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Titre : Souvenirs d’enfance

Auteur : Auguste Lacaussade Recueil : Poèmes et Paysages

O frère, ô jeune ami, dernier fils de ma mère, O toi qui devanças, dans le val regretté, Cette enfant, notre sœur, une rose éphémère, Qui ne vécut qu’un jour d’été ; Que fais-tu, cher absent, ô mon frère ! à cette heure Où mon cœur et mes yeux se retournent vers toi ? Ta pensée, évoquant les beaux jours que je pleure, Revole-t-elle aussi vers moi ? Souvent dans mon exil, je rêve à notre enfance, A nos matins si purs écoulés sous les bois, Et sur mon front le vent des souvenirs balance Les molles ombres d’autrefois. Pour tromper les ennuis d’un présent bien aride Pour rafraîchir mon pied que la route a lassé, Je remonte, songeur, à la source limpide Qui gazouille dans mon passé. De nos beaux jours c’était le matin et le rêve : Tout était joie et chants, fleurs et félicités ! O bonheurs des enfants que le temps nous enlève, Pourquoi nous avez-vous quittés ? Nous étions trois alors. Éveillés dès l’aurore, Sortant du nid à l’heure où l’aube sort du ciel, Nous allions dans les fleurs qu’elle avait fait éclore Boire la rosée et le miel. Elle et toi, de concert à ma voix indociles, Vous braviez du soleil les torrides chaleurs. Quand ma mère accourait, l’arbre aux ombres mobiles Voilait nos plaisirs querelleurs. Elle avait tout vu. Quittant le frais ombrage, Nous lisions notre faute à son front rembruni. Moi – j’étais votre aîné – bien qu’étant le plus sage, Je n’étais pas le moins puni. Nous la suivions. Bientôt, trompant sa vigilance, Nous revolions aux champs, au grand air, au soleil, Et des bois assoupis, tiède abri du silence, Nous allions troubler le sommeil. Alors, malheur à l’arbre à la grappe embaumée, Au fruit d’or rayonnant à travers les rameaux ! Nous brisions branche et fruits, la grappe et la ramée, Et jusqu’aux nids des tourtereaux. Et puis nous descendions la pente des ravines, Où l’onde et les oiseaux confondaient leurs chansons, Nous heurtant aux cailloux, nous blessant aux épines Des framboisiers et des buissons. Un lac était au bas, large, aux eaux peu profondes. Sur ses bords qu’ombrageait le dais mouvant des bois, Avec les beaux oiseaux furtifs amis des ondes, Enfants, nous jouions tous les trois. Pour suivre sur les flots leur caprice sauvage, Des troncs du bananier nous faisions un radeau, Et sur ce frêle esquif, glissant près du rivage, Nous poursuivions les poules d’eau. Ma sœur, trempant ses pieds dans l’onde claire et belle, Comme la fée-enfant de ces bords enchanteurs, Jetait aux bleus oiseaux qui nageaient devant elle Des fruits, des baisers et des fleurs. Et puis nous revenions. Notre mère, inquiète, Pour nous punir s’armant de sévères froideurs, Nous attendait au seuil de l’humble maisonnette, Heureuse, avec des mots grondeurs. O chagrin des enfants, qu’aisément tu désarmes Les mères ! Nous donnant et des fruits et du lait, Elle mêlait aux mots qui nous coûtaient des larmes Le baiser qui nous consolait. Ainsi coulaient nos jours. – O radieuse aurore ! O mes doux compagnons, je crois vous voir encore ! Bonheurs évanouis des printemps révolus, Soleils des gais matins qui ne m’éclairez plus, A vos jeunes chaleurs rajeunissant mon être, Je sens mon cœur revivre et mon passé renaître ! Je vous retrouve enfin ! Je vois là, sous mes yeux, Courir sur les gazons mes souvenirs joyeux. Je vois, de notre mère oubliant la défense, Par les grands champs de riz voltiger notre enfance. Chassons le papillon, l’insecte, les oiseaux, Glanons un fruit tombé sur le cristal des eaux ; C’est le ravin, le lac aux vagues argentines, Le vieil arbre ombrageant nos têtes enfantines ; C’est toi, c’est notre mère aux yeux pleins de douceur ! C’est moi, c’est… ; ô mon frère ! où donc est notre sœur ? Un tertre vert, voilà ce qui nous reste d’elle ! Quand une âme est si blanche, à lui Dieu la rappelle. Tige, orgueil de nos champs et que la brise aimait, Tout en elle brillait, fleurissait, embaumait. Lys sans tache, à la vie elle venait d’éclore, Douce comme un parfum, blonde comme une aurore ! Le soleil à ses jours mesurait les chaleurs ; Des roses du Bengale elle avait les pâleurs. Oh ! les fins cheveux d’or ! Les nouvelles épouses Du bonheur de ma mère, hélas ! étaient jalouses. Toutes lui faisaient fête et, des mains et des yeux Caressant de son front l’ovale harmonieux, Demandaient au Seigneur, d’une lèvre muette, Un blond enfant semblable à cette blonde tête ! Nos Noirs, comme ils l’aimaient ! Dans leur langue de feu Ils la disaient l’étoile et la fille de Dieu. Naïfs, ils comparaient cette fleur des savanes Aux fraîches visions qui hantent les cabanes : C’était un bon génie, une âme douce aux Noirs ; Et, lorsque du labour ils revenaient, les soirs, Tous, ils lui rapportaient des nids et des jam-roses, Ou le bleu papillon, amant ailé des roses. Hélas ! que vous dirais-je encor de notre sœur ? Elle était tout pour nous, grâce et fée, astre et fleur ; L’ange de la maison au nimbe d’innocence ; La tige virginale, et le palmier d’enfance Qui, croissant avec nous sous les yeux maternels, Mêlait à nos rameaux ses rameaux fraternels. C’est ma nourrice aussi qui l’avait élevée : Nous étions presque enfants d’une même couvée ; Oiseaux à qui le ciel faisait des jours pareils, Un même nid le soir berçait nos longs sommeils. Temps heureux ! Et la mort ! ô deuil ! ma pauvre mère !… Elle vint après nous et s’en fut la première. Sous un souffle glacé j’ai vu ployer son corps ; L’ange froid des tombeaux éteignit sa prunelle, Et, loin d’un sol en pleurs l’emportant sur son aile, Ensemble ils sont partis pour le pays des morts. Sa tombe ?… Elle est au pied de la haute colline Dont le front large et nu sur l’Océan s’incline ; Où la vague aux soupirs des mornes filaos Vient mêler jour et nuit ses lugubres sanglots, Et semble pour les morts, d’une voix solennelle, Chanter le Requiem de sa plainte éternelle. Paris, 1840.