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Titre : Les limbes

Auteur : Casimir Delavigne

Comme un vain rêve du matin, Un parfum vague, un bruit lointain, C’est je ne sais quoi d’incertain Que cet empire ; Lieux qu’à peine vient éclairer Un jour qui, sans rien colorer, À chaque instant près d’expirer, Jamais n’expire. Partout cette demi-clarté Dont la morne tranquillité Suit un crépuscule d’été, Ou de l’aurore, Fait pressentir que le retour Va poindre au céleste séjour, Quand la nuit n’est plus, quand le jour N’est pas encore ! Ce ciel terne, où manque un soleil, N’est jamais bleu, jamais vermeil ; Jamais brisé, dans ce sommeil De la nature, N’agita d’un frémissement La torpeur de ce lac dormant, Dont l’eau n’a point de mouvement, Point de murmure. L’air n’entr’ouvre sous sa tiédeur Que fleurs qui, presque sans odeur, Comme les lis ont la candeur De l’innocence ; Sur leur sein pâle et sans reflets Languissent des oiseaux muets : Dans le ciel, l’onde et les forêts, Tout est silence. Loin de Dieu, là, sont renfermés Les milliers d’êtres tant aimés, Qu’en ces bosquets inanimés La tombe envoie. Le calme d’un vague loisir, Sans regret comme sans désir, Sans peine comme sans plaisir, C’est là leur joie. Là, ni veille ni lendemain ! Ils n’ont sur un bonheur prochain, Sur celui qu’on rappelle en vain, Rien à se dire. Leurs sanglots ne troublent jamais De l’air l’inaltérable paix ; Mais aussi leur rire jamais N’est qu’un sourire. Sur leurs doux traits que de pâleur ! Adieu cette fraîche couleur Qui de baiser leur joue en fleur Donnait l’envie ! De leurs yeux, qui charment d’abord, Mais dont aucun éclair ne sort, Le morne éclat n’est pas la mort, N’est pas la vie. Rien de bruyant, rien d’agité Dans leur triste félicité ! Ils se couronnent sans gaîté De fleurs nouvelles. Ils se parlent, mais c’est tout bas ; Ils marchent, mais c’est pas à pas ; Ils volent, mais on n’entend pas Battre leurs ailes. Parmi tout ce peuple charmant, Qui se meut si nonchalamment, Qui fait sous son balancement Plier les branches, Quelle est cette ombre aux blonds cheveux, Au regard timide, aux yeux bleus, Qui ne mêle pas à leurs jeux Ses ailes blanches ? Elle arrive, et, fantôme ailé, Elle n’a pas encor volé ; L’effroi dont son cœur est troublé, J’en vois la cause : N’est-ce pas celui que ressent La colombe qui, s’avançant Pour essayer son vol naissant, Voudrait et n’ose ? Non ; dans ses yeux roulent des pleurs. Belle enfant, calme tes douleurs ; Là sont des fruits, là sont des fleurs Dont tu disposes. Laisse-toi tenter, et, crois-moi, Cueille ces roses sans effroi ; Car, bien que pâles comme toi, Ce sont des roses. Triomphe en tenant à deux mains Ta robe pleine de jasmins ; Et puis, courant par les chemins, Va les répandre. Viens, tu prendras en le guettant L’oiseau qui, sans but voletant, N’aime ni ne chante, et partant Se laisse prendre. Avec ces enfants tu joûras ; Viens, ils tendent vers toi les bras ; On danse tristement là-bas, Mais on y danse. Pourquoi penser, pleurer ainsi ? Aucun enfant ne pleure ici, Ombre rêveuse ; mais aussi Aucun ne pense. Dieu permet-il qu’un souvenir Laisse ton cœur entretenir D’un bien qui ne peut revenir L’idée amère ? « Oui, je me souviens du passé Du berceau vide où j’ai laissé Mon rêve à peine commencé, Et de ma mère. »