Bacchus Viens, ô divin Bacchus, ô jeune Thyonée,
Ô Dionyse, Évan, Iacchus et Lénée ;
Viens, tel que tu parus aux déserts de Naxos,
Quand ta voix rassurait la fille de Minos.
Le superbe éléphant, en proie à ta victoire,
Avait de ses débris formé ton char d’ivoire.
De pampres, de raisins mollement enchaîné,
Le tigre aux lares flancs de taches sillonné,
Et le lynx étoilé, la panthère sauvage,
Promenaient avec toi ta cour sur ce rivage.
L’or reluisait partout aux axes de tes chars.
Les Ménades couraient en longs cheveux épars
Et chantaient Évius, Bacchus et Thyonée,
Et Dionyse, Évan, Iacchus et Lénée,
Et tout ce que pour toi la Grèce eut de beaux noms.
Et la voix des rochers répétait leurs chansons ;
Et le rauque tambour, les sonores cymbales,
Les hautbois tortueux, et les doubles crotales
Qu’agitaient en dansant sur ton bruyant chemin
Le faune, le satyre et le jeune sylvain,
Au hasard attroupés autour du vieux Silène,
Qui, sa coupe à la main, de la rive indienne,
Toujours ivre, toujours débile, chancelant,
Pas à pas cheminait sur son âne indolent.
(inachevé)
il y a 8 mois
Arthur Rimbaud
@arthurRimbaud
Larme Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises,
Je buvais, accroupi dans quelque bruyère
Entourée de tendres bois de noisetiers,
Par un brouillard d’après-midi tiède et vert.
Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise,
Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert.
Que tirais-je à la gourde de colocase ?
Quelque liqueur d’or, fade et qui fait suer.
Tel, j’eusse été mauvaise enseigne d’auberge.
Puis l’orage changea le ciel, jusqu’au soir.
Ce furent des pays noirs, des lacs, des perches,
Des colonnades sous la nuit bleue, des gares.
L’eau des bois se perdait sur des sables vierges,
Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares…
Or ! tel qu’un pêcheur d’or ou de coquillages,
Dire que je n’ai pas eu souci de boire !
Mai 1872
il y a 8 mois
Auguste Barbier
@augusteBarbier
Le gin Sombre génie, ô dieu de la misère !
Fils du genièvre et frère de la bière,
Bacchus du Nord, obscur empoisonneur,
Écoute, ô Gin, un hymne en ton honneur.
Écoute un chant des plus invraisemblables,
Un chant formé de notes lamentables
Qu’en ses ébats un démon de l’enfer
Laissa tomber de son gosier de fer.
C’est un écho du vieil hymne de fête
Qu’au temps jadis à travers la tempête
On entendait au rivage normand,
Lorsque coulait l’hydromel écumant ;
Une clameur sombre et plus rude encore
Que le hourra dont le peuple Centaure,
Dans les transports de l’ivresse, autrefois
Épouvantait le fond de ses grands bois.
Dieu des cités ! à toi la vie humaine
Dans le repos et dans les jours de peine,
À toi les ports, les squares et les ponts.
Les noirs faubourgs et leurs détours profonds,
Le sol entier sous son manteau de brume !
Dans tes palais quand le nectar écume
Et brille aux yeux du peuple contristé,
Le Christ lui-même est un dieu moins fêté
Que tu ne l’es : — car pour toi tout se damne,
L’enfance rose et se sèche et se fane ;
Les frais vieillards souillent leurs cheveux blancs,
Les matelots désertent les haubans,
Et par le froid, le brouillard et la bise,
La femme vend jusques à sa chemise.
Du gin, du gin ! — à plein verre, garçon !
Dans ses flots d’or, cette rude boisson
Roule le ciel et l’oubli de soi-même ;
C’est le soleil, la volupté suprême,
Le paradis emporté d’un seul coup ;
C’est le néant pour le malheureux fou.
Fi du porto, du sherry, du madère,
De tous les vins qu’à la vieille Angleterre
L’Europe fait avaler à grands frais,
Ils sont trop chers pour nos obscurs palais ;
Et puis le vin près du gin est bien fade ;
Le vin n’est bon qu’à chauffer un malade,
Un corps débile, un timide cerveau ;
Auprès du gin le vin n’est que de l’eau :
À d’autres donc les bruyantes batailles
Et le tumulte à l’entour des futailles,
Les sauts joyeux, les rires étouffants,
Les cris d’amour et tous les jeux d’enfants !
Nous, pour le gin, ah ! nous avons des âmes
Sans feu d’amour et sans désirs de femmes ;
Pour le saisir et lutter avec lui,
Il faut un corps que le mal ait durci.
Vive le gin ! au fond de la taverne,
Sombre hôtelière, à l’œil hagard et terne,
Démence, viens nous décrocher les pots,
Et toi, la Mort, verse-nous à grands flots.
Hélas ! la Mort est bientôt à l’ouvrage,
Et pour répondre à la clameur sauvage,
Son maigre bras frappe comme un taureau
Le peuple anglais au sortir du caveau.
Jamais typhus, jamais peste sur terre
Plus promptement n’abattit la misère ;
Jamais la fièvre, aux bonds durs et changeants,
Ne rongea mieux la chair des pauvres gens :
La peau devient jaune comme la pierre,
L’œil sans rayons s’enfuit sous la paupière,
Le front prend l’air de la stupidité,
Et les pieds seuls marchent comme en santé.
Pourtant, au coin de la première rue,
Comme un cheval qu’un boulet frappe et tue,
Le corps s’abat, et sans pousser un cri,
Roulant en bloc sur le pavé, meurtri,
Il reste là dans son terrible rêve,
Jusqu’au moment où le trépas l’achève.
Alors on voit passer sur bien des corps
Des chariots, des chevaux aux pieds forts ;
Au tronc d’un arbre, au trou d’une crevasse
L’un tristement accroche sa carcasse ;
L’autre en passant l’onde du haut d’un pont
Plonge d’un saut dans le gouffre profond.
Partout le gin et chancelle et s’abîme,
Partout la mort emporte une victime ;
Les mères même, en rentrant pas à pas,
Laissent tomber les enfants de leurs bras,
Et les enfants, aux yeux des folles mères,
Vont se briser la tête sur les pierres.
il y a 8 mois
Cesare Pavese
@cesarePavese
Indiscipline L’ivrogne laisse derrière lui les maisons stupéfaites.
C’est que n’importe qui ne se hasarde pas à se promener ivre
en plein jour, au soleil. Il traverse la rue calmement,
et pourrait s’enfiler dans les murs, car il y en a des murs.
Seuls les chiens se promènent ainsi mais un chien s’arrête
quand il sent une chienne et il la flaire avec soin.
L’ivrogne ne regarde personne, et même pas les femmes.
Dans la rue, suffoqués de le voir, les gens ne rient pas
et voudraient qu’il n’y ait pas eu d’ivrogne, mais tous ceux
qui trébuchent en le suivant des yeux, regardent à nouveau
devant eux en jurant. Quand l’ivrogne est passé,
la rue tout entière se meut plus lentement
dans la lumière du soleil. Un homme qui repart
aussi pressé qu’avant, ne pourra jamais être l’ivrogne.
Les autres regardent, sans les distinguer, les maisons et le ciel
qui sont toujours là, même si personne ne les voit.
L’ivrogne ne voit ni le ciel ni les maisons mais il les connaît
car d’un pas chancelant il parcourt un espace
aussi net que les franges de ciel. Embarrassés, les gens
se demandent à quoi servent les maisons,
et les femmes s’arrêtent de regarder les hommes.
Tous ont peur, dirait-on, que soudain la voix rauque
éclate en un chant et les suive dans l’air.
Chaque maison a sa porte mais il est inutile d’y entrer.
L’ivrogne ne chante pas, mais il suit un chemin
où il n’y a pas d’autre obstacle que l’air. Heureusement
qu’au-delà il n’y a pas la mer, car l’ivrogne
en marchant calmement, entrerait également dans la mer
et, une fois disparu, il suivrait sur le fond toujours la même route.
Et dehors la lumière serait toujours la même.
il y a 8 mois
Charles Baudelaire
@charlesBaudelaire
L'âme du vin Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles :
" Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !
Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l'âme ;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,
Car j'éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d'un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.
Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l'espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content ;
J'allumerai les yeux de ta femme ravie ;
A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L'huile qui raffermit les muscles des lutteurs.
En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l'éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! "
il y a 8 mois
Charles Baudelaire
@charlesBaudelaire
Le poison Le vin sait revêtir le plus sordide bouge
D’un luxe miraculeux,
Et fait surgir plus d’un portique fabuleux
Dans l’or de sa vapeur rouge,
Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.
L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes,
Allonge l’illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté,
Et de plaisirs noirs et mornes
Remplit l’âme au delà de sa capacité.
Tout cela ne vaut pas le poison qui découle
De tes yeux, de tes yeux verts,
Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers…
Mes songes viennent en foule
Pour se désaltérer à ces gouffres amers.
Tout cela ne vaut pas le terrible prodige
De ta salive qui mord,
Qui plonge dans l’oubli mon âme sans remord,
Et, charriant le vertige,
La roule défaillante aux rives de la mort !
il y a 8 mois
Charles Baudelaire
@charlesBaudelaire
Le vin de chiffonniers Souvent à la clarté rouge d’un réverbère
Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre,
Au cœur d’un vieux faubourg, labyrinthe fangeux
Où l’humanité grouille en ferments orageux,
On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête,
Butant, et se cognant aux murs comme un poète,
Et, sans prendre souci des mouchards, ses sujets,
Epanche tout son cœur en glorieux projets.
Il prête des serments, dicte des lois sublimes,
Terrasse les méchants, relève les victimes,
Et sous le firmament comme un dais suspendu
S’enivre des splendeurs de sa propre vertu.
Oui, ces gens harcelés de chagrins de ménage
Moulus par le travail et tourmentés par l’âge
Ereintés et pliant sous un tas de débris,
Vomissement confus de l’énorme Paris,
Reviennent, parfumés d’une odeur de futailles,
Suivis de compagnons, blanchis dans les batailles,
Dont la moustache pend comme les vieux drapeaux.
Les bannières, les fleurs et les arcs triomphaux
Se dressent devant eux, solennelle magie !
Et dans l’étourdissante et lumineuse orgie
Des clairons, du soleil, des cris et du tambour,
Ils apportent la gloire au peuple ivre d’amour !
C’est ainsi qu’à travers l’Humanité frivole
Le vin roule de l’or, éblouissant Pactole;
Par le gosier de l’homme il chante ses exploits
Et règne par ses dons ainsi que les vrais rois.
Pour noyer la rancœur et bercer l’indolence
De tous ces vieux maudits qui meurent en silence,
Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil;
L’Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil !
il y a 8 mois
Charles Baudelaire
@charlesBaudelaire
Le vin de l'assassin Ma femme est morte, je suis libre !
Je puis donc boire tout mon soûl.
Lorsque je rentrais sans un sou,
Ses cris me déchiraient la fibre.
Autant qu'un roi je suis heureux ;
L'air est pur, le ciel admirable...
Nous avions un été semblable
Lorsque j'en devins amoureux !
L'horrible soif qui me déchire
Aurait besoin pour s'assouvir
D'autant de vin qu'en peut tenir
Son tombeau ; - ce n'est pas peu dire :
Je l'ai jetée au fond d'un puits,
Et j'ai même poussé sur elle
Tous les pavés de la margelle.
- Je l'oublierai si je le puis !
Au nom des serments de tendresse,
Dont rien ne peut nous délier,
Et pour nous réconcilier
Comme au beau temps de notre ivresse,
J'implorai d'elle un rendez-vous,
Le soir, sur une route obscure.
Elle y vint ! - folle créature !
Nous sommes tous plus ou moins fous !
Elle était encore jolie,
Quoique bien fatiguée ! et moi,
Je l'aimais trop ! voilà pourquoi
Je lui dis : Sors de cette vie !
Nul ne peut me comprendre. Un seul
Parmi ces ivrognes stupides
Songea-t-il dans ses nuits morbides
A faire du vin un linceul ?
Cette crapule invulnérable
Comme les machines de fer
Jamais, ni l'été ni l'hiver,
N'a connu l'amour véritable,
Avec ses noirs enchantements
Son cortège infernal d'alarmes,
Ses fioles de poison, ses larmes,
Ses bruits de chaîne et d'ossements !
- Me voilà libre et solitaire !
Je serai ce soir ivre mort ;
Alors, sans peur et sans remord,
Je me coucherai sur la terre,
Et je dormirai comme un chien !
Le chariot aux lourdes roues
Chargé de pierres et de boues,
Le wagon enragé peut bien
Ecraser ma tête coupable
Ou me couper par le milieu,
Je m'en moque comme de Dieu,
Du Diable ou de la Sainte Table !
il y a 8 mois
Charles Baudelaire
@charlesBaudelaire
Le vin des amants Aujourd’hui l’espace est splendide !
Sans mors, sans éperons, sans bride,
Partons à cheval sur le vin
Pour un ciel féerique et divin !
Comme deux anges que torture
Une implacable calenture,
Dans le bleu cristal du matin
Suivons le mirage lointain !
Mollement balancés sur l’aile
Du tourbillon intelligent,
Dans un délire parallèle,
Ma soeur, côte à côte nageant,
Nous fuirons sans repos ni trêves
Vers le paradis de mes rêves !
il y a 8 mois
Charles Baudelaire
@charlesBaudelaire
Le vin du solitaire Le regard singulier d’une femme galante
Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc
Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant,
Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante ;
Le dernier sac d’écus dans les doigts d’un joueur ;
Un baiser libertin de la maigre Adeline ;
Les sons d’une musique énervante et câline,
Semblable au cri lointain de l’humaine douleur,
Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde,
Les baumes pénétrants que ta panse féconde
Garde au cœur altéré du poète pieux ;
Tu lui verses l’espoir, la jeunesse et la vie,
– Et l’orgueil, ce trésor de toute gueuserie,
Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux !
il y a 8 mois
François Coppée
@francoisCoppee
Le cabaret Dans le bouge qu’emplit l’essaim insupportable
Des mouches bourdonnant dans un chaud rayon d’août,
L’ivrogne, un de ceux-là qu’un désespoir absout,
Noyait au fond du vin son rêve détestable.
Stupide, il remuait la bouche avec dégoût,
Ainsi qu’un bœuf repu ruminant dans l’étable.
Près de lui le flacon, renversé sur la table,
Se dégorgeait avec les hoquets d’un égout.
Oh ! qu’il est lourd, le poids des têtes accoudées
Où se heurtent sans fin les confuses idées
Avec le bruit tournant du plomb dans le grelot !
Je m’approchai de lui, pressentant quelque drame,
Et vis que dans le vin craché par le goulot
Lentement il traçait du doigt un nom de femme.
il y a 8 mois
G
Gaston Couté
@gastonCoute
La dernière bouteille Les gas ! apportez la darniér’ bouteille
Qui nous rest’ du vin que j’faisions dans l’temps,
Varsez à grands flots la liqueur varmeille
Pour fêter ensembl’ mes quat’er vingts ans…
Du vin coumm’ c’ti-là, on n’en voit pus guère,
Les vign’s d’aujord’hui dounn’nt que du varjus,
Approchez, les gas, remplissez mon verre,
J’ai coumm’ dans l’idé’ que j’en r’boirai pus !
Ah ! j’en r’boirai pus ! c’est ben triste à dire
Pour un vieux pésan qu’a tant vu coumm’ moué
Le vin des vendang’s, en un clair sourire
Pisser du perssoué coumme l’ieau du touet ;
On aura bieau dire, on aura bieau faire,
Faura pus d’un jour pour rempli’ nos fûts
De ce sang des vign’s qui’rougit mon verre.
J’ai coumm’ dans l’idé’ que j’en r’boirai pus !
A pesant, cheu nous, tout l’mond’ gueul’ misère,
On va-t-à la ville où l’on crév’ la faim,
On vend poure ren le bien d’son grand-père
Et l’on brûl’ ses vign’s qui n’amén’nt pus d’vin ;
A l’av’nir le vin, le vrai jus d’la treille
Ça s’ra pour c’ti-là qu’aura des écus,
Moué que j’viens d’vider nout’ dargnier’ bouteille
J’ai coumm’ dans l’idé’ que j’en r’boirai pus.
il y a 8 mois
G
Gaston Couté
@gastonCoute
Sur le pressoir Sous les étoiles de septembre
Notre cour a l’air d’une chambre
Et le pressoir d’un lit ancien ;
Grisé par l’odeur des vendanges
Je suis pris d’un désir
Né du souvenir des païens.
Couchons ce soir
Tous les deux, sur le pressoir !
Dis, faisons cette folie ?…
Couchons ce soir
Tous les deux sur le pressoir,
Margot, Margot, ma jolie !
Parmi les grappes qui s’étalent
Comme une jonchée de pétales,
Ô ma bacchante ! roulons-nous.
J’aurai l’étreinte rude et franche
Et les tressauts de ta chair blanche
Ecraseront les raisins doux.
Sous les baisers et les morsures,
Nos bouches et les grappes mûres
Mêleront leur sang généreux ;
Et le vin nouveau de l’Automne
Ruissellera jusqu’en la tonne,
D’autant plus qu’on s’aimera mieux !
Au petit jour, dans la cour close,
Nous boirons la part de vin rose
Oeuvrée de nuit par notre amour ;
Et, dans ce cas, tu peux m’en croire,
Nous aurons pleine tonne à boire
Lorsque viendra le petit jour.
il y a 8 mois
G
Georges Haldas
@georgesHaldas
Le vin fidèle Je regarde ma vie
Voici le pont jeté chaque jour sur l'abîme où la rose en silence dans l'ombre dépérit
Voici que l'ennemi s'empare de la ville
Voici que nous mourons de ne rien pouvoir dire (on meurt ainsi deux fois)
Voici en attendant toujours les rues légères les cafés le matin la place familière où se jouent nos destins
Où enfin on comprend qu'on ne comprend plus rien
Mais où on boit quand même ce peu de vin qui sert entre nous tous de lien
il y a 8 mois
Guillaume Apollinaire
@guillaumeApollinaire
Le vigneron champenois Le régiment arrive
Le village est presque endormi dans la lumière parfumée
Un prêtre a le casque en tête
La bouteille champenoise est-elle ou non une artillerie
Les ceps de vigne comme l’hermine sur un écu
Bonjour soldats
Je les ai vus passer et repasser en courant
Bonjour soldats bouteilles champenoises où le sang fermente
Vous resterez quelques jours et puis remonterez en ligne
Échelonnés ainsi que sont les ceps de vigne
J’envoie mes bouteilles partout comme les obus d’une
charmante artillerie
La nuit est blonde ô vin blond
Un vigneron chantait courbé dans sa vigne
Un vigneron sans bouche au fond de l’horizon
Un vigneron qui était lui-même la bouteille vivante
Un vigneron qui sait ce qu’est la guerre
Un vigneron champenois qui est un artilleur
C’est maintenant le soir et l’on joue à la mouche
Puis les soldats s’en iront là-haut
Où l’Artillerie débouche ses bouteilles crémantes
Allons Adieu messieurs tâchez de revenir
Mais nul ne sait ce qui peut advenir
il y a 8 mois
G
Géo Norge
@geoNorge
Le vin de cailloux Noircirent le front
D'antique statue
Et bouche perdue
En terre de fond.
Mémoire latine
De ce qui régna
Et bonne racine
De ce qui sera.
Lavèrent leurs yeux
Dans l'eau de fontaine.
Lavèrent leurs dieux
Dans la vague saine.
Mordirent le fruit
Dont le jus fait rire.
Et viande qu'on cuit
Dont le jus fait rire.
De vents légendaires
Emplirent leurs mains
Et leurs corps foncèrent.
Ces vents pour tanins.
Excellente rage :
Cailloux au pressoir.
Changé le roc noir
En vineux breuvage.
il y a 8 mois
Gérard de Nerval
@gerardDeNerval
Gaieté Petit piqueton de Mareuil,
Plus clairet qu’un vin d’Argenteuil,
Que ta saveur est souveraine !
Les Romains ne t’ont pas compris
Lorsqu’habitant l’ancien Paris
Ils te préféraient le Surène.
Ta liqueur rose, ô joli vin !
Semble faite du sang divin
De quelque nymphe bocagère ;
Tu perles au bord désiré
D’un verre à côtes, coloré
Par les teintes de la fougère.
Tu me guéris pendant l’été
De la soif qu’un vin plus vanté
M’avait laissé depuis la veille ;
Ton goût suret, mais doux aussi,
Happant mon palais épaissi,
Me rafraîchit quand je m’éveille.
Eh quoi ! si gai dès le matin,
Je foule d’un pied incertain
Le sentier où verdit ton pampre !…
– Et je n’ai pas de Richelet
Pour finir ce docte couplet…
Et trouver une rime en ampre.
il y a 8 mois
I
Isaac Lerutan
@isaacLerutan
Sanglant Secret Sous nos cuirs inégaux que l’on recouvre à souhait
de tissus et de peaux, se cache un grand secret…
Celui que l’on étouffe de règles et de craintes
Celui qui se refuse de sombrer dans la plainte
Car il est lumineux comme un éclat de grâce
sous nos corps incrédules, son âme se déplace
dans de sombres tunnels
sans jamais voir le ciel
Ce vin mystérieux, curieusement s’évapore
par delà les frontières de chacun de nos pores
Cruellement délicieux, il transporte avec lui
ses signes de faiblesse et sa force, insoumis
Cette sève docile, en vigne de noblesse,
secrètement se joue des sens de nos caresses
Mais l’enveloppe absurde a cru bon s’enjouer
de sa grande richesse dénaturalisée
Pensant la libérer, personne n’a compris
qu’un secret ne se percera jamais d’un fusil
Le reflet de l’amour, foyer des espérances
coule inlassablement, partageant son essence
Il se glace de voir ce qu’on a fait de lui
Malmené sans pudeur, au cœur des apparences,
Enseveli sous le non-sens des différences
son image est rebelle, fidèle et infinie
elle est universelle comme le sens de la vie
Imprudent, sache bien qu’au delà des habits
le sang de chaque humain joue la même mélodie !
il y a 8 mois
J
Jean-Claude Renard
@jeanClaudeRenard
Pour la lumière et pour le vin Comme entre les os proférés
la parole mère — le feu
dans le lit natal de la nuit,
qu'ainsi la tête de taureau
luisante de laits et d'anis
sous l'arbre de la lune, — un peuple
avec la pierre prophétique
se lève encore pour sacrer
la science des noces peintes
dans la profondeur des cerfs rouges !
Car malgré le sang et la mort
toute planète pour la fable
à reconnaître et inventer
d'un même amour — d'un même amour
à recevoir et à mûrir
comme dans l'incantation
la terre hantée d'une autre terre,
n'a pas le nom des foudroiements.
Ô voyages magnétisés!
Dans la mémoire sous la laine,
dans le mystère entre les morts
n'est pas détruite la racine
qui charge d'herbe et d'or la chair,
mais séparée — et la narine
dure à la force de ton sel,
ô mon soleil !
Cette semence
plantée plus vive que la vie
aux origines du silence
cherche pourtant, dedans le corps
frappé déjà d'éternité,
à le changer en elle-même.
Et comme d'un seul poumon mues
les hautes respirations,
c'est de toutes glaises obscures
une traversée, une enfance
vers l'eau centrale de l'été.
Les augures teints sur la roche
sont d'agneaux noirs, la mer acide,
et dans les pays enterrés
brûlée, noyée la femme aux neiges.
Mais ton amour est sous la menthe
et ta chair déjà sous la chair
et sous le malheur le pain pur.
Car une joie d'iode et de bois
depuis le premier jour du monde
fait une fête essentielle
à travers signes et figures
vers le seul corps royal — ô
Christ,
afin qu'en lui seul soit par lui
la patience de la vigne
fraîche aux captures solennelles,
libre dans la métamorphose
pour la lumière et pour le vin.
il y a 8 mois
Jean Richepin
@jeanRichepin
Le vin triste J’ai du sable à l’amygdale.
Ohé ! ho ! buvons un coup,
Un, deux, trois, longtemps, beaucoup !
Il faut s’arroser la dalle
Du cou.
J’ai le cœur en marmelade.
Les membres froids, l’esprit lourd.
Hé ! ho ! crions comme un sourd
Pour étourdir ce malade
D’amour.
J’ai le nez blanc, l’œil qui rentre,
Le teint couleur de citron,
Le corps sec comme un mitron.
Je veux trogne rouge, et ventre
Tout rond.
J’ai, pour guérir ma folie,
Pris un remède, dix, vingt;
Et puisque tout fut en vain,
Je veux être une outre emplie
De vin.
Que les verres soient mes armes.
Moi je serai leur fourreau.
Nous tuerons l’amour bourreau
Qui met dans mon vin mes larmes
Pour eau.
Je ne bois pas, je me panse.
Au bruit du glouglou moqueur
Je fais taire ma rancœur.
Et j’enterre dans ma panse
Mon cœur.
il y a 8 mois
Jean Richepin
@jeanRichepin
Poivrot Eh ben ! oui, j’ suis bu. Et puis, quoi ?
Que qu’ vous m’voulez, messieurs d’la rousse ?
Est-ç’ que vous n’aimez pas comm’ moi
Àvous rincer la gargarousse ?
Voyez-vous, frangins, eh ! sergots,
Faut êt’ bon pour l’espèce humaine.
D’vant l’ pivois les homm’s sont égaux.
D’ailleurs j’ai massé tout’ la s’maine.
(Tu sais, j’ dis ça à ton copain,
Pa’ç’que j’vois qu’ c’est un gonç’ qui boude.
Mais entre nous, mon vieux lapin,
J’ai jamais massé qu’à l’ver l’coude.)
Après six jours entiers d’turbin,
J’ me sentais la gueule un peu sale.
Vrai, j’avais besoin d’ prend’ un bain ;
Seul’ment j’l’ai pris par l’amygdale.
J’ sais ben c’ que vous m’ dit’s : qu’il est tard,
Que j’ baloche et que j’ vagabonde.
Mais j’ suis tranquill’ j’ fais pas d’pétard.
Et j’ crois qu’ la rue est à tout l’ monde.
Les pant’s sont couchés dans leurs pieux,
Par conséquent je n’ gên’ personne.–164 –
Laissez-moi donc ! j’ suis un pauv’ vieux.
Où qu’ vous m’emm’nez, messieurs d’la sonne ?
Quoi ? vrai! vous allez m’ ramasser ?
Ah ! c’est muf! Mais quoi qu’on y gagne !
J’m’en vas vous empêcher d’pioncer.
J’ ronfle comme un’ toupi’ d’All’magne.
il y a 8 mois
J
José Maria de Heredia
@joseMariaDeHeredia
Bacchanale Une brusque clameur épouvante le Gange.
Les tigres ont rompu leurs jougs et, miaulants,
Ils bondissent, et sous leurs bonds et leurs élans
Les Bacchantes en fuite écrasent la vendange.
Et le pampre que l’ongle ou la morsure effrange
Rougit d’un noir raisin les gorges et les flancs
Où près des reins rayés luisent des ventres blancs
De léopards roulés dans la pourpre et la fange.
Sur les corps convulsifs les fauves éblouis,
Avec des grondements que prolonge un long râle,
Flairent un sang plus rouge à travers l’or du hâle ;
Mais le Dieu, s’enivrant à ces jeux inouïs,
Par le thyrse et les cris les exaspère et mêle
Au mâle rugissant la hurlante femelle.
il y a 8 mois
L
Louise Ackermann
@louiseAckermann
Hébé Les yeux baissés, rougissante et candide,
Vers leur banquet quand Hébé s’avançait,
Les Dieux charmés tendaient leur coupe vide,
Et de nectar l’enfant la remplissait.
Nous tous aussi, quand passe la Jeunesse,
Nous lui tendons notre coupe à l’envi.
Quel est le vin qu’y verse la déesse ?
Nous l’ignorons; il enivre et ravit.
Ayant souri dans sa grâce immortelle,
Hébé s’éloigne ; on la rappelle en vain.
Longtemps encor sur la route éternelle,
Notre œil en pleurs suit l’échanson divin
il y a 8 mois
M
Marie Krysinska
@marieKrysinska
Valse Ah! pourquoi de vos yeux
Tant appeler mes yeux,
Et pourquoi d’une folle étreinte me dire
Que tout est puéril
Hors élan de nos cœurs
Éperdus l’un vers l’autre.
Ces lampes claires et ces girandoles
Dévoileraient mon trouble sans doute,
Si je laissais vos yeux
Tant parler à mes yeux.
Vois l’enchantement de cette nuit complice
Et ces roses
Amoureuses
Aux corsages des Amoureuses.
Respirons les arômes charmants
Qui montent de ces fleurs,
Parées comme des femmes,
Et des ces femmes parées
Comme des fleurs.
Enivrons-nous du doux vin
Cher à Cythérée,
Tandis que les violons
Traînent des notes pâmées
Et que les violoncelles sont
Des voix humaines extasiées.
Ne fuyez pas, chers yeux, tes yeux
Abandonnez-vous vaincus et vainqueurs,
Abandonnez-vous, tes yeux à mes yeux.
il y a 8 mois
Max Jacob
@maxJacob
Le vin Le calice où les lèvres de
Dieu ont bu du vin
est le calice où les prêtres boivent le matin.
Si le vin est l'Esprit, donnez-moi à boire
au même verre, le
Vôtre,
Seigneur !
S'il faut des agonies et la mort
après ce coup de
Boisson, saisissons-les
et jusqu'au sang et jusqu'à la fièvre.
Les agonies et la mort ne sont pas épargnées aux autres.
Autant boire !
Si le vin qui vient de
Vos
Vignes
est le meilleur, je veux en boire
et y retourner.
Les boissons rendent orgueilleux.
Les boissons font du bruit.
Votre
Vin est silence, humilité, joie intime.
En touchant notre estomac il touche
aussi notre âme ! et en voilà pour
toute une journée
de sérénité et d'union
avec autrui et avec
Vous.
il y a 8 mois
M
Michelle Grenier
@michelleGrenier
Je n’aime plus le coca Je n’aime plus le coca
J’en aime un autre.
Avec lui je me vautre
Dans un bain de caresse
Il est mon idole, mon ivresse !
Il m’offre en bouquet des violettes,
Des nectars de fruits noirs
À en perdre la tête !
Et je lui dis des mots d’amour
il est en jambe, il a du velours
Il a du corps et de la cuisse
Et je cède à tous ses caprices
Il aura ma peau, oh ! Délicieux supplice !
Tous les jours à la noce
Il m’en fait boire
De toutes les couleurs, le beau gosse :
Des rubis pourpres grenat !
Je n’aime plus le coca,
J’en aime un autre :
Mon beau jojo, mon beaujolais, mon beau jaja,
Avec lui je me vautre
Dans la lie, jusque là !
il y a 8 mois
Nicolas Boileau
@nicolasBoileau
Chanson a boire (I) Philosophes rêveurs, qui pensez tout savoir,
Ennemis de Bacchus, rentrez dans le devoir:
Vos esprits s’en font trop accroire.
Allez, vieux fous, allez apprendre à boire.
On est savant quand on boit bien:
Qui ne sait boire ne sait rien.
S’il faut rire ou chanter au milieu d’un festin,
Un docteur est alors au bout de son latin:
Un goinfre en a toute la gloire.
Allez, vieux fous, allez apprendre à boire.
On est savant quand on boit bien:
Qui ne sait boire ne sait rien.
il y a 8 mois
Nicolas Boileau
@nicolasBoileau
Chanson a boire (II) Soupirez jour et nuit sans manger et sans boire;
Ne songez qu’à souffrir;
Aimez, aimez vos maux, et mettez votre gloire
À n’en jamais guérir.
Cependant nous rirons
Avecque la bouteille,
Et dessous la treille
Nous la chérirons.
Si sans vous soulager une aimable cruelle
Vous retient en prison,
Allez aux durs rochers, aussi sensibles qu’elle?
En demander raison.
Cependant nous rirons
Avecque la bouteille,
Et dessous la treille
Nous la chérirons.
il y a 8 mois
Nicolas Boileau
@nicolasBoileau
Chanson a boire (III) Que Bâville me semble aimable,
Quand des magistrats le plus grand
Permet que Bacchus à sa table
Soit notre premier président!
Trois muses, en habit de ville,
Y président à ses côtés:
Et ses arrêts par Arbouville
Sont à plein verre exécutés.
Si Bourdaloue un peu sévère
Nous dit, Craignez la volupté;
Escobar, lui dit-on, mon Père,
Nous la permet pour la santé.
Contre ce docteur authentique
Si du jeûne il prend l’intérêt,
Bacchus le déclare hérétique,
Et janséniste, qui pis est.
il y a 8 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Vendanges Les choses qui chantent dans la tête
Alors que la mémoire est absente,
Ecoutez, c’est notre sang qui chante…
O musique lointaine et discrète !
Ecoutez ! c’est notre sang qui pleure
Alors que notre âme s’est enfuie,
D’une voix jusqu’alors inouïe
Et qui va se taire tout à l’heure.
Frère du sang de la vigne rose,
Frère du vin de la veine noire,
O vin, ô sang, c’est l’apothéose !
Chantez, pleurez ! Chassez la mémoire
Et chassez l’âme, et jusqu’aux ténèbres
Magnétisez nos pauvres vertèbres,