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Emile Verhaeren

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Émile Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d'Anvers (Belgique) le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d'expression française. Dans ses poèmes influencés par le symbolisme, où il pratique le vers libre, sa conscience sociale proche de l'anarchisme lui fait évoquer les grandes villes dont il parle avec lyrisme sur un ton d'une grande musicalité. Il a su traduire dans son œuvre la beauté de l'effort humain.

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Poésies

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    La kermesse Avec colère, avec détresse, Avec ses refrains de quadrilles, Qui sautèlent sur leurs béquilles, L’orgue canaille et lourd, Au fond du bourg, Moud la kermesse. Quelques étals, au coin des bornes, Et quelques vieilles gens, Au seuil d’un portail morne. Et quelques couples seuls qui se hasardent, Les gars braillards et les filles hagardes, Alors qu’au cimetière deux corbeaux, Sur les tombeaux, Regardent. Avec colère, avec détresse, avec blasphème, Mais, vers la fête Quand même, L’orgue s’entête. Sa musique de tintamarres Se casse, en des bagarres De cuivre vert et de fer blanc, Et crie et grince dans le vide, Obstinément, Sa note acide. Sur la place, l’église, Sous le cercueil de ses grands toits Et les linceuls de ses murs droits, Tait les reproches Solennels de ses cloches ; Un charlatan, sur un tréteau, Pantalon rouge et vert manteau, Vend à grands cris la vie ; Puis échange, contre des sous, Son remède pour loups garous Et l’histoire de point en point suivie, Sur sa pancarte, D’un bossu noir qu’il délivra de fièvre quarte. Et l’orgue rage Son quadrille sauvage. Et personne, des hameaux proches, N’est accouru ; Vides les étables — vides les poches, Et rien que la mort et la faim Dont se peuple l’armoire à pain ; Dans la misère qui les soude On sent que les hameaux se boudent, Qu’entre filles et gars d’amour La pauvreté découd les alliances Et que les jours suivant les jours Chacun des bourgs Fait son silence avec ses défiances. L’orgue grinçant et faux, Dans son armoire D’architecture ostentatoire, Criaille un bruit de faux Et de cisailles. Dans la salle de plâtre cru, Où ses cris tors et discors, dru, Contre des murs de lattes Éclatent, Des colonnes de verre et de jouants bâtons — Clinquant et or — tournent sur son fronton ; Et les concassants bruits des cors et des trompettes Et les fifres, tels des forets, Cinglent et trouent le cabaret De leurs tempêtes Et vont là-bas Contre un pignon, avec fracas, Broyer l’écho de la grand’rue. Et l’orgue avec sa rage S’ameute une dernière fois et rue Des quatre fers de son tapage Jusqu’aux lointains des champs, Jusqu’aux routes, jusqu’aux étangs, Jusqu’aux jachères de méteil, Jusqu’au soleil ; Et seuls dansent aux carrefours, Jupons gonflés et sabots lourds, Deux pauvres fous avec deux folles.

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    La mort Avec ses larges corbillards Ornés de plumes majuscules, Par les matins, dans les brouillards, La mort circule. Parée et noire et opulente, Tambours voilés, musiques lentes, Avec ses larges corbillards, Flanqués de quatre lampadaires, La Mort s’étale et s’exagère. Pareils aux nocturnes trésors, Les gros cercueils écussonnés – Larmes d’argent et blasons d’or – Ecoutent l’heure éclatante des glas Que les cloches jettent, là-bas : L’heure qui tombe, avec des bonds Et des sanglots, sur les maisons, L’heure qui meurt sur les demeures, Avec des bonds et des sanglots de plomb. Parée et noire et opulente, Au cri des orgues violentes Qui la célèbrent, La mort tout en ténèbres Règne, comme une idole assise, Sous la coupole des églises. Des feux, tordus comme des hydres, Se hérissent, autour du catafalque immense OÙ des anges, tenant des faulx et des cleps Dressent leur véhémence, Clairons dardés, vers le néant. Le vide en est grandi sous le transept béan De hautes voix d’enfants jettent vers les miséricordes Des cris tordus comme des cordes, Tandis que les vieilles murailles Montent, comme des linceuls blancs, Autour du bloc formidable et branlant De ces massives funérailles. Drapée en noir et familière, La Mort s’en va le long des rues Longues et linéaires. Drapée en noir, comme le soir, La vieille Mort agressive et bourrue S’en va par les quartiers Des boutiques et des métiers, En carrosse qui se rehausse De gros lambris exorbitants, Couleur d’usure et d’ancien temps. Drapée en noir, la Mort Cassant, entre ses mains, le sort Des gens méticuleux et réfléchis Qui s’exténuent, en leurs logis, Vainement, à faire fortune, La Mort soudaine et importune Les met en ordre dans leurs bières Comme en des cases régulières’. Et les cloches sonnent péniblement Un malheureux enterrement, Sur le défunt, que l’on trimballe, Par les églises colossales, Vers un coin d’ombre, où quelques cierg Pauvres flammes, brÛlent, devant la Vieri Vêtue en noir et besogneuse, La Mort gagne jusqu’aux faubourgs, En chariot branlant et lourd, Avec de vieilles haridelles Qu’elle flagelle Chaque matin, vers quels destins ? Vêtue en noir, La Mort enjambe le trottoir Et l’égout pâle, où se mirent les bornes, Qui vont là-bas, une à une, vers les champs mornes; Et leste et rude et dédaigneuse Gagne les escaliers et s’arrête sur les paliers OÙ l’on entend pleurer et sangloter, Derrière la porte entr’ouverte, Des gens laissant l’espoir tomber, Inerte. Et dans la pluie indéfinie, Une petite église de banlieue, Très maigrement, tinte un adieu, Sur la bière de sapin blanc Qui se rapproche, avec des gens dolents, Par les routes, silencieusement. Telle la Mort journalière et logique Qui fait son ceuvre et la marque de croix Et d’adieux mornes et de voix Criant vers l’inconnu les espoirs liturgiques. Mais d’autres fois, c’est la Mort grande et sa Avec son aile au loin ramante, Vers les villes de l’épouvante. Un ciel étrange et roux brûle la terre moite Des tours noires s’étirent droites Telles des bras, dans la terreur des cré Les nuits tombent comme épaissies, Les nuits lourdes, les nuits moisies, OÙ, dans l’air gras et la chaleur rancie, Tombereaux pleins, la Mort circule. Ample et géante comme l’ombre, Du haut en bas des maisons sombres, On l’écoute glisser, rapide et haletante. La peur du jour qui vient, la peur de toute attente, La peur de tout instant qui se décoche, Persécute les coeurs, partout, Et redresse, soudain, en leur sueur, debout Ceux qui, vers le minuit, songent au matin Les hôpitaux gonflés de maladies, Avec les yeux fiévreux de leurs fenêtres roug Regardent le ciel trouble, où rien ne bouge Ni ne répond aux détresses grandies. Les égouts roulent le poison Et les acides et les chlores, Couleur de nacre et de phosphore, Vainement tuent sa floraison. De gros bourdons résonnent Pour tout le monde, pour personne Les églises barricadent leur seuil, Devant la masse des cercueils. Et l’on entend, en galops éperdus, La mort passer et les bières que l’on transporte Aux nécropoles, dont les portes, Ni nuit ni jour, ne ferment plus. Tragique et noire et légendaire, Les pieds gluants, les gestes fous, La Mort balaie en un grand trou La ville entière au cimetière.

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    La neige La neige tombe, indiscontinûment, Comme une lente et longue et pauvre laine, Parmi la morne et longue et pauvre plaine, Froide d’amour, chaude de haine. La neige tombe, infiniment, Comme un moment – Monotone – dans un moment ; La neige choit, la neige tombe, Monotone, sur les maisons Et les granges et leurs cloisons ; La neige tombe et tombe Myriadaire, au cimetière, au creux des tombes. Le tablier des mauvaises saisons, Violemment, là-haut, est dénoué ; Le tablier des maux est secoué A coups de vent, sur les hameaux des horizons. Le gel descend, au fond des os, Et la misère, au fond des clos, La neige et la misère, au fond des âmes ; La neige lourde et diaphane, Au fond des âtres froids et des âmes sans flamme, Qui se fanent, dans les cabanes. Aux carrefours des chemins tors, Les villages sont seuls, comme la mort ; Les grands arbres, cristallisés de gel, Au long de leur cortège par la neige, Entrecroisent leurs branchages de sel. Les vieux moulins, où la mousse blanche s’agrège, Apparaissent, comme des pièges, Tout à coup droits, sur une butte ; En bas, les toits et les auvents Dans la bourrasque, à contre vent, Depuis Novembre, luttent ; Tandis qu’infiniment la neige lourde et pleine Choit, par la morne et longue et pauvre plaine. Ainsi s’en va la neige au loin, En chaque sente, en chaque coin, Toujours la neige et son suaire, La neige pâle et inféconde, En folles loques vagabondes, Par à travers l’hiver illimité monde.

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    La plaine La plaine est morne et ses chaumes et granges Et ses fermes dont les pignons sont vermoulus, La plaine est morne et lasse et ne se défend plus, La plaine est morne et morte — et la ville la mange. Formidables et criminels, Les bras des machines hyperboliques. Fauchant les blés évangéliques, Ont effrayé le vieux semeur mélancolique Dont le geste semblait d’accord avec le ciel. L’orde fumée et ses haillons de suie Ont traversé le vent et l’ont sali : Un soleil pauvre et avili S’est comme usé en de la pluie. Et maintenant, où s’étageaient les maisons claires Et les vergers et les arbres allumés d’or, On aperçoit, à l’infini, du sud au nord, La noire immensité des usines rectangulaires. Telle une bête énorme et taciturne Qui bourdonne derrière un mur, Le ronflement s’entend, rythmique et dur, Des chaudières et des meules nocturnes ; Le sol vibre, comme s’il fermentait Le travail bout comme un forfait, L’égout charrie une fange velue Vers la rivière qu’il pollue ; Un supplice d’arbres écorchés vifs Se tord, bras convulsifs, En façade, sur le bois proche ; L’ortie épuise aux cœurs sablons et oche Et les fumiers, toujours plus hauts, de résidus : Ciments huileux, platras pourris, moellons fendus, Au long de vieux fossés et de berges obscures Lèvent, le soir, leurs monuments de pourritures. Sous des hangars tonnants et lourds, Les nuits, les Jours, Sans air et sans sommeil, Des gens peinent loin du soleil : Morceaux de vie en l’énorme engrenage, Morceaux de chair fixée, ingénieusement, Pièce par pièce, étage par étage, De l’un à l’autre bout du vaste tournoiement. Leurs yeux, ils sont les yeux de la machine, Leurs dos se ploient sous elle et leurs échines, Leurs doigts volontaires, qui se compliquent De mille doigts précis et métalliques, S’usent si fort en leur effort, Sur la matière carnassière, Qu’ils y laissent, à tout moment, Des empreintes de rage et des gouttes de sang. Dites ! l’ancien labeur pacifique, dans l’Août Des seigles mûrs et des avoines rousses, Avec les bras au clair, le front debout Dans l’or des blés qui se retrousse Vers l’horizon torride où le silence bout. Dites ! le repos tiède et les midis élus, Tressant de l’ombre pour les siestes. Sous les branches, dont les vents prestes Rythment, avec lenteur, les grands gestes feuillus, Dites, la plaine entière ainsi qu’un jardin gras, Toute folle d’oiseaux éparpillés dans la lumière, Qui la chantent, avec leurs voix plénières, Si près du ciel qu’on ne les entend pas. Mais aujourd’hui, la plaine, elle est finie ; La plaine, est morne et ne se défend plus : Le flux des ruines et leurs reflux L’ont submergée, avec monotonie. On ne rencontre, au loin, qu’enclos rapiécés Et chemins noirs de houille et de scories Et squelettes de métairies Et trains coupant soudain des villages en deux. Les Madones ont tu leurs voix d’oracle Au coin du bois, parmi les arbres ; Et les vieux saints et leur socle de marbre Ont chu dans les fontaines à miracles. Et tout est là, comme des cercueils vides Et détraqués et dispersés par l’étendue, Et tout se plaint ainsi que les défunts perdus Qui sanglotent le soir dans la bruyère humide. Hélas ! la plaine, hélas ! elle est finie ! Et ses clochers sont morts et ses moulins perclus. La plaine, hélas ! elle a toussé son agonie Dans les derniers hoquets d’un angelus.

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    Le masque La couronne formidable des rois En s’appuyant de tout son poids Sur ce masque de cire Semblait broyer et mutiler L’empire. Le pâle émail des yeux usés S’était fendu en agonies Minuscules, mais infinies, Sous les sourcils décomposés. Le front avait été l’éclair, Avant que les pâles années N’eussent rivé les destinées, Sur ce bloc mort de morne chair. Les crins encore étaient ardents, Mais la colossale mâchoire, Mi-ouverte, laissait la gloire Tomber morte d’entre les dents. Depuis des temps qu’on ne sait pas, La couronne, violemment cruelle, De sa poussée indiscontinuelle Ployait le chef toujours plus las. Les astuces, les perfidies Louchaient en ses joyaux taillés, Et les meurtres, les sangs, les incendies Semblaient reluire entre ses ors caillés. Elle écrasait et abattait Ce qui jadis était la gloire : Ce front géant qui la portait Et la dardait vers les victoires Si bien qu’ainsi s’accomplissait, sans bruit, L’oeuvre d’une force qui se détruit, Obstinément, soi-même, Et finit par se définir Pour l’avenir Dans un emblème. Couronne et tête étaient placées, Couronne ardente et tête autoritaire, En un logis de verre, Au fond d’un hall, dans un musée. Emile Verhaeren, Les villes tentaculaires  

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    Le port Toute la mer va vers la ville ! Son port est innombrable et sinistre de croix, Vergues transversales barrant les grands mâts droits. Son port est pluvieux de suie à travers brumes, Où le soleil comme un œil rouge et colossal larmoie. Son port est ameuté de steamers noirs qui fument Et mugissent, au fond du soir, sans qu’on les voie. Son port est fourmillant et musculeux de bras Perdus en un fouillis dédalien d’amarres. Son port est concassé de chocs et de fracas Et de marteaux tonnant dans l’air leurs tintamarres. Toute la mer va vers la ville ! Les flots qui voyagent comme les vents, Les flots légers, les flots vivants, Pour que la ville en feu l’absorbe et le respire Lui rapportent le monde en des navires. Les orients et les midis tanguent vers elle Et les Nords blancs et la folie universelle Et tous nombres dont le désir prévoit la somme. Et tout ce qui s’invente et tout ce que les hommes Tirent de leurs cerveaux puissants et volcaniques Tend vers elle, cingle vers elle et vers ses luttes : Elle est la ville en rut des humaines disputes, Elle est la ville au clair des richesses uniques Et les marins naïfs peignent son caducée Sur leur peau rousse et crevassée, À l’heure où l’ombre emplit les soirs océaniques. Toute la mer va vers la ville ! Ô les Babels enfin réalisées ! Et les peuples fondus et la cité commune ; Et les langues se dissolvant en une ; Et la ville comme une main, les doigs ouverts. Se refermant sur l’univers. Dites, les docks bondés jusques au faîte ! Et la montagne, et le désert, et les forêts, Et leurs siècles captés comme en des rets ; Dites, leurs blocs d’éternité : marbres et bois, Que l’on achète, Et que l’on vend au poids, Et puis, dites ! les morts, les morts, les morts Qu’il a fallu pour ces conquêtes. Toute la mer va vers la ville ! La mer soudaine, ardente et libre, Qui tient la terre en équilibre ; La mer que domine la loi des multitudes, La mer où les courants tracent les certitudes ; La mer et ses vagues coalisées, Comme un désir multiple et fou, Qui renversent des rocs depuis mille ans debout Et retombent et s’effacent, égalisées ; La mer dont chaque lame ébauche une tendresse Ou voile une fureur, la mer plane ou sauvage, La mer qui inquiète et angoisse et oppresse De l’ivresse de son image. Toute la mer va vers la ville ! Son port est flamboyant et tourmenté de feux Qui éclairent de hauts leviers silencieux. Son port est hérissé de tours dont les murs sonnent D’un bruit souterrain d’eau qui s’enfle et ronfle en elles. Son port est lourd de blocs taillés, où des gorgones Dardent les réseaux noirs des vipères mortelles. Son port est fabuleux de déesses sculptées À l’avant des vaisseaux dont les mâts d’or s’exaltent. Son port est solennel de tempêtes domptées En des havres d’airain de marbre et de basalte.

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    Le péché Sur sa butte que le vent gifle, Il tourne et fauche et ronfle et siffle Le vieux moulin des péchés vieux Et des forfaits astucieux. Il geint des pieds jusqu’à la tête, Sur fond d’orage et de tempête, Lorsque l’automne et les nuages Frôlent son toit de leurs voyages. L’hiver, quand la campagne est éborgnée, Il apparaît une araignée Colossale, tissant ses toiles Jusqu’aux étoiles. C’est le moulin des vieux péchés. Qui l’écoute, parmi les routes, Entend battre le cœur du diable, Dans sa carcasse insatiable. Un travail d’ombre et de ténèbres S’y fait, pendant les nuits funèbres, Quand la lune fendue Gît-là, sur le carreau de l’eau, Comme une hostie atrocement mordue. C’est le moulin de la ruine Qui moud le mal et le répand aux champs, Infini, comme une bruine. Ceux qui sournoisement écornent Le champ voisin en déplaçant les bornes ; Ceux qui, valets d’autrui, sèment l’ivraie Au lieu de l’orge vraie ; Ceux qui jettent les poisons clairs dans l’eau Où l’on amène le troupeau ; Ceux qui, par les nuits seules, En brasiers d’or font éclater les meules, Tous passèrent par le moulin Encore : Les conjureurs de sorts et les sorcières Que vont trouver les filles-mères ; Ceux qui cachent dans les fourrés Leurs ruts et leurs spasmes vociférés ; Ceux qui n’aiment la chair que si le sang Gicle aux yeux, frais et luisant ; Ceux qui s’entr’égorgent, à couteaux rouges, Volets fermés, au fond des bouges ; Ceux qui flairent l’espace Avec, entre leurs poings, la mort pour tel qui passe, Tous passèrent par le moulin. Aussi Les vagabonds qui habitent des fosses Avec leurs filles qu’ils engrossent ; Les fous qui choisissent des bêtes Pour assouvir leur rut et ses tempêtes ; Les mendiants qui déterrent les mortes Rageusement et les emportent ; Les couples noirs, pervers et vieux, Qui instruisent l’enfant à coucher entre eux deux ; Tous passèrent par le moulin. Enfin : Ceux qui font de leur cœur l’usine, Où fermente l’envie et cuve la lésine ; Ceux qui dorment, sans autre vœu, Avec leurs sous, comme avec Dieu ; Ceux qui projettent leurs prières, Croix à rebours et paroles contraires ; Ceux qui cherchent un tel blasphème Que descendrait vers eux Satan lui-même ; Tous passèrent par le moulin. Ils sont venus sournoisement, Choisissant l’heure et le moment, Les uns lents et chenus Et les autres mâles et fermes. Avec le sac au dos. Ils sont venus des bourgs perdus Gagnant les bois, tournant les fermes, Les vieux, carcasses d’os, Mais les jeunes, drapeaux de force. Par des chemins rugueux comme une écorce, Ils sont montés — et quand ils sont redescendus, Avec leurs chiens et leurs brouettes Et leurs ânes et leurs charrettes, Chargés de farine ou de grain, Par groupes noirs de pèlerins, Les grand’routes charriaient toutes, Infiniment, comme des veines, Le sang du mal parmi les plaines. Et le moulin tournait au fond des soirs, La croix grande de ses bras noirs, Avec des feux, comme des yeux, Dans l’orbite de ses lucarnes Dont les rayons gagnaient les loins. Parfois, s’illuminaient des coins, Là-bas, dans la campagne morne Et l’on voyait les porteurs gourds, Ployant au faix des péchés lourds, Hagards et las, buter de borne en borne. Et le moulin ardent, Sur sa butte, comme une dent, Alors, mêlait et accordait Son giroiement de voiles Au rythme même des étoiles Qui tournoyaient, par les nuits seules. Fatalement, comme ses meules.

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    Le voyage Je ne puis voir la mer sans rêver de voyages. Le soir se fait, un soir ami du paysage, Où les bateaux, sur le sable du port, En attendant le flux prochain, dorment encor. Oh ce premier sursaut de leurs quilles cabrées, Au fouet soudain des montantes marées ! Oh ce regonflement de vie immense et lourd Et ces grands flots, oiseaux d’écume, Qui s’abattent du large, en un effroi de plumes, Et reviennent sans cesse et repartent toujours ! La mer est belle et claire et pleine de voyages. A quoi bon s’attarder près des phares du soir Et regarder le jeu tournant de leurs miroirs Réverbérer au loin des lumières trop sages ? La mer est belle et claire et pleine de voyages Et les flammes des horizons, comme des dents, Mordent le désir fou, dans chaque coeur ardent : L’inconnu est seul roi des volontés sauvages. Partez, partez, sans regarder qui vous regarde, Sans nuls adieux tristes et doux, Partez, avec le seul amour en vous De l’étendue éclatante et hagarde. Oh voir ce que personne, avec ses yeux humains, Avant vos yeux à vous, dardés et volontaires, N’a vu ! voir et surprendre et dompter un mystère Et le résoudre et tout à coup s’en revenir, Du bout des mers de la terre, Vers l’avenir, Avec les dépouilles de ce mystère Triomphales, entre les mains ! Ou bien là-bas, se frayer des chemins, A travers des forêts que la peur accapare Dieu sait vers quels tourbillonnants essaims De peuples nains, défiants et bizarres. Et pénétrer leurs moeurs, leur race et leur esprit Et surprendre leur culte et ses tortures, Pour éclairer, dans ses recoins et dans sa nuit, Toute la sournoise étrangeté de la nature ! Oh ! les torridités du Sud – ou bien encor La pâle et lucide splendeur des pôles Que le monde retient, sur ses épaules, Depuis combien de milliers d’ans, au Nord ? Dites, l’errance au loin en des ténèbres claires, Et les minuits monumentaux des gels polaires, Et l’hivernage, au fond d’un large bateau blanc, Et les étaux du froid qui font craquer ses flancs, Et la neige qui choit, comme une somnolence, Des jours, des jours, des jours, dans le total silence. Dites, agoniser là-bas, mais néanmoins, Avec son seul orgueil têtu, comme témoin, Vivre pour s’en aller – dès que le printemps rouge Aura cassé l’hiver compact qui déjà bouge – Trouer toujours plus loin ces blocs de gel uni Et rencontrer, malgré les volontés adverses, Quand même, un jour, ce chemin qui traverse, De part en part, le coeur glacé de l’infini. Je ne puis voir la mer sans rêver de voyages. Le soir se fait, un soir ami du paysage Où les bateaux, sur le sable du port, En attendant le flux prochain dorment encor… Oh ce premier sursaut de leurs quilles cabrées Aux coups de fouet soudains des montantes marées !

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    Les baptêmes Vers son manoir de marbre, Qui domine les bois, L’évêque en fer et en orfroi, Le dimanche, s’en va, Moment d’éclair et d’or, parmi les lignes d’arbres. Le ruisseau mire sa monture Et son pennon de haut en bas, Si bien qu’il marche, en son voyage, Avec sa grande image A ses côtés, sous la ramure, De pas en pas. Les bois ? – ils sont luisants d’aurore Et frémissants des fleurs qui les décorent Les mille doigts des brises frisent, Avec des bonds et des surprises, Les feuillages qu’ils chimérisent ; L’ombre elle-même est claire ; là-haut, Se balancent les cimes unanimes, Tandis qu’au ras du sol – tel un joyau Qui glisserait sur la lumière – Ailes folles, passe un oiseau. L’évêque, avec son glaive, avec sa lance, Vêtu d’orfroi et d’acier blanc, s’avance : Ses éperons de diamant Semblent du feu de firmament ; Et son image en or et en conquête Dit au ruisseau qui la reflète : « Je suis pure comme ton eau, Celui qui me projette En ton miroir a l’âme nette Et le coeur haut. » L’eau entendit ces paroles d’orgueil, Fit un coude, puis s’éloigna de l’avenue, Vers une grotte, où, sur le seuil, Se baignait une enfant nue, Jouant, avec ses mains et ses cheveux, Joyeusement, dans les flots bleus. Elle était fralche et douce ; Belle comme un fruit qui luit, Rouge, sur le coussin des mousses ; L’ombre tombait des saules, Feuille à feuille, sur ses épaules, Et ses doigts vifs cherchaient à la saisir ; Elle criait et s’oubliait en son plaisir D’être, dans l’eau et le soleil, perdue. Du haut de sa chapelle, suspendue Aux peupliers, la petite vierge Marie La regardait jouer dans l’eau fleurie, Et n’ayant peur de sa tranquille nudité Lui dit en se penchant de son côté : « Naïve et frêle enfant de l’eau, des fleurs, des branches, C’est toi la pure, c’est toi la franche. Le ruisseau blanc qui s’écoule vers toi, C’est le baptême vrai que je t’envoie. J’aime ton corps doux et béni, Comme celui de mon Jésus, A Bethléem, quand les souffles unis Du boeuf et de l’ânon se penchèrent dessus. Ton âme est claire à ma pensée Qui te voit vivre, avec les fleurs Et l’eau, dans une entente de fraîcheur Et de splendeur exorcisées. » « Tu es toi-même une prière Balbutiée, au cours des temps, Depuis que s’exalte la terre Immortelle vers le printemps. » « L’homme de pouvoir d’or et de force mitrée Qui rythme son orgueil brutal et chamarré, Au galop lourd de son cheval là-bas, N’est pas Celui qui vit vraiment, selon sa vie. L’eau pure, à l’entendre, s’enfuit ; Les brindilles et les branches se cassent ; Les oiselets rentrent au nid avec frayeur ; Et la nature entière a peur Des éclats durs de la cuirasse. » Pendant que la vierge parlait, L’enfant, sans rien savoir, mêlait, Continûment, ses mains et ses cheveux Aux mains et aux cheveux Des eaux vertes et des eaux bleues. Toute l’innocence des choses La pénétrait et la sacrait D’une simple et religieuse apothéose, Et sa tête, de la grâce immense baignée, N’avait pas même l’air étonnée. Tandis qu’au loin, parmi les arbres, L’évêque en or Montait vers son manoir de marbre : Les hauts donjons et leurs pierres meurtries Etalent chaudes et humides encor De récentes et féroces tueries ; Et les taches rouges des murs épais, A mesure qu’il avançait, Absorbaient l’ombre De sa marche farouche et sombre, Avec leurs bouches de sang frais.

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    Les cathédrales Au fond du choeur monumental, D’où leur splendeur s’érige – Or, argent, diamant, cristal – Lourds de siècles et de prestiges, Pendant les vêpres, quand les soirs Aux longues prières invitent, Ils s’imposent, les ostensoirs, Dont les fixes joyaux méditent. Ils conservent, ornés de feu, Pour l’universelle amnistie, Le baiser blanc du dernier Dieu, Tombé sur terre en une hostie. Et l’église, comme un palais de marbres noirs, Où des châsses d’argent et d’ombre Ouvrent leurs yeux de joyaux sombres, Par l’élan clair de ses colonnes exulte Et dresse avec ses arcs et ses voussoirs Jusqu’au faîte, l’éternité du culte. Dans un encadrement de grands cierges qui pleurent, A travers temps et jours et heures, Les ostensoirs Sont le seul coeur de la croyance Qui luise encor, cristal et or, Dans les villes de la démence. Le bourdon sonne et sonne, A grand battant tannant, De larges glas qui sont les râles Et les sursauts des cathédrales. Et les foules qui tiennent droits, Pour refléter le ciel, les miroirs de leur foi, Réunissent, à ces appels, leurs âmes, Autour des ostensoirs de flamme. – O ces foules, ces foules, Et la misère et la détresse qui les foulent ! Voici les pauvres gens des blafardes ruelles, Barrant de croix, avec leurs bras tendus, L’ombre noire qui dort dans les chapelles. – O ces foules, ces foules, Et la misère et la détresse qui les foulent ! Voici les corps usés, voici les coeurs fendus, Voici les coeurs lamentables des veuves En qui les larmes pleuvent, Continûment, depuis des ans. – O ces foules, ces foules Et la misère et la détresse qui les foulent ! Voici les mousses et les marins du port Dont les vagues monstrueuses bercent le sort. – O ces foules, ces foules Et la misère et la détresse qui les foulent ! Voici les travailleurs cassés de peine, Aux six coups de marteaux des jours de la semaine. – O ces foules, ces foules Et la misère et la détresse qui les foulent ! Voici les enfants las de leur sang morne Et qui mendient et qui s’offrent au coin des bornes. – O ces foules, ces foules Et la misère et la détresse qui les foulent ! Voici les marguilliers massifs et mous Qui font craquer leur stalle en pliant les genoux. – O ces foules, ces foules Et la misère et la détresse qui les foulent ! Voici les armateurs dont les bateaux de fer, Fortune au vent, tanguent parmi la mer. – O ces foules, ces foules Et la misère et la détresse qui les foulent ! Voici les grands bourgeois de droit divin Qui bâtissent sur Dieu la maison de leur gain. – O ces foules, ces foules Et la misère et la détresse qui les foulent ! Les ostensoirs, qu’on élève, le soir, Vers les villes échafaudées En toits de verre et de cristal, Du haut du choeur sacerdotal, Tendent la croix des gothiques idées. Ils s’imposent dans l’or des clairs dimanches – Toussaint, Noël, Pâques et Pentecôtes blanches – Ils s’imposent dans l’or et dans les bruits de fête Du grand orgue battant du vol de ses tempêtes L’autel de marbre rouge et ses piliers vermeils ; Ils sont une âme en du soleil, Qui vit de vieux décor et d’antique mystère Autoritaire. Pourtant, dès que s’éteignent les grands cierges Et les lampes veillant le coeur des saintes vierges, Un deuil d’encens évaporé flotte et s’empreint Sur les châsses d’argent et les tombeaux d’airain ; Et les vitraux, peuplés de siècles rassemblés Devant le Christ – avec leurs papes immobiles Et leurs martyrs et leurs héros – semblent trembler Au bruit d’un train lointain qui roule sur la ville. Emile Verhaeren, Les villes tentaculaires  

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    Les cierges Ongles de feu, cierges ! – Ils s’allument, les soirs, Doigts mystiques dressés sur des chandeliers d’or, A minces et jaunes flammes, dans un décor Et de cartels et de blasons et de draps noirs. Ils s’allument dans le silence et les ténèbres, Avec le grésil bref et méchant de leur cire, Et se moquent – et l’on croirait entendre rire Les prières autour des estrades funèbres. Les morts, ils sont couchés très longs dans leurs remords Et leur linceul très pâle et les deux pieds dressés En pointe et les regards en l’air et trépassés Et repartis chercher ailleurs les autres morts. Chercher ? Et les cierges les conduisent ; les cierges Pour les charmer et leur illuminer la route Et leur souffler la peur et leur souffler le doute Aux carrefours multipliés des chemins vierges. Ils ne trouveront point les morts aimés jadis, Ni les anciens baisers, ni les doux bras tendus, Ni les amours lointains, ni les destins perdus ; Car les cierges ne mènent pas en paradis. Ils s’allument dans le silence et les ténèbres, Avec le grésil bref et méchant de leur cire Et se moquent – et l’on entend gratter leur rire Autour des estrades et des cartels funèbres. Ongles pâles dressés sur des chandeliers d’or ! Emile Verhaeren, Les bords de la route  

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    Les fièvres La plaine, au loin, est uniforme et morne Et l’étendue est veule et grise Et Novembre qui se précise Bat l’infini, d’une aile grise. De village en village, un vent moisi Appose aux champs sa flétrissure ; L’air est moite ; le sol, ainsi Que pourriture et bouffissure. Sous leurs torchis qui se lézardent, Les chaumières, là-bas, regardent Comme des bêtes qui ont peur, Et seuls les grands oiseaux d’espace Jettent sur les chaumes et leur frayeur, Le cri des angoisses qui passent. L’heure est venue où les soirs mous Pèsent sur les terres envenimées Où les marais visqueux et blancs, Dans leurs remous, À longs bras lents. Brassent les fièvres empoisonnées. Sur les étangs en plates-bandes Les fleurs, comme des glandes, Et les mousses comme des viandes, S’étendent. Bosses et creux et stigmates d’ulcères, Quelques saules bordent les anses, Où des flottilles de viscères, À la surface, se balancent, Parfois, comme un hoquet, Un flot pâteux mine la rive Et la glaise, comme un paquet, Tombe dans l’eau de bile et de salive. L’étang s’apaise, qui remuait ses rides, Les crapauds noirs, à fleur de boue, Gonflent leur peau et leur gadoue. Et la lune monstrueuse préside : Telle l’hostie De l’inertie. De la vase profonde et jaune D’où s’érigent, longues d’une aune, Les herbes d’eaux et les roseaux, Des brouillards lents comme des traînes, Déplient leur flottement, parmi les draines ; On les peut suivre, à travers champs, Vers les chaumes et les murs blancs ; Leurs fils subtils de pestilence Tissent la robe de silence, Gaze verte, tuile blême, Avec laquelle, au loin, la fièvre se promène. La fièvre, Elle est celle qui marche, Sournoisement, courbée en arche, Et personne n’entend son pas. Si la poterne des fermes ne s’ouvre pas, Si la fenêtre est close, Elle pénètre quand même et se repose, Sur la chaise des vieux que les ans ploient, Dans les berceaux où les petits larmoient Et quelquefois elle se couche Aux lits profonds où l’on fait souche. Avec ses vieilles mains dans l’âtre encor rougeâtre, Elle attise les maladies Non éteintes, quoique engourdies ; Elle se mêle au pain qu’on mange À l’eau morne changée en fange ; Elle monte jusqu’aux greniers, Dort dans les sacs et les paniers Et, comme une impalpable cendre, Sans rien voir, on sent d’elle la mort descendre. Inutiles, vœux et pèlerinages Et seins où l’on abrite les petits Et bras en croix vers les images Des bons anges et des vieux Christs. Le mal have s’est installé dans la demeure. Il vient, chaque vesprée, à tel moment Déchiqueter la plainte et le tourment, Au régulier tic-tac de l’heure ; Les mendiants n’arrivent plus souvent À la porte ni à l’auvent Prier qu’on les gare du froid, Les moineaux francs quittent le toit, Et l’horloge surgit déjà Celle, debout, qui sonnera, Après la voix éteinte et la raison finie, L’agonie. En attendant, les mois se passent à languir. Les malades rapetissés Leurs habits lourds, leurs bras cassés, Avec, en main, leurs chapelets, Quittant leur lit, s’y recouchant, Fuyant la mort et la cherchant, Bégaient et vacillent leurs plaintes, Pauvres lumières, presque éteintes. Ils se traînent de chaumière en chaumière Et d’âtre en âtre, Se voir et doucement s’apitoyer Sur la dîme d’hommes qu’il faut payer, Atrocement à leur terre marâtre ; Des silences profonds coupent les litanies De leurs misères infinies ; Et, longuement, parfois, ils se regardent Au jour douteux de la fenêtre, Et longuement, avec des pleurs, Comme s’ils voulaient se reconnaître Lorsque leurs yeux seront ailleurs. Ils se sentent de trop autour des tables Où l’on mange rapidement Un repas pauvre et lamentable ; Leur cœur se serre atrocement, On les isole et les bêtes les flairent Et les jurons et les colères Volent autour de leur tourment. Aussi, lorsque la nuit, ne dormant pas, Ils s’agitent entre leurs draps, Songeant qu’aux alentours, de village en village, Les brouillards blancs sont en voyage, Voudraient-ils ouvrir la porte Pour que d’un coup la fièvre les emporte, Vers les étangs en plates-bandes Où les plantes comme des glandes Et les mousses comme des viandes S’étendent, Où s’écoute, comme un hoquet, Va flot pâteux minant la rive Où leur corps mort, comme un paquet, Choirait dans l’eau de bile et de salive. Mais la lune, là-bas, préside, Telle l’hostie De l’inertie.

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    Les horloges La nuit, dans le silence en noir de nos demeures, Béquilles et bâtons, qui se cognent, là-bas ; Montant et dévalant les escaliers des heures, Les horloges, avec leurs pas ; Émaux naïfs derrière un verre, emblèmes Et fleurs d’antan, chiffres et camaïeux, Lunes des corridors vides et blêmes Les horloges, avec leurs yeux ; Sons morts, notes de plomb, marteaux et limes, Boutique en bois de mots sournois Et le babil des secondes minimes, Les horloges, avec leurs voix ; Gaînes de chêne et bornes d’ombre, Cercueils scellés dans le mur froid, Vieux os du temps que grignotte le nombre, Les horloges et leur effroi ; Les horloges Volontaires et vigilantes, Pareilles aux vieilles servantes Boitant de leurs sabots ou glissant sur leurs bas, Les horloges que j’interroge Serrent ma peur en leur compas.

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    Les idées Sur la Ville, dont les affres flamboient, Règnent, sans qu’on les voie, Mais évidentes, les idées. On les rêve parmi les brumes, accoudées En des lointains, là-haut, près des soleils. Aubes rouges, midis fumeux, couchants vermeils, Dans le tumulte violent des heures, Elles demeurent ; Et leur âme, par au-delà du temps et de l’espace, S’éternise, devant les flux et les reflux qui passent. Et la première et la plus vaste, c’est la force Épanouie ou souterraine, Multipliée en poings, en bras, en torses, Ou tout à coup sereine, Dans un cerveau suprême et foudroyant. Par à travers l’or effrayant, Les cris, la chair, le sang, la lie, Elle apparaît : celle qui tend ou qui délie L’énorme effort humain bandé vers la folie. Depuis que se mangent ou se fécondent À chaque instant qui naît, qui meurt, les mondes, L’atome est vibrant d’elle. Elle est l’ardeur de la conquête universelle. Indifférente au bien, au mal, mais haletante En chaque assaut dont les cités sont fermentantes, Elle érige la gloire en beau geste dans l’air, Ou bien allume, à coups d’éclairs, Par la nuit sourde où rien ne bouge, Le crime immense avec la mort à son poing rouge. Et voici la justice et la pitié, jumelles ; Mères au double cœur dont les claires mamelles Versent le jour clément et se penchent vers tous. Ceux d’aujourd’hui les affichent deux ennemies Luttant avec des cris et des antinomies, Au nom de Christ, le maître abominable ou doux, Selon celui qui interprète ses paroles. La loi qui est déesse, on la proclame idole ; Et les codes sont des meutes qu’on dresse à mordre ; Et la peur règne — mais l’ordre, Qui doit s’ouvrir comme une grande fleur Libre et vive, malgré ses milliers de pétales, Dont nul n’a comprimé l’ardeur, Puisera l’équité dans la bonté totale. Oh ! l’avenir montré tel qu’un pays de flamme, Comme il est beau devant les âmes, Qui, malgré l’heure, ont confiance en leur vouloir. Tant de siècles ne détiennent l’espoir, Depuis mille et mille ans, indestructible, Sans que tous les désirs ligués, frappant la cible, Ne tuent un jour la haine et n’instaurent l’amour. La conscience humaine est sculptée en contours Puissants et délicats que, sans cesse, elle affine, Pour transmuer sa vie en facultés divines Et créer son bonheur et s’affirmer : un Dieu ; Le futur éclatant est un oiseau de feu, Dont les plumes, une par une, Se détachant de l’aile et retombant vers nous, Frôlent de flamme et de splendeur nos regards fous. Et plus haute que n’est la force et la justice, Par au delà du vrai, du faux, de l’équité, Plus loin que l’innocence ou que le vice, Luit la beauté. Touffue et claire, Méduse ténébreuse et Minerve solaire, Fondant le double mythe en unique splendeur, Elle épouvante de grandeur. Sublime, elle a pour prêtres les génies Qui communient De la lumière de ses yeux ; Les temps sont datés d’elle et marchent glorieux, Selon que son vouloir les prend pour ostiaires ; Sou poing crispé saisit les mille éclairs contraires Et les assemble et les resserre et les unit, Pour tordre et pour forger d’un coup, tout l’infini. La rose Égypte et la Grèce dorée Jadis, aux temps des Dieux, l’ont instaurée En des temples d’où s’envolait l’oracle ; Et Paris et Florence ont rêvé le miracle D’être, à leur tour, l’autel où ses pieds clairs, Vibrants d’ailes, se poseraient sur l’univers. Aujourd’hui même, elle apparaît dans les fumées Les yeux offerts, les mains encor fermées, Le corps exalté d’or et de soleil ; Un feu nouveau d entre ses doigts vermeils Glisse et provoque aux conquêtes certaines, Mais les marteaux brutaux des tapages modernes Cassent un bruit si fort, sous les cieux ternes, Que son appel vers ses fervents s’entend à peine. Et néanmoins elle est la totale harmonie Qui se transforme et se restaure à l’infini, Par à travers les mille efforts que l’on croit vains. Elle est la clef du cycle humain, Elle suggère à tous l’existence parfaite, La simple joie et l’effort éperdu, Vers les temps clairs, baignés de fête Et sonores, là-bas, d’un large accord inentendu. Quiconque espère en elle est au delà de l’heure Qui frappe aux cadrans noirs de sa demeure ; Et tandis que la foule abat, dans la douleur, Ses pauvres bras tendus vers la splendeur, Parfois, déjà, dans le mirage, où quelque âme s’isole, La beauté passe — et dit les futures paroles. Sur la Ville, d’où les affres flamboient, Règnent, sans qu’on les voie, Mais évidentes, les idées.

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    Novembre Les grand’routes tracent des croix A l’infini, à travers bois ; Les grand’routes tracent des croix lointaines A l’infini, à travers plaines ; Les grand’routes tracent des croix Dans l’air livide et froid, Où voyagent les vents déchevelés A l’infini, par les allées. Arbres et vents pareils aux pèlerins, Arbres tristes et fous où l’orage s’accroche, Arbres pareils au défilé de tous les saints, Au défilé de tous les morts Au son des cloches, Arbres qui combattez au Nord Et vents qui déchirez le monde, Ô vos luttes et vos sanglots et vos remords Se débattant et s’engouffrant dans les âmes profondes ! Voici novembre assis auprès de l’âtre, Avec ses maigres doigts chauffés au feu ; Oh ! tous ces morts là-bas, sans feu ni lieu, Oh ! tous ces vents cognant les murs opiniâtres Et repoussés et rejetés Vers l’inconnu, de tous côtés. Oh ! tous ces noms de saints semés en litanies, Tous ces arbres, là-bas, Ces vocables de saints dont la monotonie S’allonge infiniment dans la mémoire ; Oh ! tous ces bras invocatoires Tous ces rameaux éperdument tendus Vers on ne sait quel christ aux horizons pendu. Voici novembre en son manteau grisâtre Qui se blottit de peur au fond de l’âtre Et dont les yeux soudain regardent, Par les carreaux cassés de la croisée, Les vents et les arbres se convulser Dans l’étendue effarante et blafarde, Les saints, les morts, les arbres et le vent, Oh l’identique et affolant cortège Qui tourne et tourne, au long des soirs de neige ; Les saints, les morts, les arbres et le vent, Dites comme ils se confondent dans la mémoire Quand les marteaux battants A coups de bonds dans les bourdons, Ecartèlent leur deuil aux horizons, Du haut des tours imprécatoires. Et novembre, près de l’âtre qui flambe, Allume, avec des mains d’espoir, la lampe Qui brûlera, combien de soirs, l’hiver ; Et novembre si humblement supplie et pleure Pour attendrir le coeur mécanique des heures ! Mais au dehors, voici toujours le ciel, couleur de fer, Voici les vents, les saints, les morts Et la procession profonde Des arbres fous et des branchages tords Qui voyagent de l’un à l’autre bout du monde. Voici les grand’routes comme des croix A l’infini parmi les plaines Les grand’routes et puis leurs croix lointaines A l’infini, sur les vallons et dans les bois !

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    Pauvres vieilles cités Pauvres vieilles cités par les plaines perdues, Dites de quel grand plan de gloire, Vers la vie humble et dérisoire, Toutes, vous voilà descendues. Vous ne comprenez plus vos hauts beffrois en deuil, Ni ce que disent aux nuées Tant de pierres destituées De leur ancien et bel orgueil, Vos carrefours, vos grand’places et votre port, Tout est muet et léthargique ; Tout semble aller à pas logiques Vers l’horizon, où luit la mort. Seule, quand le marché aligne au jour levé, Sur le trottoir, ses éventaires, Un peu de vie hebdomadaire Se cabre aux joints de vos pavés. Ou bien, quand la kermesse et ses cortèges d’or Mènent leur ronde autour des rues, L’émoi des foules accourues Vous fait revivre une heure encor. Vos moeurs sont pareilles à vos petits jardins : Buissons corrects, calmes verdures, Mais une odeur de moisissure Séjourne en leurs recoins malsains. Vos gestes sont prudents, mesquins et routiniers, Vous ne penchez sur vos négoces Que des yeux mornes ou féroces, Qui ne comptent que par deniers. Vos cerveaux sans révolte et vos coeurs sans fierté Se complaisent aux moindres choses, Et de pauvres apothéoses Font tressaillir vos vanités. Vous ne produisez plus ni communiers ni gueux Et vivez à la dérobée Des miettes d’ombre et d’or tombées Du festin rouge des aïeux. Pourtant, si triste et long que soit votre déclin, Notre rêve ne veut pas croire Que plus jamais la belle gloire Ne bondira de vos tremplins. Vous vous armez encore de trop d’entêtement, Damme, Courtrai, Ypres, Termonde, Pour n’être plus au vent du monde Que des tombeaux d’orgueil flamand. Et n’avoir plus aucun remords, aucun sursaut En ces heures de somnolence Où le visage du silence Se mire seul dans vos canaux.

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    Pieusement La nuit d’hiver élève au ciel son pur calice. Et je lève mon coeur aussi, mon coeur nocturne, Seigneur, mon cœur ! vers ton pâle infini vide, Et néanmoins je sais que tout est taciturne Et qu’il n’existe rien dont ce coeur meurt, avide ; Et je te sais mensonge et mes lèvres te prient Et mes genoux ; je sais et tes grandes mains closes Et tes grands yeux fermés aux désespoirs qui crient, Et que c’est moi, qui seul, me rêve dans les choses ; Sois de pitié, Seigneur, pour ma toute démence. J’ai besoin de pleurer mon mal vers ton silence !… La nuit d’hiver élève au ciel son pur calice !

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    Une statue (apôtre) Avec, devant les yeux, l’astre qu’était son âme Par des chemins de rocs incandescents de flamme, Il s’en était allé si loin vers l’inconnu Que son siècle vieux et chenu, Toussant la mort, au vent trop fort de sa pensée, L’avait férocement enseveli sous la risée. Il était oublié, depuis des tas d’années Vers l’avenir échelonnées, Lorsqu’un matin la ville éclata d’or Et de fête pour son apothéose Et le grandit en une pose De volonté debout sur un piédestal d’or. On inscrivit sur le granit de gloire, L’exil subi, la faim, l’affre et la prison, Et l’on tressa, comme une floraison, Son crime ancien, autour de sa mémoire. On lui prit sa pensée et l’on en fit des lois ; On lui prit sa folie et l’on en fit de l’ordre : Et ses railleurs d’antan ne savaient plus où mordre Le battant de tocsin qui sautait dans sa voix. Son image d’airain sacra le carrefour, D’où l’on voyait briller, agrandi de mystère, Son front suprême et clair et large et comme austère Dans le tumulte et la rage des jours.

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    Pèlerinage Où vont les vieux paysans noirs Par les chemins en or des soirs ? A grands coups d’ailes affolées, En leurs toujours folles volées, Les moulins fous fauchent le vent. Le cormoran des temps d’automne jette au ciel triste et monotone Son cri sombre comme la nuit. C’est l’heure brusque de la terreur, Où passe, en son charroi d’horreur, Le vieux Satan des moissons fausses. Par la campagne en grand deuil d’or, Où vont les vieux silencieux Quelqu’un a dû frapper l’été De mauvaise fécondité : Le blé haut ne fut que paille, Les bonnes eaux n’ont point coulé Par les veines du champ brûlé ; Quelqu’un a dû frapper les sources Quelqu’un a dû sécher la vie, Comme une gorge inassouvie Vide d’un trait le fond d’un verre. Par la campagne en grand deuil d’or, Où vont les vieux et leur misère ? L’âpre semeur des mauvais germes, Au temps de mai baignant les fermes, Les vieux l’ont tous senti passer. Ils l’ont surpris morne et railleur, Penché sur la campagne en fleur; Plein de foudre, comme l’orage. Les vieux n’ont rien osé se dire. Mais tous ont entendu son rire Courir de taillis en taillis. Or, ils savent par quel moyen On peut fléchir Satan païen, Qui reste maître des moissons. Par la campagne en grand deuil d’or, Où vont les vieux et leur frisson ? L’âpre semeur du mauvais blé Entend venir ce défilé D’hommes qui se taisent et marchent. Il sait que seuls ils ont encore, Au fond du coeur qu’elle dévore, Toute la peur de l’inconnu ; Qu’obstinément ils dérobent en eux Son culte sombre et lumineux, Comme un minuit blanc de mercure, Et qu’ils redoutent les révoltes, Et qu’ils supplient pour leurs récoltes Plus devant lui que devant Dieu. Par la campagne en grand deuil d’or, Où vont les vieux porter leur voeu ? Le Satan noir des champs brûlés Et des fermiers ensorcelés Qui font des croix de la main gauche, Ce soir, à l’heure où l’horizon est rouge Contre un arbre dont rien ne bouge, Depuis une heure est accoudé. Les vieux ont pu l’apercevoir, Avec ses yeux dardés vers eux, D’entre ses cils de chardons morts. Ils ont senti qu’il écoutait Les silences de leur souhait Et leur prière uniquement pensée. Alors, subitement, En un grand feu de tourbe et de branches coupées lis ont jeté un chat vivant. Regards éteints, pattes crispées, La bête est morte atrocement, Pendant qu’au long des champs muets, Sous le gel rude et le vent froid, Chacun, par un chemin à soi, Sans rien savoir s’en revenait.

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    Soir religieux L'averse a sabré l'air de ses lames de grêle, Et voici que le ciel luit comme un parvis bleu, Et que c'est l'heure où meurt à l'occident, le feu Où l'argent de la nuit à l'or du jour se mêle. A l'horizon, plus rien ne passe, si ce n'est Une allée invaincue et géante de chênes, Se prolongeant là-bas jusqu'aux fermes prochaines, Le long des champs en friche et des coins de genêt. Ces arbres vont — ainsi des moines mortuaires Qui s'en iraient, le cœur assombri par les soirs, Comme jadis partaient les longs pénitents noirs Pèleriner au loin vers d'anciens sanctuaires. Et la route montant et tout à coup s'ouvrant Sur le couchant rougi comme un plant de pivoines, A voir ces arbres nus, à voir passer ces moines, On dirait qu'ils s'en vont, ensemble, et tous en rang. Vers leur Dieu dont l'azur d'étoiles s'ensemence ; Et les astres, brillant là-haut sur leur chemin, Semblent les feux de grands cierges tenus en main, Dont on n'aperçoit pas monter la tige immense.

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    Un matin Dès le matin, par mes grand’routes coutumières Qui traversent champs et vergers, Je suis parti clair et léger, Le corps enveloppé de vent et de lumière. Je vais, je ne sais où. Je vais, je suis heureux ; C’est fête et joie en ma poitrine ; Que m’importent droits et doctrines, Le caillou sonne et luit sous mes talons poudreux ; Je marche avec l’orgueil d’aimer l’air et la terre, D’être immense et d’être fou Et de mêler le monde et tout A cet enivrement de vie élémentaire. Oh ! les pas voyageurs et clairs des anciens dieux ! Je m’enfouis dans l’herbe sombre Où les chênes versent leurs ombres Et je baise les fleurs sur leurs bouches de feu. Les bras fluides et doux des rivières m’accueillent ; Je me repose et je repars, Avec mon guide : le hasard, Par des sentiers sous bois dont je mâche les feuilles. Il me semble jusqu’à ce jour n’avoir vécu Que pour mourir et non pour vivre : Oh ! quels tombeaux creusent les livres Et que de fronts armés y descendent vaincus ! Dites, est-il vrai qu’hier il existât des choses, Et que des yeux quotidiens Aient regardé, avant les miens, Se pavoiser les fruits et s’exalter les roses ! Pour la première fois, je vois les vents vermeils Briller dans la mer des branchages, Mon âme humaine n’a point d’âge ; Tout est jeune, tout est nouveau sous le soleil. J’aime mes yeux, mes bras, mes mains, ma chair, mon torse Et mes cheveux amples et blonds Et je voudrais, par mes poumons, Boire l’espace entier pour en gonfler ma force. Oh ! ces marches à travers bois, plaines, fossés, Où l’être chante et pleure et crie Et se dépense avec furie Et s’enivre de soi ainsi qu’un insensé !

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    Emile Verhaeren

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    Un village Des murs crépis, de pauvres toits, Un pont, un chemin de halage, Et le moulin qui fait sa croix De haut en bas, sur le village. Les appentis et les maisons S’échouent, ainsi que choses mortes. Le filet dort : et les poissons Sèchent, pendus au seuil des portes. Un chien sursaute en longs abois ; Des cris passent, lourds et funèbres ; Le menuisier coupe son bois, Presque à tâtons, dans les ténèbres. Tous les métiers à bruit discord Se sont lassés l’un après l’autre Derrière un mur, marmonne encor Un dernier bruit de patenôtres. Une pauvresse aux longues mains, Du bout de son bâton tâtonne De seuil en seuil, par les chemins ; Le soir se fait et c’est l’automne. Et puis viendra l’hiver osseux, Le maigre hiver expiatoire, Où les gens sont plus malchanceux Que les âmes en purgatoire.

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    Emile Verhaeren

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    Une heure de soir En ces heures de soirs et de brumes ployés Sur des fleuves partis vers des fleuves sans bornes, Si mornement tristes contre les quais si mornes, Luisent encor des flots comme des yeux broyés. Comme des yeux broyés luisent des flots encor, Tandis qu’aux poteaux noirs des ponts, barrant les hâvres, Quels heurts mous et pourris d’abandonnés cadavres Et de sabords de bateaux morts au Nord ? La brume est fauve et pleut dans l’air rayé, La brume en drapeaux morts pend sur la cité morte ; Quelque chose s’en va du ciel, que l’on emporte, Lamentable, comme un soleil noyé. Des tours, immensément des tours, avec des voix de glas, Pour ceux du lendemain qui s’en iront en terre, Lèvent leur vieux grand deuil de granit solitaire, Nocturnement, par au-dessus des toits en tas. Et des vaisseaux s’en vont, sans même, un paraphe d’éclair, Tels des cercueils, par ces vides de brouillard rouge, Sans même un cri de gouvernail qui bouge Et tourne, au long des chemins d’eau, qu’ils tracent vers la mer. Et si vers leurs départs, les vieux môles tendent des bras, Avec au bout des croix emblématiques, Par à travers l’embu des quais hiératiques, Les christs implorateurs et doux ne se voient pas : La brume en drapeaux morts plombe la cité morte, En cette fin de jour et de soir reployé, Et du ciel noir, comme un soleil noyé, Lamentable, c’est tout mon cœur que l’on emporte.

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    Une statue (bourgeois) Un bloc de bronze où son nom luit sur une plaque. Ventre riche, mâchoire ardente et menton gourd ; Haine et terreur murant son gros front lourd Et poing taillé à fendre en deux toutes attaques. Le carrefour, solennisé de palais froids, D’où ses regards têtus et violents encore Scrutent quels feux d’éveil bougent dans telle aurore, Comme sa volonté, se carre en angles droits. Il fut celui de l’heure et des hasards bizarres, Mais textuel, sitôt qu’il tint la force en main Et qu’il put étouffer dans hier le lendemain Déjà sonore et plein de cassantes fanfares. Sa colère fit loi durant ces jours bâtés, Où toutes voix montaient vers ses panégyriques, Où son rêve d’état strict et géométrique Tranquillisait l’aboi plaintif des lâchetés. Il se sentait la force étroite et qui déprime, Tantôt sournois, tantôt cruel et contempteur, Et quand il se dressait de toute sa hauteur Il n’arrivait jamais qu’à la hauteur d’un crime. Massif devant la vie, il l’obstrua, depuis Qu’il s’imposa sauveur des rois et de lui-même Et qu’il utilisa la peur et l’affre blême En des complots fictifs qu’il étranglait, la nuit. Si bien qu’il apparaît sur la place publique Féroce et rancunier, autoritaire et fort, Et défendant encor, d’un geste hyperbolique, Son piédestal bâti comme son coffre-fort.

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    Une statue (soldat) Au carrefour des abattoirs et des casernes, Il apparaît, foudroyant et vermeil, Le sabre en bel éclair sous le soleil. Masque d’airain, casque et panache d’or ; Et l’horizon, là-bas, où le combat se tord, Devant ses yeux hallucinés de gloire ! Un élan fou, un bond brutal Jette en avant son geste et son cheval Vers la victoire. Il est volant comme une flamme, Ici, plus loin, au bout du monde, Qui le redoute et qui l’acclame. Il entraîne, pour qu’en son rêve ils se confondent, Dieu, son peuple, ses soldats ivres ; Les astres mêmes semblent suivre, Si bien que ceux Qui se liguent pour le maudire Restent béants : et son vertige emplit leurs yeux. Il est de calcul froid, mais de force soudaine : Des fers de volonté barricadent le seuil Infrangible de son orgueil. Il croit en lui — et qu’importe le reste ! Pleurs, cris, affres et noire et formidable fête, Avec lesquels l’histoire est faite. Il est la mort fastueuse et lyrique, Montrée, ainsi qu’une conquête, Au bout d’une existence en or et en tempête. Il ne regrette rien de ce qu’il accomplit, Sinon que les ans brefs aillent trop vite Et que la terre immense soit petite. Il est l’idole et le fléau : Le vent qui souffle autour de son front clair Toucha celui des Dieux armés d’éclairs. Il sent qu’il passe en rouge orage et que sa destinée Est de tomber en brusque écroulement, Le jour où son étoile étrange et effrénée, Cristal rouge, se cassera au firmament. Au carrefour des abattoirs et des casernes, Il apparaît, foudroyant et vermeil, Le sabre en bel éclair dans le soleil.

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    Vieille ferme à la toussaint La ferme aux longs murs blancs, sous les grands arbres jaunes, Regarde, avec les yeux de ses carreaux éteints, Tomber très lentement, en ce jour de Toussaint, Les feuillages fanés des frênes et des aunes. Elle songe et resonge à ceux qui sont ailleurs, Et qui, de père en fils, longuement s’éreintèrent, Du pied bêchant le sol, des mains fouillant la terre, A secouer la plaine à grands coups de labeur. Puis elle songe encor qu’elle est finie et seule, Et que ses murs épais et lourds, mais crevassés, Laissent filtrer la pluie et les brouillards tassés, Même jusqu’au foyer où s’abrite l’aïeule. Elle regarde aux horizons bouder les bourgs ; Des nuages compacts plombent le ciel de Flandre ; Et tristement, et lourdement se font entendre, Là-bas, des bonds de glas sautant de tour en tour. Et quand la chute en or des feuillage effleure, Larmes ! ses murs flétris et ses pignons usés, La ferme croit sentir ses lointains trépassés Qui doucement se rapprochent d’elle, à cette heure, Et pleurent.

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    Voici quinze ans déjà que nous pensons d’accord Voici quinze ans déjà que nous pensons d’accord ; Que notre ardeur claire et belle vainc l’habitude, Mégère à lourde voix, dont les lentes mains rudes Usent l’amour le plus tenace et le plus fort. Je te regarde, et tous les jours je te découvre, Tant est intime ou ta douceur ou ta fierté : Le temps, certe, obscurcit les yeux de ta beauté, Mais exalte ton coeur dont le fond d’or s’entr’ouvre. Tu te laisses naïvement approfondir, Et ton âme, toujours, paraît fraîche et nouvelle ; Les mâts au clair, comme une ardente caravelle, Notre bonheur parcourt les mers de nos désirs. C’est en nous seuls que nous ancrons notre croyance, A la franchise nue et la simple bonté ; Nous agissons et nous vivons dans la clarté D’une joyeuse et translucide confiance. Ta force est d’être frêle et pure infiniment ; De traverser, le coeur en feu, tous chemins sombres, Et d’avoir conservé, malgré la brume ou l’ombre, Tous les rayons de l’aube en ton âme d’enfant. Émile Verhaeren, Les Heures d’après-midi  

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    Les usines Se regardant avec les yeux cassés de leurs fenêtres Et se mirant dans l'eau de poix et de salpêtre D'un canal droit, marquant sa barre à l'infini, Face à face, le long des quais d'ombre et de nuit, Par à travers les faubourgs lourds Et la misère en pleurs de ces faubourgs, Ronflent terriblement usine et fabriques.

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    Les vergers de mai En mai, les grands vergers de la Flandre féconde Sont des morceaux de paradis qui se souviennent D'avoir fleuri si blancs, aux premiers temps du monde.

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    J'ai cru a tout jamais notre joie engourdie J'ai cru à tout jamais notre joie engourdie Comme un soleil fané avant qu'il ne fût nuit, Le jour qu'avec ses bras de plomb, la maladie M'a lourdement traîné vers son fauteuil d'ennui. Les fleurs et le jardin m'étaient crainte ou fallace ; Mes yeux souffraient à voir flamber les midis blancs, Et mes deux mains, mes mains, semblaient déjà trop lasses Pour retenir captif notre bonheur tremblant. Mes désirs n'étaient plus que des plantes mauvaises, Ils se mordaient entre eux comme au vent les chardons, Je me sentais le coeur à la fois glace et braise Et tout à coup aride et rebelle aux pardons. Mais tu me dis le mot qui bellement console Sans le chercher ailleurs que dans l'immense amour ; Et je vivais avec le feu, de ta parole Et m'y chauffais, la nuit, jusqu'au lever du jour. L'homme diminué que je me sentais être, Pour moi-même et pour tous, n'existait pas pour toi ; Tu me cueillais des fleurs au bord de la fenêtre, Et je croyais en la santé, avec ta foi. Et tu me rapportais, dans les plis de ta robe, L'air vivace, le vent des champs et des forêts, Et les parfums du soir ou les odeurs de l'aube, Et le soleil, en tes baisers profonds et frais.

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