Ressemblance Vous désirez savoir de moi
D'où me vient pour vous ma tendresse ;
Je vous aime, voici pourquoi :
Vous ressemblez à ma jeunesse.
Vos yeux noirs sont mouillés souvent
Par l'espérance et la tristesse,
Et vous allez toujours rêvant :
Vous ressemblez à ma jeunesse.
Votre tête est de marbre pur,
Faite pour le ciel de la Grèce
Où la blancheur luit dans l'azur :
Vous ressemblez a ma jeunesse.
Je vous tends chaque jour la main,
Vous offrant l'amour qui m'oppresse ;
Mais vous passez votre chemin...
Vous ressemblez à ma jeunesse.
il y a 9 mois
Sully Prudhomme
@sullyPrudhomme
À vingt ans À vingt ans on a l'œil difficile et très fier :
On ne regarde pas la première venue,
Mais la plus belle ! Et, plein d'une extase ingénue,
On prend pour de l'amour le désir né d'hier.
Plus tard, quand on a fait l'apprentissage amer,
Le prestige insolent des grands yeux diminue,
Et d'autres, d'une grâce autrefois méconnue,
Révèlent un trésor plus intime et plus cher.
Mais on ne fait jamais que changer d'infortune :
À l'âge où l'on croyait n'en pouvoir aimer qu'une,
C'est par elle déjà qu'on apprit à souffrir ;
Puis, quand on reconnaît que plus d'une est charmante,
On sent qu'il est trop tard pour choisir une amante
Et que le cœur n'a plus la force de s'ouvrir.
il y a 9 mois
R
Rhita Benjelloun
@rhitaBenjelloun
Fleur bleue Jeune rêveuse ainsi je te nomme
Rebelle, or ton charme attire les hommes
Tes yeux et tes cheveux au couleur de miel
On t’a souvent baptisée souveraine tel une abeille
Tu donnes sans rien attendre d’autrui
Tu t’investis dans ce que tu fais et cela l’inouï
On remarque la différence dès le premier regard
Et on ne peut cacher qu’on te porte de l’égard
Mais on n’ose pas t’approcher par peur
Qu’on te fasse du mal, fragile fleur
Et on s’éloigne aussi vite que le vent
Pour te souffler, hélas, un nouveau tourment
Toutes tes rêveries ne durent pas
Et malchanceuse souvent tu te vois
Et tes yeux ne brillent plus de joie
Et tu n’oses plus faire aucun pas
Petite fleure bleue, ne baisse pas tes pétales
Ne fais pas ressortir tes épines, sinon tu râles
Demain c’est un nouveau jour bien fleuri
Alors reprend tes forces et souris
Tu es appréciée, et tu le seras pour toujours
Aux yeux de celui qui te réserve le plus grand amour
N’oublie pas que le soleil apparait après les lueurs
Et après tout ces chagrins tu trouveras certainement ton bonheur
il y a 9 mois
R
Robert Tirvaudey
@robertTirvaudey
Dès la naissance Les poèmes des riens tout juste quelques cœurs
Dès la naissance
Dispersés dans le souffle du temps
Nos menteurs mots
Qu’est-ce qu’on écrit à passer sa jeunesse
Mais
Des yeux à pleins d’ardeurs
Place une marque sur la page
Lue devant l’auditoire frivole
La satisfaction grande possession et heureuse passion
Pour cette page comme une lune jour de grand vent
N’attendons-nous pas vainement
il y a 9 mois
Rémi Belleau
@remiBelleau
Douce et belle bouchelette Ainsi, ma douce guerrière
Mon cœur, mon tout, ma lumière,
Vivons ensemble, vivons
Et suivons
Les doux sentiers de la jeunesse :
Aussi bien une vieillesse
Nous menace sur le port,
Qui, toute courbe et tremblante,
Nous entraîne chancelante
La maladie et la mort.
il y a 9 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
Premières feuilles Vous vous tendez vers moi, vertes petites mains des arbres,
Vertes petites mains des arbres du chemin.
Pendant que les vieux murs un peu plus se délabrent,
Que les vieilles maisons montrent leurs plaies,
Vous vous tendez vers moi, bourgeons des haies,
Verts petits doigts.
Petits doigts en coquilles,
Petits doigts jeunes, lumineux, pressés de vivre,
Par-dessus les vieux murs vous vous tendez vers nous.
Le vieux mur dit : « Gare au vent fou,
Gare au soleil trop vif, gare aux nuits qui scintillent,
Gare à la chèvre, à la chenille,
Gare à la vie, ô petits doigts ! »
Verts petits doigts griffus, bourrus et tendres,
Vous sentez bien pourquoi
Les vieux murs, ce matin, ont la voix de Cassandre.
Petits doigts en papier de soie,
Petits doigts de velours ou d’émail qui chatoie,
Vous savez bien pourquoi
Vous n’écouterez pas les murs couleur de cendre…
Frêles éventails verts, mains du prochain été,
Nous sentons bien pourquoi vous n’écoutez
Ni les vieux murs, ni les toits qui s’affaissent ;
Nous savons bien pourquoi
Par-dessus les vieux murs, de tous vos petits doigts,
Vous faites signe à la jeunesse !
il y a 9 mois
S
Sandrine Davin
@sandrineDavin
De l’enfant que j’étais, au vieillard devenu… Il était beau le temps
Où mes pommettes roses
S’érigeaient au vent.
Les genoux écorchés
Par les ronces
Au bord des sentiers oubliés,
Je m’en souviens encore.
…
Les feuilles mortes
Se sont envolées,
Ont tout emporté
Avec elles,
Souvenirs et passé.
…
De l’enfant que j’étais
Il ne me reste plus que
Des rides,
Des sourires,
Des cheveux blancs.
Au vieillard devenu,
J’ai oublié le temps…
il y a 9 mois
S
Sandrine Davin
@sandrineDavin
Jardin de grand-père C’était il y a longtemps –
Ta main
Dans la mienne
L’horizon
A perte de vue
Le grillage
De rouille
Et les herbes mortes
Ta main
Ridée
Qui crevasse la terre
La mienne
Si rose
Effleurant les ronces
Tes yeux
Dans les miens
Le bleu du ciel
En morsure de lèvres
Et quelques grains de terre
Entre nos doigts
C’était il y a longtemps
Et aujourd’hui encore
Ces quelques grains de terre
Rident ma chair
il y a 9 mois
S
Sophie d'Arbouville
@sophieDarbouville
Amour de jeune fille Ma mère, quel beau jour ! tout brille, tout rayonne.
Dans les airs, l'oiseau chante et l'insecte bourdonne ;
Les ruisseaux argentés roulent sur les cailloux,
Les fleurs donnent au ciel leur parfum le plus doux.
Le lis s'est entr'ouvert ; la goutte de rosée,
Sur les feuilles des bois par la nuit déposée,
S'enfuyant à l'aspect du soleil et du jour,
Chancelle et tombe enfin comme des pleurs d'amour.
Les fils blancs et légers de la vierge Marie,
Comme un voile d'argent, volent sur la prairie :
Frêle tissu, pour qui mon souffle est l'aquilon,
Et que brise en passant l'aile d'un papillon.
Sous le poids de ses fruits le grenadier se penche,
Dans l'air, un chant d'oiseau nous vient de chaque branche ;
Jusqu'au soir, dans les cieux, le soleil brillera :
Ce jour est un beau jour !... Oh ! bien sûr, il viendra !
Il viendra... mais pourquoi ?... Sait-il donc que je l'aime ?
Sait-il que je l'attends, que chaque jour de même,
— Que ce jour soit celui d'hier ou d'aujourd'hui —
J'espère sa présence et ne songe qu'à lui ?
Oh ! non ! il ne sait rien. Qu'aurait-il pu comprendre !...
Les battements du cœur se laissent-ils entendre ?
Les yeux qu'on tient baissés, ont-ils donc un regard ?
Un sourire, dit-il qu'on doit pleurer plus tard ?
Que sait-on des pensers cachés au fond de l'âme !
La douleur qu'on chérit, le bonneur que l'on blâme ,
Au bal, qui les trahit ?... Des fleurs sont sur mon front,
À tout regard joyeux mon sourire répond ;
Je passe auprès de lui sans détourner la tête,
Sans ralentir mes pas.... et mon cœur seul s'arrête.
Mais qui peut voir le cœur ? qu'il soit amour ou fiel,
C'est un livre fermé, qui ne s'ouvre qu'au ciel !
Une fleur est perdue, au loin, dans la prairie,
Mais son parfum trahit sa présence et sa vie ;
L'herbe cache une source, et le chêne un roseau,
Mais la fraîcheur des bois révèle le ruisseau ;
Le long balancement d'un flexible feuillage
Nous dit bien s'il reçoit ou la brise ou l'orage ;
Le feu qu'ont étouffé des cendres sans couleur,
Se cachant à nos yeux, se sent par la chaleur ;
Pour revoir le soleil quand s'enfuit l'hirondelle,
Le pays qu'elle ignore est deviné par elle :
Tout se laisse trahir par l'odeur ou le son,
Tout se laisse entrevoir par l'ombre ou le rayon,
Et moi seule, ici-bas, dans la foule perdue,
J'ai passé près de lui sans qu'il m'ait entendue...
Mon amour est sans voix, sans parfum, sans couleur,
Et nul pressentiment n'a fait battre son cœur !
Ma mère, c'en est fait ! Le jour devient plus sombre ;
Aucun bruit, aucun pas, du soir ne trouble l'ombre.
Adieux à vous ! — à vous, ingrat sans le savoir !
Vous, coupable des pleurs que vous ne pouvez voir !
Pour la dernière fois, mon Ame déchirée
Rêva votre présence, hélas! tant désirée...
Plus jamais je n'attends. L'amour et l'abandon,
Du cœur que vous brisez les pleurs et le pardon,
Vous ignorerez tout !... Ainsi pour nous, un ange.
Invisible gardien, dans ce monde où tout change.
S'attache à notre vie et vole à nos côtés ;
Sous son voile divin nous sommes abrités,
Et jamais, cependant, on ne voit l'aile blanche
Qui, sur nos fronts baissés, ou s'entrouvre ou se penche.
Dans les salons, au bal, sans cesse, chaque soir,
En dansant près de vous, il me faudra vous voir ;
Et cependant, adieu... comme à mon premier rêve !
Tous deux, à votre insu, dans ce jour qui s'achève,
Nous nous serons quittés ! — Adieu, soyez heureux !...
Ma prière, pour vous, montera vers les Cieux :
Je leur demanderai qu'éloignant les orages,
Ils dirigent vos pas vers de riants rivages,
Que la brise jamais, devenant aquilon,
D'un nuage pour vous ne voile l'horizon ;
Que l'heure à votre gré semble rapide ou lente ;
Lorsque vous écoutez, que toujours l'oiseau chante ;
Lorsque vous regardez, que tout charme vos yeux,
Que le buisson soit vert, le soleil radieux ;
Que celle qui sera de votre cœur aimée,
Pour vous, d'un saint amour soit toujours animée !...
— Si parfois, étonné d'un aussi long bonheur,
Vous demandez à Dieu : « Mais pourquoi donc, Seigneur ? »
Il répondra peut-être : « Un cœur pour toi me prie...
Et sa part de bonheur, il la donne à ta vie ! »
il y a 9 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
Don du poème Je t’apporte l’enfant d’une nuit d’Idumée !
Noire, à l’aile saignante et pâle, déplumée,
Par le verre brûlé d’aromates et d’or,
Par les carreaux glacés, hélas ! mornes encor
L’aurore se jeta sur la lampe angélique,
Palmes ! et quand elle a montré cette relique
À ce père essayant un sourire ennemi,
La solitude bleue et stérile a frémi.
Ô la berceuse avec ta fille et l’innocence
De vos pieds froids, accueille une horrible naissance
Et, ta voix rappelant viole et clavecin,
Avec le doigt fané presseras-tu le sein
Par qui coule en blancheur sybilline la femme
Pour des lèvres que l’air du vierge azur affame ?
il y a 9 mois
S
Susy Desrosiers
@susyDesrosiers
Indicible Colombes et papillons
se sont envolés
paysages
plaines et rivières
que tu égares
au fond de ta poche
comme seuls bagages
tes origines
une peluche
des comptines d’enfant
derrière toi
ta mère
ton père
sang et cendres
te hantent
le cri des sirènes
les flammes
l’éphémère
tes petits pas
pèsent lourd
déjà trop de corbeaux
sur tes jeunes épaules
au bout de ton horizon
une terre une langue
inconnues
tu te perds
dans de nouveaux visages
des mains
se tendent vers toi
de nouvelles racines
poussent sous tes pieds
il y a 9 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Aube rétrécie Je ne voulais pas fragmenter ton soupir
Je l’ai fait
Je fais tout ce que je veux
Insouciante dans ma jeunesse
Etourdie par une déferlante de pensées
divinatoires jubilatoires rafraîchissantes
Conquête d’un absolu ricanant derrière le soleil
de cette aurore de l’esprit
Les palmiers sont encore là aujourd’hui
Tu n’es que passé dans ma vie
Tu es le passé
Moi je suis le présent
Je suis l’aube
rétrécie
il y a 9 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Nativité Recroquevillé au fond de l’utérus
Il appréhendait le monde
Le petit cœur tambourinait
au rythme endiablé des printemps qui l’attendaient
Il n’a pas eu peur,
petit bébé,
l’amour le désirait
Il a laissé la musique construire son âme
Il a laissé les bruits
les pas
les voix
le façonner
Il est sorti en guerrier
Sourire aux lèvres
il y a 9 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
À maman Je suis là, maman
cachée au fond de tes entrailles
mes cellules vibrent
ton cœur bat fort
je sens la chaleur de ta voix
elle me caresse déjà
Tu es la magie du monde
Je ne suis pas encore
pourtant je t’aime déjà
Je suis un cerf volant
emmailloté dans tes bras
Le cerf volant du Paradis
sans âge
Les cloches sonnent
Je suis là, maman
j’arrive
un bouquet parfumé dans mes pensées
Sybille Rembard, Beauté fractionnée, 2002
il y a 9 mois
T
Thibault Desbordes
@thibaultDesbordes
Les pierres saillantes (IV) « Et souviens-toi ; le monde est à toi, le monde est à nous ! »
— Seb, un alcoolique de Charleville-Mézières, 2 juillet 2016
J’étais parti
libre et sauvage, vers un pays
Qui me semble être un mirage, aujourd’hui
Mais non non
Je n’avais pas peur
Sous le ciel entre les routes
J’y avais fait ma pénitence
D’adolescent bourgeois
Encore lycéen
Je m’étais trouvé, là
En n’étant rien
Mais non non
Je n’avais pas peur
Et je sentais glisser les heures
Rouler les pierres des sentiers
Qui n’existent pas que sur les poèmes
Vous saviez ?
J’étais tout seul
J’étais là-bas
J’étais parti sans fil
À dix-sept ans
Loin de chez moi
Mais non non
Je n’avais pas peur
Parce que j’avais au cœur
De n’être né de rien
Dans l’ouest embourgeoisé
Hypocrite et chrétien
J’avais au cœur d’avoir
Tout renversé :
Ma pépite, ma faillite et mon blé
J’avais au cœur Rimbaud
Entre Charleville et Givet
Sans retour ni papiers
Et criais dans le mois de juillet
Que c’était saoul
Que d’être libre
Oui je criais
Dans l’air qui vibre
Si différent de cette fille
Jeune fille de mon âge
Ou plutôt à côté
Qui promenait son chien sur la Meuse
Qui m’a regardé
Encore à côté
Obtuse, effrayée
Mais non non
Je n’avais pas peur
il y a 9 mois
T
Thomas Chaline
@thomasChaline
Tes rêves et ton berceau Tu grandis si vite
Et t’éloignes en silence
Autour de toi gravite
Cette liberté immense
Tu abandonnes tes repères
Tes rêves et ton berceau
Et tout ce que tu digères
Devient de longs sanglots
Tu grandis si vite
Et pleures en silence
Autour de toi s’évite
La prison « insolence »
Tu abandonnes les cimes
De ton berceau de lumière
Et tout ce que tu dessines
A une coloration délétère
il y a 9 mois
Théodore Agrippa d'Aubigné
@theodoreAgrippaDaubigne
Prière du matin Le Soleil couronné de rayons et de flammes
Redore nostre aube à son tour :
Ô sainct Soleil des Saincts, Soleil du sainct amour,
Perce de flesches d’or les tenebres des ames
En y rallumant le beau jour.
Le Soleil radieux jamais ne se courrouce,
Quelque fois il cache ses yeux :
C’est quand la terre exhalle en amas odieux
Un voile de vapeurs qu’au devant elle pousse,
En se troublant, et non les Cieux.
Jesus est toujours clair, mais lors son beau visage
Nous cache ses rayons si doux,
Quand nos pechez fumans entre le Ciel et nous,
De vices redoublez enlevent un nuage
Qui noircit le Ciel de courroux.
Enfin ce noir rempart se dissout et s’esgare
Par la force du grand flambeau.
Fuyez, pechez, fuyez : le Soleil clair et beau
Vostre amas vicieux et dissipe et separe,
Pour nous oster nostre bandeau.
Nous ressusciterons des sepulchres funebres,
Comme le jour de la nuict sort
Si la premiere mort de la vie est le port,
Le beau jour est la fin des espaisses tenebres,
Et la vie est fin de la mort.
il y a 9 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
La fontaine de jouvence Il est une fontaine heureuse, dont l’eau tombe
Dans un bassin plus blanc qu’une aile de colombe ;
Cette eau limpide, avec de clairs rayonnements,
Sur les dauphins de marbre éclate en diamants.
Elle rend aux vieillards la jeunesse et la force.
Mille jeunes Cypris, fières de leur beau torse,
Sur l’azur de ses flots qui ne sont point amers
Lèvent un pied plus blanc que la perle des mers.
Celles qui n’aimaient plus les tourterelles blanches,
Et ne tressaillaient pas dans le mois des pervenches,
Ceux que laissaient glacés la Lyre et le bon vin,
Sortent joyeux et beaux de ce Léthé divin ;
Non beaux comme autrefois d’une beauté sévère,
Mais semblables aux Dieux qui boivent à plein verre
Le feu que le Titan pour nous a dérobé,
Et qui puisent le vin dans la coupe d’Hébé.
La Naïde aux yeux bleus, qui pleure goutte à goutte,
Noie au fond de leur cœur la tristesse et le doute,
Et, tournant leur esprit vers les biens éternels,
Leur montre l’Idéal dans les plaisirs charnels.
Voyez-les, souriants, fiers de leur belle taille,
Dans ces riches habits de fête et de bataille
Qui relèvent la mine, et qu’aux siècles anciens
Peignaient avec amour les grands Vénitiens.
Les couples sont épars : de jeunes femmes rousses
Dont les yeux rallumés sont pleins de clartés douces,
Avec leurs amoureux assis sur le gazon
Effeuillent les bouquets de leur jeune saison.
L’une parle à mi-voix, et, comme en un méandre,
Erre par les sentiers de la carte du Tendre ;
Celle-là, fière enfin de vivre et de se voir,
Tantôt joue, et ternit l’acier de son miroir.
Tandis qu’à ses genoux son compagnon étale,
Jeune et fort comme un dieu, la grâce orientale,
Une verse du vin dans le verre incrusté
D’un jeune cavalier debout à son côté.
Plus loin, deux rajeunis, sur la mousse des plaines,
Mêlent dans un baiser les fleurs de leurs haleines ;
Et, seins nus, une vierge en fleur, sans embarras,
Tord ses cheveux luisants qui pleurent sur ses bras.
Dans l’humide vapeur de sa métamorphose,
Blanche encore à demi comme une jeune rose,
Une autre naît au monde, et ses beaux yeux voilés
Argentent l’eau d’azur de rayons étoilés.
Dans les vagues lointains l’une l’autre s’enchantent,
Agitant leurs tambours dont les clochettes chantent,
De galantes beautés, honneur de ces pourpris,
Qui teignent l’air limpide à leur rose souris.
Et tous ces nouveau-nés de qui l’âme ravie
Connaît le prix des biens qui font aimer la vie,
Sans trouble et sans froideur cèdent à leurs désirs,
Et vident lentement la coupe des plaisirs.
O doux cygnes chanteurs, vous que la Poésie
Retrempe incessamment dans son onde choisie,
Amis, soyons pareils à ces beaux jeunes gens :
Créons autour de nous des cieux intelligents.
Cherchons au fond du vin les sciences rebelles,
Et l’amour idéal sur les lèvres des belles,
Et dans leurs bras, qu’anime une calme fierté,
Rêvons la Jouissance et l’Immortalité.
Mai 1844.
il y a 9 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
Lorsque ma soeur et moi Lorsque ma soeur et moi, dans les forêts profondes,
Nous avions déchiré nos pieds sur les cailloux,
En nous baisant au front tu nous appelais fous,
Après avoir maudit nos courses vagabondes.
Puis, comme un vent d’été confond les fraîches ondes
De deux petits ruisseaux sur un lit calme et doux,
Lorsque tu nous tenais tous deux sur tes genoux,
Tu mêlais en riant nos chevelures blondes.
Et pendant bien longtemps nous restions là blottis,
Heureux, et tu disais parfois : Ô chers petits.
Un jour vous serez grands, et moi je serai vieille !
Les jours se sont enfuis, d’un vol mystérieux,
Mais toujours la jeunesse éclatante et vermeille
Fleurit dans ton sourire et brille dans tes yeux.
il y a 9 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Les joujoux de la morte La petite Marie est morte,
Et son cercueil est si peu long
Qu’il tient sous le bras qui l’emporte
Comme un étui de violon.
Sur le tapis et sur la table
Traîne l’héritage enfantin.
Les bras ballants, l’air lamentable,
Tout affaissé, gît le pantin.
Et si la poupée est plus ferme,
C’est la faute de son bâton ;
Dans son oeil une larme germe,
Un soupir gonfle son carton.
Une dînette abandonnée
Mêle ses plats de bois verni
A la troupe désarçonnée
Des écuyers de Franconi.
La boîte à musique est muette ;
Mais, quand on pousse le ressort
Où se posait sa main fluette,
Un murmure plaintif en sort.
L’émotion chevrote et tremble
Dans : Ah ! vous dirai-je maman !
Le Quadrille des Lanciers semble
Triste comme un enterrement,
Et des pleurs vous mouillent la joue
Quand la Donna è mobile,
Sur le rouleau qui tourne et joue,
Expire avec un son filé.
Le coeur se navre à ce mélange
Puérilement douloureux,
Joujoux d’enfant laissés par l’ange,
Berceau que la tombe a fait creux !
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Après l’hiver N’attendez pas de moi que je vais vous donner
Des raisons contre Dieu que je vois rayonner ;
La nuit meurt, l’hiver fuit ; maintenant la lumière,
Dans les champs, dans les bois, est partout la première.
Je suis par le printemps vaguement attendri.
Avril est un enfant, frêle, charmant, fleuri ;
Je sens devant l’enfance et devant le zéphyre
Je ne sais quel besoin de pleurer et de rire ;
Mai complète ma joie et s’ajoute à mes pleurs.
Jeanne, George, accourez, puisque voilà des fleurs.
Accourez, la forêt chante, l’azur se dore,
Vous n’avez pas le droit d’être absents de l’aurore.
Je suis un vieux songeur et j’ai besoin de vous,
Venez, je veux aimer, être juste, être doux,
Croire, remercier confusément les choses,
Vivre sans reprocher les épines aux roses,
Être enfin un bonhomme acceptant le bon Dieu.
Ô printemps ! bois sacrés ! ciel profondément bleu !
On sent un souffle d’air vivant qui vous pénètre,
Et l’ouverture au loin d’une blanche fenêtre ;
On mêle sa pensée au clair-obscur des eaux ;
On a le doux bonheur d’être avec les oiseaux
Et de voir, sous l’abri des branches printanières,
Ces messieurs faire avec ces dames des manières.
26 juin 1878
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Elle avait pris ce pli Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin
De venir dans ma chambre un peu chaque matin ;
Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère ;
Elle entrait, et disait : Bonjour, mon petit père ;
Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait
Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait,
Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe.
Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse,
Mon oeuvre interrompue, et, tout en écrivant,
Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent
Quelque arabesque folle et qu'elle avait tracée,
Et mainte page blanche entre ses mains froissée
Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers.
Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts,
Et c'était un esprit avant d'être une femme.
Son regard reflétait la clarté de son âme.
Elle me consultait sur tout à tous moments.
Oh ! que de soirs d'hiver radieux et charmants
Passés à raisonner langue, histoire et grammaire,
Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère
Tout près, quelques amis causant au coin du feu !
J'appelais cette vie être content de peu !
Et dire qu'elle est morte ! Hélas ! que Dieu m'assiste !
Je n'étais jamais gai quand je la sentais triste ;
J'étais morne au milieu du bal le plus joyeux
Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Jeanne était au pain sec Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,
Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture,
Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture
Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,
Repose le salut de la société,
S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce :
– Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;
Je ne me ferai plus griffer par le minet.
Mais on s'est récrié : – Cette enfant vous connaît ;
Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.
Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.
Pas de gouvernement possible. À chaque instant
L'ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ;
Plus de règle. L'enfant n'a plus rien qui l'arrête.
Vous démolissez tout. – Et j'ai baissé la tête,
Et j'ai dit : – Je n'ai rien à répondre à cela,
J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-là
Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte.
Qu'on me mette au pain sec. – Vous le méritez, certe,
On vous y mettra. – Jeanne alors, dans son coin noir,
M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
Pleins de l'autorité des douces créatures :
– Eh bien, moi, je t'irai porter des confitures.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
L'enfance L'enfant chantait ; la mère au lit exténuée,
Agonisait, beau front dans l'ombre se penchant ;
La mort au-dessus d'elle errait dans la nuée ;
Et j'écoutais ce râle, et j'entendais ce chant.
L'enfant avait cinq ans, et, près de la fenêtre,
Ses rires et ses jeux faisaient un charmant bruit ;
Et la mère, à côté de ce pauvre doux être
Qui chantait tout le jour, toussait toute la nuit.
La mère alla dormir sous les dalles du cloître ;
Et le petit enfant se remit à chanter... —
La douleur est un fruit : Dieu ne le fait pas croître
Sur la branche trop faible encor pour le porter.
Paris, janvier 1835.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
L'enfant Quand l'enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder ;
Quand il pleure, j'entends le tonnerre gronder,
Car penser c'est entendre, et le visionnaire
Est souvent averti par un vague tonnerre.
Quand ce petit être, humble et pliant les genoux,
Attache doucement sa prunelle sur nous,
Je ne sais pas pourquoi je tremble ; quand cette âme,
Qui n'est pas homme encore et n'est pas encor femme,
En qui rien ne s'admire et rien ne se repent,
Sans sexe, sans passé derrière elle rampant,
Verse, à travers les cils de sa rose paupière,
Sa clarté, dans laquelle on sent de la prière,
Sur nous les combattants, les vaincus, les vainqueurs ;
Quand cet arrivant semble interroger nos coeurs,
Quand cet ignorant, plein d'un jour que rien n'efface,
A l'air de regarder notre science en face,
Et jette, dans cette ombre où passe Adam banni,
On ne sait quel rayon de rêve et d'infini,
Ses blonds cheveux lui font au front une auréole.
Comme on sent qu'il était hier l'esprit qui vole !
Comme on sent manquer l'aile à ce petit pied blanc !
Oh ! comme c'est débile et frêle et chancelant
Comme on devine, aux cris de cette bouche, un songe
De paradis qui jusqu'en enfer se prolonge
Et que le doux enfant ne veut pas voir finir !
L'homme, ayant un passé, craint pour cet avenir.
Que la vie apparaît fatale ! Comme on pense
A tant de peine avec si peu de récompense !
Oh ! comme on s'attendrit sur ce nouveau venu !
Lui cependant, qu'est-il, ô vivants ? l'inconnu.
Qu'a-t-il en lui ? l'énigme. Et que porte-t-il ? l'âme.
Il vit à peine ; il est si chétif qu'il réclame
Du brin d'herbe ondoyant aux vents un point d'appui.
Parfois, lorsqu'il se tait, on le croit presque enfui,
Car on a peur que tout ici-bas ne le blesse.
Lui, que fait-il ? Il rit. Fait d'ombre et de faiblesse
Et de tout ce qui tremble, il ne craint rien. Il est
Parmi nous le seul être encor vierge et complet ;
L'ange devient enfant lorsqu'il se rapetisse.
Si toute pureté contient toute justice,
On ne rencontre plus l'enfant sans quelque effroi ;
On sent qu'on est devant un plus juste que soi ;
C'est l'atome, le nain souriant, le pygmée ;
Et, quand il passe, honneur, gloire, éclat, renommée,
Méditent ; on se dit tout bas : Si je priais ?
On rêve ; et les plus grands sont les plus inquiets ;
Sa haute exception dans notre obscure sphère,
C'est que, n'ayant rien fait, lui seul n'a pu mal faire ;
Le monde est un mystère inondé de clarté,
L'enfant est sous l'énigme adorable abrité ;
Toutes les vérités couronnent condensées
Ce doux front qui n'a pas encore de pensées ;
On comprend que l'enfant, ange de nos douleurs,
Si petit ici-bas, doit être grand ailleurs.
Il se traîne, il trébuche ; il n'a dans l'attitude,
Dans la voix, dans le geste aucune certitude ;
Un souffle à qui la fleur résiste fait ployer
Cet être à qui fait peur le grillon du foyer ;
L'oeil hésite pendant que la lèvre bégaie ;
Dans ce naïf regard que l'ignorance égaie,
L'étonnement avec la grâce se confond,
Et l'immense lueur étoilée est au fond.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
L'enfant, voyant l'aïeule L'enfant, voyant l'aïeule à filer occupée,
Veut faire une quenouille à sa grande poupée.
L'aïeule s'assoupit un peu ; c'est le moment.
L'enfant vient par derrière et tire doucement
Un brin de la quenouille où le fuseau tournoie,
Puis s'enfuit triomphante, emportant avec joie
La belle laine d'or que le safran jaunit,
Autant qu'en pourrait prendre un oiseau pour son nid.
Cauteretz, août 1843.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
La cicatrice Une croûte assez laide est sur la cicatrice.
Jeanne l’arrache, et saigne, et c’est là son caprice ;
Elle arrive, montrant son doigt presque en lambeau.
— J’ai, me dit-elle, ôté la peau de mon bobo. —
Je la gronde, elle pleure, et, la voyant en larmes,
Je deviens plat. — Faisons la paix, je rends les armes,
Jeanne, à condition que tu me souriras. —
Alors la douce enfant s’est jetée en mes bras,
Et m’a dit, de son air indulgent et suprême :
— Je ne me ferai plus de mal, puisque je t’aime. —
Et nous voilà contents, en ce tendre abandon,
Elle de ma clémence et moi de son pardon.
7 juillet 1875.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Les griffonnages de l’écolier Charle a fait des dessins sur son livre de classe.
Le thème est fatigant au point, qu’étant très lasse,
La plume de l’enfant n’a pu se reposer
Qu’en faisant ce travail énorme : improviser
Dans un livre, partout, en haut, en bas, des fresques,
Comme on en voit aux murs des alhambras moresques,
Des taches d’encre, ayant des aspects d’animaux,
Qui dévorent la phrase et qui rongent les mots,
Et, le texte mangé, viennent mordre les marges.
Le nez du maître flotte au milieu de ces charges.
Troublant le clair-obscur du vieux latin toscan,
Dans la grande satire où Rome est au carcan,
Sur César, sur Brutus, sur les hautes mémoires,
Charle a tranquillement dispersé ses grimoires.
Ce chevreau, le caprice, a grimpé sur les vers.
Le livre, c’est l’endroit ; l’écolier, c’est l’envers.
Sa gaîté s’est mêlée, espiègle, aux stigmates
Du vengeur qui voulait s’enfuir chez les Sarmates.
Les barbouillages sont étranges, profonds, drus.
Les monstres ! Les voilà perchés, l’un sur Codrus,
L’autre sur Néron. L’autre égratigne un dactyle.
Un pâté fait son nid dans les branches du style.
Un âne, qui ressemble à monsieur Nisard, brait,
Et s’achève en hibou, dans l’obscure forêt ;
L’encrier sur lui coule, et, la tête inondée
De cette pluie, il tient dans sa patte un spondée.
Partout la main du rêve a tracé le dessin ;
Et c’est ainsi qu’au gré de l’écolier, l’essaim
Des griffonnages, horde hostile aux belles-lettres,
S’est envolé parmi les sombres hexamètres.
Jeu ! songe ! on ne sait quoi d’enfantin, s’enlaçant
Au poème, lui donne un ineffable accent,
Commente le chef-d’œuvre, et l’on sent l’harmonie
D’une naïveté complétant un génie.
C’est un géant ayant sur l’épaule un marmot.
Charle invente une fleur qu’il fait sortir d’un mot,
Ou lâche un farfadet ailé dans la broussaille
Du rythme effarouché qui s’écarte et tressaille.
Un rond couvre une page. Est-ce un dôme ? est-ce un œuf ?
Une belette en sort qui peut-être est un bœuf.
Le gribouillage règne, et sur chaque vers, pose
Les végétations de la métamorphose.
Charle a sur ce latin fait pousser un hallier.
Grâce à lui, ce vieux texte est un lieu singulier
Où le hasard, l’ennui, le lazzi, la rature,
Dressent au second plan leur vague architecture.
Son encre a fait la nuit sur le livre étoilé.
Et pourtant, par instants, ce noir réseau brouillé,
À travers ses rameaux, ses porches, ses pilastres,
Laisse passer l’idée et laisse voir les astres.
C’est de cette façon que Charle a travaillé
Au dur chef-d’œuvre antique, et qu’au bronze rouillé
Il a plaqué le lierre, et dérangé la masse
Du masque énorme avec une folle grimace.
Il s’est bien amusé. Quel bonheur d’écolier !
Traiter un fier génie en monstre familier !
Être avec ce lion comme avec un caniche !
Aux pédants, groupe triste et laid, faire une niche !
Rendre agréable aux yeux, réjouissant, malin,
Un livre estampillé par monsieur Delalain !
Gai, bondir à pieds joints par-dessus un poème !
Charle est très satisfait de son œuvre, et lui-même,
— L’oiseau voit le miroir et ne voit pas la glu —
Il s’admire.
Un guetteur survient, homme absolu.
Dans son œil terne luit le pensum insalubre ;
Sa lèvre aux coins baissés porte en son pli lugubre
Le rudiment, la loi, le refus des congés,
Et l’auguste fureur des textes outragés.
L’enfance veut des fleurs ; on lui donne la roche.
Hélas ! c’est le censeur du collège. Il approche,
Jette au livre un regard funeste, et dit, hautain :
— Fort bien. Vous copierez mille vers ce matin
Pour manque de respect à vos livres d’étude. —
Et ce geôlier s’en va, laissant là ce Latude.
Or c’est précisément la récréation.
Être à neuf ans Tantale, Encelade, Ixion !
Voir autrui jouer ! Être un banni, qu’on excepte !
Tourner du châtiment la manivelle inepte !
Soupirer sous l’ennui, devant les cieux ouverts,
Et sous cette montagne affreuse, mille vers !
Charles sanglote, et dit : — Ne pas jouer aux barres !
Copier du latin ! Je suis chez les barbares. —
C’est midi ; le moment où sur l’herbe on s’assied,
L’heure sainte où l’on doit sauter à cloche-pied ;
L’air est chaud, les taillis sont verts, et la fauvette
S’y débarbouille, ayant la source pour cuvette ;
La cigale est là-bas qui chante dans le blé.
L’enfant a droit aux champs. Charles songe accablé
Devant le livre, hélas, tout noirci par ses crimes.
Il croit confusément ouïr gronder les rimes
D’un Boileau, qui s’entrouvre et bâille à ses côtés ;
Tous ces bouquins lui font l’effet d’être irrités.
Aucun remords pourtant. Il a la tête haute.
Ne sentant pas de honte, il ne voit pas de faute.
— Suis-je donc en prison ? Suis-je donc le vassal
De Noël, lâchement aggravé par Chapsal ?
Qu’est-ce donc que j’ai fait ? — Triste, il voit passer l’heure
De la joie. Il est seul. Tout l’abandonne. Il pleure.
Il regarde, éperdu, sa feuille de papier.
Mille vers ! Copier ! Copier ! Copier !
Copier ! Ô pédant, c’est là ce que tu tires
Du bois où l’on entend la flûte des satyres,
Tyran dont le sourcil, sitôt qu’on te répond,
Se fronce comme l’onde aux arches d’un vieux pont !
L’enfance a dès longtemps inventé dans sa rage
La charrue à trois socs pour ce dur labourage.
— Allons ! dit-il, trichons les pions déloyaux ! —
Et, farouche, il saisit sa plume à trois tuyaux.
Soudain du livre immense une ombre, une âme, un homme
Sort, et dit : — Ne crains rien, mon enfant. Je me nomme
Juvénal. Je suis bon. Je ne fais peur qu’aux grands. —
Charles lève ses yeux pleins de pleurs transparents,
Et dit : — Je n’ai pas peur. — L’homme, pareil aux marbres,
Reprend, tandis qu’au loin on entend sous les arbres
Jouer les écoliers, gais et de bonne foi :
— Enfant, je fus jadis exilé comme toi,
Pour avoir comme toi barbouillé des figures.
Comme toi les pédants, j’ai fâché les augures.
Élève de Jauffret que jalouse Massin,
Voyons ton livre. — Il dit, et regarde un dessin
Qui n’a pas trop de queue et pas beaucoup de tête.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? — Monsieur, c’est une bête.
— Ah ! tu mets dans mes vers des bêtes ! Après tout
Pourquoi pas ? puisque Dieu, qui dans l’ombre est debout,
En met dans les grands bois et dans les mers sacrées.
Il tourne une autre page, et se penche : — Tu crées.
Qu’est ceci ? Ca m’a l’air fort beau, quoique tortu.
— Monsieur, c’est un bonhomme. — Un bonhomme, dis-tu ?
Eh bien, il en manquait justement un. Mon livre
Est rempli de méchants. Voir un bonhomme vivre
Parmi tous ces gens-là me plaît. Césars bouffis,
Rangez-vous ! ce bonhomme est dieu. Merci, mon fils. —
Et, d’un doigt souverain, le voilà qui feuillette
Nisard, l’âne, le nez du maître, la belette
Qui peut-être est un bœuf, les dragons, les griffons,
Les pâtés d’encre ailés, mêlés aux vers profonds,
Toute cette gaîté sur son courroux éparse,
Et Juvénal s’écrie ébloui : — C’est très farce !
Ainsi, la grande sœur et la petite sœur,
Ces deux âmes, sont là, jasant ; et le censeur,
Obscur comme minuit et froid comme décembre,
Serait bien étonné, s’il entrait dans la chambre,
De voir sous le plafond du collège étouffant,
Le vieux poète rire avec le doux enfant.
12 septembre.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Lise J’avais douze ans ; elle en avait bien seize.
Elle était grande, et, moi, j’étais petit.
Pour lui parler le soir plus à mon aise,
Moi, j’attendais que sa mère sortît ;
Puis je venais m’asseoir près de sa chaise
Pour lui parler le soir plus à mon aise.
Que de printemps passés avec leurs fleurs !
Que de feux morts, et que de tombes closes !
Se souvient-on qu’il fut jadis des coeurs ?
Se souvient-on qu’il fut jadis des roses ?
Elle m’aimait. Je l’aimais. Nous étions
Deux purs enfants, deux parfums, deux rayons.
Dieu l’avait faite ange, fée et princesse.
Comme elle était bien plus grande que moi,
Je lui faisais des questions sans cesse
Pour le plaisir de lui dire : Pourquoi ?
Et par moments elle évitait, craintive,
Mon oeil rêveur qui la rendait pensive.
Puis j’étalais mon savoir enfantin,
Mes jeux, la balle et la toupie agile ;
J’étais tout fier d’apprendre le latin ;
Je lui montrais mon Phèdre et mon Virgile ;
Je bravais tout; rien ne me faisait mal ;
Je lui disais : Mon père est général.
Quoiqu’on soit femme, il faut parfois qu’on lise
Dans le latin, qu’on épelle en rêvant ;
Pour lui traduire un verset, à l’église,
Je me penchais sur son livre souvent.
Un ange ouvrait sur nous son aile blanche,
Quand nous étions à vêpres le dimanche.
Elle disait de moi : C’est un enfant !
Je l’appelais mademoiselle Lise.
Pour lui traduire un psaume, bien souvent,
Je me penchais sur son livre à l’église ;
Si bien qu’un jour, vous le vîtes, mon Dieu !
Sa joue en fleur toucha ma lèvre en feu.
Jeunes amours, si vite épanouies,
Vous êtes l’aube et le matin du coeur.
Charmez l’enfant, extases inouïes !
Et quand le soir vient avec la douleur,
Charmez encor nos âmes éblouies,
Jeunes amours, si vite épanouies !
Mai 1843
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Lorsque l'enfant paraît Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille
Applaudit à grands cris.
Son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,
Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,
Innocent et joyeux.
Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre
Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la chambre
Les chaises se toucher,
Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
On rit, on se récrie, on l'appelle, et sa mère
Tremble à le voir marcher.
Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
De patrie et de Dieu, des poètes, de l'âme
Qui s'élève en priant ;
L'enfant paraît, adieu le ciel et la patrie
Et les poètes saints ! la grave causerie
S'arrête en souriant.
La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rêve, à l'heure
Où l'on entend gémir, comme une voix qui pleure,
L'onde entre les roseaux,
Si l'aube tout à coup là-bas luit comme un phare,
Sa clarté dans les champs éveille une fanfare
De cloches et d'oiseaux.
Enfant, vous êtes l'aube et mon âme est la plaine
Qui des plus douces fleurs embaume son haleine
Quand vous la respirez ;
Mon âme est la forêt dont les sombres ramures
S'emplissent pour vous seul de suaves murmures
Et de rayons dorés !
Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies,
Car vos petites mains, joyeuses et bénies,
N'ont point mal fait encor ;
Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange,
Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds ! bel ange
À l'auréole d'or !
Vous êtes parmi nous la colombe de l'arche.
Vos pieds tendres et purs n'ont point l'âge où l'on marche.
Vos ailes sont d'azur.
Sans le comprendre encor vous regardez le monde.
Double virginité ! corps où rien n'est immonde,
Âme où rien n'est impur !
Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés,
Laissant errer sa vue étonnée et ravie,
Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers !
Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j'aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur ! l'été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants !
Mai 1830