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Titre : L’âme du Purgatoire

Auteur : Casimir Delavigne

Venise Mon bien-aimé, dans mes douleurs, Je viens de la cité des pleurs, Pour vous demander des prières. Vous me disiez, penché vers moi : « Si je vis, je prîrai pour toi. » Voilà vos paroles dernières. Hélas ! hélas ! Depuis que j’ai quitté vos bras. Jamais je n’entends vos prières. Hélas ! hélas ! J’écoute, et vous ne priez pas. « Puisse au Lido ton âme errer, » Disiez-vous, « pour me voir pleurer ! » Elle s’envola sans alarme. Ami, sur mon froid monument L’eau du ciel tomba tristement, Mais de vos yeux, pas une larme. Hélas ! hélas ! Ce Dieu qui me vit dans vos bras. Que votre douleur le désarme ! Moi seule, hélas ! Je pleure, et vous ne priez pas. Combien nos doux ravissements, Ami, me coûtent de tourments, Au fond de ces tristes demeures ! Les jours n’ont ni soir ni matin : Et l’aiguille y tourne sans fin. Sans fin, sur un cadran sans heures. Hélas ! hélas ! Vers vous, ami, levant les bras, l’attends en vain dans ces demeures. Hélas ! hélas ! J’attends, et vous ne priez pas. Quand mon crime fut consommé, Un seul regret eût désarmé Ce Dieu qui me fut si terrible. Deux fois, prête a me repentir, De la mort qui vint m’avertir Je sentis l’haleine invisible. Hélas ! hélas ! Vous étiez heureux dans mes bras. Me repentir fut impossible. Hélas ! hélas ! Je souffre, et vous ne priez pas. Souvenez-vous de la Brenta, Où la gondole s’arrêta, Pour ne repartir qu’à l’aurore ; De l’arbre qui nous a cachés, Des gazons… qui se sont penchés, Quand vous m’avez dit : « Je t’adore. » Hélas ! hélas ! La mort m’y surprit dans vos bras, Sous vos baisers tremblante encore. Hélas ! hélas ! Je brûle, et vous ne priez pas. Rendez-les-moi, ces frais jasmins, Où, sur un lit fait par vos mains, Ma tête en feu s’est reposée. Rendez-moi ce lilas en fleurs, Qui, sur nous secouant ses pleurs, Rafraîchit ma bouche embrasée. Hélas ! hélas ! Venez m’y porter dans vos bras, Pour que j’y boive la rosée. Hélas ! hélas ! J’ai soif, et vous ne priez pas. Dans votre gondole, à son tour, Une autre vous parle d’amour ; Mon portrait devait lui déplaire. Dans les flots son dépit jaloux A jeté ce doux gage, et vous, Ami, vous l’avez laissé faire. Hélas ! hélas ! Pourquoi vers vous tendre les bras ? Non, je dois souffrir et me taire. Hélas ! hélas ! C’en est fait, vous ne prîrez pas. Adieu, je ne reviendrai plus Vous lasser de cris superflus, Puisqu’à vos yeux une autre est belle. Ah ! que ses baisers vous soient doux ! Je suis morte, et souffre pour vous. Heureux d’aimer, vivez pour elle. Hélas ! hélas ! Pensez quelquefois, dans ses bras, A l’abîme où Dieu me rappelle. Hélas ! hélas ! J’y descends, ne m’y suivez pas !