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Mort

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Mort

Poésies de la collection mort

    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    À la malibran I Sans doute il est trop tard pour parler encor d’elle ; Depuis qu’elle n’est plus quinze jours sont passés, Et dans ce pays-ci quinze jours, je le sais, Font d’une mort récente une vieille nouvelle. De quelque nom d’ailleurs que le regret s’appelle, L’homme, par tout pays, en a bien vite assez. II Ô Maria-Felicia ! le peintre et le poète Laissent, en expirant, d’immortels héritiers ; Jamais l’affreuse nuit ne les prend tout entiers. À défaut d’action, leur grande âme inquiète De la mort et du temps entreprend la conquête, Et, frappés dans la lutte, ils tombent en guerriers. III Celui-là sur l’airain a gravé sa pensée ; Dans un rythme doré l’autre l’a cadencée ; Du moment qu’on l’écoute, on lui devient ami. Sur sa toile, en mourant, Raphaël l’a laissée, Et, pour que le néant ne touche point à lui, C’est assez d’un enfant sur sa mère endormi. IV Comme dans une lampe une flamme fidèle, Au fond du Parthénon le marbre inhabité Garde de Phidias la mémoire éternelle, Et la jeune Vénus, fille de Praxitèle, Sourit encor, debout dans sa divinité, Aux siècles impuissants qu’a vaincus sa beauté. V Recevant d’âge en âge une nouvelle vie, Ainsi s’en vont à Dieu les gloires d’autrefois ; Ainsi le vaste écho de la voix du génie Devient du genre humain l’universelle voix… Et de toi, morte hier, de toi, pauvre Marie, Au fond d’une chapelle il nous reste une croix ! VI Une croix ! et l’oubli, la nuit et le silence ! Écoutez ! c’est le vent, c’est l’Océan immense ; C’est un pêcheur qui chante au bord du grand chemin. Et de tant de beauté, de gloire et d’espérance, De tant d’accords si doux d’un instrument divin, Pas un faible soupir, pas un écho lointain ! VII Une croix ! et ton nom écrit sur une pierre, Non pas même le tien, mais celui d’un époux, Voilà ce qu’après toi tu laisses sur la terre ; Et ceux qui t’iront voir à ta maison dernière, N’y trouvant pas ce nom qui fut aimé de nous, Ne sauront pour prier où poser les genoux. VIII Ô Ninette ! où sont-ils, belle muse adorée, Ces accents pleins d’amour, de charme et de terreur, Qui voltigeaient le soir sur ta lèvre inspirée, Comme un parfum léger sur l’aubépine en fleur ? Où vibre maintenant cette voix éplorée, Cette harpe vivante attachée à ton coeur ? IX N’était-ce pas hier, fille joyeuse et folle, Que ta verve railleuse animait Corilla, Et que tu nous lançais avec la Rosina La roulade amoureuse et l’oeillade espagnole ? Ces pleurs sur tes bras nus, quand tu chantais le Saule, N’était-ce pas hier, pâle Desdemona ? X N’était-ce pas hier qu’à la fleur de ton âge Tu traversais l’Europe, une lyre à la main ; Dans la mer, en riant, te jetant à la nage, Chantant la tarentelle au ciel napolitain, Coeur d’ange et de lion, libre oiseau de passage, Espiègle enfant ce soir, sainte artiste demain ? XI N’était-ce pas hier qu’enivrée et bénie Tu traînais à ton char un peuple transporté, Et que Londre et Madrid, la France et l’Italie, Apportaient à tes pieds cet or tant convoité, Cet or deux fois sacré qui payait ton génie, Et qu’à tes pieds souvent laissa ta charité ? XII Qu’as-tu fait pour mourir, ô noble créature, Belle image de Dieu, qui donnais en chemin Au riche un peu de joie, au malheureux du pain ? Ah ! qui donc frappe ainsi dans la mère nature, Et quel faucheur aveugle, affamé de pâture, Sur les meilleurs de nous ose porter la main ? XIII Ne suffit-il donc pas à l’ange de ténèbres Qu’à peine de ce temps il nous reste un grand nom ? Que Géricault, Cuvier, Schiller, Goethe et Byron Soient endormis d’hier sous les dalles funèbres, Et que nous ayons vu tant d’autres morts célèbres Dans l’abîme entr’ouvert suivre Napoléon ? XIV Nous faut-il perdre encor nos têtes les plus chères, Et venir en pleurant leur fermer les paupières, Dès qu’un rayon d’espoir a brillé dans leurs yeux ? Le ciel de ses élus devient-il envieux ? Ou faut-il croire, hélas ! ce que disaient nos pères, Que lorsqu’on meurt si jeune on est aimé des dieux ? XV Ah ! combien, depuis peu, sont partis pleins de vie ! Sous les cyprès anciens que de saules nouveaux ! La cendre de Robert à peine refroidie, Bellini tombe et meurt ! – Une lente agonie Traîne Carrel sanglant à l’éternel repos. Le seuil de notre siècle est pavé de tombeaux. XVI Que nous restera-t-il si l’ombre insatiable, Dès que nous bâtissons, vient tout ensevelir ? Nous qui sentons déjà le sol si variable, Et, sur tant de débris, marchons vers l’avenir, Si le vent, sous nos pas, balaye ainsi le sable, De quel deuil le Seigneur veut-il donc nous vêtir ? XVII Hélas ! Marietta, tu nous restais encore. Lorsque, sur le sillon, l’oiseau chante à l’aurore, Le laboureur s’arrête, et, le front en sueur, Aspire dans l’air pur un souffle de bonheur. Ainsi nous consolait ta voix fraîche et sonore, Et tes chants dans les cieux emportaient la douleur. XVIII Ce qu’il nous faut pleurer sur ta tombe hâtive, Ce n’est pas l’art divin, ni ses savants secrets : Quelque autre étudiera cet art que tu créais ; C’est ton âme, Ninette, et ta grandeur naïve, C’est cette voix du coeur qui seule au coeur arrive, Que nul autre, après toi, ne nous rendra jamais. XIX Ah ! tu vivrais encor sans cette âme indomptable. Ce fut là ton seul mal, et le secret fardeau Sous lequel ton beau corps plia comme un roseau. Il en soutint longtemps la lutte inexorable. C’est le Dieu tout-puissant, c’est la Muse implacable Qui dans ses bras en feu t’a portée au tombeau. XX Que ne l’étouffais-tu, cette flamme brûlante Que ton sein palpitant ne pouvait contenir ! Tu vivrais, tu verrais te suivre et t’applaudir De ce public blasé la foule indifférente, Qui prodigue aujourd’hui sa faveur inconstante À des gens dont pas un, certes, n’en doit mourir. XXI Connaissais-tu si peu l’ingratitude humaine ? Quel rêve as-tu donc fait de te tuer pour eux ? Quelques bouquets de fleurs te rendaient-ils si vaine, Pour venir nous verser de vrais pleurs sur la scène, Lorsque tant d’histrions et d’artistes fameux, Couronnés mille fois, n’en ont pas dans les yeux ? XXII Que ne détournais-tu la tête pour sourire, Comme on en use ici quand on feint d’être ému ? Hélas ! on t’aimait tant, qu’on n’en aurait rien vu. Quand tu chantais le Saule, au lieu de ce délire, Que ne t’occupais-tu de bien porter ta lyre ? La Pasta fait ainsi : que ne l’imitais-tu ? XXIII Ne savais-tu donc pas, comédienne imprudente, Que ces cris insensés qui te sortaient du coeur De ta joue amaigrie augmentaient la pâleur ? Ne savais-tu donc pas que, sur ta tempe ardente, Ta main de jour en jour se posait plus tremblante, Et que c’est tenter Dieu que d’aimer la douleur ? XXIV Ne sentais-tu donc pas que ta belle jeunesse De tes yeux fatigués s’écoulait en ruisseaux, Et de ton noble coeur s’exhalait en sanglots ? Quand de ceux qui t’aimaient tu voyais la tristesse, Ne sentais-tu donc pas qu’une fatale ivresse Berçait ta vie errante à ses derniers rameaux ? XXV Oui, oui, tu le savais, qu’au sortir du théâtre, Un soir dans ton linceul il faudrait te coucher. Lorsqu’on te rapportait plus froide que l’albâtre, Lorsque le médecin, de ta veine bleuâtre, Regardait goutte à goutte un sang noir s’épancher, Tu savais quelle main venait de te toucher. XXVI Oui, oui, tu le savais, et que, dans cette vie, Rien n’est bon que d’aimer, n’est vrai que de souffrir. Chaque soir dans tes chants tu te sentais pâlir. Tu connaissais le monde, et la foule, et l’envie, Et, dans ce corps brisé concentrant ton génie, Tu regardais aussi la Malibran mourir. XXVII Meurs donc ! ta mort est douce, et ta tâche est remplie. Ce que l’homme ici-bas appelle le génie, C’est le besoin d’aimer ; hors de là tout est vain. Et, puisque tôt ou tard l’amour humain s’oublie, Il est d’une grande âme et d’un heureux destin

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    Derniers vers L'heure de ma mort, depuis dix-huit mois, De tous les côtés sonne à mes oreilles, Depuis dix-huit mois d'ennuis et de veilles, Partout je la sens, partout je la vois. Plus je me débats contre ma misère, Plus s'éveille en moi l'instinct du malheur ; Et, dès que je veux faire un pas sur terre, Je sens tout à coup s'arrêter mon coeur. Ma force à lutter s'use et se prodigue. Jusqu'à mon repos, tout est un combat ; Et, comme un coursier brisé de fatigue, Mon courage éteint chancelle et s'abat.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    La nuit Quand la lune blanche S’accroche à la branche Pour voir Si quelque feu rouge Dans l’horizon bouge Le soir, Fol alors qui livre A la nuit son livre Savant, Son pied aux collines, Et ses mandolines Au vent ; Fol qui dit un conte, Car minuit qui compte Le temps, Passe avec le prince Des sabbats qui grince Des dents. L’amant qui compare Quelque beauté rare Au jour, Tire une ballade De son coeur malade D’amour. Mais voici dans l’ombre Qu’une ronde sombre Se fait, L’enfer autour danse, Tous dans un silence Parfait. Tout pendu de Grève, Tout Juif mort soulève Son front, Tous noyés des havres Pressent leurs cadavres En rond. Et les âmes feues Joignent leurs mains bleues Sans os ; Lui tranquille chante D’une voix touchante Ses maux. Mais lorsque sa harpe, Où flotte une écharpe, Se tait, Il veut fuir… La danse L’entoure en silence Parfait. Le cercle l’embrasse, Son pied s’entrelace Aux morts, Sa tête se brise Sur la terre grise ! Alors La ronde contente, En ris éclatante, Le prend ; Tout mort sans rancune Trouve au clair de lune Son rang. Car la lune blanche S’accroche à la branche Pour voir Si quelque feu rouge Dans l’horizon bouge Le soir.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    Lucie Mes chers amis, quand je mourrai, Plantez un saule au cimetière. J’aime son feuillage éploré ; La pâleur m’en est douce et chère, Et son ombre sera légère À la terre où je dormirai. Un soir, nous étions seuls, j’étais assis près d’elle ; Elle penchait la tête, et sur son clavecin Laissait, tout en rêvant, flotter sa blanche main. Ce n’était qu’un murmure : on eût dit les coups d’aile D’un zéphyr éloigné glissant sur des roseaux, Et craignant en passant d’éveiller les oiseaux. Les tièdes voluptés des nuits mélancoliques Sortaient autour de nous du calice des fleurs. Les marronniers du parc et les chênes antiques Se berçaient doucement sous leurs rameaux en pleurs. Nous écoutions la nuit ; la croisée entr’ouverte Laissait venir à nous les parfums du printemps ; Les vents étaient muets, la plaine était déserte ; Nous étions seuls, pensifs, et nous avions quinze ans. Je regardais Lucie. – Elle était pâle et blonde. Jamais deux yeux plus doux n’ont du ciel le plus pur Sondé la profondeur et réfléchi l’azur. Sa beauté m’enivrait ; je n’aimais qu’elle au monde. Mais je croyais l’aimer comme on aime une soeur, Tant ce qui venait d’elle était plein de pudeur ! Nous nous tûmes longtemps ; ma main touchait la sienne. Je regardais rêver son front triste et charmant, Et je sentais dans l’âme, à chaque mouvement, Combien peuvent sur nous, pour guérir toute peine, Ces deux signes jumeaux de paix et de bonheur, Jeunesse de visage et jeunesse de coeur. La lune, se levant dans un ciel sans nuage, D’un long réseau d’argent tout à coup l’inonda. Elle vit dans mes yeux resplendir son image ; Son sourire semblait d’un ange : elle chanta. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fille de la douleur, harmonie ! harmonie ! Langue que pour l’amour inventa le génie ! Qui nous vins d’Italie, et qui lui vins des cieux ! Douce langue du coeur, la seule où la pensée, Cette vierge craintive et d’une ombre offensée, Passe en gardant son voile et sans craindre les yeux ! Qui sait ce qu’un enfant peut entendre et peut dire Dans tes soupirs divins, nés de l’air qu’il respire, Tristes comme son coeur et doux comme sa voix ? On surprend un regard, une larme qui coule ; Le reste est un mystère ignoré de la foule, Comme celui des flots, de la nuit et des bois ! – Nous étions seuls, pensifs ; je regardais Lucie. L’écho de sa romance en nous semblait frémir. Elle appuya sur moi sa tête appesantie. Sentais-tu dans ton coeur Desdemona gémir, Pauvre enfant ? Tu pleurais ; sur ta bouche adorée Tu laissas tristement mes lèvres se poser, Et ce fut ta douleur qui reçut mon baiser. Telle je t’embrassai, froide et décolorée, Telle, deux mois après, tu fus mise au tombeau ; Telle, ô ma chaste fleur ! tu t’es évanouie. Ta mort fut un sourire aussi doux que ta vie, Et tu fus rapportée à Dieu dans ton berceau. Doux mystère du toit que l’innocence habite, Chansons, rêves d’amour, rires, propos d’enfant, Et toi, charme inconnu dont rien ne se défend, Qui fis hésiter Faust au seuil de Marguerite, Candeur des premiers jours, qu’êtes-vous devenus ? Paix profonde à ton âme, enfant ! à ta mémoire ! Adieu ! ta blanche main sur le clavier d’ivoire, Durant les nuits d’été, ne voltigera plus… Mes chers amis, quand je mourrai, Plantez un saule au cimetière. J’aime son feuillage éploré ; La pâleur m’en est douce et chère, Et son ombre sera légère À la terre où je dormirai.

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    Dolorida Yo amo mas a tu amor que a tu vida (J’aime mieux ton amour que ta vie) Proverbe espagnol. Est-ce la Volupté qui, pour ses doux mystères, Furtive, a rallumé ces lampes solitaires ? La gaze et le cristal sont leur pâle prison. Aux souffles purs d’un soir de l’ardente saison S’ouvre sur le balcon la moresque fenêtre ; Une aurore imprévue à minuit semble naître, Quand la lune apparaît, quand ses gerbes d’argent Font pâlir les lueurs du feu rose et changeant ; Les deux clartés à l’oeil offrent partout leurs pièges, Caressent mollement le velours bleu des sièges, La soyeuse ottomane où le livre est encor, La pendule mobile entre deux vases d’or, La Madone d’argent, sous des roses cachée, Et sur un lit d’azur une beauté couchée. Oh ! jamais dans Madrid un noble cavalier Ne verra tant de grâce à plus d’art s’allier ; Jamais pour plus d’attraits, lorsque la nuit commence, N’a frémi la guitare et langui la romance ; Jamais, dans nulle église, on ne vit plus beaux yeux Des grains du chapelet se tourner vers les cieux ; Sur les mille degrés du vaste amphithéâtre On n’admira jamais plus belles mains d’albâtre, Sous la mantille noire et ses paillettes d’or, Applaudissant, de loin, l’adroit Toréador. Mais, ô vous qu’en secret nulle oeillade attentive Dans ses rayons brillants ne chercha pour captive, Jeune foule d’amants, Espagnols à l’oeil noir, Si sous la perle et l’or vous l’adoriez le soir, Qui de vous ne voudrait (dût la dague andalouse Le frapper au retour de sa pointe jalouse) Prosterner ses baisers sur ces pieds découverts, Ce col, ce sein d’albâtre, à l’air nocturne ouverts, Et ces longs cheveux noirs tombant sur son épaule, Comme tombe à ses pieds le vêtement du saule ? Dolorida n’a plus que ce voile incertain, Le premier que revêt le pudique matin Et le dernier rempart que, dans sa nuit folâtre, L’amour ose enlever d’une main idolâtre. Ses bras nus à sa tête offrent un mol appui, Mais ses yeux sont ouverts, et bien du temps a fui Depuis que, sur l’émail, dans ses douze demeures, Ils suivent ce compas qui tourne avec les heures. Que fait-il donc, celui que sa douleur attend ? Sans doute il n’aime pas, celui qu’elle aime tant. A peine chaque jour l’épouse délaissée Voit un baiser distrait sur sa lèvre empressée Tomber seul, sans l’amour ; son amour cependant S’accroît par les dédains et souffre plus ardent. Près d’un constant époux, peut-être, ô jeune femme ! Quelque infidèle espoir eût égaré ton âme ; Car l’amour d’une femme est semblable à l’enfant Qui, las de ses jouets, les brise triomphant, Foule d’un pied volage une rose immobile, Et suit l’insecte ailé qui fuit sa main débile. Pourquoi Dolorida seule en ce grand palais, Où l’on n’entend, ce soir, ni le pied des valets, Ni, dans la galerie et les corridors tristes, Les enfantines voix des vives caméristes ? Trois heures cependant ont lentement sonné ; La voix du temps est triste au coeur abandonné ; Ses coups y réveillaient la douleur de l’absence, Et la lampe luttait ; sa flamme sans puissance Décroissait inégale, et semblait un mourant Qui sur la vie encor jette un regard errant. A ses yeux fatigués tout se montre plus sombre, Le crucifix penché semble agiter son ombre ; Un grand froid la saisit, mais les fortes douleurs Ignorent les sanglots, les soupirs et les pleurs : Elle reste immobile, et, sous un air paisible Mord, d’une dent jalouse, une main insensible. Que le silence est long ! Mais on entend des pas ; La porte s’ouvre, il entre : elle ne tremble pas ! Elle ne tremble pas, à sa pâle figure Qui de quelque malheur semble traîner l’augure ; Elle voit sans effroi son jeune époux, si beau, Marcher jusqu’à son lit comme on marche au tombeau. Sous les plis du manteau se courbe sa faiblesse ; Même sa longue épée est un poids qui le blesse. Tombé sur ses genoux, il parle à demi-voix : « — Je viens te dire adieu ; je me meurs, tu le vois, Dolorida, je meurs ! une flamme inconnue, Errante, est de mon sang jusqu’au coeur parvenue. Mes pieds sont froids et lourds, mon oeil est obscurci ; Je suis tombé trois fois en revenant ici. Mais je voulais te voir ; mais, quand l’ardente fièvre Par des frissons brûlants a fait trembler ma lèvre, J’ai dit : Je vais mourir ; que la fin de mes jours Lui fasse au moins savoir qu’absent j’aimais toujours. Alors je suis partis ne demandant qu’une heure Et qu’un peu de soutien pour trouver ta demeure. Je me sens plus vivant à genoux devant toi. — Pourquoi mourir ici, quand vous viviez sans moi ? — Ô coeur inexorable ! oui, tu fus offensée ! Mais écoute mon souffle, et sens ma main glacée ; Viens toucher sur mon front cette froide sueur, Du trépas dans mes yeux vois la terne lueur ; Donne, oh ! donne une main ; dis mon nom. Fais entendre Quelque mot consolant, s’il ne peut être tendre. Des jours qui m’étaient dus je n’ai pas la moitié : Laisse en aller mon âme en rêvant ta pitié ! Hélas ! devant la mort montre un peu d’indulgence ! — La mort n’est que la mort et n’est pas la vengeance. — Ô Dieux ! si jeune encor ! tout son coeur endurci ! Qu’il t’a fallu souffrir pour devenir ainsi ! Tout mon crime est empreint au fond de ton langage, Faible amie, et ta force horrible est mon ouvrage. Mais viens, écoute-moi, viens, je mérite et veux Que ton âme apaisée entende mes aveux. Je jure, et tu le vois, en expirant, ma bouche Jure devant ce Christ qui domine ta couche, Et si par leur faiblesse ils n’étaient pas liés, Je lèverais mes bras jusqu’au sang de ses pieds ; Je jure que jamais mon amour égarée N’oublia loin de toi ton image adorée ; L’infidélité même était pleine de toi, Je te voyais partout entre ma faute et moi, Et sur un autre coeur mon coeur rêvait tes charmes Plus touchants par mon crime et plus beaux par tes larmes. Séduit par ces plaisirs qui durent peu de temps ! Je fus bien criminel ; mais, hélas ! j’ai vingt ans. — T’a-t-elle vu pâlir ce soir dans tes souffrances ? — J’ai vu son désespoir passer tes espérances, Oui, sois heureuse, elle a sa part dans nos douleurs ; Quand j’ai crié ton nom, elle a versé des pleurs ; Car je ne sais quel mal circule dans mes veines ; Mais je t’invoquais seule avec des plaintes vaines. J’ai cru d’abord mourir et n’avoir pas le temps D’appeler ton pardon sur mes derniers instants. Oh ! parle ; mon coeur fuit ; quitte ce dur langage ; Qu’un regard… Mais quel est ce blanchâtre breuvage Que tu bois à longs traits et d’un air insensé ? — Le reste du poison qu’hier je t’ai versé. » Écrit en 1823, dans les Pyrénées

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    La mort du loup I Les nuages couraient sur la lune enflammée Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée, Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon. Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon, Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes, Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes, Nous avons aperçu les grands ongles marqués Par les loups voyageurs que nous avions traqués. Nous avons écouté, retenant notre haleine Et le pas suspendu. - Ni le bois, ni la plaine Ne poussait un soupir dans les airs ; Seulement La girouette en deuil criait au firmament ; Car le vent élevé bien au dessus des terres, N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires, Et les chênes d'en-bas, contre les rocs penchés, Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés. Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête, Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête A regardé le sable en s'y couchant ; Bientôt, Lui que jamais ici on ne vit en défaut, A déclaré tout bas que ces marques récentes Annonçaient la démarche et les griffes puissantes De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux. Nous avons tous alors préparé nos couteaux, Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches, Nous allions pas à pas en écartant les branches. Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient, J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient, Et je vois au delà quatre formes légères Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères, Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux, Quand le maître revient, les lévriers joyeux. Leur forme était semblable et semblable la danse ; Mais les enfants du loup se jouaient en silence, Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi, Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi. Le père était debout, et plus loin, contre un arbre, Sa louve reposait comme celle de marbre Qu'adoraient les romains, et dont les flancs velus Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus. Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées. Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris, Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ; Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante, Du chien le plus hardi la gorge pantelante Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer, Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles, Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles, Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé, Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé. Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde. Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde, Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ; Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant. Il nous regarde encore, ensuite il se recouche, Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche, Et, sans daigner savoir comment il a péri, Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

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    A

    Alphonse Beauregard

    @alphonseBeauregard

    Un corbillard passe Voici la mort dans son faste lourd. Un corps de plus qu'il faut engloutir ! Et la coutume, avant d'en finir, Veut qu'on le traîne insensible et sourd, Vers l'ouragan des notes funèbres D'un orgue aveugle et fou de ténèbres. L'orgue gémit sous le noir velours, On entend des pleurs et des soupirs. L'enfant de chœur s'amuse à ternir, Par trop d'encens, le trop faible jour. Sinistrement grincent les deux câbles Pour déchaîner un glas formidable. Les sons du glas deviennent plus sourds, La pioche creuse un sombre avenir Où le corps vaniteux va pourrir, Malgré sa boite aux ornements lourds. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . On n'entend plus qu'un bruit sec de pelle ; Un peu de boue à d'autre se mêle.

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    Alphonse Daudet

    Alphonse Daudet

    @alphonseDaudet

    Dernière amoureuse A l’heure d’amour, l’autre soir, La Mort près de moi vint s’asseoir ; S’asseoir, près de moi, sur ma couche. En silence, elle s’accouda. Sur mes yeux clos elle darda Son grand œil noir, lascif et louche ; Puis, comme l’amante à l’amant, Elle mit amoureusement Sa bouche sur ma bouche ! « Viens, dit le spectre en m’enlaçant, « Viens sur mon cœur, viens dans mon sang « Savourer de longues délices. « Viens ; la couche, ô mon bien-aimé ! « A son oreiller parfumé, « Ses draps chauds comme des pelisses. « Nous nous chérirons nuit et jour : « Nos âmes sont deux fleurs d’amour, « Nos lèvres deux calices. » Je crus, sur mon front endormi, Sentir passer un souffle ami D’une saveur déjà connue. J’eus un rêve délicieux. Je lui dis, sans ouvrir les yeux : « Chère, vous voilà revenue ! « Vous voilà ! mon cœur rajeunit. « Fauvette, qui revient au nid, « Sois-y la bienvenue. « Sans remords comme sans pitié, « Méchante, on m’avait oublié ; « Allons, venez, Mademoiselle. « Je consens à vous pardonner, « Mais avant, je veux enchaîner « Ma folle petite gazelle. » Et, comme je lui tends les bras, Le spectre me répond tout bas : « C’est moi…ce n’est pas elle… » « – C’est toi, la Mort ! eh bien ! tant mieux. « Mon âme est veuve ; mon cœur vieux, « J’avais besoin d’une maîtresse. « Une tombe est un rendez-vous « Comme un autre ; prélassons-nous « Dans une éternelle caresse ! » Je l’embrasse ; elle se défend, Recule et me dit : « Cher enfant, « Attends, rien ne nous presse !… « Gardons-nous pour des temps meilleurs ; « Mais aujourd’hui, je cherche ailleurs « Des amoureux en hécatombe. « Ailleurs, je vais me reposer « Et couper en deux le baiser « D’un ramier et de sa colombe ! « Sois heureux, tu me reverras ; « Sois amoureux, et tu seras « Mûr pour la tombe ! »

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    Alphonse Daudet

    Alphonse Daudet

    @alphonseDaudet

    Le croup Alors Hérode envoya tuer dans Bethléem Et dans les pays d’alentour les enfants de Deux ans et au-dessous.Saint Matthieu, III. I Dans son petit lit, sous le rayon pâle D’un cierge qui tremble et qui va mourir, L’enfant râle. Quel est le bourreau qui le fait souffrir ? Quel boucher sinistre a pris à la gorge Ce pauvre agnelet que rien ne défend ? Qui l’égorge ? Qui sait égorger un petit enfant ? Sombre nuit ! La chambre est froide. On frissonne. Dans l’âtre glacé fume un noir tison. L’heure sonne. Le vent de la mort court dans la maison. II Aux rideaux du lit la mère s’accroche. Elle est nue. Elle est pâle. Elle défend Qu’on l’approche : Elle veut rester seule avec l’enfant. Son fils ! Il faut voir comme elle lui cause ! « Ami, ne meurs pas. Je te donnerai « Quelque chose ; « Ami, si tu meurs, moi je pleurerai. » Et pour empêcher que l’oiseau s’envole, Elle lui promet du mouron plus frais… Pauvre folle ! Comme si l’oiseau s’envolait exprès. Le père est debout dans l’ombre. Il se cache, Il pleure. On l’entend dire en étouffant : « Ô le lâche « Qui n’ose pas voir mourir son enfant ! » Dans un coin, l’aïeul accroupi par terre Chante une gavotte, et quand on lui dit De se taire, Il répond : « Hé ! hé ! j’endors le petit. » III Le cierge s’éteint près du lit qui sombre… Un râle de mort, un cri de douleur, Et dans l’ombre On entend quelqu’un fuir comme un voleur. Qui va là ? Qui vient d’ouvrir cette porte ?… Courons ! C’est un spectre armé d’un couteau, Il emporte Le petit enfant dans son grand manteau. Oh ! je te connais, – ne cours pas si vite, Massacreur d’enfants ! Je t’ai reconnu Tout de suite À ton manteau rouge, à ton couteau nu. Hérode t’a fait ce legs effroyable. Tu portes sa pourpre et son yatagan. Vas au diable Comme Hérode, spectre, assassin, forban !

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Contre la peine de mort (Au peuple du 19 octobre 1830) Vains efforts ! périlleuse audace ! Me disent des amis au geste menaçant, Le lion même fait-il grâce Quand sa langue a léché du sang ? Taisez-vous ! ou chantez comme rugit la foule ? Attendez pour passer que le torrent s’écoule De sang et de lie écumant ! On peut braver Néron, cette hyène de Rome! Les brutes ont un coeur! le tyran est un homme : Mais le peuple est un élément ; Elément qu’aucun frein ne dompte, Et qui roule semblable à la fatalité ; Pendant que sa colère monte, Jeter un cri d’humanité, C’est au sourd Océan qui blanchit son rivage Jeter dans la tempête un roseau de la plage, La feuille sèche à l’ouragan ! C’est aiguiser le fer pour soutirer la foudre, Ou poser pour l’éteindre un bras réduit en poudre Sur la bouche en feu du volcan ! Souviens-toi du jeune poète, Chénier ! dont sous tes pas le sang est encor chaud, Dont l’histoire en pleurant répète Le salut triste à l’échafaud . Il rêvait, comme toi, sur une terre libre Du pouvoir et des lois le sublime équilibre ; Dans ses bourreaux il avait foi ! Qu’importe ? il faut mourir, et mourir sans mémoire : Eh bien ! mourons, dit-il. Vous tuez de la gloire : J’en avais pour vous et pour moi ! Cache plutôt dans le silence Ton nom, qu’un peu d’éclat pourrait un jour trahir ! Conserve une lyre à la France, Et laisse-les s’entre-haïr ; De peur qu’un délateur à l’oreille attentive Sur sa table future en pourpre ne t’inscrive Et ne dise à son peuple-roi : C’est lui qui disputant ta proie à ta colère, Voulant sauver du sang ta robe populaire, Te crut généreux : venge-toi ! Non, le dieu qui trempa mon âme Dans des torrents de force et de virilité, N’eût pas mis dans un coeur de femme Cette soif d’immortalité. Que l’autel de la peur serve d’asile au lâche, Ce coeur ne tremble pas aux coups sourds d’une hache, Ce front levé ne pâlit pas ! La mort qui se trahit dans un signe farouche En vain, pour m’avertir, met un doigt sur sa bouche : La gloire sourit au trépas. Il est beau de tomber victime Sous le regard vengeur de la postérité Dans l’holocauste magnanime De sa vie à la vérité ! L’échafaud pour le juste est le lit de sa gloire : Il est beau d’y mourir au soleil de l’histoire, Au milieu d’un peuple éperdu ! De léguer un remords à la foule insensée, Et de lui dire en face une mâle pensée, Au prix de son sang répandu. Peuple, dirais-je ; écoute ! et juge ! Oui, tu fus grand, le jour où du bronze affronté Tu le couvris comme un déluge Du reflux de la liberté ! Tu fus fort, quand pareil à la mer écumante, Au nuage qui gronde, au volcan qui fermente, Noyant les gueules du canon, Tu bouillonnais semblable au plomb dans la fournaise, Et roulais furieux sur une plage anglaise Trois couronnes dans ton limon ! Tu fus beau, tu fus magnanime, Le jour où, recevant les balles sur ton sein, Tu marchais d’un pas unanime, Sans autre chef que ton tocsin ; Où, n’ayant que ton coeur et tes mains pour combattre, Relevant le vaincu que tu venais d’abattre Et l’emportant, tu lui disais : Avant d’être ennemis, le pays nous fit frères ; Livrons au même lit les blessés des deux guerres : La France couvre le Français ! Quand dans ta chétive demeure, Le soir, noirci du feu, tu rentrais triomphant Près de l’épouse qui te pleure, Du berceau nu de ton enfant ! Tu ne leur présentais pour unique dépouille Que la goutte de sang, la poudre qui te souille, Un tronçon d’arme dans ta main ; En vain l’or des palais dans la boue étincelle, Fils de la liberté, tu ne rapportais qu’elle : Seule elle assaisonnait ton pain ! Un cri de stupeur et de gloire Sorti de tous les coeurs monta sous chaque ciel, Et l’écho de cette victoire Devint un hymne universel. Moi-même dont le coeur date d’une autre France, Moi, dont la liberté n’allaita pas l’enfance, Rougissant et fier à la fois, Je ne pus retenir mes bravos à tes armes, Et j’applaudis des mains, en suivant de mes larmes L’innocent orphelin des rois ! Tu reposais dans ta justice Sur la foi des serments conquis, donnés, reçus ; Un jour brise dans un caprice Les noeuds par deux règnes tissus ! Tu t’élances bouillant de honte et de délire : Le lambeau mutilé du gage qu’on déchire Reste dans les dents du lion. On en appelle au fer; il t’absout ! Qu’il se lève Celui qui jetterait ou la pierre, ou le glaive A ton jour d’indignation ! Mais tout pouvoir a des salaires A jeter aux flatteurs qui lèchent ses genoux, Et les courtisans populaires Sont les plus serviles de tous ! Ceux-là des rois honteux pour corrompre les âmes Offrent les pleurs du peuple ou son or, ou ses femmes, Aux désirs d’un maître puissant ; Les tiens, pour caresser des penchants plus sinistres, Te font sous l’échafaud, dont ils sont les ministres, Respirer des vapeurs de sang ! Dans un aveuglement funeste, Ils te poussent de l’oeil vers un but odieux, Comme l’enfer poussait Oreste, En cachant le crime à ses yeux ! La soif de ta vengeance, ils l’appellent justice : Et bien, justice soit ! Est-ce un droit de supplice Qui par tes morts fut acheté ? Que feras-tu, réponds, du sang qu’on te demande ? Quatre têtes sans tronc, est-ce donc là l’offrande D’un grand peuple à sa liberté ? N’en ont-ils pas fauché sans nombre ? N’en ont-ils pas jeté des monceaux, sans combler Le sac insatiable et sombre Où tu les entendais rouler ? Depuis que la mort même, inventant ses machines, Eut ajouté la roue aux faux des guillotines Pour hâter son char gémissant, Tu comptais par centaine, et tu comptas par mille ! Quand on presse du pied le pavé de ta ville, On craint d’en voir jaillir du sang ! – Oui, mais ils ont joué leur tête. – Je le sais; et le sort les livre et te les doit! C’est ton gage, c’est ta conquête ; Prends, ô peuple! use de ton droit. Mais alors jette au vent l’honneur de ta victoire; Ne demande plus rien à l’Europe, à la gloire, Plus rien à la postérité ! En donnant cette joie à ta libre colère, Va-t’en; tu t’es payé toi-même ton salaire : Du sang, au lieu de liberté ! Songe au passé, songe à l’aurore De ce jour orageux levé sur nos berceaux ; Son ombre te rougit encore Du reflet pourpré des ruisseaux ! Il t’a fallu dix ans de fortune et de gloire Pour effacer l’horreur de deux pages d’histoire. Songe à l’Europe qui te suit Et qui dans le sentier que ton pied fort lui creuse Voit marcher tantôt sombre et tantôt lumineuse Ta colonne qui la conduit ! Veux-tu que sa liberté feinte Du carnage civique arbore aussi la faux ? Et que partout sa main soit teinte De la fange des échafauds ? Veux-tu que le drapeau qui la porte aux deux mondes, Veux-tu que les degrés du trône que tu fondes, Pour piédestal aient un remords ? Et que ton Roi, fermant sa main pleine de grâces, Ne puisse à son réveil descendre sur tes places, Sans entendre hurler la mort ? Aux jours de fer de tes annales Quels dieux n’ont pas été fabriqués par tes mains ? Des divinités infernales Reçurent l’encens des humains ! Tu dressas des autels à la terreur publique, A la peur, à la mort, Dieux de ta République ; Ton grand prêtre fut ton bourreau ! De tous ces dieux vengeurs qu’adora ta démence, Tu n’en oublias qu’un, ô peuple ! la Clémence ! Essayons d’un culte nouveau. Le jour qu’oubliant ta colère, Comme un lutteur grandi qui sent son bras plus fort, De l’héroïsme populaire Tu feras le dernier effort ; Le jour où tu diras : Je triomphe et pardonne !… Ta vertu montera plus haut que ta colonne Au-dessus des exploits humains ; Dans des temples voués à ta miséricorde Ton génie unira la force et la concorde, Et les siècles battront des mains !  » Peuple, diront-ils, ouvre une ère  » Que dans ses rêves seuls l’humanité tenta,  » Proscris des codes de la terre  » La mort que le crime inventa !  » Remplis de ta vertu l’histoire qui la nie,  » Réponds par tant de gloire à tant de calomnie !  » Laisse la pitié respirer!  » Jette à tes ennemis des lois plus magnanimes,  » Ou si tu veux punir, inflige à tes victimes  » Le supplice de t’admirer !  » Quitte enfin la sanglante ornière  » Où se traîne le char des révolutions,  » Que ta halte soit la dernière  » Dans ce désert des nations ;  » Que le genre humain dise en bénissant tes pages :  » C’est ici que la France a de ses lois sauvages  » Fermé le livre ensanglanté ;  » C’est ici qu’un grand peuple, au jour de la justice,  » Dans la balance humaine, au lieu d’un vil supplice,  » Jeta sa magnanimité. » Mais le jour où le long des fleuves Tu reviendras, les yeux baissés sur tes chemins, Suivi, maudit par quatre veuves, Et par des groupes d’orphelins, De ton morne triomphe en vain cherchant la fête, Les passants se diront, en détournant la tête : Marchons, ce n’est rien de nouveau ! C’est, après la victoire, un peuple qui se venge ; Le siècle en a menti ; jamais l’homme ne change : Toujours, ou victime, ou bourreau !

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    L'isolement Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne, Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ; Je promène au hasard mes regards sur la plaine, Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds. Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ; Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ; Là le lac immobile étend ses eaux dormantes Où l'étoile du soir se lève dans l'azur. Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres, Le crépuscule encor jette un dernier rayon ; Et le char vaporeux de la reine des ombres Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon. Cependant, s'élançant de la flèche gothique, Un son religieux se répand dans les airs : Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts. Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente N'éprouve devant eux ni charme ni transports ; Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts. De colline en colline en vain portant ma vue, Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant, Je parcours tous les points de l'immense étendue, Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. " Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières, Vains objets dont pour moi le charme est envolé ? Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères, Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ! Que le tour du soleil ou commence ou s'achève, D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ; En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève, Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours. Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière, Mes yeux verraient partout le vide et les déserts : Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire ; Je ne demande rien à l'immense univers. Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère, Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux, Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre, Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux ! Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire ; Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour, Et ce bien idéal que toute âme désire, Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour ! Que ne puîs-je, porté sur le char de l'Aurore, Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi ! Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ? Il n'est rien de commun entre la terre et moi. Quand là feuille des bois tombe dans la prairie, Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons ; Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie : Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !

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    Alphonse de Lamartine

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    @alphonseDeLamartine

    La cloche du village Oh ! quand cette humble cloche à la lente volée Épand comme un soupir sa voix sur la vallée, Voix qu’arrête si près le bois ou le ravin ; Quand la main d’un enfant qui balance cette urne En verse à sons pieux dans la brise nocturne Ce que la terre a de divin ; Quand du clocher vibrant l’hirondelle habitante S’envole au vent d’airain qui fait trembler sa tente, Et de l’étang ridé vient effleurer les bords, Ou qu’à la fin du fil qui chargeait sa quenouille La veuve du village à ce bruit s’agenouille Pour donner leur aumône aux morts : Ce qu’éveille en mon sein le chant du toit sonore, Ce n’est pas la gaieté du jour qui vient d’éclore. Ce n’est pas le regret du jour qui va finir, Ce n’est pas le tableau de mes fraîches années Croissant sur ces coteaux parmi ces fleurs fanées Qu’effeuille encor mon souvenir ; Ce n’est pas mes sommeils d’enfant sous ces platanes, Ni ces première élans du jeu de mes organes, Ni mes pas égarés sur ces rudes sommets, Ni ces grands cris de joie en aspirant vos vagues, Ô brises du matin pleines de saveurs vagues Et qu’on croit n’épuiser jamais ! Ce n’est pas le coursier atteint dans la prairie, Pliant son cou soyeux sous ma main aguerrie Et mêlant sa crinière à mes beaux cheveux blonds, Quand, le sol sous ses pieds sonnant comme une enclume, Sa croupe m’emportait et que sa blanche écume Argentait l’herbe des vallons ! Ce n’est pas même, amour ! ton premier crépuscule, Au mois où du printemps la sève qui circule Fait fleurir la pensée et verdir le buisson, Quand l’ombre ou seulement les jeunes voix lointaines Des vierges rapportant leurs cruches des fontaines Laissaient sur ma tempe un frisson. Ce n’est pas vous non plus, vous que pourtant je pleure, Premier bouillonnement de l’onde intérieure, Voix du cœur qui chantait en s’éveillant en moi, Mélodieux murmure embaumé d’ambroisie Qui fait rendre à sa source un vent de poésie !… Ô gloire, c’est encor moins toi ! De mes jours sans regret que l’hiver vous remporte Avec le chaume vide, avec la feuille morte, Avec la renommée, écho vide et moqueur ! Ces herbes du sentier sont des plantes divines Qui parfument les pieds : oui ! mais dont les racines Ne s’enfoncent pas dans le cœur ! Guirlandes du festin que pour un soir on cueille, Que la haine empoisonne ou que l’envie effeuille, Dont vingt fois sous les mains la couronne se rompt, Qui donnent à la vie un moment de vertige, Mais dont la fleur d’emprunt ne tient pas à la tige, Et qui sèche en tombant du front. C’est le jour où ta voix dans la vallée en larmes Sonnait le désespoir après le glas d’alarmes, Où deux cercueils passant sous les coteaux en deuil, Et bercés sur des cœurs par des sanglots de femmes, Dans un double sépulcre enfermèrent trois âmes Et m’oublièrent sur le seuil ! De l’aurore à la nuit, de la nuit à l’aurore, Ô cloche ! tu pleuras comme je pleure encore, Imitant de nos cœurs le sanglot étouffant ; L’air, le ciel, résonnaient de ta complainte amère, Comme si chaque étoile avait perdu sa mère Et chaque brise son enfant ! Depuis ce jour suprême où ta sainte harmonie Dans ma mémoire en deuil à ma peine est unie, Où ton timbre et mon cœur n’eurent qu’un même son, Oui ! ton bronze sonore et trempé dans la flamme Me semble, quand il pleure, un morceau de mon âme Qu’un ange frappe à l’unisson ! Je dors lorsque tu dors, je veille quand tu veilles ; Ton glas est un ami qu’attendent mes oreilles ; Entre la voix des tours je démêle ta voix, Et ta vibration encore en moi résonne Quand l’insensible bruit qu’un moucheron bourdonne Te couvre déjà sous les bois ! Je me dis : Ce soupir mélancolique et vague Que l’air profond des nuits roule de vague en vague, Ah ! c’est moi, pour moi seul, là-haut retentissant ! Je sais ce qu’il me dit, il sait ce que je pense. Et le vent qui l’ignore, à travers ce silence, M’apporte un sympathique accent. Je me dis : Cet écho de ce bronze qui vibre, Avant de m’arriver au cœur de fibre en fibre, A frémi sur la dalle où tout mon passé dort ; Du timbre du vieux dôme il garde quelque chose : La pierre du sépulcre où mon amour repose Sonne aussi dans ce doux accord ! Ne t’étonne donc pas, enfant, si ma pensée, Au branle de l’airain secrètement bercée, Aime sa voix mystique et fidèle au trépas, Si dès le premier son qui gémit sous sa voûte, Sur un pied suspendu, je m’arrête et j’écoute Ce que la mort me dit tout bas. Et toi, saint porte-voix des tristesses humaines, Que la terre inventa pour mieux crier ses peines, Chante ! des cœurs brisés le timbre est encor beau ! Que ton gémissement donne une âme à la pierre, Des larmes aux yeux secs, un signe à la prière, Une mélodie au tombeau ! Moi, quand des laboureurs porteront dans ma bière Le peu qui doit rester ici de ma poussière ; Après tant de soupirs que mon sein lance ailleurs, Quand des pleureurs gagés, froide et banale escorte, Déposeront mon corps endormi sous la porte Qui mène à des soleils meilleurs ; Si quelque main pieuse en mon honneur te sonne, Des sanglots de l’airain, oh ! n’attriste personne, Ne va pas mendier des pleurs à l’horizon ; Mais prends ta voix de fête, et sonne sur ma tombe Avec le bruit joyeux d’une chaîne qui tombe Au seuil libre d’une prison ! Ou chante un air semblable au cri de l’alouette Qui, s’élevant du chaume où la bise la fouette, Dresse à l’aube du jour son vol mélodieux, Et gazouille ce chant qui fait taire d’envie Ses rivaux attachés aux ronces de la vie, Et qui se perd au fond des cieux ! ENVOI Mais sonne avant ce jour, sonne doucement l’heure Où quelque barde ami, dans mon humble demeure, Vient de mon cœur malade éclairer le long deuil, Et me laisse en partant, charitable dictame, Deux gouttes du parfum qui coule de son âme Pour embaumer longtemps mon seuil.

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    Alphonse de Lamartine

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    Le crucifix Toi que j’ai recueilli sur sa bouche expirante Avec son dernier souffle et son dernier adieu, Symbole deux fois saint, don d’une main mourante, Image de mon Dieu ! Que de pleurs ont coulé sur tes pieds, que j’adore, Depuis l’heure sacrée où, du sein d’un martyr, Dans mes tremblantes mains tu passas, tiède encore De son dernier soupir ! Les saints flambeaux jetaient une dernière flamme ; Le prêtre murmurait ces doux chants de la mort, Pareils aux chants plaintifs que murmure une femme A l’enfant qui s’endort. ……………………………………………. De son pieux espoir son front gardait la trace, Et sur ses traits, frappés d’une auguste beauté, La douleur fugitive avait empreint sa grâce, La mort sa majesté. Le vent qui caressait sa tête échevelée e montrait tour à tour ou me voilait ses traits, Comme l’on voit flotter sur un blanc mausolée L’ombre des noirs cyprès. Un de ses bras pendait de la funèbre couche, L’autre, languissamment replié sur son coeur, Semblait chercher encore et presser sur sa bouche L’image du Sauveur. Ses lèvres s’entr’ouvraient pour l’embrasser encore, ais son âme avait fui dans ce divin baiser, Comme un léger parfum que la flamme dévore Avant de l’embraser. aintenant tout dormait sur sa bouche glacée, Le souffle se taisait dans son sein endormi, Et sur l’oeil sans regard la paupière affaissée Retombait à demi. Et moi, debout, saisi d’une terreur secrète, Je n’osais m’approcher de ce reste adoré, Comme si du trépas la majesté muette L’eût déjà consacré. Je n’osais!… mais le prêtre entendit mon silence, Et, de ses doigts glacés prenant le crucifix : « Voilà le souvenir, et voilà l’espérance : Emportez-les, mon fils! » Oui, tu me resteras, ô funèbre héritage ! Sept fois depuis ce jour l’arbre que j’ai planté Sur sa tombe sans nom a changé son feuillage : Tu ne m’as pas quitté. Placé près de ce coeur, hélas! où tout s’efface, Tu l’as contre le temps défendu de l’oubli, Et mes yeux, goutte à goutte, ont imprimé leur trace Sur l’ivoire amolli. O dernier confident de l’âme qui s’envole, Viens, reste sur mon coeur! parle encore, et dis-moi Ce qu’elle te disait quand sa faible parole N’arrivait plus qu’à toi. A cette heure douteuse où l’âme recueillie, Se cachant sous le voile épaissi sur nos yeux, Hors de nos sens glacés pas à pas se replie, Sourde aux derniers adieux ; Alors qu’entre la vie et la mort incertaine, Comme un fruit par son poids détaché du rameau, Notre âme est suspendue et tremble à chaque haleine Sur la nuit du tombeau ; Quand des chants, des sanglots la confuse harmonie N’éveille déjà plus notre esprit endormi, Aux lèvres du mourant collé dans l’agonie, Comme un dernier ami ; Pour éclaircir l’horreur de cet étroit passage, Pour relever vers Dieu son regard abattu, Divin consolateur, dont nous baisons l’image, Réponds ! Que lui dis-tu ? Tu sais, tu sais mourir! et tes larmes divines, Dans cette nuit terrible où tu prias en vain, De l’olivier sacré baignèrent les racines Du soir jusqu’au matin ! De la croix, où ton oeil sonda ce grand mystère, Tu vis ta mère en pleurs et la nature en deuil ; Tu laissas comme nous tes amis sur la terre, Et ton corps au cercueil ! Au nom de cette mort, que ma faiblesse obtienne De rendre sur ton sein ce douloureux soupir : Quand mon heure viendra, souviens-toi de la tienne, O toi qui sais mourir ! Je chercherai la place où sa bouche expirante Exhala sur tes pieds l’irrévocable adieu, Et son âme viendra guider mon âme errante Au sein du même Dieu ! Ah! puisse, puisse alors sur ma funèbre couche, Triste et calme à la fois, comme un ange éploré, Une figure en deuil recueillir sur ma bouche L’héritage sacré ! Soutiens ses derniers pas, charme sa dernière heure, Et, gage consacré d’espérance et d’amour, De celui qui s’éloigne à celui qui demeure Passe ainsi tour à tour ! Jusqu’au jour où, des morts percant la voûte sombre, Une voix dans le ciel, les appelant sept fois, Ensemble éveillera ceux qui dormaient à l’ombre De l’éternelle croix !

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    Alphonse de Lamartine

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    @alphonseDeLamartine

    Pensée des morts Voilà les feuilles sans sève Qui tombent sur le gazon, Voilà le vent qui s’élève Et gémit dans le vallon, Voilà l’errante hirondelle . Qui rase du bout de l’aile : L’eau dormante des marais, Voilà l’enfant des chaumières Qui glane sur les bruyères Le bois tombé des forêts. L’onde n’a plus le murmure , Dont elle enchantait les bois ; Sous des rameaux sans verdure. Les oiseaux n’ont plus de voix ; Le soir est près de l’aurore, L’astre à peine vient d’éclore Qu’il va terminer son tour, Il jette par intervalle Une heure de clarté pâle Qu’on appelle encore un jour. L’aube n’a plus de zéphire Sous ses nuages dorés, La pourpre du soir expire Sur les flots décolorés, La mer solitaire et vide N’est plus qu’un désert aride Où l’oeil cherche en vain l’esquif, Et sur la grève plus sourde La vague orageuse et lourde N’a qu’un murmure plaintif. La brebis sur les collines Ne trouve plus le gazon, Son agneau laisse aux épines Les débris de sa toison, La flûte aux accords champêtres Ne réjouit plus les hêtres Des airs de joie ou d’amour, Toute herbe aux champs est glanée : Ainsi finit une année, Ainsi finissent nos jours ! C’est la saison où tout tombe Aux coups redoublés des vents ; Un vent qui vient de la tombe Moissonne aussi les vivants : Ils tombent alors par mille, Comme la plume inutile Que l’aigle abandonne aux airs, Lorsque des plumes nouvelles Viennent réchauffer ses ailes A l’approche des hivers. C’est alors que ma paupière Vous vit pâlir et mourir, Tendres fruits qu’à la lumière Dieu n’a pas laissé mûrir ! Quoique jeune sur la terre, Je suis déjà solitaire Parmi ceux de ma saison, Et quand je dis en moi-même : Où sont ceux que ton coeur aime ? Je regarde le gazon. Leur tombe est sur la colline, Mon pied la sait ; la voilà ! Mais leur essence divine, Mais eux, Seigneur, sont-ils là ? Jusqu’à l’indien rivage Le ramier porte un message Qu’il rapporte à nos climats ; La voile passe et repasse, Mais de son étroit espace Leur âme ne revient pas. Ah ! quand les vents de l’automne Sifflent dans les rameaux morts, Quand le brin d’herbe frissonne, Quand le pin rend ses accords, Quand la cloche des ténèbres Balance ses glas funèbres, La nuit, à travers les bois, A chaque vent qui s’élève, A chaque flot sur la grève, Je dis : N’es-tu pas leur voix? Du moins si leur voix si pure Est trop vague pour nos sens, Leur âme en secret murmure De plus intimes accents ; Au fond des coeurs qui sommeillent, Leurs souvenirs qui s’éveillent Se pressent de tous côtés, Comme d’arides feuillages Que rapportent les orages Au tronc qui les a portés ! C’est une mère ravie A ses enfants dispersés, Qui leur tend de l’autre vie Ces bras qui les ont bercés ; Des baisers sont sur sa bouche, Sur ce sein qui fut leur couche Son coeur les rappelle à soi ; Des pleurs voilent son sourire, Et son regard semble dire : Vous aime-t-on comme moi ? C’est une jeune fiancée Qui, le front ceint du bandeau, N’emporta qu’une pensée De sa jeunesse au tombeau ; Triste, hélas ! dans le ciel même, Pour revoir celui qu’elle aime Elle revient sur ses pas, Et lui dit : Ma tombe est verte ! Sur cette terre déserte Qu’attends-tu ? Je n’y suis pas ! C’est un ami de l’enfance, Qu’aux jours sombres du malheur Nous prêta la Providence Pour appuyer notre cœur ; Il n’est plus ; notre âme est veuve, Il nous suit dans notre épreuve Et nous dit avec pitié : Ami, si ton âme est pleine, De ta joie ou de ta peine Qui portera la moitié ? C’est l’ombre pâle d’un père Qui mourut en nous nommant ; C’est une soeur, c’est un frère, Qui nous devance un moment ; Sous notre heureuse demeure, Avec celui qui les pleure, Hélas ! ils dormaient hier ! Et notre coeur doute encore, Que le ver déjà dévore Cette chair de notre chair ! L’enfant dont la mort cruelle Vient de vider le berceau, Qui tomba de la mamelle Au lit glacé du tombeau ; Tous ceux enfin dont la vie Un jour ou l’autre ravie, Emporte une part de nous, Murmurent sous la poussière : Vous qui voyez la lumière, Vous souvenez-vous de nous ? Ah ! vous pleurer est le bonheur suprême Mânes chéris de quiconque a des pleurs ! Vous oublier c’est s’oublier soi-même : N’êtes-vous pas un débris de nos coeurs ? En avançant dans notre obscur voyage, Du doux passé l’horizon est plus beau, En deux moitiés notre âme se partage, Et la meilleure appartient au tombeau ! Dieu du pardon ! leur Dieu ! Dieu de leurs pères ! Toi que leur bouche a si souvent nommé ! Entends pour eux les larmes de leurs frères ! Prions pour eux, nous qu’ils ont tant aimé ! Ils t’ont prié pendant leur courte vie, Ils ont souri quand tu les as frappés ! Ils ont crié : Que ta main soit bénie ! Dieu, tout espoir ! les aurais-tu trompés ? Et cependant pourquoi ce long silence ? Nous auraient-ils oubliés sans retour ? N’aiment-ils plus ? Ah ! ce doute t’offense ! Et toi, mon Dieu, n’es-tu pas tout amour ? Mais, s’ils parlaient à l’ami qui les pleure, S’ils nous disaient comment ils sont heureux, De tes desseins nous devancerions l’heure, Avant ton jour nous volerions vers eux. Où vivent-ils ? Quel astre, à leur paupière Répand un jour plus durable et plus doux ? Vont-ils peupler ces îles de lumière ? Ou planent-ils entre le ciel et nous ? Sont-ils noyés dans l’éternelle flamme ? Ont-ils perdu ces doux noms d’ici-bas, Ces noms de soeur et d’amante et de femme ? A ces appels ne répondront-ils pas ? Non, non, mon Dieu, si la céleste gloire Leur eût ravi tout souvenir humain, Tu nous aurais enlevé leur mémoire ; Nos pleurs sur eux couleraient-ils en vain ? Ah ! dans ton sein que leur âme se noie ! Mais garde-nous nos places dans leur cœur ; Eux qui jadis ont goûté notre joie, Pouvons-nous être heureux sans leur bonheur ? Etends sur eux la main de ta clémence, Ils ont péché; mais le ciel est un don ! Ils ont souffert; c’est une autre innocence ! Ils ont aimé; c’est le sceau du pardon ! Ils furent ce que nous sommes, Poussière, jouet du vent ! Fragiles comme des hommes, Faibles comme le néant ! Si leurs pieds souvent glissèrent, Si leurs lèvres transgressèrent Quelque lettre de ta loi, Ô Père! ô juge suprême ! Ah ! ne les vois pas eux-mêmes, Ne regarde en eux que toi ! Si tu scrutes la poussière, Elle s’enfuit à ta voix ! Si tu touches la lumière, Elle ternira tes doigts ! Si ton oeil divin les sonde, Les colonnes de ce monde Et des cieux chancelleront : Si tu dis à l’innocence : Monte et plaide en ma présence ! Tes vertus se voileront. Mais toi, Seigneur, tu possèdes Ta propre immortalité ! Tout le bonheur que tu cèdes Accroît ta félicité ! Tu dis au soleil d’éclore, Et le jour ruisselle encore ! Tu dis au temps d’enfanter, Et l’éternité docile, Jetant les siècles par mille, Les répand sans les compter ! Les mondes que tu répares Devant toi vont rajeunir, Et jamais tu ne sépares Le passé de l’avenir ; Tu vis ! et tu vis ! les âges, Inégaux pour tes ouvrages, Sont tous égaux sous ta main ; Et jamais ta voix ne nomme, Hélas ! ces trois mots de l’homme : Hier, aujourd’hui, demain ! Ô Père de la nature, Source, abîme de tout bien, Rien à toi ne se mesure, Ah ! ne te mesure à rien ! Mets, à divine clémence, Mets ton poids dans la balance, Si tu pèses le néant ! Triomphe, à vertu suprême ! En te contemplant toi-même, Triomphe en nous pardonnant !

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    Anatole France

    Anatole France

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    La mort Si la vierge vers toi jette sous les ramures Le rire par sa mère à ses lèvres appris ; Si, tiède dans son corps dont elle sait le prix, Le désir a gonflé ses formes demi-mûres ; Le soir, dans la forêt pleine de frais murmures, Si, méditant d'unir vos chairs et vos esprits, Vous mêlez, de sang jeune et de baisers fleuris, Vos lèvres, en jouant, teintes du suc des mûres ; Si le besoin d'aimer vous caresse et vous mord, Amants, c'est que déjà plane sur vous la Mort : Son aiguillon fait seul d'un couple un dieu qui crée. Le sein d'un immortel ne saurait s'embraser. Louez, vierges, amants, louez la Mort sacrée, Puisque vous lui devez l'ivresse du baiser.

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    Anatole France

    Anatole France

    @anatoleFrance

    Le chêne abandonné Dans la tiède forêt que baigne un jour vermeil, Le grand chêne noueux, le père de la race, Penche sur le coteau sa rugueuse cuirasse Et, solitaire aïeul, se réchauffe au soleil. Du fumier de ses fils étouffés sous son ombre, Robuste, il a nourri ses siècles florissants, Fait bouillonner la sève en ses membres puissants, Et respiré le ciel avec sa tête sombre. Mais ses plus fiers rameaux sont morts, squelettes noirs Sinistrement dressés sur sa couronne verte ; Et dans la profondeur de sa poitrine ouverte Les larves ont creusé de vastes entonnoirs. La sève du printemps vient irriter l'ulcère Que suinte la torpeur de ses âcres tissus. Tout un monde pullule en ses membres moussus, Et le fauve lichen de sa rouille l'enserre. Sans cesse un bois inerte et qui vécut en lui Se brise sur son corps et tombe. Un vent d'orage Peut finir de sa mort le séculaire ouvrage, Et peut-être qu'il doit s'écrouler aujourd'hui. Car déjà la chenille aux anneaux d'émeraude Déserte lentement son feuillage peu sûr ; D'insectes soulevant leurs élytres d'azur Tout un peuple inquiet sur son écorce rôde ;

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Aux premiers fruits de mon verger Précurseurs de l’automne, Ô fruits nés d’une terre Ou l’art industrieux, sous ses maisons de verre, Des soleils du midi sait feindre les chaleurs, Allez trouver Fanny ; cette mère craintive. À sa fille aux doux yeux, fleur débile et tardive, Rendez la force et les couleurs. Non qu’un péril funeste assiége son enfance ; Mais du cœur maternel la tendre défiance N’attend pas le danger qu’elle sait trop prévoir. Et Fanny, qu’une fois les destins ont frappée, Soupçonneuse et long-temps de sa perte occupée, Redoute de loin leur pouvoir. L’été va dissiper de si promptes alarmes. Nous devons en naissant tous un tribut de larmes ; Les siennes ont déjà trop satisfait aux dieux. Sa beauté, ses vertus, ses grâces naturelles, N’ont point des dieux sans doute, ainsi que des mortelles, Armé le courroux envieux. Belle bientôt comme elle, au retour d’Érigone, L’enfant va ranimer, nourrisson de Pomone, Ce front que de Borée un souffle avait terni. Ô de la conserver, Cieux, faites votre étude ; Que jamais la douleur, même l’inquiétude, N’approchent du sein de Fanny. Que n’est-ce encor ce temps let d’amour et de gloire, Qui de Pollux, d’Alceste, a gardé la mémoire, Quand un pieux échange apaisait les enfers ! Quand les trois Sœurs pouvaient n’être point inflexibles, Et qu’au prix de ses jours, de leurs ciseaux terribles, On rachetait des jours plus chers ! Oui, je voudrais alors qu’en effet toute prête, La Parque, aimable enfant, vint menacer ta tête, Pour me mettre en ta place et te sauver le jour ; Voir ma trame rompue à la tienne enchaînée ; Et Fanny s’avouer par moi seul fortuné Et s’applaudir de mon amour. Ma tombe quelque jour troublerait sa pensée. Quelque jour, à sa fille entre ses bras pressée, L’œil humide peut-être, en passant prés de moi : « Celui-ci, dirait-elle, à qui je fus bien chère, » Fut content de mourir, en songeant que ta mère » N’aurait point à pleurer sur toi. »

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Chrysé Pourquoi, belle Chrysé, t’abandonnant aux voiles, T’éloigner de nos bords sur la foi des étoiles ? Dieux ! je t’ai vue en songe ; et, de terreur glacé, J’ai vu sur des écueils ton vaisseau fracassé, Ton corps flottant sur l’onde, et tes bras avec peine Cherchant à repousser la vague ionienne. Les filles de Nérée ont volé près de toi. Leur sein fut moins troublé de douleur et d’effroi, Quand, du bélier doré qui traversait leurs ondes, La jeune Hellé tomba dans leurs grottes profondes. Oh ! que j’ai craint de voir à cette mer, un jour, Tiphys donner ton nom et plaindre mon amour ! Que j’adressai de voeux aux dieux de l’onde amère ! Que de voeux à Neptune, à Castor, à son frère ! Glaucus ne te vit point ; car sans doute avec lui Déesse au sein des mers tu vivrais aujourd’hui. Déjà tu n’élevais que des mains défaillantes ; Tu me nommais déjà de tes lèvres mourantes, Quand, pour te secourir, j’ai vu fendre les flots Au dauphin qui sauva le chanteur de Lesbos.

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    La jeune tarentine Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés, Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez. Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine. Un vaisseau la portait aux bords de Camarine. Là l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement, Devaient la reconduire au seuil de son amant. Une clef vigilante a pour cette journée Dans le cèdre enfermé sa robe d'hyménée Et l'or dont au festin ses bras seraient parés Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés. Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles, Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles L'enveloppe. Étonnée, et loin des matelots, Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots. Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine. Son beau corps a roulé sous la vague marine. Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher Aux monstres dévorants eut soin de le cacher. Par ses ordres bientôt les belles Néréides L'élèvent au-dessus des demeures humides, Le portent au rivage, et dans ce monument L'ont, au cap du Zéphir, déposé mollement. Puis de loin à grands cris appelant leurs compagnes, Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes, Toutes frappant leur sein et traînant un long deuil, Répétèrent : « Hélas ! » autour de son cercueil. Hélas ! chez ton amant tu n'es point ramenée. Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée. L'or autour de tes bras n'a point serré de nœuds. Les doux parfums n'ont point coulé sur tes cheveux.

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Le jeune malade Apollon, dieu sauveur, dieu des savants mystères, Dieu de la vie, et dieu des plantes salutaires, Dieu vainqueur de Python, dieu jeune et triomphant, Prends pitié de mon fils, de mon unique enfant ! Prends pitié de sa mère aux larmes condamnée, Qui ne vit que pour lui, qui meurt abandonnée, Qui n’a pas dû rester pour voir mourir son fils ; Dieu jeune, viens aider sa jeunesse. Assoupis, Assoupis dans son sein cette fièvre brûlante Qui dévore la fleur de sa vie innocente. Apollon, si jamais, échappé du tombeau, Il retourne au Ménale avoir soin du troupeau, Ces mains, ces vieilles mains orneront ta statue De ma coupe d’onyx à tes pieds suspendue ; Et, chaque été nouveau, d’un jeune taureau blanc La hache à ton autel fera couler le sang. Eh bien ! mon fils, es-tu toujours impitoyable ? Ton funeste silence est-il inexorable ? Enfant, tu veux mourir ? Tu veux, dans ses vieux ans, Laisser ta mère seule avec ses cheveux blancs ? Tu veux que ce soit moi qui ferme ta paupière? Que j’unisse ta cendre à celle de ton père ? C’est toi qui me devais ces soins religieux, Et ma tombe attendait tes pleurs et tes adieux. Parle, parle, mon fils, quel chagrin te consume ? Us maux qu’on dissimule en ont plus d’amertume. Ne lèveras-tu point ces yeux appesantis ? – Ma mère, adieu ; je meurs, et tu n’as plus de fils. Non, tu n’as plus de fils, ma mère bien-aimée. Je te perds. Une plaie ardente, envenimée, Me ronge ; avec effort je respire, et je crois Chaque fois respirer pour la dernière fois. Je ne parlerai pas ; adieu… Ce lit me blesse, Ce tapis qui me couvre accable ma faiblesse ; Tout me pèse et me lasse. Aide-moi, je me Meurs. Tourne-moi sur le flanc. Ah ! j’expire ! ô douleurs ! – Tiens, mon unique enfant, mon fils, prends ce breuvage ; Sa chaleur te rendra ta force et ton courage. La mauve, le dictame ont, avec les pavots, Mêlé leurs sucs puissants qui donnent le repos ; Sur le vase bouillant, attendrie à mes larmes, Une Thessalienne a composé des charmes. Ton corps débile a vu trois retours du soleil Sans connaître Cérès, ni tes yeux le sommeil. Prends, mon fils, laisse-toi fléchir à ma prière ; C’est ta mère, ta vieille inconsolable mère Qui pleure ; qui jadis te guidait pas à pas, T’asseyait sur son sein, te portait dans ses bras ; Que tu disais aimer, qui t’apprit à le dire ; Qui chantait, et souvent te forçait à sourire Lorsque tes jeunes dents, par de vives douleurs, De tes yeux enfantins faisaient couler des pleurs. Tiens, presse de ta lèvre, hélas ! pâle et glacée, Par qui cette mamelle était jadis pressée, Un suc qui te nourrisse et vienne à ton secours, Comme autrefois mon lait nourrit tes premiers jours. – Ô coteaux d’Erymanthe ! ô vallons ! ô bocage ! Ô vent sonore et frais qui troublais le feuillage, Et faisais frémir l’onde, et sur leur jeune sein Agitais les replis de leur robe de lin ! De légères beautés troupe agile et dansante ! Tu sais, tu sais, ma mère, aux bords de l’Erymanthe… Là, ni loups ravisseurs, ni serpents, ni poisons. Ô visage divin ! ô fêtes ! ô chansons ! Des pas entrelacés, des fleurs, une onde pure… Aucun lieu n’est si beau dans toute la nature. Dieux ! ces bras et ces fleurs, ces cheveux, ces pieds nus Si blancs, si délicats ! je ne les verrai plus ! Oh ! portez, portez-moi sur les bords d’Erymanthe, Que je la voie encor, cette nymphe dansante ! Oh ! que je voie au loin la fumée à longs flots S’élever de ce toit au bord de cet enclos ! Assise à tes côtés, ses discours, sa tendresse, Sa voix, trop heureux père ! enchante ta vieillesse. Dieux ! par-dessus la haie élevée en remparts, Je la vois, à pas lents, en longs cheveux épars, Seule, sur un tombeau, pensive, inanimée, S’arrêter et pleurer sa mère bien-aimée. Oh ! que tes yeux sont doux ! que ton visage est beau ! Viendras-tu point aussi pleurer sur mon tombeau ? Viendras-tu point aussi, la plus belle des belles, Dire sur mon tombeau : Les Parques sont cruelles ! – Ah ! mon fils, c’est l’amour ! c’est l’amour insensé Qui t’a jusqu’à ce point cruellement blessé ? Ah ! mon malheureux fils ! Oui, faibles que nous sommes, C’est toujours cet amour qui tourmente les hommes. S’ils pleurent en secret, qui lira dans leur coeur Verra que cet amour est toujours leur vainqueur. Mais, mon fils, mais dis-moi, quelle nymphe dansante, Quelle vierge as-tu vue an bord de l’Erymanthe ? N’es-tu pas riche et beau ? du moins quand la douleur N’avait point de ta joue éteint la jeune fleur ? Parle. Est-ce cette Aeglé, fille du roi des ondes, Ou cette jeune Irène aux longues tresses blondes ? Ou ne sera-ce point cette fière beauté Dont j’entends le beau nom chaque jour répété, Dont j’apprends que partout les belles sont jalouses ? Qu’aux temples, aux festins, les mères, les épouses, Ne sauraient voir, dit-on, sans peine et sans effroi ? Cette belle Daphné ?… – Dieux ! ma mère, tais-toi, Tais-toi. Dieux ! qu’as-tu dit ? elle est fière, inflexible ; Comme les immortels, elle est belle et terrible ! Mille amants l’ont aimée ; ils l’ont aimée en vain. Comme eux j’aurais trouvé quelque refus hautain. Non, garde que jamais elle soit informée… Mais, ô mort ! ô tourment ! ô mère bien-aimée ! Tu vois dans quels ennuis dépérissent mes jours. Ecoute ma prière et viens à mon secours : Je meurs ; va la trouver : que tes traits, que ton âge, De sa mère à ses yeux offrent la sainte image. Tiens, prends cette corbeille et nos fruits les plus beaux ; Prends notre Amour d’ivoire, honneur de ces hameaux ; Prends la coupe d’onyx à Corinthe ravie ; Prends mes jeunes chevreaux, prends mon coeur, prends ma vie ; Jette tout à ses pieds ; apprends-lui qui je suis ; Dis-lui que je me meurs, que tu n’as plus de fils ; Tombe aux pieds du vieillard, gémis, implore, presse ; Adjure cieux et mers, dieu, temple, autel, déesse… Pars ; et si tu reviens sans les avoir fléchis, Adieu, ma mère, adieu, tu n’auras plus de fils. – J’aurai toujours un fils ; va, la belle espérance Ne dit…  » Elle s’incline, et, dans un doux silence, Elle couvre ce front, terni par les douleurs, De baisers maternels entremêlés de pleurs. Puis elle sort en hâte, inquiète et tremblante. La démarche de crainte et d’âge chancelante, Elle arrive ; et bientôt revenant sur ses pas, Haletante, de loin :  » Mon cher fils, tu vivras, Tu vivras.  » Elle vient s’asseoir près de la couche : Le vieillard la suivait, le sourire à la bouche. La jeune belle aussi, rouge et le front baissé, Vient, jette sur le lit un coup d’oeil. L’insensé Tremble ; sous ses tissus il veut cacher sa tête.  » Ami, depuis trois jours tu n’es d’aucune fête, Dit-elle ; que fais-tu ? pourquoi veux-tu mourir ? Tu souffres. L’on me dit que je peux te guérir ; Vis, et formons ensemble une seule famille. Que mon père ait un fils, et ta mère une fille.  »

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Triste vieillard… Triste vieillard, depuis que pour tes cheveux blancs Il n’est plus de soutien de tes jours chancelants, Que ton fils orphelin n’est plus à son vieux père, Renfermé sous ton toit et fuyant la lumière, Un sombre ennui t’opprime et dévore ton sein. Sur ton siège de hêtre, ouvrage de ma main, Sourd à tes serviteurs, à tes amis eux-même, Le front baissé, l’oeil sec et le visage blême, Tout le jour en silence à ton foyer assis, Tu restes pour attendre ou la mort ou ton fils. Et toi, toi, que fais-tu, seule et désespérée, De ton faon dans les fers lionne séparée ? J’entends ton abandon lugubre et gémissant ; Sous tes mains en fureur ton sein retentissant, Toit deuil pâle, éploré, promené par la ville, Tes cris, tes longs sanglots remplissent toute l’île. Les citoyens de loin reconnaissent tes pleurs.  » La voici, disent-ils, la femme de douleurs ! «  L’étranger, te voyant mourante, échevelée, Demande :  » Qu’as-tu donc, ô femme désolée ! «  – Ce qu’elle a ? Tous les dieux contre elle sont unis La femme désolée, elle a perdu son fils !

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    A

    André Lemoyne

    @andreLemoyne

    Au bord de la forêt À Madame Sureau-Bellet. I. L'hirondelle frileuse au loin s'était enfuie. Sous les dernières fleurs, les papillons mouraient. Près des étangs voilés où crépitait la pluie, Sur des eaux sans miroir les grands saules pleuraient. Dans la nature en deuil plus d'oiseau, plus d'abeille. Son fagot sur l'épaule et les deux mains en croix, Au bord de la forêt une petite vieille Marchait avec lenteur en emportant son bois. C'était Marthe la veuve, au pays bien connue, Fille et femme autrefois de simples bûcherons, Depuis longtemps couchés en terre froide et nue, Où tous, jeunes et vieux, tôt ou tard nous irons. Son homme, un gars robuste, allant à la hêtraie, Ne revint pas un soir qu'on l'avait attendu. L'arbre qu'il abattait sous la haute futaie Tombait en étouffant son dernier cri perdu. Et plus tard ses deux fils (elle n'y croyait guère) Partaient l'un après l'autre, et quittant leurs sabots, Pour de lointains pays où la France est en guerre, S'embarquaient, emportés sur de longs paquebots. Partout où le drapeau fièrement se déploie, Et les premiers au feu des plus rudes combats, Lisant un nom sacré sur un lambeau de soie, Tous deux, morts côte à côte, étaient restés là-bas. Mais ils reposaient loin de leur forêt bénie, Sous les ardents soleils où sont les tamarins, Oubliés vite, après la bataille finie, Dans les roseaux d'un fleuve ou les sables marins. II. « Pensez-vous quelquefois aux mères de famille, » Me dit la femme en deuil... Mes larmes pour eux trois Tombaient sur le berceau d"une petite fille, Vive et joyeuse alors comme un oiseau des bois. « Elle est trop jeune encore... Il faudra que j'attende... (La mort jusqu'à présent n'a pas voulu de moi). Je m'en irai plus tard, quand elle sera grande. Dieu m'a permis de vivre, il a bien su pourquoi. »

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    A

    André Lemoyne

    @andreLemoyne

    Paysage de nuit À Jules Berge C'est un dimanche soir. — Un large clair de lune Étale son argent sur la grève et la dune. La mer baisse... On entend comme un orgue lointain Dans la rumeur du flot qui jamais ne s'éteint. Sous le rayonnement de cette nuit paisible L'œil perçoit jusqu'aux bords de l'horizon visible : Les vieux ormes tordus, les saules sur deux rangs, Qui des ruisseaux marins contemplent les courants. Ni barques, ni pêcheurs sur les eaux de la Manche, Car tous les gens de mer honorent le dimanche. Dans le marais voisin encor mal endormi, Un ruminant couché rouvre l'œil à demi. Il a cru voir le jour... La tête se relève, Puis tombe... il se rendort en poursuivant son rêve. Sur la grève apparaît nettement de profil Un personnage errant... tout seul... Où donc va-t-il ? On reconnaît de loin le brave petit homme Qu'entre les vieux pêcheurs de la côte on renomme. Où va-t-il à cette heure en vareuse et suroît, Par le plus court chemin de la grève, tout droit ? Sa femme au champ des morts tranquillement repose À l'ombre de l'église... il s'y rend à nuit close, Et c'est là qu'il s'arrête et vient s'agenouiller En espérant bientôt près d'elle sommeiller.

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    André Suarès

    André Suarès

    @andreSuares

    Âme de la nuit Mol et sans voix, le couperet de l’ombre descend du ciel et le jour tombe, la face contre terre, dans le fatal étang ; et les yeux s’enfoncent dans la fosse. Long crépuscule.

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    Anna de Noailles

    Anna de Noailles

    @annaDeNoailles

    L’empreinte Je m’appuierai si bien et si fort à la vie, D’une si rude étreinte et d’un tel serrement Qu’avant que la douceur du jour me soit ravie Elle s’échauffera de mon enlacement. La mer, abondamment sur le monde étalée, Gardera dans la route errante de son eau Le goût de ma douleur qui est âcre et salée Et sur les jours mouvants roule comme un bateau. Je laisserai de moi dans le pli des collines La chaleur de mes yeux qui les ont vu fleurir Et la cigale assise aux branches de l’épine Fera crier le cri strident de mon désir. Dans les champs printaniers la verdure nouvelle Et le gazon touffu sur les bords des fossés Sentiront palpiter et fuir comme des ailes Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés. La nature qui fut ma joie et mon domaine Respirera dans l’air ma persistante odeur Et sur l’abattement de la tristesse humaine Je laisserai la forme unique de mon cœur.

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    Anna de Noailles

    Anna de Noailles

    @annaDeNoailles

    La mort fervente Mourir dans la buée ardente de l'été, Quand parfumé, penchant et lourd comme une grappe, Le coeur, que la rumeur de l'air balance et frappe, S'égrène en douloureuse et douce volupté. Mourir, baignant ses mains aux fraîcheurs du feuillage, Joignant ses yeux aux yeux fleurissants des bois verts, Se mêlant à l'antique et naissant univers, Ayant en même temps sa jeunesse et son âge, S'en aller calmement avec la fin du jour ; Mourir des flèches d'or du tendre crépuscule, Sentir que l'âme douce et paisible recule Vers la terre profonde et l'immortel amour. S'en aller pour goûter en elle ce mystère D'être l'herbe, le grain, la chaleur et les eaux, S'endormir dans la plaine aux verdoyants réseaux, Mourir pour être encor plus proche de la terre...

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    A

    Antoine de Latour

    @antoineDeLatour

    Le jour des morts Voici le jour des morts, l'âme croit les entendre ; Mais au lieu d'un jour sombre et d'un ciel attriste, Une heure de printemps se lève sur leur cendre, Comme un signe de paix et d'immortalité. Vers les champs du repos, autour de la cité, La foule des vivants commence à se répandre, Et plus d'un a choisi le sentier écarté Que peut-être demain il lui faudra reprendre. Ah ! vous n'êtes pas là, vous que j'ai tant pleures, Le hasard fit, hélas ! à vos mânes sacrés, Pour la nuit de la tombe, un chevet solitaire. Mais la loi du temps cesse où la vie a cessé, Et les larmes du cœur vont partout sous la terre Consoler dans la mort le pauvre trépassé.

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    Antoine-Vincent Arnault

    Antoine-Vincent Arnault

    @antoineVincentArnault

    Accueillez l'immortel enfant À M. P. D. S. R. Premier commis au département de l'intérieur, En lui envoyant un exemplaire de La Pucelle de Voltaire. Accueillez l'immortel enfant D'une muse un peu libertine ; Un philosophe qui badine Nous instruit en nous amusant. Par une hypocrite cabale L'honneur du beau sexe outragé, Sous le fer d'un héros vengé, N'est-ce pas là de la morale ? Le père des inquisiteurs Prêche aux damnés la tolérance : Ah ! que n'a-t-il pour auditeurs Tous nos fanatiques de France ! Et nos porteurs de capuchon, Gens aussi vains qu'insatiables, Que ne sont-ils à tous les diables, Avec le père Gris-Bourdon ! Peut-être plus d'une peinture Blesserait vos yeux délicats, Si Vénus était sans appas Pour être parfois sans ceinture. Un grison trouve à ses discours Jeanne et les Amours favorables ; Que de belles ont tous les jours Des caprices moins excusables ! Du génie et de l'enjouement, La Pucelle pour héroïne ; Tous ces objets, je l'imagine, Sont de votre département. Écrit en 1787.

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    A

    Aristide Bruant

    @aristideBruant

    Fantaisie triste I’ bruinait… L’temps était gris, On n’voyait pus l’ciel… L’atmosphère, Semblant suer au d’ssus d’Paris, Tombait en bué’ su’ la terre. I’ soufflait quéqu’chose… on n’sait d’où, C’était ni du vent ni d’la bise, Ça glissait entre l’col et l’cou Et ça glaçait sous not’ chemise. Nous marchions d’vant nous, dans l’brouillard, On distinguait des gens maussades, Nous, nous suivions un corbillard Emportant l’un d’nos camarades. Bon Dieu ! qu’ça faisait froid dans l’dos ! Et pis c’est qu’on n’allait pas vite ; La moell’ se figeait dans les os, Ça puait l’rhume et la bronchite. Dans l’air y avait pas un moineau, Pas un pinson, pas un’ colombe, Le long des pierr’ i’ coulait d’l’eau, Et ces pierr’s-là… c’était sa tombe. Et je m’disais, pensant à lui Qu’j’avais vu rire au mois d’septembre Bon Dieu ! qu’il aura froid c’tte nuit ! C’est triste d’mourir en décembre. J’ai toujours aimé l’bourguignon, I’ m’sourit chaqu’ fois qu’i’ s’allume ; J’voudrais pas avoir le guignon D’m’en aller par un jour de brume.

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    A

    Aristide Bruant

    @aristideBruant

    À la bastoche Il était né près du canal, Par là... dans l’ quartier d’ l’Arsenal, Sa maman, qu’avait pas d’ mari, L’appelait son petit Henri... Mais on l’appelait la Filoche, À la Bastoche. I’ n’ faisait pas sa société Du géni’ de la liberté, I’ n’était pas républicain, Il était l’ami du Rouquin Et le p’tit homme à la Méloche, À la Bastoche. À c’tte époqu’-là, c’était l’ bon temps : La Méloche avait dix-huit ans, Et la Filoche était rupin : Il allait des fois, en sapin, Il avait du jonc dans sa poche, À la Bastoche. Mais ça peut pas durer toujours, Après la saison des amours C’est la mistoufe et, ben souvent, Faut s’ les caler avec du vent... Filer la comète et la cloche À la Bastoche. Un soir qu’i’ n’avait pas mangé, Qu’i’ rôdait comme un enragé ; Il a, pour barboter l’ quibus D’un conducteur des Omnibus, Crevé la panse et la sacoche, À la Bastoche. Et sur la bascule à Charlot, Il a payé sans dire un mot : À la Roquette un beau matin, Il a fait voir, à ceux d’ Pantin, Comment savait mourir un broche De la Bastoche ! Il était né près du canal, Par là... dans l’ quartier d’ l’Arsenal, Sa maman, qu’avait pas d’ mari, L’appelait son petit Henri... Mais on l’appelait la Filoche, À la Bastoche.

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