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Victor Hugo

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Victor Hugo, parfois surnommé l'Homme océan ou, de manière posthume, l'Homme siècle, est un poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français, né le 7 ventôse an X (26 février 1802) à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris. Il est considéré comme l'un des écrivains de la langue française et de la littérature mondiale les plus importants. Hugo est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a un rôle idéologique majeur et occupe une place marquante dans l'histoire des lettres françaises au XIXe siècle. Au théâtre, Victor Hugo s'impose comme un des chefs de file du romantisme français en présentant sa conception du drame romantique dans les préfaces qui introduisent Cromwell en 1827, puis Hernani en 1830, qui sont de véritables manifestes, puis par ses autres œuvres dramatiques, en particulier Lucrèce Borgia en 1833 et Ruy Blas en 1838. Son œuvre poétique comprend plusieurs recueils de poèmes lyriques, dont les plus célèbres sont Odes et Ballades paru en 1826, Les Feuilles d'automne en 1831 et Les Contemplations en 1856. Victor Hugo est aussi un poète engagé contre Napoléon III dans Les Châtiments, paru en 1853, et un poète épique dans La Légende des siècles, publié de 1859 à 1883. Comme romancier, il rencontre un grand succès populaire, d'abord avec Notre-Dame de Paris en 1831, et plus encore avec Les Misérables en 1862. Son œuvre multiple comprend aussi des écrits et discours politiques, des récits de voyages, des recueils de notes et de mémoires, des commentaires littéraires, une correspondance abondante, près de quatre mille dessins dont la plupart réalisés à l'encre, ainsi que la conception de décors intérieurs et une contribution à la photographie. Très impliqué dans le débat public, Victor Hugo est parlementaire sous la monarchie de Juillet et sous la Deuxième et Troisième République. Il s'exile pendant près de vingt ans à Jersey et Guernesey sous le Second Empire, dont il est l'un des grands opposants. Attaché à la paix et à la liberté et sensible à la misère humaine, il s'exprime en faveur de nombreuses avancées sociales, s'oppose à la peine de mort et à l'esclavage. Il soutient aussi l'idée d'une Europe unifiée. Son engagement résolument républicain dans la deuxième partie de sa vie et son immense œuvre littéraire font de lui un personnage emblématique, que la Troisième République honore par des funérailles nationales et le transfert de sa dépouille au Panthéon de Paris le 1er juin 1885, dix jours après sa mort. Pendant les deux jours où sa tombe est exposée au public, plus de deux millions de personnes se déplacent pour lui rendre hommage. Ayant fortement contribué au renouvellement de la poésie et du théâtre et ayant marqué son époque par ses prises de position politiques et sociales, Victor Hugo est encore célébré aujourd'hui, en France et à l'étranger, comme un personnage illustre, dont la vie et l'œuvre font l'objet de multiples commentaires et hommages.

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    Tristesse d'Olympio Les champs n'étaient point noirs, les cieux n'étaient pas mornes. Non, le jour rayonnait dans un azur sans bornes Sur la terre étendu, L'air était plein d'encens et les prés de verdures Quand il revit ces lieux où par tant de blessures Son cœur s'est répandu ! L'automne souriait ; les coteaux vers la plaine Penchaient leurs bois charmants qui jaunissaient à peine ; Le ciel était doré ; Et les oiseaux, tournés vers celui que tout nomme, Disant peut-être à Dieu quelque chose de l'homme, Chantaient leur chant sacré ! Il voulut tout revoir, l'étang près de la source, La masure où l'aumône avait vidé leur bourse, Le vieux frêne plié, Les retraites d'amour au fond des bois perdues, L'arbre où dans les baisers leurs âmes confondues Avaient tout oublié ! Il chercha le jardin, la maison isolée, La grille d'où l'œil plonge en une oblique allée, Les vergers en talus. Pâle, il marchait. – Au bruit de son pas grave et sombre, Il voyait à chaque arbre, hélas ! se dresser l'ombre Des jours qui ne sont plus ! Il entendait frémir dans la forêt qu'il aime Ce doux vent qui, faisant tout vibrer en nous-même, Y réveille l'amour, Et, remuant le chêne ou balançant la rose, Semble l'âme de tout qui va sur chaque chose Se poser tour à tour ! Les feuilles qui gisaient dans le bois solitaire, S'efforçant sous ses pas de s'élever de terre, Couraient dans le jardin ; Ainsi, parfois, quand l'âme est triste, nos pensées S'envolent un moment sur leurs ailes blessées, Puis retombent soudain. Il contempla longtemps les formes magnifiques Que la nature prend dans les champs pacifiques ; Il rêva jusqu'au soir ; Tout le jour il erra le long de la ravine, Admirant tour à tour le ciel, face divine, Le lac, divin miroir ! Hélas ! se rappelant ses douces aventures, Regardant, sans entrer, par-dessus les clôtures, Ainsi qu'un paria, Il erra tout le jour. Vers l'heure où la nuit tombe, Il se sentit le cœur triste comme une tombe, Alors il s'écria : « Ô douleur ! j'ai voulu, moi dont l'âme est troublée, Savoir si l'urne encor conservait la liqueur, Et voir ce qu'avait fait cette heureuse vallée De tout ce que j'avais laissé là de mon cœur ! « Que peu de temps suffit pour changer toutes choses ! Nature au front serein, comme vous oubliez ! Et comme vous brisez dans vos métamorphoses Les fils mystérieux où nos cœurs sont liés ! « Nos chambres de feuillage en halliers sont changées ! L'arbre où fut notre chiffre est mort ou renversé ; Nos roses dans l'enclos ont été ravagées Par les petits enfants qui sautent le fossé ! « Un mur clôt la fontaine où, par l'heure échauffée, Folâtre, elle buvait en descendant des bois ; Elle prenait de l'eau dans sa main, douce fée, Et laissait retomber des perles de ses doigts ! « On a pavé la route âpre et mal aplanie, Où, dans le sable pur se dessinant si bien, Et de sa petitesse étalant l'ironie, Son pied charmant semblait rire à côté du mien ! « La borne du chemin, qui vit des jours sans nombre, Où jadis pour m'attendre elle aimait à s'asseoir, S'est usée en heurtant, lorsque la route est sombre, Les grands chars gémissants qui reviennent le soir. « La forêt ici manque et là s'est agrandie. De tout ce qui fut nous presque rien n'est vivant ; Et, comme un tas de cendre éteinte et refroidie, L'amas des souvenirs se disperse à tout vent ! « N'existons-nous donc plus ? Avons-nous eu notre heure ? Rien ne la rendra-t-il à nos cris superflus ? L'air joue avec la branche au moment où je pleure ; Ma maison me regarde et ne me connaît plus. « D'autres vont maintenant passer où nous passâmes. Nous y sommes venus, d'autres vont y venir ; Et le songe qu'avaient ébauché nos deux âmes, Ils le continueront sans pouvoir le finir ! « Car personne ici-bas ne termine et n'achève ; Les pires des humains sont comme les meilleurs ; Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve. Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs. « Oui, d'autres à leur tour viendront, couples sans tache, Puiser dans cet asile heureux, calme, enchanté, Tout ce que la nature à l'amour qui se cache Mêle de rêverie et de solennité ! « D'autres auront nos champs, nos sentiers, nos retraites ; Ton bois, ma bien-aimée, est à des inconnus. D'autres femmes viendront, baigneuses indiscrètes, Troubler le flot sacré qu'ont touché tes pieds nus ! « Quoi donc ! c'est vainement qu'ici nous nous aimâmes ! Rien ne nous restera de ces coteaux fleuris Où nous fondions notre être en y mêlant nos flammes ! L'impassible nature a déjà tout repris. « Oh ! dites-moi, ravins, frais ruisseaux, treilles mûres, Rameaux chargés de nids, grottes, forêts, buissons, Est-ce que vous ferez pour d'autres vos murmures ? Est-ce que vous direz à d'autres vos chansons ? « Nous vous comprenions tant ! doux, attentifs, austères, Tous nos échos s'ouvraient si bien à votre voix ! Et nous prêtions si bien, sans troubler vos mystères, L'oreille aux mots profonds que vous dites parfois ! « Répondez, vallon pur, répondez, solitude, Ô nature abritée en ce désert si beau, Lorsque nous dormirons tous deux dans l'attitude Que donne aux morts pensifs la forme du tombeau ; « Est-ce que vous serez à ce point insensible De nous savoir couchés, morts avec nos amours, Et de continuer votre fête paisible, Et de toujours sourire et de chanter toujours ? « Est-ce que, nous sentant errer dans vos retraites, Fantômes reconnus par vos monts et vos bois, Vous ne nous direz pas de ces choses secrètes Qu'on dit en revoyant des amis d'autrefois ? « Est-ce que vous pourriez, sans tristesse et sans plainte, Voir nos ombres flotter où marchèrent nos pas, Et la voir m'entraîner, dans une morne étreinte, Vers quelque source en pleurs qui sanglote tout bas ? « Et s'il est quelque part, dans l'ombre où rien ne veille, Deux amants sous vos fleurs abritant leurs transports, Ne leur irez-vous pas murmurer à l'oreille : – Vous qui vivez, donnez une pensée aux morts ! « Dieu nous prête un moment les prés et les fontaines, Les grands bois frissonnants, les rocs profonds et sourds Et les cieux azurés et les lacs et les plaines, Pour y mettre nos cœurs, nos rêves, nos amours ! « Puis il nous les retire. Il souffle notre flamme ; Il plonge dans la nuit l'antre où nous rayonnons ; Et dit à la vallée, où s'imprima notre âme, D'effacer notre trace et d'oublier nos noms. « Eh bien ! oubliez-nous, maison, jardin, ombrages ! Herbe, use notre seuil ! ronce, cache nos pas ! Chantez, oiseaux ! ruisseaux, coulez ! croissez, feuillages ! Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas. « Car vous êtes pour nous l'ombre de l'amour même ! Vous êtes l'oasis qu'on rencontre en chemin ! Vous êtes, ô vallon, la retraite suprême Où nous avons pleuré nous tenant par la main ! « Toutes les passions s'éloignent avec l'âge, L'une emportant son masque et l'autre son couteau, Comme un essaim chantant d'histrions en voyage Dont le groupe décroît derrière le coteau. « Mais toi, rien ne t'efface, amour ! toi qui nous charmes, Toi qui, torche ou flambeau, luis dans notre brouillard ! Tu nous tiens par la joie, et surtout par les larmes ; Jeune homme on te maudit, on t'adore vieillard. « Dans ces jours où la tête au poids des ans s'incline, Où l'homme, sans projets, sans but, sans visions, Sent qu'il n'est déjà plus qu'une tombe en ruine Où gisent ses vertus et ses illusions ; « Quand notre âme en rêvant descend dans nos entrailles, Comptant dans notre cœur, qu'enfin la glace atteint, Comme on compte les morts sur un champ de batailles, Chaque douleur tombée et chaque songe éteint, « Comme quelqu'un qui cherche en tenant une lampe, Loin des objets réels, loin du monde rieur, Elle arrive à pas lents par une obscure rampe Jusqu'au fond désolé du gouffre intérieur ; « Et là, dans cette nuit qu'aucun rayon n'étoile, L'âme, en un repli sombre où tout semble finir, Sent quelque chose encor palpiter sous un voile... C'est toi qui dors dans l'ombre, ô sacré souvenir ! » Le 21 octobre 1837.

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    Une femme m'a dit ceci Une femme m'a dit ceci : - J'ai pris la fuite. Ma fille que j'avais au sein, toute petite, Criait, et j'avais peur qu'on n'entendît sa voix. Figurez-vous, c'était un enfant de deux mois ; Elle n'avait pas plus de force qu'une mouche. Mes baisers essayaient de lui fermer la bouche, Elle criait toujours ; hélas ! elle râlait. Elle voulait téter, je n'avais plus de lait. Toute une nuit s'était de la sorte écoulée. Je me cachais derrière une porte d'allée, Je pleurais, je voyais les chassepots briller. On cherchait mon mari qu'on voulait fusiller. Tout à coup, le matin, sous cette horrible porte, L'enfant ne cria plus. Monsieur, elle était morte. Je la touchai ; monsieur, elle était froide. Alors, Cela m'était égal qu'on me tuât ; dehors, Au hasard, j'emportai ma fille, j'étais folle, J'ai couru, des passants m'adressaient la parole, Mais je me suis enfuie, et, je ne sais plus où, J'ai creusé de mes mains dans la campagne un trou, Au pied d'un arbre, au coin d'un enclos solitaire ; Et j'ai couché mon ange endormi dans la terre ; L'enfant qu'on allaita, c'est dur de l'enterrer. Et le père était là qui se mit à pleurer.

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    Une nuit à Bruxelles Aux petits incidents il faut s’habituer. Hier on est venu chez moi pour me tuer. Mon tort dans ce pays c’est de croire aux asiles. On ne sait quel ramas de pauvres imbéciles S’est rué tout à coup la nuit sur ma maison. Les arbres de la place en eurent le frisson, Mais pas un habitant ne bougea. L’escalade Fut longue, ardente, horrible, et Jeanne était malade. Je conviens que j’avais pour elle un peu d’effroi. Mes deux petits-enfants, quatre femmes et moi, C’était la garnison de cette forteresse. Rien ne vint secourir la maison en détresse. La police fut sourde ayant affaire ailleurs. Un dur caillou tranchant effleura Jeanne en pleurs. Attaque de chauffeurs en pleine Forêt-Noire. Ils criaient : Une échelle ! une poutre ! victoire ! Fracas où se perdaient nos appels sans écho. Deux hommes apportaient du quartier Pachéco Une poutre enlevée à quelque échafaudage. Le jour naissant gênait la bande. L’abordage Cessait, puis reprenait. Ils hurlaient haletants. La poutre par bonheur n’arriva pas à temps.  » Assassin ! – C’était moi. – Nous voulons que tu meures ! Brigand ! Bandit !  » Ceci dura deux bonnes heures. George avait calmé Jeanne en lui prenant la main. Noir tumulte. Les voix n’avaient plus rien d’humain ; Pensif, je rassurais les femmes en prières, Et ma fenêtre était trouée à coups de pierres. Il manquait là des cris de vive l’empereur ! La porte résista battue avec fureur. Cinquante hommes armés montrèrent ce courage. Et mon nom revenait dans des clameurs de rage : A la lanterne ! à mort ! qu’il meure ! il nous le faut ! Par moments, méditant quelque nouvel assaut, Tout ce tas furieux semblait reprendre haleine ; Court répit ; un silence obscur et plein de haine Se faisait au milieu de ce sombre viol ; Et j’entendais au loin chanter un rossignol.

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    Une terre au flanc maigre Une terre au flanc maigre, âpre, avare, inclément, Où les vivants pensifs travaillent tristement, Et qui donne à regret à cette race humaine Un peu de pain pour tant de labeur et de peine ; Des hommes durs, éclos sur ces sillons ingrats ; Des cités d'où s'en vont, en se tordant les bras, La charité, la paix, la foi, sœurs vénérables ; L'orgueil chez les puissants et chez les misérables ; La haine au cœur de tous; la mort, spectre sans yeux, Frappant sur les meilleurs des coups mystérieux ; Sur tous les hauts sommets, des brumes répandues ; Deux vierges, la justice et la pudeur, vendues ; Toutes les passions engendrant tous les maux ; Des forêts abritant des loups sous leurs rameaux ; Là le désert torride, ici les froids polaires ; Des océans émus de subites colères, Pleins de mâts frissonnants qui sombrent dans la nuit ; Des continents couverts de fumée et de bruit, Où deux torches aux mains rugit la guerre infâme. Où toujours quelque part fume une ville en flamme, Où se heurtent sanglants les peuples furieux ; — Et que tout cela fasse un astre dans les cieux ! Octobre 1840.

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    Veni, vidi, vixi J'ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs Je marche, sans trouver de bras qui me secourent, Puisque je ris à peine aux enfants qui m'entourent, Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs ; Puisqu'au printemps, quand Dieu met la nature en fête, J'assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour ; Puisque je suis à l'heure où l'homme fuit le jour, Hélas ! et sent de tout la tristesse secrète ; Puisque l'espoir serein dans mon âme est vaincu ; Puisqu'en cette saison des parfums et des roses, Ô ma fille ! j'aspire à l'ombre où tu reposes, Puisque mon coeur est mort, j'ai bien assez vécu. Je n'ai pas refusé ma tâche sur la terre. Mon sillon ? Le voilà. Ma gerbe ? La voici. J'ai vécu souriant, toujours plus adouci, Debout, mais incliné du côté du mystère. J'ai fait ce que j'ai pu ; j'ai servi, j'ai veillé, Et j'ai vu bien souvent qu'on riait de ma peine. Je me suis étonné d'être un objet de haine, Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé. Dans ce bagne terrestre où ne s'ouvre aucune aile, Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains, Morne, épuisé, raillé par les forçats humains, J'ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle. Maintenant, mon regard ne s'ouvre qu'à demi ; Je ne me tourne plus même quand on me nomme ; Je suis plein de stupeur et d'ennui, comme un homme Qui se lève avant l'aube et qui n'a pas dormi. Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse, Répondre à l'envieux dont la bouche me nuit. Ô Seigneur ! ouvrez-moi les portes de la nuit, Afin que je m'en aille et que je disparaisse !

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    Vere Novo Comme le matin rit sur les roses en pleurs ! Oh ! les charmants petits amoureux qu'ont les fleurs ! Ce n'est dans les jasmins, ce n'est dans les pervenches Qu'un éblouissement de folles ailes blanches Qui vont, viennent, s'en vont, reviennent, se fermant, Se rouvrant, dans un vaste et doux frémissement. Ô printemps! quand on songe à toutes les missives Qui des amants rêveurs vont aux belles pensives, À ces coeurs confiés au papier, à ce tas De lettres que le feutre écrit au taffetas, Au message d'amour, d'ivresse et de délire Qu'on reçoit en avril et qu'en met l'on déchire, On croit voir s'envoler, au gré du vent joyeux, Dans les prés, dans les bois, sur les eaux, dans les cieux, Et rôder en tous lieux, cherchant partout une âme, Et courir à la fleur en sortant de la femme, Les petits morceaux blancs, chassés en tourbillons De tous les billets doux, devenus papillons. Mai 1831.

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    Vieille chanson du jeune temps Je ne songeais pas à Rose ; Rose au bois vint avec moi ; Nous parlions de quelque chose, Mais je ne sais plus de quoi. J'étais froid comme les marbres ; Je marchais à pas distraits ; Je parlais des fleurs, des arbres Son oeil semblait dire : " Après ? " La rosée offrait ses perles, Le taillis ses parasols ; J'allais ; j'écoutais les merles, Et Rose les rossignols. Moi, seize ans, et l'air morose ; Elle, vingt ; ses yeux brillaient. Les rossignols chantaient Rose Et les merles me sifflaient. Rose, droite sur ses hanches, Leva son beau bras tremblant Pour prendre une mûre aux branches Je ne vis pas son bras blanc. Une eau courait, fraîche et creuse, Sur les mousses de velours ; Et la nature amoureuse Dormait dans les grands bois sourds. Rose défit sa chaussure, Et mit, d'un air ingénu, Son petit pied dans l'eau pure Je ne vis pas son pied nu. Je ne savais que lui dire ; Je la suivais dans le bois, La voyant parfois sourire Et soupirer quelquefois. Je ne vis qu'elle était belle Qu'en sortant des grands bois sourds. " Soit ; n'y pensons plus ! " dit-elle. Depuis, j'y pense toujours. Paris, juin 1831.

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    Voeu Si j'étais la feuille que roule L'aile tournoyante du vent, Qui flotte sur l'eau qui s'écoule, Et qu'on suit de l'oeil en rêvant ; Je me livrerais, fraîche encore, De la branche me détachant, Au zéphyr qui souffle à l'aurore, Au ruisseau qui vient du couchant. Plus loin que le fleuve, qui gronde, Plus loin que les vastes forêts, Plus loin que la gorge profonde, Je fuirais, je courrais, j'irais ! Plus loin que l'antre de la louve, Plus loin que le bois des ramiers, Plus loin que la plaine où l'on trouve Une fontaine et trois palmiers ; Par delà ces rocs qui répandent L'orage en torrent dans les blés, Par delà ce lac morne, où pendent Tant de buissons échevelés ; Plus loin que les terres arides Du chef maure au large ataghan, Dont le front pâle a plus de rides Que la mer un jour d'ouragan. Je franchirais comme la flèche L'étang d'Arta, mouvant miroir, Et le mont dont la cime empêche Corinthe et Mykos de se voir. Comme par un charme attirée, Je m'arrêterais au matin Sur Mykos, la ville carrée, La ville aux coupoles d'étain. J'irais chez la fille du prêtre, Chez la blanche fille à l'oeil noir, Qui le jour chante à sa fenêtre, Et joue à sa porte le soir. Enfin, pauvre feuille envolée, Je viendrais, au gré de mes voeux, Me poser sur son front, mêlée Aux boucles de ses blonds cheveux ; Comme une perruche au pied leste Dans le blé jaune, ou bien encor Comme, dans un jardin céleste, Un fruit vert sur un arbre d'or. Et là, sur sa tête qui penche, Je serais, fût-ce peu d'instants, Plus fière que l'aigrette blanche Au front étoilé des sultans.

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    Voici que la saison décline Voici que la saison décline, L’ombre grandit, l’azur décroît, Le vent fraîchit sur la colline, L’oiseau frissonne, l’herbe a froid. Août contre septembre lutte ; L’océan n’a plus d’alcyon ; Chaque jour perd une minute, Chaque aurore pleure un rayon. La mouche, comme prise au piège, Est immobile à mon plafond ; Et comme un blanc flocon de neige, Petit à petit, l’été fond.

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    À celle qui est restée en France I Mets-toi sur ton séant, lève tes yeux, dérange Ce drap glacé qui fait des plis sur ton front d'ange, Ouvre tes mains, et prends ce livre : il est à toi. Ce livre où vit mon âme, espoir, deuil, rêve, effroi, Ce livre qui contient le spectre de ma vie, Mes angoisses, mon aube, hélas ! de pleurs suivie, L'ombre et son ouragan, la rose et son pistil, Ce livre azuré, triste, orageux, d'où sort-il ? D'où sort le blême éclair qui déchire la brume ? Depuis quatre ans, j'habite un tourbillon d'écume ; Ce livre en a jailli. Dieu dictait, j'écrivais ; Car je suis paille au vent. Va ! dit l'esprit. Je vais. Et, quand j'eus terminé ces pages, quand ce livre Se mit à palpiter, à respirer, à vivre, Une église des champs, que le lierre verdit, Dont la tour sonne l'heure à mon néant, m'a dit : Ton cantique est fini ; donne-le-moi, poëte. - Je le réclame, a dit la forêt inquiète ; Et le doux pré fleuri m'a dit : - Donne-le-moi. La mer, en le voyant frémir, m'a dit : - Pourquoi Ne pas me le jeter, puisque c'est une voile ! - C'est à moi qu'appartient cet hymne, a dit l'étoile. - Donne-le-nous, songeur, ont crié les grands vents. Et les oiseaux m'ont dit : - Vas-tu pas aux vivants Offrir ce livre, éclos si loin de leurs querelles ? Laisse-nous l'emporter dans nos nids sur nos ailes ! - Mais le vent n'aura point mon livre, ô cieux profonds ! Ni la sauvage mer, livrée aux noirs typhons, Ouvrant et refermant ses flots, âpres embûches ; Ni la verte forêt qu'emplit un bruit de ruches ; Ni l'église où le temps fait tourner son compas ; Le pré ne l'aura pas, l'astre ne l'aura pas, L'oiseau ne l'aura pas, qu'il soit aigle ou colombe, Les nids ne l'auront pas ; je le donne à la tombe. II Autrefois, quand septembre en larmes revenait, Je partais, je quittais tout ce qui me connaît, Je m'évadais ; Paris s'effaçait ; rien, personne ! J'allais, je n'étais plus qu'une ombre qui frissonne, Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler, Sachant bien que j'irais où je devais aller ; Hélas ! je n'aurais pu même dire : Je souffre ! Et, comme subissant l'attraction d'un gouffre, Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais, J'ignorais, je marchais devant moi, j'arrivais. Ô souvenirs ! ô forme horrible des collines ! Et, pendant que la mère et la soeur, orphelines, Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir Avec l'avidité morne du désespoir ; Puis j'allais au champ triste à côté de l'église ; Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise, L'oeil aux cieux, j'approchais ; l'accablement soutient ; Les arbres murmuraient : C'est le père qui vient ! Les ronces écartaient leurs branches desséchées ; Je marchais à travers les humbles croix penchées, Disant je ne sais quels doux et funèbres mots ; Et je m'agenouillais au milieu des rameaux Sur la pierre qu'on voit blanche dans la verdure. Pourquoi donc dormais-tu d'une façon si dure Que tu n'entendais pas lorsque je t'appelais ? Et les pêcheurs passaient en traînant leurs filets, Et disaient : Qu'est-ce donc que cet homme qui songe ? Et le jour, et le soir, et l'ombre qui s'allonge, Et Vénus, qui pour moi jadis étincela, Tout avait disparu que j'étais encor là. J'étais là, suppliant celui qui nous exauce ; J'adorais, je laissais tomber sur cette fosse, Hélas ! où j'avais vu s'évanouir mes cieux, Tout mon coeur goutte à goutte en pleurs silencieux ; J'effeuillais de la sauge et de la clématite ; Je me la rappelais quand elle était petite, Quand elle m'apportait des lys et des jasmins, Ou quand elle prenait ma plume dans ses mains, Gaie, et riant d'avoir de l'encre à ses doigts roses ; Je respirais les fleurs sur cette cendre écloses, Je fixais mon regard sur ces froids gazons verts, Et par moments, ô Dieu, je voyais, à travers La pierre du tombeau, comme une lueur d'âme ! Oui, jadis, quand cette heure en deuil qui me réclame Tintait dans le ciel triste et dans mon coeur saignant, Rien ne me retenait, et j'allais ; maintenant, Hélas !... - Ô fleuve ! ô bois ! vallons dont je fus l'hôte, Elle sait, n'est-ce pas ? que ce n'est pas ma faute Si, depuis ces quatre ans, pauvre coeur sans flambeau, Je ne suis pas allé prier sur son tombeau ! III Ainsi, ce noir chemin que je faisais, ce marbre Que je contemplais, pâle, adossé contre un arbre, Ce tombeau sur lequel mes pieds pouvaient marcher, La nuit, que je voyais lentement approcher, Ces ifs, ce crépuscule avec ce cimetière, Ces sanglots, qui du moins tombaient sur cette pierre, Ô mon Dieu, tout cela, c'était donc du bonheur ! Dis, qu'as-tu fait pendant tout ce temps-là ? - Seigneur, Qu'a-t-elle fait ? - Vois-tu la vie en vos demeures ? A quelle horloge d'ombre as-tu compté les heures ? As-tu sans bruit parfois poussé l'autre endormi ? Et t'es-tu, m'attendant, réveillée à demi ? T'es-tu, pâle, accoudée à l'obscure fenêtre De l'infini, cherchant dans l'ombre à reconnaître Un passant, à travers le noir cercueil mal joint, Attentive, écoutant si tu n'entendais point Quelqu'un marcher vers toi dans l'éternité sombre ? Et t'es-tu recouchée ainsi qu'un mât qui sombre, En disant : Qu'est-ce donc ? mon père ne vient pas ! Avez-vous tous les deux parlé de moi tout bas ? Que de fois j'ai choisi, tout mouillés de rosée, Des lys dans mon jardin, des lys dans ma pensée ! Que de fois j'ai cueilli de l'aubépine en fleur ! Que de fois j'ai, là-bas, cherché la tour d'Harfleur, Murmurant : C'est demain que je pars ! et, stupide, Je calculais le vent et la voile rapide, Puis ma main s'ouvrait triste, et je disais : Tout fuit ! Et le bouquet tombait, sinistre, dans la nuit ! Oh ! que de fois, sentant qu'elle devait m'attendre, J'ai pris ce que j'avais dans le coeur de plus tendre Pour en charger quelqu'un qui passerait par là ! Lazare ouvrit les yeux quand Jésus l'appela ; Quand je lui parle, hélas ! pourquoi les ferme-t-elle ? Où serait donc le mal quand de l'ombre mortelle L'amour violerait deux fois le noir secret, Et quand, ce qu'un dieu fit, un père le ferait ? IV Que ce livre, du moins, obscur message, arrive, Murmure, à ce silence, et, flot, à cette rive ! Qu'il y tombe, sanglot, soupir, larme d'amour ! Qu'il entre en ce sépulcre où sont entrés un jour Le baiser, la jeunesse, et l'aube, et la rosée, Et le rire adoré de la fraîche épousée, Et la joie, et mon coeur, qui n'est pas ressorti ! Qu'il soit le cri d'espoir qui n'a jamais menti, Le chant du deuil, la voix du pâle adieu qui pleure, Le rêve dont on sent l'aile qui nous effleure ! Qu'elle dise : Quelqu'un est là ; j'entends du bruit ! Qu'il soit comme le pas de mon âme en sa nuit ! Ce livre, légion tournoyante et sans nombre D'oiseaux blancs dans l'aurore et d'oiseaux noirs dans l'ombre, Ce vol de souvenirs fuyant à l'horizon, Cet essaim que je lâche au seuil de ma prison, Je vous le confie, air, souffles, nuée, espace ! Que ce fauve océan qui me parle à voix basse, Lui soit clément, l'épargne et le laisse passer ! Et que le vent ait soin de n'en rien disperser, Et jusqu'au froid caveau fidèlement apporte Ce don mystérieux de l'absent à la morte ! Ô Dieu ! puisqu'en effet, dans ces sombres feuillets, Dans ces strophes qu'au fond de vos cieux je cueillais, Dans ces chants murmurés comme un épithalame Pendant que vous tourniez les pages de mon âme, Puisque j'ai, dans ce livre, enregistré mes jours, Mes maux, mes deuils, mes cris dans les problèmes sourds, Mes amours, mes travaux, ma vie heure par heure ; Puisque vous ne voulez pas encor que je meure, Et qu'il faut bien pourtant que j'aille lui parler ; Puisque je sens le vent de l'infini souffler Sur ce livre qu'emplit l'orage et le mystère ; Puisque j'ai versé là toutes vos ombres, terre, Humanité, douleur, dont je suis le passant ; Puisque de mon esprit, de mon coeur, de mon sang, J'ai fait l'âcre parfum de ces versets funèbres, Va-t'en, livre, à l'azur, à travers les ténèbres ! Fuis vers la brume où tout à pas lents est conduit ! Oui, qu'il vole à la fosse, à la tombe, à la nuit, Comme une feuille d'arbre ou comme une âme d'homme ! Qu'il roule au gouffre où va tout ce que la voix nomme ! Qu'il tombe au plus profond du sépulcre hagard, A côté d'elle, ô mort ! et que là, le regard, Près de l'ange qui dort, lumineux et sublime, Le voie épanoui, sombre fleur de l'abîme ! V Ô doux commencements d'azur qui me trompiez, Ô bonheurs ! je vous ai durement expiés ! J'ai le droit aujourd'hui d'être, quand la nuit tombe, Un de ceux qui se font écouter de la tombe, Et qui font, en parlant aux morts blêmes et seuls, Remuer lentement les plis noirs des linceuls, Et dont la parole, âpre ou tendre, émeut les pierres, Les grains dans les sillons, les ombres dans les bières, La vague et la nuée, et devient une voix De la nature, ainsi que la rumeur des bois. Car voilà, n'est-ce pas, tombeaux ? bien des années, Que je marche au milieu des croix infortunées, Échevelé parmi les ifs et les cyprès, L'âme au bord de la nuit, et m'approchant tout près, Et que je vais, courbé sur le cercueil austère, Questionnant le plomb, les clous, le ver de terre Qui pour moi sort des yeux de la tête de mort, Le squelette qui rit, le squelette qui mord, Les mains aux doigts noueux, les crânes, les poussières, Et les os des genoux qui savent des prières ! Hélas ! j'ai fouillé tout. J'ai voulu voir le fond. Pourquoi le mal en nous avec le bien se fond, J'ai voulu le savoir. J'ai dit : Que faut-il croire ? J'ai creusé la lumière, et l'aurore, et la gloire, L'enfant joyeux, la vierge et sa chaste frayeur, Et l'amour, et la vie, et l'âme, - fossoyeur. Qu'ai-je appris ? J'ai, pensif , tout saisi sans rien prendre ; J'ai vu beaucoup de nuit et fait beaucoup de cendre. Qui sommes-nous ? que veut dire ce mot : Toujours ? J'ai tout enseveli, songes, espoirs, amours, Dans la fosse que j'ai creusée en ma poitrine. Qui donc a la science ? où donc est la doctrine ? Oh ! que ne suis-je encor le rêveur d'autrefois, Qui s'égarait dans l'herbe, et les prés, et les bois, Qui marchait souriant, le soir, quand le ciel brille, Tenant la main petite et blanche de sa fille, Et qui, joyeux, laissant luire le firmament, Laissant l'enfant parler, se sentait lentement Emplir de cet azur et de cette innocence ! Entre Dieu qui flamboie et l'ange qui l'encense, J'ai vécu, j'ai lutté, sans crainte, sans remord. Puis ma porte soudain s'ouvrit devant la mort, Cette visite brusque et terrible de l'ombre. Tu passes en laissant le vide et le décombre, Ô spectre ! tu saisis mon ange et tu frappas. Un tombeau fut dès lors le but de tous mes pas. VI Je ne puis plus reprendre aujourd'hui dans la plaine Mon sentier d'autrefois qui descend vers la Seine ; Je ne puis plus aller où j'allais ; je ne puis, Pareil à la laveuse assise au bord du puits, Que m'accouder au mur de l'éternel abîme ; Paris m'est éclipsé par l'énorme Solime ; La hauteNotre-Dame à présent, qui me luit, C'est l'ombre ayant deux tours, le silence et la nuit, Et laissant des clartés trouer ses fatals voiles ; Et je vois sur mon front un panthéon d'étoiles ; Si j'appelle Rouen, Villequier, Caudebec, Toute l'ombre me crie : Horeb, Cédron, Balbeck ! Et, si je pars, m'arrête à la première lieue, Et me dit: Tourne-toi vers l'immensité bleue ! Et me dit : Les chemins où tu marchais sont clos. Penche-toi sur les nuits, sur les vents, sur les flots ! A quoi penses-tu donc ? que fais-tu, solitaire ? Crois-tu donc sous tes pieds avoir encor la terre ? Où vas-tu de la sorte et machinalement ? Ô songeur ! penche-toi sur l'être et l'élément ! Écoute la rumeur des âmes dans les ondes ! Contemple, s'il te faut de la cendre, les mondes ; Cherche au moins la poussière immense, si tu veux Mêler de la poussière à tes sombres cheveux, Et regarde, en dehors de ton propre martyre, Le grand néant, si c'est le néant qui t'attire ! Sois tout à ces soleils où tu remonteras ! Laisse là ton vil coin de terre. Tends les bras, Ô proscrit de l'azur, vers les astres patries ! Revois-y refleurir tes aurores flétries ; Deviens le grand oeil fixe ouvert sur le grand tout. Penche-toi sur l'énigme où l'être se dissout, Sur tout ce qui naît, vit, marche, s'éteint, succombe, Sur tout le genre humain et sur toute la tombe ! Mais mon coeur toujours saigne et du même côté. C'est en vain que les cieux, les nuits, l'éternité, Veulent distraire une âme et calmer un atome. Tout l'éblouissement des lumières du dôme M'ôte-t-il une larme ? Ah ! l'étendue a beau Me parler, me montrer l'universel tombeau, Les soirs sereins, les bois rêveurs, la lune amie ; J'écoute, et je reviens à la douce endormie. VII Des fleurs ! oh ! si j'avais des fleurs ! si je pouvais Aller semer des lys sur ces deux froids chevets ! Si je pouvais couvrir de fleurs mon ange pâle ! Les fleurs sont l'or, l'azur, l'émeraude, l'opale ! Le cercueil au milieu des fleurs veut se coucher ; Les fleurs aiment la mort, et Dieu les fait toucher Par leur racine aux os, par leur parfum aux âmes ! Puisque je ne le puis, aux lieux que nous aimâmes, Puisque Dieu ne veut pas nous laisser revenir, Puisqu'il nous fait lâcher ce qu'on croyait tenir, Puisque le froid destin, dans ma geôle profonde, Sur la première porte en scelle une seconde, Et, sur le père triste et sur l'enfant qui dort, Ferme l'exil après avoir fermé la mort, Puisqu'il est impossible à présent que je jette Même un brin de bruyère à sa fosse muette, C'est bien le moins qu'elle ait mon âme, n'est-ce pas ? Ô vent noir dont j'entends sur mon plafond le pas ! Tempête, hiver, qui bats ma vitre de ta grêle ! Mers, nuits ! et je l'ai mise en ce livre pour elle ! Prends ce livre ; et dis-toi : Ceci vient du vivant Que nous avons laissé derrière nous, rêvant. Prends. Et, quoique de loin, reconnais ma voix, âme ! Oh ! ta cendre est le lit de mon reste de flamme ; Ta tombe est mon espoir, ma charité, ma foi ; Ton linceul toujours flotte entre la vie et moi. Prends ce livre, et fais-en sortir un divin psaume ! Qu'entre tes vagues mains il devienne fantôme ! Qu'il blanchisse, pareil à l'aube qui pâlit, A mesure que l'oeil de mon ange le lit, Et qu'il s'évanouisse, et flotte, et disparaisse, Ainsi qu'un âtre obscur qu'un souffle errant caresse, Ainsi qu'une lueur qu'on voit passer le soir, Ainsi qu'un tourbillon de feu de l'encensoir, Et que, sous ton regard éblouissant et sombre, Chaque page s'en aille en étoiles dans l'ombre ! VIII Oh ! quoi que nous fassions et quoi que nous disions, Soit que notre âme plane au vent des visions, Soit qu'elle se cramponne à l'argile natale, Toujours nous arrivons à ta grotte fatale, Gethsémani ! qu'éclaire une vague lueur ! Ô rocher de l'étrange et funèbre sueur ! Cave où l'esprit combat le destin ! ouverture Sur les profonds effrois de la sombre nature ! Antre d'où le lion sort rêveur, en voyant Quelqu'un de plus sinistre et de plus effrayant, La douleur, entrer, pâle, amère, échevelée ! Ô chute ! asile ! ô seuil de la trouble vallée D'où nous apercevons nos ans fuyants et courts, Nos propres pas marqués dans la fange des jours, L'échelle où le mal pèse et monte, spectre louche, L'âpre frémissement de la palme farouche, Les degrés noirs tirant en bas les blancs degrés, Et les frissons aux fronts des anges effarés ! Toujours nous arrivons à cette solitude, Et, là, nous nous taisons, sentant la plénitude ! Paix à l'ombre ! Dormez ! dormez ! dormez ! dormez ! Êtres, groupes confus lentement transformés ! Dormez, les champs ! dormez, les fleurs ! dormez, les tombes ! Toits, murs, seuils des maisons, pierres des catacombes, Feuilles au fond des bois, plumes au fond des nids, Dormez ! dormez, brins d'herbe, et dormez, infinis ! Calmez-vous, forêt, chêne, érable, frêne, yeuse ! Silence sur la grande horreur religieuse, Sur l'océan qui lutte et qui ronge son mors, Et sur l'apaisement insondable des morts ! Paix à l'obscurité muette et redoutée, Paix au doute effrayant, à l'immense ombre athée, A toi, nature, cercle et centre, âme et milieu, Fourmillement de tout, solitude de Dieu ! Ô générations aux brumeuses haleines, Reposez-vous ! pas noirs qui marchez dans les plaines ! Dormez, vous qui saignez ; dormez, vous qui pleurez ! Douleurs, douleurs, douleurs, fermez vos yeux sacrés ! Tout est religion et rien n'est imposture. Que sur toute existence et toute créature, Vivant du souffle humain ou du souffle animal, Debout au seuil du bien, croulante au bord du mal, Tendre ou farouche, immonde ou splendide, humble ou grande, La vaste paix des cieux de toutes parts descende ! Que les enfers dormants rêvent les paradis ! Assoupissez-vous, flots, mers, vents, âmes, tandis Qu'assis sur la montagne en présence de l'Être, Précipice où l'on voit pêle-mêle apparaître Les créations, l'astre et l'homme, les essieux De ces chars de soleil que nous nommons les cieux, Les globes, fruits vermeils des divines ramées, Les comètes d'argent dans un champ noir semées, Larmes blanches du drap mortuaire des nuits, Les chaos, les hivers, ces lugubres ennuis, Pâle, ivre d'ignorance, ébloui de ténèbres, Voyant dans l'infini s'écrire des algèbres, Le contemplateur, triste et meurtri, mais serein, Mesure le problème aux murailles d'airain, Cherche à distinguer l'aube à travers les prodiges, Se penche, frémissant, au puits des grands vertiges, Suit de l'oeil des blancheurs qui passent, alcyons, Et regarde, pensif, s'étoiler de rayons, De clartés, de lueurs, vaguement enflammées, Le gouffre monstrueux plein d'énormes fumées. Guernesey, 2 novembre 1855, jour des morts.

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    À cette terre, où l'on ploie À cette terre, où l'on ploie Sa tente au déclin du jour, Ne demande pas la joie. Contente-toi de l'amour ! Excepté lui, tout s'efface. La vie est un sombre lieu Où chaque chose qui passe Ébauche l'homme pour Dieu. L'homme est l'arbre à qui la sève Manque avant qu'il soit en fleur. Son sort jamais ne s'achève Que du côté du malheur. Tous cherchent la joie ensemble ; L'esprit rit à tout venant ; Chacun tend sa main qui tremble Vers quelque objet rayonnant. Mais vers toute âme, humble ou fière, Le malheur monte à pas lourds, Comme un spectre aux pieds de pierre ; Le reste flotte toujours ! Tout nous manque, hormis la peine ! Le bonheur, pour l'homme en pleurs, N'est qu'une figure vaine De choses qui sont ailleurs. L'espoir c'est l'aube incertaine ; Sur notre but sérieux C'est la dorure lointaine D'un rayon mystérieux. C'est le reflet, brume ou flamme, Que dans leur calme éternel Versent d'en haut sur notre âme Les félicités du ciel. Ce sont les visions blanches Qui, jusqu'à nos yeux maudits, Viennent à travers les branches Des arbres du paradis ! C'est l'ombre que sur nos grèves Jettent ces arbres charmants Dont l'âme entend dans ses rêves Les vagues frissonnements ! Ce reflet des biens sans nombre, Nous l'appelons le bonheur ; Et nous voulons saisir l'ombre Quand la chose est au Seigneur ! Va, si haut nul ne s'élève ; Sur terre il faut demeurer ; On sourit de ce qu'on rêve, Mais ce qu'on a, fait pleurer. Puisqu'un Dieu saigne au Calvaire, Ne nous plaignons pas, crois-moi. Souffrons ! c'est la loi sévère. Aimons ! c'est la douce loi. Aimons ! soyons deux ! Le sage N'est pas seul dans son vaisseau. Les deux yeux font le visage ; Les deux ailes font l'oiseau. Soyons deux ! – Tout nous convie À nous aimer jusqu'au soir. N'ayons à deux qu'une vie ! N'ayons à deux qu'un espoir ! Dans ce monde de mensonges, Moi, j'aimerai mes douleurs, Si mes rêves sont tes songes, Si mes larmes sont tes pleurs ! Le 20 mai 1838.

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    À des oiseaux envolés Enfants ! - Oh ! revenez ! Tout à l'heure, imprudent, Je vous ai de ma chambre exilés en grondant, Rauque et tout hérissé de paroles moroses. Et qu'aviez-vous donc fait, bandits aux lèvres roses ? Quel crime ? quel exploit ? quel forfait insensé ? Quel vase du Japon en mille éclats brisé ? Quel vieux portrait crevé ? Quel beau missel gothique Enrichi par vos mains d'un dessin fantastique ? Non, rien de tout cela. Vous aviez seulement, Ce matin, restés seuls dans ma chambre un moment, Pris, parmi ces papiers que mon esprit colore, Quelques vers, groupe informe, embryons près d'éclore, Puis vous les aviez mis, prompts à vous accorder, Dans le feu, pour jouer, pour voir, pour regarder Dans une cendre noire errer des étincelles, Comme brillent sur l'eau de nocturnes nacelles, Ou comme, de fenêtre en fenêtre, on peut voir Des lumières courir dans les maisons le soir. Voilà tout. Vous jouiez et vous croyiez bien faire. Belle perte, en effet ! beau sujet de colère ! Une strophe, mal née au doux bruit de vos jeux, Qui remuait les mots d'un vol trop orageux ! Une ode qui chargeait d'une rime gonflée Sa stance paresseuse en marchant essoufflée ! De lourds alexandrins l'un sur l'autre enjambant Comme des écoliers qui sortent de leur banc ! Un autre eût dit : - Merci ! Vous ôtez une proie Au feuilleton méchant qui bondissait de joie Et d'avance poussait des rires infernaux Dans l'antre qu'il se creuse au bas des grands journaux. Moi, je vous ai grondés. Tort grave et ridicule ! Nains charmants que n'eût pas voulu fâcher Hercule, Moi, je vous ai fait peur. J'ai, rêveur triste et dur, Reculé brusquement ma chaise jusqu'au mur, Et, vous jetant ces noms dont l'envieux vous nomme, J'ai dit : - Allez-vous-en ! laissez-moi seul ! - Pauvre homme ! Seul ! le beau résultat ! le beau triomphe ! seul ! Comme on oublie un mort roulé dans son linceul, Vous m'avez laissé là, l'oeil fixé sur ma porte, Hautain, grave et puni. - Mais vous, que vous importe ! Vous avez retrouvé dehors la liberté, Le grand air, le beau parc, le gazon souhaité, L'eau courante où l'on jette une herbe à l'aventure, Le ciel bleu, le printemps, la sereine nature, Ce livre des oiseaux et des bohémiens, Ce poème de Dieu qui vaut mieux que les miens, Où l'enfant peut cueillir la fleur, strophe vivante, Sans qu'une grosse voix tout à coup l'épouvante ! Moi, je suis resté seul, toute joie ayant fui, Seul avec ce pédant qu'on appelle l'ennui. Car, depuis le matin assis dans l'antichambre, Ce docteur, né dans Londres, un dimanche, en décembre, Qui ne vous aime pas, ô mes pauvres petits, Attendait pour entrer que vous fussiez sortis. Dans l'angle où vous jouiez il est là qui soupire, Et je le vois bâiller, moi qui vous voyais rire ! Que faire ? lire un livre ? oh non ! - dicter des vers ? A quoi bon ? - Emaux bleus ou blancs, céladons verts, Sphère qui fait tourner tout le ciel sur son axe, Les beaux insectes peints sur mes tasses de Saxe, Tout m'ennuie, et je pense à vous. En vérité, Vous partis, j'ai perdu le soleil, la gaîté, Le bruit joyeux qui fait qu'on rêve, le délire De voir le tout petit s'aider du doigt pour lire, Les fronts pleins de candeur qui disent toujours oui, L'éclat de rire franc, sincère, épanoui, Qui met subitement des perles sur les lèvres, Les beaux grands yeux naïfs admirant mon vieux Sèvres, La curiosité qui cherche à tout savoir, Et les coudes qu'on pousse en disant : Viens donc voir ! Oh ! certes, les esprits, les sylphes et les fées Que le vent dans ma chambre apporte par bouffées, Les gnomes accroupis là-haut, près du plafond, Dans les angles obscurs que mes vieux livres font, Les lutins familiers, nains à la longue échine, Qui parlent dans les coins à mes vases de Chine. Tout l'invisible essaim de ces démons joyeux A dû rire aux éclats, quand là, devant leurs yeux, Ils vous ont vus saisir dans la boîte aux ébauches Ces hexamètres nus, boiteux, difformes, gauches, Les traîner au grand jour, pauvres hiboux fâchés, Et puis, battant des mains, autour du feu penchés, De tous ces corps hideux soudain tirant une âme, Avec ces vers si laids faire une belle flamme ! Espiègles radieux que j'ai fait envoler, Oh ! revenez ici chanter, danser, parler, Tantôt, groupe folâtre, ouvrir un gros volume, Tantôt courir, pousser mon bras qui tient ma plume, Et faire dans le vers que je viens retoucher Saillir soudain un angle aigu comme un clocher Qui perce tout à coup un horizon de plaines. Mon âme se réchauffe à vos douces haleines. Revenez près de moi, souriant de plaisir, Bruire et gazouiller, et sans peur obscurcir Le vieux livre où je lis de vos ombres penchées, Folles têtes d'enfants ! gaîtés effarouchées ! J'en conviens, j'avais tort, et vous aviez raison. Mais qui n'a quelquefois grondé hors de saison ? Il faut être indulgent. Nous avons nos misères. Les petits pour les grands ont tort d'être sévères. Enfants ! chaque matin, votre âme avec amour S'ouvre à la joie ainsi que la fenêtre au jour. Beau miracle, vraiment, que l'enfant, gai sans cesse, Ayant tout le bonheur, ait toute la sagesse ! Le destin vous caresse en vos commencements. Vous n'avez qu'à jouer et vous êtes charmants. Mais nous, nous qui pensons, nous qui vivons, nous sommes Hargneux, tristes, mauvais, ô mes chers petits hommes ! On a ses jours d'humeur, de déraison, d'ennui. Il pleuvait ce matin. Il fait froid aujourd'hui. Un nuage mal fait dans le ciel tout à l'heure A passé. Que nous veut cette cloche qui pleure ? Puis on a dans le coeur quelque remords. Voilà Ce qui nous rend méchants. Vous saurez tout cela, Quand l'âge à votre tour ternira vos visages, Quand vous serez plus grands, c'est-à-dire moins sages. J'ai donc eu tort. C'est dit. Mais c'est assez punir, Mais il faut pardonner, mais il faut revenir. Voyons, faisons la paix, je vous prie à mains jointes. Tenez, crayons, papiers, mon vieux compas sans pointes, Mes laques et mes grès, qu'une vitre défend, Tous ces hochets de l'homme enviés par l'enfant, Mes gros chinois ventrus faits comme des concombres, Mon vieux tableau trouvé sous d'antiques décombres, Je vous livrerai tout, vous toucherez à tout ! Vous pourrez sur ma table être assis ou debout, Et chanter, et traîner, sans que je me récrie, Mon grand fauteuil de chêne et de tapisserie, Et sur mon banc sculpté jeter tous à la fois Vos jouets anguleux qui déchirent le bois ! Je vous laisserai même, et gaîment, et sans crainte, Ô prodige ! en vos mains tenir ma bible peinte, Que vous n'avez touchée encor qu'avec terreur, Où l'on voit Dieu le père en habit d'empereur ! Et puis, brûlez les vers dont ma table est semée, Si vous tenez à voir ce qu'ils font de fumée ! Brûlez ou déchirez ! - Je serais moins clément Si c'était chez Méry, le poète charmant, Que Marseille la grecque, heureuse et noble ville, Blonde fille d'Homère, a fait fils de Virgile. Je vous dirais : - " Enfants, ne touchez que des yeux A ces vers qui demain s'envoleront aux cieux. Ces papiers, c'est le nid, retraite caressée, Où du poète ailé rampe encor la pensée. Oh ! n'en approchez pas ! car les vers nouveau-nés, Au manuscrit natal encore emprisonnés, Souffrent entre vos mains innocemment cruelles. Vous leur blessez le pied, vous leur froissez les ailes ; Et, sans vous en douter, vous leur faites ces maux Que les petits enfants font aux petits oiseaux. " Mais qu'importe les miens ! - Toute ma poésie, C'est vous, et mon esprit suit votre fantaisie. Vous êtes les reflets et les rayonnements Dont j'éclaire mon vers si sombre par moments. Enfants, vous dont la vie est faite d'espérance, Enfants, vous dont la joie est faite d'ignorance, Vous n'avez pas souffert et vous ne savez pas, Quand la pensée en nous a marché pas à pas, Sur le poète morne et fatigué d'écrire Quelle douce chaleur répand votre sourire ! Combien il a besoin, quand sa tête se rompt, De la sérénité qui luit sur votre front ; Et quel enchantement l'enivre et le fascine, Quand le charmant hasard de quelque cour voisine, Où vous vous ébattez sous un arbre penchant, Mêle vos joyeux cris à son douloureux chant ! Revenez donc, hélas ! revenez dans mon ombre, Si vous ne voulez pas que je sois triste et sombre, Pareil, dans l'abandon où vous m'avez laissé, Au pêcheur d'Etretat, d'un long hiver lassé, Qui médite appuyé sur son coude, et s'ennuie De voir à sa fenêtre un ciel rayé de pluie.

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    À des âmes envolées Ces âmes que tu rappelles, Mon coeur, ne reviennent pas. Pourquoi donc s'obstinent-elles, Hélas ! à rester là-bas ? Dans les sphères éclatantes, Dans l'azur et les rayons, Sont-elles donc plus contentes Qu'avec nous qui les aimions ? Nous avions sous les tonnelles Une maison près Saint-Leu. Comme les fleurs étaient belles ! Comme le ciel était bleu ! Parmi les feuilles tombées, Nous courions au bois vermeil ; Nous cherchions des scarabées Sur les vieux murs au soleil ; On riait de ce bon rire Qu'Éden jadis entendit, Ayant toujours à se dire Ce qu'on s'était déjà dit ; Je contais la Mère l'Oie ; On était heureux, Dieu sait ! On poussait des cris de joie Pour un oiseau qui passait.

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    À Granville Voici juin. Le moineau raille Dans les champs les amoureux ; Le rossignol de muraille Chante dans son nid pierreux. Les herbes et les branchages, Pleins de soupirs et d'abois, Font de charmants rabâchages Dans la profondeur des bois. La grive et la tourterelle Prolongent, dans les nids sourds, La ravissante querelle Des baisers et des amours. Sous les treilles de la plaine, Dans l'antre où verdit l'osier, Virgile enivre Silène, Et Rabelais Grandgousier. O Virgile, verse à boire ! Verse à boire, ô Rabelais ! La forêt est une gloire ; La caverne est un palais ! Il n'est pas de lac ni d'île Qui ne nous prenne au gluau, Qui n'improvise une idylle, Ou qui ne chante un duo. Car l'amour chasse aux bocages, Et l'amour pêche aux ruisseaux, Car les belles sont les cages Dont nos coeurs sont les oiseaux. De la source, sa cuvette, La fleur, faisant son miroir, Dit : -Bonjour,- à la fauvette, Et dit au hibou : -Bonsoir. Le toit espère la gerbe, Pain d'abord et chaume après ; La croupe du boeuf dans l'herbe Semble un mont dans les forêts. L'étang rit à la macreuse, Le pré rit au loriot, Pendant que l'ornière creuse Gronde le lourd chariot. L'or fleurit en giroflée ; L'ancien zéphyr fabuleux Souffle avec sa joue enflée Au fond des nuages bleus. Jersey, sur l'onde docile, Se drape d'un beau ciel pur, Et prend des airs de Sicile Dans un grand haillon d'azur. Partout l'églogue est écrite : Même en la froide Albion, L'air est plein de Théocrite, Le vent sait par coeur Bion, Et redit, mélancolique, La chanson que fredonna Moschus, grillon bucolique De la cheminée Etna. L'hiver tousse, vieux phtisique, Et s'en va; la brume fond ; Les vagues font la musique Des vers que les arbres font. Toute la nature sombre Verse un mystérieux jour ; L'âme qui rêve a plus d'ombre Et la fleur a plus d'amour. L'herbe éclate en pâquerettes ; Les parfums, qu'on croit muets, Content les peines secrètes Des liserons aux bleuets. Les petites ailes blanches Sur les eaux et les sillons S'abattent en avalanches ; Il neige des papillons. Et sur la mer, qui reflète L'aube au sourire d'émail, La bruyère violette Met au vieux mont un camail ; Afin qu'il puisse, à l'abîme Qu'il contient et qu'il bénit, Dire sa messe sublime Sous sa mitre de granit. Granville, juin 1836.

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    À Jeanne Ces lieux sont purs; tu les complètes. Ce bois, loin des sentiers battus, Semble avoir fait des violettes, Jeanne, avec toutes tes vertus. L'aurore ressemble à ton âge; Jeanne, il existe sous les cieux On ne sait quel doux voisinage Des bons coeurs avec les beaux lieux. Tout ce vallon est une fête Qui t'offre son humble bonheur; C'est un nimbe autour de ta tête; C'est un éden en ton honneur. Tout ce qui t'approche désire Se faire regarder par toi, Sachant que ta chanson, ton rire, Et ton front, sont de bonne foi. Ô Jeanne, ta douceur est telle Qu'en errant dans ces bois bénis, Elle fait dresser devant elle Les petites têtes des nids.

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    À l'Enfant malade pendant le siège Si vous continuez d'être ainsi toute pâle Dans notre air étouffant, Si je vous vois entrer dans mon ombre fatale, Moi vieillard, vous enfant ; Si je vois de nos jours se confondre la chaîne, Moi qui sur mes genoux Vous contemple, et qui veux la mort pour moi prochaine, Et lointaine pour vous ; Si vos mains sont toujours diaphanes et frêles, Si, dans vôtre berceau, Tremblante, vous avez l'air d'attendre des ailes Comme un petit oiseau ; Si vous ne semblez pas prendre sur notre terre Racine pour longtemps, Si vous laissez errer, Jeanne, en notre mystère Vos doux yeux mécontents ; Si je ne vous vois pas gaie et rose et très forte, Si, triste, vous rêvez, Si vous ne fermez pas derrière vous la porte Par où vous arrivez ; Si je ne vous vois pas comme une belle femme Marcher, vous bien porter, Rire, et si vous semblez être une petite âme Qui ne veut pas rester, Je croirai qu'en ce monde où le suaire au lange Parfois peut confiner, Vous venez pour partir, et que vous êtes l'ange Chargé de m'emmener.

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    À l'homme qui a livré une femme Ô honte ! ce n'est pas seulement cette femme, Sacrée alors pour tous, faible cœur, mais grande âme, Mais c'est lui, c'est son nom dans l'avenir maudit, Ce sont les cheveux blancs de son père interdit, C'est la pudeur publique en face regardée Tandis qu'il s'accouplait à son infâme idée, C'est l'honneur, c'est la foi, la pitié, le serment, Voilà ce que ce juif a vendu lâchement ! Juif : les impurs traitants à qui l'on vend son âme Attendront bien longtemps avant qu'un plus infâme Vienne réclamer d'eux, dans quelque jour d'effroi, Le fond du sac plein d'or qu'on fit vomir sur toi ! Ce n'est pas même un juif ! C'est un payen immonde, Un renégat, l'opprobre et le rebut du monde, Un fétide apostat, un oblique étranger Qui nous donne du moins le bonheur de songer Qu'après tant de revers et de guerres civiles Il n'est pas un bandit écumé dans nos villes, Pas un forçat hideux blanchi dans les prisons, Qui veuille mordre en France au pain des trahisons ! Rien ne te disait donc dans l'âme, ô misérable ! Que la proscription est toujours vénérable, Qu'on ne bat pas le sein qui nous donna son lait, Qu'une fille des rois dont on fut le valet Ne se met point en vente au fond d'un antre infâme, Et que, n'étant plus reine, elle était encor femme ! Rentre dans l'ombre où sont tous les monstres flétris Qui depuis quarante ans bavent sur nos débris ! Rentre dans ce cloaque ! et que jamais ta tête, Dans un jour de malheur ou dans un jour de fête, Ne songe à reparaître au soleil des vivants ! Qu'ainsi qu'une fumée abandonnée aux vents, Infecte, et don chacun se détourne au passage, Ta vie erre au hasard de rivage en rivage ! Et tais-toi ! que veux-tu balbutier encor ! Dis, n'as-tu pas vendu l'honneur, le vrai trésor ? Garde tous les soufflets entassés sur ta joue. Que fait l'excuse au crime et le fard sur la boue ! Sans qu'un ami t'abrite à l'ombre de son toit, Marche, autre juif errant ! marche avec l'or qu'on voit Luire à travers les doigts de tes mains mal fermées ! Tous les biens de ce monde en grappes parfumées Pendent sur ton chemin, car le riche ici-bas A tout, hormis l'honneur qui ne s'achète pas ! Hâte-toi de jouir, maudit ! et sans relâche Marche ! et qu'en te voyant on dise : C'est ce lâche ! Marche ! et que le remords soit ton seul compagnon ! Marche ! sans rien pouvoir arracher de ton nom ! Car le mépris public, ombre de la bassesse, Croît d'année en année et repousse sans cesse, Et va s'épaississant sur les traîtres pervers Comme la feuille au front des sapins toujours verts ! Et quand la tombe un jour, cette embûche profonde Qui s'ouvre tout à coup sous les choses du monde, Te fera, d'épouvante et d'horreur agité, Passer de cette vie à la réalité, La réalité sombre, éternelle, immobile ! Quand, d'instant en instant plus seul et plus débile, Tu te cramponneras en vain à ton trésor ; Quand la mort, t'accostant couché sur des tas d'or, Videra brusquement ta main crispée et pleine Comme une main d'enfant qu'un homme ouvre sans peine, Alors, dans cet abîme où tout traître descend, L'un roulé dans la fange et l'autre teint de sang, Tu tomberas damné, désespéré, banni ! Afin que ton forfait ne soit pas impuni, Et que ton âme, errante au milieu de ces âmes, Y soit la plus abjecte entre les plus infâmes ! Et lorsqu'ils te verront paraître au milieu d'eux, Ces fourbes dont l'histoire inscrit les noms hideux, Que l'or tenta jadis, mais à qui d'âge en âge Chaque peuple en passant vient cracher au visage, Tous ceux, les plus obscurs comme les plus fameux, Qui portent sur leur lèvre un baiser venimeux, Judas qui vend son Dieu, Leclerc qui vend sa ville, Groupe au louche regard, engeance ingrate et vile, Tous en foule accourront joyeux sur ton chemin, Et Louvel indigné repoussera ta main ! Novembre 1832.

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    À la belle impérieuse L’amour, panique De la raison, Se communique Par le frisson. Laissez-moi dire, N’accordez rien. Si je soupire, Chantez, c’est bien. Si je demeure, Triste, à vos pieds, Et si je pleure, C’est bien, riez. Un homme semble Souvent trompeur. Mais si je tremble, Belle, ayez peur.

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    À la France Personne pour toi. Tous sont d'accord. Celui-ci, Nommé Gladstone, dit à tes bourreaux : merci ! Cet autre, nommé Grant, te conspue, et cet autre, Nommé Bancroft, t'outrage ; ici c'est un apôtre, Là c'est un soldat, là c'est un juge, un tribun, Un prêtre, l'un du Nord, l'autre du Sud ; pas un Que ton sang, à grands flots versé, ne satisfasse ; Pas un qui sur ta croix ne te crache à la face. Hélas ! qu'as-tu donc fait aux nations ? Tu vins Vers celles qui pleuraient, avec ces mots divins : Joie et Paix ! - Tu criais : - Espérance ! Allégresse ! Sois puissante, Amérique, et toi sois libre, ô Grèce ! L'Italie était grande ; elle doit l'être encor. Je le veux ! - Tu donnas à celle-ci ton or ; A celle-là ton sang, à toutes la lumière. Tu défendis le droit des hommes, coutumière De tous les dévouements et de tous les devoirs. Comme le boeuf revient repu des abreuvoirs, Les hommes sont rentrés pas à pas à l'étable, Rassasiés de toi, grande soeur redoutable, De toi qui protégeas, de toi qui combattis. Ah ! se montrer ingrats, c'est se prouver petits. N'importe ! pas un d'eux ne te connaît. Leur foule T'a huée, à cette heure où ta grandeur s'écroule, Riant de chaque coup de marteau qui tombait Sur toi, nue et sanglante et clouée au gibet. Leur pitié plaint tes fils que la fortune amère Condamne à la rougeur de t'avouer pour mère. Tu ne peux pas mourir, c'est le regret qu'on a. Tu penches dans la nuit ton front qui rayonna ; L'aigle de l'ombre est là qui te mange le foie ; C'est à qui reniera la vaincue ; et la joie Des rois pillards, pareils aux bandits des Adrets, Charme l'Europe et plaît au monde... - Ah ! je voudrais, Je voudrais n'être pas Français pour pouvoir dire Que je te choisis, France, et que, dans ton martyre, Je te proclame, toi que ronge le vautour, Ma patrie et ma gloire et mon unique amour !

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    À la mère de l'enfant mort Oh ! vous aurez trop dit au pauvre petit ange Qu'il est d'autres anges là-haut, Que rien ne souffre au ciel, que jamais rien n'y change, Qu'il est doux d'y rentrer bientôt ; Que le ciel est un dôme aux merveilleux pilastres, Une tente aux riches couleurs, Un jardin bleu rempli de lis qui sont des astres, Et d'étoiles qui sont des fleurs ; Que c'est un lieu joyeux plus qu'on ne saurait dire, Où toujours, se laissant charmer, On a les chérubins pour jouer et pour rire, Et le bon Dieu pour nous aimer ; Qu'il est doux d'être un coeur qui brûle comme un cierge, Et de vivre, en toute saison, Près de l'enfant Jésus et de la sainte Vierge Dans une si belle maison ! Et puis vous n'aurez pas assez dit, pauvre mère, A ce fils si frêle et si doux, Que vous étiez à lui dans cette vie amère, Mais aussi qu'il était à vous ; Que, tant qu'on est petit, la mère sur nous veille, Mais que plus tard on la défend ; Et qu'elle aura besoin, quand elle sera vieille, D'un homme qui soit son enfant ; Vous n'aurez point assez dit à cette jeune âme Que Dieu veut qu'on reste ici-bas, La femme guidant l'homme et l'homme aidant la femme, Pour les douleurs et les combats ; Si bien qu'un jour, ô deuil ! irréparable perte ! Le doux être s'en est allé !... - Hélas ! vous avez donc laissé la cage ouverte, Que votre oiseau s'est envolé ! Avril 1843.

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    À Laure, duchesse d'A Le conseil municipal de la ville de Paris a refusé de donner six pieds de terre dans le cimetière du Père-Lachaise pour le tombeau de la veuve de Junot, ancien gouverneur de Paris. Le ministre de l'intérieur a également refusé un morceau de marbre pour ce monument. (Journaux de février 1840.) Puisqu'ils n'ont pas compris, dans leur étroite sphère, Qu'après tant de splendeur, de puissance et d'orgueil, Il était grand et beau que la France dût faire L'aumône d'une fosse à ton noble cercueil ; Puisqu'ils n'ont pas senti que celle qui sans crainte Toujours loua la gloire et flétrit les bourreaux A le droit de dormir sur la colline sainte, A le droit de dormir à l'ombre des héros ; Puisque le souvenir de nos grandes batailles Ne brûle pas en eux comme un sacré flambeau ; Puisqu'ils n'ont pas de cœur, puisqu'ils n'ont point d'entrailles, Puisqu'ils t'ont refusé la pierre d'un tombeau ; C'est à nous de chanter un chant expiatoire ! C'est à nous de t'offrir notre deuil à genoux ! C'est à nous, c'est à nous de prendre ta mémoire Et de l'ensevelir dans un vers triste et doux ! C'est à nous cette fois de garder, de défendre La mort contre l'oubli, son pâle compagnon ; C'est à nous d'effeuiller des roses sur ta cendre, C'est à nous de jeter des lauriers sur ton nom ! Puisqu'un stupide affront, pauvre femme endormie, Monte jusqu'à ton front que César étoila, C'est à moi, dont ta main pressa la main amie, De te dire tout bas : Ne crains rien ! je suis là ! Car j'ai ma mission ; car, armé d'une lyre. Plein d'hymnes irrités ardents à s'épancher, Je garde le trésor des gloires de l'Empire ; Je n'ai jamais souffert qu'on osât y toucher ! Car ton cœur abondait en souvenirs fidèles ! Dans notre ciel sinistre et sur nos tristes jours, Ton noble esprit planait avec de nobles ailes, Comme un aigle souvent, comme un ange toujours ! Car, forte pour tes maux et bonne pour les nôtres, Livrée à la tempête et femme en proie au sort, Jamais tu n'imitas l'exemple de tant d'autres, Et d'une lâcheté tu ne te fis un port ! Car toi, la muse illustre, et moi, l'obscur apôtre, Nous avons dans ce monde eu le même mandat, Et c'est un nœud profond qui nous joint l'un à l'autre, Toi, veuve d'un héros, et moi, fils d'un soldat ! Aussi, sans me lasser dans celte Babylone, Des drapeaux insultés baisant chaque lambeau, J'ai dit pour l'Empereur : Rendez-lui sa colonne ! Et je dirai pour toi : Donnez-lui son tombeau ! Février 1840.

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    À l’Arc de triomphe II Oh ! Paris est la cité mère ! Paris est le lieu solennel Où le tourbillon éphémère Tourne sur un centre éternel ! Paris ! feu sombre ou pure étoile ! Morne Isis couverte d’un voile ! Araignée à l’immense toile Où se prennent les nations ! Fontaine d’urnes obsédée ! Mamelle sans cesse inondée Où pour se nourrir de l’idée Viennent les générations ! Quand Paris se met à l’ouvrage Dans sa forge aux mille clameurs, A tout peuple, heureux, brave ou sage, Il prend ses lois, ses dieux, ses moeurs. Dans sa fournaise, pêle-mêle, Il fond, transforme et renouvelle Cette science universelle Qu’il emprunte à tous les humains ; Puis il rejette aux peuples blêmes Leurs sceptres et leurs diadèmes, Leurs préjugés et leurs systèmes, Tout tordus par ses fortes mains ! Paris, qui garde, sans y croire, Les faisceaux et les encensoirs, Tous les matins dresse une gloire, Eteint un soleil tous les soirs ; Avec l’idée, avec le glaive, Avec la chose, avec le rêve, Il refait, recloue et relève L’échelle de la terre aux cieux ; Frère des Memphis et des Romes, Il bâtit au siècle où nous sommes Une Babel pour tous les hommes, Un Panthéon pour tous les dieux ! Ville qu’un orage enveloppe ! C’est elle, hélas ! qui, nuit et jour, Réveille le géant Europe Avec sa cloche et son tambour ! Sans cesse, qu’il veille ou qu’il dorme, Il entend la cité difforme Bourdonner sur sa tête énorme Comme un essaim dans la forêt. Toujours Paris s’écrie et gronde. Nul ne sait, question profonde ! Ce que perdrait le bruit du monde Le jour où Paris se tairait !

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    À ma fille Ô mon enfant, tu vois, je me soumets. Fais comme moi : vis du monde éloignée ; Heureuse ? non ; triomphante ? jamais. -- Résignée ! -- Sois bonne et douce, et lève un front pieux. Comme le jour dans les cieux met sa flamme, Toi, mon enfant, dans l'azur de tes yeux Mets ton âme ! Nul n'est heureux et nul n'est triomphant. L'heure est pour tous une chose incomplète ; L'heure est une ombre, et notre vie, enfant, En est faite. Oui, de leur sort tous les hommes sont las. Pour être heureux, à tous, -- destin morose ! Tout a manqué. Tout, c'est-à-dire, hélas ! Peu de chose. Ce peu de chose est ce que, pour sa part, Dans l'univers chacun cherche et désire : Un mot, un nom, un peu d'or, un regard, Un sourire ! La gaîté manque au grand roi sans amours ; La goutte d'eau manque au désert immense. L'homme est un puits où le vide toujours Recommence. Vois ces penseurs que nous divinisons, Vois ces héros dont les fronts nous dominent, Noms dont toujours nos sombres horizons S'illuminent ! Après avoir, comme fait un flambeau, Ébloui tout de leurs rayons sans nombre, Ils sont allés chercher dans le tombeau Un peu d'ombre. Le ciel, qui sait nos maux et nos douleurs, Prend en pitié nos jours vains et sonores. Chaque matin, il baigne de ses pleurs Nos aurores. Dieu nous éclaire, à chacun de nos pas, Sur ce qu'il est et sur ce que nous sommes ; Une loi sort des choses d'ici-bas, Et des hommes ! Cette loi sainte, il faut s'y conformer. Et la voici, toute âme y peut atteindre : Ne rien haïr, mon enfant ; tout aimer, Ou tout plaindre ! Paris, octobre 1842.

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    À un homme fini Tu savais bien qu'un jour il faudrait choir enfin, Mais tu n'imaginais ni Séjan, ni Rufin. Tu te croyais de ceux que la haine publique Frappe furtivement d'un coup de foudre oblique ; Tu t'étais figuré qu'on te renverserait Sans te faire de mal, doucement, en secret, Avec précaution, sans bruit, à la nuit close, Et priant un ami de te dire la chose, Ainsi qu'on pose à terre un vase précieux ; Tu t'étais fait d'avance, au loin, sous de beaux cieux, Dans ton palais, plus fier que la villa Farnèse, Un lit voluptueux pour tomber à ton aise. Point. C'est en plein midi que le peuple a tonné. L'horizon était bleu, l'éclair l'a sillonné. Le tonnerre, au grand jour, au milieu de la foule, Est tombé sur ton front comme un plafond qui croule, Et ceux qui t'ont vu mettre en poudre en un moment Se sont épouvantés de cet écrasement. Et les sages ont dit, te regardant par terre, Que les temps sont mauvais, que le pouvoir s'altère Quand un gueux, un gredin, un faquin, un maraud, Fait pour ramper si bas, peut tomber de si haut. Le 7 août 1849.

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    À ma fille Adèle Tout enfant, tu dormais près de moi, rose et fraîche, Comme un petit Jésus assoupi dans sa crèche ; Ton pur sommeil était si calme et si charmant Que tu n'entendais pas l'oiseau chanter dans l'ombre ; Moi, pensif, j'aspirais toute la douceur sombre Du mystérieux firmament. Et j'écoutais voler sur ta tête les anges ; Et je te regardais dormir ; et sur tes langes J'effeuillais des jasmins et des oeillets sans bruit ; Et je priais, veillant sur tes paupières closes ; Et mes yeux se mouillaient de pleurs, songeant aux choses Qui nous attendent dans la nuit. Un jour mon tour viendra de dormir ; et ma couche, Faite d'ombre, sera si morne et si farouche Que je n'entendrai pas non plus chanter l'oiseau ; Et la nuit sera noire ; alors, ô ma colombe, Larmes, prière et fleurs, tu rendras à ma tombe Ce que j'ai fait pour ton berceau.

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    À mademoiselle Louise B I L'année en s'enfuyant par l'année est suivie. Encore une qui meurt ! encore un pas du temps ; Encore une limite atteinte dans la vie ! Encore un sombre hiver jeté sur nos printemps ! Le temps ! les ans ! les jours ! mots que la foule ignore ! Mots profonds qu'elle croit à d'autres mots pareils ! Quand l'heure tout à coup lève sa voix sonore, Combien peu de mortels écoutent ses conseils ! L'homme les use, hélas ! ces fugitives heures, En folle passion, en folle volupté, Et croit que Dieu n'a pas fait de choses meilleures Que les chants, les banquets, le rire et la beauté ! Son temps dans les plaisirs s'en va sans qu'il y pense. Imprudent ! est-il sûr de demain ? d'aujourd'hui ? En dépensant ses jours sait-il ce qu'il dépense ? Le nombre en est compté par un autre que lui. A peine lui vient-il une grave pensée Quand, au sein du festin qui satisfait ses voeux, Ivre, il voit tout à coup de sa tête affaissée Tomber en même temps les fleurs et les cheveux ; Quand ses projets hâtifs l'un sur l'autre s'écroulent ; Quand ses illusions meurent à son côté ; Quand il sent le niveau de ses jours qui s'écoulent Baisser rapidement comme un torrent d'été. Alors en chancelant il s'écrie, il réclame, Il dit : Ai-je donc bu toute cette liqueur ? Plus de vin pour ma soif ! plus d'amour pour mon âme ! Qui donc vide à la fois et ma coupe et mon coeur ? Mais rien ne lui répond. - Et triste, et le front blême, De ses débiles mains, de son souffle glacé, Vainement il remue, en s'y cherchant lui-même, Ce tas de cendre éteint qu'on nomme le passé ! II Ainsi nous allons tous. - Mais vous dont l'âme est forte, Vous dont le coeur est grand, vous dites : - Que m'importe Si le temps fuit toujours, Et si toujours un souffle emporte quand il passe, Pêle-mêle à travers la durée et l'espace, Les hommes et les jours ! Car vous avez le goût de ce qui seul peut vivre ; Sur Dante ou sur Mozart, sur la note ou le livre, Votre front est courbé. Car vous avez l'amour des choses immortelles ; Rien de ce que le temps emporte sur ses ailes Des vôtres n'est tombé ! Quelquefois, quand l'esprit vous presse et vous réclame, Une musique en feu s'échappe de votre âme, Musique aux chants vainqueurs, Au souffle pur, plus doux que l'aile des zéphires, Qui palpite, et qui fait vibrer comme des lyres Les fibres de nos coeurs ! Dans ce siècle où l'éclair reluit sur chaque tête, Où le monde, jeté de tempête en tempête, S'écrie avec frayeur, Vous avez su vous faire, en la nuit qui redouble, Une sérénité qui traverse sans trouble L'orage extérieur ! Soyez toujours ainsi ! l'amour d'une famille, Le centre autour duquel tout gravite et tout brille ; La soeur qui nous défend ; Prodigue d'indulgence et de blâme économe ; Femme au coeur grave et doux ; sérieuse avec l'homme, Folâtre avec l'enfant ! Car pour garder toujours la beauté de son âme, Pour se remplir le coeur, riche ou pauvre, homme ou femme, De pensers bienveillants, Vous avez ce qu'on peut, après Dieu, sur la terre, Contempler de plus saint et de plus salutaire, Un père en cheveux blancs !

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    À maman Mon cœur me dit que c’est ta fête Je crois toujours mon cœur quand il parle de toi Maman, que faut-il donc que ce cœur te souhaite ? Des trésors ? Des honneurs ? Des trônes ? Non, ma foi ! Mais un bonheur égal au mien quand je te vois.

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    À mes amis L. B. et S.-B Here's a sigh to those who love me, And a smile to those who hate ; And whatever sky's above me, Here's a heart for every fate. BYRON. Amis ! c'est donc Rouen, la ville aux vieilles rues, Aux vieilles tours, débris des races disparues, La ville aux cent clochers carillonnant dans l'air, Le Rouen des châteaux, des hôtels, des bastilles, Dont le front hérissé de flèches et d'aiguilles Déchire incessamment les brumes de la mer ; C'est Rouen qui vous a ! Rouen qui vous enlève ! Je ne m'en plaindrai pas. J'ai souvent fait ce rêve D'aller voir Saint-Ouen à moitié démoli, Et tout m'a retenu, la famille, l'étude, Mille soins, et surtout la vague inquiétude Qui fait que l'homme craint son désir accompli. J'ai différé. La vie à différer se passe. De projets en projets et d'espace en espace Le fol esprit de l'homme en tout temps s'envola. Un jour enfin, lassés du songe qui nous leurre, Nous disons : " Il est temps. Exécutons! c'est l'heure. " Alors nous retournons les yeux : la mort est là ! Ainsi de mes projets. Quand vous verrai-je, Espagne, Et Venise et son golfe, et Rome et sa campagne, Toi, Sicile que ronge un volcan souterrain, Grèce qu'on connaît trop, Sardaigne qu'on ignore, Cités de l'aquilon, du couchant, de l'aurore, Pyramides du Nil, cathédrales du Rhin ! Qui sait ? Jamais peut-être. Et quand m'abriterai-je Près de la mer, ou bien sous un mont blanc de neige, Dans quelque vieux donjon, tout plein d'un vieux héros, Où le soleil, dorant les tourelles du faîte, N'enverra sur mon front que des rayons de fête Teints de pourpre et d'azur au prisme des vitraux ? Jamais non plus, sans doute. En attendant, vaine ombre, Oublié dans l'espace et perdu dans le nombre, Je vis. J'ai trois enfants en cercle à mon foyer ; Et lorsque la sagesse entr'ouvre un peu ma porte, Elle me crie : Ami ! sois content. Que t'importe Cette tente d'un jour qu'il faut sitôt ployer ! Et puis, dans mon esprit, des choses que j'espère Je me fais cent récits, comme à son fils un père. Ce que je voudrais voir je le rêve si beau ! Je vois en moi des tours, des Romes, des Cordoues, Qui jettent mille feux, muse, quand tu secoues Sous leurs sombres piliers ton magique flambeau ! Ce sont des Alhambras, de hautes cathédrales, Des Babels, dans la nue enfonçant leurs spirales, De noirs Escurials, mystérieux séjour, Des villes d'autrefois, peintes et dentelées, Où chantent jour et nuit mille cloches ailées, Joyeuses d'habiter dans des clochers à jour ! Et je rêve ! Et jamais villes impériales N'éclipseront ce rêve aux splendeurs idéales. Gardons l'illusion ; elle fuit assez tôt. Chaque homme, dans son coeur, crée à sa fantaisie Tout un monde enchanté d'art et de poésie. C'est notre Chanaan que nous voyons d'en haut. Restons où nous voyons. Pourquoi vouloir descendre, Et toucher ce qu'on rêve, et marcher dans la cendre ? Que ferons-nous après ? où descendre ? où courir ? Plus de but à chercher ! plus d'espoir qui séduise ! De la terre donnée à la terre promise Nul retour ; et Moïse a bien fait de mourir ! Restons loin des objets dont la vue est charmée. L'arc-en-ciel est vapeur, le nuage est fumée. L'idéal tombe en poudre au toucher du réel. L'âme en songes de gloire ou d'amour se consume. Comme un enfant qui souffle en un flocon d'écume, Chaque homme enfle une bulle où se reflète un ciel ! Frêle bulle d'azur, au roseau suspendue, Qui tremble au moindre choc et vacille éperdue ! Voilà tous nos projets, nos plaisirs, notre bruit ! Folle création qu'un zéphyr inquiète ! Sphère aux mille couleurs, d'une goutte d'eau faite ! Monde qu'un souffle crée et qu'un souffle détruit ! Le saurons-nous jamais ? Qui percera nos voiles, Noirs firmaments, semés de nuages d'étoiles ? Mer, qui peut dans ton lit descendre et regarder ? Où donc est la science ? Où donc est l'origine ? Cherchez au fond des mers cette perle divine, Et, l'océan connu, l'âme reste à sonder ! Que faire et que penser ? Nier, douter, ou croire ? Carrefour ténébreux ! triple route! nuit noire ! Le plus sage s'assied sous l'arbre du chemin, Disant tout bas : J'irai, Seigneur, où tu m'envoies. Il espère, et, de loin, dans les trois sombres voies, Il écoute, pensif, marcher le genre humain ! Mai 1830.

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    À Mlle Fanny de P Ô vous que votre âge défend, Riez ! tout vous caresse encore. Jouez ! chantez ! soyez l'enfant ! Soyez la fleur ; soyez l'aurore ! Quant au destin, n'y songez pas. Le ciel est noir, la vie est sombre. Hélas ! que fait l'homme ici-bas ? Un peu de bruit dans beaucoup d'ombre. Le sort est dur, nous le voyons. Enfant ! souvent l'oeil plein de charmes Qui jette le plus de rayons Répand aussi le plus de larmes. Vous que rien ne vient éprouver, Vous avez tout, joie et délire, L'innocence qui fait rêver, L'ignorance qui fait sourire. Vous avez, lys sauvé des vents, Coeur occupé d'humbles chimères, Ce calme bonheur des enfants, Pur reflet du bonheur des mères. Votre candeur vous embellit. Je préfère à toute autre flamme Votre prunelle que remplit La clarté qui sort de votre âme. Pour vous ni soucis ni douleurs, La famille vous idolâtre. L'été, vous courez dans les fleurs ; L'hiver, vous jouez près de l'âtre. La poésie, esprit des cieux, Près de vous, enfant, s'est posée ; Votre mère l'a dans ses yeux, Votre père dans sa pensée. Profitez de ce temps si doux ! Vivez ! — La joie est vite absente ; Et les plus sombres d'entre nous Ont eu leur aube éblouissante. Comme on prie avant de partir, Laissez-moi vous bénir, jeune âme, — Ange qui serez un martyr ! Enfant qui serez une femme ! Février 1840.

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    À quoi je songe À quoi je songe ? — Hélas ! loin du toit où vous êtes, Enfants, je songe à vous ! à vous, mes jeunes têtes, Espoir de mon été déjà penchant et mûr, Rameaux dont, tous les ans, l'ombre croît sur mon mur, Douces âmes à peine au jour épanouies, Des rayons de votre aube encor tout éblouies ! Je songe aux deux petits qui pleurent en riant, Et qui font gazouiller sur le seuil verdoyant, Comme deux jeunes fleurs qui se heurtent entre elles, Leurs jeux charmants mêlés de charmantes querelles ! Et puis, père inquiet, je rêve aux deux aînés Qui s'avancent déjà de plus de flot baignés, Laissant pencher parfois leur tête encor naïve, L'un déjà curieux, l'autre déjà pensive ! Seul et triste au milieu des chants des matelots, Le soir, sous la falaise, à cette heure où les flots, S'ouvrant et se fermant comme autant de narines, Mêlent au vent des cieux mille haleines marines, Où l'on entend dans l'air d'ineffables échos Qui viennent de la terre ou qui viennent des eaux, Ainsi je songe ! — à vous, enfants, maisons, famille, A la table qui rit, au foyer qui pétille, A tous les soins pieux que répandent sur vous Votre mère si tendre et votre aïeul si doux ! Et tandis qu'à mes pieds s'étend, couvert de voiles, Le limpide océan, ce miroir des étoiles, Tandis que les nochers laissent errer leurs yeux De l'infini des mers à l'infini des cieux, Moi, rêvant à vous seuls, je contemple et je sonde L'amour que j'ai pour vous dans mon âme profonde, Amour doux et puissant qui toujours m'est resté. Et cette grande mer est petite à côté ! Le 15 juillet 1837.

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