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Jeunesse

189 poésies en cours de vérification
Jeunesse

Poésies de la collection jeunesse

    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Les étrennes des orphelins I La chambre est pleine d’ombre ; on entend vaguement De deux enfants le triste et doux chuchotement. Leur front se penche, encore alourdi par le rêve, Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève… – Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux ; Leur aile s’engourdit sous le ton gris des cieux ; Et la nouvelle Année, à la suite brumeuse, Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse, Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant… II Or les petits enfants, sous le rideau flottant, Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure. Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure… Ils tressaillent souvent à la claire voix d’or Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor Son refrain métallique en son globe de verre… – Puis, la chambre est glacée… on voit traîner à terre, Épars autour des lits, des vêtements de deuil L’âpre bise d’hiver qui se lamente au seuil Souffle dans le logis son haleine morose ! On sent, dans tout cela, qu’il manque quelque chose… – Il n’est donc point de mère à ces petits enfants, De mère au frais sourire, aux regards triomphants ? Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée, D’exciter une flamme à la cendre arrachée, D’amonceler sur eux la laine et l’édredon Avant de les quitter en leur criant : pardon. Elle n’a point prévu la froideur matinale, Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?… – Le rêve maternel, c’est le tiède tapis, C’est le nid cotonneux où les enfants tapis, Comme de beaux oiseaux que balancent les branches, Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches !… – Et là, – c’est comme un nid sans plumes, sans chaleur, Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ; Un nid que doit avoir glacé la bise amère… III Votre coeur l’a compris : – ces enfants sont sans mère. Plus de mère au logis ! – et le père est bien loin !… – Une vieille servante, alors, en a pris soin. Les petits sont tout seuls en la maison glacée ; Orphelins de quatre ans, voilà qu’en leur pensée S’éveille, par degrés, un souvenir riant… C’est comme un chapelet qu’on égrène en priant : – Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes ! Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes Dans quelque songe étrange où l’on voyait joujoux, Bonbons habillés d’or, étincelants bijoux, Tourbillonner, danser une danse sonore, Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore ! On s’éveillait matin, on se levait joyeux, La lèvre affriandée, en se frottant les yeux… On allait, les cheveux emmêlés sur la tête, Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête, Et les petits pieds nus effleurant le plancher, Aux portes des parents tout doucement toucher… On entrait !… Puis alors les souhaits… en chemise, Les baisers répétés, et la gaîté permise ! IV Ah ! c’était si charmant, ces mots dits tant de fois ! – Mais comme il est changé, le logis d’autrefois : Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée, Toute la vieille chambre était illuminée ; Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer, Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer… – L’armoire était sans clefs !… sans clefs, la grande armoire ! On regardait souvent sa porte brune et noire… Sans clefs !… c’était étrange !… on rêvait bien des fois Aux mystères dormant entre ses flancs de bois, Et l’on croyait ouïr, au fond de la serrure Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure… – La chambre des parents est bien vide, aujourd’hui Aucun reflet vermeil sous la porte n’a lui ; Il n’est point de parents, de foyer, de clefs prises : Partant, point de baisers, point de douces surprises ! Oh ! que le jour de l’an sera triste pour eux ! – Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus, Silencieusement tombe une larme amère, Ils murmurent :  » Quand donc reviendra notre mère ? «  V Maintenant, les petits sommeillent tristement : Vous diriez, à les voir, qu’ils pleurent en dormant, Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible ! Les tout petits enfants ont le coeur si sensible ! – Mais l’ange des berceaux vient essuyer leurs yeux, Et dans ce lourd sommeil met un rêve joyeux, Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close, Souriante, semblait murmurer quelque chose… – Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond, Doux geste du réveil, ils avancent le front, Et leur vague regard tout autour d’eux se pose… Ils se croient endormis dans un paradis rose… Au foyer plein d’éclairs chante gaîment le feu… Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu ; La nature s’éveille et de rayons s’enivre… La terre, demi-nue, heureuse de revivre, A des frissons de joie aux baisers du soleil… Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil Les sombres vêtements ne jonchent plus la terre, La bise sous le seuil a fini par se taire … On dirait qu’une fée a passé dans cela ! … – Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris… Là, Près du lit maternel, sous un beau rayon rose, Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose… Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs, De la nacre et du jais aux reflets scintillants ; Des petits cadres noirs, des couronnes de verre, Ayant trois mots gravés en or :  » A NOTRE MÈRE ! « 

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    A

    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    La vierge des pamplemousses Marie, ô douce enfant aux grands yeux de gazelle, Qui naquis sur un sol où croissent les palmiers ; Toi dont l’âme charmante et les songes premiers Se sont ouverts, bercés à la voix fraternelle Des bengalis et des ramiers ! O douce enfant ! ta vie aux flots riants et calmes, Pareille aux bassins bleus de mon climat natal, N’a jamais réfléchi dans son sein virginal Que la liane en fleur et l’arbre aux vertes palmes Penchés sur son mouvant cristal. Sous les bambous lustrés où l’oiseau de la Vierge Fait son nid, où la brise a d’ineffables voix, Au pied du morne, abri de la biche aux abois, Parmi les blancs lotus qui parfumaient ta berge, Ton onde errait, source des bois ! Le soleil sous le dôme où ton urne s’épanche, En rayons tamisés te versait sa clarté, Et l’astre aux feux d’argent des tièdes nuits d’été, Comme un oiseau, semblait passer de branche en branche, Pour se mirer dans ta beauté. Le poète qui rêve au fond de nos ravines, Ivre d’ombre et d’oubli, charme des lieux déserts, En t’écoutant courir sous les framboisiers verts, Sentait, enveloppé de tes fraîcheurs divines, Chanter en lui l’esprit des vers. Et voici que tes flots, changeant leur destinée, Loin du lit maternel vont prendre un autre cours ; L’oranger te sourit au rivage où tu cours, Et tu vas réfléchir dans ton eau fortunée D’autres bonheurs, d’autres amours. Et moi, moi que berçait ta voix parmi les mousses, Plongé dans le présent, j’oubliais l’avenir. Un jour vient où la vigne à l’ormeau veut s’unir ; Et l’enfant aux grands yeux, l’enfant des Pamplemousses N’est plus pour nous qu’un souvenir ! Et c’est la vie, hélas ! tout change et rien ne dure. L’été sort du printemps, du bouton naît la fleur. Pardonne à ces regrets que dément ton bonheur ! Ma pensive amitié, belle enfant, se rassure, Voyant le choix fait par ton cœur. L’âme honnête et virile à ta jeune âme unie, D’un monde aux durs sentiers t’aplanira le sol. Vers le nid du ramier, colombe, prends ton vol ! Nous léguons notre vierge, – une autre Virginie – Aux dévoûments d’un autre Paul ! Septembre 1867.

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    A

    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Souvenirs d’enfance O frère, ô jeune ami, dernier fils de ma mère, O toi qui devanças, dans le val regretté, Cette enfant, notre sœur, une rose éphémère, Qui ne vécut qu’un jour d’été ; Que fais-tu, cher absent, ô mon frère ! à cette heure Où mon cœur et mes yeux se retournent vers toi ? Ta pensée, évoquant les beaux jours que je pleure, Revole-t-elle aussi vers moi ? Souvent dans mon exil, je rêve à notre enfance, A nos matins si purs écoulés sous les bois, Et sur mon front le vent des souvenirs balance Les molles ombres d’autrefois. Pour tromper les ennuis d’un présent bien aride Pour rafraîchir mon pied que la route a lassé, Je remonte, songeur, à la source limpide Qui gazouille dans mon passé. De nos beaux jours c’était le matin et le rêve : Tout était joie et chants, fleurs et félicités ! O bonheurs des enfants que le temps nous enlève, Pourquoi nous avez-vous quittés ? Nous étions trois alors. Éveillés dès l’aurore, Sortant du nid à l’heure où l’aube sort du ciel, Nous allions dans les fleurs qu’elle avait fait éclore Boire la rosée et le miel. Elle et toi, de concert à ma voix indociles, Vous braviez du soleil les torrides chaleurs. Quand ma mère accourait, l’arbre aux ombres mobiles Voilait nos plaisirs querelleurs. Elle avait tout vu. Quittant le frais ombrage, Nous lisions notre faute à son front rembruni. Moi – j’étais votre aîné – bien qu’étant le plus sage, Je n’étais pas le moins puni. Nous la suivions. Bientôt, trompant sa vigilance, Nous revolions aux champs, au grand air, au soleil, Et des bois assoupis, tiède abri du silence, Nous allions troubler le sommeil. Alors, malheur à l’arbre à la grappe embaumée, Au fruit d’or rayonnant à travers les rameaux ! Nous brisions branche et fruits, la grappe et la ramée, Et jusqu’aux nids des tourtereaux. Et puis nous descendions la pente des ravines, Où l’onde et les oiseaux confondaient leurs chansons, Nous heurtant aux cailloux, nous blessant aux épines Des framboisiers et des buissons. Un lac était au bas, large, aux eaux peu profondes. Sur ses bords qu’ombrageait le dais mouvant des bois, Avec les beaux oiseaux furtifs amis des ondes, Enfants, nous jouions tous les trois. Pour suivre sur les flots leur caprice sauvage, Des troncs du bananier nous faisions un radeau, Et sur ce frêle esquif, glissant près du rivage, Nous poursuivions les poules d’eau. Ma sœur, trempant ses pieds dans l’onde claire et belle, Comme la fée-enfant de ces bords enchanteurs, Jetait aux bleus oiseaux qui nageaient devant elle Des fruits, des baisers et des fleurs. Et puis nous revenions. Notre mère, inquiète, Pour nous punir s’armant de sévères froideurs, Nous attendait au seuil de l’humble maisonnette, Heureuse, avec des mots grondeurs. O chagrin des enfants, qu’aisément tu désarmes Les mères ! Nous donnant et des fruits et du lait, Elle mêlait aux mots qui nous coûtaient des larmes Le baiser qui nous consolait. Ainsi coulaient nos jours. – O radieuse aurore ! O mes doux compagnons, je crois vous voir encore ! Bonheurs évanouis des printemps révolus, Soleils des gais matins qui ne m’éclairez plus, A vos jeunes chaleurs rajeunissant mon être, Je sens mon cœur revivre et mon passé renaître ! Je vous retrouve enfin ! Je vois là, sous mes yeux, Courir sur les gazons mes souvenirs joyeux. Je vois, de notre mère oubliant la défense, Par les grands champs de riz voltiger notre enfance. Chassons le papillon, l’insecte, les oiseaux, Glanons un fruit tombé sur le cristal des eaux ; C’est le ravin, le lac aux vagues argentines, Le vieil arbre ombrageant nos têtes enfantines ; C’est toi, c’est notre mère aux yeux pleins de douceur ! C’est moi, c’est… ; ô mon frère ! où donc est notre sœur ? Un tertre vert, voilà ce qui nous reste d’elle ! Quand une âme est si blanche, à lui Dieu la rappelle. Tige, orgueil de nos champs et que la brise aimait, Tout en elle brillait, fleurissait, embaumait. Lys sans tache, à la vie elle venait d’éclore, Douce comme un parfum, blonde comme une aurore ! Le soleil à ses jours mesurait les chaleurs ; Des roses du Bengale elle avait les pâleurs. Oh ! les fins cheveux d’or ! Les nouvelles épouses Du bonheur de ma mère, hélas ! étaient jalouses. Toutes lui faisaient fête et, des mains et des yeux Caressant de son front l’ovale harmonieux, Demandaient au Seigneur, d’une lèvre muette, Un blond enfant semblable à cette blonde tête ! Nos Noirs, comme ils l’aimaient ! Dans leur langue de feu Ils la disaient l’étoile et la fille de Dieu. Naïfs, ils comparaient cette fleur des savanes Aux fraîches visions qui hantent les cabanes : C’était un bon génie, une âme douce aux Noirs ; Et, lorsque du labour ils revenaient, les soirs, Tous, ils lui rapportaient des nids et des jam-roses, Ou le bleu papillon, amant ailé des roses. Hélas ! que vous dirais-je encor de notre sœur ? Elle était tout pour nous, grâce et fée, astre et fleur ; L’ange de la maison au nimbe d’innocence ; La tige virginale, et le palmier d’enfance Qui, croissant avec nous sous les yeux maternels, Mêlait à nos rameaux ses rameaux fraternels. C’est ma nourrice aussi qui l’avait élevée : Nous étions presque enfants d’une même couvée ; Oiseaux à qui le ciel faisait des jours pareils, Un même nid le soir berçait nos longs sommeils. Temps heureux ! Et la mort ! ô deuil ! ma pauvre mère !… Elle vint après nous et s’en fut la première. Sous un souffle glacé j’ai vu ployer son corps ; L’ange froid des tombeaux éteignit sa prunelle, Et, loin d’un sol en pleurs l’emportant sur son aile, Ensemble ils sont partis pour le pays des morts. Sa tombe ?… Elle est au pied de la haute colline Dont le front large et nu sur l’Océan s’incline ; Où la vague aux soupirs des mornes filaos Vient mêler jour et nuit ses lugubres sanglots, Et semble pour les morts, d’une voix solennelle, Chanter le Requiem de sa plainte éternelle. Paris, 1840.

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    S

    Sadek Belhamissi

    @sadekBelhamissi

    Ah ! Ces garçons ne retenant leçon Par le temps balayées, toutes ces années depuis par magie ont passé, qu’êtes- vous donc devenus, Mes très chers compagnons de jeunesse et amis qui me semblez pour toujours, souvenirs perdus. Terrible ! Quand on ne trouvait de quoi s’occuper Il fallait qu’une jeune voisine passante on embêtait, Elle, sagement tête baissée, lors bêtement on parlait A un mur, mieux valait filer, ballon au pied pour jouer. Ah ces garçons, vraiment plus bêtes que leurs pieds Ne retenant leçon. Dès qu’arrivaient à plusieurs, les filles Le fou rire contagieux les prenant, elles nous lançaient « Les petits! Ne serait-il pas mieux, aller jouer aux billes ?». Montant les escaliers, jacassant comme au poulailler, Nous ignorant, plus avisées que garçons ces poulettes ! Tas de muscles sans cervelle confus, à rien ne servaient, Lors les filles bien sages, belles et de loin moins bêtes. A croire j’ai grand peine, vous avoir connus un seul jour. Nous pensions candides et riant ne jamais nous quitter Et pourtant chacun de nous, du destin suivant le cours Par cette force invisible, imprévisible, furtivement emporté. . Belhamissi Sadek 01.09.2017

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    B

    Bertrand Naivin

    @bertrandNaivin

    Avenir mort du monde Ils déambulent l’avenir en berne Vêtus de notre enfance morte- Vivante Zombi Esclave de notre envie De puissance Et de règne Puis perdus sous nos frusques Rajeunis Par une société sans rêves Ils s’échouent pour se jeter Dans leurs algorithmes amis Heureux Rassurés De se croire appartenir Au nouveau monde déjà mort

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    B

    Bertrand Naivin

    @bertrandNaivin

    Ce corps vieux pour ton âge Elle t’a laissée cette vie qui n’y a jamais cru à l’indolence nue sur la plage au beignet sans remords Toi tu n’as toujours vu que la chute le plaisir de trop là dans ces vagues qui s’avancent le risque de noyade Et sur ce corps vieux pour ton âge seuls tes deux seins osent encore prétendre à la caresse à la volupté de l’adolescence

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    Casimir Delavigne

    Casimir Delavigne

    @casimirDelavigne

    Le retour Au Havre. Le voilà, ce vieux môle où j’errai si souvent ! Ainsi grondaient alors les rafales du vent, Quand aux pâles clartés des fanaux de la Hève Si tristes à minuit, Le flux, en s’abattant pour envahir la grève, Blanchissait dans la nuit. Au souffle du matin qui déchirait la brume, Ainsi sur mes cheveux volait la fraîche écume ; Et quand à leur zénith les feux d’un jour d’été Inondaient les dalles brûlantes, Ainsi, dans sa splendeur et dans sa majesté, La mer sous leurs rayons roulait l’immensité De ses houles étincelantes. Mais là, mais toujours là, hormis si l’ouragan Des flots qu’il balayait restait le seul tyran, Toujours là, devant moi, ces voiles ennemies Que la Tamise avait vomies Pour nous barrer notre Océan ! Alors j’étais enfant, et toutefois mon âme Bondissait dans mon sein d’un généreux courroux, Je sentais de la haine y fermenter la flamme : Enfant, j’aimais la France et d’un amour jaloux. J’aimais du port natal l’appareil militaire ; J’aimais les noirs canons, gardiens de ses abords ; J’aimais la grande voix que prêtaient à nos bords Ces vieux mortiers d’airain sous qui tremblait la terre ; Enfant, j’aimais la France : aimer la France alors, C’était détester l’Angleterre ! Que disaient nos marins lui demandant raison De sa tyrannie éternelle, Quand leurs deux poings fermés menaçaient l’horizon ? Que murmuraient les vents quand ils me parlaient d’elle ? Ennemie implacable, alliée infidèle ! On citait ses serments de parjures suivis, Les trésors du commerce en pleine paix ravis, Aussi bien que sa foi sa cruauté punique : Témoin ces prisonniers ensevelis vingt ans, Et vingt ans dévorés dans des cachots flottants Par la liberté britannique ! Plus tard, un autre prisonnier, Dont les bras en tous lieux s’allongeant pour l’atteindre Par-dessus l’Océan n’avaient pas pu l’étreindre, Osa s’asseoir à son foyer. Ceux qui le craignaient tant, il aurait dû les craindre ; Il les crut aussi grands qu’il était malheureux, Et le jour d’être grands brillait enfin pour eux. Mais ce jour, où, déchu, l’hôte sans défiance Vint, le sein découvert, le fer dans le fourreau, Ce jour fut pour l’Anglais celui de la vengeance : Il se fit le geôlier de la Sainte-Alliance, Et de geôlier devint bourreau ! Oui, du vautour anglais l’impitoyable haine But dans le cœur de l’aigle expirant sous sa chaîne Un sang qui pour la France eût voulu s’épuiser : Car il leur faisait peur, car ils n’ont pu l’absoudre D’avoir quinze ans porté la foudre Dont il faillit les écraser. Il ne resta de lui qu’une tombe isolée Où l’ouragan seul gémissait. En secouant ses fers, la grande ombre exilée Dans mes rêves m’apparaissait. Et j’étais homme alors, et maudissais la terre Qui le rejeta de ses bords : Convenez-en, Français, aimer la France alors, C’était détester l’Angleterre ! Mais voici que Paris armé Tue et meurt pour sa délivrance, Vainqueur aussitôt qu’opprimé ; Trois jours ont passé sur la France : L’œuvre d’un siècle est consommé. Des forêts d’Amérique aux cendres de la Grèce, Du ciel brûlant d’Egypte au ciel froid des Germains, Les peuples frémissaient d’une sainte allégresse. Les lauriers s’ouvraient des chemins Pour tomber à nos pieds des quatre points du monde ; Sentant que pour tous les humains Notre victoire était féconde, Tous les peuples battaient des mains. Entre l’Anglais et nous les vieux griefs s’effacent : Des géants de l’Europe enfin les bras s’enlacent ; Et libres nous disons : « Frères en liberté, « Dans les champs du progrès guidons l’humanité ! » Et nous oublions tout, jusqu’à trente ans de guerre ; Car les Français victorieux Sont le plus magnanime et le plus oublieux De tous les peuples de la terre. Sa cendre, on nous la rend ! mer, avec quel orgueil De tes flots tu battais d’avance Ce rivage du Havre, où tu dois à la France Rapporter son cercueil ! Mais à peine ce bruit fait tressaillir ton onde, Qu’un vertige de guerre a ressaisi le monde. Homme étrange, est-il dans son sort Que tout soit ébranlé quand sa cendre est émue ? Elle a tremblé, sa tombe, et le monde remue ; Elle s’ouvre, et la guerre en sort ! Encore une Sainte-Alliance ! Eh bien ! si son orgueil s’obstine à prévaloir Contré l’œuvre immortel des jours de délivrance, Ce que l’honneur voudra, nous saurons le vouloir. Aux Anglais de choisir ! et leur choix est le nôtre, Quand nous serions seuls contre tous ; Car un duel entre eux et nous, C’est d’un côté l’Europe et la France de l’autre. Viens, ton exil a cessé ; Romps ta chaîne, ombre captive ; Fends l’écume, avance, arrive : Le cri de guerre est poussé. Viens dans ton linceul de gloire, Toi qui nous as faits si grands ; Viens, spectre que la victoire Reconnaîtra dans nos rangs. Contre nous que peut le nombre ? Devant nous tu marcheras ; Pour vaincre à ta voix, grande ombre, Nous t’attendons l’arme au bras ! Partez, vaisseaux ; cinglez, volez vers Sainte-Hélène, Pour escorter sa cendre encor loin de nos bords ; Le noir cercueil flottant qui d’exil le ramène Peut avoir à forcer un rempart de sabords. Volez ! seul contre cent fallût-il la défendre, Joinville périra plutôt que de la rendre, Et dans un tourbillon de salpêtre enflammé il ira, s’il le faut, l’ensevelir fumante Au fond de la tombe écumante Où le Vengeur s’est abîmé ! Que dis-je ? vain effroi ! Dieu veut qu’il la rapporte Sous la bouche de leur canon, Et passe avec ou sans escorte. Que l’Océan soit libre ou non. Mais qu’il ferait beau voir l’escadre funéraire, Un fantôme pour amiral, Mitrailler en passant l’arrogance insulaire, Et lui sous son deuil triomphal, Pour conquérir ses funérailles, Joindre aux lauriers conquis par quinze ans de batailles Les palmes d’un combat naval ! Viens dans ce linceul de gloire, Toi qui nous as faits si grands ; Viens, spectre que la victoire Reconnaîtra dans nos rangs. Contre nous que peut le nombre ? Devant nous tu marcheras : Pour vaincre à ta voix, grande ombre, Nous t’attendons l’arme au bras ! Arme au bras ! fier débris de la phalange antique, Qui, de tant d’agresseurs vengeant la république, Foula sous ses pieds nus tant de drapeaux divers ; Arme au bras ! vétérans d’Arcole et de Palmyre, Vous, restes mutilés des braves de l’Empire ; Vous, vainqueurs d’Ulloa, de l’Atlas et d’Anvers ! Dans les camps, sur la plaine, aux créneaux des murailles, Avec tes vieux soutiens et tes jeunes soldats, Avec tous les enfants qu’ont portés tes entrailles, Arme au bras, patrie, arme au bras ! Il aborde, et la France, en un camp transformée, Reçoit son ancien général ; Il écarte à ses cris le voile sépulcral, Cherche un peuple, et trouve une armée ! Les pères sont debout, revivant dans les fils ; Ses vieux frères de gloire, il les revoit encore : « Vous serez, nous dit-il, ce qu’ils furent jadis ; « Une ligue nouvelle aujourd’hui vient d’éclore : « D’un nouveau soleil d’Austerlitz « Demain se lèvera l’aurore ! » Aux salves de canon que j’entends retentir, Sur lui le marbre saint retombe ; Et peut-être avec lui va rentrer dans la tombe La guerre qu’il en fit sortir ! Mais que sera pour nous l’amitié britannique ? Entre les deux pays, séparés désormais, Le temps peut renouer un lien politique ; Un lien d’amitié, jamais ! Consultons son tombeau, qui devant nous s’élève : Au seul nom des Anglais nous y verrons son glaive Frémir d’un mouvement guerrier ! Consultons la voix du grand homme, Et nous l’entendrons nous crier : « Jamais de paix durable entre Carthage et Rome ! » Il le disait vivant ; il le dit chez les morts ; C’est qu’en vain sur ce cœur pèse une froide pierre : Il est le même, ô France ! il t’aime, noble terre, Comme alors il t’aimait… Aimer la France alors, C’était détester l’Angleterre !

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Duellum Deux guerriers ont couru l’un sur l’autre ; leurs armes Ont éclaboussé l’air de lueurs et de sang. — Ces jeux, ces cliquetis du fer sont les vacarmes D’une jeunesse en proie à l’amour vagissant. Les glaives sont brisés ! comme notre jeunesse, Ma chère ! Mais les dents, les ongles acérés, Vengent bientôt l’épée et la dague traîtresse. — Ô fureur des cœurs mûrs par l’amour ulcérés ! Dans le ravin hanté des chats-pards et des onces Nos héros, s’étreignant méchamment, ont roulé, Et leur peau fleurira l’aridité des ronces. — Ce gouffre, c’est l’enfer, de nos amis peuplé ! Roulons-y sans remords, amazone inhumaine, Afin d’éterniser l’ardeur de notre haine !

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    Charles Cros

    Charles Cros

    @charlesCros

    À une jeune fille Pourquoi, tout à coup, quand tu joues, Ces airs émus et soucieux ? Qui te met cette fièvre aux yeux, Ce rose marbré sur les joues ? Ta vie était, jusqu’au moment Où ces vagues langueurs t’ont prise, Un ruisseau que frôlait la brise, Un matinal gazouillement. * Comme ta beauté se révèle Au-dessus de toute beauté, Comme ton cœur semble emporté Vers une existence nouvelle, Comme en de mystiques ardeurs Tu laisses planer haut ton âme. Comme tu te sens naître femme À ces printanières odeurs, Peut-être que la destinée Te montre un glorieux chemin ; Peut-être ta nerveuse main Mènera la terre enchaînée. * À coup sûr, tu ne seras pas Épouse heureuse, douce mère ; Aucun attachement vulgaire Ne peut te retenir en bas. * As-tu des influx de victoire Dans tes beaux yeux clairs, pleins d’orgueil, Comme en son virginal coup d’œil Jeanne d’Arc, de haute mémoire ? Dois-tu fonder des ordres saints, Être martyre ou prophétesse ? Ou bien écouter l’âcre ivresse Du sang vif qui gonfle tes seins ? Dois-tu, reine, bâtir des villes Aux inoubliables splendeurs, Et pour ces vagues airs boudeurs Faire trembler les foules viles ? * Va donc ! tout ploiera sous tes pas, Que tu sois la vierge idéale Ou la courtisane fatale… Si la mort ne t’arrête pas.

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    C

    Charles d'Orléans

    @charlesDorleans

    En acquittant nostre temps vers jeunesse En acquittant nostre temps vers jeunesse, Le nouvel an et la saison jolie, Plains de plaisir et de toute liesse Qui chascun d'eulx chierement nous en prie, Venuz sommes en ceste mommerie (1), Belles, bonnes, plaisans et gracieuses, Prestz de dancer et faire chiere lie Pour resveillier voz pensees joieuses. Or bannissiez de vous toute peresse, Ennuy, soussy, avec merencolie, Car froit yver, qui ne veult que rudesse, Est desconfit et couvient qu'il s'en fuye ! Avril et may amainent doulce vie Avecques eulx ; pource soyez soingneuses De recevoir leur plaisant compaignie Pour resveillier voz pensees joieuses ! Venus aussi, la tres noble deesse, Qui sur femmes doit avoir la maistrie, Vous envoye de confort a largesse Et plaisance de grans biens enrichie, En vous chargeant que de vostre partie Vous acquittiés sans estre dangereuses ; Aidier vous veult, sans que point vous oublie, Pour resveillier voz pensees joieuses. 1. Mommerie : Mascarade.

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    C

    Charles d'Orléans

    @charlesDorleans

    Pourquoi m'as tu vendu, jeunesse Pourquoy m'as tu vendu, Jeunesse, A grant marchié, comme pour rien, Es mains de ma dame Viellesse Qui ne me fait gueres de bien ? A elle peu tenu me tien, Mais il convient que je l'endure, Puis que c'est le cours de nature. Son hostel de noir de tristesse Est tandu. Quant dedans je vien, J'y voy l'istoire de Destresse Qui me fait changer mon maintien, Quant la ly et maint mal soustien : Espargnee n'est créature, Puis que c'est le cours de nature. Prenant en gré ceste rudesse, Le mal d'aultruy compare au myen. Lors me tance dame Sagesse ; Adoncques en moy je revien Et croy de tout le conseil sien Qui est en ce plain de droiture, Puis que c'est le cours de nature. ENVOI Prince, dire ne saroye conbien Dedans mon coeur mal je retien, Serré d'une vielle sainture, Puis que c'est le cours de nature.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

    Charles-Augustin Sainte-Beuve

    @charlesAugustinSainteBeuve

    Le soir de la jeunesse À mon ami ***. Oui, vous avez franchi la jeunesse brûlante ; Vous avez passé l'âge où chaque heure est trop lente, Où, tout rêvant, on court le front dans l'avenir, Et déjà s'ouvre à vous l'âge du souvenir. Oui, l'amour a pour vous mêlé joie et souffrance ; Vous l'avez ressenti souvent sans espérance, Vous l'avez quelquefois inspiré sans bonheur ; Vos lèvres ont tari le philtre empoisonneur. Oui, bien des fois, les nuits, errant à l'aventure Sur vos grands monts, au sein de la verte nature ; Suivant, sous les pins noirs, les sentiers obscurcis, Au bord croulant d'un roc vous vous êtes assis, Et vous avez tiré des plaintes de votre âme, Comme au bord de l'abîme un cerf en pleurs qui brame Oui, vous avez souvent revu, depuis, ces lieux, Les mêmes qu'autrefois, mais non plus à vos yeux, Car vous n'étiez plus seul ; et la nuit étoilée, Et la sèche bruyère encore échevelée, Les longs sapins ombreux, les noirs sentiers des bois, Tout prenait sous vos pas des couleurs et des voix ; Et lorsqu'après avoir marché longtemps ensemble, Elle attachée à vous comme la feuille au tremble, Vous tombiez sous un arbre, où la lune à l'entour Répandait ses rayons comme des pleurs d'amour, Et qu'elle vous parlait de promesse fidèle Et de s'aimer toujours l'un l'autre ; alors, près d'elle, Sentant sur votre front ses beaux cheveux courir, Vous avez clos les yeux et désiré mourir. Oui, vous avez goûté les délices amères ; Et quand il a fallu rompre avec ces chimères, Votre cœur s'est brisé, mais vous avez vaincu ; La raison vigilante au rêve a survécu ; Et maintenant, debout, à votre âme enfin libre Dans la région calme assurant l'équilibre, Et sur un axe fixe aux cieux la balançant, Vous lui tracez sa marche avec un doigt puissant ; Vous lui dites d'aller où vont les nobles astres, En cet Océan pur, serein et sans désastres, Où Kant, Platon, Leibnitz, enchaînant leur essor, Aux pieds de l'Éternel roulent leurs sphères d'or ; Et vous ne craignez pas que cette flamme esclave, Ce volcan mal éteint qui couve sons la lave, Ne s'éveille en sursaut, et comme un noir torrent N'inonde l'astre entier de son feu dévorant ? C'est bien, et je vous crois ; mais prenez garde encore, Veillez sur vous, veillez, de la nuit à l'aurore, De l'aurore à la nuit. — Mais si parfois, le soir, Sous les blancs orangers vous aimez vous asseoir, Oh ! ne promenez pas votre âme curieuse De la blonde aux yeux bleus à la brune rieuse ; — Mais ne prolongez pas le frivole entretien, Quand, près d'un doux visage et votre œil sous le sien, Votre haleine mêlée aux parfums de sa bouche, Votre main effleurant la martre qui vous touche, Oubliant à loisir le Portique et Platon, Vous causez d'un bijou, d'un bal ou d'un feston ; — Mais, rarement au soir, quand la tête oppressée Se fatigue et fléchit sous sa haute pensée, Bien rarement, ouvrez, pour respirer l'air pur, La persienne qui cache un horizon d'azur, De peur qu'une guitare, une molle romance Soupirée au jardin, un doux air qu'on commence Et qu'on n'achève pas, quelque fantôme blanc Qui se glisse à travers le feuillage tremblant, Ne viennent, triomphant d'un cœur qui les délie, Toute la nuit troubler votre philosophie ; — Jamais surtout, berçant votre esprit suspendu, Sur la fraîche ottomane en désordre étendu, Un roman à la main, jamais ne passez l'heure À gémir, à pleurer avec l'amant qui pleure ; Car vous en souffrirez ; car, à certain moment, Vous jetterez le livre, et dans l'égarement Vous vous consumerez en émotions vaines ; De votre front brûlant se gonfleront les veines ; De votre cœur brisé les lambeaux frémiront, Et pour se réunir encor s'agiteront. Tel le serpent, trahi sous l'herbe qui le cache, Et qu'a tranché soudain un pitre à coups de hache Il se dresse, il se tord en cent tronçons cuisants, Et rejoint ses anneaux au soleil tout luisants. — Veillez sur vous, veillez ; la défaite est cruelle : Si vous saviez, hélas ! ce qu'en un cœur rebelle Enfantent de tourments les transports sans espoir, Les rêves sans objet et des regrets au soir ! Oh ! point d'élude alors qui charme et qui console, Arrosant d'un parfum chaque jour qui s'envole ; Point d'avenir alors, ni d'oubli : l'on est seul, Seul en son souvenir comme en un froid linceul. L'âme bientôt se fond, et déborde, et s'écoule, Pareil au raisin mûr que le vendangeur foule ; On s'incline au soleil, on jaunit sous ses feux, Et chaque heure en fuyant argente nos cheveux. Ainsi l'arbre, trop tôt dépouillé par l'automne : On dirait à le voir qu'il s'afflige et s'étonne, Et qu'à terre abaissant ses rameaux éplorés Il réclame ses fleurs ou ses beaux fruits dorés. Les bras toujours croisés, debout, penchant la tête, Convive sans parole, on assiste à la fête. On est comme un pasteur frappé d'enchantement, Immobile à jamais près d'un fleuve écumant, Qui, jour et nuit, le front incliné sur la rive, Tirant un même son de sa flûte plaintive, Semble un roseau de plus au milieu des roseaux, Et qui passe sa vie à voir passer les eaux.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

    Charles-Augustin Sainte-Beuve

    @charlesAugustinSainteBeuve

    Vous avez jeunesse avec beauté Madame, vous avez jeunesse avec beauté, Un esprit délicat cher au cœur du Poète, Un noble esprit viril, qui, portant haut la tête, Au plus fort de l'orage a toujours résisté ; Aujourd'hui vous avez, sous un toit écarté, Laissant là pour jamais et le monde et la fête, Près d'un époux chéri sur qui votre œil s'arrête, Le foyer domestique et la félicité ; Et chaque fois qu'errant, las de ma destinée, Je viens, et que j'appuie à votre cheminée Mon front pesant, chargé de son nuage noir, Je sens que s'abîmer en soi-même est folie, Qu'il est des maux passés que le bonheur oublie, Et qu'en voulant on peut dès ici bas s'asseoir. Le 8 février 1830.

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    Claude Hopil

    @claudeHopil

    Derniers propos d'un jeune homme Sus, sus, il faut partir, il faut trousser bagage, J'entends les grands hérauts de la divinité Qui me viennent sommer au céleste voyage, Seigneur, loge mon âme au sein de ta bonté. Adieu, soleil, qui sors de l'onde marinière Pour faire voir à tous ce petit monde, adieu, Je vais voir un soleil, dont la pure lumière Ravit les habitants de la cité de Dieu. Adieu, astre argenté, qui détendez les voiles De la brunette nuit, et compassez les temps, Adieu pétillants feux, adieu graves étoiles, Je vais jouir au ciel d'un éternel printemps. Flétrissez désormais, verdoyantes prairies, Mes yeux ne verront plus l'émail de tant de fleurs, Ruisseaux, demeurez cois, vos sources soient taries, Vos courses prennent fin aussi bien que mes pleurs. Meurent tous les plaisirs dont l'univers abonde, La mort cillea mes sens de son sommeil d'airain, Adieu tous mes désirs, adieu vie, adieu monde, Il faut chercher là-haut un plaisir souverain. Adieu mes chers amis, mon esprit se prépare Pour aller dans les Cieux établir son séjour, Et de corps et de cœur de vous je me sépare, Si mon âme est à Dieu, aussi est mon amour. Là l'indomptable mort a sonné la retraite De ce corps, qui fera la pâture des vers. Seigneur, tu es ma vie, après toi seul j'halète, Mon Dieu, reçois mon âme entre tes bras ouverts.

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    Clément Marot

    Clément Marot

    @clementMarot

    À la jeune dame mélancolique et solitaire Par seule amour, qui a tout surmonte, On trouve grâce en divine bonté, Et ne la faut par autre chemin querre. Mais tu la veux par cruauté conquerre, Qui est contraire à bonne volonté. Certes c'est bien à toi grand cruauté, De user en deuil la jeunesse et beauté, Que t'a donné Nature sur la terre Par seule amour. En sa verdeur se réjouit l'été, Et sur l'hiver laisse joyeuseté. En ta verdeur plaisir doneques asserre, Puis tu diras (si vieillesse te serre) : « Adieu le temps qui si bon a été Par seule amour ! »

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    Clément Marot

    Clément Marot

    @clementMarot

    De celui qui incite une jeune dame a faire ami A mon plaisir vous faites feu et basme, Parquoi souvent je m'étonne, madame, Que vous n'avez quelque ami par amours : Au diable l'un, qui fera ses clamours Pour vous prier, quand serez vieille lame. Or, en effet, je vous jure mon âme, Que si j'étais jeune et gaillarde femme, J'en aurais un devant qu'il fut trois jours A mon plaisir. Et pourquoi non ? Ce serait grand diffame, Si vous perdiez jeunesse, bruit et famé Sans ébranler drap, satin et velours. Pardonnez-moi, si mes mots sont trop lourds : Je ne vous veux qu'apprendre votre gamme A mon plaisir.

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    Clément Marot

    Clément Marot

    @clementMarot

    De la jeune dame qui a vieil Mari En languissant et en griève tristesse Vit mon las cœur, jadis plein de liesse, Puisque l'on m'a donné mari vieillard. Hélas, pourquoi? Rien ne sait du vieil art Qu'apprend Vénus, l'amoureuse déesse. Par un désir de montrer ma prouesse Souvent l'assaus : mais il demande : « où est-ce ? », Ou dort (peut-être), et mon cœur veille à part En languissant. Puis quand je veux lui jouer de finesse, Honte me dit : « Cesse, ma fille, cesse, Garde-t'en bien, à honneur prends égard. » Lors je réponds : « Honte, allez à l'écart : Je ne veux pas perdre ainsi ma jeunesse En languissant. »

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    Cécile Carrara

    @cecileCarrara

    Education À tous ces rêves que l’on noie au sacrifice d’un monde trop sage. À toutes ces envies que l’on broie sous couvert d’un monde en cage. Quelles graines veut-on faire germer chez ceux qui bâtiront demain? Veut-on être libre de créer un monde qui nous ressemble enfin? Tous ces talents inexplorés que l’on fige artificiellement, à coup de règles répétées pour en justifier les fondements. Aux questions restées sans réponses des esprits un peu trop piquants alors que se perd en ses ronces l’autorité du bien-pensant. Que veut-on voir dans le regard des futurs gens de nos cités? Inspiration ou cauchemar des rêves qu’ils n’auront pas créés? Quel investissement est plus sûr sinon celui de ces enfants, mains qui modèleront les sculptures du monde et de ses transitions?

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    C

    Cécile Sauvage

    @cecileSauvage

    Enfant, pâle embryon Enfant, pâle embryon, toi qui dors dans les eaux Comme un petit dieu mort dans un cercueil de verre. Tu goûtes maintenant l’existence légère Du poisson qui somnole au-dessous des roseaux. Tu vis comme la plante, et ton inconscience Est un lis entr’ouvert qui n’a que sa candeur Et qui ne sait pas même à quelle profondeur Dans le sein de la terre il puise sa substance. Douce fleur sans abeille et sans rosée au front, Ma sève te parcourt et te prête son âme ; Cependant l’étendue avare te réclame Et te fait tressaillir dans mon petit giron. Tu ne sais pas combien ta chair a mis de fibres Dans le sol maternel et jeune de ma chair Et jamais ton regard que je pressens si clair N’apprendra ce mystère innocent dans les livres. Qui peut dire comment je te serre de près ? Tu m’appartiens ainsi que l’aurore à la plaine, Autour de toi ma vie est une chaude laine Où tes membres frileux poussent dans le secret. Je suis autour de toi comme l’amande verte Qui ferme son écrin sur l’amandon laiteux, Comme la cosse molle aux replis cotonneux Dont la graine enfantine et soyeuse est couverte. La larme qui me monte aux yeux, tu la connais, Elle a le goût profond de mon sang sur tes lèvres, Tu sais quelles ferveurs, quelles brûlantes fièvres Déchaînent dans ma veine un torrent acharné. Je vois tes bras monter jusqu’à ma nuit obscure Comme pour caresser ce que j’ai d’ignoré, Ce point si douloureux où l’être resserré Sent qu’il est étranger à toute la nature. Écoute, maintenant que tu m’entends encor, Imprime dans mon sein ta bouche puérile, Réponds à mon amour avec ta chair docile Quel autre enlacement me paraîtra plus fort ? Les jours que je vivrai isolée et sans flamme, Quand tu seras un homme et moins vivant pour moi, Je reverrai les temps où j’étais avec toi, Lorsque nous étions deux à jouer dans mon âme. Car nous jouons parfois. Je te donne mon coeur Comme un joyau vibrant qui contient des chimères, Je te donne mes yeux où des images claires Rament languissamment sur un lac de fraîcheur. Ce sont des cygnes d’or qui semblent des navires, Des nymphes de la nuit qui se posent sur l’eau. La lune sur leur front incline son chapeau Et ce n’est que pour toi qu’elles ont des sourires. Aussi, quand tu feras plus tard tes premiers pas, La rose, le soleil, l’arbre, la tourterelle, Auront pour le regard de ta grâce nouvelle Des gestes familiers que tu reconnaîtras. Mais tu ne sauras plus sur quelles blondes rives De gros poissons d’argent t’apportaient des anneaux Ni sur quelle prairie intime des agneaux Faisaient bondir l’ardeur de leurs pattes naïves. Car jamais plus mon coeur qui parle avec le tien Cette langue muette et chaude des pensées Ne pourra renouer l’étreinte délacée : L’aurore ne sait pas de quelle ombre elle vient. Non, tu ne sauras pas quelle Vénus candide Déposa dans ton sang la flamme du baiser, L’angoisse du mystère où l’art va se briser, Et ce goût de nourrir un désespoir timide. Tu ne sauras plus rien de moi, le jour fatal Où tu t’élanceras dans l’existence rude, Ô mon petit miroir qui vois ma solitude Se pencher anxieuse au bord de ton cristal.

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    C

    Cécile Sauvage

    @cecileSauvage

    Je me souviens de mon enfance Je me souviens de mon enfance Et du silence où j’avais froid ; J’ai tant senti peser sur moi Le regard de l’indifférence. Ô jeunesse, je te revois Toute petite et repliée, Assise et recueillant les voix De ton âme presque oubliée.

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    E

    Elodie Santos

    @elodieSantos

    La bille habile La bille habile vite vole dans le beau ciel de son école où l’enfant rêve et prend parole et chante comme le rossignol Elle tombe dans un petit trou et l’enfant se met à genou pour cueillir son petit caillou tout rond, tout beau, tout sûr, tout doux L’enfant le sort de sa tanière Il devient grand, il devient fier Il montre ce bijou éclair le soir en rentrant, à sa mère

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    E

    Emile Nelligan

    @emileNelligan

    La fuite de l’enfance Par les jardins anciens foulant la paix des cistes, Nous revenons errer, comme deux spectres tristes, Au seuil immaculé de la Villa d’antan. Gagnons les bords fanés du Passé. Dans les râles De sa joie il expire. Et vois comme pourtant Il se dresse sublime en ses robes spectrales. Ici sondons nos coeurs pavés de désespoirs. Sous les arbres cambrant leurs massifs torses noirs Nous avons les Regrets pour mystérieux hôtes. Et bien loin, par les soirs révolus et latents, Suivons là-bas, devers les idéales côtes, La fuite de l’Enfance au vaisseau des Vingt ans.

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    E

    Esther Granek

    @estherGranek

    Bien dans sa peau Paraît que pour être au plus haut faut se sentir bien dans sa peau. Si donc nous nous y sentons mal ça peut nous bouffer le moral et c’est porte ouverte aux dégâts… Aussi soyons de notre temps car qui voudrait tels embarras ? Solutionnons en nous soignant Ché pas si j’ai bien expliqué. P’têt’ qu’un ajout peut y aider… * Paraît que pour s’épanouir avant tout faut se définir. S’adore-t-on ? Quand ? Et comment ? Se déteste-t-on mêmement ? Si c’était les deux à la fois (car connaît-on ce qu’on engrange ?) faut en situer les pourquoi et clarifier un tel mélange. Ché pas si j’ai bien expliqué. P’têt’ qu’un ajout peut y aider… * Paraît que pour être serein faut pas jouer au p’tit malin. N’hésitons pas à exposer ce qui en nous fut enterré dans les entrailles du non-dit depuis peu, ou des décennies, et qui pourtant respire encore causant en nous le plus grand tort. Ché pas si j’ai bien expliqué. P’têt’ qu’un ajout peut y aider… * Paraît que pour tourner le dos aux dépressions et autres maux, faut réparer là où ça craque. Si vous pensez : « J’en ai ma claque. Je me croyais hier un génie et moins qu’une merde aujourd’hui », pour vous sortir de ce micmac au plus tôt videz votre sac. Ché pas si j’ai bien expliqué. P’têt’ qu’un ajout peut y aider… * Paraît que pour s’équilibrer, en soi autant qu’en société, les procédés courent les rues. Y’a qu’à mettre son âme à nu et décortiquer sa substance. L’implication de mille traits s’entremêlant en permanence ne devrait pas vous affoler… Ché pas si j’ai bien expliqué. P’têt’ qu’un ajout… ?

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    Esther Granek

    @estherGranek

    Jeunesse Défais tes doigts nouant tes mains. Défais ton air un peu chagrin. Défais ce front buté, têtu. Défais tes réflexions pointues. Vingt ans c’est bien dur à porter ! Défais, défais. Sois la rosée. Sois gai matin au ciel de mai ! Défais… Te torturant d’ombres subtiles qu’en toi tu multiplies par mille, tu es ton centre, ton débat, mal dans ta peau. Ah ! pauvre état ! Vingt ans c’est bien dur à porter ! Défais, défais. Sois la rosée. Sois gai matin au ciel de mai ! Défais… Car au supplice en toi tout vire. Tu n’es zéro !… Ni point de mire !… Et pourtant, t’inventant ces pôles, tu te détestes en chaque rôle. Vingt ans c’est bien dur à porter ! Défais, défais. Sois la rosée. Sois gai matin au ciel de mai ! Défais… Qu’au fond de toi rien ne se brise ! Tes heures claires sont pages grises. Printemps morts ne renaissent pas. Défais ta barrière à la joie. Vingt ans c’est bien dur à porter… Défais… Défais… Sois la rosée…

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    E

    Esther Granek

    @estherGranek

    Le bonheur Dans le château de mon enfance Fait de nuages et d’espérance Dans ce taudis où je suis né Où j’ai eu faim sans murmurer Où s’engouffraient les vents mauvais Et s’étirait l’aube glacée Où les jours étaient des années Je possédais sans le savoir Encore l’immense don de croire Que le bonheur est quelque part Dans la chambre de ma jeunesse Remplie d’amour et de promesses De mes idées de mes projets De mes vieux disques ébréchés Et de poèmes inachevés Et de mes phrases grandiloquentes Et de mon génie en attente Dans le printemps de mon ardeur Je chérissais au fond du cœur L’espoir d’un immense bonheur Dans ma maison d’homme de bien Dans l’acajou et le satin Qu’on peut caresser de la main Et se dire tout cela est mien Dans mes trésors accumulés Dans ma fonction parachevée Dans mes revenus bien placés Et dans le temps qui s’est enfui Je cherche encore jusqu’aujourd’hui Un bonheur qui s’est rétréci Dans la maison de ma vieillesse Dans ma demeure aux nombreuses pièces Seul un petit coin me suffit Alors errant dans mes lambris Je voudrais jeter aux cochons Les perles de ma distinction Les fers forgés les bois taillés Les peintures sur toile étalées Et faire fleurir encore une fois Ce bonheur qui n’est plus déjà Qu’un blanc fossile comme moi.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Aubade parisienne Pour venir t’aimer, ma chère, Je franchis les blancs ruisseaux, Et j’ai l’âme si légère Que j’ai pitié des oiseaux. Quel temps fait-il donc ? Il gèle, Mais je me crois au printemps. Entends-tu, mademoiselle ? Tu m’as rendu mes vingt ans. Tu m’as rendu ma jeunesse. Ce coeur que je croyais mort, Je veux pour toi qu’il renaisse ; Écoute comme il bat fort ! Quelle heure est-il ? Tu déjeunes; Prends ce fruit et mords dedans. C’est permis, nous sommes jeunes, Et j’en mange sur tes dents. Parle-moi, dis-moi des choses. Je n’écoute pas, je vois S’agiter tes lèvres roses Et je respire ta voix. Je t’aime et je t’aime encore; A tes pieds je viens m’asseoir. Laisse-moi faire ; j’adore Le tapis de ton boudoir !

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Aux bains de mer Sur la plage élégante au sable de velours Que frappent, réguliers et calmes, les flots lourds, Tels que des vers pompeux aux nobles hémistiches, Les enfants des baigneurs oisifs, les enfants riches, Qui viennent des hôtels voisins et des chalets, La jaquette troussée au-dessus des mollets, Courent, les pieds dans l’eau, jouant avec la lame. Le rire dans les yeux et le bonheur dans l’âme, Sains et superbes sous leurs habits étoffés Et d’un mignon chapeau de matelot coiffés, Ces beaux enfants gâtés, ainsi qu’on les appelle, Creusent gaîment, avec une petite pelle, Dans le fin sable d’or des canaux et des trous; Et ce même Océan, qui peut dans son courroux Broyer sur les récifs les grands steamers de cuivre, Laisse, indulgent aïeul, son flot docile suivre Le chemin que lui trace un caprice d’enfant. Ils sont là, l’oeil ravi, les cheveux blonds au vent, Non loin d’une maman brodant sous son ombrelle, Et trouvent, à coup sûr, chose bien naturelle, Que la mer soit si bonne et les amuse ainsi. – Soudain, d’autres enfants, pieds nus comme ceux-ci, Et laissant monter l’eau sur leurs jambes bien faites, Des moussaillons du port, des pêcheurs de crevettes, Passent, le cou tendu sous le poids des paniers. Ce sont les fils des gens du peuple, les derniers Des pauvres, et le sort leur fit rude la vie. Mais ils vont, sérieux, sans un regard d’envie Pour ces jolis babys et les plaisirs qu’ils ont. Comme de courageux petits marins qu’ils sont, Ils aiment leur métier pénible et salutaire Et ne jalousent point les heureux de la terre; Car ils savent combien maternelle est la mer Et que pour eux aussi souffle le vent amer Qui rend robuste et belle, en lui baisant la joue, L’enfance qui travaille et l’enfance qui joue.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Enfants trouvées Dans les promenades publiques, Les beaux dimanches, on peut voir Passer, troupes mélancoliques, Des petites filles en noir. De loin, on croit des hirondelles : Robes sombres et grands cols blancs ; Et le vent met des frissons d’ailes Dans les légers camails tremblants. Mais quand, plus près des écolières, On les voit se parler tout bas, On songe aux étroites volières Où les oiseaux ne chantent pas. Près d’une sœur, qui les surveille En dépêchant son chapelet, Deux par deux, en bonnet de vieille, Et les mains sous le mantelet, Les cils baissés, tristes et laides, Le front ignorant du baiser, Elles vont voir, pauvres cœurs tièdes, Les autres enfants s’amuser. Les petites vont les premières ; Mais leur regard discipliné A perdu ses vives lumières Et son bel azur étonné. Les pieuses et les savantes Ont un maintien plus glacial ; Toutes ont des mains de servantes, L’œil sournois et l’air trivial. Car ces êtres sont de la race Du vice et de la pauvreté, Qui font les enfances sans grâce Et les tristesses sans beauté. II Les berceaux ont leurs destinées ! Et vous ne les avez pas vus, Les fronts de mères inclinées Comme la Vierge sur Jésus. Vos sombres âmes stupéfaites, Enfants, ne se rappellent pas La chambre joyeuse, les fêtes Du premier cri, du premier pas, La gambade faite en chemise Sur le tapis, devant le feu, La gaîté bruyante et permise, Et l’aïeule qui gronde un peu. – Pourtant ce qui vous fait, si jeunes, Pareilles aux fleurs des prisons, Ce ne sont ni les rudes jeûnes, Ni les pénibles oraisons : Ces graves filles, vos maîtresses, Vous pouvez leur dire : « Ma sœur ! » Sans amour tendre ni caresses, Elles ont du moins la douceur ; Une de ces vierges chrétiennes Joint tous les jours, souvenez-vous, Vos petites mains sous les siennes, En vous tenant sur ses genoux ; Et sa voix, bonne et familière, Vous fait répéter chaque soir Une belle et longue prière Qui parle d’amour et d’espoir. III Sombres enfants qui, sur ma route, Allez, le front lourd et baissé, Je crains que vous n’ayez le doute Effrayant de votre passé ; Que dans votre âme obscure, où monte Le flot des vagues questions, Vous ne sentiez frémir la honte, Source des malédictions ; Et que, par lueurs éphémères, Votre esprit ne cherche à savoir Si vraiment sont mortes vos mères, Pour qu’on vous habille de noir ! – Si ce doute est votre souffrance, Ah ! que pour toujours le couvent Dans la plus étroite ignorance Mure votre cœur tout vivant ! Que par les niaises pratiques Et les dévotions d’autel, Par le chant des fades cantiques Et la lecture du missel, Par la fatigue du cilice, Par le chapelet récité, A ce point votre âme s’emplisse D’enfantine crédulité, Que, ployant sous les disciplines Et mortes avant le cercueil, Vous vous sentiez bien orphelines En voyant vos habits de deuil !

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Innocence Si chétive, une haleine, une âme, L’orpheline du porte-clés Promenait dans la cour infâme L’innocence en cheveux bouclés. Elle avait cinq ans ; son épaule Était blanche sous les haillons ; Et, libre, elle emplissait la geôle D’éclats de rire et de rayons.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Le défilé Dans le faubourg planté d’arbustes rabougris, Où le pâle chardon pousse au bord des murs gris, Sur le trottoir pavé que limitent des bornes, Lentement, en grand deuil tous deux, tristes et mornes, Et vers le couchant d’or d’un juillet étouffant, Vont ensemble une mère et son petit enfant. La mère est jeune encore, elle est pauvre, elle est veuve. Résignée, et pourtant droite encor sous l’épreuve, Elle songe sans doute au sombre lendemain ; Et le petit garçon qu’elle tient par la main A déjà dans ses yeux agrandis par les jeûnes L’air grave des enfants qui s’étonnent trop jeunes. Ils marchent, regardant le coucher du soleil. Mais voici que, parmi le triomphe vermeil Des nuages de pourpre aux franges d’écarlate, Là-bas, soudaine et fière, une fanfare éclate ; Et, poussant devant eux clairons et timbaliers, Apparaissent au loin les premiers cavaliers D’un pompeux régiment qui vient de la parade. Des escadrons ! mais c’est comme une mascarade. Les enfants et le peuple, hélas ! enfant aussi, S’arrêtent en chemin pour les voir. Or ceux-ci Sont très beaux ; et le fils de la veuve regarde. Lui qui vécut dans les murs froids d’une mansarde, Il n’a jamais rien vu de tel. Il est hagard ; Et sa mère lui dit, bénissant ce hasard, Et distraite, elle aussi, de ses rêves austères : « Restons là. Nous verrons passer les militaires. » Ils s’arrêtent tous deux ; et le beau régiment, Sombre et pesant d’orgueil, défile fièrement. Ce sont des cuirassiers ; ils vont, musique en tête, Répandant à l’entour comme un bruit de tempête. Les casques sont polis ainsi que des miroirs ; Les sabres sont tirés. Tous les chevaux sont noirs ; Ils ont la flamme aux yeux et le sang aux narines. – Les cuirasses d’acier qui bombent les poitrines Jettent à chaque pas des éclairs aveuglants ; Et les lourds escadrons, impassibles et lents, Se succèdent, au pas, allant de gauche à droite, Avec leurs officiers dans la distance étroite, Si bien que le passant, sur la route arrêté, Cependant qu’il peut voir s’éloigner d’un côté Des croupes de chevaux et des dos de cuirasses, Voit de l’autre, marchant de tout près sur leurs traces, S’avancer, alignés comme par deux niveaux, Des casques de soldats et des fronts de chevaux. Et ce spectacle est plus sublime et plus farouche Dans la rouge splendeur du soleil qui se couche. Mais, l’œil tout ébloui des ors et des aciers, L’enfant cherche surtout à voir ces officiers Qui brandissent, tournés à demi sur la selle, Leur sabre dont la lame au soleil étincelle, Et sont gantés de blanc ainsi que pour le bal, Et commandent, tandis que leur fougueux cheval, Se rappelant sans doute une ancienne victoire, Secoue avec orgueil son mors dans sa mâchoire. Et plus que tous ceux-là l’enfant admire encor Le plus jeune, qui n’a qu’une aiguillette d’or Et marche dans les rangs ainsi qu’une recrue, Mais qui semble toujours à la foule accourue Le plus heureux, le plus superbe et le plus beau, Car il porte les plis somptueux du drapeau. Le régiment défile, et l’enfant s’extasie. Craintif et se tenant à la jupe saisie De sa mère, il admire, avide et stupéfait, Et tremble. Mais alors celle-ci, qui rêvait, Le regarde, et soudain elle devient peureuse. La pauvre femme, qui naguère était heureuse Que pour son fils ce beau régiment paradât, Craint maintenant qu’il veuille un jour être soldat ; Et même, bien avant que ce soupçon s’achève, Son esprit a conçu l’épouvantable rêve D’un noir champ de bataille où dans les blés versés, Sous la lune sinistre, on voit quelques blessés, Qui, mouillés par le sang et la rosée amère, Se traînent sur leurs mains en appelant leur mère, Puis qui s’accoudent, puis qui retombent enfin ; Et, seuls debout alors, des chevaux ayant faim Qui, baissant vers le sol leurs longs museaux avides, Broutent le gazon noir entre les morts livides ! Elle entraîne son fils ; elle a le cœur glacé. Et, bien que le brillant régiment soit passé Et qu’au coin du faubourg tourne l’arrière-garde, L’enfant se plaint tout bas, et résiste, et regarde Son rêve qui s’enfuit, espérant voir encor Là-bas, dans la poussière, une étincelle d’or, Et détestant déjà les amis et les mères Qui nous tirent loin des dangers et des chimères.

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