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Titre : A la Belgique

Auteur : Emile Verhaeren Recueil : Les ailes rouges de la guerre

Hélas, depuis les jours des suprêmes combats, Tes compagnes sont la frayeur et l’infortune ; Tu n’as plus pour pays que des lambeaux de dunes Et des plaines en feu sur l’horizon, là-bas. Anvers et Gand et Liége et Bruxelles et Bruges Te furent arrachés et gémissent au loin Sans que tes yeux encor vaillants soient leurs témoins Ni que tes bras armés encor soient leur refuge. Tu es celle en grand deuil qui vis avec la mer Pour en apprendre à résister sous les tempêtes Et tu songes et tu pleures, mais tu t’entêtes Dans la terreur et dans l’orgueil de tes revers. Tu te sens grande immensément, quoique vaincue, Tu fus loyale et claire et ferme, comme au temps Où l’honneur sous les cieux s’affirmait éclatant Où la gloire valait vraiment d’être vécue. Ton pauvre coin de sol où demeure debout, Face à l’orage, un roi avec sa foi armée, Tu le peuples encor de canons et d’armées, Pour le tenir tragiquement jusques au bout. Tu te hausses si haut que tu es solitaire Dans la gloire, dans la beauté, dans la douleur Et que chacun t’exalte et t’admire en son coeur, Comme un peuple jamais ne le fut sur la terre. Qu’importe à cet amour l’angoisse de ton sort Et qu’Ypres soit désert, et Dixmude, ruine, Et qu’aussi vide et creux qu’une sombre poitrine, S’élève au fond du soir l’immense beffroi mort. A l’heure où cette cendre est encor la Patrie Nous l’aimons à genoux avec un tel élan Que de chacun des murs saccagés et branlants, Nous baiserions la pierre éclatée et meurtrie. Et si demain l’homme allemand sournois et fou Achevait de te mordre en son étreinte blême, Douce Belgique aimée, espère et crois quand même : Ton pays mis à mort est immortel, en nous.