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Casimir Delavigne

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Casimir Jean François Delavigne, né le 5 avril 1793 au Havre et mort le 11 décembre 1843 à Lyon, est un poète et dramaturge français. Delavigne connaît la célébrité lorsque, après la défaite de Waterloo, il publie ses Premières Messéniennes : « Les pleurs qu’il répandit sur les généreuses victimes de Waterloo, l’anathème qu’il prononça contre les spoliateurs de nos musées, et les sages conseils qu’il donna à ses compatriotes sur le besoin de s’unir contre l’étranger, tous ces sentiments exprimés en vers énergiques, trouvèrent en France des milliers d’échos et rendirent le nom de l’auteur aussi populaire que s’il s’était signalé depuis longtemps ».

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Poésies

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    Adieu à la Madeleine Adieu Madeleine Chérie, Qui te réfléchis dans les eaux, Comme une fleur de la prairie Se mire au cristal du ruisseau. Ta colline, où j’ai vu paraître Un beau jour qui s’est éclipsé, J’ai rêvé que j’en étais maître ; Adieu ! Ce doux rêve est passé. Assis sur la rive opposée, Je te vois, lorsque le soleil Sur tes gazons boit la rosée, Sourire encore à ton réveil, Et d’un brouillard pâle entourée Quand le jour meurt avec le bruit, Blanchir comme une ombre adorée Qui nous apparaît dans la nuit. Doux trésors de ma moisson mûre, De vos épis un autre est roi ; Tilleuls dont j’aimais le murmure, Vous n’aurez plus d’ombre pour moi. Ton coq peut tourner à sa guise, Clocher, que je fuis sans retour : Ce n’est plus à moi que la brise Lui dit d’annoncer un beau jour. Cette fenêtre était la tienne, Hirondelle, qui vint loger Bien des printemps dans ma persienne, Où je n’osais te déranger ; Dés que la feuille était fanée, Tu partais la première, et moi, Avant toi je pars cette année ; Mais reviendrais-je comme toi ? Qu’ils soient l’amour d’un autre maître, Ces pêchers dont j’ouvris les bras ! Leurs fruits verts, je les ai vu naître ; Rougir je ne les verrai pas. J’ai vu des bosquets que je quitte Sous l’été les roses mourir ; J’y vois planter la marguerite : Je ne l’y verrai pas fleurir. Ainsi tout passe, et l’on délaisse Les lieux où l’on s’est répété : « Ici luira sur ma vieillesse L’azur de son dernier été. » Heureux, quand on les abandonne, Si l’on part en se comptant tous, Si l’on part sans laisser personne Sous l’herbe qui n’est plus à vous. Adieu, prairie où sur la brune, Lorsque tout dort, jusqu’aux roseaux, J’entendais rire au clair de lune Les lutins des bois et des eaux, Qui, sous ces clartés taciturnes, Du trône disputant l’honneur, Se livraient des assauts nocturnes Autour des meules du faneur. Adieu, mystérieux ombrages, Sombre fraîcheur, calme inspirant ; Mère de Dieu, de qui l’image Consacre ce vieux tronc mourant, Où, quand son heure est arrivée, Le passereau loin des larcins Vient cacher sa jeune couvée Dans les plis de tes voiles saints. Adieu, chapelle qui protège Le pauvre contre ses douleurs ; Avenue où, foulant la neige De mes acacias en fleurs, Lorsque le vent l’avait semée Du haut de ses rameaux tremblants, Je suivais quelque trace aimée, Empreinte sur ses flocons blancs. Adieu, flots, dont le cours tranquille, Couvert de berceaux verdoyants, A ma nacelle, d’île en île, Ouvrait mille sentiers fuyants, Quand rêveuse, elle allait sans guide Me perdre en suivant vos détours Dans l’ombre d’un dédale humide Ou je me retrouvais toujours. Adieu, chers témoins de ma peine, Forêt, jardin, flots que j’aimais ! Adieu, ma fraîche Madeleine ! Madeleine, adieu pour jamais ! Je pars, il le faut, et je cède ; Mais le cœur me saigne en partant, Qu’un plus riche qui te possède Soit heureux où nous l’étions tant ! Automne 1839

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    Adieux à Rome L’airain avait sonné l’hymne pieux du soir. Sur les temples de Rome, où cessait la prière, La lune répandait sa paisible lumière; Au Forum à pas lents, triste, j’allai m’asseoir. J’admirais ses débris, ses longs portiques sombres, Et clans ce jour douteux, par leur masse arrêté, Tous ces grands monuments empruntaient de leurs ombres Plus de grandeur encore et plus de majesté; Comme l’objet absent, qu’un regret nous rappelle, Reçoit du souvenir une beauté nouvelle, Mon luth, longtemps muet, préluda dans mes mains, Et sur l’air grave et doux dont le chant se marie Aux accents inspirés des poètes romains, Cet adieu s’échappa de mon âme attendrie; << Rome, pour la dernière fois << Je parcours ta funèbre enceinte: << Inspire les chants dont ma voix << Va saluer ta gloire éteinte. << Luis dans mes vers, astre éclipsé << Dont la splendeur fut sans rivale; << Ombre-éclatante du passé, << Le présent n'a rien qui t'égale. << Tout doit mourir, tout doit changer: << La grandeur s'élève et succombe. << Un culte même est passager; << Il souffre, persécute et tombe. << Tu brillais de ce double éclat, << Et tu n'as pas fait plus d'esclaves << Avec la toge du sénat << Que sous la pourpre des conclaves. << Du sang de tes premiers soutiens << Cette colline est arrosée; << Le sang de les héros chrétiens << Rougit encor lé Cotisée. << A travers ces deux souvenirs << Tu m'apparais pâle et flétrie, << Entre les palmes des martyrs << Et les lauriers de la patrie. << Que tes grands noms, que tes exploits, << Tes souvenirs de tous les âges, << Viennent se confondre sans choix << Dans mes regrets et mes hommages, << Comme ces temples abattus, << Comme les tombeaux et les ombres << De tes Césars, de tes Brutus << Se confondent dans tes décombres. << Adieu, Forum, que Cicéron << Remplit encor de sa mémoire! << Ici, chaque pierre a son nom, << Ici, chaque débris sa gloire. << Je passe, et mes pieds ont foulé << Dans ce tombeau d'où sortit Rome, << Les restes d'un dieu mutilé << Ou la poussière d'un grand homme. << Adieu, vallon frais où Numa << Consultait sa nymphe chérie! << J'entends le ruisseau qu'il aima << Murmurer le nom d'Égérie. << Son eau coule encor; mais les rois, << Que séduit une autre déesse, << Ne viennent plus chercher des lois << Où Numa puise la sagesse. << Temple, dont l'Olympe exilé << A fui la majesté déserte, << Panthéon, ce ciel étoile << Achève ta voûte entr'ouverte; << Et ses feux du haut de l'éther, << Cherchant tes dieux dans ton enceinte << Vont sur l'autel de Jupiter << Mourir au pied de la croix sainte. << Qui t'éleva, dôme éternel, << Du Panthéon céleste frère? << Si tu fus l'oeuvre d'un mortel << Les arts ont aussi leur Homère; << Et du génie en ce saint lieu << Je sens l'invisible présence, << Comme je sens celle du Dieu << Qui remplit ta coupole immense. << Je vous revois, parvis sacrés << Qu'un poète a rendus célèbres! << Je foule les noms ignorés << Qui chargent vos pavés funèbres, << Et de tous ces tombeaux obscurs << Le marbre qui tient tant de place, << Laisse .à peine un coin clans vos murs << Pour la cendre et le nom du Tasse! << Cloître désert, sous les arceaux << Mourut l'amant d'Éléonore, << Près du chêne dont les rameaux << Devaient pour lui verdir encore. << Avant l'âge ainsi meurt Byron; << Un même trépas les immole: << L'un tombe au seuil du Parthénon, << Et l'autre au pied du Capitole... >> Je les pleurais tous deux, et je sentis ma voix Mourir avec leurs noms sur mes lèvres tremblantes; Je sentis les accords s’affaiblir sous mes doigts, Pareils au bruit plaintif, aux notes expirantes Qui se perdent dans l’air, quand du Miserere Les sous au Vatican s’éteignent par degré. Jaloux pour mon pays, je cherchais en silence Quels noms il opposait à ces noms immortels; Il m’apparaît alors, celui dont l’éloquence Des demi-dieux romains releva les autels; Le Sophocle français, l’orgueil de sa patrie, L’égal de ses héros, celui qui crayonna L’âme du grand Pompée et l’esprit do Cinna; Emu d’un saint respect, je l’admire et m’écrie; << Chantre de ces guerriers fameux, << Grand homme, ô Corneille, ô mon maître, << Tu n'as pas habité comme eux << Cette Rome où tu devais naître; << Mais les dieux t'avaient au berceau << Révélé sa grandeur passée, << Et sans fléchir sous ton fardeau, << Tu la portais dans ta pensée! << Ah! tu dois errer sur ces bords, << Où le Tibre te rend hommage! << Viens converser avec les morts << Dont ta main retraça l'image. << Viens, et, ranimés pour te voir, << Ils vont se lever sur tes traces; << Viens, grand Corneille, viens t'asseoir << Au pied du tombeau des Horaces! << De quel noble-frémissement << L'orgueil doit agiter ton âme, << Lorsque sur ce froid monument << De tes vers tu répands la flamme! << Il tremble, et dans son sein profond << J'entends murmurer sur la terre << Deux fils morts, dont la voix répond << Au qu'il mourût de leur vieux père. << Beau comme ces marbres vivants << Dont l'art enfanta les merveilles, << Ton front vaste abandonne aux vents << Ses cheveux blanchis par les veilles; << Et quand les fils de Romulus << Autour de toi couvrent ces plaines, << Je crois voir un Romain de plus << Évoquant les ombres romaines. << Je pars, mais ces morts me suivront: << Ta muse a soufflé sur leur cendre. << En renaissant ils grandiront << Dans tes vers, qui vont me les rendre; << Et l'airain, qui, vainqueur du temps, << Jusqu'aux cieux porta leurs images, << Les plaça sur des monuments << Moins sublimes que tes ouvrages! >>

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    Casimir Delavigne

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    Aux Ruines de la Grèce païenne O sommets de Taygète, ô rives du Pénée, De la sombre Tempé vallons silencieux, Ô campagnes d’Athène, ô Grèce infortunée, Où sont pour t’affranchir tes guerriers et tes dieux ? Doux pays, que de fois ma muse en espérance Se plut à voyager sous ton ciel toujours pur ! De ta paisible mer, où Vénus prit naissance, Tantôt du haut des monts je contemplais l’azur, Tantôt, cachant au jour ma tête ensevelie Sous tes bosquets hospitaliers, J’arrêtais vers le soir, dans un bois d’oliviers, Un vieux pâtre de Thessalie. « Des dieux de ce vallon contez-moi les secrets, Berger ; quelle déesse habite ces fontaines ? Voyez-vous quelquefois les nymphes des forêts Entr’ouvrir l’écorce des chênes ? Bacchus vient-il encor féconder vos coteaux ? Ce gazon que rougit le sang d’un sacrifice, Est-ce un autel aux dieux des champs et des troupeaux ? Est-ce le tombeau d’Eurydice ? » Mais le pâtre répond par ses gémissemens : C’est sa fille au cercueil qui dort sous ces bruyères ; Ce sang qui fume encor, c’est celui de ses frères Égorgés par les musulmans. O sommets de Taygète, ô rives du Pénée, De la sombre Tempé vallons silencieux, Ô campagnes d’Athène, ô Grèce infortunée, Où sont pour t’affranchir tes guerriers et tes dieux ? « Quelle cité jadis a couvert ces collines ? Sparte, répond mon guide… » Eh quoi ! Ces murs éserts, Quelques pierres sans nom, des tombeaux, des ruines, Voilà Sparte, et sa gloire a rempli l’univers ! Le soldat d’Ismaël, assis sur ces décombres, Insulte aux grandes ombres Des enfans d’Hercule en courroux. N’entends-je pas gémir sous ces portiques sombres ? Mânes des trois cents, est-ce vous ? … Eurotas, Eurotas, que font ces lauriers-roses Sur ton rivage en deuil, par la mort habité ? Est-ce pour faire outrage à ta captivité Que ces nobles fleurs sont écloses ? Non, ta gloire n’est plus ; non, d’un peuple puissant Tu ne reverras plus la jeunesse héroïque Laver parmi tes lis ses bras couverts de sang, Et dans ton cristal pur sous ses pas jaillissant Secouer la poudre olympique. C’en est fait, et ces jours que sont-ils devenus, Où le cygne argenté, tout fier de sa parure, Des vierges dans ses jeux caressait les pieds nus, Où tes roseaux divins rendaient un doux murmure, Où réchauffant Léda pâle de volupté, Froide et tremblante encore au sortir de tes ondes, Dans le sein qu’il couvrait de ses ailes fécondes, Un dieu versait la vie et l’immortalité ? C’en est fait ; et le cygne, exilé d’une terre Où l’on enchaîne la beauté, Devant l’éclat du cimeterre A fui comme la liberté. O sommets de Taygète, ô rives du Pénée, De la sombre Tempé vallons silencieux, Ô campagnes d’Athène, ô Grèce infortunée, Où sont pour t’affranchir tes guerriers et tes dieux ? Ils sont sur tes débris ! Aux armes ! Voici l’heure Où le fer te rendra les beaux jours que je pleure ! Voici la Liberté, tu renais à son nom ; Vierge comme Minerve, elle aura pour demeure Ce qui reste du Parthénon. Des champs de Sunium, des bois du Cythéron, Descends, peuple chéri de Mars et de Neptune ! Vous, relevez les murs ; vous, préparez les dards ! Femmes, offrez vos vœux sur ces marbres épars : Là fut l’autel de la fortune. Autour de ce rocher rassemblez-vous, vieillards : Ce rocher portait la tribune ; Sa base encor debout parle encore aux héros Qui peuplent la nouvelle Athènes : Prêtez l’oreille… Il a retenu quelques mots Des harangues de Démosthènes. Guerre, guerre aux tyrans ! Nochers ! Fendez les flots ! Du haut de son tombeau Thémistocle domine Sur ce port qui l’a vu si grand ; Et la mer à vos pieds s’y brise en murmurant Le nom sacré de Salamine. Guerre aux tyrans ! Soldats, le voilà ce clairon Qui des perses jadis a glacé le courage ! Sortez par ce portique, il est d’heureux présage : Pour revenir vainqueur, par là sortit Cimon. C’est là que de son père on suspendit l’image ! Partez, marchez, courez, vous courez au carnage, C’est le chemin de Marathon ! O sommets de Taygète, ô débris du Pyrée, Ô Sparte, entendez-vous leurs cris victorieux ? La Grèce a des vengeurs, la Grèce est délivrée, La Grèce a retrouvé ses héros et ses dieux !

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    Du besoin de s’unir après le départ des étrangers Ô toi que l’univers adore, Ô toi que maudit l’univers, Fortune, dont la main, du couchant à l’aurore, Dispense les lauriers, les sceptres et les fers, Ton aveugle courroux nous garde-t-il encore Des triomphes et des revers? Nos malheurs trop fameux proclament ta puissance; Tes jeux furent sanglans dans notre belle France; Le peuple mieux instruit, mais trop fier de ses droits, Sur les débris du trône établit son empire, Poussa la liberté jusqu’au mépris des lois, Et la raison jusqu’au délire. Bientôt au premier rang porté par ses exploits, Un roi nouveau brisa d’un sceptre despotique Les faisceaux de la république, Tout dégouttans du sang des rois. Pour affermir son trône, il lassa la victoire, D’un peuple généreux prodigua la valeur; L’Europe qu’il bravait a fléchi sous sa gloire; Elle insulte à notre malheur. C’est qu’ils ne vivent plus que dans notre mémoire Ces guerriers dont le nord a moissonné la fleur. O désastre! O pitié! Jour à jamais célèbre, Où ce cri s’éleva dans la patrie en deuil; Ils sont morts, et Moscow fut le flambeau funèbre Qui prêta ses clartés à leur vaste cercueil. Ces règnes d’un moment, et les chutes soudaines De ces trônes d’un jour l’un sur l’autre croulans, Ont laissé des levains de discorde et de haines Dans nos esprits plus turbulens. Cessant de comprimer la fièvre qui l’agite, Le fier républicain, sourd aux leçons du temps, Appelle avec fureur, dans ses rêves ardens, Une liberté sans limite; Mais cette liberté fut féconde en forfaits; Cet océan trompeur, qui n’a point de rivages, N’est connu jusqu’à nous que par de grands naufrages Dans les annales des Français. << Que nos maux, direz-vous, nous soient du moins utiles; Opposons une digue aux tempêtes civiles; Que deux pouvoirs rivaux, l’un émané des rois, L’autre sorti du peuple et garant de ses droits, Libres et dépendans, offrent au rang suprême Un rempart contre nous, un frein contre lui-même. >> Vainement la raison vous dicte ces discours; L’égoïsme et l’orgueil sont aveugles et sourds; Cet amant du passé, que le présent irrite, Jaloux de voir ses rois d’entraves dégagés, Le front baissé, se précipite Sous la verge des préjugés. Quoi! Toujours des partis proclamés légitimes, Tant qu’ils règnent sur nos débris, L’un par l’autre abattus, proscrivant ou proscrits, Tour à tour tyrans ou victimes! Empire malheureux! Voilà donc ton destin! … Français, ne dites plus : << La France nous est chère; >> Elle désavoûrait votre amour inhumain. Cessez, enfans ingrats, d’embrasser votre mère, Pour vous étouffer dans son sein. Contre ses ennemis tournez votre courage; Au conseil des vainqueurs son sort est agité; Ces rois qui l’encensaient fiers de leur esclavage, Vont lui vendre la liberté. Non, ce n’est pas en vain que sa voix nous appelle; Et, s’ils ont prétendu, par d’infames traités, Imprimer sur nos fronts une tache éternelle; Si de leur doigt superbe ils marquent les cités Que veut se partager une ligue infidèle; Si la foi des sermens n’est qu’un garant trompeur; Si, le glaive à la main, l’iniquité l’emporte; Si la France n’est plus, si la patrie est morte, Mourons tous avec elle, ou rendons-lui l’honneur. Qu’entends-je? Et d’où vient cette ivresse Qui semble croître dans son cours? Quels chants, quels transports d’allégresse! Quel bruyant et nombreux concours! De nos soldats la foule au loin se presse; D’une nouvelle ardeur leurs yeux sont embrasés; Plus d’anglais parmi nous! Plus de joug! Plus d’entraves! Levez plus fièrement vos fronts cicatrisés… Oui, l’étranger s’éloigne; oui, vos fers sont brisés; Soldats, vous n’êtes plus esclaves! Reprends ton orgueil, Ma noble patrie; Quitte enfin ton deuil, Liberté chérie; Liberté, patrie, Sortez du cercueil! D’un vainqueur insolent méprisons les injures; Riches des étendards conquis sur nos rivaux, Nous pouvons à leurs yeux dérober nos blessures En les cachant sous leurs drapeaux. Voulons-nous enchaîner leurs fureurs impuissantes? Soyons unis, français; nous ne les verrons plus Nous dicter d’Albion les décrets absolus, Arborer sur nos tours ses couleurs menaçantes. Nous ne les verrons plus, le front ceint de lauriers, Troublant de leur aspect les fêtes du génie, Chez Melpomène et Polymnie Usurper une place où siégeaient nos guerriers. Nous ne les verrons plus nous accorder par grace Une part des trésors flottans sur nos sillons. Soyons unis; jamais leurs bataillons De nos champs envahis ne couvriront la face; La France dans son sein ne les peut endurer, Et ne les recevrait que pour les dévorer. Ah! Ne l’oublions pas; naguère, dans ces plaines Où le sort nous abandonna, Nous n’avions pas porté des ames moins romaines Qu’aux champs de Rivoli, de Fleurus, d’Iéna; Mais nos divisions nous y forgeaient des chaînes. Effrayante leçon qui doit unir nos coeurs Par des liens indestructibles; Le courage fait des vainqueurs; La concorde, des invincibles. Henri, divin Henri, toi qui fus grand et bon, Qui chassas l’espagnol et finis nos misères, Les partis sont d’accord en prononçant ton nom; Henri, de tes enfans fais un peuple de frères. Ton image déjà semble nous protéger, Tu renais; avec toi renaît l’indépendance; Ô roi le plus français dont s’honore la France, Il est dans ton destin de voir fuir l’étranger! Et toi, son digne fils, après vingt ans d’orage, Règne sur des sujets par toi-même ennoblis. Leurs droits sont consacrés dans ton plus bel ouvrage. Oui, ce grand monument, affermi d’âge en âge, Doit couvrir de son ombre et le peuple et les lis. Il est des opprimés l’asile impérissable, La terreur du tyran, du ministre coupable, Le temple de nos libertés. Que la France prospère en tes mains magnanimes, Que tes jours soient sereins, tes décrets respectés, Toi, qui proclames ces maximes; Ô rois, pour commander, obéissez aux lois; Peuple, en obéissant, sois libre sous tes rois!

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    Hymne à Vénus Vénus, ô volupté des mortels et des dieux ! Ame de tout ce qui respire, Tu gouvernes la terre, et les mers, et les cieux ; Tout l’univers reconnaît ton empire ! Des êtres différens les germes précieux, Qui dorment dispersés sous la terre ou dans l’onde, Rassemblés à ta voix féconde, Courent former les corps que tu veux enfanter. Les mondes lumineux roulent d’un cours paisible, L’un vers l’autre attirés, unis sans se heurter, Par ton influence invisible ! Tu parais, ton aspect embellit l’univers : Je vois fuir devant toi les vents et les tempètes ; L’azur éclate sur nos têtes ; Un jour pur et divin se répand dans les airs. L’onde avec volupté caresse le rivage ; Les oiseaux, palpitans sous leur toit de feuillage, Célèbrent leurs plaisirs par de tendres concerts. Des gouffres de Thétis tous les monstres informes Font bouillonner les flots amers Des élans amoureux de leurs masses énormes. Les papillons légers se cherchent sous les fleurs, Et par un doux hymen confondent leurs couleurs. L’aigle suit dans les cieux sa compagne superbe : Les serpens en sifflant s’entrelacent sous l’herbe : Le tigre, dévoré d’une indomptable ardeur, Terrible, l’œil sanglant et la gueule écumante, Contemple, en rugissant d’amour et de fureur, La sauvage beauté de son horrible amante. Tout ressent de Vénus la puissante chaleur ; Tout produit : les vallons, les fleuves, les montagnes : La rose se parfume et le chêne verdit ; Au fond de l’Océan la perle s’arrondit, Et les palmiers en fleurs fécondent leurs compagnes. Cependant les sylvains, brûlés des mêmes feux, Pressent la nymphe palpitante Qui tremble dans leurs bras nerveux Et de désir et d’épouvante ! … La déesse sourit aux mortels enchantés : Elle entend s’élever du milieu des cités, De l’épaisseur des bois, du sein des mers profondes, Un murmure confus de cent bruits amoureux, Et ce concert voluptueux Est l’hommage éternel des êtres et des mondes.

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    Casimir Delavigne

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    La Bataille de Waterloo Ils ne sont plus, laissez en paix leur cendre; Par d’injustes clameurs ces braves outragés À se justifier n’ont pas voulu descendre; Mais un seul jour les a vengés : Ils sont tous morts pour vous défendre. Malheur à vous si vos yeux inhumains N’ont point de pleurs pour la patrie! Sans force contre vos chagrins, Contre le mal commun votre âme est aguerrie; Tremblez, la mort peut-être étend sur vous ses mains! Que dis-je? Quel français n’a répandu des larmes Sur nos défenseurs expirans? Prêt à revoir les rois qu’il regretta vingt ans, Quel vieillard n’a rougi du malheur de nos armes? En pleurant ces guerriers par le destin trahis, Quel vieillard n’a senti s’éveiller dans son ame Quelque reste assoupi de cette antique flamme Qui l’embrasait pour son pays? Que de leçons, grand dieu! Que d’horribles images L’histoire d’un seul jour présente aux yeux des rois! Clio, sans que la plume échappe de ses doigts, Pourra-t-elle en tracer les pages? Cachez-moi ces soldats sous le nombre accablés, Domptés par la fatigue, écrasés par la foudre, Ces membres palpitans dispersés sur la poudre, Ces cadavres amoncelés! Eloignez de mes yeux ce monument funeste De la fureur des nations; Ô mort! Epargne ce qui reste! Varus, rends-nous nos légions! Les coursiers frappés d’épouvante, Les chefs et les soldats épars, Nos aigles et nos étendards Souillés d’une fange sanglante, Insultés par les léopards, Les blessés mourant sur les chars, Tout se presse sans ordre, et la foule incertaine, Qui se tourmente en vains efforts, S’agite, se heurte, se traîne, Et laisse après soi dans la plaine Du sang, des débris et des morts. Parmi des tourbillons de flamme et de fumée, Ô douleur, quel spectacle à mes yeux vient s’offrir? Le bataillon sacré, seul devant une armée, S’arrête pour mourir. C’est en vain que, surpris d’une vertu si rare, Les vainqueurs dans leurs mains retiennent le trépas. Fier de le conquérir, il court, il s’en empare; La garde, avait-il dit, meurt et ne se rend pas. On dit qu’en les voyant couchés sur la poussière, D’un respect douloureux frappé par tant d’exploits, L’ennemi, l’oeil fixé sur leur face guerrière, Les regarda sans peur pour la première fois. Les voilà ces héros si long-temps invincibles! Ils menacent encor les vainqueurs étonnés! Glacés par le trépas, que leurs yeux sont terribles! Que de hauts faits écrits sur leurs fronts sillonnés! Ils ont bravé les feux du soleil d’Italie, De la castille ils ont franchi les monts; Et le nord les a vus marcher sur les glaçons Dont l’éternel rempart protége la Russie. Ils avaient tout dompté… Le destin des combats Leur devait, après tant de gloire, Ce qu’aux français naguère il ne refusait pas; Le bonheur de mourir dans un jour de victoire. Ah! Ne les pleurons pas! Sur leurs fronts triomphans La palme de l’honneur n’a pas été flétrie; Pleurons sur nous, français, pleurons sur la patrie; L’orgueil et l’intérêt divisent ses enfans. Quel siècle en trahisons fut jamais plus fertile? L’amour du bien commun de tous les coeurs s’exile; La timide amitié n’a plus d’épanchemens; On s’évite, on se craint; la foi n’a plus d’asile, Et s’enfuit d’épouvante au bruit de nos sermens. O vertige fatal! Déplorables querelles Qui livrent nos foyers au fer de l’étranger! Le glaive étincelant dans nos mains infidèles, Ensanglante le sein qu’il devrait protéger. L’ennemi cependant renverse les murailles De nos forts et de nos cités; La foudre tonne encore, au mépris des traités. L’incendie et les funérailles Épouvantent encor nos hameaux dévastés; D’avides proconsuls dévorent nos provinces; Et, sous l’écharpe blanche, ou sous les trois couleurs, Les français, disputant pour le choix de leurs princes, Détrônent des drapeaux et proscrivent des fleurs. Des soldats de la Germanie J’ai vu les coursiers vagabonds Dans nos jardins pompeux errer sur les gazons, Parmi ces demi-dieux qu’enfanta le génie. J’ai vu des bataillons, des tentes et des chars, Et l’appareil d’un camp dans le temple des arts. Faut-il, muets témoins, dévorer tant d’outrages? Faut-il que le français, l’olivier dans la main, Reste insensible et froid comme ces dieux d’airain Dont ils insultent les images? Nous devons tous nos maux à ces divisions Que nourrit notre intolérance. Il est temps d’immoler au bonheur de la France Cet orgueil ombrageux de nos opinions. Etouffons le flambeau des guerres intestines. Soldats, le ciel prononce, il relève les lis; Adoptez les couleurs du héros de Bovines, En donnant une larme aux drapeaux d’Austerlitz. France, réveille-toi! Qu’un courroux unanime Enfante des guerriers autour du souverain! Divisés, désarmés, le vainqueur nous opprime; Présentons-lui la paix, les armes à la main. Et vous, peuples si fiers du trépas de nos braves, Vous, les témoins de notre deuil, Ne croyez pas, dans votre orgueil, Que, pour être vaincus, les français soient esclaves. Gardez-vous d’irriter nos vengeurs à venir; Peut-être que le ciel, lassé de nous punir, Seconderait notre courage; Et qu’un autre Germanicus Irait demander compte aux Germains d’un autre âge De la défaite de Varus.

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    Casimir Delavigne

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    La brigantine La brigantine Qui va tourner Roule et s’incline Pour m’entraîner. Ô Vierge Marie, Pour moi priez Dieu ! Adieu, patrie ! Provence, adieu ! Mon pauvre père Verra souvent Pâlir ma mère Au bruit du vent. Ô Vierge Marie, Pour moi priez Dieu ! Adieu, patrie ! Mon père, adieu ! La vieille Hélène Se confîra Dans sa neuvaine, Et dormira. Ô Vierge Marie, Pour moi priez Dieu ! Adieu, patrie ! Hélène, adieu ! Ma sœur se lève, Et dit déjà : « J’ai fait un rêve ; Il reviendra. » Ô Vierge Marie, Pour moi priez Dieu Adieu, patrie ! Ma sœur, adieu ! De mon Isaure Le mouchoir blanc S’agite encore En m’appelant. Ô Vierge Marie, Pour moi priez Dieu ! Adieu, patrie ! Isaure, adieu ! Brise ennemie, Pourquoi souffler, Quand mon amie Veut me parler ? Ô Vierge Marie, Pour moi priez Dieu ! Adieu, patrie ! Bonheur, adieu !

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    La dévastation du musée et des monumens La sainte vérité qui m’échauffe et m’inspire Écarte et foule aux pieds les voiles imposteurs; Ma muse de nos maux flétrira les auteurs, Dussé-je voir briser ma lyre Par le glaive insolent de nos libérateurs. Où vont ces chars pesans conduits par leurs cohortes? Sous les voûtes du Louvre ils marchent à pas lents; Ils s’arrêtent devant ses portes; Viennent-ils lui ravir ses sacrés ornemens? Muses, penchez vos têtes abattues; Du siècle de Léon les chefs-d’oeuvre divins Sous un ciel sans clarté suivront les froids Germains; Les vaisseaux d’Albion attendent nos statues. Des profanateurs inhumains Vont-ils anéantir tant de veilles savantes? Porteront-ils le fer sur les toiles vivantes Que Raphaël anima de ses mains? Dieu du jour, dieu des vers, ils brisent ton image. C’en est fait : la victoire et la divinité Ne couronnent plus ton visage D’une double immortalité. C’en est fait : loin de toi jette un arc inutile. Non, tu n’inspiras point le vieux chantre d’Achille; Non, tu n’es pas le dieu qui vengea les neuf soeurs Des fureurs d’un monstre sauvage, Toi qui n’as pas un trait pour venger ton outrage Et terrasser tes ravisseurs. Le deuil est aux bosquets de Gnide. Muet, pâle et le front baissé, L’amour, que la guerre intimide, Eteint son flambeau renversé. Des grâces la troupe légère L’interroge sur ses douleurs; Il leur dit en versant des pleurs: << J’ai vu Mars outrager ma mère. >> Je crois entendre encor les clameurs des soldats Entraînant la jeune immortelle; Le fer a mutilé ses membres délicats; Hélas, elle semblait et plus chaste et plus belle, Cacher sa honte entre leurs bras. Dans un fort pris d’assaut, telle une vierge en larmes, Aux yeux des forcenés dont l’insolente ardeur Déchira les tissus qui dérobaient ses charmes, Se voile encor de sa pudeur. Adieu, débris fameux de Grèce et d’Ausonie, Et vous, tableaux errans de climats en climats; Adieu, Corrége, Albane, immortel Phidias! Adieu, les arts et le génie! Noble France, pardonne! A tes pompeux travaux, Aux Pujet, aux Lebrun, ma douleur fait injure. David a ramené son siècle à la nature; Parmi ses nourrissons il compte des rivaux… Laissons-la s’élever cette école nouvelle! Le laurier de David de lauriers entouré, Fier de ses rejetons, enfante un bois sacré Qui protége les arts de son ombre éternelle. Le marbre animé parle aux yeux; Une autre Vénus plus féconde, Près d’Hercule victorieux, Étend son flambeau sur le monde. Ajax, de son pied furieux, Insulte au flot qui se retire; L’oeil superbe, un bras dans les cieux, Il s’élance, et je l’entends dire: << J’échapperai malgré les dieux. >> Mais quels monceaux de morts! Que de spectres livides! Ils tombent dans Jaffa ces vieux soldats français Qui réveillaient naguère, au bruit de leurs succès, Les siècles entassés au fond des pyramides. Ah! Fuyons ces bords meurtriers! D’où te vient, Austerlitz, l’éclat qui t’environne? Qui dois-je couronner du peintre ou des guerriers? Les guerriers et le peintre ont droit à la couronne. Des chefs-d’oeuvre français naissent de toutes parts; Ils surprennent mon coeur à d’invincibles charmes; Au déluge, en tremblant, j’applaudis par mes larmes; Didon enchante mes regards; Versant sur un beau corps sa clarté caressante, À travers le feuillage un faible et doux rayon Porte les baisers d’une amante Sur les lèvres d’Endymion; De son flambeau vengeur Némésis m’épouvante; Je frémis avec Phèdre, et n’ose interroger L’accusé dédaigneux qui semble la juger. Je vois Léonidas. O courage! O patrie! Trois cents héros sont morts dans ce détroit fameux; Trois cents! Quel souvenir! … Je pleure… Et je m’écrie: Dix-huit mille Français ont expiré comme eux! Oui : j’en suis fier encor : ma patrie est l’asile, Elle est le temple des beaux-arts; À l’ombre de nos étendards, Ils reviendront ces dieux que la fortune exile. L’étranger, qui nous trompe, écrase impunément La justice et la foi sous le glaive étouffées; Il ternit pour jamais sa splendeur d’un moment; Il triomphe en barbare et brise nos trophées; Que cet orgueil est misérable et vain! Croit-il anéantir tous nos titres de gloire? On peut les effacer sur le marbre ou l’airain; Qui les effacera du livre de l’histoire? Ah! Tant que le soleil luira sur vos états, Il en doit éclairer d’impérissables marques; Comment disparaîtront, ô superbes monarques, Ces champs où les lauriers croissaient pour nos soldats? Allez, détruisez donc tant de cités royales Dont les clefs d’or suivaient nos pompes triomphales; Comblez ces fleuves écumans Qui nous ont opposé d’impuissantes barrières, Aplanissez ces monts dont les rochers fumans Tremblaient sous nos foudres guerrières. Voilà nos monumens : c’est là que nos exploits Redoutent peu l’orgueil d’une injuste victoire; Le fer, le feu, le temps plus puissant que les rois, Ne peut rien contre leur mémoire.

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    Casimir Delavigne

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    La mort de Jeanne d’Arc Silence au camp ! La vierge est prisonnière ; Par un injuste arrêt Bedfort croit la flétrir : Jeune encore, elle touche à son heure dernière… Silence au camp ! La vierge va périr. Des pontifes divins, vendus à la puissance, Sous les subtilités des dogmes ténébreux Ont accablé son innocence. Les anglais commandaient ce sacrifice affreux : Un prêtre en cheveux blancs ordonna le supplice ; Et c’est au nom d’un dieu par lui calomnié, D’un dieu de vérité, d’amour et de justice, Qu’un prêtre fut perfide, injuste et sans pitié. Dieu, quand ton jour viendra, quel sera le partage Des pontifes persécuteurs ? Oseront-ils prétendre au céleste héritage De l’innocent dont ils ont bu les pleurs ? Ils seront rejetés, ces pieux imposteurs, Qui font servir ton nom de complice à leur rage, Et t’offrent pour encens la vapeur du carnage. A qui réserve-t-on ces apprêts meurtriers ? Pour qui ces torches qu’on excite ? L’airain sacré tremble et s’agite… D’où vient ce bruit lugubre ? Où courent ces guerriers Dont la foule à long flots roule et se précipite ? La joie éclate sur leurs traits, Sans doute l’honneur les enflamme : Ils vont pour un assaut former leurs rangs épais : Non, ces guerriers sont des anglais Qui vont voir mourir une femme. Qu’ils sont nobles dans leur courroux ! Qu’il est beau d’insulter au bras chargé d’entraves ! La voyant sans défense, ils s’écriaient, ces braves : Qu’elle meure ! Elle a contre nous Des esprits infernaux suscité la magie… Lâches ! Que lui reprochez-vous ? D’un courage inspiré la brûlante énergie, L’amour du nom français, le mépris du danger, Voilà sa magie et ses charmes ; En faut-il d’autres que des armes Pour combattre, pour vaincre et punir l’étranger ? Du Christ avec ardeur Jeanne baisait l’image ; Ses longs cheveux épars flottaient au gré des vents, Au pied de l’échafaud, sans changer de visage, Elle s’avançait à pas lents. Tranquille, elle y monta : quand, debout sur le faîte, Elle vit ce bûcher qui l’allait dévorer, Les bourreaux en suspens, la flamme déjà prête, Sentant son cœur faillir, elle baissa la tête, Et se prit à pleurer. Ah ! Pleure, fille infortunée ! Ta jeunesse va se flétrir, Dans sa fleur trop tôt moissonnée ! Adieu, beau ciel, il faut mourir. Ainsi qu’une source affaiblie, Près du lieu même où naît son cours, Meurt en prodiguant ses secours Au berger qui passe et l’oublie ; Ainsi, dans l’âge des amours, Finit ta chaste destinée, Et tu péris abandonnée Par ceux dont tu sauvas les jours. Tu ne reverras plus tes riantes montagnes, Le temple, le hameau, les champs de Vaucouleurs, Et ta chaumière et tes compagnes, Et ton père expirant sous le poids des douleurs. Chevaliers, parmi vous qui combattra pour elle ? N’osez-vous entreprendre une cause si belle ? Quoi ! Vous restez muets ! Aucun ne sort des rangs ! Aucun pour la sauver ne descend dans la lice ! Puisqu’un forfait si noir les trouve indifférens, Tonnez, confondez l’injustice, Cieux, obscurcissez-vous de nuages épais ; Éteignez sous leurs flots les feux du sacrifice, Ou guidez au lieu du supplice, À défaut du tonnerre, un chevalier français. Après quelques instans d’un horrible silence, Tout à coup le feu brille, il s’irrite, il s’élance… Le cœur de la guerrière alors s’est ranimé ; À travers les vapeurs d’une fumée ardente, Jeanne, encor menaçante, Montre aux anglais son bras à demi consumé. Pourquoi reculer d’épouvante, Anglais ? Son bras est désarmé. La flamme l’environne, et sa voix expirante Murmure encore : ô France ! O mon roi bien-aimé ! Que faisait-il ce roi ? Plongé dans la mollesse, Tandis que le malheur réclamait son appui, L’ingrat, il oubliait, aux pieds d’une maîtresse, La vierge qui mourait pour lui ! Ah ! Qu’une page si funeste De ce règne victorieux, Pour n’en pas obscurcir le reste, S’efface sous les pleurs qui tombent de nos yeux ! Qu’un monument s’élève aux lieux de ta naissance, Ô toi, qui des vainqueurs renversas les projets ! La France y portera son deuil et ses regrets, Sa tardive reconnaissance ; Elle y viendra gémir sous de jeunes cyprès : Puissent croître avec eux ta gloire et sa puissance ! Que sur l’airain funèbre ou grave des combats, Des étendards anglais fuyant devant tes pas, Dieu vengeant par tes mains la plus juste des causes. Venez, jeunes beautés ; venez, braves soldats ; Semez sur son tombeau les lauriers et les roses ! Qu’un jour le voyageur, en parcourant ces bois, Cueille un rameau sacré, l’y dépose, et s’écrie : « À celle qui sauva le trône et la patrie, Et n’obtint qu’un tombeau pour prix de ses exploits. » Notre armée au cercueil eut mon premier hommage ; Mon luth chante aujourd’hui les vertus d’un autre âge : Ai-je trop présumé de ses faibles accens ? Pour célébrer tant de vaillance, Sans doute il n’a rendu que des sons impuissans ; Mais, poète et français, j’aime à vanter la France. Qu’elle accepte en tribut de périssables fleurs. Malheureux de ses maux et fier de ses victoires, Je dépose à ses pieds ma joie ou mes douleurs : J’ai des chants pour toutes ses gloires, Des larmes pour tous ses malheurs.

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    Casimir Delavigne

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    La sybille Pouzzole. Marchons, le ciel s’abaisse, et le jour pâlissant N’est plus à son midi qu’un faible crépuscule; Le flot qui vient blanchir les restes du port Jule Grossit, et sur la cendre expire en gémissant. Cet orage éloigné que l’Eurus nous ramène Couvre de ses flancs noirs les pointes de Misène; Avançons, et, foulant d’un pied religieux Ces rivages sacrés que célébra Virgile, Et d’où Néron chassa la majesté des dieux, Allons sur l’avenir consulter la Sibylle. << Ces débris ont pour moi d'invincibles appas, >> Me répond un ami, qu’aux doux travaux d’Apelle, A Rome, au Vatican son art en vain rappelle; << Ils parlent à mes yeux, ils enchaînent mes pas. << Ces lentisques flétris dont la feuille frissonne; << Ces pampres voltigeants et rougis par l'automne, << Tristes comme les fleurs qui couronnaient les morts, << Ces frêles cyclamens, fanés à leur naissance, << Plaisent à ma tristesse, en mêlant sur ces bords << Le deuil de la nature au deuil de la puissance. << Où sont ces dais de pourpre élevés pour les jeux, << Ces troupeaux d'affranchis, ces courtisans avides? << Où sont les chars d'airain, les trirèmes rapides, << Qui du soleil levant réfléchissaient les feux? << C'est là que des clairons la bruyante harmonie << A d'Auguste expirant ranimé l'agonie; << Vain remède! et le sang se glaçait dans son coeur, << Tandis que sur ces mers les jeux de Rome esclave, << Retraçant Actiura à ce pâle vainqueur, << Faisaient sourire Auguste au triomphe d'Octave! << Ces monuments pompeux, tous ces palais romains, << Où triomphaient l'orgueil, l'inceste et l'adultère, << De la vaine grandeur dont ils lassaient la terre << N'ont gardé que des noms en horreur aux humains. << Les voilà, ces arceaux désunis et sans gloire << Qui de Caligula rappellent la mémoire! << Vingt siècles les ont vus briser le fol orgueil << Des mers qui les couvraient d'écume et d'étincelles, << Leur chaîne s'est rompue et n'est plus qu'un écueil << Où viennent des pécheurs se heurter les nacelles. << Ces temples du plaisir par la mort habités, << Ces portiques, ces bains prolongés sous les ondes, << Ont vu Néron, caché dans leurs grottes profondes, << Condamner Agrippine au sein des voluptés. << Au bruit des flots, roulant sur cette voûte humide, << Il veillait, agité d'un espoir parricide! << Il lançait à Narcisse un regard satisfait, << Quand, muet d'épouvante et tremblant de colère, << Il apprit que ces flots, instrument du forfait, << Se soulevant d'horreur, lui rejetaient sa mère. << Tout est mort : c'est la mort qu'ici vous respirez: << Quand Rome s'endormit do débauche abattue, << Elle laissa dans l'air ce poison qui vous tue; << Il infecte les lieux qu'elle a déshonorés. << Telle, après les banquets de ces maîtres du monde, << S'élevait autour d'eux une vapeur immonde << Qui pesait sur leurs sens, ternissait les couleurs << Des fastueux tissus Où retombaient leurs têtes, << Et fanait à leurs pieds sur les marbres en pleurs, << Les roses dont Pestum avait jonché ces fêtes. << Virgile pressentait que, dans ces champs déserts << La mort viendrait s'asseoir au milieu des décombres>> << Alors qu'il les choisit pour y placer les ombres, << Le Styx aux noirs replis, l'Averne et les Enfers. << Contemplez ce pécheur; voyez, voyez nos guides; << Interrogez les traits de ces patres livides: << Ne croyez-vous pas voir des spectres sans tombeaux, << Qui, laissés par Caron sur le fatal rivage, << Tendant vers vous la main; entr'ouvrent leurs lambeaux << Pour mendier le prix de leur dernier passage?...>> Il disait, et déjà j’écartais les rameaux Qui cachaient à nos yeux l’antre de la Sibylle, Au fond de ce cratère, où l’Averne immobile Couvre un volcan éteint de ses dormantes eaux. L’enfer, devant nos pas, ouvrait la bouche antique D’où sortit pour Énée une voix prophétique; Un flambeau nous guidait, et ses feux incertains Dessinaient sur les murs des larves, des fantômes, Qui sans forme et sans vie, et fuyant sous nos mains,. Semblaient le peuple vain de ces sombres royaumes. << Prêtresse des dieux, lève-toi! << Viens! m'écriai-je alors, furieuse, écumante, << Le front pâle, et les yeux troublés d'un saint effroi, << Pleine du dieu qui te tourmente, << Viens, viens, Sibylle, et réponds-moi! << Vers les demeures infernales, << Dis-moi pourquoi la mort pousse comme un troupeau << Cette foule d'ombres royales, << Que nous voyons passer de la pourpre au tombeau? << Est-ce pour insulter à l'alliance vaine << Que Waterloo scella de notre sang? << Veut-elle, à chaque roi qu'elle heurte en passant, << Briser un des anneaux de cette vaste chaîne? << Le dernier de ces rois, que le souffle du Nord << A du trône des czars apporté sui ce bord, << Pliait sous le nom d'Alexandre; << Allons-nous voir les chefs de son armée en deuil << Donner des jeux sanglants autour de son cercueil, << Pour un sceptre flottant qu'il ne peut plus défendre? << Verrons-nous couronner l'héritier de son choix, << Et ce maître nouveau d'un empire sans lois << Doit-il, usant ses jours dans de saintes pratiques, << Assister de loin comme lui << Aux funérailles héroïques << D'Athènes qui l'implore et qui meurt sans appui? << N'offrira- t-elle un jour que des débris célèbres? << La verrons-nous tomber après ses longs efforts, << Vide comme Pompei, qui du sein des ténèbres, << En secouant sa cendre, étale sur vos bords << Ses murs où manque un peuple, et ses palais funèbres << Où manquent les restes des morts? << Réponds-moi! réponds-moi! furieuse, écumante, << Le front pâle, et les yeux troublés d'un saint effroi, << Pleine du dieu qui te tourmente, << Viens, viens, Sibylle, et réponds-moi! << La verrons-nous, cette belle Ausonie, << Jeter quelques rayons de sen premier éclat? << Ou ce flambeau mourant des arts et du génie << Doit-il toujours passer avec ignominie << De la France aux Germains, du pontife au soldat, << Semblable aux feux mouvants, aux clartés infidèles << Qui, changeant de vainqueurs, volent de mains en mains, << Vain jouet des combats que livrent les Romains << Dans leurs saturnales nouvelles? << L'Espagne, qui préfère au plus beau de ses droits << La sainte obscurité dont la nuit l'environne, << Marâtre de ses fils, infidèle à ses lois, << A l'esclavage s'abandonne, << Et s'endort sous sa chaîne en priant pour ses rois. << Reprendra-t-elle un jour son énergie antique? << Libre, doit-elle enfin, d'un bras victorieux, << Combattre et déchirer le bandeau fanatique << Qu'une longue ignorance épaissit sur ses yeux? << Un arbre sur la France étendait son ombrage: << Nous l'entourons encor de nos bras impuissants; << Le fer du despotisme a touché son feuillage, << Dont les rameaux s'ouvraient chargés de fruits naissants. << Si par sa chute un jour le tronc qui les supporte << Doit de l'Europe entière ébranler les échos, << Le fer, sous son écorce morte, << De sa sève de feu tarira-t-il les flots? << Ou de sa dépouille flétrie << Quelque rameau ressuscité << Reprendra-t-il racine au sein de la patrie, << Au souffle de la liberté? << Réponds-moi, réponds-moi! furieuse, écumante, << Le front pâle, et les yeux troublés d'un saint effroi, << Pleine du dieu qui le tourmente, << Viens, viens, Sibylle, et réponds-moi!... >> J’écoutais : folle attente! espérance inutile! L’oracle d’Apollon ne répond qu’à Virgile; Et ces noms méconnus qu’en vain je répétai, Ces noms jadis si beaux : patrie et liberté, N’ont pas même aujourd’hui d’écho chez la Sibylle.

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    Casimir Delavigne

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    La vie de Jeanne d’Arc Un jour que l’océan gonflé par la tempête, Réunissant les eaux de ses fleuves divers, Fier de tout envahir, marchait à la conquête De ce vaste univers; Une voix s’éleva du milieu des orages, Et Dieu, de tant d’audace invinsible témoin, Dit aux flots étonnés : << Mourez sur ces rivages, Vous n’irez pas plus loin. >> Ainsi, quand, tourmentés d’une impuissante rage, Les soldats de Bedfort, grossis par leurs succès, Menaçaient d’un prochain naufrage Le royaume et le nom français; Une femme, arrêtant ces bandes formidables, Se montra dans nos champs de leur foule inondés; Et ce torrent vainqueur expira dans les sables Que naguère il couvrait de ses flots débordés. Une femme paraît, une vierge, un héros; Elle arrache son maître aux langueurs du repos. La France qui gémit se réveille avec peine, Voit son trône abattu, voit ses champs dévastés, Se lève en secouant sa chaîne, Et rassemble à ce bruit ses enfans irrités. Qui t’inspira, jeune et faible bergère, D’abandonner la houlette légère Et les tissus commencés par ta main? Ta sainte ardeur n’a pas été trompée; Mais quel pouvoir brise sous ton épée Les cimiers d’or et les casques d’airain? L’aube du jour voit briller ton armure, L’acier pesant couvre ta chevelure, Et des combats tu cours braver le sort. Qui t’inspira de quitter ton vieux père, De préférer aux baisers de ta mère L’horreur des camps, le carnage et la mort? C’est Dieu qui l’a voulu, c’est le dieu des armées, Qui regarde en pitié les pleurs des malheureux, C’est lui qui délivra nos tribus opprimées Sous le poids d’un joug rigoureux; C’est lui, c’est l’éternel, c’est le dieu des armées! L’ange exterminateur bénit ton étendard; Il mit dans tes accens un son mâle et terrible, La force dans ton bras, la mort dans ton regard, Et dit à la brebis paisible; Va déchirer le léopard. Richemont, Lahire, Xaintrailles, Dunois, et vous, preux chevaliers, Suivez ses pas dans les batailles; Couvrez-la de vos boucliers, Couvrez-la de votre vaillance; Soldats, c’est l’espoir de la France Que votre roi vous a commis. Marchez quand sa voix vous appelle, Car la victoire est avec elle; La fuite, avec ses ennemis. Apprenez d’une femme à forcer des murailles, À gravir leurs débris sous des feux dévorans, À terrasser l’anglais, à porter dans ses rangs Un bras fécond en funérailles! Honneur à ses hauts faits! Guerriers, honneur à vous! Chante, heureuse Orléans, les vengeurs de la France, Chante ta délivrance; Les assaillans nombreux sont tombés sous leurs coups. Que sont-ils devenus ces conquérans sauvages Devant le fer vainqueur qui combattait pour nous? … Ce que deviennent des nuages D’insectes dévorans dans les airs rassemblés, Quand un noir tourbillon élancé des montagnes Disperse en tournoyant ces bataillons ailés, Et fait pleuvoir sur nos campagnes Leurs cadavres amoncelés. Aux yeux d’un ennemi superbe Le lis a repris ses couleurs; Ses longs rameaux courbés sous l’herbe Se relèvent couverts de fleurs. Jeanne au front de son maître a posé la couronne. A l’attrait des plaisirs qui retiennent ses pas La noble fille l’abandonne; Délices de la cour, vous n’enchaînerez pas L’ardeur d’une vertu si pure; Des armes, voilà sa parure, Et ses plaisirs sont les combats. Ainsi tout prospérait à son jeune courage. Dieu conduisit deux ans ce merveilleux ouvrage. Il se plut à récompenser Pour la France et ses rois son amour idolâtre, Deux ans il la soutint sur ce brillant théâtre, Pour apprendre aux anglais, qu’il voulait abaisser Que la France jamais ne périt tout entière, Que, son dernier vengeur fût-il dans la poussière, Les femmes, au besoin, pourraient les en chasser.

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    Casimir Delavigne

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    Le départ A bord de la Madone. Que la brise des mers te porte mes adieux, O France, je te quitte; adieu, France chérie! Adieu, doux ciel natal, terre où j’ouvris les yeux! Adieu, patrie! adieu, patrie ! Il tombe, ce mistral, dont le souffle glacé M’enchaînait dans le port de l’antique Marseille; Mon brick napolitain, qui sommeillait la veille Sur cette onde captive où les vents l’ont bercé, Aux cris qui frappent mon oreille Sous ses agrès tremblants s’émeut, frémit, s’éveille, Et loin du port s’est élancé. O toi, des Phocéens brillante colonie, Adieu, Marseille, adieu! Je vois blanchir tes forts. Puisses-tu féconder, par de constants efforts, Les germes de vertu, de valeur, de génie, Dont les Grecs tes aïeux vinrent semer tes bords. Que la mer te soit douce, et que le ciel prospère Regarde avec amour tes opulents remparts! O fille de la Grèce, encore adieu, je pars; Sois plus heureuse que ta mère! Je les brave, tes flots, je ris de leur courroux; J’aime à sentir dans l’air leur mordante amertume; Ils viennent, et de loin soulevant leur écume, A la proue élancés, ils bondissent vers nous. Mais, tels que des lions dont la fureur avide Sous une main connue expire en rugissant, Je les vois caresser le voile blanchissant De la Madone qui nous guide, Lorsque son bras doré, sur leur dos s’abaissant, Joue avec leur crinière humide. Courage, mon vaisseau! double ce cap lointain; Penche-toi sur les mers; que le beaupré s’incline Sous le foc déployé qui s’enfle et le domine. Mais ce cap, c’est la France; elle aura fui demain… Je l’entends demander d’une voix douce et fière, Sur quels bords, dans quels champs en lauriers plus féconds, Ma muse va chercher des débris et des noms, Et des siècles passés évoquer la poussière? Elle étale au midi ses monuments romains, Les colonnades de ses bains, De ses cirques déserts la ruine éloquente, Ce temple sans rival, dont la main d’Apollon, Sur des appuis de marbre et des feuilles d’acanthe, Suspendit l’élégant fronton; Ses palais, ses tombeaux, ses théâtres antiques, Et les deux monts unis où gronde le Gardon Sous un triple rang de portiques. Elle me montre au nord ses murs irréguliers Et leurs clochers pieux sortant d’un noir feuillage, Où j’entendis gémir durant les nuits d’orage Et la muse des chevaliers, Et les spectres du moyen âge; Ses vieux donjons normands, bâtis par nos aïeux, Et les créneaux brisés du château solitaire, ‘ Qui raconte leur gloire, en parlant à nos yeux De ce bâtard victorieux Dont le bras conquis l’Angleterre. Je la vois, cette France, agiter les rameaux Du chêne prophétique adoré des druides; Elle couronne encor leurs ombres intrépides, De la verveine des tombeaux, Et chante les exploits prédits par leurs oracles, Que, sous les trois couleurs, sous l’aigle ou sous les lis, Vingt siècles rivaux de miracles Par la victoire ont accomplis. Puis, voilant sous des pleurs l’éclat dont son oeil brille, Elle m’invite avec douceur A reprendre ma place au foyer de famille, Et murmure les noms d’un père et d’une soeur… Arrête, mon vaisseau, tu m’emportes trop vite. Pour mes derniers regards que la France a d’attraits! Quel parfum de patrie apporte ce vent frais! Que la patrie est belle au moment qu’on la quitte! Famille, et vous, amis, recevez mes adieux! Et toi, France, pardonne! Adieu, France chérie, Adieu, doux ciel natal, terre où j’ouvris les yeux! Adieu, patrie! adieu, patrie!… Deux fois dans les flots purs, où tremblait sa clarté. J’ai vu briller du ciel l’éblouissante image, Et dans l’ombre deux fois la proue à son passage Creuser en l’enflammant un sillon argenté. Quels sont ces monts hardis, ces roches inconnues? Leur pied se perd sous l’onde et leur front dans les nues. C’est la Corse!… O destin! Faible enfant sur ce bord, Sujet à sa naissance et captif à sa mort, Il part du sein des mers, où plus tard il retombe, Celui dont la grandeur eut, par un jeu du sort, Une île pour berceau, pour asile et pour tombe. Tel, du vaste Océan chaque jour nous voyons Le globe du soleil s’élever sans rayons; Il monte, il brille, il monte encore; Sur le trône vacant de l’empire des cieux, Il s’élance, et, monarque, il découvre à nos yeux Sa couronne de feu dont l’éclat nous dévore; Puis il descend, se décolore, Et dans l’Océan, étonné De le voir au déclin ce qu’il fut à l’aurore, Rentrer pâle et découronné. Où va-t-il, cet enfant qui s’ignore lui-même? La main des vieux nochers passe sur ses cheveux Qui porteront un diadème. Ils lui montrent la France en riant de ses jeux… Ses jeux seront un jour la conquête et la guerre; Les bras de cet enfant ébranleront la terre. O toi, rivage hospitalier, Qui le reçois sans le connaître, Et le rejetteras sans pouvoir l’oublier, France, France, voilà ton maître; Louis, voilà ton héritier. Où va-t-il, ce vainqueur que l’Italie admire? Il va du bruit de ses exploits Réveiller les échos de Thèbe et de Palmire. Il revient; tout tremble à sa voix; Républicains trompés, courbez-vous sous l’empire! Le midi de sa gloire alors le couronna Des rayons d’Austerlitz, de Wagram, d’Iéna. Esclaves et tyrans, sa gloire était la nôtre, Et d’un de ses deux bras, qui nous donna des fers, Appuyé sur la France, il enchaînait de l’autre Ce qui restait de l’univers. Non, rien n’ébranlera cette vaste puissance!… L’île d’Elbe à mes yeux se montre et me répond; C’est là qu’il languissait, l’oeil tourné vers la France. Mais un brick fend ces mers : << Courbez-vous sur le pont! << A genoux! le jour vient d’éclore; << Couchez-vous sur cette arme inutile aujourd’hui! << Cachez ce lambeau tricolore… >> C’est sa voix : il aborde, et la France est à lui. Il la joue, il la perd; l’Europe est satisfaite, Et l’aigle, qui, tombant aux pieds du léopard, Change en grand capitaine un héros de hasard, Illustre aussi vingt rois, dont la gloire muette N’eut jamais retenti dans la postérité; Et d’une part dans sa défaite, Il fait à chacun d’eux une immortalité. Il n’a régné qu’un jour; mais à travers l’orage Il versait tant d’éclat sur son peuple séduit, Que le jour qui suivit son rapide passage, Terne et décoloré, ressemblait à la nuit. La Liberté parut : son flambeau tutélaire, Brûlant d’un feu nouveau, nous guide et nous éclaire. Depuis l’heure où, donnant un maître à des héros, Rome enfanta César, la nature épuisée Pour créer son pareil s’est longtemps reposée. La voilà derechef condamnée au repos. Respirons sous les lois, et, mieux instruits que Rome, Profitons, pour fonder leur pouvoir souverain, Des siècles de répit promis au genre humain Par l’enfantement d’un seul homme. Défends ta liberté, ce sont là mes adieux! France, préfère à tout ta liberté chérie; Adieu, doux ciel natal, terre où j’ouvris les yeux! Adieu, patrie! adieu, patrie!

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    Casimir Delavigne

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    Le jeune diacre, ou la Grèce chrétienne À M. Pouqueville De Messène au cercueil fille auguste et plaintive, Muse des grands revers et des nobles douleurs, Désertant ton berceau, tu pleuras nos malheurs ; Comme la Grèce alors la France était captive… De Messène au cercueil fille auguste et plaintive, Reviens sur ton berceau, reviens verser des pleurs. Entre le mont évan et le cap de Ténare, La mer baigne les murs de la triste Coron ; Coron, nom malheureux, nom moderne et barbare, Et qui de Colonis détrôna le beau nom. Les grecs ont tout perdu : la langue de Platon, La palme des combats, les arts et leurs merveilles, Tout, jusqu’aux noms divins qui charmaient nos oreilles. Ces murs battus des eaux, à demi renversés Par le choc des boulets que Venise a lancés, C’est Coron. Le croissant en dépeupla l’enceinte ; Le turc y règne en paix au milieu des tombeaux. Voyez-vous ces turbans errer sur les créneaux ? Du profane étendard qui chassa la croix sainte Voyez-vous, sur les tours, flotter les crins mouvans ? Entendez-vous, de loin, la voix de l’infidèle, Qui se mêle au bruit sourd de la mer et des vents ? Il veille, et le mousquet dans ses mains étincelle. Au bord de l’horizon le soleil suspendu Regarde cette plage, autrefois florissante, Comme un amant en deuil, qui, pleurant son amante, Cherche encor dans ses traits l’éclat qu’ils ont perdu, Et trouve, après la mort, sa beauté plus touchante. Que cet astre, à regret, s’arrache à ses amours ! Que la brise du soir est douce et parfumée ! Que des feux d’un beau jour la mer brille enflammée ! … Mais pour un peuple esclave il n’est plus de beaux jours. Qu’entends-je ? C’est le bruit de deux rames pareilles, Ensemble s’élevant, tombant d’un même effort, Qui de leur chute égale ont frappé mes oreilles. Assis dans un esquif, l’œil tourné vers le bord, Un jeune homme, un chrétien, glisse sur l’onde amère. Il remplit dans le temple un humble ministère : Ses soins parent l’autel ; debout sur les degrés, Il fait fumer l’encens, répond aux mots sacrés, Et présente le vin durant le saint mystère. Les rames de sa main s’échappent à la fois ; Un luth qui les remplace a frémi sous ses doigts. Il chante… Ainsi chantaient David et les prophètes ; Ainsi, troublant le cœur des pâles matelots, Un cri sinistre et doux retentit sur les flots, Quand l’alcyon gémit, au milieu des tempêtes : « Beaux lieux, où je n’ose m’asseoir, Pour vous chanter dans ma nacelle Au bruit des vagues, chaque soir, J’accorde ma lyre fidèle ; Et je pleure sur nos revers, Comme les hébreux dans les fers, Quand Sion descendit du trône, Pleuraient au pied des saules verts Près les fleuves de Babylone. Mais dans les fers, seigneur, ils pouvaient t’adorer ; Du tombeau de leur père ils parlaient sans alarmes ; Souffrant ensemble, ensemble ils pouvaient espérer : Il leur était permis de confondre leurs larmes : Et je m’exile pour pleurer. « Le ministre de ta colère Prive la veuve et l’orphelin Du dernier vêtement de lin Qui sert de voile à leur misère. De leurs mains il reprend encor, Comme un vol fait à son trésor, Un épi glané dans nos plaines ; Et nous ne buvons qu’à prix d’or L’eau qui coule de nos fontaines. « De l’or ! Ils l’ont ravi sur nos autels en deuil ; Ils ont brisé des morts la pierre sépulcrale, Et de la jeune épouse écartant le linceuil, Arraché de son doigt la bague nuptiale, Qu’elle emporta dans le cercueil. « Ô nature, ta voix si chère S’éteint dans l’horreur du danger ; Sans accourir pour le venger, Le frère voit frapper son frère ; Aux tyrans qu’il n’attendait pas Le vieillard livre le repas Qu’il a dressé pour sa famille ; Et la mère, au bruit de leurs pas, Maudit la beauté de sa fille. « Le lévite est en proie à leur férocité ; Ils flétrissent la fleur de son adolescence, Ou, si d’un saint courroux son cœur s’est révolté, Chaste victime, il tombe avec son innocence Sous le bâton ensanglanté. « Les rois, quand il faut nous défendre, Sont avares de leurs soldats. Ils se disputent des états, Des peuples, des cités en cendre ; Et tandis que, sous les couteaux, Le sang chrétien, à longs ruisseaux, Inonde la terre où nous sommes, Comme on partage des troupeaux, Les rois se partagent des hommes. « Un récit qui s’efface, ou quelques vains discours, À des indifférens parlent de nos misères, Amuse de nos pleurs l’oisiveté des cours : Et nous sommes chrétiens, et nous avons des frères, Et nous expirons sans secours ! « L’oiseau des champs trouve un asile Dans le nid qui fut son berceau, Le chevreuil sous un arbrisseau, Dans un sillon le lièvre agile ; Effrayé par un léger bruit, Le ver qui serpente et s’enfuit Sous l’herbe ou la feuille qui tombe, Échappe au pied qui le poursuit… Notre asile à nous, c’est la tombe ! « Heureux qui meurt chrétien ! Grand dieu, leur cruauté Veut convertir les cœurs par le glaive et les flammes Dans le temple où tes saints prêchaient la vérité, Où de leur bouche d’or descendaient dans nos ames L’espérance et la charité. « Sur ce rivage, où des idoles S’éleva l’autel réprouvé, Ton culte pur s’est élevé Des semences de leurs paroles. Mais cet arbre, enfant des déserts, Qui doit ombrager l’univers, Fleurit pour nous sur des ruines, Ne produit que des fruits amers, Et meurt tranché dans ses racines. « Ô dieu, la Grèce libre en ses jours glorieux N’adorait pas encor ta parole éternelle ; Chrétienne, elle est aux fers, elle invoque les cieux. Dieu vivant, seul vrai dieu, feras-tu moins pour elle Que Jupiter et ses faux dieux ? » Il chantait, il pleurait, quand d’une tour voisine Un musulman se lève, il court, il est armé. Le turban du soldat sur son mousquet s’incline, L’étincelle jaillit, le salpêtre a fumé, L’air siffle, un cri s’entend… L’hymne pieux expire. Ce cri, qui l’a poussé ? Vient-il de ton esquif ? Est-ce toi qui gémis, Lévite ? Est-ce ta lyre Qui roule de tes mains avec ce bruit plaintif ? Mais de la nuit déjà tombait le voile sombre ; La barque, se perdant sous un épais brouillard, Et sans rame, et sans guide, errait comme au hasard ; Elle resta muette et disparut dans l’ombre. La nuit fut orageuse. Aux premiers feux du jour, Du golfe avec terreur mesurant l’étendue, Un vieillard attendait, seul, au pied de la tour. Sous des flocons d’écume un luth frappe sa vue, Un luth qu’un plomb mortel semble avoir traversé, Qui n’a plus qu’une corde à demi détendue, Humide et rouge encor d’un sang presque effacé. Il court vers ce débris, il se baisse, il le touche… D’un frisson douloureux soudain son corps frémit ; Sur les tours de Coron il jette un œil farouche ! Veut crier… La menace expire dans sa bouche ; Il tremble à leur espect, se détourne et gémit. Mais du poids qui l’oppresse enfin son cœur se lasse ; Il fuit des yeux cruels qui gênent ses douleurs ; Et regardant les cieux, seul témoin de ses pleurs, Le long des flots bruyans il murmure à voix basse : « Je t’attendais hier, je t’attendis long-temps ; tu ne reviendras plus, et c’est toi qui m’attends ! »

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    Casimir Delavigne

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    Le retour Au Havre. Le voilà, ce vieux môle où j’errai si souvent ! Ainsi grondaient alors les rafales du vent, Quand aux pâles clartés des fanaux de la Hève Si tristes à minuit, Le flux, en s’abattant pour envahir la grève, Blanchissait dans la nuit. Au souffle du matin qui déchirait la brume, Ainsi sur mes cheveux volait la fraîche écume ; Et quand à leur zénith les feux d’un jour d’été Inondaient les dalles brûlantes, Ainsi, dans sa splendeur et dans sa majesté, La mer sous leurs rayons roulait l’immensité De ses houles étincelantes. Mais là, mais toujours là, hormis si l’ouragan Des flots qu’il balayait restait le seul tyran, Toujours là, devant moi, ces voiles ennemies Que la Tamise avait vomies Pour nous barrer notre Océan ! Alors j’étais enfant, et toutefois mon âme Bondissait dans mon sein d’un généreux courroux, Je sentais de la haine y fermenter la flamme : Enfant, j’aimais la France et d’un amour jaloux. J’aimais du port natal l’appareil militaire ; J’aimais les noirs canons, gardiens de ses abords ; J’aimais la grande voix que prêtaient à nos bords Ces vieux mortiers d’airain sous qui tremblait la terre ; Enfant, j’aimais la France : aimer la France alors, C’était détester l’Angleterre ! Que disaient nos marins lui demandant raison De sa tyrannie éternelle, Quand leurs deux poings fermés menaçaient l’horizon ? Que murmuraient les vents quand ils me parlaient d’elle ? Ennemie implacable, alliée infidèle ! On citait ses serments de parjures suivis, Les trésors du commerce en pleine paix ravis, Aussi bien que sa foi sa cruauté punique : Témoin ces prisonniers ensevelis vingt ans, Et vingt ans dévorés dans des cachots flottants Par la liberté britannique ! Plus tard, un autre prisonnier, Dont les bras en tous lieux s’allongeant pour l’atteindre Par-dessus l’Océan n’avaient pas pu l’étreindre, Osa s’asseoir à son foyer. Ceux qui le craignaient tant, il aurait dû les craindre ; Il les crut aussi grands qu’il était malheureux, Et le jour d’être grands brillait enfin pour eux. Mais ce jour, où, déchu, l’hôte sans défiance Vint, le sein découvert, le fer dans le fourreau, Ce jour fut pour l’Anglais celui de la vengeance : Il se fit le geôlier de la Sainte-Alliance, Et de geôlier devint bourreau ! Oui, du vautour anglais l’impitoyable haine But dans le cœur de l’aigle expirant sous sa chaîne Un sang qui pour la France eût voulu s’épuiser : Car il leur faisait peur, car ils n’ont pu l’absoudre D’avoir quinze ans porté la foudre Dont il faillit les écraser. Il ne resta de lui qu’une tombe isolée Où l’ouragan seul gémissait. En secouant ses fers, la grande ombre exilée Dans mes rêves m’apparaissait. Et j’étais homme alors, et maudissais la terre Qui le rejeta de ses bords : Convenez-en, Français, aimer la France alors, C’était détester l’Angleterre ! Mais voici que Paris armé Tue et meurt pour sa délivrance, Vainqueur aussitôt qu’opprimé ; Trois jours ont passé sur la France : L’œuvre d’un siècle est consommé. Des forêts d’Amérique aux cendres de la Grèce, Du ciel brûlant d’Egypte au ciel froid des Germains, Les peuples frémissaient d’une sainte allégresse. Les lauriers s’ouvraient des chemins Pour tomber à nos pieds des quatre points du monde ; Sentant que pour tous les humains Notre victoire était féconde, Tous les peuples battaient des mains. Entre l’Anglais et nous les vieux griefs s’effacent : Des géants de l’Europe enfin les bras s’enlacent ; Et libres nous disons : « Frères en liberté, « Dans les champs du progrès guidons l’humanité ! » Et nous oublions tout, jusqu’à trente ans de guerre ; Car les Français victorieux Sont le plus magnanime et le plus oublieux De tous les peuples de la terre. Sa cendre, on nous la rend ! mer, avec quel orgueil De tes flots tu battais d’avance Ce rivage du Havre, où tu dois à la France Rapporter son cercueil ! Mais à peine ce bruit fait tressaillir ton onde, Qu’un vertige de guerre a ressaisi le monde. Homme étrange, est-il dans son sort Que tout soit ébranlé quand sa cendre est émue ? Elle a tremblé, sa tombe, et le monde remue ; Elle s’ouvre, et la guerre en sort ! Encore une Sainte-Alliance ! Eh bien ! si son orgueil s’obstine à prévaloir Contré l’œuvre immortel des jours de délivrance, Ce que l’honneur voudra, nous saurons le vouloir. Aux Anglais de choisir ! et leur choix est le nôtre, Quand nous serions seuls contre tous ; Car un duel entre eux et nous, C’est d’un côté l’Europe et la France de l’autre. Viens, ton exil a cessé ; Romps ta chaîne, ombre captive ; Fends l’écume, avance, arrive : Le cri de guerre est poussé. Viens dans ton linceul de gloire, Toi qui nous as faits si grands ; Viens, spectre que la victoire Reconnaîtra dans nos rangs. Contre nous que peut le nombre ? Devant nous tu marcheras ; Pour vaincre à ta voix, grande ombre, Nous t’attendons l’arme au bras ! Partez, vaisseaux ; cinglez, volez vers Sainte-Hélène, Pour escorter sa cendre encor loin de nos bords ; Le noir cercueil flottant qui d’exil le ramène Peut avoir à forcer un rempart de sabords. Volez ! seul contre cent fallût-il la défendre, Joinville périra plutôt que de la rendre, Et dans un tourbillon de salpêtre enflammé il ira, s’il le faut, l’ensevelir fumante Au fond de la tombe écumante Où le Vengeur s’est abîmé ! Que dis-je ? vain effroi ! Dieu veut qu’il la rapporte Sous la bouche de leur canon, Et passe avec ou sans escorte. Que l’Océan soit libre ou non. Mais qu’il ferait beau voir l’escadre funéraire, Un fantôme pour amiral, Mitrailler en passant l’arrogance insulaire, Et lui sous son deuil triomphal, Pour conquérir ses funérailles, Joindre aux lauriers conquis par quinze ans de batailles Les palmes d’un combat naval ! Viens dans ce linceul de gloire, Toi qui nous as faits si grands ; Viens, spectre que la victoire Reconnaîtra dans nos rangs. Contre nous que peut le nombre ? Devant nous tu marcheras : Pour vaincre à ta voix, grande ombre, Nous t’attendons l’arme au bras ! Arme au bras ! fier débris de la phalange antique, Qui, de tant d’agresseurs vengeant la république, Foula sous ses pieds nus tant de drapeaux divers ; Arme au bras ! vétérans d’Arcole et de Palmyre, Vous, restes mutilés des braves de l’Empire ; Vous, vainqueurs d’Ulloa, de l’Atlas et d’Anvers ! Dans les camps, sur la plaine, aux créneaux des murailles, Avec tes vieux soutiens et tes jeunes soldats, Avec tous les enfants qu’ont portés tes entrailles, Arme au bras, patrie, arme au bras ! Il aborde, et la France, en un camp transformée, Reçoit son ancien général ; Il écarte à ses cris le voile sépulcral, Cherche un peuple, et trouve une armée ! Les pères sont debout, revivant dans les fils ; Ses vieux frères de gloire, il les revoit encore : « Vous serez, nous dit-il, ce qu’ils furent jadis ; « Une ligue nouvelle aujourd’hui vient d’éclore : « D’un nouveau soleil d’Austerlitz « Demain se lèvera l’aurore ! » Aux salves de canon que j’entends retentir, Sur lui le marbre saint retombe ; Et peut-être avec lui va rentrer dans la tombe La guerre qu’il en fit sortir ! Mais que sera pour nous l’amitié britannique ? Entre les deux pays, séparés désormais, Le temps peut renouer un lien politique ; Un lien d’amitié, jamais ! Consultons son tombeau, qui devant nous s’élève : Au seul nom des Anglais nous y verrons son glaive Frémir d’un mouvement guerrier ! Consultons la voix du grand homme, Et nous l’entendrons nous crier : « Jamais de paix durable entre Carthage et Rome ! » Il le disait vivant ; il le dit chez les morts ; C’est qu’en vain sur ce cœur pèse une froide pierre : Il est le même, ô France ! il t’aime, noble terre, Comme alors il t’aimait… Aimer la France alors, C’était détester l’Angleterre !

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    Casimir Delavigne

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    Le vaisseau Naples. Par les flots balancée, une barque légère Hier m’avait porté sur ce vaste vaisseau Qui fatiguait le golfe et sa vaine colère D’un inébranlable fardeau. Ses longs mâts dans les deux montaient en pyramides : Comme un serpent ailé, leur flamme au sein des airs Déroulait ses anneaux rapides, Et j’admirais ce noir géant des mers, Armé d’un triple rang de bronzes homicides, Qui sortaient à demi de ses flancs entr’ouverts. Ces mots : Demain ! demain ! ce doux nom de la Grèce, Volent débouche en bouche : on s’agite, on s’empresse. L’un, penché sur les ponts, aux câbles des sabords Enchaîne les foudres roulantes ; L’autre court, suspendu sur les vergues tremblantes, Où la voile, en criant, cède à ses longs efforts. Leur chef le commandait, et son regard tranquille De la poupe à la proue errait de tous côtés, Avant d’abandonner cette masse immobile Au souffle des vents irrités. Ainsi, prêt à quitter les sphères immortelles, Pour ravir une proie au vautour furieux, L’aigle, tranquille et fier, se mesure des yeux, Essaie, eu les ouvrant, si ses ongles fidèles A sa colère obéiront encor, Et, pour battre les airs, étend deux fois ses ailes Avant de prendre son essor. Témoin de ces apprêts, debout sous la misaine, Il part, disais-je, il part ; mais doit-il affranchir Les généreux enfants de Sparte et de Mécène ? Doit-il sous un pacha les contraindre à fléchir ? Pour qui grondera son tonnerre ? A ce peuple persécuté Porte-t-il dans ses flancs où la paix ou la guerre, L’esclavage ou la liberté ? La liberté, sans doute !… et la Grèce est mourante ; Son sang coule et s’épuise. Ah ! qu’il parte ! il est temps De sauver, d’arracher au sabre des sultans La victime encor palpitante. Quand je la vois toucher à ses derniers instants, Il fatigue mon cœur d’une trop longue attente. Comme toi menaçant, et comme toi muet, Vésuve, que fait-il sous ton double sommet, Qui, trompant mon espoir par la vapeur légère Que ta bouche béante exhale vers les cieux, Fume éternellement sans éblouir mes yeux Du spectacle de ta colère ? Dors, volcan imposteur, par les ans refroidi, Dors, et sois pour l’enfance un objet de risée ; Vieillard, sous la cendre engourdi, Je suis las d’insulter à ta lave épuisée ; Mais qu’il tonne du moins ce Vésuve flottant, Moins avare que loi des flammes qu’il recèle ! Que son courroux tardif soit juste en éclatant Sur les mers du Bosphore où Canaris l’appelle ! Quand il fendra les flots, si souvent éclairés Par des esquifs brûlants qui vengeaient la patrie. S’il faut une étincelle à sa flamme assoupie, Qu’elle s’allume aux feux de ces brandons sacrés Que la Grèce avait préparés Pour les flottes d’Alexandrie ! Mais non ; son seul aspect sous les murs ottomans Fera triompher la croix sainte ; Il verra du sérail trembler les fondements, Les flots de Marmara se troubleront de crainte, Et, sans contraindre Athène à payer un succès Qui l’arrache expirante au joug de l’infidèle, Si l’Anglais la délivre, au moins quelques Français Auront versé leur sang pour elle. Toi qu’ils ont devancé dans ton noble dessein, Vaisseau libérateur, reçois-moi sur ton sein ; Pars, va me déposer sous ces blanches colonnes Où Socrate inspirait les discours de Platon. Mes yeux verront flotter les premières couronnes Que les Grecs vont suspendre aux murs du Parthénon. Laisse-moi, sous des fleurs et sous de verts feuillages Consacrés par mes mains à ses dieux exilés, Laisse-moi cacher les outrages De ses marbres vainqueurs de la guerre et des âges Que votre Elgin a mutilés. Je les verrai, ces morts qui vivent dans l’histoire, Pour saluer des jours si beaux, Renaître et soulever les trois mille ans de gloire Dont le temps chargea leurs tombeaux ; Et moi, chantant comme eux ces jours de délivrance,. J’irai mêler la voix, l’hymne à peine écouté D’un obscur enfant de la France, A leurs cris de reconnaissance, A leurs hymnes de liberté. Va donc, n’hésite plus, n’attends pas les étoiles ; Des flambeaux de la nuit les feux seront pour toi. N’entends-tu pas le vent qui frémit dans tes voiles ? Il t’invite à partir ; pars, vole, emporte-moi ! N’oins, je me confie à ton humide haleine ; A toi, brûlant Siroc ; à toi, noir Aquilon ; Mugis, qui que tu sois qui souffles vers Athène : Tout me sera Zéphyr, quelque vent qui m’entraîna Du tombeau de Virgile au tombeau de Byron ! Vain songe !… Il dédaigna ma prière inutile. Hélas ! pour un Français il n’avait point d’asile. Au lever du soleil, mes yeux l’ont découvert Entre le doux Sorrente, où la grappe dorée Se marie au citronnier vert, Et les rochers aigus de la pâle Caprée. Sans doute il entendit, sur ce pic menaçant, L’infâme successeur des demi-dieux du Tibre, Tibère, s’éveillant au nom d’un peuple libre, Des Grecs ressuscites lui demander le sang. Sur la rive opposée il ne put méconnaître Ce chantre harmonieux que Sorrente a vu naître : Le Tasse errait encor dans l’asile enchanté Où l’amour d’une sœur recueillit sa misère ; Du sein de l’immortalité, Poète, il fit des vœux pour, les enfants d’Homère !… Le vaisseau cependant voguait sur l’onde amère. Oui des deux a-t-il écouté ?…

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    Casimir Delavigne

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    Le voyageur Tu nous rends nos derniers signaux; Le long du bord le câble crie; L’ancre s’élève et sort des eaux; La voile s’ouvre; adieu, patrie! Des flots l’un par l’autre heurtés Je vois fuir les cimes mouvantes, Comme les flocons argentés Des toisons sur nos monts errantes. << Je vois se dérouler les noeuds Qui mesurent l’humide plaine, Et je vogue, averti par eux Que loin de toi le vent m’entraîne. << Doux pays, bois sacrés, beaux lieux, Je pars, et pour toujours peut-être! >> Disait un grec dans ses adieux À Cypre qui l’avait vu naître; << Sur vos rives la liberté, Ainsi que la gloire, est proscrite; Je pars, je les suis, et je quitte Le beau ciel qu’elles ont quitté. >> Il chercha la liberté sainte D’Agrigente aux vallons d’Enna; Sa flamme antique y semble éteinte, Comme les flammes de l’Etna. A Naple, il trouva son idole Qui tremblait un glaive à la main; Il vit Rome, et pas un Romain Sur les débris du capitole! O Venise, il vit tes guerriers; Mais ils ont perdu leur audace Plus vite que tes gondoliers N’ont oublié les vers du Tasse. Il chercha sous le ciel du nord Pour les Grecs un autre Alexandre… Ah! Dit-il, le Phénix est mort, Et ne renaît plus de sa cendre! A Vienne, il apprit dans les rangs Des oppresseurs de l’Ausonie Que le succès change en tyrans Les vainqueurs de la tyrannie. Il trouva les Anglais trop fiers; Albion se dit magnanime; Des noirs elle a brisé les fers, Et ce sont les blancs qu’elle opprime; Il parcourt Londre, en y cherchant Cet homme, l’effroi de la terre, Dont la splendeur à son couchant Pour tombeau choisit l’Angleterre. Mais elle a craint ce prisonnier, Et, reculant devant sa gloire, A mis l’océan tout entier Entre un seul homme et la victoire. Sur toi, Cadix, il vient pleurer; Nos soldats couvraient ton rivage; Il vient, maudissant leur courage; Il part, de peur de l’admirer. Paris l’appelle; au seuil d’un temple Le Grec, dans nos murs arrêté, Sur l’autel voit la liberté… Mais c’est un marbre qu’il contemple, Semblable à ces dieux inconnus, À ces images immortelles Dont les formes sont encor belles, Dont la divinité n’est plus. Pour revoir son île chérie, Il franchit les flots écumans; Mais le courroux des Musulmans Avait passé sur sa patrie. Des débris en couvraient les bords, Et de leur cendre amoncelée Les vautours, prenant leur volée, Emportaient les lambeaux des morts. Il dit, s’élançant dans l’abîme: << Les peuples sont nés pour souffrir; Noir océan, prends ta victime, S’il faut être esclave ou mourir! >> Ainsi l’alcyon, moins timide, Part et se croit libre en quittant La rive où sa mère l’attend Dans le nid qu’il a laissé vide. Il voltige autour des palais, Orgueil de la cité prochaine, Et voit ses frères qu’on enchaîne, Se débattre dans des filets. Il voit le rossignol, qui chante Les amours et la liberté, Puni par la captivité Des doux sons de sa voix touchanté. De l’Olympe il voit l’aigle altier Briser, pour sortir d’esclavage, Son front royal et prisonnier Contre les barreaux de sa cage. Vers sa mère il revient tremblant, Et l’appelle en vain sur la rive, Où flotte le duvet sanglant De quelque plume fugitive. L’oiseau reconnait ces débris; Il suit le flot qui les emporte, Rase l’onde en poussant des cris, Plonge et meurt… Où sa mère est morte.

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    Casimir Delavigne

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    Les funérailles du général Foy À la France Rome, villa Paolina. Non, tu ne connais pas encore Ce sentiment d’ivresse et de mélancolie Qu’inspire d’un beau jour la splendeur affaiblie. Toi qui n’as pas vu les flots d’or, Où nage à son couchant un soleil d’Italie, Inonder du Forum l’enceinte ensevelie Et le temple détruit de Jupiter Stator ! Non, tu ne connais pas l’irrésistible empire Des beautés qu’il déploie au moment qu’il expire, Si tes yeux n’ont pas vu son déclin vif et pur, Qui s’éteint par degrés sur Albane et Tibur, Verser les derniers feux d’une ardeur épuisée A travers le brillant azur Des portiques du Colisée ! Sur le mont Janicule et ses pins toujours verts, Tu meurs, mais dans ta gloire ; on t’admire, on te chante ; Tu meurs, divin soleil, au milieu des concerts De cette Rome plus touchante Qui pleure ta clarté ravie à ses déserts. Du trône tu descends comme elle ; Jadis ses monuments t’égalaient en splendeur : D’une reine déchue amant toujours fidèle, Que ta lumière est triste et belle Sur les débris de sa grandeur ! Tes rayons amortis, que le regard supporte, Palissent en les éclairant, Soleil, et ton éclat mourant S’unit mieux à leur beauté morte. Ainsi l’on voit s’éteindre, environné d’hommages, Le talent inspiré, qui, pur et sans nuages, N’a brillé que par la vertu. Ainsi nous l’admirons, ainsi nos larmes coulent, Au milieu des débris de nos lois qui s’écroulent Comme un monument abattu ; Et l’éclat plus sacré de ce flambeau qui tombe Répand les derniers feux dont il est embrasé Sur le temple détruit et sur l’autel brisé De la Liberté qui succombe. Dans sa splendeur enseveli, Glorieux et pleuré par la reconnaissance, Ainsi mourut celui qui vengea notre France. Ces traits éloquents ont pâli Qui de l’âme élancés pénétraient jusqu’à l’âme ; Il s’est ouvert ce cœur, il vient de se briser, Trop plein pour contenir la généreuse flamme Qu’il répandait sans l’épuiser. La patrie, à l’aspect d’une cendre si chère, A senti s’émouvoir ses entrailles de mère. Ah ! qu’elle pleure, elle a droit de pleurer : Pour la défendre encore il déposa ses armes. Elle s’honore en voulant l’honorer. A le nommer son fils qu’elle trouve de charmes ! Fière de sa douleur, plus belle de son deuil, A qui voudra les voir qu !elle montre ses larmes : Car il est des enfants qu’on pleure avec orgueil. Rome, tes yeux sont morts à ces larmes sacrées Dont on fait gloire en les versant ; Les cendres de tes fils ne sont plus honorées Par ce tribut reconnaissant. En vain leurs nobles cœurs battaient pour la patrie. Dans ton abaissement en vain ils t’ont chérie ; Ces murs, dont Michel-Ange a jeté dans les cieux Le dôme audacieux, Réservent leurs honneurs à la puissance morte : Pour elle des concerts, des fleurs et des flambeaux. Et des bronzes menteurs penchés sur des tombeaux ; Mais pour la vertu, que t’importe ? Ainsi, courbé sous l’or du sceptre pastoral, Ton peuple grave et fier, que ce mépris offense, Laisse tomber son bras levé pour ta défense. Il fléchit sous des rois, lui qui n’eut point d’égal Quand la gloire était ton idole ; Et l’herbe a désuni le pavé triomphal Qui conduisait au Capitole. En passant sur la terre où dorment tes héros, Par les mugissements de sa voix importune Le bœuf pesant d’Ostie insulte à leur repos, Ou, symbole vivant de ta triste fortune, Endormi sous le joug du char qu’il a traîné, Courbe sa corne noire et son front enchaîné A la place où fut la tribune. Et c’est là qu’autrefois les publiques douleurs Paraient l’urne des morts de gazons et de fleurs ! Vous le savez, race guerrière, O vous ossements oubliés, Muets débris, noble poussière, Que je sens tressaillir sous les touffes de lierre De ces tombeaux qu’on foule aux pieds ! Vous le savez, vous tous qui, pour vos-funérailles, Avez vu Rome en deuil sortir de ses murailles ! Ah ! s’il a pu cesser, ce culte glorieux Qu’on rendait au courage, à la sainte éloquence, Levez-vous, il renaît ; Romains, ouvrez les yeux, Ne regardez pas Rome, et regardez la France. Il fut orateur et guerrier, Celui que la France attendrie » Couronne d’un double laurier ! Entendez-vous ces mots : « Valeur, Talent, Patrie ? » Entendez-vous ce cri d’une éloquente voix : « Ses enfants sont ceux de la France ! » Ce cri, qui d’un seul cœur s’élance, Semble de tous les cœurs s’élever à la fois… Orateurs, répondez : jamais plus digne hommage Honora-t-il un père en sa postérité, Et jamais votre pauvreté Laissa-t-elle à vos fils un plus riche héritage ? Et vous aussi, guerriers, levez-vous : contemplez De nos vieux étendards les vengeurs mutilés ! Ces Romains qui suivaient vos pompes funéraires Par des exploits plus grands s’étaient-ils signalés Autour des faisceaux consulaires ? Les travaux, les hivers et l’ardeur des étés Avaient-ils sur leur, front mieux gravé leurs services, Et leurs pleurs en coulant se sont-ils arrêtés Dans de plus nobles cicatrices ? Non, guerriers, non, jamais, mânes victorieux, Jamais, fiers défenseurs des libertés publiques, Rome ne se couvrit, pour vos vertus antiques, D’un deuil plus unanime et plus religieux. Non, non, sur vos tombeaux, Rome, la vieille Rome, N’offrit pas dans sa gloire un spectacle plus grand Que ce concours sacré d’un peuple entier pleurant, Pleurant la perte d’un seul homme ! Reçois, ô mon pays, ce tribut mérité ! France, de quel orgueil mon cœur a palpité En l’adressant ces vers sous les ombrages sombres Qui couronnent le Célius, Au pied du Palatin, devant les grandes ombres Des Camille et des Tullius ! Et toi, qu’on vent flétrir, jeunesse ardente et pure, De guerriers, d’orateurs, toi, généreux essaim, Qui sens fermenter dans ton sein Les germes dévorants de ta gloire future, Penché sur le cercueil que tes bras ont porté, De ta reconnaissance offre l’exemple au monde : Honorer la vertu, c’est la rendre féconde, Et la vertu produit la liberté. Prépare son triomphe en lui restant fidèle. Des préjugés vieillis les autels sont usés ; Il faut un nouveau culte à cette ardeur nouvelle Dont les esprits sont embrasés. Vainement contre lui l’ignorance conspire. Que celle liberté qui règne par les lois Soit, la religion des peuples et des rois. Pour la mieux consacrer on devait la proscrire ; Sa palme, qui renaît, croît sous les coups mortels ; Elle eut son fanatisme, elle touche au martyre, Un jour elle aura ses autels. Le verrai-je, ce jour, où sans intolérance Son culte relevé protégera la France ? O champs de Pressagni, fleuve heureux, doux coteaux, Alors, peut-être, alors mon humble sépulture Se cachera sous les rameaux Où souvent, quand mes pas erraient à l’aventure, Mes vers inachevés ont mêlé leur murmure Au bruit de la rame et des eaux. Mais si le Temps m’épargne et si la Mort m’oublie, Mes mains, mes froides mains par de nouveaux concerts Sauront la rajeunir, cette lyre vieillie ; Dans mon cœur épuisé je trouverai des vers, Des sons dans ma voix affaiblie ; Et cette liberté, que je chantai toujours, Redemandant un hymne à ma veine glacée, Aura ma dernière pensée Comme elle eut mes premiers amours.

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    Casimir Delavigne

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    Les limbes Comme un vain rêve du matin, Un parfum vague, un bruit lointain, C’est je ne sais quoi d’incertain Que cet empire ; Lieux qu’à peine vient éclairer Un jour qui, sans rien colorer, À chaque instant près d’expirer, Jamais n’expire. Partout cette demi-clarté Dont la morne tranquillité Suit un crépuscule d’été, Ou de l’aurore, Fait pressentir que le retour Va poindre au céleste séjour, Quand la nuit n’est plus, quand le jour N’est pas encore ! Ce ciel terne, où manque un soleil, N’est jamais bleu, jamais vermeil ; Jamais brisé, dans ce sommeil De la nature, N’agita d’un frémissement La torpeur de ce lac dormant, Dont l’eau n’a point de mouvement, Point de murmure. L’air n’entr’ouvre sous sa tiédeur Que fleurs qui, presque sans odeur, Comme les lis ont la candeur De l’innocence ; Sur leur sein pâle et sans reflets Languissent des oiseaux muets : Dans le ciel, l’onde et les forêts, Tout est silence. Loin de Dieu, là, sont renfermés Les milliers d’êtres tant aimés, Qu’en ces bosquets inanimés La tombe envoie. Le calme d’un vague loisir, Sans regret comme sans désir, Sans peine comme sans plaisir, C’est là leur joie. Là, ni veille ni lendemain ! Ils n’ont sur un bonheur prochain, Sur celui qu’on rappelle en vain, Rien à se dire. Leurs sanglots ne troublent jamais De l’air l’inaltérable paix ; Mais aussi leur rire jamais N’est qu’un sourire. Sur leurs doux traits que de pâleur ! Adieu cette fraîche couleur Qui de baiser leur joue en fleur Donnait l’envie ! De leurs yeux, qui charment d’abord, Mais dont aucun éclair ne sort, Le morne éclat n’est pas la mort, N’est pas la vie. Rien de bruyant, rien d’agité Dans leur triste félicité ! Ils se couronnent sans gaîté De fleurs nouvelles. Ils se parlent, mais c’est tout bas ; Ils marchent, mais c’est pas à pas ; Ils volent, mais on n’entend pas Battre leurs ailes. Parmi tout ce peuple charmant, Qui se meut si nonchalamment, Qui fait sous son balancement Plier les branches, Quelle est cette ombre aux blonds cheveux, Au regard timide, aux yeux bleus, Qui ne mêle pas à leurs jeux Ses ailes blanches ? Elle arrive, et, fantôme ailé, Elle n’a pas encor volé ; L’effroi dont son cœur est troublé, J’en vois la cause : N’est-ce pas celui que ressent La colombe qui, s’avançant Pour essayer son vol naissant, Voudrait et n’ose ? Non ; dans ses yeux roulent des pleurs. Belle enfant, calme tes douleurs ; Là sont des fruits, là sont des fleurs Dont tu disposes. Laisse-toi tenter, et, crois-moi, Cueille ces roses sans effroi ; Car, bien que pâles comme toi, Ce sont des roses. Triomphe en tenant à deux mains Ta robe pleine de jasmins ; Et puis, courant par les chemins, Va les répandre. Viens, tu prendras en le guettant L’oiseau qui, sans but voletant, N’aime ni ne chante, et partant Se laisse prendre. Avec ces enfants tu joûras ; Viens, ils tendent vers toi les bras ; On danse tristement là-bas, Mais on y danse. Pourquoi penser, pleurer ainsi ? Aucun enfant ne pleure ici, Ombre rêveuse ; mais aussi Aucun ne pense. Dieu permet-il qu’un souvenir Laisse ton cœur entretenir D’un bien qui ne peut revenir L’idée amère ? « Oui, je me souviens du passé Du berceau vide où j’ai laissé Mon rêve à peine commencé, Et de ma mère. »

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    Casimir Delavigne

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    Les troyennes Aux bords du Simoïs, les Troyennes captives Ensemble rappelaient, par des hymnes pieux, De leurs félicités les heures fugitives, Et, le deuil sur le front, les larmes dans les yeux, Adressaient de leurs voix plaintives Aux restes d’Ilion ces éternels adieux : CHŒUR D’un peuple d’exilés déplorable patrie, Ton empire n’est plus, et ta gloire est flétrie. UNE TROYENNE Des rois voisins puissant recours, Que de fois Ilion s’arma pour leur défense ! D’un peuple heureux l’innombrable concours S’agitait dans les murs de cette ville immense : Ses tours bravaient des ans les progrès destructeurs, Et, fondés par les dieux, ses temples magnifiques Touchaient de leurs voûtes antiques Au séjour de leurs fondateurs. UNE TROYENNE Cinquante fils, l’honneur de Troie, Assis au banquet paternel, Environnaient Priam de splendeur et de joie ; Heureux père, il croyait son bonheur éternel ! UNE AUTRE Royal espoir de ta famille, Hector, tu prends le bouclier, Sur ton sein la cuirasse brille, Le fer couvre ton front guerrier. Aux yeux d’Hécube, qui frissonne, Dans les jeux obtiens la couronne, Pour en couvrir ses cheveux blancs ; Du ciel allumant la colère, Déjà le crime de ton frère T’apprête des jeux plus sanglants. UNE JEUNE FILLE Polyxène disait à ses jeunes compagnes : Dépouillez ce vallon favorisé des cieux ; C’est pour nous que les fleurs naissent dans ces campagnes ; Le printemps sourit à nos jeux. Elle ne disait pas : Vous plaindrez ma misère Sur ces bords où mes jours coulent dans les honneurs ; Elle ne disait pas : Mon sang teindra la terre Où je cueille aujourd’hui des fleurs. CHŒUR D’un peuple d’exilés déplorable patrie, Ton empire n’est plus, et ta gloire est flétrie. UNE TROYENNE Sous l’azur d’un beau ciel, qui promet d’heureux jours, Quel est ce passager dont la nef couronnée, Dans un calme profond, s’avance abandonnée Au souffle des Amours ? UNE AUTRE Il apporte dans nos murailles Le carnage et les funérailles. Neptune, au fond des mers que ton trident vengeur Ouvre une tombe à l’adultère ! Et vous, dieux de l’Olympe, ordonnez au tonnerre De dévorer le ravisseur. UNE TROYENNE Mais non, le clairon sonne et le fer étincelle ; Je vois tomber les rocs, j’entends siffler les dards ; Dans les champs dévastés le sang au loin ruisselle, Les chars sont heurtés par les chars. Achille s’élance, Il vole, tout fuit, L’horreur le devance, Le trépas le suit, La crainte et la honte Sont dans tous les yeux, Hector seul affronte Achille et les dieux. UNE AUTRE Sur les restes d’Hector qu’on épanche une eau pure. Apportez des parfums, faites fumer l’encens. Autour de son bûcher, vos sourds gémissements Forment un douloureux murmure ; Ah ! gémissez, Troyens ! soldats, baignez de pleurs Une cendre si chère !… Des fleurs ! vierges, semez des fleurs ! Hector dans le tombeau précède son vieux père. CHŒUR Des fleurs ! vierges, semez des fleurs ! Hector dans le tombeau précède son vieux père. UNE TROYENNE Ilion, Ilion, tu dors, et dans tes murs Pyrrhus veille enflammé d’une cruelle joie ; Tels que des loups errants par des sentiers obscurs, Les Grecs viennent saisir leur proie. UNE AUTRE Hélas ! demain à son retour Le soleil pour Argos ramènera le jour ; Mais il ne luira plus pour Troie. UNE TROYENNE 0 détestable nuit ! ô perfide sommeil ! D’où vient qu’autour de moi brille une clarté sombre ? Quels affreux hurlements se prolongent dans l’ombre ? Quel épouvantable réveil ! UNE JEUNE TROYENNE Sthénélus massacre mon frère. UNE JEUNE TROYENNE Ajax poursuit ma sœur dans les bras de ma mère. UNE AUTRE Ulysse foule aux pieds mon père. UNE TROYENNE Nos palais sont détruits, nos temples ravagés ; Femmes, enfants, vieillards, sous le fer tout succombe, Par un même trépas dans une même tombe Tous les citoyens sont plongés. UNE AUTRE Adieu, champs où fut Troie ; adieu, terre chérie, Et vous, mânes sacrés des héros et des rois, Doux sommets de l’Ida, beau ciel de la patrie, Adieu pour la dernière fois ! UNE TROYENNE Un jour, en parcourant la plage solitaire, Des forêts le tigre indompté Souillera de ses pas l’auguste sanctuaire, Séjour de la divinité. UNE TROYENNE Le pâtre de l’Ida, seul près d’un vieux portique, Sous les rameaux sanglants du laurier domestique, Où l’ombre de Priam semble gémir encor, Cherchera des cités l’antique souveraine, Tandis que le bélier bondira dans la plaine Sur le tombeau d’Hector. UNE AUTRE Et nous, tristes débris, battus par les tempêtes, La mer nous jettera sur quelque bord lointain. UNE AUTRE Des vainqueurs nous verrons les fêtes, Nous dresserons aux Grecs la table du festin. Leurs épouses riront de notre obéissance ; Et dans les coupes d’or où buvaient nos aïeux, Debout, nous verserons aux convives joyeux Le vin, l’ivresse et l’arrogance. UNE TROYENNE Chantez cette Ilion proscrite par les dieux ; Chantez, nous diront-ils, misérables captives, Et que l’hymne troyen retentisse en ces lieux. 0 fleuves d’Ilion, nous chantions sur vos rives, Quand des murs de Priam les nombreux citoyens, Enrichis dans la paix, triomphaient dans la guerre ; Mais les hymnes troyens Ne retentiront plus sur la rive étrangère ! UNE AUTRE Si tu veux entendre nos chants, Rends-nous, peuple cruel, nos époux et nos pères, Nos enfants et nos frères ! Fais sortir Ilion de ses débris fumants ! Mais puisque nul effort aujourd’hui ne peut rendre La splendeur à Pergame en cendre, La vie aux guerriers phrygiens, Sans cesse nous voulons pleurer notre misère, Et les hymnes troyens Ne retentiront pas sur la rive étrangère. CHŒUR Adieu, mânes sacrés des héros et des rois ! Adieu, terre chérie ! Doux sommet de l’Ida, beau ciel de la patrie, Vous entendez nos chants pour la dernière fois !

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    Casimir Delavigne

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    L’âme du Purgatoire Venise Mon bien-aimé, dans mes douleurs, Je viens de la cité des pleurs, Pour vous demander des prières. Vous me disiez, penché vers moi : « Si je vis, je prîrai pour toi. » Voilà vos paroles dernières. Hélas ! hélas ! Depuis que j’ai quitté vos bras. Jamais je n’entends vos prières. Hélas ! hélas ! J’écoute, et vous ne priez pas. « Puisse au Lido ton âme errer, » Disiez-vous, « pour me voir pleurer ! » Elle s’envola sans alarme. Ami, sur mon froid monument L’eau du ciel tomba tristement, Mais de vos yeux, pas une larme. Hélas ! hélas ! Ce Dieu qui me vit dans vos bras. Que votre douleur le désarme ! Moi seule, hélas ! Je pleure, et vous ne priez pas. Combien nos doux ravissements, Ami, me coûtent de tourments, Au fond de ces tristes demeures ! Les jours n’ont ni soir ni matin : Et l’aiguille y tourne sans fin. Sans fin, sur un cadran sans heures. Hélas ! hélas ! Vers vous, ami, levant les bras, l’attends en vain dans ces demeures. Hélas ! hélas ! J’attends, et vous ne priez pas. Quand mon crime fut consommé, Un seul regret eût désarmé Ce Dieu qui me fut si terrible. Deux fois, prête a me repentir, De la mort qui vint m’avertir Je sentis l’haleine invisible. Hélas ! hélas ! Vous étiez heureux dans mes bras. Me repentir fut impossible. Hélas ! hélas ! Je souffre, et vous ne priez pas. Souvenez-vous de la Brenta, Où la gondole s’arrêta, Pour ne repartir qu’à l’aurore ; De l’arbre qui nous a cachés, Des gazons… qui se sont penchés, Quand vous m’avez dit : « Je t’adore. » Hélas ! hélas ! La mort m’y surprit dans vos bras, Sous vos baisers tremblante encore. Hélas ! hélas ! Je brûle, et vous ne priez pas. Rendez-les-moi, ces frais jasmins, Où, sur un lit fait par vos mains, Ma tête en feu s’est reposée. Rendez-moi ce lilas en fleurs, Qui, sur nous secouant ses pleurs, Rafraîchit ma bouche embrasée. Hélas ! hélas ! Venez m’y porter dans vos bras, Pour que j’y boive la rosée. Hélas ! hélas ! J’ai soif, et vous ne priez pas. Dans votre gondole, à son tour, Une autre vous parle d’amour ; Mon portrait devait lui déplaire. Dans les flots son dépit jaloux A jeté ce doux gage, et vous, Ami, vous l’avez laissé faire. Hélas ! hélas ! Pourquoi vers vous tendre les bras ? Non, je dois souffrir et me taire. Hélas ! hélas ! C’en est fait, vous ne prîrez pas. Adieu, je ne reviendrai plus Vous lasser de cris superflus, Puisqu’à vos yeux une autre est belle. Ah ! que ses baisers vous soient doux ! Je suis morte, et souffre pour vous. Heureux d’aimer, vivez pour elle. Hélas ! hélas ! Pensez quelquefois, dans ses bras, A l’abîme où Dieu me rappelle. Hélas ! hélas ! J’y descends, ne m’y suivez pas !

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    Casimir Delavigne

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    Parthénope et l’étrangère À M. Pouqueville O femme, que veux-tu ? – Parthénope, un asile. – Quel est ton crime ? – Aucun. – Qu’as-tu fait ? – Des ingrats. – Quels sont tes ennemis ? – Ceux qu’affranchit mon bras ; Hier on m’adorait, aujourd’hui l’on m’exile. – Comment dois-tu payer mon hospitalité ? – Par des périls d’un jour et des lois éternelles. – Qui t’osera poursuivre au sein de ma cité ? – Des rois. – Quand viendront-ils ? – Demain. – De quel côté ? – De tous… Eh bien ! Pour moi tes portes s’ouvrent-elles ? – Entre ; quel est ton nom ? – Je suis la Liberté ! Recevez-la, remparts antiques, Par elle autrefois habités ; Au rang de vos divinités Recevez-la, sacrés portiques ; Levez-vous, ombres héroïques, Faites cortége à ses côtés. Beau ciel napolitain, rayonne d’allégresse ; Ô terre, enfante des soldats ; Et vous, peuples, chantez ; peuples, c’est la déesse Pour qui mourut Léonidas. Sa tête a dédaigné des ornemens futiles : Les siens sont quelques fleurs qui semblent s’entr’ouvrir ; Le sang les fit éclore au pied des thermopyles : Deux mille ans n’ont pu les flétrir. Sa couronne immortelle exhale sur sa trace Je ne sais quel parfum dont s’enivre l’audace ; Sa voix terrible et douce a des accens vainqueurs, Qui ne trouvent point de rebelle ; Ses yeux d’un saint amour font palpiter les cœurs, Et la vertu seule est plus belle. Le peuple se demande, autour d’elle arrêté, Comment elle a des rois encouru la colère. « Hélas ! Répond cette noble étrangère, Je leur ai dit la vérité. Si jamais sous mon nom l’imprudence ou la haine Ébranla leur pouvoir, que je veux contenir, Est-ce à moi d’en porter la peine ? Est-ce aux Germains à m’en punir ? « Ont-ils donc oublié, ces vaincus de la veille, Ces esclaves d’hier, aujourd’hui vos tyrans, Que leurs cris de détresse ont frappé mon oreille, Qu’auprès d’Arminius j’ai marché dans leurs rangs ? Seule, j’ai rallié leurs peuplades tremblantes ; Et, de la Germanie armant les défenseurs, J’ai creusé de mes mains, dans ses neiges sanglantes, Un lit de mort aux oppresseurs. « Vengez-moi, justes dieux qui voyez mes outrages. Puisse le souvenir de mes bienfaits passés Poursuivre ces ingrats, par l’effroi dispersés ! Puissent les fils d’Odin errans sur les nuages, Le front chargé d’orages, La nuit leur apparaître à la lueur des feux ! Et puissent les débris des légions romaines, Dont j’ai blanchi leurs plaines, Se lever devant eux ! « Que dis-je ? Rome entière est-elle ensevelie Dans la poudre de leurs sillons ? Mon pied, frappant le sein de l’antique Italie, En fait jaillir des bataillons. Rome, ne sens-tu pas, au fond de tes entrailles, S’agiter les froids ossemens Des guerriers citoyens, que tant de funérailles Ont couchés sous tes monumens ? « Génois, brisez vos fers ; la mer impatiente De vous voir secouer un indigne repos, Se gonfle avec orgueil sous la forêt flottante Où vous arborez mes drapeaux. « Veuve des Médicis, renais, noble Florence ! Préfère à ton repos tes droits que je défends ; Préfère à l’esclavage, où dorment tes enfans, Ton orageuse indépendance. « Ô fille de Neptune, ô Venise, ô cité Belle comme Vénus, et qui sortis comme elle De l’écume des flots, surpris de ta beauté, Épouvante Albion d’une splendeur nouvelle. Doge, règne en mon nom ; sénat, reconnais-moi ; Réveille-toi, Zéno ; Pisani, lève-toi : C’est la liberté qui t’appelle. » Elle dit : à sa voix s’agite un peuple entier. Dans la fournaise ardente Je vois blanchir l’acier : J’entends le fer crier Sous la lime mordante ; L’enclume au loin gémit, l’airain sonne, un guerrier Prépare à ce signal sa lance menaçante, Un autre son coursier. Le père chargé d’ans, mais jeune encor d’audace, Arme son dernier fils, le devance et prend place Au milieu des soldats. Arrêté par sa sœur qui rit de sa colère, L’enfant dit à sa mère : Je veux mourir dans les combats. Que n’auraient-ils pas fait, ceux en qui la vaillance Avait la force pour appui ? Quel homme dans la fuite eût mis son espérance, Et quel homme aurait craint pour lui Cette mort que cherchaient la vieillesse et l’enfance ? Ils s’écrièrent tous d’une commune voix : « Assis sous ton laurier que nous courons défendre, Virgile, prends ta lyre et chante nos exploits ; Jamais un oppresseur ne foulera ta cendre. » Ils partirent alors ces peuples belliqueux, Et trente jours plus tard, oppresseur et tranquille, Le germain triomphant s’enivrait avec eux Au pied du laurier de Virgile. La Liberté fuyait en détournant les yeux, Quand Parthénope la rappelle. La déesse un moment s’arrête au haut des cieux ; « Tu m’as trahie ; adieu, dit-elle, Je pars. – Quoi ! Pour toujours ? – On m’attend. – Dans quel lieu ? – En Grèce. – On y suivra tes traces fugitives. – J’aurai des défenseurs. – Là, comme sur mes rives, On peut céder au nombre. – Oui, mais on meurt ; adieu ! »

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    Casimir Delavigne

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    Trois jours de Christophe Colomb Aux Américains En quarantaine. << En Europe! en Europe!-Espérez!-Plus d’espoir? << -Trois jours, leur dit Colomb, et je vous donne un monde Et son doigt le montrait, et son oeil, pour le voir, Perçait de l’horizon l’immensité profonde. Il marche, et des trois jours le premier jour a lui; Il marche, et l’horizon recule devant lui; Il marche, et le jour baisse. Avec l’azur de l’onde L’azur d’un ciel sans borne à ses yeux se confond, Il marche, il marche encore, et toujours; et la sonde Plonge et replonge en vain dans une mer sans fond. Le pilote en silence, appuyé tristement Sur la barre qui crie au milieu des ténèbres, Écoute du roulis le sourd mugissement, Et des mâts fatigués les craquements funèbres. Les astres de l’Europe ont disparu des cieux; L’ardente croix du Sud épouvante ses yeux. Enfin l’aube attendue, et trop lente à paraître, Blanchit le pavillon de sa douce clarté: << Colomb, voici le jour! le jour vient de renaître! << -Le jour! et que vois-tu?-Je vois l’immensité. >> Qu’importe? il est tranquille… Ah! l’avez-vous pensé? Une main sur son coeur, si sa gloire vous tente, Comptez les battements de ce coeur oppressé, Qui s’élève et retombe, et languit dans l’attente; Ce coeur qui, tour à tour brûlant et sans chaleur, Se gonfle de plaisir, se brise de douleur; Vous comprendrez alors que durant ces journées Il vivait, pour souffrir, des siècles par moments. Vous direz : Ces trois jours dévorent des années Et sa gloire est trop chère au prix de ses tourments! Oh! qui peindra jamais cet ennui dévorant, Ces extases d’espoir, ces fureurs solitaires, D’un grand homme ignoré qui lui seul se comprend? Fou sublime, insulté par des sages vulgaires! Tu le fus, Galilée! Ah! meurs… Infortuné, A quel horrible effort n’es-tu pas condamné, Quand, pâle, et d’une voix que la douleur altère, Tu démens tes travaux, ta raison et tes sens, Le soleil qui t’écoute, et la terre, la terre, Que tu sens se mouvoir sous tes pieds frémissants! Le second jour a fui. Que fait Colomb? il dort, La fatigue l’accable, et dans l’ombre on conspire. << Périra-t-il? Aux voix : -la mort! -la mort! -la mort! << Qu’il triomphe demain, ou, parjure, il expire. >> Les ingrats! quoi! demain il aura pour tombeau Les mers où son audace ouvre un chemin nouveau. Et peut-être demain leurs flots impitoyables, Le poussant vers ces bords que cherchait son regard, Les lui feront toucher, en roulant sur les sables L’aventurier Colomb, grand homme un jour plus tard! Il rêve : comme un voile étendu sur les mers, L’horizon qui les borne à ses yeux se déchire, Et ce monde nouveau qui manque à l’univers, De ses regards ardents il l’embrasse, il l’admire. Qu’il est beau, qu’il est frais ce monde vierge encor! L’or brille sur ses fruits, ses eaux roulent de l’or. Déjà, plein d’une ivresse inconnue et profonde, Tu t’écriais, Colomb : << Cette terre est mon bien!… >> Mais une voix s’élève, elle a nommé ce monde, O douleur! et d’un nom qui n’était pas le tien! Regarde : les vois-tu, la foudre dans les mains, Vois-tu ces Espagnols altérés de carnage Effacer, en courant, du nombre des humains Le peuple désarmé qui couvre ce rivage? Vois les palais en feu, les temples s’écroulant, Le cacique étendu sur ce brasier brûlant; Vois le saint crucifix, dont un prêtre inflexible Menace les vaincus au sortir du combat, S’élever dans ses mains plus sanglant, plus terrible Que le glaive espagnol dans les mains du soldat. La terre s’est émue; elle s’ouvre; descends! Des peuples engloutis dans ses gouffres respirent, Captifs privés du jour, dont les bras languissants Tombent lassés sur l’or des rochers qu’ils déchirent; Cadavres animés, poussant des cris confus Vers ce divin soleil qu’ils ne reverront plus, S’agitant, se heurtant dans ces vapeurs impures, Pour fuir par le travail le fouet qui les poursuit, Et qu’une longue mort traîne dans les tortures De cette nuit d’horreur à l’éternelle nuit. Cet or, fruit douloureux de leur captivité, Par le crime obtenu pour enfanter le crime, Va servir d’un tyran la sombre cruauté, Et peser sur le joug des sujets qu’il opprime. Pour corrompre un ministre, enrichir un flatteur, Payer l’injuste arrêt d’un noir inquisiteur, Par cent chemins honteux du trésor d’un seul homme Il s’échappe, et, passant de bourreaux en bourreaux, Va s’engloutir enfin dans le trésor de Rome, Qui leur vend ses pardons au bord de leurs tombeaux. De l’or! tout pour de l’or! les peuples débordés, Dont ce monde éveilla l’avarice endormie, Répandent dans ses champs, de leur foule inondés. L’écume des humains que l’Europe a vomie. Toi seul l’as dévasté, ce continent désert Que tu semblais créer quand tu l’as découvert; Et des monceaux de cendre entassés sur la rive, Des gouffres souterrains où l’on meurt lentement, Des ossements blanchis, sort une voix plaintive Qui pousse vers toi seul un long gémissement. Par son rêve oppressé, Colomb, les bras tendus, De sa couche brûlante écartait cette image. Elle décroît, s’efface, et ses traits confondus Se dissipent dans l’air comme un léger nuage. Tout change : il voit au Nord un empire naissant Sortir de ces débris fécondés par le sang; Ses enfants opprimés s’arment, au cri de guerre, Du soc dont le tranchant sillonna leurs guérets, Et du fer créateur qui dans leurs mains naguère Transformait en cités de sauvages forêts. Ils ont crié victoire; ils montrent Washington, Et Colomb reconnaît le héros véritable. O vieux Cincinnatus, inflexible Caton, Votre antique vertu n’est donc pas une fable! Il a fait concevoir à nos coeurs corrompus Cette étrange grandeur qu’ils ne comprenaient plus. Un sage auprès de lui dans le conseil prend place, Et, non moins révéré sous des traits différents, Il gouverne, il découvre, et par sa double audace Ravit la foudre aux cieux et le sceptre aux tyrans. Mais pourquoi ce concours, ces transports, ces clameurs? Quel monarque ou quel dieu sur ce bord va descendre? Un guerrier citoyen foule, en versant des pleurs, Le sol républicain que jeune il vint défendre. De respect et d’amour il marche environné; Aux genoux d’un seul homme un peuple est prosterné; Mais l’hôte bien-aimé, debout sur ce rivage, Pour la liberté sainte a toujours combattu, Et le peuple incliné dont il reçoit l’hommage Ne s’est jamais courbé que devant la vertu. Oh! combien cet empire a pris un noble essor Depuis les jours sanglants de sa virile enfance! Quel avenir l’attend et se révèle encor Dans la maturité de son adolescence! Ne cherchant de lauriers que ceux qu’il doit cueillir, Incorruptible et juste, il grandit sans vieillir, Se joue avec les mers qu’il couvre de ses voiles, Et montre, en souriant, aux léopards bannis, Son pavillon, d’azur, où deux fois douze étoiles Sont l’emblème flottant de ses peuples unis. L’héroïque leçon qu’il offre aux opprimés Sous les feux du Midi produit l’indépendance; D’autres républicains, contre l’Espagne armés, En nommant Bolivar chantent leur délivrance. Tel un jeune palmier, pour féconder ses soeurs, Fleurit et livre aux vents ses parfums voyageurs; Tel ce naissant empire; et l’exemple qu’il donne Répand autour de lui comme un parfum sacré, Qui vers les bords voisins s’exhale et les couronne Des immortelles fleurs dont lui-même est paré. << O Liberté, dit-il, sors de ce doux sommeil << Qu’à l’ombre de mes lois tu goûtes sur ces rives, << Et que pour s’affranchir l’Europe à ton réveil << Secoue, en m’appelant, ses mains longtemps captives! << D’un regard de tes yeux réchauffe ces coeurs froids, << Engourdis sous un joug dont ils aiment le poids. << De tout pouvoir injuste éternelle ennemie, << Va donc, fille du ciel, va par de là les mers, << Va, toi qu’ils croyaient morte, et qui n’est qu’en)dormie, << Briser les fers rouilles de-leur vieil univers! >> Colomb se ranimait à cette noble voix. Terre! s’écria-t-on, terre! terre!… il s’éveille; Il court : oui, la voilà, c’est elle, tu la vois. La terre. … ô doux spectacle! ô transports! ô merveille! O généreux sanglots qu’il ne peut retenir! Que dira Ferdinand, l’Europe, l’avenir? Il la donne à son roi, cette terre féconde; Son roi va le payer des maux qu’il a soufferts; Des trésors, des honneurs en échange d’un monde, Un trône, ah! c’était peu!… que reçut-il? des fers.

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    Casimir Delavigne

    Casimir Delavigne

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    Tyrtée aux Grecs « Le soleil a paru : sa clarté menaçante Du fer des boucliers jaillit en longs reflets. Les guerriers sont debout, immobiles, muets ; Ils pressent de leurs dents leur lèvre frémissante. Tous, pleins d’un vague effroi qu’ils ont peine à cacher, Attendent le péril, sans pouvoir le chercher. Moment d’un siècle ! Horrible attente ! Ah ! Quand donnera-t-on le signal de marcher ? Vieillard, garde ton rang… Mais il court, il s’écrie : « Le signal est donné de vaincre ou de mourir ; Ma vie est mon seul bien, je l’offre à la patrie : Liberté, je cours te l’offrir. » Opprobre à tout guerrier dans la vigueur de l’âge, Qui s’enfuit comme un lâche en spectacle au vainqueur, Tandis que ce vieillard prodigue avec courage Un reste de vieux sang qui réchauffait son cœur ! Sous les pieds des coursiers il se dresse, il présente Sa barbe blanchissante, L’intrépide pâleur de son front irrité ; Tombe, expire ; et le fer, qu’il voit sans épouvante, De sa bouche expirante Arrache avec son ame un cri de liberté. Liberté ! Liberté ! Viens, reçois sa grande ame ! Devance nos coursiers sur tes ailes de flamme ; Viens, liberté, marchons. Aux vautours dévorans Que nos corps, si tu veux, soient jetés en pâture : Il est cent fois plus doux de rester dans tes rangs, Vaincus, morts et sans sépulture, Que de vaincre pour les tyrans. Gloire à nous ! Gloire au courage ! Gloire à nos vaillans efforts ! A nous le champ du carnage ! A nous les restes des morts ! Rapportons dans nos murailles Ceux qu’aux glaives des batailles Le dieu Mars avait promis : Citoyens, voilà vos frères ! Ils ont pour lits funéraires Les drapeaux des ennemis. Survivre à sa victoire, ô douce et noble vie ! Mourir victorieux, ô mort digne d’envie ! Il rentre sans blessure, et non pas sans lauriers, L’heureux vengeur de nos dieux domestiques. Quels bras reconnaissans ont dressé ces portiques ? Que de fleurs sur ses pas ! Que d’emblèmes guerriers ! Le peuple, aux jeux publics où ce héros préside, Se lève devant son appui ; Le vieillard lui fait place, et la vierge timide Le montre à sa compagne en murmurant : c’est lui ! Il rentre le vainqueur, mais porté sur ses armes. Est-il pour son bûcher d’appareil assez beau ? Pour le pleurer est-il assez de larmes ? Est-il marbre assez pur pour orner son tombeau ? Ses exploits sont chantés, sa mémoire est chérie ; Il monte au rang des dieux qu’adore la patrie. Elle comble d’honneurs ses mânes triomphans, Et son père, et ses fils, et sa famille entière, Et les enfans de ses enfans Dans leur postérité dernière. » Debout, la lyre en main, à l’aspect des deux camps, Ainsi chantait le vieux Tyrtée. Pour la Grèce ressuscitée Que ne puis-je aujourd’hui ressusciter ses chants ! Je vous dirais, ô grecs, ressemblez à vos pères : Soyez libres comme eux, ou mourez en héros. Jadis vous combattiez vos frères, Et vous combattez vos bourreaux. Ils viennent ! Aux clartés dont la mer se colore J’ai reconnu leurs pavillons. Quel volcan a lancé ces épais tourbillons ? Dans l’ombre de la nuit quelle effroyable aurore ! … La dernière pour toi, que la flamme dévore, Chio, tu vois tomber tes pieux monumens. Ils tombent ces palais que l’art en vain décore ; Et de ces bois en fleurs, où de tendres sermens Hier retentissaient encore, Sortent de longs gémissemens. Ouvrez les yeux, ô grecs ! O grecs, prêtez l’oreille : Vous verrez le tombeau, vous entendrez les cris De tout un peuple qui s’éveille, Poursuivi par le fer, la foudre et les débris ; Vous verrez une plage horrible, inhabitée, Où, chassé par les feux vainqueurs de ses efforts, Le flot qui se recule en roulant sur des morts, Laisse une écume ensanglantée. Vengez vos frères massacrés, Vengez vos femmes expirantes ; Les loups se sont désaltérés Dans leurs entrailles palpitantes. Vengez-les, vengez-vous ! … Ténédos ! Ténédos ! Deux esquifs à ta voix ont sillonné les flots : Tels, vomis par ton sein sur la plaine azurée, S’avançaient ces serpens hideux, Se dressant, perçant l’air de leur langue acérée, De leurs anneaux mouvans fouettant l’onde autour d’eux, Quand la triste Ilion les vit sous ses murailles, À leur triple victime attachés tous les deux, La saisir, l’enlacer de leurs flexibles nœuds, L’emprisonner dans leurs écailles. Tels et plus terribles encor, Ces deux esquifs de front fendent les mers profondes. De vos rames battez les ondes, Allez, vers ce vaisseau cinglez d’un même essor. L’incendie a glissé sous la carène ardente ; Il se dresse à la poupe, il siffle autour des flancs ; De cordage en cordage il s’élance, il serpente, Enveloppe les mâts de ses replis brûlans ; De sa langue de feu, qui s’alonge à leur cime, Saisit leurs pavillons consumés dans les airs, Et, pour la dévorer, embrassant la victime Avec ses mâts rompus, ses ponts, ses flancs ouverts, Ses foudres, ses nochers engloutis par les mers, S’enfonce en grondant dans l’abîme. Ah ! Puisses-tu toujours triompher et punir ! Ce sont mes vœux, ô Grèce, et, devançant l’histoire, Jadis l’heureux Tyrtée eût prédit ta victoire. Alors c’était le temps cher à ton souvenir, Où les amans des filles de mémoire, Comme dans le passé lisaient dans l’avenir. Mais du jour qu’infidèle à ces vierges célestes, Leur hommage adultère a cherché les tyrans, Du jour qu’ils ont changé leurs parures modestes Contre quelques lambeaux de la pourpre des grands, Qu’ils ont d’un art divin profané les miracles, En illustrant le vice, en consacrant l’erreur, À leur bouche vénale Apollon en fureur A ravi le don des oracles. Condamne-toi, ma muse, à de stériles vœux : Mais refuse tes chants aux oppresseurs heureux. Que de la vérité tes vers soient les esclaves ; De ses chastes faveurs faisons nos seuls amours ; Sans orgueil préférons toujours Une pauvreté libre à de riches entraves ; Et si quelque mortel justement respecté Entend frémir pour lui les cordes de ma lyre, Ô ma muse ! Qu’il puisse dire : « S’il ne m’admirait pas, il ne m’eût pas chanté ! »

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    Casimir Delavigne

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    Une semaine à Paris Aux Français Debout ! mânes sacrés de mes concitoyens ! Venez ; inspirez-les, ces vers où je vous chante. Debout, morts immortels, héroïques soutiens De la liberté triomphante ! Brûlant, désordonné, sans frein dans son essor, Comme un peuple en courroux qu’un même cri soulève, Que cet hymne vers vous s’élève De votre sang qui fume encor ! Quels sont donc les malheurs que ce jour nous apporte ? — Ceux que nous présageaient ses ministres et lui. — Quoi ! malgré ses serments ! — Il les rompt aujourd’hui… — Le ciel les a reçus.— Et le vent les emporte. — Mais les élus du peuple ?… — Il les a cassés tous. — Les lois qu’il doit défendre ? — Esclaves comme nous. — Et la pensée ? — Aux fers. — Et la liberté ? — Morte. — Quel était notre crime ? — En vain nous le cherchons. — Pour mettre en interdit la patrie opprimée, Son droit ? — C’est le pouvoir. — Sa raison ? — Une armée. — La nôtre est un peuple : marchons. Ils marchaient, ils couraient sans armes, Ils n’avaient pas encor frappé, On les tue ; ils criaient : Le monarque est trompé ! On les tue… ô fureur ! Pour du sang, quoi ! des larmes ! De vains cris pour du sang ! — Ils sont morts les premiers ; Vengeons-les, ou mourons. — Des armes ! — Où les prendre ? — Dans les mains de leurs meurtriers : A qui donne la mort c’est la mort qu’il faut rendre. Vengeance ! place au drapeau noir ! Passage, citoyens ! place aux débris funèbres Qui reçoivent dans les ténèbres Les serments de leur désespoir ! Porté par leurs bras nus, le cadavre s’avance. Vengeance ! tout un peuple a répété : Vengeance ! Restes inanimés, vous serez satisfaits. Le peuple vous l’a dit, et sa parole est sûre ; Ce n’est pas lui qui se parjure : Il a tenu quinze ans les serments qu’il a faits. Il s’est levé : le tocsin sonne ; Aux appels bruyants des tambours, Aux éclats de l’obus qui tonne, Vieillards, enfants, cité, faubourgs, Sous les haillons, sous l’épaulette, Armés, sans arme, unis, épars, Se roulent contre les remparts Que le fer de la baïonnette Leur oppose de toutes parts. Ils tombent ; mais dans cette ville, Où sur chaque pavé sanglant La mort enfante en immolant, Pour un qui tombe il en naît mille. Ouvrez, ouvrez encor les grilles de Saint-Cloud ! Vomissez des soldats pour nous livrer bataille. Le sabre est dans leurs mains ; dans leurs rangs, la mitraille, Mais de la Liberté l’arsenal est partout. Que nous importe, à nous, l’instrument qui nous venge ! Une foule intrépide agite en rugissant La scie aux dents d’acier, le levier, le croissant ; Sous sa main citoyenne en arme tout se change : Des foyers fastueux les marbres détachés, Les grès avec effort de la terre arrachés, Sont des boulets pour sa colère ; Et, soldats comme nous, nos femmes et nos sœurs Font pleuvoir sur les oppresseurs Cette mitraille populaire. Qu’ils aient l’ordre pour eux, le désordre est pour nous ! Désordre intelligent, qui seconde l’audace, Qui commande, obéit, marque à chacun sa place, Comme un seul nous fait agir tous, Et qui prouve à la tyrannie, En brisant son sceptre abhorré, Que par la patrie inspiré, Un peuple, comme un homme, a ses jours de génie. Quoi ! toujours sous le feu, si jeune, au premier rang ! Retenons ce martyr que trop d’ardeur enflamme. Il court, il va mourir… Relevons le mourant : O Liberté !… c’est une femme ! Quel est-il, ce guerrier suspendu dans les airs ? De son drapeau qu’il tient encore Il roule autour de lui le linceul tricolore, Et disparaît au milieu des éclairs. Viens recueillir sa dernière parole, Grande ombre de Napoléon ! C’est à toi de graver son nom Sur les piliers du nouveau pont d’Arcole. Ce soleil de juillet qu’enfin nous revoyons, Il a brillé sur la Bastille, Oui, le voilà, c’est lui ! La Liberté, sa fille, Vient de renaître à ses rayons. Luis pour nous, accomplis l’œuvre de délivrance ; Avance, mois sauveur, presse ta course, avance : Il faut trois jours à ces héros. Abrège au moins pour eux les nuits qui sont sans gloire ; Avance, ils n’auront de repos Que dans la tombe ou la victoire. Nuits lugubres ! tout meurt, lumière et mouvement. De cette obscurité muette et sépulcrale Quels bruits inattendus sortent par intervalle ? Le cliquetis du fer qui heurte pesamment Des débris entassés la barrière inégale ; Ces cris se répondant de moment en moment : Qui vive ? — Citoyens. — Garde à vous, sentinelles ! L’adieu de deux amis, dont un embrassement Vient de confondre encor les âmes fraternelles ; Les soupirs d’un blessé qui s’éteint lentement, Et sous l’arche plaintive un sourd frémissement, Quand l’onde, en tournoyant, vient refermer la tombe D’un cadavre qui tombe… Au Louvre, amis ; voici le jour ! Battez la charge ! Au Louvre ! Au Louvre ! Balayé par le plomb qui se croise et les couvre, Chacun, pour mourir à son tour, Vient remplir le rang qui s’entr’ouvre. Le bataillon grossit sous ce feu dévorant. Son chef dans la poussière en vain roule expirant, Il saisit la victime, il l’enlève, il l’emporte, Il s’élance, il triomphe, il entre… Quel tableau ! Dieu juste ! la voilà victorieuse et morte, Sur le trône de son bourreau ! Allez, volez, tombez dans la Seine écumante, D’un pouvoir parricide emblèmes abolis. Allez, chiffres brisés ; allez, pourpre fumante ; Allez, drapeaux déchus, que le meurtre a salis ! Dépouilles des vaincus, par le fleuve entraînées, Dépouilles des martyrs que je pleure aujourd’hui, Allez, et sur les flots, à Saint-Cloud, portez-lui Le bulletin des trois journées ! Victoire ! embrassons-nous. — Tu vis ! — Je te revoi ! — Le fer de l’étranger m’épargna comme toi. — Quel triomphe ! en trois jours. —Honneur à ton courage ! — Gloire au tien ! — C’est ton nom qu’on cite le premier. — N’en citons qu’un. — Lequel ? — Celui du peuple entier. Hier qu’il était brave ! aujourd’hui qu’il est sage ! — Du trépas, en mourant, un d’eux m’a préservé. — Mais ton sang coule encor.—Ma blessure est légère. — Et ton frère ? — Il n’est plus. — L’assassin de ton frère, Tu l’as puni ? — Je l’ai sauvé. Ah ! qu’on respire avec délices, Et qu’il est enivrant, l’air de la liberté ! Comment regarder sans fierté Ces murs couverts de cicatrices, Ces drapeaux qu’à l’exil redemandaient nos pleurs, Et dont nous revoyons les glorieux symboles Voltiger, s’enlacer, courber leurs trois couleurs Sur ces nobles enfants, l’orgueil de nos écoles ! Des fleurs à pleines mains, des fleurs pour ces guerriers ! Jetez-leur au hasard des couronnes civiques : Ils ne tomberont, vos lauriers, Que sur des têtes héroïques. Mais lui, que sans l’abattre ont jadis éprouvé Le despotisme et la licence, Que la vieillesse a retrouvé Ce qu’il fut dans l’adolescence, Entourons-le d’amour ! Français, Américains, De baisers et de pleurs couvrons ses vieilles mains ! La popularité, si souvent infidèle, Est fille de la terre et meurt en peu d’instants : La sienne, plus jeune et plus belle, A traversé les mers, a triomphé du temps : C’était à la vertu d’en faire une immortelle. O toi, roi citoyen, qu’il presse dans ses bras Aux cris d’un peuple entier dont les transports sont juste Tu fus mon bienfaiteur, je ne te louerai pas : Les poètes des rois sont leurs actes augustes. Que ton règne te chante, et qu’on dise après nous : Monarque, il fut sacré par la raison publique ; Sa force fut la loi ; l’honneur, sa politique ; Son droit divin, l’amour de tous. Pour toi, peuple affranchi, dont le bonheur commence, Tu peux croiser tes bras après ton œuvre immense ; Purs de tous les excès, huit jours l’ont enfanté, ils ont conquis les lois, chassé la tyrannie, Et couronné la Liberté : Peuple, repose-toi ; ta semaine est finie !

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    Casimir Delavigne

    Casimir Delavigne

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    À Napoléon De lumière et d’obscurité, De néant et de gloire étonnant assemblage, Astre fatal aux rois comme à la liberté; Au plus haut de ton cours porté par un orage, Et par un orage emporté, Toi, qui n’as rien connu, dans ton sanglant passage, D’égal à ton bonheur que ton adversité; Dieu mortel, sous tes pieds les monts courbant leurs têtes T’ouvraient un chemin triomphal; Les élémens soumis attendaient ton signal; D’une nuit pluvieuse écartant les tempêtes, Pour éclairer tes fêtes, Le soleil t’annonçait sur son char radieux; L’Europe t’admirait dans une horreur profonde, Et le son de ta voix, un signe de tes yeux, Donnaient une secousse au monde. Ton souffle du chaos faisait sortir les lois; Ton image insultait aux dépouilles des rois, Et, debout sur l’airain de leurs foudres guerrières, Entretenait le ciel du bruit de tes exploits. Les cultes renaissans, étonnés d’être frères, Sur leurs autels rivaux, qui fumaient à la fois, Pour toi confondaient leurs prières. << Conservez, disaient-ils, le vainqueur du Thabor, Conservez le vainqueur du Tibre; >> Que n’ont-ils pour ta gloire ajouté plus encor: << Dieu juste, conservez le roi d’un peuple libre! >> Tu régnerais encor si tu l’avais voulu. Fils de la Liberté, tu détrônas ta mère. Armé contre ses droits d’un pouvoir éphémère, Tu croyais l’accabler, tu l’avais résolu! Mais le tombeau creusé pour elle Dévore tôt ou tard le monarque absolu; Un tyran tombe ou meurt; seule elle est immortelle. Justice, droits, sermens, peux-tu rien respecter? D’un antique lien périsse la mémoire! L’Espagne est notre soeur de dangers et de gloire; Tu la veux pour esclave, et n’osant ajouter À ta double couronne un nouveau diadème, Sur son trône conquis ton orgueil veut jeter Un simulacre de toi-même. Mais non, tu l’espérais en vain. Ses prélats, ses guerriers l’un l’autre s’excitèrent, Les croyances du peuple à leur voix s’exaltèrent. Quels signes précurseurs d’un désastre prochain! Le beffroi, qu’ébranlait une invisible main, S’éveillait de lui-même et sonnait les alarmes; Les images des preux s’agitaient sous leurs armes; On avait vu des pleurs mouiller leurs yeux d’airain; On avait vu le sang du sauveur de la terre Des flancs du marbre ému sortir à longs ruisseaux; Les morts erraient dans l’ombre, et ces cris : guerre! guerre! S’élevaient du fond des tombeaux. Une nuit, c’était l’heure où les songes funèbres Apportent aux vivans les leçons du cercueil; Où le second Brutus vit son génie en deuil Se dresser devant lui dans l’horreur des ténèbres; Où Richard, tourmenté d’un sommeil sans repos, Vit les mânes vengeurs de sa famille entière, Rangés autour de ses drapeaux, Le maudire et crier : voilà ta nuit dernière! Napoléon veillait, seul et silencieux; La fatigue inclinait cette tête puissante Sur la carte immobile où s’attachaient ses yeux; Trois guerrières, trois soeurs parurent sous sa tente. Pauvre et sans ornemens, belle de ses hauts faits, La première semblait une vierge romaine Le front ceint d’un rameau de chêne, Elle appuyait son bras sur un drapeau français. Il rappelait un jour d’éternelle mémoire; Trois couleurs rayonnaient sur ses lambeaux sacrés Par la foudre noircis, poudreux et déchirés, Mais déchirés par la Victoire. << Je t’ai connu soldat; salut : te voilà roi. De Marengo la terrible journée Dans tes fastes, dit-elle, a pris place après moi; Salut; je suis sa soeur aînée. << Je te guidais au premier rang; Je protégeai ta course et dictai la parole Qui ranima des tiens le courage expirant, Lorsque la mort te vit si grand, Qu’elle te respecta sous les foudres d’Arcole. << Tu changeas mon drapeau contre un sceptre d’airain; Tremble, je vois pâlir ton étoile éclipsée. La force est sans appui, du jour qu’elle est sans frein. Adieu, ton règne expire et ta gloire est passée. >> La seconde unissait aux palmes des déserts Les dépouilles d’Alexandrie. Les feux dont le soleil inonde sa patrie, De ses brûlans regards allumaient les éclairs. Sa main, par la conquête armée, Dégouttante du sang des descendans d’Omar, Tenait le glaive de César Et le compas de Ptolémée. << Je t’ai connu banni; salut : te voilà roi. Du mont Thabor la brillante journée Dans tes fastes, dit-elle, a pris place après moi; Salut! Je suis sa soeur aînée. << Je te dois l’éclat immortel Du nom que je reçus aux pieds des pyramides. J’ai vu les turbans d’Ismaël Foulés au bord du Nil par tes coursiers rapides. Les arts sous ton égide avaient placé leurs fils, Quand des restes muets de Thèbe et de Memphis Ils interrogeaient la poussière; Et, si tu t’égarais dans ton vol glorieux, C’était comme l’aiglon qui se perd dans les cieux, C’était pour chercher la lumière. << Tu voulus l’étouffer sous ton sceptre d’airain; Tremble, je vois pâlir ton étoile éclipsée. La force est sans appui, du jour qu’elle est sans frein. Adieu! Ton règne expire, et ta gloire est passée. >> La dernière… O pitié, des fers chargeaient ses bras! L’oeil baissé vers la terre où chacun de ses pas Laissait une empreinte sanglante, Elle s’avançait chancelante En murmurant ces mots : meurt et ne se rend pas. Loin d’elle les trésors qui parent la conquête, Et l’appareil des drapeaux prisonniers! Mais des cyprès, beaux comme des lauriers, De leur sombre couronne environnaient sa tête. << Tu ne me connaîtras qu’en cessant d’être roi. Écoute et tremble : aucune autre journée Dans tes fastes jamais n’aura place après moi, Et je n’eus point de soeur aînée. << De vaillance et de deuil souvenir désastreux, J’affranchirai les rois que ton bras tient en laisse, Et je transporterai la chaîne qui les blesse Aux peuples qui vaincront pour eux. Les siècles douteront, en lisant ton histoire, Si tes vieux compagnons de gloire, Si ces débris vivans de tant d’exploits divers, Se sont plus illustrés par trente ans de victoire, Que par un seul jour de revers. << Je chasserai du ciel ton étoile éclipsée; Je briserai ton glaive et ton sceptre d’airain; La force est sans appui, du jour qu’elle est sans frein. Adieu! Ton règne expire, et ta gloire est passée. >> Toutes trois vers le ciel avaient repris l’essor, Et le guerrier surpris les écoutait encor; Leur souvenir pesait sur son ame oppressée; Mais aux roulemens du tambour, Cette image bientôt sortit de sa pensée, Comme l’ombre des nuits se dissipe effacée Par les premiers rayons du jour. Il crut avoir dompté les enfans de Pélage; Entraîné de nouveau par ce char vagabond Qui portait en tous lieux la guerre et l’esclavage, Passant sur son empire, il le franchit d’un bond; Et tout fumans encor, ses coursiers hors d’haleine, Que les feux du midi naguère avaient lassés, De la Bérésina, qui coulait sous sa chaîne, Buvaient déjà les flots glacés. Il dormait sur la foi de son astre infidèle, Trompé par ces flatteurs dont la voix criminelle L’avait mal conseillé. Il rêvait, en tombant, l’empire de la terre, Et ne rouvrit les yeux qu’aux éclats du tonnerre; Où s’est-il réveillé! … Seul et sur un rocher d’où sa vie importune Troublait encor les rois d’une terreur commune, Du fond de son exil encor présent partout, Grand comme son malheur, détrôné, mais debout Sur les débris de sa fortune. Laissant l’Europe vide et la victoire en deuil, Ainsi, de faute en faute et d’orage en orage, Il est venu mourir sur un dernier écueil, Où sa puissance a fait naufrage. La vaste mer murmure autour de son cercueil. Une île t’a reçu sans couronne et sans vie, Toi qu’un empire immense eut peine à contenir; Sous la tombe, où s’éteint ton royal avenir, Descend avec toi seul toute une dynastie. Et le pêcheur le soir s’y repose en chemin; Reprenant ses filets qu’avec peine il soulève Il s’éloigne à pas lents, foule ta cendre, et rêve… A ses travaux du lendemain.

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    Casimir Delavigne

    Casimir Delavigne

    @casimirDelavigne

    Épilogue A vous, puissans du monde, à vous, rois de la terre, Qui tenez dans vos mains et la paix et la guerre, À vous de décider si lassés de souffrir, Les grecs ont pris le fer pour vaincre ou pour mourir : Si du Tage au Volga, de la Tamise au Tibre, L’Europe désormais doit être esclave ou libre. Libre, elle bénira votre auguste équité ; Non qu’elle offre ses vœux à cette liberté Qui des plus saintes lois s’affranchit par le glaive, Marche sans but, sans frein, sur des débris s’élève, Triomphe dans le trouble, et, vantant ses bienfaits, Pour un abus détruit enfante cent forfaits. La sage liberté qu’elle attend, qu’elle implore, Qui préside à mes chants, que tout grand peuple adore, Par le bonheur public affermit les états ; Créant des citoyens, elle fait des soldats, Enchaîne la licence, abat la tyrannie, Des pouvoirs balancés entretient l’harmonie, Réunit les sujets sous le sceptre des rois, Rapproche tous les rangs, garantit tous les droits, Et, favorable à tous, de son ombre éternelle Couvre jusqu’aux ingrats qui conspirent contre elle ! Ainsi le chêne épais reçoit sous ses rameaux, Défend des feux du jour ces immondes troupeaux Qui, cherchant à ses pieds leur sauvage pâture, Des gazons soulevés flétrissent la verdure, Insultent vainement dans ses profonds appuis Ce tronc qui leur prodigue et son ombre et ses fruits, Et les écraserait de ses vastes ruines, S’ils pouvaient de la terre arracher ses racines.

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