : A midi, caché sous l’ombrage, Il n’enchante de son ramage Que l’aube et le déclin des jours. Adieu donc, adieu, voici l’heure, Lyre aux accords mélodieux ! En vain à la main qui t’effleure Ta fibre encor répond et pleure : Voici l’heure de nos adieux. Reçois cette larme rebelle Que mes yeux ne peuvent cacher. Combien sur ta corde fidèle Mon âme, hélas ! en versa-t-elle, Que tes soupirs n’ont pu sécher ! Sur cette terre infortunée, Où tous les yeux versent des pleurs, Toujours de cyprès couronnée, La lyre ne nous fut donnée Que pour endormir nos douleurs. Tout ce qui chante ne répète Que des regrets ou des désirs ; Du bonheur la corde est muette ; De Philomèle et du poëte Les plus doux chants sont des soupirs. Dans l’ombre auprès d’un mausolée, O lyre, tu suivis mes pas ; Et, des doux festins exilée, Jamais ta voix ne s’est mêlée, Aux chants des heureux d’ici-bas. Pendue aux saules de la rive, Libre comme l’oiseau des bois, On n’a point vu ma main craintive T’attacher, comme une captive, Aux portes des palais des rois. Des partis l’haleine glacée Ne t’inspira pas tour à tour ; Aussi chaste que la pensée, Nul souffle ne t’a caressée, Hormis le souffle de l’Amour. En quelque lieu qu’un sort sévère Fît plier mon front sous ses lois, Grâce à toi, mon âme étrangère A trouvé partout sur la terre Un céleste écho de sa voix. Aux monts d’où le jour semble éclore, Quand je t’emportais avec moi Pour louer celui que j’adore, Le premier rayon de l’aurore Ne se réveillait qu’après toi. Au bruit des flots et des cordages, Aux feux livides des éclairs, Tu jetais des accords sauvages, Et, comme l’oiseau des orages, Tu rasais l’écume des mers. Celle dont le regard m’enchaîne A tes accents mêlait sa voix, Et souvent ses tresses d’ébène Frissonnaient sous ma molle haleine, Comme tes cordes sous mes doigts. Peut-être à moi, lyre chérie, Tu reviendras dans l’avenir, Quand, de songes divins suivie, La mort approche, et que la vie S’éloigne comme un souvenir. Dans cette seconde jeunesse Qu’un doux oubli rend aux humains, Souvent l’homme, dans sa tristesse, Sur toi se penche et te caresse, Et tu résonnes sous ses mains. Ce vent qui sur nos âmes passe Souffle à l’aurore, ou souffle tard ; Il aime à jouer avec grâce Dans les cheveux qu’un myrte enlace, Ou dans la barbe du vieillard. En vain une neige glacée D’Homère ombrageait le menton ; Et le rayon de la pensée Rendait la lumière éclipsée Aux yeux aveugles de Milton. Autour d’eux voltigeaient encore L’amour, l’illusion, l’espoir, Comme l’insecte amant de Flore, Dont les ailes semblent éclore Aux tardives lueurs du soir. Peut-être ainsi… Mais avant l’âge Où tu reviens nous visiter, Flottant de rivage en rivage, J’aurai péri dans un naufrage, Loin des cieux que je vais quitter. Depuis longtemps ma voix plaintive Sera couverte par les flots, Et, comme l’algue fugitive, Sur quelque sable de la rive La vague aura roulé mes os. Mais toi, lyre mélodieuse, Surnageant sur les flots amers, Des cygnes la troupe envieuse Suivra ta trace harmonieuse Sur l’abîme roulant des mers. Vingt-sixième méditation

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    Amitié de femme À Madame L. sur son album. Amitié, doux repos de l'âme, Crépuscule charmant des cœurs, Pourquoi dans les yeux d'une femme As-tu de plus tendres langueurs ? Ta nature est pourtant la même ! Dans le cœur dont elle a fait don Ce n'est plus la femme qu'on aime, Et l'amour a perdu son nom. Mais comme en une pure glace Le crayon se colore mieux, Le sentiment qui le remplace Est plus visible en deux beaux yeux. Dans un timbre argentin de femme Il a de plus tendres accents : La chaste volupté de l'âme Devient presque un plaisir des sens. De l'homme la mâle tendresse Est le soutien d'un bras nerveux, Mais la vôtre est une caresse Qui frissonne dans les cheveux. Oh ! laissez-moi, vous que j'adore Des noms les plus doux tour à tour, O femmes, me tromper encore Aux ressemblances de l'amour ! Douce ou grave, tendre ou sévère, L'amitié fut mon premier bien : Quelque soit la main qui me serre, C'est un cœur qui répond au mien. Non, jamais ma main ne repousse Ce symbole d'un sentiment ; Mais lorsque la main est plus douce, Je la serre plus tendrement.

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    Apparition Toi qui du jour mourant consoles la nature, Parais, flambeau des nuits, lève-toi dans les cieux ; Étends autour de moi, sur la pâle verdure, Les douteuses clartés d’un jour mystérieux ! Tous les infortunés chérissent ta lumière ; L’éclat brillant du jour repousse leurs douleurs : Aux regards du soleil ils ferment leur paupière, Et rouvrent devant toi leurs yeux noyés de pleurs. Viens guider mes pas vers la tombe Où ton rayon s’est abaissé. Où chaque soir mon genou tombe Sur un saint nom presque effacé. Mais quoi ! la pierre le repousse !… J’entends… oui, des pas sur la mousse ! Un léger souffle a murmuré ; Mon œil se trouble, je chancelle. Non, non, ce n’est plus toi, c’est elle Dont le regard m’a pénétré. Est-ce bien toi, toi qui t’inclines Sur celui qui fut ton amant ? Parle : que tes lèvres divines Prononcent un mot seulement ; Ce mot que murmurait ta bouche Quand, planant sur ta sombre couche, Le mort interrompit ta voix. Sa bouche commence… Ah ! j’achève : Oui, c’est toi ; ce n’est point un rêve : Anges du ciel, je la revois !… Ainsi donc l’ardente prière Perce le ciel et les enfers ; Ton âme a franchi la barrière Qui sépare deux univers. Béni soit le Dieu qui l’envoie ! Sa grâce a permis que je voie Ce que mes yeux cherchaient toujours. Que veux-tu ? faut-il que je meure ? Tiens, je te donne pour cette heure Toutes les heures de mes jours. Mais quoi ! sur ce rayon déjà l’ombre s’envole : Pour un siècle de pleurs une seule parole ! Est-ce tout ?… c’est assez ! Astre que j’ai chanté, J’en bénirai toujours ta pieuse clarté, Soit que dans nos climats, empire des orages, Comme un vaisseau voguant sur la mer des nuages, Tu perces rarement la triste obscurité ; Soit que sous ce beau ciel, propice à ta lumière, Dans un limpide azur poursuivant ta carrière, Des couleurs du matin tu dores les coteaux ; Ou que, te balançant sur une mer tranquille, Et teignant de tes feux sa surface immobile, Tes rayons argentés se brisent dans les eaux ! Vingt-trosième méditation

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    À El*** Lorsque seul avec toi, pensive et recueillie, Tes deux mains dans la mienne, assis à tes côtés, J'abandonne mon âme aux molles voluptés Et je laisse couler les heures que j'oublie ; Lorsqu'au fond des forêts je t'entraîne avec moi, Lorsque tes doux soupirs charment seuls mon oreille, Ou que, te répétant les serments de la veille, Je te jure à mon tour de n'adorer que toi ; Lorsqu'enfin, plus heureux, ton front charmant repose Sur mon genou tremblant qui lui sert de soutien, Et que mes doux regards sont suspendus au tien Comme l'abeille avide aux feuilles de la rose ; Souvent alors, souvent, dans le fond de mon coeur Pénètre comme un trait une vague terreur ; Tu me vois tressaillir; je pâlis, je frissonne, Et troublé tout à coup dans le sein du bonheur, Je sens couler des pleurs dont mon âme s'étonne. Tu me presses soudain dans tes bras caressants, Tu m'interroges, tu t'alarmes, Et je vois de tes yeux s'échapper quelques larmes Qui viennent se mêler aux pleurs que je répands. " De quel ennui secret ton âme est-elle atteinte ? Me dis-tu : cher amour, épanche ta douleur ; J'adoucirai ta peine en écoutant ta plainte, Et mon coeur versera le baume dans ton coeur. " Ne m'interroge plus, à moitié de moi-même ! Enlacé dans tes bras, quand tu me dis : Je t'aime ; Quand mes yeux enivrés se soulèvent vers toi, Nul mortel sous les cieux n'est plus heureux que moi ? Mais jusque dans le sein des heures fortunées Je ne sais quelle voix que j'entends retentir Me poursuit, et vient m'avertir Que le bonheur s'enfuit sur l'aile des années, Et que de nos amours le flambeau doit mourir ! D'un vol épouvanté, dans le sombre avenir Mon âme avec effroi se plonge, Et je me dis : Ce n'est qu'un songe Que le bonheur qui doit finir.

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    Alphonse de Lamartine

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    À Elvire Oui, l'Anio murmure encore Le doux nom de Cynthie aux rochers de Tibur, Vaucluse a retenu le nom chéri de Laure, Et Ferrare au siècle futur Murmurera toujours celui d'Eléonore ! Heureuse la beauté que le poète adore ! Heureux le nom qu'il a chanté ! Toi, qu'en secret son culte honore, Tu peux, tu peux mourir ! dans la postérité Il lègue à ce qu'il aime une éternelle vie, Et l'amante et l'amant sur l'aile du génie Montent, d'un vol égal, à l'immortalité ! Ah ! si mon frêle esquif, battu par la tempête, Grâce à des vents plus doux, pouvait surgir au port ? Si des soleils plus beaux se levaient sur ma tête ? Si les pleurs d'une amante, attendrissant le sort, Ecartaient de mon front les ombres de la mort ? Peut-être ?..., oui, pardonne, ô maître de la lyre ! Peut-être j'oserais, et que n'ose un amant ? Egaler mon audace à l'amour qui m'inspire, Et, dans des chants rivaux célébrant mon délire, De notre amour aussi laisser un monument ! Ainsi le voyageur qui dans son court passage Se repose un moment à l'abri du vallon, Sur l'arbre hospitalier dont il goûta l'ombrage Avant que de partir, aime à graver son nom ! Vois-tu comme tout change ou meurt dans la nature ? La terre perd ses fruits, les forêts leur parure ; Le fleuve perd son onde au vaste sein des mers ; Par un souffle des vents la prairie est fanée, Et le char de l'automne, au penchant de l'année, Roule, déjà poussé par la main des hivers ! Comme un géant armé d'un glaive inévitable, Atteignant au hasard tous les êtres divers, Le temps avec la mort, d'un vol infatigable Renouvelle en fuyant ce mobile univers ! Dans l'éternel oubli tombe ce qu'il moissonne : Tel un rapide été voit tomber sa couronne Dans la corbeille des glaneurs ! Tel un pampre jauni voit la féconde automne Livrer ses fruits dorés au char des vendangeurs ! Vous tomberez ainsi, courtes fleurs de la vie ! Jeunesse, amour, plaisir,. fugitive beauté ! Beauté, présent d'un jour que le ciel nous envie, Ainsi vous tomberez, si la main du génie Ne vous rend l'immortalité ! Vois d'un oeil de pitié la vulgaire jeunesse, Brillante de beauté, s'enivrant de plaisir ! Quand elle aura tari sa coupe enchanteresse, Que restera-t-il d'elle ? à peine un souvenir : Le tombeau qui l'attend l'engloutit tout entière, Un silence éternel succède à ses amours ; Mais les siècles auront passé sur ta poussière, Elvire, et tu vivras toujours !

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    Alphonse de Lamartine

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    À un enfant, fille du poète Céleste fille du poëte, La vie est un hymne à deux voix. Son front sur le tien se reflète, Sa lyre chante sous tes doigts. Sur tes yeux quand sa bouche pose Le baiser calme et sans frisson, Sur ta paupière blanche et rose Le doux baiser a plus de son. Dans ses bras quand il te soulève Pour te montrer au ciel jaloux, On croit voir son plus divin rêve Qu’il caresse sur ses genoux ! Quand son doigt te permet de lire Les vers qu’il vient de soupirer, On dirait l’âme de sa lyre Qui se penche pour l’inspirer. Il récite ; une larme brille Dans tes yeux attachés sur lui. Dans cette larme de sa fille Son cœur nage ; sa gloire a lui ! Du chant que ta bouche répète Son cœur ému jouit deux fois. Céleste fille du poëte, La vie est un hymne à deux voix.

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    Alphonse de Lamartine

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    À une fleur séchée dans un album Il m’en souvient, c’était aux plages Où m’attire un ciel du midi, Ciel sans souillure et sans orages, Où j’aspirais sous les feuillages Les parfums d’un air attiédi. Une mer qu’aucun bord n’arrête S’étendait bleue à l’horizon ; L’oranger, cet arbre de fête, Neigeait par moments sur ma tête ; Des odeurs montaient du gazon. Tu croissais près d’une colonne D’un temple écrasé par le temps ; Tu lui faisais une couronne, Tu parais son tronc monotone Avec tes chapiteaux flottants ; Fleur qui décores la ruine Sans un regard pour t’admirer ! Je cueillis ta blanche étamine, Et j’emportai sur ma poitrine Tes parfums pour les respirer. Aujourd’hui, ciel, temple et rivage, Tout a disparu sans retour : Ton parfum est dans le nuage, Et je trouve, en tournant la page, La trace morte d’un beau jour ! 1827, Vingt-hutième méditation

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    À une jeune fille Un baiser sur mon front ! un baiser, même en rêve ! Mais de mon front pensif le frais baiser s'enfuit ; Mais de mes jours taris l'été n'a plus de sève ; Mais l'Aurore jamais n'embrassera la Nuit. Elle rêvait sans doute aussi que son haleine Me rendait les climats de mes jeunes saisons, Que la neige fondait sur une tête humaine, Et que la fleur de l'âme avait deux floraisons. Elle rêvait sans doute aussi que sur ma joue Mes cheveux par le vent écartés de mes yeux, Pareils aux jais flottants que sa tête secoue, Noyaient ses doigts distraits dans leurs flocons soyeux. Elle rêvait sans doute aussi que l'innocence Gardait contre un désir ses roses et ses lis ; Que j'étais Jocelyn et qu'elle était Laurence, Que la vallée en fleurs nous cachait dans ses plis. Elle rêvait sans doute aussi que mon délire En vers mélodieux pleurait comme autrefois ; Que mon cœur sous sa main devenait une lyre Qui dans un seul soupir accentuait deux voix. Fatale vision ! Tout mon être frissonne ; On dirait que mon sang veut remonter son cours. Enfant, ne dites plus vos rêves à personne, Et ne rêvez jamais, ou bien rêvez toujours !

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    Alphonse de Lamartine

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    À une jeune fille poète Quand, assise le soir au bord de ta fenêtre, Devant un coin du ciel qui brille entre les toits, L’aiguille matinale a fatigué tes doigts, Et que ton front comprime une âme qui veut naître. Ta main laisse échapper le lin brodé de fleurs Qui doit parer le front d’heureuses fiancées, Et, de peur de tacher ses teintes nuancées, Tes beaux yeux retiennent leurs pleurs. Sur les murs blancs et nus de ton modeste asile, Pauvre enfant, d’un coup d’œil tout ton destin se lit : Un crucifix de bois au-dessus de ton lit, Un réséda jauni dans un vase d’argile, Sous tes pieds délicats la terre en froids carreaux, Et, près du pain du jour que la balance pèse, Pour ton festin du soir le raisin ou la fraise Que partagent tes passereaux ! Tes mains sur tes genoux un moment se délassent : Puis tu vas t’accouder sur le fer du balcon Où le pampre grimpant, le lierre au noir flocon, A tes cheveux épars, amoureux, s’entrelacent ; Tu verses l’eau de source à ton pâle rosier, Tu gazouilles son air à ton oiseau fidèle Qui becqueté ta lèvre en palpitant de l’aile A travers les barreaux d’osier. Tu contemples le ciel que le soir décoloré, Quelque dôme lointain de lumière écumant, Ou plus haut, seule au fond du vide firmament, L’étoile, comme toi, que Dieu seul voit éclore ; L’odeur des champs en fleurs monte à ton haut séjour, Le vent fait ondoyer tes boucles sur ta tempe ; La nuit ferme le ciel, tu rallumes ta lampe, Et le passé t’efface un jour !… Cependant le bruit monte et la ville respire : L’heure sonne, appelant tout un monde au plaisir ; Dans chaque son confus que ton cœur croit saisir, C’est le bonheur qui vibre ou l’amour qui respire. Les chars grondent en bas et font frissonner l’air ; Comme des dois pressés dans le lit des tempêtes, Ils passent emportant les heureux à leurs fêtes, Laissant sous la roue un éclair. Ceux-là versent au seuil de la scène ravie Cette foule attirée au vent des passions, Et qui veut aspirer d’autres sensations Pour oublier le jour et pour doubler la vie ; Ceux-là rentrent des champs, sur de pliants aciers Berçant les maîtres las d’ombrage et de murmure, Des fleurs sur les coussins, des festons de verdure Enlacés aux crins des coursiers. La musique du bal sort des salles sonores, Sous les pas des danseurs l’air ébranlé frémit, Dans des milliers de voix le chœur chante ou gémit, La ville aspire et rend le bruit par tous les pores. Le long des murs dans l’ombre on entend retentir Des pas aussi nombreux que des gouttes de pluie, Pas indécis d’amant, où l’amante s’appuie Et pèse pour le ralentir. Le front dans tes deux mains, pensive, tu te penches : L’imagination te peint de verts coteaux Tout résonnants du bruit des forets et des eaux, Où s’éteint un beau soir sur des chaumières blanches ; Des sources aux flots bleus voilés de liserons ; Des prés où, quand le pied dans la grande herbe nage, Chaque pas aux genoux fait monter un nuage D’étamine et de moucherons ; Des vents sur les guérets, ces immenses coups d’ailes Qui donnent aux épis leurs sonores frissons ; L’aubépine neigeant sur les nids des buissons, Les verts étangs rasés du vol des hirondelles ; Les vergers allongeant leur grande ombre du soir, Les foyers des hameaux ravivant leurs lumières, Les arbres morts couchés près du seuil des chaumières, Où les couples viennent s’asseoir ; Ces conversations à voix que l’amour brise, Où le mot commencé s’arrête et se repent, Où l’avide bonheur que le doute suspend S’envole après l’aveu que lui ravit la brise ; Ces danses où, l’amant prenant l’amante au vol, Dans le ciel qui s’entr’ouvre elle croit fuir en rêve. Entre le bond léger qui du gazon l’enlève Et son pied qui retombe au sol ! Sous la tente de soie ou dans ton nid de feuille Tu vois rentrer le soir, altéré de tes yeux, Un jeune homme au front mâle, au regard studieux. Votre bonheur tardif dans l’ombre se recueille : Ton épaule s’appuie à celle de l’époux ; Sous son front déridé ton front nu se renverse ; Son œil luit dans ton œil, pendant que ton pied berce Un enfant blond sur tes genoux ! De tes yeux dessillés quand ce voile retombe, Tu sens ta joue humide et tes mains pleines d’eau ; Les murs de ce réduit où flottait ce tableau Semblent se rapprocher pour voûter une tombe ; Ta lampe y jette à peine un reste de clarté, Sous tes beaux pieds d’enfant tes parures s’écoulent, Et tes cheveux épars et les ombres déroulent Leurs ténèbres sur ta beauté. Cependant le temps fuit, la jeunesse s’écoule ; Tes beaux yeux sont cernés d’un rayon de pâleur, Des roses sans soleil ton teint prend la couleur ; Sur ton cœur amaigri ton visage se moule ; Ta lèvre a replié le sourire ; ta voix A perdu cette note où le bonheur tressaille ; Des airs lents et plaintifs mesurent maille à maille Le lin qui grandit sous tes doigts. Eh quoi ! ces jours passés dans un labeur vulgaire A gagner miette à miette un pain trempé de fiel, Cet espace sans air, cet horizon sans ciel, Ces amours s’envolant au son d’un vil salaire, Ces désirs refoulés dans un sein étouffant, Ces baisers, de ton front chassés comme une mouche Qui bourdonne l’été sur les coins de ta bouche, C’est donc là vivre, ô belle enfant ! Nul ne verra briller cette étoile nocturne ! Nul n’entendra chanter ce muet rossignol ! Nul ne respirera ces haleines du sol Que la fleur du désert laisse mourir dans l’urne ! Non, Dieu ne brise pas sous ses fruits immortels L’arbre dont le génie a fait courber la tige ; Ce qu’oublia le temps, ce que l’homme néglige, Il le réserve à ses autels ! Ce qui meurt dans les airs, c’est le ciel qui l’aspire : Les anges amoureux recueillent flots à flots Cette vie écoulée en stériles sanglots ; Leur aile emporte ailleurs ce que ta voix soupire De ces langueurs de l’âme où gémit ton destin, De tes pleurs sur ta joue, hélas ! jamais cueillies, De ces espoirs trompés, et ces mélancolies, Qui pâlissent ion pur matin. Ils composent tes chants, mélodieux murmure Qui s’échappe du cœur par le cœur répondu, Comme l’arbre d’encens que le fer a fendu Verse en baume odorant le sang de sa blessure ! Aux accords du génie, à ces divins concerts, Ils mêlent étonnés ces pleurs de jeune fille Qui tombent de ses yeux et baignent son aiguille, Et tous les soupirs sont des vers ! Savent-ils seulement si le monde l’écoute ? Si l’indigence énerve un génie inconnu ? Si le céleste encens au foyer contenu Avec l’eau de ses yeux dans l’argile s’égoutte ? Qu’importe aux voix du ciel l’humble écho d’ici-bas ? Les plus divins accords qui montent de la terre Sont les élans muets de l’âme solitaire, Que le vent même n’entend pas. Non, je n’ai jamais vu la pâle giroflée, Fleurissant au sommet de quelque vieille tour Que bat le vent du Nord ou l’aile du vautour, Incliner sur le mur sa tige échevelée ; Non, je n’ai jamais vu la stérile beauté, Pâlissant sous ses pleurs sa fleur décolorée, S’exhaler sans amour et mourir ignorée, Sans croire à l’immortalité ! Passe donc tes doigts blancs sur tes yeux, jeune fille, Et laisse évaporer ta vie avec tes chants ! Le souffle du Très-Haut sur chaque herbe des champs Cueille la perle d’or où l’aurore scintille ; Toute vie est un flot de la mer de douleurs ; Leur amertume un jour sera ton ambroisie : Car l’urne de la gloire et de la poésie Ne se remplit que de nos pleurs ! Saint-Point, 24 août 1838.

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    Alphonse de Lamartine

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    Bonaparte Sur un écueil battu par la vague plaintive, Le nautonier, de loin, voit blanchir sur la rive Un tombeau près du bord par les flots déposé ; Le temps n’a pas encor bruni l’étroite pierre, Et sous le vert tissu de la ronce et du lierre On distingue… un sceptre brisé. Ici gît… Point de nom ! demandez à la terre ! Ce nom, il est inscrit en sanglant caractère Des bords du Tanaïs au sommet du Cédar, Sur le bronze et le marbre, et sur le sein des braves, Et jusque dans le cœur de ces troupeaux d’esclaves Qu’il foulait tremblants sous son char. Depuis les deux grands noms qu’un siècle au siècle annonce, Jamais nom qu’ici-bas toute langue prononce Sur l’aile de la foudre aussi loin ne vola ; Jamais d’aucun mortel le pied qu’un souffle efface N’imprima sur la terre une plus forte trace : Et ce pied s’est arrêté là… Il est là !… Sous trois pas un enfant le mesure ! Son ombre ne rend pas même un léger murmure : Le pied d’un ennemi foule en paix son cercueil. Sur ce front foudroyant le moucheron bourdonne, Et son ombre n’entend que le bruit monotone D’une vague contre un écueil. Ne crains pas cependant, ombre encore inquiète, Que je vienne outrager ta majesté muette. Non ! La lyre aux tombeaux n’a jamais insulté : La mort de tout temps fut l’asile de la gloire. Rien ne doit jusqu’ici poursuivre une mémoire ; Rien… excepté la vérité ! Ta tombe et ton berceau sont couverts d’un nuage. Mais, pareil à l’éclair, tu sortis d’un orage ; Tu foudroyas le monde avant d’avoir un nom : Tel ce Nil, dont Memphis boit les vagues fécondes, Avant d’être nommé fait bouillonner ses ondes Aux solitudes de Memnon. Les dieux étaient tombés, les trônes étaient vides : La victoire te prit sur ses ailes rapides ; D’un peuple de Brutus la gloire te fit roi. Ce siècle, dont l’écume entraînait dans sa course Les mœurs, les rois, les dieux… refoulé vers sa source, Recula d’un pas devant toi. Tu combattis l’erreur sans regarder le nombre ; Pareil au fier Jacob, tu luttas contre une ombre ; Le fantôme croula sous le poids d’un mortel ; Et, de tous ces grands noms profanateur sublime, Tu jouas avec eux comme la main du crime Avec les vases de l’autel. Ainsi, dans les accès d’un impuissant délire, Quand un siècle vieilli de ses mains se déchire En jetant dans ses fers un cri de liberté, Un héros tout à coup de la poudre s’élève, Le frappe avec son sceptre… Il s’éveille, et le rêve Tombe devant la vérité. Ah ! si, rendant ce sceptre à ses mains légitimes, Plaçant sur ton pavois de royales victimes, Tes mains des saints bandeaux avaient lavé l’affront ! Soldat vengeur des rois, plus grand que ces rois même, De quel divin parfum, de quel pur diadème La gloire aurait sacré ton front ! Gloire, honneur, liberté, ces mots que l’homme adore, Retentissaient pour toi comme l’airain sonore Dont un stupide écho répète au loin le son : De cette langue en vain ton oreille frappée Ne comprit ici-bas que le cri de l’épée, Et le mâle accord du clairon. Superbe, et dédaignant ce que la terre admire, Tu ne demandais rien au monde que l’empire. Tu marchais… tout obstacle était ton ennemi. Ta volonté volait comme ce trait rapide Qui va frapper le but où le regard le guide, Même à travers un cœur ami. Jamais, pour éclaircir ta royale tristesse, La coupe des festins ne te versa l’ivresse ; Tes yeux d’une autre pourpre aimaient à s’enivrer. Comme un soldat debout qui veille sous ses armes, Tu vis de la beauté le sourire ou les larmes, Sans sourire et sans soupirer. Tu n’aimais que le bruit du fer, le cri d’alarmes, L’éclat resplendissant de l’aube sur les armes ; Et ta main ne flattait que ton léger coursier, Quand les flots ondoyants de sa pâle crinière Sillonnaient, comme un vent, la sanglante poussière, Et que ses pieds brisaient l’acier. Tu grandis sans plaisir, tu tombas sans murmure. Rien d’humain ne battait sous ton épaisse armure : Sans haine et sans amour, tu vivais pour penser. Comme l’aigle régnant dans un ciel solitaire, Tu n’avais qu’un regard pour mesurer la terre, Et des serres pour l’embrasser. S’élancer d’un seul bond au char de la victoire ; Foudroyer l’univers des splendeurs de sa gloire ; Fouler d’un même pied des tribuns et des rois ; Forger un joug trempé dans l’amour et la haine, Et faire frissonner sous le frein qui l’enchaîne Un peuple échappé de ses lois ; Être d’un siècle entier la pensée et la vie ; Émousser le poignard, décourager l’envie, Ébranler, raffermir l’univers incertain ; Aux sinistres clartés de ta foudre qui gronde Vingt fois contre les dieux jouer le sort du monde, Quel rêve ! ! ! et ce fut ton destin !… Tu tombas cependant de ce sublime faîte : Sur ce rocher désert jeté par la tempête, Tu vis tes ennemis déchirer ton manteau ; Et le sort, ce seul dieu qu’adora ton audace, Pour dernière faveur t’accorda cet espace Entre le trône et le tombeau. Oh ! qui m’aurait donné d’y sonder ta pensée, Lorsque le souvenir de ta grandeur passée Venait, comme un remords, t’assaillir loin du bruit, Et que, les bras croisés sur ta large poitrine, Sur ton front chauve et nu que la pensée incline, L’horreur passait comme la nuit ? Tel qu’un pasteur debout sur la rive profonde Voit son ombre de loin se prolonger sur l’onde, Et du fleuve orageux suivre en flottant le cours ; Tel, du sommet désert de ta grandeur suprême, Dans l’ombre du passé te recherchant toi-même, Tu rappelais tes anciens jours. Ils passaient devant toi comme des flots sublimes Dont l’œil voit sur les mers étinceler les cimes : Ton oreille écoutait leur bruit harmonieux ; Et, d’un reflet de gloire éclairant ton visage, Chaque flot t’apportait une brillante image Que tu suivais longtemps des yeux. Là, sur un pont tremblant tu défiais la foudre ; Là, du désert sacré tu réveillais la poudre ; Ton coursier frissonnait dans les flots du Jourdain ; Là, tes pas abaissaient une cime escarpée ; Là, tu changeais en sceptre une invincible épée. Ici… Mais quel effroi soudain ! Pourquoi détournes-tu ta paupière éperdue ? D’où vient cette pâleur sur ton front répandue ? Qu’as-tu vu tout à coup dans l’horreur du passé ? Est-ce de vingt cités la ruine fumante, Ou du sang des humains quelque plaine écumante ? Mais la gloire a tout effacé. La gloire efface tout… tout, excepté le crime ! Mais son doigt me montrait le corps d’une victime, Un jeune homme, un héros d’un sang pur inondé. Le flot qui l’apportait passait, passait sans cesse ; Et toujours en passant la vague vengeresse Lui jetait le nom de Condé… Comme pour effacer une tache livide, On voyait sur son front passer sa main rapide ; Mais la trace du sang sous son doigt renaissait : Et, comme un sceau frappé par une main suprême, La goutte ineffaçable, ainsi qu’un diadème, Le couronnait de son forfait. C’est pour cela, tyran, que ta gloire ternie Fera par ton forfait douter de ton génie ; Qu’une trace de sang suivra partout ton char, Et que ton nom, jouet d’un éternel orage, Sera par l’avenir ballotté d’âge en âge Entre Marius et César. Tu mourus cependant de la mort du vulgaire, Ainsi qu’un moissonneur va chercher son salaire, Et dort sur sa faucille avant d’être payé ; Tu ceignis en mourant ton glaive sur ta cuisse, Et tu fus demander récompense ou justice Au Dieu qui t’avait envoyé ! On dit qu’aux derniers jours de sa longue agonie, Devant l’éternité seul avec son génie, Son regard vers le ciel parut se soulever : Le signe rédempteur toucha son front farouche ; Et même on entendit commencer sur sa bouche Un nom… qu’il n’osait achever. Achève… C’est le Dieu qui règne et qui couronne, C’est le Dieu qui punit, c’est le Dieu qui pardonne : Pour les héros et nous il a des poids divers. Parle-lui sans effroi : lui seul peut te comprendre. L’esclave et le tyran ont tous un compte à rendre ; L’un du sceptre, l’autre des fers. Son cercueil est fermé : Dieu l’a jugé. Silence ! Son crime et ses exploits pèsent dans la balance : Que des faibles mortels la main n’y touche plus ! Qui peut sonder, Seigneur, ta clémence infinie ? Et vous, peuples, sachez le vain prix du génie Qui ne fonde pas des vertus ! Septième méditation

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    Alphonse de Lamartine

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    Cantique sur un rayon de soleil Je suis seul dans la prairie Assis au bord du ruisseau ; Déjà la feuille flétrie, Qu’un flot paresseux charrie, Jaunit l’écume de l’eau. La respiration douce Des bois au milieu du jour Donne une lente secousse A la vague, au brin de mousse, Au feuillage d’alentour. Seul et la cime bercée, Un jeune et haut peuplier Dresse sa flèche élancée, Comme une haute pensée Qui s’isole pour prier. Par instants, le vent qui semble Couler à flots modulés Donne à la feuille qui tremble Un doux frisson qui ressemble A des mots articulés. L’azur où sa cime nage A balayé son miroir, Sans que l’ombre d’un nuage Jette au ciel une autre image Que l’infini qu’il fait voir. Ruisselant de feuille en feuille, Un rayon répercuté, Parmi les lis que j’effeuille, Filtre, glisse, et se recueille Dans une île de clarté. Le rayon de feu scintille Sous cette arche de jasmin, Comme une lampe qui brille Aux doigts d’une jeune fille Et qui tremble dans sa main. Elle éclaire cette voûte, Rejaillit sur chaque fleur ; La branche sur l’eau l’égoutte ; L’aile d’insecte et la goutte En font flotter la lueur. A ce rayon d’or qui perce Le vert grillage du bord, La lumière se disperse En étincelle, et traverse Le cristal du flot qui dort. Sous la nuit qui les ombrage, On voit, en brillants réseaux, Jouer un flottant nuage De mouches au bleu corsage Qui patinent sur les eaux. Sur le bord qui se découpe, De rossignols frais éclos Un nid tapissé d’étoupe Se penche comme une coupe Qui voudrait puiser ses flots. La mère habile entre-croise Au fil qui les réunit Les ronces et la framboise, Et tend, comme un toit d’ardoise. Ses deux ailes sur son nid. Au bruit que fait mon haleine, L’onde ou le rameau pliant, Je vois son œil qui promène Sa noire prunelle pleine De son amour suppliant. Puis refermant, calme et douce, Ses yeux sous mes yeux amis, On voit à chaque secousse De ses petits sur leur mousse Battre les cœurs endormis. Ce coin de soleil condense L’infini de volupté. O charmante Providence ! Quelle douce confidence D’amour, de paix, de beauté ! Dans un moment de tendresse, Seigneur, on dirait qu’on sent Ta main douce qui caresse Ce vert gazon, qui redresse Son poil souple et frémissant ! Tout sur terre fait silence Quand tu viens la visiter ; L’ombre ne fuit ni n’avance : Mon cœur même qui s’élance Ne s’entend plus palpiter ! Ma pauvre âme, ensevelie Dans cette mortalité, Ouvre sa mélancolie, Et comme un lin la déplie Au soleil de ta bonté. S’enveloppant tout entière Dans les plis de ta splendeur, Comme l’ombre à la lumière Elle ruisselle en prière, Elle rayonne en ardeur ! Oh ! qui douterait encore D’une bonté dans les cieux, Devant un brin de l’aurore Qui s’égare et fait éclore Ces ravissements des yeux ? Est-il possible, ô nature ! Source dont Dieu tient la clé, Où boit toute créature, Lorsque la goutte est si pure, Que l’abîme soit troublé ? Toi qui dans la perle d’onde, Dans deux brins d’herbe plies, Peux renfermer tout un monde D’un bonheur qui surabonde Et déborde sur tes pieds, Avare de ces délices Qu’entrevoit ici le cœur ! Peux-tu des divins calices Nous prodiguer les prémices Et répandre la liqueur ? Dans cet infini d’espace. Dans cet infini de temps, A la splendeur de ta face, O mon Dieu ! n’est-il pas place Pour tous les cœurs palpitants ? Source d’éternelle vie, Foyer d’éternel amour, A l’âme à peine assouvie Faut-il que le ciel envie Son étincelle et son jour ? Non, ces courts moments d’extase Dont parfois nous débordons Sont un peu de miel du vase, Écume qui s’extravase De l’océan de tes dons ! Elles y nagent, j’espère, Dans les secrets de tes cieux, Ces chères âmes, ô Père, Dont nous gardons sur la terre Le regret délicieux ! Vous, pour qui mon œil se voile Des larmes de notre adieu, Sans doute dans quelque étoile Le même instant vous dévoile Quelque autre perle de Dieu ! Vous contemplez, assouvies, Des champs de sérénité, Ou vous écoutez, ravies, Murmurer la mer des vies Au lit de l’éternité ! Le même Dieu qui déploie Pour nous un coin du rideau Nous enveloppe et nous noie, Vous dans une mer de joie, Moi dans une goutte d’eau ! Pourtant mon âme est si pleine, O Dieu ! d’adoration, Que mon cœur la tient à peine, Et qu’il sent manquer l’haleine A sa respiration ! Par ce seul rayon de flamme, Tu m’attires tant vers toi, Que si la mort de mon âme Venait délier la trame, Rien ne changerait en moi ; Sinon qu’un cri de louange Plus haut et plus solennel, En voix du concert de l’ange Changerait ma voix de fange, Et deviendrait éternel ! Oh ! gloire à toi qui ruisselle De tes soleils à la fleur ! Si grand dans une parcelle ! Si brûlant dans l’étincelle ! Si plein dans un pauvre cœur !

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    Alphonse de Lamartine

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    Consolation Quand le Dieu qui me frappe, attendri par mes larmes, De mon coeur oppressé soulève un peu sa main, Et, donnant quelque trêve à mes longues alarmes, Laisse tarir mes yeux et respirer mon sein ; Soudain, comme le flot refoulé du rivage Aux bords qui l’ont brisé revient en gémissant, Ou comme le roseau, vain jouet de l’orage, Qui plie et rebondit sous la main du passant, Mon coeur revient à Dieu, plus docile et plus tendre, Et de ses châtiments perdant le souvenir, Comme un enfant soumis n’ose lui faire entendre Qu’un murmure amoureux pour se plaindre et bénir ! Que le deuil de mon âme était lugubre et sombre ! Que de nuits sans pavots, que de jours sans soleil ! Que de fois j’ai compté les pas du temps dans l’ombre, Quand les heures passaient sans mener le sommeil! Mais loin de moi ces temps! que l’oubli les dévore ! Ce qui n’est plus pour l’homme a-t-il jamais été ? Quelques jours sont perdus; mais le bonheur encore, Peut fleurir sous mes yeux comme une fleur d’été ! Tous les jours sont à toi! que t’importe leur nombre ? Tu dis : le temps se hâte, ou revient sur ses pas; Eh ! n’es-tu pas celui qui fit reculer l’ombre Sur le cadran rempli d’un roi que tu sauvas ? Si tu voulais! ainsi le torrent de ma vie, À sa source aujourd’hui remontant sans efforts, Nourrirait de nouveau ma jeunesse tarie, Et de ses flots vermeils féconderait ses bords; Ces cheveux dont la neige, hélas ! argente à peine Un front où la douleur a gravé le passé, S’ombrageraient encor de leur touffe d’ébène, Aussi pur que la vague où le cygne a passé! L’amour ranimerait l’éclat de ces prunelles, Et ce foyer du coeur, dans les yeux répété, Lancerait de nouveau ces chastes étincelles Qui d’un désir craintif font rougir la beauté ! Dieu ! laissez-moi cueillir cette palme féconde, Et dans mon sein ravi l’emporter pour toujours, Ainsi que le torrent emporte dans son onde Les roses de Saron qui parfument son cours ! Quand pourrai-je la voir sur l’enfant qui repose S’incliner doucement dans le calme des nuits ? Quand verrai-je ses fils de leurs lèvres de rose Se suspendre à son sein comme l’abeille aux lis ! A l’ombre du figuier, près du courant de l’onde, Loin de l’oeil de l’envie et des pas du pervers, Je bâtirai pour eux un nid parmi le monde, Comme sur un écueil l’hirondelle des mers ! Là, sans les abreuver à ces sources amères Où l’humaine sagesse a mêlé son poison, De ma bouche fidèle aux leçons de mes pères, Pour unique sagesse ils apprendront ton nom ! Là je leur laisserai, pour unique héritage, Tout ce qu’à ses petits laisse l’oiseau du ciel, L’eau pure du torrent, un nid sous le feuillage, Les fruits tombés de l’arbre, et ma place au soleil! Alors, le front chargé de guirlandes fanées, Tel qu’un vieux olivier parmi ses rejetons, Je verrai de mes fils les brillantes années Cacher mon tronc flétri sous leurs jeunes festons ! Alors j’entonnerai l’hymne de ma vieillesse, Et, convive enivré des vins de ta bonté, Je passerai la coupe aux mains de la jeunesse, Et je m’endormirai dans ma félicité !

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    Alphonse de Lamartine

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    Contre la peine de mort (Au peuple du 19 octobre 1830) Vains efforts ! périlleuse audace ! Me disent des amis au geste menaçant, Le lion même fait-il grâce Quand sa langue a léché du sang ? Taisez-vous ! ou chantez comme rugit la foule ? Attendez pour passer que le torrent s’écoule De sang et de lie écumant ! On peut braver Néron, cette hyène de Rome! Les brutes ont un coeur! le tyran est un homme : Mais le peuple est un élément ; Elément qu’aucun frein ne dompte, Et qui roule semblable à la fatalité ; Pendant que sa colère monte, Jeter un cri d’humanité, C’est au sourd Océan qui blanchit son rivage Jeter dans la tempête un roseau de la plage, La feuille sèche à l’ouragan ! C’est aiguiser le fer pour soutirer la foudre, Ou poser pour l’éteindre un bras réduit en poudre Sur la bouche en feu du volcan ! Souviens-toi du jeune poète, Chénier ! dont sous tes pas le sang est encor chaud, Dont l’histoire en pleurant répète Le salut triste à l’échafaud . Il rêvait, comme toi, sur une terre libre Du pouvoir et des lois le sublime équilibre ; Dans ses bourreaux il avait foi ! Qu’importe ? il faut mourir, et mourir sans mémoire : Eh bien ! mourons, dit-il. Vous tuez de la gloire : J’en avais pour vous et pour moi ! Cache plutôt dans le silence Ton nom, qu’un peu d’éclat pourrait un jour trahir ! Conserve une lyre à la France, Et laisse-les s’entre-haïr ; De peur qu’un délateur à l’oreille attentive Sur sa table future en pourpre ne t’inscrive Et ne dise à son peuple-roi : C’est lui qui disputant ta proie à ta colère, Voulant sauver du sang ta robe populaire, Te crut généreux : venge-toi ! Non, le dieu qui trempa mon âme Dans des torrents de force et de virilité, N’eût pas mis dans un coeur de femme Cette soif d’immortalité. Que l’autel de la peur serve d’asile au lâche, Ce coeur ne tremble pas aux coups sourds d’une hache, Ce front levé ne pâlit pas ! La mort qui se trahit dans un signe farouche En vain, pour m’avertir, met un doigt sur sa bouche : La gloire sourit au trépas. Il est beau de tomber victime Sous le regard vengeur de la postérité Dans l’holocauste magnanime De sa vie à la vérité ! L’échafaud pour le juste est le lit de sa gloire : Il est beau d’y mourir au soleil de l’histoire, Au milieu d’un peuple éperdu ! De léguer un remords à la foule insensée, Et de lui dire en face une mâle pensée, Au prix de son sang répandu. Peuple, dirais-je ; écoute ! et juge ! Oui, tu fus grand, le jour où du bronze affronté Tu le couvris comme un déluge Du reflux de la liberté ! Tu fus fort, quand pareil à la mer écumante, Au nuage qui gronde, au volcan qui fermente, Noyant les gueules du canon, Tu bouillonnais semblable au plomb dans la fournaise, Et roulais furieux sur une plage anglaise Trois couronnes dans ton limon ! Tu fus beau, tu fus magnanime, Le jour où, recevant les balles sur ton sein, Tu marchais d’un pas unanime, Sans autre chef que ton tocsin ; Où, n’ayant que ton coeur et tes mains pour combattre, Relevant le vaincu que tu venais d’abattre Et l’emportant, tu lui disais : Avant d’être ennemis, le pays nous fit frères ; Livrons au même lit les blessés des deux guerres : La France couvre le Français ! Quand dans ta chétive demeure, Le soir, noirci du feu, tu rentrais triomphant Près de l’épouse qui te pleure, Du berceau nu de ton enfant ! Tu ne leur présentais pour unique dépouille Que la goutte de sang, la poudre qui te souille, Un tronçon d’arme dans ta main ; En vain l’or des palais dans la boue étincelle, Fils de la liberté, tu ne rapportais qu’elle : Seule elle assaisonnait ton pain ! Un cri de stupeur et de gloire Sorti de tous les coeurs monta sous chaque ciel, Et l’écho de cette victoire Devint un hymne universel. Moi-même dont le coeur date d’une autre France, Moi, dont la liberté n’allaita pas l’enfance, Rougissant et fier à la fois, Je ne pus retenir mes bravos à tes armes, Et j’applaudis des mains, en suivant de mes larmes L’innocent orphelin des rois ! Tu reposais dans ta justice Sur la foi des serments conquis, donnés, reçus ; Un jour brise dans un caprice Les noeuds par deux règnes tissus ! Tu t’élances bouillant de honte et de délire : Le lambeau mutilé du gage qu’on déchire Reste dans les dents du lion. On en appelle au fer; il t’absout ! Qu’il se lève Celui qui jetterait ou la pierre, ou le glaive A ton jour d’indignation ! Mais tout pouvoir a des salaires A jeter aux flatteurs qui lèchent ses genoux, Et les courtisans populaires Sont les plus serviles de tous ! Ceux-là des rois honteux pour corrompre les âmes Offrent les pleurs du peuple ou son or, ou ses femmes, Aux désirs d’un maître puissant ; Les tiens, pour caresser des penchants plus sinistres, Te font sous l’échafaud, dont ils sont les ministres, Respirer des vapeurs de sang ! Dans un aveuglement funeste, Ils te poussent de l’oeil vers un but odieux, Comme l’enfer poussait Oreste, En cachant le crime à ses yeux ! La soif de ta vengeance, ils l’appellent justice : Et bien, justice soit ! Est-ce un droit de supplice Qui par tes morts fut acheté ? Que feras-tu, réponds, du sang qu’on te demande ? Quatre têtes sans tronc, est-ce donc là l’offrande D’un grand peuple à sa liberté ? N’en ont-ils pas fauché sans nombre ? N’en ont-ils pas jeté des monceaux, sans combler Le sac insatiable et sombre Où tu les entendais rouler ? Depuis que la mort même, inventant ses machines, Eut ajouté la roue aux faux des guillotines Pour hâter son char gémissant, Tu comptais par centaine, et tu comptas par mille ! Quand on presse du pied le pavé de ta ville, On craint d’en voir jaillir du sang ! – Oui, mais ils ont joué leur tête. – Je le sais; et le sort les livre et te les doit! C’est ton gage, c’est ta conquête ; Prends, ô peuple! use de ton droit. Mais alors jette au vent l’honneur de ta victoire; Ne demande plus rien à l’Europe, à la gloire, Plus rien à la postérité ! En donnant cette joie à ta libre colère, Va-t’en; tu t’es payé toi-même ton salaire : Du sang, au lieu de liberté ! Songe au passé, songe à l’aurore De ce jour orageux levé sur nos berceaux ; Son ombre te rougit encore Du reflet pourpré des ruisseaux ! Il t’a fallu dix ans de fortune et de gloire Pour effacer l’horreur de deux pages d’histoire. Songe à l’Europe qui te suit Et qui dans le sentier que ton pied fort lui creuse Voit marcher tantôt sombre et tantôt lumineuse Ta colonne qui la conduit ! Veux-tu que sa liberté feinte Du carnage civique arbore aussi la faux ? Et que partout sa main soit teinte De la fange des échafauds ? Veux-tu que le drapeau qui la porte aux deux mondes, Veux-tu que les degrés du trône que tu fondes, Pour piédestal aient un remords ? Et que ton Roi, fermant sa main pleine de grâces, Ne puisse à son réveil descendre sur tes places, Sans entendre hurler la mort ? Aux jours de fer de tes annales Quels dieux n’ont pas été fabriqués par tes mains ? Des divinités infernales Reçurent l’encens des humains ! Tu dressas des autels à la terreur publique, A la peur, à la mort, Dieux de ta République ; Ton grand prêtre fut ton bourreau ! De tous ces dieux vengeurs qu’adora ta démence, Tu n’en oublias qu’un, ô peuple ! la Clémence ! Essayons d’un culte nouveau. Le jour qu’oubliant ta colère, Comme un lutteur grandi qui sent son bras plus fort, De l’héroïsme populaire Tu feras le dernier effort ; Le jour où tu diras : Je triomphe et pardonne !… Ta vertu montera plus haut que ta colonne Au-dessus des exploits humains ; Dans des temples voués à ta miséricorde Ton génie unira la force et la concorde, Et les siècles battront des mains !  » Peuple, diront-ils, ouvre une ère  » Que dans ses rêves seuls l’humanité tenta,  » Proscris des codes de la terre  » La mort que le crime inventa !  » Remplis de ta vertu l’histoire qui la nie,  » Réponds par tant de gloire à tant de calomnie !  » Laisse la pitié respirer!  » Jette à tes ennemis des lois plus magnanimes,  » Ou si tu veux punir, inflige à tes victimes  » Le supplice de t’admirer !  » Quitte enfin la sanglante ornière  » Où se traîne le char des révolutions,  » Que ta halte soit la dernière  » Dans ce désert des nations ;  » Que le genre humain dise en bénissant tes pages :  » C’est ici que la France a de ses lois sauvages  » Fermé le livre ensanglanté ;  » C’est ici qu’un grand peuple, au jour de la justice,  » Dans la balance humaine, au lieu d’un vil supplice,  » Jeta sa magnanimité. » Mais le jour où le long des fleuves Tu reviendras, les yeux baissés sur tes chemins, Suivi, maudit par quatre veuves, Et par des groupes d’orphelins, De ton morne triomphe en vain cherchant la fête, Les passants se diront, en détournant la tête : Marchons, ce n’est rien de nouveau ! C’est, après la victoire, un peuple qui se venge ; Le siècle en a menti ; jamais l’homme ne change : Toujours, ou victime, ou bourreau !

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

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    Dieu Oui, mon âme se plaît à secouer ses chaînes : Déposant le fardeau des misères humaines, Laissant errer mes sens dans ce monde des corps, Au monde des esprits je monte sans efforts. Là, foulant à mes pieds cet univers visible, Je plane en liberté dans les champs du possible, Mon âme est à l’étroit dans sa vaste prison : Il me faut un séjour qui n’ait pas d’horizon. Comme une goutte d’eau dans l’Océan versée, L’infini dans son sein absorbe ma pensée ; Là, reine de l’espace et de l’éternité, Elle ose mesurer le temps, l’immensité, Aborder le néant, parcourir l’existence, Et concevoir de Dieu l’inconcevable essence. Mais sitôt que je veux peindre ce que je sens, Toute parole expire en efforts impuissants. Mon âme croit parler, ma langue embarrassée Frappe l’air de vingt sons, ombre de ma pensée. Dieu fit pour les esprits deux langages divers : En sons articulés l’un vole dans les airs ; Ce langage borné s’apprend parmi les hommes, Il suffit aux besoins de l’exil où nous sommes, Et, suivant des mortels les destins inconstants Change avec les climats ou passe avec les temps. L’autre, éternel, sublime, universel, immense, Est le langage inné de toute intelligence : Ce n’est point un son mort dans les airs répandu, C’est un verbe vivant dans le coeur entendu ; On l’entend, on l’explique, on le parle avec l’âme ; Ce langage senti touche, illumine, enflamme; De ce que l’âme éprouve interprètes brûlants, Il n’a que des soupirs, des ardeurs, des élans ; C’est la langue du ciel que parle la prière, Et que le tendre amour comprend seul sur la terre. Aux pures régions où j’aime à m’envoler, L’enthousiasme aussi vient me la révéler. Lui seul est mon flambeau dans cette nuit profonde, Et mieux que la raison il m’explique le monde. Viens donc ! Il est mon guide, et je veux t’en servir. A ses ailes de feu, viens, laisse-toi ravir ! Déjà l’ombre du monde à nos regards s’efface, Nous échappons au temps, nous franchissons l’espace. Et dans l’ordre éternel de la réalité, Nous voilà face à face avec la vérité ! Cet astre universel, sans déclin, sans aurore, C’est Dieu, c’est ce grand tout, qui soi-même s’adore ! Il est ; tout est en lui : l’immensité, les temps, De son être infini sont les purs éléments ; L’espace est son séjour, l’éternité son âge ; Le jour est son regard, le monde est son image ; Tout l’univers subsiste à l’ombre de sa main ; L’être à flots éternels découlant de son sein, Comme un fleuve nourri par cette source immense, S’en échappe, et revient finir où tout commence. Sans bornes comme lui ses ouvrages parfaits Bénissent en naissant la main qui les a faits ! Il peuple l’infini chaque fois qu’il respire ; Pour lui, vouloir c’est faire, exister c’est produire ! Tirant tout de soi seul, rapportant tout à soi, Sa volonté suprême est sa suprême loi ! Mais cette volonté, sans ombre et sans faiblesse, Est à la fois puissance, ordre, équité, sagesse. Sur tout ce qui peut être il l’exerce à son gré ; Le néant jusqu’à lui s’élève par degré : Intelligence, amour, force, beauté, jeunesse, Sans s’épuiser jamais, il peut donner sans cesse, Et comblant le néant de ses dons précieux, Des derniers rangs de l’être il peut tirer des dieux ! Mais ces dieux de sa main, ces fils de sa puissance, Mesurent d’eux à lui l’éternelle distance, Tendant par leur nature à l’être qui les fit; Il est leur fin à tous, et lui seul se suffit ! Voilà, voilà le Dieu que tout esprit adore, Qu’Abraham a servi, que rêvait Pythagore, Que Socrate annonçait, qu’entrevoyait Platon ; Ce Dieu que l’univers révèle à la raison, Que la justice attend, que l’infortune espère, Et que le Christ enfin vint montrer à la terre ! Ce n’est plus là ce Dieu par l’homme fabriqué, Ce Dieu par l’imposture à l’erreur expliqué, Ce Dieu défiguré par la main des faux prêtres, Qu’adoraient en tremblant nos crédules ancêtres. Il est seul, il est un, il est juste, il est bon ; La terre voit son oeuvre, et le ciel sait son nom ! Heureux qui le connaît ! plus heureux qui l’adore ! Qui, tandis que le monde ou l’outrage ou l’ignore, Seul, aux rayons pieux des lampes de la nuit, S’élève au sanctuaire où la foi l’introduit Et, consumé d’amour et de reconnaissance, Brûle comme l’encens son âme en sa présence ! Mais pour monter à lui notre esprit abattu Doit emprunter d’en haut sa force et sa vertu. Il faut voler au ciel sur des ailes de flamme : Le désir et l’amour sont les ailes de l’âme. Ah ! que ne suis-je né dans l’âge où les humains, Jeunes, à peine encore échappés de ses mains, Près de Dieu par le temps, plus près par l’innocence, Conversaient avec lui, marchaient en sa présence ? Que n’ai-je vu le monde à son premier soleil ? Que n’ai-je entendu l’homme à son premier réveil ? Tout lui parlait de toi, tu lui parlais toi-même ; L’univers respirait ta majesté suprême ; La nature, sortant des mains du Créateur, Etalait en tous sens le nom de son auteur; Ce nom, caché depuis sous la rouille des âges, En traits plus éclatants brillait sur tes Ouvrages ; L’homme dans le passé ne remontait qu’à toi ; Il invoquait son père, et tu disais : C’est moi. Longtemps comme un enfant ta voix daigna l’instruire, Et par la main longtemps tu voulus le conduire. Que de fois dans ta gloire à lui tu t’es montré, Aux vallons de Sennar, aux chênes de Membré, Dans le buisson d’Horeb, ou sur l’auguste cime Où Moïse aux Hébreux dictait sa loi sublime ! Ces enfants de Jacob, premiers-nés des humains, Reçurent quarante ans la manne de tes mains Tu frappais leur esprit par tes vivants oracles ! Tu parlais à leurs yeux par la voix des miracles ! Et lorsqu’ils t’oubliaient, tes anges descendus Rappelaient ta mémoire à leurs coeurs éperdus ! Mais enfin, comme un fleuve éloigné de sa source, Ce souvenir si pur s’altéra dans sa course ! De cet astre vieilli la sombre nuit des temps Eclipsa par degrés les rayons éclatants ; Tu cessas de parler; l’oubli, la main des âges, Usèrent ce grand nom empreint dans tes ouvrages ; Les siècles en passant firent pâlir la foi ; L’homme plaça le doute entre le monde et toi. Oui, ce monde, Seigneur, est vieilli pour ta gloire ; Il a perdu ton nom, ta trace et ta mémoire Et pour les retrouver il nous faut, dans son cours, Remonter flots à flots le long fleuve des jours ! Nature ! firmament ! l’oeil en vain vous contemple ; Hélas ! sans voir le Dieu, l’homme admire le temple, Il voit, il suit en vain, dans les déserts des cieux, De leurs mille soleils le cours mystérieux ! Il ne reconnaît plus la main qui les dirige ! Un prodige éternel cesse d’être un prodige ! Comme ils brillaient hier, ils brilleront demain ! Qui sait où commença leur glorieux chemin ? Qui sait si ce flambeau, qui luit et qui féconde, Une première fois s’est levé sur le monde ? Nos pères n’ont point vu briller son premier tour Et les jours éternels n’ont point de premier jour. Sur le monde moral, en vain ta providence, Dans ces grands changements révèle ta présence ! C’est en vain qu’en tes jeux l’empire des humains Passe d’un sceptre à l’autre, errant de mains en mains ; Nos yeux accoutumés à sa vicissitude Se sont fait de ta gloire une froide habitude ; Les siècles ont tant vu de ces grands coups du sort : Le spectacle est usé, l’homme engourdi s’endort. Réveille-nous, grand Dieu ! parle et change le monde ; Fais entendre au néant ta parole féconde. Il est temps ! lève-toi ! sors de ce long repos ; Tire un autre univers de cet autre chaos. A nos yeux assoupis il faut d’autres spectacles ! A nos esprits flottants il faut d’autres miracles ! Change l’ordre des cieux qui ne nous parle plus ! Lance un nouveau soleil à nos yeux éperdus ! Détruis ce vieux palais, indigne de ta gloire ; Viens ! montre-toi toi-même et force-nous de croire ! Mais peut-être, avant l’heure où dans les cieux déserts Le soleil cessera d’éclairer l’univers, De ce soleil moral la lumière éclipsée Cessera par degrés d’éclairer la pensée ; Et le jour qui verra ce grand flambeau détruit Plongera l’univers dans l’éternelle nuit. Alors tu briseras ton inutile ouvrage : Ses débris foudroyés rediront d’âge en âge : Seul je suis ! hors de moi rien ne peut subsister ! L’homme cessa de croire, il cessa d’exister !

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

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    Le lézard Sur les ruines de Rome. Un jour, seul dans le Colisée, Ruine de l’orgueil romain, Sur l’herbe de sang arrosée Je m’assis, Tacite à la main. Je lisais les crimes de Rome, Et l’empire à l’encan vendu, Et, pour élever un seul homme, L’univers si bas descendu. Je voyais la plèbe idolâtre, Saluant les triomphateurs, Baigner ses yeux sur le théâtre Dans le sang des gladiateurs. Sur la muraille qui l’incruste, Je recomposais lentement Les lettres du nom de l’Auguste Qui dédia le monument. J’en épelais le premier signe : Mais, déconcertant mes regards, Un lézard dormait sur la ligne Où brillait le nom des Césars. Seul héritier des sept collines, Seul habitant de ces débris, Il remplaçait sous ces ruines Le grand flot des peuples taris. Sorti des fentes des murailles, Il venait, de froid engourdi, Réchauffer ses vertes écailles Au contact du bronze attiédi. Consul, César, maître du monde, Pontife, Auguste, égal aux dieux, L’ombre de ce reptile immonde Éclipsait ta gloire à mes yeux ! La nature a son ironie Le livre échappa de ma main. Ô Tacite, tout ton génie Raille moins fort l’orgueil humain !

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    Alphonse de Lamartine

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    @alphonseDeLamartine

    Désir Ah ! si j'avais des paroles, Des images, des symboles, Pour peindre ce que je sens ! Si ma langue, embarrassée Pour révéler ma pensée, Pouvait créer des accents ! Loi sainte et mystérieuse ! Une âme mélodieuse Anime tout l'univers ; Chaque être a son harmonie, Chaque étoile son génie, Chaque élément ses concerts. Ils n'ont qu'une voix, mais pure, Forte comme la nature, Sublime comme son Dieu ; Et, quoique toujours la même, Seigneur, cette voix suprême Se fait entendre en tout lieu. Quand les vents sifflent sur l'onde, Quand la mer gémit ou gronde, Quand la foudre retentit, Tout ignorants que nous sommes, Qui de nous, enfants des hommes, Demande ce qu'ils ont dit ? L'un a dit : « Magnificence ! » L'autre : « Immensité ! puissance ! » L'autre : « Terreur et courroux ! » L'un a fui devant sa face, L'autre a dit : « Son ombre passe : Cieux et terre, taisez-vous ! » Mais l'homme, ta créature, Lui qui comprend la nature, Pour parler n'a que des mots, Des mots sans vie et sans aile, De sa pensée immortelle Trop périssables échos ! Son âme est comme l'orage Qui gronde dans le nuage Et qui ne peut éclater, Comme la vague captive Qui bat et blanchit sa rive Et ne peut la surmonter. Elle s'use et se consume Comme un aiglon dont la plume N'aurait pas encor grandi, Dont l'œil aspire à sa sphère, Et qui rampe sur la terre Comme un reptile engourdi. Ah ! ce qu'aux anges j'envie N'est pas l'éternelle vie, Ni leur glorieux destin : C'est la lyre, c'est l'organe Par qui même un cœur profane Peut chanter l'hymne sans fin ! Quelque chose en moi soupire, Aussi doux que le zéphyr Que la nuit laisse exhaler, Aussi sublime que l'onde, Ou que la foudre qui gronde ; Et mon cœur ne peut parler ! Océan, qui sur tes rives Épands tes vagues plaintives, Rameaux murmurants des bois, Foudre dont la nue est pleine, Ruisseaux à la molle haleine, Ah ! si j'avais votre voix ! Si seulement, ô mon âme, Ce Dieu dont l'amour t'enflamme Comme le feu, l'aquilon, Au zèle ardent qui t'embrase Accordait, dans une extase, Un mot pour dire son nom ! Son nom, tel que la nature Sans parole le murmure, Tel que le savent les deux ; Ce nom que J'aurore voile, Et dont l'étoile à l'étoile Est l'écho mélodieux ; Les ouragans, le tonnerre, Les mers, les feux et la terre, Se tairaient pour l'écouter ; Les airs, ravis de l'entendre, S'arrêteraient pour l'apprendre, Les deux pour le répéter. Ce nom seul, redit sans cesse, Soulèverait ma tristesse Dans ce vallon de douleurs ; Et je dirais sans me plaindre : « Mon dernier jour peut s'éteindre, J'ai dit sa gloire, et je meurs ! »

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    Alphonse de Lamartine

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    Eternité de la nature, brièveté de l’homme Roulez dans vos sentiers de flamme, Astres, rois de l’immensité ! Insultez, écrasez mon âme Par votre presque éternité ! Et vous, comètes vagabondes, Du divin océan des mondes Débordement prodigieux, Sortez des limites tracées, Et révélez d’autres pensées De celui qui pensa les cieux ! Triomphe, immortelle nature ! A qui la main pleine de jours Prête des forces sans mesure, Des temps qui renaissent toujours ! La mort retrempe ta puissance, Donne, ravis, rends l’existence A tout ce qui la puise en toi ; Insecte éclos de ton sourire, Je nais, je regarde et j’expire, Marche et ne pense plus à moi ! Vieil océan, dans tes rivages Flotte comme un ciel écumant, Plus orageux que les nuages, Plus lumineux qu’un firmament ! Pendant que les empires naissent, Grandissent, tombent, disparaissent Avec leurs générations, Dresse tes bouillonnantes crêtes, Bats ta rive! et dis aux tempêtes : Où sont les nids des nations ? Toi qui n’es pas lasse d’éclore Depuis la naissance des jours. Lève-toi, rayonnante aurore, Couche-toi, lève-toi toujours! Réfléchissez ses feux sublimes, Neiges éclatantes des cimes, Où le jour descend comme un roi ! Brillez, brillez pour me confondre, Vous qu’un rayon du jour peut fondre, Vous subsisterez plus que moi ! Et toi qui t’abaisse et t’élève Comme la poudre des chemins, Comme les vagues sûr la grève, Race innombrable des humains, Survis au temps qui me consume, Engloutis-moi dans ton écume, Je sens moi-même mon néant, Dans ton sein qu’est-ce qu’une vie ? Ce qu’est une goutte de pluie Dans les bassins de l’océan ! Vous mourez pour renaître encore, Vous fourmillez dans vos sillons ! Un souffle du soir à l’aurore Renouvelle vos tourbillons! Une existence évanouie Ne fait pas baisser d’une vie Le flot de l’être toujours plein; Il ne vous manque quand j’expire Pas plus qu’à l’homme qui respire Ne manque un souffle de son sein ! Vous allez balayer ma cendre ; L’homme ou l’insecte en renaîtra ! Mon nom brûlant de se répandre Dans le nom commun se perdra ; Il fut! voilà tout! bientôt même L’oubli couvre ce mot suprême, Un siècle ou deux l’auront vaincu ! Mais vous ne pouvez, à nature ! Effacer une créature ; Je meurs! qu’importe ? j’ai vécu ! Dieu m’a vu ! le regard de vie S’est abaissé sur mon néant, Votre existence rajeunie A des siècles, j’eus mon instant ! Mais dans la minute qui passe L’infini de temps et d’espace Dans mon regard s’est répété ! Et j’ai vu dans ce point de l’être La même image m’apparaître Que vous dans votre immensité ! Distances incommensurables, Abîmes des monts et des cieux, Vos mystères inépuisables Se sont révélés à mes yeux ! J’ai roulé dans mes voeux sublimes Plus de vagues que tes abîmes N’en roulent, à mer en courroux ! Et vous, soleils aux yeux de flamme, Le regard brûlant de mon âme S’est élevé plus haut que vous ! De l’être universel, unique, La splendeur dans mon ombre a lui, Et j’ai bourdonné mon cantique De joie et d’amour devant lui ! Et sa rayonnante pensée Dans la mienne s’est retracée, Et sa parole m’a connu ! Et j’ai monté devant sa face, Et la nature m’a dit : Passe : Ton sort est sublime, il t’a vu! Vivez donc vos jours sans mesure ! Terre et ciel! céleste flambeau ! Montagnes, mers, et toi, nature, Souris longtemps sur mon tombeau ! Effacé du livre de vie, Que le néant même m’oublie! J’admire et ne suis point jaloux ! Ma pensée a vécu d’avance Et meurt avec une espérance Plus impérissable que vous !

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    Alphonse de Lamartine

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    Ferrare Que l’on soit homme ou Dieu, tout génie est martyre : Du supplice plus tard on baise l’instrument ; L’homme adore la croix où sa victime expire, Et du cachot du Tasse enchâsse le ciment. Prison du Tasse ici, de Galilée à Rome, Échafaud de Sidney, bûchers, croix ou tombeaux, Ah ! vous donnez le droit de bien mépriser l’homme, Qui veut que Dieu l’éclaire, et qui hait ses flambeaux ! Grand parmi les petits, libre chez les serviles, Si le génie expire, il l’a bien mérité ; Car nous dressons partout aux portes de nos villes Ces gibets de la gloire et de la vérité. Loin de nous amollir, que ce sort nous retrempe ! Sachons le prix du don, mais ouvrons notre main. Nos pleurs et notre sang sont l’huile de la lampe Que Dieu nous fait porter devant le genre humain ! (Trentième Méditation, improvisée en sortant du cachot de Tasse.)

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    Alphonse de Lamartine

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    Hymne au Christ L’astre qu’à ton berceau le mage vit éclore, L’étoile qui guida les bergers de l’aurore Vers le Dieu couronné d’indigence et d’affront, Répandit sur la terre un jour qui luit encore, Que chaque âge à son tour reçoit, bénit, adore Qui dans la nuit des temps jamais ne s’évapore, Et ne s’éteindra pas quand les cieux s’éteindront ! Ils disent cependant que cet astre se voile, Que les clartés du siècle ont vaincu cette étoile ; Que ce monde vieilli n’a plus besoin de toi ! Que la raison est seule immortelle et divine, Que la rouille des temps a rongé ta doctrine, Et que de jour en jour de ton temple en ruine Quelque pierre en tombant déracine ta foi ! … Ô toi qui fis lever cette seconde aurore, Dont un second chaos vit l’harmonie éclore, Parole qui portais, avec la vérité, Justice et tolérance, amour et liberté ! Règne à jamais, ô Christ, sur la raison humaine, Et de l’homme à son Dieu sois la divine chaîne ! Illumine sans fin de tes feux éclatants Les siècles endormis dans le berceau des temps ! Et que ton nom, légué pour unique héritage, De la mère à l’enfant descende d’âge en âge, Tant que l’oeil dans la nuit aura soif de clarté, Et le coeur d’espérance et d’immortalité ! Tant que l’humanité plaintive et désolée Arrosera de pleurs sa terrestre vallée, Et tant que les vertus garderont leurs autels, Ou n’auront pas changé de nom chez les mortels ! Pour moi, soit que ton nom ressuscite ou succombe, Ô Dieu de mon berceau, sois le Dieu de ma tombe ! Plus la nuit est obscure et plus mes faibles yeux S’attachent au flambeau qui pâlit dans les cieux ; Et quand l’autel brisé que la foule abandonne S’écroulerait sur moi !… temple que je chéris, Temple où j’ai tout reçu, temple où j’ai tout appris, J’embrasserais encor ta dernière colonne, Dussé-je être écrasé sous tes sacrés débris !

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    Alphonse de Lamartine

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    Hymne au soleil Vous avez pris pitié de sa longue douleur ! Vous me rendez le jour, Dieu que l’amour implore ! Déjà mon front couvert d’une molle pâleur, Des teintes de la vie à ses yeux se colore ; Déjà dans tout mon être une douce chaleur Circule avec mon sang, remonte dans mon cœur Je renais pour aimer encore ! Mais la nature aussi se réveille en ce jour ! Au doux soleil de mai nous la voyons renaître ; Les oiseaux de Vénus autour de ma fenêtre Du plus chéri des mois proclament le retour ! Guidez mes premiers pas dans nos vertes campagnes ! Conduis-moi, chère Elvire, et soutiens ton amant : Je veux voir le soleil s’élever lentement, Précipiter son char du haut de nos montagnes, Jusqu’à l’heure où dans l’onde il ira s’engloutir, Et cédera les airs au nocturne zéphyr ! Viens ! Que crains-tu pour moi ? Le ciel est sans nuage ! Ce plus beau de nos jours passera sans orage ; Et c’est l’heure où déjà sur les gazons en fleurs Dorment près des troupeaux les paisibles pasteurs ! Dieu ! que les airs sont doux ! Que la lumière est pure ! Tu règnes en vainqueur sur toute la nature, Ô soleil ! et des cieux, où ton char est porté, Tu lui verses la vie et la fécondité ! Le jour où, séparant la nuit de la lumière, L’éternel te lança dans ta vaste carrière, L’univers tout entier te reconnut pour roi ! Et l’homme, en t’adorant, s’inclina devant toi ! De ce jour, poursuivant ta carrière enflammée, Tu décris sans repos ta route accoutumée ; L’éclat de tes rayons ne s’est point affaibli, Et sous la main des temps ton front n’a point pâli ! Quand la voix du matin vient réveiller l’aurore, L’Indien, prosterné, te bénit et t’adore ! Et moi, quand le midi de ses feux bienfaisants Ranime par degrés mes membres languissants, Il me semble qu’un Dieu, dans tes rayons de flamme, En échauffant mon sein, pénètre dans mon âme ! Et je sens de ses fers mon esprit détaché, Comme si du Très-Haut le bras m’avait touché ! Mais ton sublime auteur défend-il de le croire ? N’es-tu point, ô soleil ! un rayon de sa gloire ? Quand tu vas mesurant l’immensité des cieux, Ô soleil ! n’es-tu point un regard de ses yeux ? Ah ! si j’ai quelquefois, aux jours de l’infortune, Blasphémé du soleil la lumière importune ; Si j’ai maudit les dons que j’ai reçus de toi, Dieu, qui lis dans les cœurs, ô Dieu ! pardonne-moi ! Je n’avais pas goûté la volupté suprême De revoir la nature auprès de ce que j’aime, De sentir dans mon cœur, aux rayons d’un beau jour, Redescendre à la fois et la vie et l’amour ! Insensé ! j’ignorais tout le prix de la vie ! Mais ce jour me l’apprend, et je te glorifie !

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    Alphonse de Lamartine

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    Hymne de l'enfant a son réveil Ô père qu'adore mon père ! Toi qu'on ne nomme qu'à genoux ! Toi, dont le nom terrible et doux Fait courber le front de ma mère ! On dit que ce brillant soleil N'est qu'un jouet de ta puissance ; Que sous tes pieds il se balance Comme une lampe de vermeil. On dit que c'est toi qui fais naître Les petits oiseaux dans les champs, Et qui donne aux petits enfants Une âme aussi pour te connaître ! On dit que c'est toi qui produis Les fleurs dont le jardin se pare, Et que, sans toi, toujours avare, Le verger n'aurait point de fruits. Aux dons que ta bonté mesure Tout l'univers est convié ; Nul insecte n'est oublié À ce festin de la nature. L'agneau broute le serpolet, La chèvre s'attache au cytise, La mouche au bord du vase puise Les blanches gouttes de mon lait ! L'alouette a la graine amère Que laisse envoler le glaneur, Le passereau suit le vanneur, Et l'enfant s'attache à sa mère. Et, pour obtenir chaque don, Que chaque jour tu fais éclore, À midi, le soir, à l'aurore, Que faut-il ? prononcer ton nom ! Ô Dieu ! ma bouche balbutie Ce nom des anges redouté. Un enfant même est écouté Dans le choeur qui te glorifie ! On dit qu'il aime à recevoir Les voeux présentés par l'enfance, À cause de cette innocence Que nous avons sans le savoir. On dit que leurs humbles louanges A son oreille montent mieux, Que les anges peuplent les cieux, Et que nous ressemblons aux anges ! Ah ! puisqu'il entend de si loin Les voeux que notre bouche adresse, Je veux lui demander sans cesse Ce dont les autres ont besoin. Mon Dieu, donne l'onde aux fontaines, Donne la plume aux passereaux, Et la laine aux petits agneaux, Et l'ombre et la rosée aux plaines. Donne au malade la santé, Au mendiant le pain qu'il pleure, À l'orphelin une demeure, Au prisonnier la liberté. Donne une famille nombreuse Au père qui craint le Seigneur, Donne à moi sagesse et bonheur, Pour que ma mère soit heureuse ! Que je sois bon, quoique petit, Comme cet enfant dans le temple, Que chaque matin je contemple, Souriant au pied de mon lit. Mets dans mon âme la justice, Sur mes lèvres la vérité, Qu'avec crainte et docilité Ta parole en mon coeur mûrisse ! Et que ma voix s'élève à toi Comme cette douce fumée Que balance l'urne embaumée Dans la main d'enfants comme moi !

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