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Auguste Barbier

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Henri-Auguste Barbier, né à Paris le 28 avril 1805 et mort à Nice le 13 février 1882, est un poète français, également nouvelliste, mémorialiste, librettiste, critique d'art et traducteur.

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Poésies

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    Auguste Barbier

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    @augusteBarbier

    Au Bal de L'Opera - Satire Arlequin et Pierrot se rencontrent au foyer: Pierrot est seul sur un banc, abîmé dans ses Réflexions. Arlequin. Toujours triste, toujours soucieux, cher Pierrot, Et toujours mécontent du monde comme un sot! C' est un tort, un grand tort: il faut fuir la tristesse Et faire de chaque heure une charmante ivresse. Pierrot. Dans mes pensers je suis la constance elle-même; Vois mon gilet, mes bas et ma figure blême! Je suis blanc, toujours blanc comme un lis du Carmel. Arlequin. Quant à moi, mon habit est l' éclatant symbole De mes goûts fugitifs comme de ma parole. Jaune, vert, rouge, bleu, blanc et noir, j' ai vraiment D' un perroquet bavard le riche accoutrement, Et sur les papillons ma vertu se modèle. En ce moment ici, demain là, j' ouvre l' aile À chaque vent qui passe, et vole sans détour Courtiser toute fleur de puissance et d' amour. Changer est, selon moi, véritable sagesse, Et, comme dit Hégel, ce maître sans second, Dont on n' a pas encor saisi le sens profond, Mon cher, je ne suis pas, mais je me fais sans cesse. Pierrot. Tu dois te fatiguer beaucoup à ce métier, Et je ne voudrais pas même un jour l' essayer; Changer, changer toujours, mon ami, que de peine! Suer d' âme et de corps, se mettre hors d' haleine, Et pour attraper quoi? Pour, la plupart du temps, Pincer des rogatons quand on n' a plus de dents! Arlequin. Oui, grand observateur des choses de la vie, J' en ai bien calculé les chances et j' ai vu Qu' à changer notre temps n' est point toujours perdu, Et qu' on gagne parfois à la palinodie Des places, de l' argent, des décorations, Un fauteuil au sénat, voire à l' académie, Et c' est bien quelque chose, ami, que ces lardons. Pierrot. Cela dépend du prix qu' on y met, de l' estime Qu' on en fait. -quant à moi j' aime peu le sublime, Tu le sais, j' ai des goûts modestes: un bon plat Cuit à point, un flacon de beaune ou de muscat Et les embrassements de ma chère Pierrette, Voilà ce qu' il me faut, tout ce que je souhaite En ce monde. -pour moi, le reste ne vaut pas L' effort d' un seul regard, la dépense d' un pas. Arlequin. Lorsque le vin est bon, la Pierrette charmante, Ton système, mon cher, n' est pas à réformer; Mais le vin peut s' aigrir et ta gentille infante Suivre un autre caprice et cesser de t' aimer: Alors que feras-tu dans ta détresse amère? Pierrot. Hélas! Ce qu' à cette heure encore on me voit faire, Regarder tristement la pointe de mes bas En attendant l' objet aimé qui ne vient pas. Arlequin. Et si ta belle amie au bras d' un autre file Et te laisse en un coin, seul, croquer le marmot, Est-ce que tu serais, par Vénus! Assez sot Pour demeurer fidèle à cette âme mobile? Pierrot. Mon cher, je ne peux pas changer de naturel. La constance est mon lot sur ce globe mortel, Et si Pierrette rit de ma tendresse extrême, Je suis homme à l' aimer et l' adorer quand même. Arlequin. Bon courage, Pierrot, et surtout du bonheur! Je te laisse en pâture à la mélancolie, Broie à ton gré du noir, -j' estime trop la vie Pour la couvrir jamais d' un voile de langueur. Tu vois là-bas ce gros et grave personnage Qui s' avance escorté de deux femmes aux bras, Deux démons babillant et riant aux éclats? C' est un homme d' état et du plus haut parage. Il rentre tout à fait dans mes façons de voir. En ses opinions politiques, ce sage A, ma foi, plus souvent passé du blanc au noir Que la lune en un mois n' a changé de visage. Je pense qu' en amour il a le même usage Et m' en vais donc avec ses deux lutins et lui Achever galamment le reste de ma nuit. Pierrot. Libre à chacun d' aller où son instinct l' entraîne; Des êtres d' ici-bas c' est la loi souveraine, Et la tienne partant... vole de fleurs en fleurs, Ô léger papillon aux brillantes couleurs. Bonne chance surtout, car en courant les belles À plus d' un feu follet on peut griller ses ailes! Publié en .

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    Iambes, le Rire Nous avons tout perdu, tout, jusqu' à ce gros rire Gonflé de gaîté franche et de bonne satire, Ce rire d' autrefois, ce rire des aïeux Qui jaillissait du coeur comme un flot de vin vieux Le rire sans envie et sans haine profonde, Pour n' y plus revenir est parti de ce monde. Quel compère joyeux que le rire autrefois! Maintenant il est triste, il chante à demi-voix, Il incline la tête et se pince la lèvre; Chaque pli de sa bouche est creusé par la fièvre: Adieu le vin, l' amour, et les folles chansons! Adieu les grands éclats, les longues pamoisons! Plus de garçon joufflu, bien frais, et dans sa gloire Chantant à plein gosier les belles après boire; Près d' un jambon fumé plus de baisers d' époux, Plus de bruyants transports, plus de danse de fous, Plus de boutons rompus, plus de bouffonnerie: Mais du cynisme à force et de l' effronterie, De la bile à longs flots, des traits froids et mordants, Comme au fond de l' enfer des grincements de dents, Et puis la lâcheté, l' insulte à la misère, Et des coups au vaincu, des coups à l' homme à terre... Ah! Pour venir à nous le front morne et glacé, Par quels affreux chemins, vieux rire, as-tu passé? Les éclats de ta voix, comme hurlements sombres, Ont retenti longtemps à travers des décombres; Dans les villes en pleurs, sur le blé des sillons, Ils ont réglé longtemps les pas des bataillons; Longtemps ils ont mêlé leurs notes infernales Au bruit du fer tombant sur les têtes royales, Et, suivant dans Paris le fatal tombereau, Mené plus d' un grand homme au panier du bourreau: Rire! Tu fus l' adieu qu' en délaissant la terre De son lit de douleur laissa tomber Voltaire; Rire de singe assis sur la destruction, Marteau toujours brûlant de démolition, Depuis ce jour, Paris te remue à toute heure, Et sous tes coups puissants rien de grand ne demeure. Ah! Malheur au talent plein de vie et d' amour Qui veut se faire place et paraître au grand jour! Malheur, malheur cent fois à la muse choisie Qui veut livrer son aile au vent de poésie! En vain elle essaîra, dédaigneuse du sol, Sur le bruit des cités de prendre son beau vol, Le rire à l' oeil stupide est là, qui la regarde, Et qui, jaloux des lieux où son pied se hasarde, Comme miasmes brûlants, ou comme plomb mortel, Montera la frapper aux campagnes du ciel; Et cette âme perdue aux voûtes éternelles, Qui, devant le soleil ouvrant ses larges ailes, Allait, dans son transport, chez la divinité Exhaler quelque chant plein d' immortalité; Pauvre âme, atteinte encore au bord de la carrière, Triste, penchant la tête et fermant la paupière, Elle retombera dans son cloaque impur, Et s' en ira bien loin vers quelque coin obscur, Gémissante, traînant l' aile et perdant sa plume, Mourir avant le temps, le coeur gros d' amertume.

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    Il pianto, il est triste Il est triste de voir partout l' oeuvre du mal, D' entonner ses chansons sur un rhythme infernal. Au ciel le plus vermeil de trouver un nuage, Une ride chagrine au plus riant visage. Heureux à qui le ciel a fait la bonne part! Bien heureux qui n' a vu qu' un beau côté de l' art! Hélas! Mon coeur le sent, si j' avais eu pour muse Une enfant de seize ans, et qu' une fleur amuse, Une fille de mai, blonde comme un épi, J' aurais, d' un souffle pur, sur mon front assoupi, Vu flotter doucement les belles rêveries; J' aurais souvent foulé des pelouses fleuries; Et le divin caprice, en de folles chansons, Aurait du moins charmé le cours de mes saisons. Mais j' entends de mon coeur la voix mâle et profonde, Qui me dit que tout homme a son rôle en ce monde; Tout mortel porte au front, comme un bélier mutin, Un signe blanc ou noir frappé par le destin; Il faut, bon gré mal gré, suivre l' ardente nue Qui marche devant soi sur la voie inconnue; Il faut courber la tête, et le long du chemin, Sans regarder à qui l' on peut tendre la main, Suivre sa destinée au grand jour ou dans l' ombre. Or, la mienne aujourd' hui, comme le ciel, est sombre; Pour moi, cet univers est comme un hôpital, Où, livide infirmier levant le drap fatal, Pour nettoyer les corps infectés de souillures, Je vais mettre mon doigt sur toutes les blessures.

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    Il pianto, Michel-Ange Que ton visage est triste et ton front amaigri, Sublime Michel-Ange, ô vieux tailleur de pierre! Nulle larme jamais n' a baigné ta paupière: Comme Dante, on dirait que tu n' as jamais ri. Hélas! D' un lait trop fort la muse t' a nourri, L' art fut ton seul amour et prit ta vie entière; Soixante ans tu courus une triple carrière Sans reposer ton coeur sur un coeur attendri. Pauvre Buonarotti! Ton seul bonheur au monde Fut d' imprimer au marbre une grandeur profonde, Et puissant comme Dieu, d' effrayer comme lui: Aussi, quand tu parvins à ta saison dernière, Vieux lion fatigué, sous ta blanche crinière Tu mourus longuement plein de gloire et d' ennui.

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    L'adieu Ah ! quel que soit le deuil jeté sur cette terre Qui par deux fois du monde a changé le destin, Quels que soient ses malheurs et sa longue misère, On ne peut la quitter sans peine et sans chagrin.   Ainsi, près de sortir du céleste jardin, Je me retourne encor sur les cimes hautaines, Pour contempler de là son horizon divin Et longtemps m’enivrer de ses grâces lointaines : Et puis le froid me prend et me glace les veines, Et tout mon cœur soupire, oh ! comme si j’avais, Aux champs de l’Italie et dans ses larges plaines,   De mes jours effeuillé le rameau le plus frais, Et sur le sein vermeil de la brune déesse Épuisé pour toujours ma vie et ma jeunesse.

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    L'idole Ô Corse à cheveux plats ! que ta France était belle Au grand soleil de messidor ! C'était une cavale indomptable et rebelle, Sans frein d'acier ni rênes d'or ; Une jument sauvage à la croupe rustique, Fumante encor du sang des rois, Mais fière, et d'un pied fort heurtant le sol antique, Libre pour la première fois. Jamais aucune main n'avait passé sur elle Pour la flétrir et l'outrager ; Jamais ses larges flancs n'avaient porté la selle Et le harnais de l'étranger ; Tout son poil était vierge, et, belle vagabonde, L'œil haut, la croupe en mouvement, Sur ses jarrets dressée, elle effrayait le monde Du bruit de son hennissement. Tu parus, et sitôt que tu vis son allure, Ses reins si souples et dispos, Dompteur audacieux tu pris sa chevelure, Tu montas botté sur son dos. Alors, comme elle aimait les rumeurs de la guerre, La poudre, les tambours battants, Pour champ de course, alors tu lui donnas la terre Et des combats pour passe-temps : Alors, plus de repos, plus de nuits, plus de sommes, Toujours l'air, toujours le travail. Toujours comme du sable écraser des corps d'hommes, Toujours du sang jusqu'au poitrail. Quinze ans son dur sabot, dans sa course rapide, Broya les générations ; Quinze ans elle passa, fumante, à toute bride, Sur le ventre des nations ; Enfin, lasse d'aller sans finir sa carrière, D'aller sans user son chemin, De pétrir l'univers, et comme une poussière De soulever le genre humain ; Les jarrets épuisés, haletante, sans force Et fléchissant à chaque pas, Elle demanda grâce à son cavalier corse ; Mais, bourreau, tu n'écoutas pas ! Tu la pressas plus fort de ta cuisse nerveuse, Pour étouffer ses cris ardents, Tu retournas le mors dans sa bouche baveuse, De fureur tu brisas ses dents ; Elle se releva : mais un jour de bataille, Ne pouvant plus mordre ses freins, Mourante, elle tomba sur un lit de mitraille Et du coup te cassa les reins.

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    Le gin Sombre génie, ô dieu de la misère ! Fils du genièvre et frère de la bière, Bacchus du Nord, obscur empoisonneur, Écoute, ô Gin, un hymne en ton honneur. Écoute un chant des plus invraisemblables, Un chant formé de notes lamentables Qu’en ses ébats un démon de l’enfer Laissa tomber de son gosier de fer. C’est un écho du vieil hymne de fête Qu’au temps jadis à travers la tempête On entendait au rivage normand, Lorsque coulait l’hydromel écumant ; Une clameur sombre et plus rude encore Que le hourra dont le peuple Centaure, Dans les transports de l’ivresse, autrefois Épouvantait le fond de ses grands bois.   Dieu des cités ! à toi la vie humaine Dans le repos et dans les jours de peine, À toi les ports, les squares et les ponts. Les noirs faubourgs et leurs détours profonds, Le sol entier sous son manteau de brume ! Dans tes palais quand le nectar écume Et brille aux yeux du peuple contristé, Le Christ lui-même est un dieu moins fêté Que tu ne l’es : — car pour toi tout se damne, L’enfance rose et se sèche et se fane ; Les frais vieillards souillent leurs cheveux blancs, Les matelots désertent les haubans, Et par le froid, le brouillard et la bise, La femme vend jusques à sa chemise.   Du gin, du gin ! — à plein verre, garçon ! Dans ses flots d’or, cette rude boisson Roule le ciel et l’oubli de soi-même ; C’est le soleil, la volupté suprême, Le paradis emporté d’un seul coup ; C’est le néant pour le malheureux fou. Fi du porto, du sherry, du madère, De tous les vins qu’à la vieille Angleterre L’Europe fait avaler à grands frais, Ils sont trop chers pour nos obscurs palais ; Et puis le vin près du gin est bien fade ; Le vin n’est bon qu’à chauffer un malade, Un corps débile, un timide cerveau ; Auprès du gin le vin n’est que de l’eau : À d’autres donc les bruyantes batailles Et le tumulte à l’entour des futailles, Les sauts joyeux, les rires étouffants, Les cris d’amour et tous les jeux d’enfants ! Nous, pour le gin, ah ! nous avons des âmes Sans feu d’amour et sans désirs de femmes ; Pour le saisir et lutter avec lui, Il faut un corps que le mal ait durci. Vive le gin ! au fond de la taverne, Sombre hôtelière, à l’œil hagard et terne, Démence, viens nous décrocher les pots, Et toi, la Mort, verse-nous à grands flots.   Hélas ! la Mort est bientôt à l’ouvrage, Et pour répondre à la clameur sauvage, Son maigre bras frappe comme un taureau Le peuple anglais au sortir du caveau. Jamais typhus, jamais peste sur terre Plus promptement n’abattit la misère ; Jamais la fièvre, aux bonds durs et changeants, Ne rongea mieux la chair des pauvres gens : La peau devient jaune comme la pierre, L’œil sans rayons s’enfuit sous la paupière, Le front prend l’air de la stupidité, Et les pieds seuls marchent comme en santé. Pourtant, au coin de la première rue, Comme un cheval qu’un boulet frappe et tue, Le corps s’abat, et sans pousser un cri, Roulant en bloc sur le pavé, meurtri, Il reste là dans son terrible rêve, Jusqu’au moment où le trépas l’achève. Alors on voit passer sur bien des corps Des chariots, des chevaux aux pieds forts ; Au tronc d’un arbre, au trou d’une crevasse L’un tristement accroche sa carcasse ; L’autre en passant l’onde du haut d’un pont Plonge d’un saut dans le gouffre profond. Partout le gin et chancelle et s’abîme, Partout la mort emporte une victime ; Les mères même, en rentrant pas à pas, Laissent tomber les enfants de leurs bras, Et les enfants, aux yeux des folles mères, Vont se briser la tête sur les pierres.

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    @augusteBarbier

    Un diner d'anges Nouvelle interprétation d' Horace: Paris présente aux yeux des contrastes étranges; On y voit les démons parler comme des anges Et les anges souvent vivre de la façon La plus habituelle aux enfants du démon, Dans toutes les douceurs que donne la richesse, Le monde, le confort et la charmante ivresse Des fins repas... un jour de cet hiver dernier, Je reçois d' un des miens une invite à dîner. C' est un homme savant et de ferme droiture, Riche, des mieux placé dans la magistrature, Mais un peu simple et, bien que fort pieux, trop chaud Pour les coureurs d' église et le monde bigot. N' importe, au jour marqué par son billet aimable, Chez notre amphitryon, en habit convenable, Je me rends, et voilà qu' un superbe salon M' ouvre sa porte au cri d' un laquais à galon. Là, dans un bon fauteuil, près de la flamme active D' un foyer monstrueux dont la chaleur ravive, Tout en causant avec mon hôte un peu distrait, J' attends que des dîneurs le cercle soit complet. L' attente n' est pas longue... à fort peu d' intervalle Des invités paraît la bande triomphale. Le premier qu' on annonce est un gros réjoui À l' oeil vif, au teint frais, au rire épanoui, Masque de bon vivant chauffé de rouge antique, Qui jubile et s' incline au nom de: cher critique! Le second, salué par mon parent trois fois, Est traité de plus haut: une broche de croix Étincelle au-dessous de sa blanche cravate: C' est quelque grand seigneur et même un diplomate. Derrière lui surgit, du fond d' un paletot Doublé de molleton bien douillet et bien chaud, Un long profil blafard, sec, à la lèvre mince, Qui s' avance de l' air d' un pontife ou d' un prince, Et dont le salut roide et le regard hautain Décèlent un grand clerc, un saint Thomas D' Aquin. Pour faire le contraste un monsieur en moustache Entre sur ses talons; ses cheveux en panache Se dressent, un habit d' un goût neuf et coquet Emprisonne ses reins comme dans un corset. Un pantalon collant lui dessine la cuisse; On dirait à le voir un lion de coulisse. Le cercle à son abord est tout empoisonné D' une senteur de musc qui vous brûle le né. Enfin, le front suant, couvert d' un rouge tendre, Honteux et tout confus de s' être fait attendre, Se glisse un petit homme à l' imberbe menton, Un abbé d' autrefois, un reste du vieux ton, Qu' à ses saluts nombreux et sa mine discrète, Comme l' a dit Boileau, je reconnus poëte. Les convives présents, dans le lieu du festin Nous passons; en marchant, tout heureux, mon cousin Me dit: " tu vois la fleur des esprits catholiques, Mon cher, écoute bien ces bouches angéliques: Leur pensée est solide et leur parler divin. " Le service était beau, plats d' argent, damas fin. On s' assied, et d' abord circule le madère; Mon convive de gauche en dégustant son verre Adresse la parole au blond poétereau: "Eh bien, cher Sannazar, à quand le saint Bruno! Le chef-d' oeuvre attendu ne se dévoile guères. -Et vous, cher Théophraste, à quand vos caractères? Ce que l' on en connaît est d' un si haut ragoût Que nous avons au coeur grand appétit du tout. " Et voilà de nouveau ces héros de Molière Se jetant par le nez tout le vocabulaire Des fades compliments en mots pharamineux: "On n' est pas plus piquant! -on ne chante pas mieux! " Mais un vaste turbot fait à point son entrée Pour finir l' embrassade et la phrase sucrée Des deux lettrés; alors, les yeux sur le morceau, Chacun de s' écrier en choeur: " ah! Que c' est beau! -Je ne crois pas, dit l' un, que la superbe bête Pour laquelle un César fit si grave requête Aux sénateurs de Rome ait valu ce poisson. -Eh, eh! Domitien... ce prince avait du bon, Repart le diplomate à la langue affilée; Il savait se moquer des bavards d' assemblée, Seulement, il usait trop souvent du bourreau. -Messieurs, dit à l' instant l' homme aux parfums, le beau, En donnant un grand coup de couteau sur la table, Ne faisons pas trop fi de l' homme respectable Qui se nomme Bourreau; nous ne pourrions sans lui Manger en sûreté le dîner d' aujourd' hui. -C' est vrai, répond la troupe. -hier, j' étais en visite Chez la marquise D, coeur tendre, esprit d' élite, Pour la désennuyer je lui lus tout d' un trait Le portrait merveilleux qu' un grand homme en a fait. Elle fut renversée, étourdie et ravie, Elle n' avait rien lu de si beau de sa vie. -Pardieu, je le crois bien, dit le fils d' Apollon, C' était du pur De Maistre. " au bruit de ce grand nom, Ainsi qu' au fond des bois le cri d' un chien qui jappe Est soudain répété par les échos qu' il frappe Quatre ou cinq fois, ainsi de nos gosiers béats De Maistre fait jaillir un torrent de hourras. "Quel homme, quel lutteur! Quelle ironie amère! -Comme il vous flanque à bas ce drôle de Voltaire! -Jean-Jacques, Montesquieu, ces donneurs de leçons, Auprès du savoyard sont de vrais polissons!" Et mille autres propos; mon cousin pâmait d' aise, À chaque trait ses yeux scintillaient comme braise, Il ne dégorgeait mot, mais je voyais son oeil De temps en temps vers moi tourner avec orgueil Semblant me dire: eh bien! était-ce raillerie Quand je te promettais si fine compagnie! Je ne décrirai pas les différents morceaux Qui nous furent servis tant refroidis que chauds; Hure de sanglier cuite à la bohémienne, Côtelettes d' agneau, dinde à la parisienne, Truffes du Périgord; je ne parlerai pas Non plus des entremets couronnant le repas, Pois verts au naturel et gelée à la fraise, Croque-en-bouche, babas, crème à la polonaise; Pour dignement louer ce service excellent Il faudrait un Berchoux... je n' ai pas son talent; Je viens donc au dessert; il apparaît splendide, Du champagne escorté; l' homme à face livide, Notre penseur profond qui n' avait pas encor Pris langue, dit d' un ton de saint Jean bouche d'or: "Permettez moi, messieurs, en dévoué confrère, De vous faire présent à tous d' un exemplaire Du livre que je vais donner sur la douleur. -La douleur! Ah! Vraiment, répond la table en choeur, Quel superbe sujet! -oui, messieurs, c' est le thème Que je viens de traiter avec un soin extrême. J' en ai sondé le fond d' un regard plein d' amour, Saisi tous les côtés, et le contre et le pour, Et du tout j' ai conclu que rien sur cette terre À notre avancement n' était plus nécessaire. Vous jugerez, messieurs, mais je crois avoir fait De mon mieux et toujours être demeuré vrai. -Admirable, bravo! Dit chacun à la ronde. La douleur, la douleur! C' est la bêche féconde Qui, délivrant nos coeurs des penchants vicieux, Les prépare à mûrir la semence des cieux; C' est le divin creuset où sur l' ardente flamme Le fer devient acier... c' est la trempe de l' âme... Sans elle nous serions moins que des animaux, Des mollusques grossiers, de fades végétaux... " C' était à qui mieux mieux: d' un moment de silence Je profite à mon tour pour doter l' assistance De mon mot, et je dis: " messieurs, pour moi, de Dieu En créant la douleur j' ignore encor le voeu, Mais je le bénis fort de sa pitié des hommes Et d' avoir fait couler sur le globe où nous sommes Tant de flots de bon vin afin de l' y noyer... " Mon mot lâché, j' attends l' effet du plaidoyer. Hélas! On aurait dit qu' une flamme effroyable Du feu d' enfer venait de tomber sur la table. Tous les yeux aussitôt se dirigent vers moi Étonnés, inquiets, comme saisis d' effroi; Il semblait que je fusse une horrible vipère, Un scorpion mortel... j' étais plus, un faux frère Faufilé dans la bande on ne sait trop comment, Pour y porter le trouble et l' empoisonnement. Je voyais dans les yeux s' amasser la tempête, Des cris, peut-être bien quelque verre à la tête; Redoutant pour lui-même une part des éclats, Mon cousin tout penaud regardait dans les plats. Pourtant, grâce à l' entrain de notre gros critique, La chose prit un air moins lugubre et tragique. "Monsieur en est encore au Dieu des bonnes gens, C' est un peu vieux, dit-il, mais soyons indulgents: Un jour, comme plus d' un il brisera l' idole De son printemps; pour nous, reprenant notre rôle, À notre ami portons une santé d' honneur. Au noble historien de la sainte douleur, Au poëte inspiré de la grâce suprême Qui, tous, nous doit sauver par un second baptême, Gloire, hommage, succès! " -et levant dans les cieux Son verre étincelant du jus délicieux, Il le vide d' un trait; ce magnifique exemple Est soudain imité par les anges du temple, Et la table bientôt n' est plus qu' un cliquetis De verres ballottés, de vivats et de cris, Parmi lesquels pourtant j' entends à mes oreilles Tinter d' étranges mots et des phrases pareilles À celles-ci: -" la ligue avait bien sa raison... Vivent les fils d' Ignace et l' inquisition! " Connaissant trop l' effet de ma courte harangue, Je n' étais plus d' humeur à jouer de la langue Dans ce tohu-bohu, puis je ne voulais pas Affliger le cousin d' un nouvel embarras; Je pris donc le parti de demeurer en place Bouche close, écoutant d' un sang-froid tout de glace Tomber le flot vineux des grotesques rumeurs Qu' épanchait le gosier de ces gais festineurs. Cependant je cherchais sourdement en moi-même Un honnête moyen, un décent stratagème Pour fausser compagnie à notre Amphitryon. Il se montra bientôt. Dès l' instant qu' au salon Tout le monde passa pour achever la fête, Entre le moka noir et la blanche anisette, Je saisis mon chapeau; puis, d' un pied clandestin M' esquivant, de mon toit je repris le chemin, Non sans rire parfois au feu des réverbères De ce grave troupeau de Sénèques austères Que j' avais vus, suivant le poëte Victor, Boire si joliment le falerne dans l' or. Publié en .

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