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Emile Verhaeren

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Émile Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d'Anvers (Belgique) le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d'expression française. Dans ses poèmes influencés par le symbolisme, où il pratique le vers libre, sa conscience sociale proche de l'anarchisme lui fait évoquer les grandes villes dont il parle avec lyrisme sur un ton d'une grande musicalité. Il a su traduire dans son œuvre la beauté de l'effort humain.

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Poésies

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    Au clos de notre amour, l’été se continue Au clos de notre amour, l’été se continue : Un paon d’or, là-bas, traverse une avenue ; Des pétales pavoisent – Perles, émeraudes, turquoises – L’uniforme sommeil des gazons verts Nos étangs bleus luisent, couverts Du baiser blanc des nénuphars de neige ; Aux quinconces, nos groseilliers font des cortèges ; Un insecte de prisme irrite un coeur de fleur ; De merveilleux sous-bois se jaspent de lueurs ; Et, comme des bulles légères, mille abeilles Sur des grappes d’argent vibrent au long des treilles. L’air est si beau qu’il paraît chatoyant ; Sous les midis profonds et radiants On dirait qu’il remue en roses de lumière ; Tandis qu’au loin, les routes coutumières Telles de lents gestes qui s’allongent vermeils, A l’horizon nacré, montent vers le soleil. Certes, la robe en diamants du bel été Ne vêt aucun jardin d’aussi pure clarté. Et c’est la joie unique éclose en nos deux âmes, Qui reconnaît sa vie en ces bouquets de flammes.

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    Au bord du quai Et qu’importe d’où sont venus ceux qui s’en vont, S’ils entendent toujours un cri profond Au carrefour des doutes ! Mon corps est lourd, mon corps est las, Je veux rester, je ne peux pas ; L’âpre univers est un tissu de routes Tramé de vent et de lumière ; Mieux vaut partir, sans aboutir, Que de s’asseoir, même vainqueur, le soir, Devant son oeuvre coutumière, Avec, en son coeur morne, une vie Qui cesse de bondir au-delà de la vie.

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    La vieille Comme des mains Coupées, Les feuilles choient sur les chemins. Les prés et les cépées. La vieille au mantelet de cotonnade, Capuchon bas jusqu'au menton, A sauts menus, sur un bâton, Trimballe aux champs sa promenade. Taupes, souris, mulots et rats Trottent et radotent après ses pas. Les troncs et les taillis se parlent ; Et les oiseaux : hérons, grèbes et harles, Font comme une bataille d'ailes Et de signes, au-devant d'elle. Sut-on jamais de quels pays elle est venue ? Des bateleurs qui s'en venaient d'ailleurs Un dimanche, sur les routes, l'ont reconnue. A-t-elle aimé les Nixes d'or? Peut-être. Mais rien n'est sûr, sinon qu'aux temps lointains, [un prêtre Exorcisa ses mains qui foudroyaient les fleurs. Depuis, elle a choisi sa retraite et son lot, Sur un coteau qui domine les plaines, D'où chacun sait qu'elle guette les clos, Par sa fenêtre à poussiéreux carreaux, Le soir, tout en mêlant les écheveaux De ses bontés ou de ses haines. Son pauvre toit, là-bas, semble un oiseau broyé. Contre les dunes par quelque vent sauvage, Et qui fouille le sable, avec toute la rage De ses pattes et de ses ailes reployées. Les feuilles choient sur les chemins Immensément de bruines trempés. Comme des mains Coupées. Qu'on l'aime ou qu'on l'exècre, elle s'en va Sur le destin réglant son pas : Elle est mystère ou certitude, Selon ses vagues attitudes Devant la joie ou le tourment ; Ceux qui voient clair, parmi les choses ignorées, Vous expliquent comment Elle serait l'âme de la contrée. Ame d'entêtement et de mélancolie. Qui se penche vers des secrets perdus Et se mire, dans les miroirs fendus Des vieilles choses abolies. Ame de soir fumeux ou de matin brumal, Ame d'amour sournois ou de haine finaude Qui s'en allant au bien, qui s'en allant au mal, Y va toujours comme en maraude. Les feuilles choient sur les chemins, Immensément de bruines trempés. Comme des mains Coupées. La vieille sait qu'on vient vers elle. Dès que le désespoir harcèle Ceux qui n'ont plus, sur terre. Qu'à mordre et qu'à ronger les os de leur misère. Aussi, quand les bises des maladies, Sur les fermes abalourdies. Soufflent, aux fentes de la porte. Et pénètrent et plus ne sortent. Encor, si les couteaux d'orages — Eclairs pâles, lueurs sauvages — Fendent, de haut en bas, l'écorce Des vieux tilleuls tuméfiés de force. Enfin la vieille sait tout ce qu'on peut. En ce monde, sans le secours de Dieu, Et comme est fort le seul silence Qui ne darde sa violence Qu'en des yeux gris, fuyants et brusques Où les regards, comme en des trous, s'embusquent. Et la vieille toujours s'en va. là-bas. Avec au-devant d'elle — ailes grandes — son ombre Et l'infini des taillis sombres ; Et belettes, mulots et rats Courent sinistres et légers, En messagers. Devant ses pas. Et foudre et vent et bourrasques dramatisées Semblent, avant d'éclore, arder dans sa pensée. Immensément, la vieille croit en elle, Comme en une chose éternelle D'accord avec les eaux, les bois, les plaines ; Les flux de sa pitié ou de sa haine Se définissent la seule cause Du va et vient des sorts et des métamorphoses. La nuit, quand des cheveux de lune Baignent, lisses et froids, les épaules des dunes. Elle s'éveille, en leur lumière bleue. Sa volonté se darde alors de lieue en lieue. Les vieux pays et leurs minuits de flamme Hallucinent, si vivement, son âme Qu'elle en devient, voyante et prophétesse Et démêle, parfois, la joie ou la tristesse Et les sombres ou lumineux présages Qui font des gestes d'encre et d'or, dans les nuages. Les feuilles choient sur les chemins Immensément de bruines trempés ; Comme des mains Coupées. Et la vieille point ne mourra. Soit une sœur, soit une fille. Avec la même mante et la même béquille. Sur les mêmes chemins continuera son pas ; Une autre voix dira Le mot de celle qui s'est tue, Car la vieille de cent ans De bourg en bourg, à travers temps, A l'infini, se perpétue.

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    La ville Tous les chemins vont vers la ville. Du fond des brumes, Là-bas, avec tous ses étages Et ses grands escaliers et leurs voyages Jusques au ciel, vers de plus hauts étages, Comme d’un rêve, elle s’exhume. Là-bas, Ce sont des ponts tressés en fer Jetés, par bonds, à travers l’air; Ce sont des blocs et des colonnes Que dominent des faces de gorgones; Ce sont des tours sur des faubourgs, Ce sont des toits et des pignons, En vols pliés, sur les maisons; C’est la ville tentaculaire, Debout, Au bout des plaines et des domaines. Des clartés rouges Qui bougent Sur des poteaux et des grands mâts, Même à midi, brûlent encor Comme des œufs monstrueux d’or, Le soleil clair ne se voit pas: Bouche qu’il est de lumière, fermée Par le charbon et la fumée, Un fleuve de naphte et de poix Bat les môles de pierre et les pontons de bois; Les sifflets crus des navires qui passent Hurlent la peur dans le brouillard: Un fanal vert est leur regard Vers l’océan et les espaces. Des quais sonnent aux entrechocs de leurs fourgons, Des tombereaux grincent comme des gonds, Des balances de fer font choir des cubes d’ombre Et les glissent soudain en des sous-sols de feu; Des ponts s’ouvrant par le milieu, Entre les mâts touffus dressent un gibet sombre Et des lettres de cuivre inscrivent l’univers, Immensément, par à travers Les toits, les corniches et les murailles, Face à face, comme en bataille. Par au-dessus, passent les cabs, filent les roues, Roulent les trains, vole l’effort, Jusqu’aux gares, dressant, telles des proues Immobiles, de mille en mille, un fronton d’or. Les rails ramifiés rampent sous terre En des tunnels et des cratères Pour reparaître en réseaux clairs d’éclairs Dans le vacarme et la poussière. C’est la ville tentaculaire. La rue – et ses remous comme des câbles Noués autour des monuments – Fuit et revient en longs enlacements; Et ses foules inextricables Les mains folles, les pas fiévreux, La haine aux yeux, Happent des dents le temps qui les devance. A l’aube, au soir, la nuit, Dans le tumulte et la querelle, ou dans l’ennui, Elles jettent vers le hasard l’âpre semence De leur labeur que l’heure emporte. Et les comptoirs mornes et noirs Et les bureaux louches et faux Et les banques battent des portes Aux coups de vent de leur démence. Dehors, une lumière ouatée, Trouble et rouge, comme un haillon qui brûle, De réverbère en réverbère se recule. La vie, avec des flots d’alcool est fermentée. Les bars ouvrent sur les trottoirs Leurs tabernacles de miroirs Où se mirent l’ivresse et la bataille; Une aveugle s’appuie à la muraille Et vend de la lumière, en des boîtes d’un sou; La débauche et la faim s’accouplent en leur trou Et le choc noir des détresses charnelles Danse et bondit à mort dans les ruelles. Et coup sur coup, le rut grandit encore Et la rage devient tempête: On s’écrase sans plus se voir, en quête Du plaisir d’or et de phosphore; Des femmes s’avancent, pâles idoles, Avec, en leurs cheveux, les sexuels symboles. L’atmosphère fuligineuse et rousse Parfois loin du soleil recule et se retrousse Et c’est alors comme un grand cri jeté Du tumulte total vers la clarté: Places, hôtels, maisons, marchés, Ronflent et s’enflamment si fort de violence Que les mourants cherchent en vain le moment de silence Qu’il faut aux yeux pour se fermer. Telle, le jour – pourtant, lorsque les soirs Sculptent le firmament, de leurs marteaux d’ébène, La ville au loin s’étale et domine la plaine Comme un nocturne et colossal espoir; Elle surgit: désir, splendeur, hantise; Sa clarté se projette en lueurs jusqu’aux cieux, Son gaz myriadaire en buissons d’or s’attise, Ses rails sont des chemins audacieux Vers le bonheur fallacieux Que la fortune et la force accompagnent; Ses murs se dessinent pareils à une armée Et ce qui vient d’elle encore de brume et de fumée Arrive en appels clairs vers les campagnes. C’est la ville tentaculaire, La pieuvre ardente et l’ossuaire Et la carcasse solennelle. Et les chemins d’ici s’en vont à l’infini Vers elle.

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    Le bazar C’est un bazar, au bout des faubourgs rouges : Étalages bondés, éventaires ventrus. Tumulte et cris brandis, gestes bourrus et crus, Et lettres d’or, qui soudain bougent, En torsades, sur la façade. Chaque matin, on vend, en ce bazar, Parmi les épices, les fards Et les drogues omnipotentes, À bon marché, pour quelques sous, Les diamants dissous De la rosée immense et éclatante. Le soir, à prix numéroté, Avec le désir noir de trafiquer de la pureté, On y brocante le soleil Que toutes les vagues de la mer claire Lavent, entre leurs doigts vermeils, Aux horizons auréolaires. C’est un bazar, avec des murs géants Et des balcons et des sous-sols béants Et des tympans montés sur des corniches Et des drapeaux et des affiches, Où deux clowns noirs plument un ange. À travers boue, à travers fange, Roulent, la nuit vers le bazar, Les chars, les camions et les fardiers, Qui s’en reviennent des usines Voisines, Des cimetières et des charniers, Avec un tel poids noir de cargaisons, Que le sol bouge et les maisons. On met au clair à certains jours, En de vaines et frivoles boutiques, Ce que l’humanité des temps antiques Croyait divinement être l’amour ; Aussi les Dieux et leur beauté Et l’effrayant aspect de leur éternité Et leurs yeux d’or et leurs mythes et leurs emblèmes Et des livres qui les blasphèment. Toutes ardeurs, tous souvenirs, toutes prières Sont là, sur des étals, et s’empoussièrent. Des mots qui renfermaient l’âme du monde Et que les prêtres seuls disaient au nom de tous, Sont charriés et ballottés, dans la faconde Des camelots et des voyous. L’immensité se serre en des armoires Dérisoires et rayonne de plaies Et le sens même de la gloire Se définit par des monnaies. Lettres jusques au ciel, lettres en or qui bouge, C’est un bazar au bout des faubourgs rouges ! La foule et ses flots noirs S’y bouscule près des comptoirs ; La foule et ses désirs multipliés, Par centaines et par milliers, Y tourne, y monte, au long des escaliers, Et s’érige folle et sauvage, En spirale, vers les étages. Là haut, c’est la pensée Immortelle, mais convulsée, Avec ses triomphes et ses surprises, Qu’à la hâte on expertise. Tous ceux dont le cerveau S’enflamme aux feux des problèmes nouveaux, Tous les chercheurs qui se fixent pour cible Le front d’airain de l’impossible Et le cassent, pour que les découvertes S’en échappent, ailes ouvertes, Sont là gauches, fiévreux, distraits, Dupes des gens qui les renient Mais utilisent leur génie, Et font argent de leurs secrets. Oh ! les Edens, là-bas, au bout du monde, Avec des arbres purs à leurs sommets, Que ces voyants des lois profondes Ont exploré pour à jamais, Sans se douter qu’ils sont les Dieux. Oh ! leur ardeur à recréer la vie, Selon la foi qu’ils ont en eux Et la douceur et la bonté de leurs grands yeux, Quand, revenus de l’inconnu Vers les hommes, d’où ils s’érigent, On leur vole ce qui leur reste aux mains De vérité conquise et de destin. C’est un bazar tout en vertiges Que bat, continûment, la foule, avec ses houles Et ses vagues d’argent et d’or ; C’est un bazar tout en décors, Avec des tours de feux et des lumières, Si large et haut que, dans la nuit, Il apparaît la bête éclatante de bruit Qui monte épouvanter le silence stellaire.

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    Le chant de l’eau L’entendez-vous, l’entendez-vous Le menu flot sur les cailloux ? Il passe et court et glisse Et doucement dédie aux branches, Qui sur son cours se penchent, Sa chanson lisse. Là-bas, Le petit bois de cornouillers Où l’on disait que Mélusine Jadis, sur un tapis de perles fines, Au clair de lune, en blancs souliers, Dansa ; Le petit bois de cornouillers Et tous ses hôtes familiers Et les putois et les fouines Et les souris et les mulots Ecoutent Loin des sentes et loin des routes Le bruit de l’eau. Aubes voilées, Vous étendez en vain, Dans les vallées, Vos tissus blêmes, La rivière, Sous vos duvets épais, dès le prime matin, Coule de pierre en pierre Et murmure quand même. Si quelquefois, pendant l’été, Elle tarit sa volupté D’être sonore et frémissante et fraîche, C’est que le dur juillet La hait Et l’accable et l’assèche. Mais néanmoins, oui, même alors En ses anses, sous les broussailles Elle tressaille Et se ranime encor, Quand la belle gardeuse d’oies Lui livre ingénument la joie Brusque et rouge de tout son corps. Oh ! les belles épousailles De l’eau lucide et de la chair, Dans le vent et dans l’air, Sur un lit transparent de mousse et de rocailles ; Et les baisers multipliés du flot Sur la nuque et le dos, Et les courbes et les anneaux De l’onduleuse chevelure Ornant les deux seins triomphaux D’une ample et flexible parure ; Et les vagues violettes ou roses Qui se brisent ou tout à coup se juxtaposent Autour des flancs, autour des reins ; Et tout là-haut le ciel divin Qui rit à la santé lumineuse des choses ! La belle fille aux cheveux roux Pose un pied clair sur les cailloux. Elle allonge le bras et la hanche et s’inclina Pour recueillir au bord, Parmi les lotiers d’or, La menthe fine ; Ou bien encor S’amuse à soulever les pierres Et provoque la fuite Droite et subite Des truites Au fil luisant de la rivière. Avec des fleurs de pourpre aux deux coins de sa bouche, Elle s’étend ensuite et rit et se recouche, Les pieds dans l’eau, mais le torse au soleil ; Et les oiseaux vifs et vermeils Volent et volent, Et l’ombre de leurs ailes Passe sur elle. Ainsi fait-elle encor A l’entour de son corps Même aux mois chauds Chanter les flots. Et ce n’est qu’en septembre Que sous les branches d’or et d’ambre, Sa nudité Ne mire plus dans l’eau sa mobile clarté, Mais c’est qu’alors sont revenues Vers notre ciel les lourdes nues Avec l’averse entre leurs plis Et que déjà la brume Du fond des prés et des taillis S’exhume. Pluie aux gouttes rondes et claires, Bulles de joie et de lumière, Le sinueux ruisseau gaiement vous fait accueil, Car tout l’automne en deuil Le jonche en vain de mousse et de feuilles tombées. Son flot rechante au long des berges recourbées, Parmi les prés, parmi les bois ; Chaque caillou que le courant remue Fait entendre sa voix menue Comme autrefois ; Et peut-être que Mélusine, Quand la lune, à minuit, répand comme à foison Sur les gazons Ses perles fines, S’éveille et lentement décroise ses pieds d’or, Et, suivant que le flot anime sa cadence, Danse encor Et danse.

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    A la Belgique Hélas, depuis les jours des suprêmes combats, Tes compagnes sont la frayeur et l’infortune ; Tu n’as plus pour pays que des lambeaux de dunes Et des plaines en feu sur l’horizon, là-bas. Anvers et Gand et Liége et Bruxelles et Bruges Te furent arrachés et gémissent au loin Sans que tes yeux encor vaillants soient leurs témoins Ni que tes bras armés encor soient leur refuge. Tu es celle en grand deuil qui vis avec la mer Pour en apprendre à résister sous les tempêtes Et tu songes et tu pleures, mais tu t’entêtes Dans la terreur et dans l’orgueil de tes revers. Tu te sens grande immensément, quoique vaincue, Tu fus loyale et claire et ferme, comme au temps Où l’honneur sous les cieux s’affirmait éclatant Où la gloire valait vraiment d’être vécue. Ton pauvre coin de sol où demeure debout, Face à l’orage, un roi avec sa foi armée, Tu le peuples encor de canons et d’armées, Pour le tenir tragiquement jusques au bout. Tu te hausses si haut que tu es solitaire Dans la gloire, dans la beauté, dans la douleur Et que chacun t’exalte et t’admire en son coeur, Comme un peuple jamais ne le fut sur la terre. Qu’importe à cet amour l’angoisse de ton sort Et qu’Ypres soit désert, et Dixmude, ruine, Et qu’aussi vide et creux qu’une sombre poitrine, S’élève au fond du soir l’immense beffroi mort. A l’heure où cette cendre est encor la Patrie Nous l’aimons à genoux avec un tel élan Que de chacun des murs saccagés et branlants, Nous baiserions la pierre éclatée et meurtrie. Et si demain l’homme allemand sournois et fou Achevait de te mordre en son étreinte blême, Douce Belgique aimée, espère et crois quand même : Ton pays mis à mort est immortel, en nous.

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    Au Nord Deux vieux marins des mers du Nord S’en revenaient, un soir d’automne, De la Sicile et de ses îles souveraines, Avec un peuple de Sirènes, A bord. Joyeux d’orgueil, ils regagnaient leur fiord, Parmi les brumes mensongères, Joyeux d’orgueil, ils regagnaient le Nord Sous un vent morne et monotone, Un soir de tristesse et d’automne. De la rive, les gens du port Les regardaient, sans faire un signe : Aux cordages le long des mâts, Les Sirènes, couvertes d’or, Tordaient, comme des vignes, Les lignes Sinueuses de leurs corps. Et les gens se taisaient, ne sachant pas Ce qui venait de l’océan, là-bas, A travers brumes ; Le navire voguait comme un panier d’argent Rempli de chair, de fruits et d’or bougeant Qui s’avançait, porté sur des ailes d’écume. Les Sirènes chantaient Dans les cordages du navire, Les bras tendus en lyres, Les seins levés comme des feux ; Les Sirènes chantaient Devant le soir houleux, Qui fauchait sur la mer les lumières diurnes ; Les Sirènes chantaient, Le corps serré autour des mâts, Mais les hommes du port, frustes et taciturnes, Ne les entendaient pas. Ils ne reconnurent ni leurs amis – Les deux marins – ni le navire de leur pays, Ni les focs, ni les voiles Dont ils avaient cousu la toile ; Ils ne comprirent rien à ce grand songe Qui enchantait la mer de ses voyages, Puisqu’il n’était pas le même mensonge Qu’on enseignait dans leur village ; Et le navire auprès du bord Passa, les alléchant vers sa merveille, Sans que personne, entre les treilles, Ne recueillît les fruits de chair et l’or.

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    Au passant d’un soir Dites, quel est le pas Des mille pas qui vont et passent Sur les grand’routes de l’espace, Dites, quel est le pas Qui doucement, un soir, devant ma porte basse S’arrêtera ? Elle est humble, ma porte, Et pauvre, ma maison. Mais ces choses n’importent. Je regarde rentrer chez moi tout l’horizon A chaque heure du jour, en ouvrant ma fenêtre ; Et la lumière et l’ombre et le vent des saisons Sont la joie et la force et l’élan de mon être. Si je n’ai plus en moi cette angoisse de Dieu Qui fit mourir les saints et les martyrs dans Rome, Mon coeur, qui n’a changé que de liens et de voeux, Eprouve en lui l’amour et l’angoisse de l’homme. Dites, quel est le pas Des mille pas qui vont et passent Sur les grand’routes de l’espace, Dites, quel est le pas Qui doucement, un soir, devant ma porte basse S’arrêtera ? Je saisirai les mains, dans mes deux mains tendues, A cet homme qui s’en viendra Du bout du monde, avec son pas ; Et devant l’ombre et ses cent flammes suspendues Là-haut, au firmament, Nous nous tairons longtemps Laissant agir le bienveillant silence Pour apaiser l’émoi et la double cadence De nos deux coeurs battants. Il n’importe d’où qu’il me vienne S’il est quelqu’un qui aime et croit Et qu’il élève et qu’il soutienne La même ardeur qui monte en moi. Alors combien tous deux nous serons émus d’être Ardents et fraternels, l’un pour l’autre, soudain, Et combien nos deux coeurs seront fiers d’être humains Et clairs et confiants sans encor se connaître ! On se dira sa vie avec le désir fou D’être sincère et d’être vrai jusqu’au fond de son âme, De confondre en un flux : erreurs, pardons et blâmes, Et de pleurer ensemble en ployant les genoux. Oh ! belle et brusque joie ! Oh ! rare et âpre ivresse ! Oh ! partage de force et d’audace et d’émoi, Oh ! regards descendus jusques au fond de soi Qui remontez chargés d’une immense tendresse, Vous unirez si bien notre double ferveur D’hommes qui, tout à coup, sont exaltés d’eux-mêmes Que vous soulèverez jusques au plan suprême Leur amour pathétique et leur total bonheur ! Et maintenant Que nous voici à la fenêtre Devant le firmament, Ayant appris à nous connaître Et nous aimant, Nous regardons, dites, avec quelle attirance, L’univers qui nous parle à travers son silence. Nous l’entendons aussi se confesser à nous Avec ses astres et ses forêts et ses montagnes Et sa brise qui va et vient par les campagnes Frôler en même temps et la rose et le houx. Nous écoutons jaser la source à travers l’herbe Et les souples rameaux chanter autour des fleurs ; Nous comprenons leur hymne et surprenons leur verbe Et notre amour s’emplit de nouvelles ardeurs. Nous nous changeons l’un l’autre, à nous sentir ensemble Vivre et brûler d’un feu intensément humain, Et dans notre être où l’avenir espère et tremble, Nous ébauchons le coeur de l’homme de demain. Dites, quel est le pas Des mille pas qui vont et passent Sur les grand’routes de l’espace, Dites, quel est le pas Qui doucement, un soir, devant ma porte S’arrêtera ?

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    Au Reichstag On m’affirmait :  » Partout où les cités de vapeurs s’enveloppent, Où l’homme dans l’effort s’exalte et se complaît, Bat le coeur fraternel d’une plus haute Europe. De la Sambre à la Ruhr, de la Ruhr à l’Oural, Et d’Allemagne en France et de France en Espagne L’ample entente disperse un grand souffle auroral Qui va de ville en plaine et de plaine en montagne. Ici le charbon fume et là-bas l’acier bout, Le travail y est sombre et la peine y est rude, Mais des tribuns sont là dont le torse est debout Et dont le verbe éclaire au front les multitudes. Aux soirs d’émeute brusque et de battant tocsin, Quand se forme et grandit la révolte brutale, Pour qu’en soient imposés les voeux et les desseins Leurs gestes fulguraux domptent les capitales. Ils maîtrisent les Parlements astucieux Grâce à leur force franche, ardente et réfractaire, Ils ont le peuple immense et rouge derrière eux Et leur grondant pouvoir est fait de son tonnerre. Leurs noms sont lumineux de pays en pays ; Dans les foyers où l’homme et la femme travaillent, Où la fille est la servante des plus petits, Leur image à deux sous s’épingle à la muraille. On les aime : ne sont-ils point simples et droits, Avec la pitié grande en leur âme profonde ? Et quand s’étend en sa totale ampleur leur voix, Ne couvre-t-elle point de sa force le monde ? «  Et l’on disait encor :  » Eux seuls tissent les rets où sera pris le sort. Qu’un roi hérisse un jour de ses armes la terre, Leur ligue contre lui arrêtera la guerre. «  Ainsi S’abolissait l’effroi, le trouble et le souci Et s’exaltait la foi dans la concorde ardente. La paix régnait déjà, normale et évidente Comme un déroulement de jours, de mois et d’ans. On se sentait heureux de vivre en un tel temps Où tout semblait meilleur au monde, où les génies Juraient de le doter d’une neuve harmonie, Où l’homme allait vers l’homme et cherchait dans ses yeux On ne sait quoi de grand qui l’égalait aux Dieux, Quand se fendit soudain, en quelle heure angoissée ! Cette tour où le rêve étageait la pensée, Ce fut en août, là-bas, au Reichstag, à Berlin, Que ceux en qui le monde avait mis sa foi folle Se turent quand sonna la mauvaise parole. Un nuage passa sur le front du destin. Eux qui l’avaient proscrite, accueillirent la guerre. La vieille mort casquée, atroce, autoritaire, Sortit de sa caserne avec son linceul blanc, Pour en traîner l’horreur sur les pays sanglants. Son ombre s’allongea sur les villes en flammes, Le monde se fit honte et tua la grande âme Qu’il se faisait avec ferveur pour qu’elle soit Un jour l’âme du Droit Devant l’audace inique et la force funeste. Aux ennemis dont tue et ravage le geste, Il fallut opposer un coeur qui les déteste ; On s’acharna ensemble à se haïr soudain, Le clair passé glissa au ténébreux demain, Tout se troublait et ne fut plus, en somme, Que fureur répandue et que rage dardée ; Au fond des bourgs et des campagnes On prenait peur d’être un vivant, Car c’est là ton crime immense, Allemagne, D’avoir tué atrocement L’idée Que se faisait pendant la paix, En notre temps, L’homme de l’homme.

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    Au temps où longuement j’avais souffert Au temps où longuement j’avais souffert, Où les heures m’étaient des pièges, Tu m’apparus l’accueillante lumière Qui luit aux fenêtres, l’hiver, Au fond des soirs, sur de la neige. Ta clarté d’âme hospitalière Frôla, sans le blesser, mon coeur, Comme une main de tranquille chaleur. Puis vint la bonne confiance, Et la franchise, et la tendresse, et l’alliance Enfin de nos deux mains amies, Un soir de claire entente et de douce accalmie. Depuis, bien que l’été ait succédé au gel, En nous-mêmes, et sous le ciel, Dont les flammes éternisées Pavoisent d’or tous les chemins de nos pensées, Et que l’amour soit devenu la fleur immense Naissant du fier désir Qui sans cesse, pour mieux encor grandir, En notre coeur se recommence Je regarde toujours la petite lumière Qui me fut douce, la première.

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    Automne Matins frileux Le temps se vêt de brume ; Le vent retrousse au cou des pigeons bleus Les plumes. La poule appelle Le pépiant fretin de ses poussins Sous l’aile. Panache au clair et glaive nu Les lansquenets des girouettes Pirouettent. L’air est rugueux et cru ; Un chat près du foyer se pelotonne ; Et tout à coup, du coin du bois résonne, Monotone et discord, L’appel tintamarrant des cors D’automne.

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    Autour de ma maison Pour vivre clair, ferme et juste, Avec mon coeur, j’admire tout Ce qui vibre, travaille et bout Dans la tendresse humaine et sur la terre auguste. L’hiver s’en va et voici mars et puis avril Et puis le prime été, joyeux et puéril. Sur la glycine en fleurs que la rosée humecte, Rouges, verts, bleus, jaunes, bistres, vermeils, Les mille insectes Bougent et butinent dans le soleil. Oh la merveille de leurs ailes qui brillent Et leur corps fin comme une aiguille Et leurs pattes et leurs antennes Et leur toilette quotidienne Sur un brin d’herbe ou de roseau ! Sont-ils précis, sont-ils agiles ! Leur corselet d’émail fragile Est plus changeant que les courants de l’eau ; Grâce à mes yeux qui les reflètent Je les sens vivre et pénétrer en moi Un peu ; Oh leurs émeutes et leurs jeux Et leurs amours et leurs émois Et leur bataille, autour des grappes violettes ! Mon coeur les suit dans leur essor vers la clarté, Brins de splendeur, miettes de beauté, Parcelles d’or et poussière de vie ! J’écarte d’eux l’embûche inassouvie : La glu, la boue et la poursuite des oiseaux Pendant des jours entiers, je défends leurs travaux ; Mon art s’éprend de leurs oeuvres parfaites ; Je contemple les riens dont leur maison est faite Leur geste utile et net, leur vol chercheur et sûr, Leur voyage dans la lumière ample et sans voile Et quand ils sont perdus quelque part, dans l’azur, Je crois qu’ils sont partis se mêler aux étoiles. Mais voici l’ombre et le soleil sur le jardin Et des guêpes vibrant là-bas, dans la lumière ; Voici les longs et clairs et sinueux chemins Bordés de lourds pavots et de roses trémières ; Aujourd’hui même, à l’heure où l’été blond s’épand Sur les gazons lustrés et les collines fauves, Chaque pétale est comme une paupière mauve Que la clarté pénètre et réchauffe en tremblant. Les moins fiers des pistils, les plus humbles des feuilles Sont d’un dessin si pur, si ferme et si nerveux Qu’en eux Tout se précipite et tout accueille L’hommage clair et amoureux des yeux. L’heure des juillets roux s’est à son tour enfuie, Et maintenant Voici le soleil calme avec la douce pluie Qui, mollement, Sans lacérer les fleurs admirables, les touchent ; Comme eux, sans les cueillir, approchons-en nos bouches Et que notre coeur croie, en baisant leur beauté Faite de tant de joie et de tant de mystère, Baiser, avec ferveur, délice et volupté, Les lèvres mêmes de la terre. Les insectes, les fleurs, les feuilles, les rameaux Tressent leur vie enveloppante et minuscule Dans mon village, autour des prés et des closeaux. Ma petite maison est prise en leurs réseaux. Souvent, l’après-midi, avant le crépuscule, De fenêtre en fenêtre, au long du pignon droit, Ils s’agitent et bruissent jusqu’à mon toit ; Souvent aussi, quand l’astre aux Occidents recule, J’entends si fort leur fièvre et leur émoi Que je me sens vivre, avec mon coeur, Comme au centre de leur ardeur. Alors les tendres fleurs et les insectes frêles M’enveloppent comme un million d’ailes Faites de vent, de pluie et de clarté. Ma maison semble un nid doucement convoité Par tout ce qui remue et vit dans la lumière. J’admire immensément la nature plénière Depuis l’arbuste nain jusqu’au géant soleil Un pétale, un pistil, un grain de blé vermeil Est pris, avec respect, entre mes doigts qui l’aiment ; Je ne distingue plus le monde de moi-même, Je suis l’ample feuillage et les rameaux flottants, Je suis le sol dont je foule les cailloux pâles Et l’herbe des fossés où soudain je m’affale Ivre et fervent, hagard, heureux et sanglotant.

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    Aux moines Moines venus vers nous des horizons gothiques, Mais dont l’âme, mais dont l’esprit meurt de demain, Qui reléguez l’amour dans vos jardins mystiques Pour l’y purifier de tout orgueil humain, Fermes, vous avancez par les routes des hommes, Les yeux hallucinés par les feux de l’enfer, Depuis les temps lointains jusqu’au jour où nous sommes, Dans les âges d’argent et les siècles de fer, Toujours du même pas sacerdotal et large. Seuls vous survivez grands au monde chrétien mort, Seuls sans ployer le dos vous en portez la charge Comme un royal cadavre au fond d’un cercueil d’or. Moines – oh! les chercheurs de chimères sublimes Vos cris d’éternité traversent les tombeaux, Votre esprit est hanté par la lueur des cimes, Vous êtes les porteurs de croix et de flambeaux Autour de l’idéal divin que l’on enterre. Oh ! les moines vaincus, altiers, silencieux, Oh ! les géants debout sur les bruits de la terre, Qui n’écoutez que le seul bruit que font les cieux Moines grandis parmi l’exil et les défaites, Moines chassés, mais dont les vêtements vermeils Illuminent la nuit du monde, et dont les têtes Passent dans la clarté des suprêmes soleils, Nous vous magnifions, nous les poètes calmes. Et puisque rien de fier n’est aujourd’hui vainqueur, Puisqu’on a rabattu vers la fange les palmes, Moines, grands isolés de pensée et de coeur, Avant que la dernière âme ne soit tuée, Mes vers vous bâtiront de mystiques autels Sous le velum errant d’une chaste nuée, Afin qu’un jour cette âme aux désirs éternels, Pensive et seule et triste au fond de la nuit blême, De votre gloire éteinte allume encor le feu, Et songe à vous encor quand le dernier blasphème Comme une épée immense aura transpercé Dieu !

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    Avec le même amour Avec le même amour que tu me fus jadis Un jardin de splendeur dont les mouvants taillis Ombraient les longs gazons et les roses dociles, Tu m’es en ces temps noirs un calme et sûr asile. Tout s’y concentre, et ta ferveur et ta clarté Et tes gestes groupant les fleurs de ta bonté, Mais tout y est serré dans une paix profonde Contre les vents aigus trouant l’hiver du monde. Mon bonheur s’y réchauffe en tes bras repliés Tes jolis mots naïfs et familiers, Chantent toujours, aussi charmants à mon oreille Qu’aux temps des lilas blancs et des rouges groseilles. Ta bonne humeur allègre et claire, oh ! je la sens Triompher jour à jour de la douleur des ans, Et tu souris toi-même aux fils d’argent qui glissent Leur onduleux réseau parmi tes cheveux lisses. Quant ta tête s’incline à mon baiser profond, Que m’importe que des rides marquent ton front Et que tes mains se sillonnent de veines dures Alors que je les tiens entre mes deux mains sûres ! Tu ne te plains jamais et tu crois fermement Que rien de vrai ne meurt quand on s’aime dûment, Et que le feu vivant dont se nourrit notre âme Consume jusqu’au deuil pour en grandir sa flamme.

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    Avec mes sens Avec mes sens, avec mon coeur et mon cerveau, Avec mon être entier tendu comme un flambeau Vers ta bonté et vers ta charité Sans cesse inassouvies, Je t’aime et te louange et je te remercie D’être venue, un jour, si simplement, Par les chemins du dévouement, Prendre, en tes mains bienfaisantes, ma vie. Depuis ce jour, Je sais, oh ! quel amour Candide et clair ainsi que la rosée Tombe de toi sur mon âme tranquillisée. Je me sens tien, par tous les liens brûlants Qui rattachent à leur brasier les flammes ; Toute ma chair, toute mon âme Monte vers toi, d’un inlassable élan ; Je ne cesse de longuement me souvenir De ta ferveur profonde et de ton charme, Si bien que, tout à coup, je sens mes yeux s’emplir, Délicieusement, d’inoubliables larmes. Et je m’en viens vers toi, heureux et recueilli, Avec le désir fier d’être à jamais celui Qui t’est et te sera la plus sûre des joies. Toute notre tendresse autour de nous flamboie ; Tout écho de mon être à ton appel répond ; L’heure est unique et d’extase solennisée Et mes doigts sont tremblants, rien qu’à frôler ton front, Comme s’ils y touchaient l’aile de tes pensées.

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    Comme aux âges naïfs Comme aux âges naïfs, je t’ai donné mon coeur, Ainsi qu’une ample fleur, Qui s’ouvre pure et belle aux heures de rosée ; Entre ses plis mouillés ma bouche s’est posée. La fleur, je la cueillis avec des doigts de flamme, Ne lui dis rien : car tous les mots sont hasardeux C’est à travers les yeux que l’âme écoute une âme. La fleur qui est mon coeur et mon aveu, Tout simplement, à tes lèvres confie Qu’elle est loyale et claire et bonne, et qu’on se fie Au vierge amour, comme un enfant se fie à Dieu. Laissons l’esprit fleurir sur les collines En de capricieux chemins de vanité, Et faisons simple accueil à la sincérité Qui tient nos deux coeurs vrais en ses mains cristallines Et rien n’est beau comme une confession d’âmes L’un à l’autre, le soir, lorsque la flamme Des incomparables diamants Brûle comme autant d’yeux Silencieux Le silence des firmaments.

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    Des fleurs fines et mousseuses comme l’écume Des fleurs fines et mousseuses comme l’écume Poussaient au bord de nos chemins Le vent tombait et l’air semblait frôler tes mains Et tes cheveux avec des plumes. L’ombre était bienveillante à nos pas réunis En leur marche, sous le feuillage ; Une chanson d’enfant nous venait d’un village Et remplissait tout l’infini. Nos étangs s’étalaient dans leur splendeur d’automne Sous la garde des longs roseaux Et le beau front des bois reflétait dans les eaux Sa haute et flexible couronne. Et tous les deux, sachant que nos coeurs formulaient Ensemble une même pensée, Nous songions que c’était notre vie apaisée Que ce beau soir nous dévoilait. Une suprême fois, tu vis le ciel en fête Se parer et nous dire adieu ; Et longtemps et longtemps tu lui donnas tes yeux Pleins jusqu’aux bords de tendresses muettes.

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    Dédié au sud-ouest Sur la bruyère longue infiniment voici le vent cornant novembre ; Sur la bruyère, infiniment, Voici le vent Qui se déchire et se démembre, En souffles lourds, battant les bourgs ; Voici le vent, Le vent sauvage de Novembre. Aux puits des fermes, Les seaux de fer et les poulies Grincent ; Aux citernes des fermes. Les seaux et les poulies Grincent et crient Toute la mort, dans leurs mélancolies. Le vent rafle, le long de l’eau, Les feuilles mortes des bouleaux, Le vent sauvage de Novembre ; Le vent mord, dans les branches, Des nids d’oiseaux ; Le vent râpe du fer Et peigne, au loin, les avalanches, Rageusement du vieil hiver, Rageusement, le vent, Le vent sauvage de Novembre.

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    En souvenir Ce soir, seul avec moi-même, je descends aux caveaux de mon cœur. Là, sous des croix, ils reposent, ceux dont j'ai vu seul et consolé les agonies, toi mon père, toi ma mère, toi ma si douce et volontaire tante qui mourus la première, voici bien des ans, en ce funèbre hiver de novembre où tant de pauvres gens sont morts au village. Toute mon enfance est restée pendue à ton cœur. Silencieuse et comme lointaine à l'existence des autres, tu m'aimais avec une maternité refoulée, avec un rêve de femme seule, mélancoliquement à part et seule. Avais-tu jamais autrement aimé ? Moi, je me confessai à toi, avant l'heure où l'on va chez les prêtres ; j'avais en une de tes poches mon épargne de gros sous ; les soirs de peur, je venais frapper à ta chambre. J'ai passé des heures — est-ce doux et déjà pâle ? — à te questionner sur mes petites amies, à te raconter mes chagrins larme à larme, à t'en-nuyer de mes pourquoi et de mes impatiences, et je me souviens qu'un jour je t'ai battue. Ce soir, seul avec moi-même, je descends aux caveaux de mon cœur. Et tes yeux me reviennent en mémoire comme de vieux joyaux ranimés soudain, doux yeux ! dont j'ai moi-même pour à tout jamais abaissé les paupières en cette heure mortuaire de cierges allumés dans la chambre aux volets clos. En ta dernière toilette, je te revois aussi : un petit bonnet blanc serrait l'ovale cireux de ton visage, tes mains étaient jointes et parmi les doigts si pâles erraient les graines d'un chapelet de la bonne mort. Parmi ce lit, si glacialement alors recouvert de grands draps, j'avais dormi, blotti et tout coi, me serrant minuscule, et je revois encore les petites étoiles au ciel en papier peint. Tu restas ainsi deux longs jours, longue avec les pieds en pointe — et moi, qui jamais jusqu'à ce jour n'avais fixé ni défunt, ni défunte, je ne te quittai qu'à l'instant de la mise en bière — oh ! les vis à travers mon âme — et quand tout fut cloué, pendant les dernières heures, avant les cloches pour toi sonnantes, l'ai-je embrassé le bois, oh ! l'ai-je embrassé, le funèbre bois chrétien de ton cercueil ! Ce soir, seul avec moi-même, je descends aux caveaux de mon cœur et m'examinant avec des pleurs et des regrets, je m'imagine : « S'il est vrai que les morts reviennent par les minuits propices, est-ce toi que je sens, douce et volontaire tante, quand la lune visiteuse s'incline, est-ce toi, cette Diane bienfaisante, telle que les légendes lointaines nous la racontent, non pas la mère, mais la tante et la vierge assise près des berceaux, patiente, tendre et sacrifiée comme la sœur d'une sœur plus heureuse ? Est-ce ta caresse, cette spirituelle lumière qui certes me vient du plus loin que la vie ? Pauvre vieille et bonne tante, dis, m'es-tu encore la pardonneuse et la consolante, suis-je toujours pour toi l'enfant, m'aimes-tu encore, toi, la plus aimée, la seule vraiment aimée en moi, quoique la déjà si morte pour tous les autres ? » Ce soir, seul avec moi-même, je descends aux caveaux de mon cœur. (Société nouvelle. 1892.)

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    Fin d’année Sous des cieux faits de filasse et de suie, D’où choit morne et longue la pluie, Voici pourrir Au vent tenace et monotone, Les ors d’automne ; Voici les ors et les pourpres mourir. O vous qui frémissiez, doucement volontaires, Là-haut, contre le ciel, tout au long du chemin, Tristes feuilles comme des mains, Vous gisez, noires, sur la terre. L’heure s’épuise à composer les jours ; L’autan comme un rôdeur, par les plaines circule ; La vie ample et sacrée, avec des regrets sourds, Sous un vague tombeau d’ombre et de crépuscule, Jusques au fond du sol se tasse et se recule. Dites, l’entendez-vous venir au son des glas, Venir du fond des infinis là-bas, La vieille et morne destinée ? Celle qui jette immensément au tas Des siècles vieux, des siècles las, Comme un sac de bois mort, l’année.

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    Heure d’automne C’est bien mon deuil, le tien, ô l’automne dernière ! Râles que roule, au vent du nord, la sapinière, Feuillaison d’or à terre et feuillaison de sang, Sur des mousses d’orée ou des mares d’étang, Pleurs des arbres, mes pleurs, mes pauvres pleurs de sang. C’est bien mon deuil, le tien, ô l’automne dernière ! Secousses de colère et rages de crinière, Buissons battus, mordus, hachés, buissons crevés, Au double bord des longs chemins, sur les pavés, Bras des buissons, mes bras, mes pauvres bras levés. C’est bien mon deuil, le tien, ô l’automne dernière ? Quelque chose, là-bas, broyé dans une ornière, Qui grince immensément ses désespoirs ardus Et qui se plaint, ainsi que des arbres tordus, Cris des lointains, mes cris, mes pauvres cris perdus.

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    L’arbre Tout seul, Que le berce l’été, que l’agite l’hiver, Que son tronc soit givré ou son branchage vert, Toujours, au long des jours de tendresse ou de haine, Il impose sa vie énorme et souveraine Aux plaines. Il voit les mêmes champs depuis cent et cent ans Et les mêmes labours et les mêmes semailles ; Les yeux aujourd’hui morts, les yeux Des aïeules et des aïeux Ont regardé, maille après maille, Se nouer son écorce et ses rudes rameaux. Il présidait tranquille et fort à leurs travaux ; Son pied velu leur ménageait un lit de mousse ; Il abritait leur sieste à l’heure de midi Et son ombre fut douce A ceux de leurs enfants qui s’aimèrent jadis. Dès le matin, dans les villages, D’après qu’il chante ou pleure, on augure du temps ; Il est dans le secret des violents nuages Et du soleil qui boude aux horizons latents ; Il est tout le passé debout sur les champs tristes, Mais quels que soient les souvenirs Qui, dans son bois, persistent, Dès que janvier vient de finir Et que la sève, en son vieux tronc, s’épanche, Avec tous ses bourgeons, avec toutes ses branches, – Lèvres folles et bras tordus – Il jette un cri immensément tendu Vers l’avenir. Alors, avec des rais de pluie et de lumière, Il frôle les bourgeons de ses feuilles premières, Il contracte ses noeuds, il lisse ses rameaux ; Il assaille le ciel, d’un front toujours plus haut ; Il projette si loin ses poreuses racines Qu’il épuise la mare et les terres voisines Et que parfois il s’arrête, comme étonné De son travail muet, profond et acharné. Mais pour s’épanouir et régner dans sa force, Ô les luttes qu’il lui fallut subir, l’hiver ! Glaives du vent à travers son écorce. Cris d’ouragan, rages de l’air, Givres pareils à quelque âpre limaille, Toute la haine et toute la bataille, Et les grêles de l’Est et les neiges du Nord, Et le gel morne et blanc dont la dent mord, jusqu’à l’aubier, l’ample écheveau des fibres, Tout lui fut mal qui tord, douleur qui vibre, Sans que jamais pourtant Un seul instant Se ralentît son énergie A fermement vouloir que sa vie élargie Fût plus belle, à chaque printemps. En octobre, quand l’or triomphe en son feuillage, Mes pas larges encore, quoique lourds et lassés, Souvent ont dirigé leur long pèlerinage Vers cet arbre d’automne et de vent traversé. Comme un géant brasier de feuilles et de flammes, Il se dressait, superbement, sous le ciel bleu, Il semblait habité par un million d’âmes Qui doucement chantaient en son branchage creux. J’allais vers lui les yeux emplis par la lumière, Je le touchais, avec mes doigts, avec mes mains, Je le sentais bouger jusqu’au fond de la terre D’après un mouvement énorme et surhumain ; Et J’appuyais sur lui ma poitrine brutale, Avec un tel amour, une telle ferveur, Que son rythme profond et sa force totale Passaient en moi et pénétraient jusqu’à mon coeur. Alors, j’étais mêlé à sa belle vie ample ; Je me sentais puissant comme un de ses rameaux ; Il se plantait, dans la splendeur, comme un exemple ; J’aimais plus ardemment le sol, les bois, les eaux, La plaine immense et nue où les nuages passent ; J’étais armé de fermeté contre le sort, Mes bras auraient voulu tenir en eux l’espace ; Mes muscles et mes nerfs rendaient léger mon corps Et je criais :  » La force est sainte. Il faut que l’homme imprime son empreinte Tranquillement, sur ses desseins hardis : Elle est celle qui tient les clefs des paradis Et dont le large poing en fait tourner les portes « . Et je baisais le tronc noueux, éperdument, Et quand le soir se détachait du firmament, je me perdais, dans la campagne morte, Marchant droit devant moi, vers n’importe où, Avec des cris jaillis du fond de mon coeur fou.

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    L’étable Et pleine d’un bétail magnifique, l’étable, A main gauche, près des fumiers étagés haut, Volets fermés, dormait d’un pesant sommeil chaud, Sous les rayons serrés d’un soleil irritable. Dans la moite chaleur de la ferme au repos, Dans la vapeur montant des fumantes litières, Les boeufs dressaient le roc de leurs croupes altières Et les vaches beuglaient très doux, les yeux mi-clos. Midi sonnant, les gars nombreux curaient les auges Et les comblaient de foins, de lavandes, de sauges, Que les bêtes broyaient d’un lourd mâchonnement ; Tandis que les doigts gourds et durcis des servantes Étiraient longuement les mamelles pendantes Et grappillaient les pis tendus, canaillement.

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    La barque Il gèle et des arbres pâlis de givre clair Montent au loin, ainsi que des faisceaux de lune ; Au ciel purifié, aucun nuage ; aucune Tache sur l’infini silencieux de l’air. Le fleuve où la lueur des astres se réfracte Semble dallé d’acier et maçonné d’argent ; Seule une barque est là, qui veille et qui attend, Les deux avirons pris dans la glace compacte. Quel ange ou quel héros les empoignant soudain Dispersera ce vaste hiver à coups de rames Et conduira la barque en un pays de flammes Vers les océans d’or des paradis lointains ? Ou bien doit-elle attendre à tout jamais son maître, Prisonnière du froid et du grand minuit blanc, Tandis que des oiseaux libres et flagellant Les vents, volent, là-haut, vers les printemps à naître ?

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    La couronne Et je voudrais aussi ma couronne d’épines Et pour chaque pensée, une, rouge, à travers Le front, jusqu’au cerveau, jusqu’aux frêles racines où se tordent les maux et les rêves forgés En moi, par moi. Je la voudrais comme une rage, Comme un buisson d’ébène en feu, comme des crins D’éclairs et de flammes, peignés de vent sauvage; Et ce seraient mes vains et mystiques désirs, Ma science d’ennui, mes tendresses battues De flagellants remords, mes chatoyants vouloirs De meurtre et de folie et mes haines têtues Qu’avec ses dards et ses griffes, elle mordrait. Et, plus intimement encor, mes anciens râles Vers des ventres, muflés de lourdes toisons d’or, Et mes vices de doigts et de lèvres claustrales Et mes derniers tressauts de nerfs et de sanglots Et, plus au fond, le rut même de ma torture, Et tout enfin ! Ô couronne de ma douleur Et de ma joie, ô couronne de dictature Debout sur mes deux yeux, ma bouche et mon cerveau O la couronne en rêve à mon front somnambule, Hallucine-moi donc de ton absurdité ; Et sacre-moi ton roi souffrant et ridicule. Emile Verhaeren, Les débâcles  

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    La crypte Égarons-nous, mon âme, en ces cryptes funestes, Où la douleur, par des crimes, se définit, Où chaque dalle, au long du mur, atteste Qu’un meurtre noir, à toute éternité, Est broyé là, sous du granit. Des pleurs y tombent sur les morts ; Des pleurs sur des corps morts Et leurs remords, Y tombent ; Des coeurs ensanglantés d’amour Se sont jadis aimés, Se sont tués, quoique s’aimant toujours, Et s’entendent, les nuits, et s’entendent, les jours, Se taire ou s’appeler, parmi ces tombes. Le vent qui passe et que l’ombre y respire, Est moite et lourd et vieux de souvenirs ; On l’écoute, le soir, l’haleine suspendue ; Et l’on surprend des effluves voler Et s’attirer et se frôler. Oh ! ces caves de marbre en sculpture tordues. La vie, au-delà de la mort encor vivante, La vie approfondie en épouvante, Perdure là, si fort, Qu’on croit sentir, dans les murailles, Avec de surhumains efforts, Battre et s’exalter encor Tous ces coeurs fous, tous ces coeurs morts, Qui ont vaincu leurs funérailles. Reposent là des maîtresses de rois Dont le caprice et le délire Ont fait se battre des empires ; Des conquérants, dont les glaives d’effroi Se brisèrent, entre des doigts de femme ; Des poètes fervents et clairs De leur ivresse et de leur flamme, Qui périrent, en chantant l’air Triste ou joyeux qu’aimait leur dame. Voici les ravageurs et les ardents Dont le baiser masquait le coup de dents ; Les fous dont le vertige aimait l’abîme Qui dépeçaient l’amour en y taillant un crime ; Les violents et les vaincus du sort Ivres de l’inconnu que leur offrait la mort ; Enfin, les princesses, les reines, Mortes – depuis quels temps et sur quels échafauds ? – Quand le peuple portait des morts, comme drapeaux, Devant ses pas rués vers la conquête humaine. Égarons-nous, mon âme, en ces cryptes de deuil, Où, sous chaque tombeau, où, dans chaque linceul, On écoute les morts si terriblement vivre. Leur désespoir superbe et leur douleur enivrent, Car, au-delà de l’agonie, ils ont planté Si fortement et si tragiquement leur volonté Que leur poussière encore est pleine Des ferments clairs de leur amour et de leur haine. Leurs passions, bien qu’aujourd’hui sans voix, S’entremordent, comme autrefois, Plus féroces depuis qu’elles se sentent Libres, dans ce palais de la clarté absente. Regard d’orgueil, regard de proie, Fondent l’un sur l’autre, sans qu’on les voie, Pour se percer et s’abîmer, en des ténèbres. Autour des vieux granits et des pierres célèbres, Parfois, un remuement de pas guerriers s’entend Et tel héros debout dans son orgueil, attend Que, sur son socle orné de combats rouges, Soudain le bronze et l’or de la bataille bougent. Tout drame y vit, les yeux hagards, le poing fermé, Et traîne, à ses côtés, le désespoir armé ; L’envie et le soupçon aux carrefours s’abouchent ; Des mots sont étouffés, par des mains, sur des bouches ; Des bras se nouent et se dénouent, ardents et las ; Dans l’ombre, on croirait voir luire un assassinat ; Mille désirs qui se lèvent et qui avortent, D’un large élan vaincu, battent toujours les portes ; L’intermittent reflet de vieux flambeaux d’airain Passe, le long des murs, en gestes surhumains ; On sent, autour de soi, les passions bandées, Sur l’arc silencieux des plus sombres idées ; Tout est muet et tout est haletant ; La nuit, la fièvre encore augmente et l’on entend Un bruit pesant sortir de terre Et se rompre les plombs et se fendre les bières ! Oh, cette vie aiguë et toute en profondeur, Si ténébreuse et si trouble, qu’elle fait peur ! Cette vie âpre, où les luttes s’accroissent A force de volonté, Jusqu’à donner l’éternité Pour mesure à son angoisse, Mon coeur, sens-tu, comme elle est effrénée En son spasme suprême et sa ferveur damnée ? Soit par pitié, soit parce qu’elle Concentre, en son ardeur, toute l’âme rebelle, Incline-toi, vers son mystère et sa terreur, Ô toi, qui veux la vie à travers tout, mon coeur ! Pèse sa crainte et suppute ses rages Et son entêtement, en ces conflits d’orages, Toujours exaspéré, jusqu’au suprême effort ; Sens les afflux de joie et les reflux de peine Passer, dans l’atmosphère, et enfiévrer la mort ; Songe à tous tes amours, songe à toutes tes haines, Et plonge-toi, sauvage et outrancier, Comme un rouge faisceau de lances, En ce terrible et fourmillant brasier De violence et de silence.

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    La cuisine Au fond, la crémaillère avait son croc pendu, Le foyer scintillait comme une rouge flaque, Et ses flammes, mordant incessamment la plaque, Y rongeaient un sujet obscène en fer fondu. Le feu s’éjouissait sous le manteau tendu Sur lui, comme l’auvent par-dessus la baraque, Dont les bibelots clairs, de bois, d’étain, de laque, Crépitaient moins aux yeux que le brasier tordu. Les rayons s’échappaient comme un jet d’émeraudes, Et, ci et là, partout, donnaient des chiquenaudes De clarté vive aux brocs de verre, aux plats d’émail, A voir sur tout relief tomber une étincelle, On eût dit – tant le feu s’émiettait par parcelle – Qu’on vannait du soleil à travers un vitrail.

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    La ferme A voir la ferme au loin monter avec ses toits, Monter, avec sa tour et ses meules en dômes Et ses greniers coiffés de tuiles et de chaumes, Avec ses pignons blancs coupés par angles droits ; A voir la ferme au loin monter dans les verdures, Reluire et s’étaler dans la splendeur des Mais, Quand l’été la chauffait de ses feux rallumés Et que les hêtres bruns l’éventaient de ramures : Si grande semblait-elle, avec ses rangs de fours, Ses granges, ses hangars, ses étables, ses cours, Ses poternes de vieux clous noirs bariolées, Son verger luisant d’herbe et grand comme un chantier, Sa masse se carrant au bout de trois allées, Qu’on eût dit le hameau tassé là, tout entier.

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    Emile Verhaeren

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    La glycine est fanée et morte est l’aubépine La glycine est fanée et morte est l’aubépine ; Mais voici la saison de la bruyère en fleur Et par ce soir si calme et doux, le vent frôleur T’apporte les parfums de la pauvre Campine. Aime et respire-les, en songeant à son sort Sa terre est nue et rêche et le vent y guerroie ; La mare y fait ses trous, le sable en fait sa proie Et le peu qu’on lui laisse, elle le donne encor. En automne, jadis, nous avons vécu d’elle, De sa plaine et ses bois, de sa pluie et son ciel, Jusqu’en décembre où les anges de la Noël Traversaient sa légende avec leurs grands coups d’aile. Ton coeur s’y fit plus sûr, plus simple et plus humain ; Nous y avons aimé les gens des vieux villages, Et les femmes qui nous parlaient de leur grand âge Et de rouets déchus qu’avaient usés leurs mains. Notre calme maison dans la lande brumeuse Etait claire aux regards et facile à l’accueil, Son toit nous était cher et sa porte et son seuil Et son âtre noirci par la tourbe fumeuse. Quand la nuit étalait sa totale splendeur Sur l’innombrable et pâle et vaste somnolence, Nous y avons reçu des leçons du silence Dont notre âme jamais n’a oublié l’ardeur. A nous sentir plus seuls dans la plaine profonde Les aubes et les soirs pénétraient plus en nous ; Nos yeux étaient plus francs, nos coeurs étaient plus doux Et remplis jusqu’aux bords de la ferveur du monde. Nous trouvions le bonheur en ne l’exigeant pas, La tristesse des jours même nous était bonne Et le peu de soleil de cette fin d’automne Nous charmait d’autant plus qu’il semblait faible et las. La glycine est fanée, et morte est l’aubépine ; Mais voici la saison de la bruyère en fleur. Ressouviens-toi, ce soir, et laisse au vent frôleur T’apporter les parfums de la pauvre Campine.

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