splash screen icon Lenndi
splash screen name leendi

Jeunesse

189 poésies en cours de vérification
Jeunesse

Poésies de la collection jeunesse

    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    Idéal Hors la ville de fer et de pierre massive, À l’aurore, le choeur des beaux adolescents S’en est allé, pieds nus, dans l’herbe humide et vive, Le coeur pur, la chair vierge et les yeux innocents. Toute une aube en frissons se lève dans leurs âmes. Ils vont rêvant de chars dorés, d’arcs triomphaux, De chevaux emportant leur gloire dans des flammes, Et d’empires conquis sous des soleils nouveaux ! Leur pensée est pareille au feuillage du saule À toute heure agité d’un murmure incertain ; Et leur main fièrement rejette sur l’épaule Leur beau manteau qui claque aux souffles du matin. En eux couve le feu qui détruit et qui crée ; Et, croyant aux clairons qui renversaient les tours, Ils vont remplir l’amphore à la source sacrée D’où sort, large et profond, le fleuve ancien des jours. Ils ont l’amour du juste et le mépris des lâches, Et veulent que ton règne arrive enfin, seigneur ! Et déjà leur sang brûle, en lavant toutes taches, De jaillir, rouge, aux pieds sacrés de la douleur ! Tambours d’or, clairons d’or, sonnez par les campagnes ! Orgueil, étends sur eux tes deux ailes de fer ! Ce qui vient d’eux est pur comme l’eau des montagnes, Et fort comme le vent qui souffle sur la mer ! Sur leurs pas l’allégresse éclate en jeunes rires, La terre se colore aux feux divins du jour, Le vent chante à travers les cordes de leurs lyres, Et le coeur de la rose a des larmes d’amour. Là-bas, vers l’horizon roulant des vapeurs roses, Vers les hauteurs où vibre un éblouissement, Ivres de s’avancer dans la beauté des choses, Et d’être à chaque pas plus près du firmament ; Vers les sommets tachés d’écumes de lumière Où piaffent, tout fumants, les chevaux du soleil, Plus haut, plus haut toujours, vers la cime dernière Au seuil de l’Empyrée effrayant et vermeil ; Ils vont, ils vont, portés par un souffle de flamme… Et l’espérance, triste avec des yeux divins, Si pâle sous son noir manteau de pauvre femme, Un jour encore, au ciel lève ses vieilles mains ! * ** Pieds nus, manteaux flottants dans la brise, à l’aurore, Tels, un jour, sont partis les enfants ingénus, Le coeur vierge, les mains pures, l’âme sonore… Oh ! Comme il faisait soir, quand ils sont revenus ! Pareils aux émigrants dévorés par les fièvres, Ils vont, l’haleine courte et le geste incertain. Sombres, l’envie au foie et l’ironie aux lèvres ; Et leur sourire est las comme un feu qui s’éteint. Ils ont perdu la foi, la foi qui chante en route Et plante au coeur du mal ses talons frémissants. Ils ont perdu, rongés par la lèpre du doute, Le ciel qui se reflète aux yeux des innocents. Même ils ont renié l’orgueil de la souffrance, Et dans la multitude au front bas, au coeur dur, Assoupie au fumier de son indifférence, Ils sont rentrés soumis comme un bétail obscur. Leurs rêves engraissés paissent parmi les foules ; Aux fentes de leur coeur d’acier noble bardé, Le sang altier des forts goutte à goutte s’écoule, Et puis leur coeur un jour se referme, vidé. Matrone bien fardée au seuil clair des boutiques, Leur âme épanouie accueille les passants ; Surtout ils sont dévots aux seuls dieux authentiques, Et, le front dans la poudre, adorent les puissants. Ils veulent des soldats, des juges, des polices, Et, rassurés par l’ordre aux solides étaux, Ils regardent grouiller au vivier de leurs vices Les sept vipères d’or des péchés capitaux. Pourtant, parfois, des soirs, ils songent dans les villes À ceux-là qui près d’eux gravissaient l’avenir, Et qui, ne voulant pas boire aux écuelles viles, S’étant couchés là-haut, s’y sont laissés mourir ; Et le remords les prend quand, au penchant des cimes, Un éclair leur fait voir, les deux bras étendus, Des cadavres hautains, dont les yeux magnanimes Rêvent, tout grands ouverts, aux idéals perdus !

    en cours de vérification

    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    Le berceau Dans la chambre paisible où tout bas la veilleuse Palpite comme une âme humble et mystérieuse, Le père, en étouffant ses pas, s’est approché Du petit lit candide où l’enfant est couché ; Et sur cette faiblesse et ces douceurs de neige Pose un regard profond qui couve et qui protège. Un souffle imperceptible aux lèvres l’enfant dort, Penchant la tête ainsi qu’un petit oiseau mort, Et, les doigts repliés au creux de ses mains closes, Laisse à travers le lit traîner ses bras de roses. D’un fin poudroiement d’or ses cheveux l’ont nimbé ; Un peu de moiteur perle à son beau front bombé, Ses pieds ont repoussé les draps, la couverture, Et, libre maintenant, nu jusqu’à la ceinture, Il laisse voir, ainsi qu’un lys éblouissant, La pure nudité de sa chair d’innocent. Le père le contemple, ému jusqu’aux entrailles… La veilleuse agrandit les ombres aux murailles ; Et soudain, dans le calme immense de la nuit, Sous un souffle venu des siècles jusqu’à lui, Il sent, plein d’un bonheur que nul verbe ne nomme, Le grand frisson du sang passer dans son coeur d’homme.

    en cours de vérification

    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    Le bonheur Pour apaiser l'enfant qui, ce soir, n'est pas sage, Églé, cédant enfin, dégrafe son corsage, D'où sort, globe de neige, un sein gonflé de lait. L'enfant, calmé soudain, a vu ce qu'il voulait, Et de ses petits doigts pétrissant la chair blanche Colle une bouche avide au beau sein qui se penche. Églé sourit, heureuse et chaste en ses pensers, Et si pure de cœur sous les longs cils baissés. Le feu brille dans l'âtre ; et la flamme, au passage, D'un joyeux reflet rose éclaire son visage, Cependant qu'au dehors le vent mène un grand bruit... L'enfant s'est détaché, mûr enfin pour la nuit, Et, les yeux clos, s'endort d'un bon sommeil sans fièvres, Une goutte de lait tremblante encore aux lèvres. La mère, suspendue au souffle égal et doux, Le contemple, étendu, tout nu, sur ses genoux, Et, gagnée à son tour au grand calme qui tombe, Incline son beau col flexible de colombe ; Et, là-bas, sous la lampe au rayon studieux, Le père au large front, qui vit parmi les dieux, Laissant le livre antique, un instant considère, Double miroir d'amour, l'enfant avec la mère, Et dans la chambre sainte, où bat un triple cœur, Adore la présence auguste du bonheur.

    en cours de vérification

    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    A M. A. T. Ainsi, mon cher ami, vous allez donc partir ! Adieu ; laissez les sots blâmer votre folie. Quel que soit le chemin, quel que soit l'avenir, Le seul guide en ce monde est la main d'une amie. Vous me laissez pourtant bien seul, moi qui m'ennuie. Mais qu'importe ? L'espoir de vous voir revenir Me donnera, malgré les dégoûts de la vie, Ce courage d'enfant qui consiste à vieillir. Quelquefois seulement, près de votre maîtresse, Souvenez-vous d'un cœur qui prouva sa noblesse Mieux que l'épervier d'or dont mon casque est armé ; Qui vous a tout de suite et librement aimé, Dans la force et la fleur de la belle jeunesse, Et qui dort maintenant à tout jamais fermé.

    en cours de vérification

    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    A quoi rêvent les jeunes filles Acte I. Scène . — Ninon, Ninette. NINON Cette voix retentit encore à mon oreille. NINETTE Ce baiser singulier me fait encor frémir. NINON Nous verrons cette nuit; il faudra que je veille. NINETTE Cette nuit, cette nuit, je ne veux pas dormir. NINON Toi dont la voix est douce, et douce la parole, Chanteur mystérieux, reviendras-tu me voir? Ou, comme en soupirant l'hirondelle s'envole, Mon bonheur fuira-t-il, n'ayant duré qu'un soir? NINETTE Audacieux fantôme à la forme voilée, ' Les ombrages ce soir seront-ils sans danger? Te reverrai-je encor dans cette sombre allée, Ou disparaîtras-tu comme un chamois léger? NINON L'eau, la terre et les vents, tout s'emplit d'harmonies. Un jeune rossignol chante au fond de mon cœur. J'entends sous les roseaux murmurer des génies... Ai-je de nouveaux sens inconnus à ma sœur? NINETTE Pourquoi ne puis-je voir sans plaisir et sans peine Les baisers du zéphyr trembler sur la fontaine, Et l'ombre des tilleuls passer sur mes bras nus? Ma sœur est une enfant, — et je ne le suis plus.

    en cours de vérification

    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    A Sainte-Beuve Ami, tu l’as bien dit : en nous, tant que nous sommes, Il existe souvent une certaine fleur Qui s’en va dans la vie et s’effeuille du coeur. « Il existe, en un mot, chez les trois quarts des hommes, Un poète mort jeune à qui l’homme survit. » Tu l’as bien dit, ami, mais tu l’as trop bien dit. Tu ne prenais pas garde, en traçant ta pensée, Que ta plume en faisait un vers harmonieux, Et que tu blasphémais dans la langue des dieux. Relis-toi, je te rends à ta Muse offensée ; Et souviens-toi qu’en nous il existe souvent Un poète endormi toujours jeune et vivant.

    en cours de vérification

    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    A mon ami Edouard B. Tu te frappais le front en lisant Lamartine, Edouard, tu pâlissais comme un joueur maudit ; Le frisson te prenait, et la foudre divine, Tombant dans ta poitrine, T’épouvantait toi-même en traversant ta nuit. Ah ! frappe-toi le coeur, c’est là qu’est le génie. C’est là qu’est la pitié, la souffrance et l’amour ; C’est là qu’est le rocher du désert de la vie, D’où les flots d’harmonie, Quand Moïse viendra, jailliront quelque jour. Peut-être à ton insu déjà bouillonnent-elles, Ces laves du volcan, dans les pleurs de tes yeux. Tu partiras bientôt avec les hirondelles, Toi qui te sens des ailes Lorsque tu vois passer un oiseau dans les cieux.

    en cours de vérification

    Alphonse Daudet

    Alphonse Daudet

    @alphonseDaudet

    Aux Petits Enfants Enfants d’un jour, ô nouveau-nés, Petites bouches, petits nez, Petites lèvres demi-closes, Membres tremblants, Si frais, si blancs, Si roses ; Enfants d’un jour, ô nouveaux-nés, Pour le bonheur que vous donnez, À vous voir dormir dans vos langes, Espoir des nids Soyez bénis, Chers anges ! Pour vos grands yeux effarouchés Que sous vos draps blancs vous cachez. Pour vos sourires, vos pleurs même, Tout ce qu’en vous, Êtres si doux, On aime ; Pour tout ce que vous gazouillez, Soyez bénis, baisés, choyés, Gais rossignols, blanches fauvettes ! Que d’amoureux Et que d’heureux Vous faites ! Lorsque sur vos chauds oreillers, En souriant vous sommeillez, Près de vous, tout bas, ô merveille ! Une voix dit : « Dors, beau petit ; Je veille. » C’est la voix de l’ange gardien ; Dormez, dormez, ne craignez rien ; Rêvez, sous ses ailes de neige : Le beau jaloux Vous berce et vous Protège. Enfants d’un jour, ô nouveau-nés, Au paradis, d’où vous venez, Un léger fil d’or vous rattache. À ce fil d’or Tient l’âme encor Sans tache. Vous êtes à toute maison Ce que la fleur est au gazon. Ce qu’au ciel est l’étoile blanche, Ce qu’un peu d’eau Est au roseau Qui penche. Mais vous avez de plus encor Ce que n’a pas l’étoile d’or, Ce qui manque aux fleurs les plus belles : Malheur à nous ! Vous avez tous Des ailes.

    en cours de vérification

    Alphonse Daudet

    Alphonse Daudet

    @alphonseDaudet

    Le croup Alors Hérode envoya tuer dans Bethléem Et dans les pays d’alentour les enfants de Deux ans et au-dessous.Saint Matthieu, III. I Dans son petit lit, sous le rayon pâle D’un cierge qui tremble et qui va mourir, L’enfant râle. Quel est le bourreau qui le fait souffrir ? Quel boucher sinistre a pris à la gorge Ce pauvre agnelet que rien ne défend ? Qui l’égorge ? Qui sait égorger un petit enfant ? Sombre nuit ! La chambre est froide. On frissonne. Dans l’âtre glacé fume un noir tison. L’heure sonne. Le vent de la mort court dans la maison. II Aux rideaux du lit la mère s’accroche. Elle est nue. Elle est pâle. Elle défend Qu’on l’approche : Elle veut rester seule avec l’enfant. Son fils ! Il faut voir comme elle lui cause ! « Ami, ne meurs pas. Je te donnerai « Quelque chose ; « Ami, si tu meurs, moi je pleurerai. » Et pour empêcher que l’oiseau s’envole, Elle lui promet du mouron plus frais… Pauvre folle ! Comme si l’oiseau s’envolait exprès. Le père est debout dans l’ombre. Il se cache, Il pleure. On l’entend dire en étouffant : « Ô le lâche « Qui n’ose pas voir mourir son enfant ! » Dans un coin, l’aïeul accroupi par terre Chante une gavotte, et quand on lui dit De se taire, Il répond : « Hé ! hé ! j’endors le petit. » III Le cierge s’éteint près du lit qui sombre… Un râle de mort, un cri de douleur, Et dans l’ombre On entend quelqu’un fuir comme un voleur. Qui va là ? Qui vient d’ouvrir cette porte ?… Courons ! C’est un spectre armé d’un couteau, Il emporte Le petit enfant dans son grand manteau. Oh ! je te connais, – ne cours pas si vite, Massacreur d’enfants ! Je t’ai reconnu Tout de suite À ton manteau rouge, à ton couteau nu. Hérode t’a fait ce legs effroyable. Tu portes sa pourpre et son yatagan. Vas au diable Comme Hérode, spectre, assassin, forban !

    en cours de vérification

    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    À une jeune fille Un baiser sur mon front ! un baiser, même en rêve ! Mais de mon front pensif le frais baiser s'enfuit ; Mais de mes jours taris l'été n'a plus de sève ; Mais l'Aurore jamais n'embrassera la Nuit. Elle rêvait sans doute aussi que son haleine Me rendait les climats de mes jeunes saisons, Que la neige fondait sur une tête humaine, Et que la fleur de l'âme avait deux floraisons. Elle rêvait sans doute aussi que sur ma joue Mes cheveux par le vent écartés de mes yeux, Pareils aux jais flottants que sa tête secoue, Noyaient ses doigts distraits dans leurs flocons soyeux. Elle rêvait sans doute aussi que l'innocence Gardait contre un désir ses roses et ses lis ; Que j'étais Jocelyn et qu'elle était Laurence, Que la vallée en fleurs nous cachait dans ses plis. Elle rêvait sans doute aussi que mon délire En vers mélodieux pleurait comme autrefois ; Que mon cœur sous sa main devenait une lyre Qui dans un seul soupir accentuait deux voix. Fatale vision ! Tout mon être frissonne ; On dirait que mon sang veut remonter son cours. Enfant, ne dites plus vos rêves à personne, Et ne rêvez jamais, ou bien rêvez toujours !

    en cours de vérification

    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Jocelyn, le 16 Décembre 1793 La nuit, quand par hasard je m'éveille, et je pense Que dehors et dedans tout est calme et silence, Et qu'oubliant Laurence, auprès de moi dormant, Mon cœur mal éveillé se croit seul un moment; Si j'entends tout à coup son souffle qui s'exhale, Régulier, de son sein sortir à brise égale, Ce souffle harmonieux d'un enfant endormi! Sur un coude appuyé je me lève à demi, Comme au chevet d'un fils, une mère qui veille ; Cette haleine de paix rassure mon oreille; Je bénis Dieu tout bas de m'avoir accordé Cet ange que je garde et dont je suis gardé; Je sens, aux voluptés dont ces heures sont pleines, Que mon âme respire et vit dans deux haleines; Quelle musique aurait pour moi de tels accords? Je l'écoute longtemps dormir, et me rendors ! De la Grotte, 16 décembre 1793.

    en cours de vérification

    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Les voiles Quand j’étais jeune et fier et que j’ouvrais mes ailes, Les ailes de mon âme à tous les vents des mers, Les voiles emportaient ma pensée avec elles, Et mes rêves flottaient sur tous les flots amers. Je voyais dans ce vague où l’horizon se noie Surgir tout verdoyants de pampre et de jasmin Des continents de vie et des îles de joie Où la gloire et l’amour m’appelaient de la main. J’enviais chaque nef qui blanchissait l’écume, Heureuse d’aspirer au rivage inconnu, Et maintenant, assis au bord du cap qui fume, J’ai traversé ces flots et j’en suis revenu. Et j’aime encor ces mers autrefois tant aimées, Non plus comme le champ de mes rêves chéris, Mais comme un champ de mort où mes ailes semées De moi-même partout me montrent les débris. Cet écueil me brisa, ce bord surgit funeste, Ma fortune sombra dans ce calme trompeur ; La foudre ici sur moi tomba de l’arc céleste Et chacun de ces flots roule un peu de mon coeur.

    en cours de vérification

    A

    Amable Tastu

    @amableTastu

    La jeune fille Qu’elle est gracieuse et belle ! Est-il rien d’aussi beau qu’elle ? Me diras-tu, matelot, Sur ta galère fidèle, Si la galère, ou le flot, Ou l’étoile est aussi belle ? Me diras-tu, chevalier, Toi dont l’épée étincelle, Si l’épée, ou le coursier, Ou la guerre est aussi belle ? Me diras-tu, pastoureau, En paissant l’agneau qui bêle, Si la montagne, ou l’agneau, Ou la plaine est aussi belle ? Qu’elle est gracieuse et belle ! Est-il rien d’aussi beau qu’elle ?

    en cours de vérification

    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Euphosyne Ah ! ce n’est point à moi qu’on s’occupe de plaire. Ma soeur plus tôt que moi dut le jour à ma mère. Si quelques beaux bergers apportent une fleur, Je sais qu’en me l’offrant ils regardent ma soeur ; S’ils vantent les attraits dont brille mon visage, Ils disent à ma soeur :  » C’est ta vivante image.  » Ah ! pourquoi n’ai-je encore vu que douze moissons ? Nul amant ne me flatte en ses douces chansons ; Nul ne dit qu’il mourra si je suis infidèle. Mais j’attends. L’âge vient. Je sais que je suis belle. Je sais qu’on ne voit point d’attraits plus désirés Qu’un visage arrondi, de longs cheveux dorés, Dans une bouche étroite un double rang d’ivoire, Et sur de beaux yeux bleus une paupière noire.

    en cours de vérification

    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Le jeune malade Apollon, dieu sauveur, dieu des savants mystères, Dieu de la vie, et dieu des plantes salutaires, Dieu vainqueur de Python, dieu jeune et triomphant, Prends pitié de mon fils, de mon unique enfant ! Prends pitié de sa mère aux larmes condamnée, Qui ne vit que pour lui, qui meurt abandonnée, Qui n’a pas dû rester pour voir mourir son fils ; Dieu jeune, viens aider sa jeunesse. Assoupis, Assoupis dans son sein cette fièvre brûlante Qui dévore la fleur de sa vie innocente. Apollon, si jamais, échappé du tombeau, Il retourne au Ménale avoir soin du troupeau, Ces mains, ces vieilles mains orneront ta statue De ma coupe d’onyx à tes pieds suspendue ; Et, chaque été nouveau, d’un jeune taureau blanc La hache à ton autel fera couler le sang. Eh bien ! mon fils, es-tu toujours impitoyable ? Ton funeste silence est-il inexorable ? Enfant, tu veux mourir ? Tu veux, dans ses vieux ans, Laisser ta mère seule avec ses cheveux blancs ? Tu veux que ce soit moi qui ferme ta paupière? Que j’unisse ta cendre à celle de ton père ? C’est toi qui me devais ces soins religieux, Et ma tombe attendait tes pleurs et tes adieux. Parle, parle, mon fils, quel chagrin te consume ? Us maux qu’on dissimule en ont plus d’amertume. Ne lèveras-tu point ces yeux appesantis ? – Ma mère, adieu ; je meurs, et tu n’as plus de fils. Non, tu n’as plus de fils, ma mère bien-aimée. Je te perds. Une plaie ardente, envenimée, Me ronge ; avec effort je respire, et je crois Chaque fois respirer pour la dernière fois. Je ne parlerai pas ; adieu… Ce lit me blesse, Ce tapis qui me couvre accable ma faiblesse ; Tout me pèse et me lasse. Aide-moi, je me Meurs. Tourne-moi sur le flanc. Ah ! j’expire ! ô douleurs ! – Tiens, mon unique enfant, mon fils, prends ce breuvage ; Sa chaleur te rendra ta force et ton courage. La mauve, le dictame ont, avec les pavots, Mêlé leurs sucs puissants qui donnent le repos ; Sur le vase bouillant, attendrie à mes larmes, Une Thessalienne a composé des charmes. Ton corps débile a vu trois retours du soleil Sans connaître Cérès, ni tes yeux le sommeil. Prends, mon fils, laisse-toi fléchir à ma prière ; C’est ta mère, ta vieille inconsolable mère Qui pleure ; qui jadis te guidait pas à pas, T’asseyait sur son sein, te portait dans ses bras ; Que tu disais aimer, qui t’apprit à le dire ; Qui chantait, et souvent te forçait à sourire Lorsque tes jeunes dents, par de vives douleurs, De tes yeux enfantins faisaient couler des pleurs. Tiens, presse de ta lèvre, hélas ! pâle et glacée, Par qui cette mamelle était jadis pressée, Un suc qui te nourrisse et vienne à ton secours, Comme autrefois mon lait nourrit tes premiers jours. – Ô coteaux d’Erymanthe ! ô vallons ! ô bocage ! Ô vent sonore et frais qui troublais le feuillage, Et faisais frémir l’onde, et sur leur jeune sein Agitais les replis de leur robe de lin ! De légères beautés troupe agile et dansante ! Tu sais, tu sais, ma mère, aux bords de l’Erymanthe… Là, ni loups ravisseurs, ni serpents, ni poisons. Ô visage divin ! ô fêtes ! ô chansons ! Des pas entrelacés, des fleurs, une onde pure… Aucun lieu n’est si beau dans toute la nature. Dieux ! ces bras et ces fleurs, ces cheveux, ces pieds nus Si blancs, si délicats ! je ne les verrai plus ! Oh ! portez, portez-moi sur les bords d’Erymanthe, Que je la voie encor, cette nymphe dansante ! Oh ! que je voie au loin la fumée à longs flots S’élever de ce toit au bord de cet enclos ! Assise à tes côtés, ses discours, sa tendresse, Sa voix, trop heureux père ! enchante ta vieillesse. Dieux ! par-dessus la haie élevée en remparts, Je la vois, à pas lents, en longs cheveux épars, Seule, sur un tombeau, pensive, inanimée, S’arrêter et pleurer sa mère bien-aimée. Oh ! que tes yeux sont doux ! que ton visage est beau ! Viendras-tu point aussi pleurer sur mon tombeau ? Viendras-tu point aussi, la plus belle des belles, Dire sur mon tombeau : Les Parques sont cruelles ! – Ah ! mon fils, c’est l’amour ! c’est l’amour insensé Qui t’a jusqu’à ce point cruellement blessé ? Ah ! mon malheureux fils ! Oui, faibles que nous sommes, C’est toujours cet amour qui tourmente les hommes. S’ils pleurent en secret, qui lira dans leur coeur Verra que cet amour est toujours leur vainqueur. Mais, mon fils, mais dis-moi, quelle nymphe dansante, Quelle vierge as-tu vue an bord de l’Erymanthe ? N’es-tu pas riche et beau ? du moins quand la douleur N’avait point de ta joue éteint la jeune fleur ? Parle. Est-ce cette Aeglé, fille du roi des ondes, Ou cette jeune Irène aux longues tresses blondes ? Ou ne sera-ce point cette fière beauté Dont j’entends le beau nom chaque jour répété, Dont j’apprends que partout les belles sont jalouses ? Qu’aux temples, aux festins, les mères, les épouses, Ne sauraient voir, dit-on, sans peine et sans effroi ? Cette belle Daphné ?… – Dieux ! ma mère, tais-toi, Tais-toi. Dieux ! qu’as-tu dit ? elle est fière, inflexible ; Comme les immortels, elle est belle et terrible ! Mille amants l’ont aimée ; ils l’ont aimée en vain. Comme eux j’aurais trouvé quelque refus hautain. Non, garde que jamais elle soit informée… Mais, ô mort ! ô tourment ! ô mère bien-aimée ! Tu vois dans quels ennuis dépérissent mes jours. Ecoute ma prière et viens à mon secours : Je meurs ; va la trouver : que tes traits, que ton âge, De sa mère à ses yeux offrent la sainte image. Tiens, prends cette corbeille et nos fruits les plus beaux ; Prends notre Amour d’ivoire, honneur de ces hameaux ; Prends la coupe d’onyx à Corinthe ravie ; Prends mes jeunes chevreaux, prends mon coeur, prends ma vie ; Jette tout à ses pieds ; apprends-lui qui je suis ; Dis-lui que je me meurs, que tu n’as plus de fils ; Tombe aux pieds du vieillard, gémis, implore, presse ; Adjure cieux et mers, dieu, temple, autel, déesse… Pars ; et si tu reviens sans les avoir fléchis, Adieu, ma mère, adieu, tu n’auras plus de fils. – J’aurai toujours un fils ; va, la belle espérance Ne dit…  » Elle s’incline, et, dans un doux silence, Elle couvre ce front, terni par les douleurs, De baisers maternels entremêlés de pleurs. Puis elle sort en hâte, inquiète et tremblante. La démarche de crainte et d’âge chancelante, Elle arrive ; et bientôt revenant sur ses pas, Haletante, de loin :  » Mon cher fils, tu vivras, Tu vivras.  » Elle vient s’asseoir près de la couche : Le vieillard la suivait, le sourire à la bouche. La jeune belle aussi, rouge et le front baissé, Vient, jette sur le lit un coup d’oeil. L’insensé Tremble ; sous ses tissus il veut cacher sa tête.  » Ami, depuis trois jours tu n’es d’aucune fête, Dit-elle ; que fais-tu ? pourquoi veux-tu mourir ? Tu souffres. L’on me dit que je peux te guérir ; Vis, et formons ensemble une seule famille. Que mon père ait un fils, et ta mère une fille.  »

    en cours de vérification

    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    L’aveugle « Dieu, dont l’arc est d’argent, dieu de Claros, écoute, » Ô Sminthée-Apollon, je périrai sans doute, » Si tu ne sers de guide à cet aveugle errant. » C’est ainsi qu’achevait l’aveugle en soupirant, Et près des bois marchait, faible, et sur une pierre S’asseyait. Trois pasteurs, enfans de cette terre, Le suivaient, accourus aux abois turbulens Des Molosses, gardiens de leurs troupeaux bêlans. Ils avaient, retenant leur fureur indiscrète, Protégé du vieillard la faiblesse inquiète ; Ils l’écoutaient de loin ; et s’approchant de lui : « Quel est ce vieillard blanc, aveugle et sans appui ? » Serait-ce un habitant de l’empire céleste ? » Ses traits sont grands et fiers ; de sa ceinture agreste » Pend une lyre informe, et les sons de sa voix » Émeuvent l’air et l’onde et le ciel et les bois. » Mais il entend leurs pas, prête l’oreille, espère, Se trouble, et tend déjà les mains à la prière. « Ne crains point, disent-ils, malheureux étranger ; » (Si plutôt sous un corps terrestre et passager » Tu n’es point quelque dieu protecteur de la Grèce, » Tant une grâce auguste ennoblit ta vieillesse !) » Si tu n’es qu’un mortel, vieillard infortuné, » Les humains près de qui les flots t’ont amené, » Aux mortels malheureux n’apportent point d’injures. » Les destins n’ont jamais de faveurs qui soient pures. » Ta voix noble et touchante est un bienfait des dieux ; » Mais aux clartés du jour ils ont fermé tes yeux. » — Enfans, car votre voix est enfantine et tendre, » vos discours sont prudens, plus qu’on n’eût dû l’attendre ; » Mais toujours soupçonneux, l’indigent étranger » Croit qu’on rit de ses maux et qu’on veut l’outrager. » Ne me comparez point à la troupe immortelle : » Ces rides, ces cheveux, cette nuit éternelle, » Voyez ; est-ce le front d’un habitant des cieux ? » Je ne suis qu’un mortel, un des plus malheureux » Si vous en savez un pauvre, errant, misérable, » C’est à celui-là seul que je suis comparable ; » Et pourtant je n’ai point, comme fit Thomyris, » Des chansons à Phœbus voulu ravir le prix ; » Ni, livré comme OEdipe à la noire Euménide, » Je n’ai puni sur moi l’inceste parricide ; » Mais les dieux tout-puissans gardaient à mon déclin » Les ténèbres, l’exil, l’indigence et la faim. » Prends ; et puisse bientôt changer ta destinée, » Disent-ils. » Et tirant ce que, pour leur journée, Tient la peau d’une chèvre aux crins noirs et luisans, Ils versent à l’envi, sur ses genoux pesans, Le pain de pur froment, les olives huileuses, Le fromage et l’amande, et les figues mielleuses, Et du pain à son chien entre ses pieds gissant, Tout hors d’haleine encore, humide et languissant ; Qui malgré les rameurs, se lançant à la nage, L’avait loin du vaisseau rejoint sur le rivage.. « Le sort, dit le vieillard, n’est pas toujours de fer. » Je vous salue, enfans venus de Jupiter. » Heureux sont les parens qui tels vous firent naître ! » Mais venez, que mes mains cherchent à vous connaît ; » Je crois avoir des yeux. Vous êtes beaux tous trois. » Vos visages sont doux, car douce est votre, voix. » Qu’aimable est la vertu que la grâce environne ! » Croissez, comme j’ai vu ce palmier de Latone, » Alors qu’ayant des yeux je traversai les flots ; » Car jadis, abordant à la sainte Délos, » Je vis près d’Apollon, à son autel de pierre, » Un palmier, don du ciel, merveille de la terre. » Vous croîtrez, comme lui, grands, féconds, révérés. »’Puisque les malheureux sont par vous honorés. » Le plus âgé de vous aura vu treize années : » À peine, mes enfans, vos mères étaient nées, » Que j’étais presque vieux. Assieds-toi près de moi, » Toi, le plus grand de tous ; je me confie à toi. » Prends soin du vieil aveugle.-O sage magnanime ! » Comment, et d’où viens-tu ? car l’oncle maritime » Mugit de toutes parts sur nos bords orageux. » — Des marchands de Cymé m’avaient pris avec eux. » J’allais voir, m’éloignant des rives de Carie, » Si la Grèce pour moi n’aurait point de patrie, » Et des dieux moins jaloux, et de moins tristes jours ; » Car jusques à la mort nous espérons toujours. » Mais pauvre, et n’ayant rien pour payer mon passage, » Ils m’ont, je ne sais où, jeté sur le rivage. » — Harmonieux vieillard, tu n’as donc point chanté ? » Quelques sons de ta voix auraient tout acheté. » — Enfans, du rossignol la voix pure et légère » N’a jamais apaisé le vautour sanguinaire, » Et les riches grossiers, avares, insolens, » N’ont pas une ame ouverte à sentir les talens. » Guidé par ce bâton, sur l’arène glissante, » Seul, en silence, au bord de l’onde mugissante, » J’allais ; et j’écoutais le bêlement lointain » Da troupeaux agitant leurs Sonnettes d’airain. » Puis j’ai pris cette lyre, et les cordes mobiles » Ont encor résonné sous mes vieux doigts débiles. » Je voulais deS grands dieux implorer la bonté, » Et surtout Jupiter, dieu d’hospitalité : » Lorsque d’énormes chiens, à la voix formidable, » Sont venus m’assaillir ; et j’étais misérable, » Si vous (car c’était vous) avant qu’ils m’eussent pris » N’eussiez armé pour moi les pierres et les cris. » — Mon père, il est donc vrai : tout est devenu pire ? » Car jadis, aux accens d’une éloquente lyre, » Les tigres et les loups, vaincus, humiliés, » D’un chanteur comme toi vinrent baiser les pieds. » — Les barbares ! J’étais assis près de la poupe. » Aveugle vagabond, dit l’insolente troupe, » Chante ; si ton esprit n’est point comme tes yeux, » Amuse notre ennui ; tu rendras grâce aux dieux. » J’ai fait taire mon cœur qui voulait les confondre ; » Ma bouche ne s’est point ouverte à leur répondre. » Ils n’ont pas entendu ma voix, et sous ma main » J’ai retenu le dieu courroucé dans mon sein. » Cymé, puisque tes fils dédaignent Mnémosyne, » Puisqu’ils ont fait outrage à la muse divine, » Que leur vie et leur mort s’éteigne dans l’oubli ; » Que ton nom dans la nuit demeure enseveli. » — Viens, suis-nous à la ville ; elle est toute voisine, » Et chérit les amis de la muse divine. » Un siége aux cloux d’argent te place à nos festins ; » Et là les mets choisis, le miel et les bons vins, » Sous la colonne où pend une lyre d’ivoire, » Te feront de tes maux oublier la mémoire. » Et si, dans le chemin, rhapsode ingénieux, » Tu veux nous accorder tes chants dignes des cieux, » Nous dirons qu’Apollon, pour charmer les oreilles, » T’a lui-même dicté de si douces merveilles. » — Oui, je le veux ; marchons. Mais où m’entraînez-vous ? » Enfans du vieil aveugle, en quel lieu sommes-nous » — Sicos est l’île heureuse où nous vivons, mon père. » — Salut, belle Sicos, deux fois hospitalière ! » Car sur ses bords heureux je suis déjà venu, » Amis, je la connais. Vos pères m’ont connu : » Ils croissaient comme vous ; mes yeux s’ouvraient encore » Au Soleil, au printemps, aux roses de l’aurore ; » J’étais jeune et vaillant. Aux danses des guerriers, » À la course, aux combats, j’ai paru des premiers. » J’ai vu Corinthe, Argos, et Crète et les cent villes, » Et du fleuve Égyptus les rivages fertiles ; » ; Mais la terre et la mer, et l’âge et les malheurs, » Ont épuisé ce corps fatigué de douleurs. » La voix me reste. Ainsi la cigale innocente, » Sur un arbuste assise, et se console et chante. » Commençons par les dieux : Souverain Jupiter ; » Soleil, qui vois, entends, connais tout ; et toi, mer, » Fleuves, terre, et noirs dieux des vengeances trop lentes, » Salut ! Venez à moi de l’Olympe habitantes, » Muses ; vous savez tout, vous déesses ; et nous, » Mortels, ne savons rien qui ne vienne de vous. » Il poursuit ; et déjà les antiques ombrages Mollement en cadence inclinaient leurs feuillages ; Et pâtres oubliant leur troupeau délaissé, Et voyageurs quittant leur chemin commencé, Couraient ; il les entend, près de son jeune guide, L’un sur l’autre pressés tendre une oreille avide ; Et nymphes et sylvains sortaient pour l’admirer, Et l’écoutaient en foule, et n’osaient respirer ; Car, en de longs détours de chansons vagabondes, Il enchaînait de tout les semences fécondes ; Les principes du feu, les eaux, la terre et l’air, Les fleuves descendus du sein de Jupiter, Les oracles, les arts, les cités fraternelles, Et depuis le chaos les amours immortelles. D’abord le Roi divin, et l’Olympe et les Cieux Et le Monde, ébranlés d’un signe de ses yeux ; Et les dieux partagés en une immense guerre, Et le sang plus qu’humain venant rougir la terré, Et les rois assemblés, et Sous les pieds guerriers, Une nuit de poussière, : et les chars meurtriers ; Et les héros armés, brillans dans les campagnes, Comme un vaste incendie aux cimes des montagnes. Les coursiers hérissant leur crinière à longs flots, Et d’une voix humaine excitant les héros. De là, portant ses pas dans les paisibles villes, Les lois, les orateurs, les récoltes fertiles. Mais bientôt de soldats les remparts entourés, Les victimes tombant dans les parvis sacrés, Et les assauts, mortels aux épouses plaintives, Et les mères en deuil, et les filles captives ; Puis aussi les moissons joyeuses, les troupeaux Bêlans ou mugissans, les rustiques pipeaux, Les chansons, les festins, les vendanges bruyantes, Et la flûte et la lyre, et les notes dansantes ; Puis, déchaînant les vents à soulever les mers, Il perdait les nochers sur les gouffres amers. De là, dans le sein frais d’une roche azurée, En foule il appelait les filles de Nérée, Qui bientôt, à des cris, s’élevant sur les eaux, Aux rivages troyens parcouraient des vaisseaux ; Puis il ouvrait du Styx la rive criminelle, Et puis les demi-dieux et les champs d’Asphodèle, Et la foule des morts ; vieillards seuls et souffrans, Jeunes gens emportés aux yeux de leurs parens, Enfans dont au berceau la vie est terminée, Vierges dont le trépas suspendit l’hyménée. Mais ô bois, ô ruisseaux, ô monts, ô durs cailloux, Quels doux frémissemens vous agitèrent tous Quand bientôt à Lemnos, sur l’enclume divine, Il forgeait cette trame irrésistible et fine, Autant que d’Arachné les piéges inconnus, Et dans ce fer mobile emprisonnait Vénus ! Et quand il revêtit d’une pierre soudaine La fière Niobé, cette mère thébaine, Et quand il répétait en accens de douleurs’ De la triste Aédon l’imprudence et les pleurs, Qui, d’un fils méconnu marâtre involontaire, Vola, doux rossignol, sous le bois solitaire ; Ensuite, avec le vin, il versait aux héros Le puissant Népenthès, oubli de tous les maux ; Il cueillait le Moly, fleur qui rend l’homme sage ; Du paisible Lotos il mêlait le breuvage. Les mortels oubliaient, à ce philtre charmés, Et la douce patrie et les parens aimés ; Enfin, l’Ossa, l’Olympe et les bois du Pénée Voyaient ensanglanter les banquets d’hyménée, Quand Thésée, au milieu de la joie et du vin, La nuit où son ami reçut à son festin Le peuple monstrueux des enfans de la nue, Fut contraint d’arracher l’épouse demi-nue Au bras ivre et nerveux du sauvage Eurytus. Soudain, le glaive en main, l’ardent Pirithoüs « Attends ; il faut ici que mon affront s’expie, » Traître ! » Mais, avant lui, sur le centaure impie, Dryas a fait tomber, avec tous ses rameaux, Un long arbre de fer hérissé de flambeaux. L’insolent quadrupède en vain s’écrie, il tombe ; Et son pied bat le sol qui doit être sa tombe. Sous l’effort de Nessus, la table du repas Roule, écrase Cymèle, Évagre, Périphas. Pirithoüs égorge Antimaque, et Pétrée, Et Cyllare aux pieds blancS, et le noir Macarée, Qui de trois fiers lions, dépouillés par sa main, Couvrait ses quatre flancs, armait son double sein. Courbé, levant un roc choisi pour leur vengeance, Tout-à-coup, sous l’airain d’un vase antique, immense, L’imprudent Bianor, par Hercule surpris, Sent de sa tête énorme éclater les débris. Hercule et la massue entassent en trophée Clanis, Démoléon, Lycotas, et Riphée Qui portait sur ses crins, de taches, colorés, L’héréditaire éclat des nuages dorés. Mais d’un double combat Eurynome est avide ; Car ses pieds, agités en un cercle rapide, Battent à coups pressés l’armure de Nestor ; Le quadrupède Hélops fuit l’agile Crantor ; Le bras levé l’atteint ; Eurynome l’arrête. D’un érable noueux il va fendre sa tête : Lorsque le fils d’Égée, invincible, sanglant, L’aperçoit ; à l’autel prend un chêne brûlant ; Sur sa croupe indomptée, avec un cri terrible, S’élance ; va saisir sa chevelure horrible, L’entraîne, et quand sa bouche ouverte avec effort, Crie ; il y plonge ensemble et la flamme et la mort. L’autel est dépouillé. Tous vont s’armer de flamme, Et le bois porte au loin les hurlernens de femme, L’ongle frappant la terre, et les guerriers meurtris, Et les vases brisés, et l’injure, et les cris. Ainsi le grand vieillard, en images hardies, Déployait, le tissu des saintes mélodies. Les trois enfans, émus à son auguste aspect, Admiraient, d’un regard de joie et de respect, De sa bouche abonder les paroles divines, Comme en hiver la neige aux sommets des collines. E partout accourus, dansant sur son chemin, Hommes, femmes, enfans, les rameaux à la main, Et vierges et guerriers, jeunes fleurs de la ville, Chantaient : « Viens dans nos murs, viens habiter notre île ; » Viens, prophète éloquent, aveugle harmonieux, » Convive du nectar, disciple aimé des dieux ; » Des jeux, tous les cinq ans, rendront saint et prospère » Le jour où nous avons reçu le grand Homère. »

    en cours de vérification

    A

    André Lemoyne

    @andreLemoyne

    Berceuse Sein maternel au pur contour, Veiné d'azur, gonflé d'amour, Ton lait s'échappe d'une fraise Où la soif de vivre s'apaise, Où l'enfant boit, souriant d'aise. Sein maternel, doux oreiller, Où, bienheureux de sommeiller, Bouche ouverte, paupière close, Le fortuné chérubin rose Dans un calme divin repose. Rêve-t-il de ciels inconnus, L'enfant merveilleux qui vient d'elle ? Sa voix a des cris d'hirondelle, Et ses joyeux petits bras nus Ont comme des battements d'aile.

    en cours de vérification

    Anna de Noailles

    Anna de Noailles

    @annaDeNoailles

    La jeunesse Tout le plaisir de vivre est tenu dans vos mains, Ô Jeunesse joyeuse, ardente, printanière, Autour de qui tournoie l'emportement humain Comme une abeille autour d'une branche fruitière ! Vous courez dans les champs, et le vol d'un pigeon Fait plus d'ombre que vous sur l'herbe soleilleuse. Vos yeux sont verdoyants, pareils à deux bourgeons, Vos pieds ont la douceur des feuilles cotonneuses. Vous habitez le tronc fécond des cerisiers Qui reposent sur l'air leurs pesantes ramures, Votre coeur est léger comme un panier d'osier Plein de pétales vifs, de tiges et de mûres. C'est par vous que l'air joue et que le matin rit, Que l'eau laborieuse ou dolente s'éclaire, Et que les coeurs sont comme un jardin qui fleurit Avec ses amandiers et ses roses trémières ! C'est par vous que l'on est vivace et glorieux, Que l'espoir est entier comme la lune ronde, Et que là bonne odeur du jour d'été joyeux Pénètre largement la poitrine profonde ! C'est par vous que l'on est incessamment mêlé À la chaude, odorante et bruyante nature ; Qu'on est fertile ainsi qu'un champ d'orge et de blé, Beau comme le matin et comme la verdure. Ah ! jeunesse, pourquoi faut-il que vous passiez Et que nous demeurions pleins d'ennuis et pleins d'âge, Comme un arbre qui vit sans lierre et sans rosier, Qui souffre sur la route et ne fait plus d'ombrage...

    en cours de vérification

    A

    Antoine de Rambouillet

    @antoineDeRambouillet

    Il est vrai, jeune iris, que vous savez aimer Il est vrai, jeune Iris, que vous savez aimer, Et vos regrets en sont d'illustres témoignages ; D'un exemple si beau l'on se sent animer, Et mille amants depuis vous offrent leurs hommages. De vos chagrins, de vos rigueurs, De vos soupirs, de vos langueurs, Chacun se fait de nouveaux charmes ; Puisqu'elle aimait, dit-on, peut-être elle aimera ; Heureux qui fit couler ses larmes ! Plus heureux qui les essuyera !

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Aube J’ai embrassé l’aube d’été. Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit. La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom. Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse. Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. A la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais. En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois. Au réveil il était midi.

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    A la musique Place de la Gare, à Charleville. Sur la place taillée en mesquines pelouses, Square où tout est correct, les arbres et les fleurs, Tous les bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses. – L’orchestre militaire, au milieu du jardin, Balance ses schakos dans la Valse des fifres : Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ; Le notaire pend à ses breloques à chiffres. Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs : Les gros bureaux bouffis traînant leurs grosses dames Auprès desquelles vont, officieux cornacs, Celles dont les volants ont des airs de réclames ; Sur les bancs verts, des clubs d’épiciers retraités Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme, Fort sérieusement discutent les traités, Puis prisent en argent, et reprennent :  » En somme !…  » Épatant sur son banc les rondeurs de ses reins, Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande, Savoure son onnaing d’où le tabac par brins Déborde – vous savez, c’est de la contrebande ; – Le long des gazons verts ricanent les voyous ; Et, rendus amoureux par le chant des trombones, Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious Caressent les bébés pour enjôler les bonnes… – Moi, je suis, débraillé comme un étudiant, Sous les marronniers verts les alertes fillettes : Elles le savent bien ; et tournent en riant, Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes. Je ne dis pas un mot : je regarde toujours La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles : Je suis, sous le corsage et les frêles atours, Le dos divin après la courbe des épaules. J’ai bientôt déniché la bottine, le bas… – Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres. Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas… – Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres…

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Âge d'or Quelqu'une des voix Toujours angélique - Il s'agit de moi, - Vertement s'explique : Ces mille questions Qui se ramifient N'amènent, au fond, Qu'ivresse et folie ; Reconnais ce tour Si gai, si facile : Ce n'est qu'onde, flore, Et c'est ta famille ! Puis elle chante. Ô Si gai, si facile, Et visible à l'oeil nu... - Je chante avec elle, - Reconnais ce tour Si gai, si facile, Ce n'est qu'onde, flore, Et c'est ta famille !... etc... Et puis une voix - Est-elle angélique ! - Il s'agit de moi, Vertement s'explique ; Et chante à l'instant En soeur des haleines : D'un ton Allemand, Mais ardente et pleine : Le monde est vicieux ; Si cela t'étonne ! Vis et laisse au feu L'obscure infortune. Ô ! joli château ! Que ta vie est claire ! De quel Age es-tu, Nature princière De notre grand frère ! etc... Je chante aussi, moi : Multiples soeurs ! voix Pas du tout publiques ! Environnez-moi De gloire pudique... etc...

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Chanson de la plus haute tour Oisive jeunesse À tout asservie, Par délicatesse J'ai perdu ma vie. Ah! que le temps vienne Où les cœurs s'éprennent. Je me suis dit : laisse, Et qu'on ne te voie : Et sans la promesse De plus hautes joies. Que rien ne t'arrête Auguste retraite.

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Jeune goinfre Casquette, De moire, Quéquette D’ivoire, Toilette Très noire, Paul guette L’armoire, Projette Languette Sur poire, S’apprête, Baguette, Et foire. A. R.

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Jeune ménage La chambre est ouverte au ciel bleu turquin ; Pas de place : des coffrets et des huches ! Dehors le mur est plein d’aristoloches Où vibrent les gencives des lutins. Que ce sont bien intrigues de génies Cette dépense et ces désordres vains ! C’est la fée africaine qui fournit La mûre, et les résilles dans les coins. Plusieurs entrent, marraines mécontentes, En pans de lumière dans les buffets, Puis y restent ! le ménage s’absente Peu sérieusement, et rien ne se fait. Le marié a le vent qui le floue Pendant son absence, ici, tout le temps. Même des esprits des eaux, malfaisants Entrent vaguer aux sphères de l’alcôve. La nuit, l’amie oh, la lune de miel Cueillera leur sourire et remplira De mille bandeaux de cuivre le ciel. Puis ils auront affaire au malin rat. – S’il n’arrive pas un feu follet blême, Comme un coup de fusil, après des vêpres. – O spectres saints et blancs de Bethléem, Charmez plutôt le bleu de leur fenêtre ! 27 juin 1872.

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Les assis Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs, Le sinciput plaqué de hargnosités vagues Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ; Ils ont greffé dans des amours épileptiques Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques S’entrelacent pour les matins et pour les soirs ! Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges, Sentant les soleils vifs percaliser leur peau, Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges, Tremblant du tremblement douloureux du crapaud. Et les Sièges leur ont des bontés : culottée De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ; L’âme des vieux soleils s’allume, emmaillotée Dans ces tresses d’épis où fermentaient les grains. Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes, Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour, S’écoutent clapoter des barcarolles tristes, Et leurs caboches vont dans des roulis d’amour. – Oh ! ne les faites pas lever ! C’est le naufrage… Ils surgissent, grondant comme des chats giflés, Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage ! Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés. Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves, Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors, Et leurs boutons d’habit sont des prunelles fauves Qui vous accrochent l’oeil du fond des corridors ! Puis ils ont une main invisible qui tue : Au retour, leur regard filtre ce venin noir Qui charge l’oeil souffrant de la chienne battue, Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir. Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales, Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever Et, de l’aurore au soir, des grappes d’amygdales Sous leurs mentons chétifs s’agitent à crever. Quand l’austère sommeil a baissé leurs visières, Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés, De vrais petits amours de chaises en lisière Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ; Des fleurs d’encre crachant des pollens en virgule Les bercent, le long des calices accroupis Tels qu’au fil des glaïeuls le vol des libellules – Et leur membre s’agace à des barbes d’épis.

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Les chercheuses de poux Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes, Implore l'essaim blanc des rêves indistincts, Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes Avec de frêles doigts aux ongles argentins.

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Les poètes de sept ans À M. P. Demeny Et la Mère, fermant le livre du devoir, S’en allait satisfaite et très fière, sans voir, Dans les yeux bleus et sous le front plein d’éminences L’âme de son enfant livrée aux répugnances. Tout le jour il suait d’obéissance ; très Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits, Semblaient prouver en lui d’âcres hypocrisies. Dans l’ombre des couloirs aux tentures moisies, En passant il tirait la langue, les deux poings À l’aine, et dans ses yeux fermés voyait des points. Une porte s’ouvrait sur le soir : à la lampe On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe, Sous un golfe de jour pendant du toit. L’été Surtout, vaincu, stupide, il était entêté À se renfermer dans la fraîcheur des latrines : Il pensait là, tranquille et livrant ses narines. Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet Derrière la maison, en hiver, s’illunait, Gisant au pied d’un mur, enterré dans la marne Et pour des visions écrasant son œil darne, Il écoutait grouiller les galeux espaliers. Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue, Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue Sous des habits puant la foire et tout vieillots, Conversaient avec la douceur des idiots ! Et si, l’ayant surpris à des pitiés immondes, Sa mère s’effrayait ; les tendresses, profondes, De l’enfant se jetaient sur cet étonnement. C’était bon. Elle avait le bleu regard, – qui ment ! À sept ans, il faisait des romans, sur la vie Du grand désert, où luit la Liberté ravie, Forêts, soleils, rives, savanes ! – Il s’aidait De journaux illustrés où, rouge, il regardait Des Espagnoles rire et des Italiennes. Quand venait, l’œil brun, folle, en robes d’indiennes, À Huit ans, – la fille des ouvriers d’à côté, La petite brutale, et qu’elle avait sauté, Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses, Et qu’il était sous elle, il lui mordait les fesses, Car elle ne portait jamais de pantalons ; – Et, par elle meurtri des poings et des talons, Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre. Il craignait les blafards dimanches de décembre, Où, pommadé, sur un guéridon d’acajou, Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ; Des rêves l’oppressaient chaque nuit dans l’alcôve. Il n’aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu’au soir fauve, Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg Où les crieurs, en trois roulements de tambour, Font autour des édits rire et gronder les foules. – Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles Lumineuses, parfums sains, pubescences d’or, Font leur remuement calme et prennent leur essor ! Et comme il savourait surtout les sombres choses, Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes, Haute et bleue, âcrement prise d’humidité, Il lisait son roman sans cesse médité, Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées, De fleurs de chair aux bois sidérals déployées, Vertige, écroulements, déroutes et pitié ! – Tandis que se faisait la rumeur du quartier, En bas, – seul, et couché sur des pièces de toile Écrue, et pressentant violemment la voile ! 26 mai 1871

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Les remembrances du vieillard idiot Pardon, mon père! Jeune, aux foires de campagne, Je cherchais, non le tir banal où tout coup gagne, Mais l’endroit plein de cris où les ânes, le flanc Fatigué, déployaient ce long tube sanglant Que je ne comprends pas encore!… Et puis ma mère, Dont la chemise avait une senteur amère Quoique fripée au bas et jaune comme un fruit, Ma mère qui montait au lit avec un bruit – Fils du travail pourtant, – ma mère, avec sa cuisse De femme mûre, avec ses reins très gros où plisse Le linge, me donna ces chaleurs que l’on tait!… Une honte plus crue et plus calme, c’était Quand ma petite soeur, au retour de la classe, Ayant usé longtemps ses sabots sur la glace, Pissait, et regardait s’échapper de sa lèvre D’en bas, serrée et rose, un fil d’urine mièvre!… Ô pardon! Je songeais à mon père parfois: Le soir, le jeu de cartes et les mots plus grivois, Le voisin, et moi qu’on écartait, choses vues… – Car un père est troublant! – et les choses conçues!… Son genou, câlineur parfois; son pantalon Dont mon doigt désirait ouvrir la fente,… – oh! non! – Pour avoir le bout, gros, noir et dur, de mon père, Dont la pileuse main me berçait!… Je veux taire Le pot, l’assiette à manche, entrevue au grenier, Les almanachs couverts en rouge, et le panier De charpie, et la Bible, et les lieux, et la bonne, La Sainte-Vierge et le crucifix… Oh! Personne Ne fut si fréquemment troublé, comme étonné! Et maintenant, que le pardon me soit donné: Puisque les sens infects m’ont mis de leurs victimes, Je me confesse de l’aveu des jeunes crimes!… … Puis! – qu’il me soit permis de parler au Seigneur! Pourquoi la puberté tardive et le malheur Du gland tenace et trop consulté? Pourquoi l’ombre Si lente au bas du ventre? et ces terreurs sans nombre Comblant toujours la joie ainsi qu’un gravier noir? – Moi j’ai toujours été stupéfait! Quoi savoir? … Pardonné?… Reprenez la chancelière bleue, Mon père. Ô cette enfance!… … …- et tirons-nous la queue!. François Coppée. A. R.

    en cours de vérification

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Les reparties de Nina LUI – Ta poitrine sur ma poitrine, Hein ? nous irions, Ayant de l’air plein la narine, Aux frais rayons Du bon matin bleu, qui vous baigne Du vin de jour ?… Quand tout le bois frissonnant saigne Muet d’amour De chaque branche, gouttes vertes, Des bourgeons clairs, On sent dans les choses ouvertes Frémir des chairs : Tu plongerais dans la luzerne Ton blanc peignoir, Rosant à l’air ce bleu qui cerne Ton grand oeil noir, Amoureuse de la campagne, Semant partout, Comme une mousse de champagne, Ton rire fou : Riant à moi, brutal d’ivresse, Qui te prendrais Comme cela, – la belle tresse, Oh ! – qui boirais Ton goût de framboise et de fraise, O chair de fleur ! Riant au vent vif qui te baise Comme un voleur ; Au rose, églantier qui t’embête Aimablement : Riant surtout, ô folle tête, À ton amant !…. ……………………………………………….. – Ta poitrine sur ma poitrine, Mêlant nos voix, Lents, nous gagnerions la ravine, Puis les grands bois !… Puis, comme une petite morte, Le coeur pâmé, Tu me dirais que je te porte, L’oeil mi-fermé… Je te porterais, palpitante, Dans le sentier : L’oiseau filerait son andante Au Noisetier… Je te parlerais dans ta bouche.. J’irais, pressant Ton corps, comme une enfant qu’on couche, Ivre du sang Qui coule, bleu, sous ta peau blanche Aux tons rosés : Et te parlant la langue franche – ….. Tiens !… – que tu sais… Nos grands bois sentiraient la sève, Et le soleil Sablerait d’or fin leur grand rêve Vert et vermeil ……………………………………………….. Le soir ?… Nous reprendrons la route Blanche qui court Flânant, comme un troupeau qui broute, Tout à l’entour Les bons vergers à l’herbe bleue, Aux pommiers tors ! Comme on les sent tout une lieue Leurs parfums forts ! Nous regagnerons le village Au ciel mi-noir ; Et ça sentira le laitage Dans l’air du soir ; Ca sentira l’étable, pleine De fumiers chauds, Pleine d’un lent rythme d’haleine, Et de grands dos Blanchissant sous quelque lumière ; Et, tout là-bas, Une vache fientera, fière, À chaque pas… – Les lunettes de la grand-mère Et son nez long Dans son missel ; le pot de bière Cerclé de plomb, Moussant entre les larges pipes Qui, crânement, Fument : les effroyables lippes Qui, tout fumant, Happent le jambon aux fourchettes Tant, tant et plus : Le feu qui claire les couchettes Et les bahuts : Les fesses luisantes et grasses Du gros enfant Qui fourre, à genoux, dans les tasses, Son museau blanc Frôlé par un mufle qui gronde D’un ton gentil, Et pourlèche la face ronde Du cher petit….. Que de choses verrons-nous, chère, Dans ces taudis, Quand la flamme illumine, claire, Les carreaux gris !… – Puis, petite et toute nichée, Dans les lilas Noirs et frais : la vitre cachée, Qui rit là-bas…. Tu viendras, tu viendras, je t’aime ! Ce sera beau. Tu viendras, n’est-ce pas, et même… Elle – Et mon bureau ?

    en cours de vérification