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Famille

89 poésies en cours de vérification
Famille

Poésies de la collection famille

    M

    Maëlle Ranoux

    @maelleRanoux

    A l’enfant inconnu Il faudrait fleurir une tombe, A l‘enfant inconnu ; Y déposer les fleurs du mal, du bien De l’amour et du désamour ; Les roses rouges de la passion, Les roses d’hiver qui fleurissent dans la glace et la frustration. Il faudrait honorer L’enfant inconnu Qui ne naît pas Qui advient à peine Qui est pétrit du possible et de l’impossible. Il faudrait chanter, Pour l’enfant inconnu, Un chant léger, celui de l’imprévu, Un chant lourd et grave, Celui du désamour qui entrave. Il faudrait s’attarder Sur sa tombe Se souvenir Du désir Qui l’ont fait venir, Et du pourquoi Et du comment Qui l’ont tué. Regarder l’emprise de la vie sur elle-même, Sentir sa puissance, Gouter au bien, aussi, au paisible et au sens, Du choix fait et assumé. Il faudrait se souvenir, Du vieux couple qui n’a pas voulu, De l’amant et de la maitresse Qui n’ont pas pu ; Du corps de la femme Où ça ne s’accrochait pas ; De l’hésitant et de l’indécise Qui ne savaient pas ; De l’enfant de prostitué Et il ne valait mieux pas ; Il faudrait se souvenir de ces enfants Sans nom, sans devenir. Il faudrait regarder sans se mentir, L’armée des enfants inconnus Comme une masse fantôme Qui nous hante et nous parle, Nous menace de sa bouche muette, Effacée, informe. Il faudrait la regarder en face, Et entendre, Ses pas lents, Sortir Du cœur de notre vallée noire, Où le désir et le refus copulent, Où le désespoir étrangle l’espoir, Où vouloir et renoncer s’embrassent. Qu’est-t-il sorti de cet antre ? Peut-on le nommer ? Je donnerai, A l’enfant inconnu, Une parure pour son anonymat Des fleurs terrifiantes d’éclat Un hymne dissonant et cru, Un mausolée de terre nue, Profonde, au parfum fertile. La vie a tracé son chemin subtil, en lui, A magnifié le chaos de la vallée noire, Puis est retombé dans l’indicible puits, Où se décomposent les évidences, par-delà le miroir.

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    M

    Maëlle Ranoux

    @maelleRanoux

    Se pétrir d’un voyage Je me souviens de l’océan Chaud et doux, S’entêtant à me séduire, S’allongeant sur mes rêves. Face aux torrents agités, crissants, d’ici, Je me souviens de la vie là-bas, Légère, Fluide comme une rivière, Traversante, Dans un horizon sans barrière. Je me souviens aussi, Du souvenir de vous, Mes êtres demeures, Comme des arbres absents, Dont l’ombre fraîche manquait sur mes rives. Je me souviens de l’océan. Je me souviens de vous absents. Je me souviens encore de ceux, Là-bas, Restés sous le soleil ardent, Sur les rives de ma rivière absente. * Mais, quelle est cette mélodie ? Oui, je la reconnais, C’est la triste mélodie du départ C’est la joyeuse mélodie de l’ailleurs Elle me pose, elle m’apaise, elle m’étreint, elle m’appelle, Elle porte mon chagrin, elle transporte mon espoir. * Vos lignes monotones M’animent ! Vos chemins chauds M’envolent ! Votre hiver glaçant M’échauffe ! Votre été bouillant M’exalte Vos grises mines M’amusent ! Vos âmes, à moi me lient, à moi m’attachent, à vous m’attachent. *

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    N

    Nashmia Noormohamed

    @nashmiaNoormohamed

    Grossesse Grossesse, quel mot immonde, pour cette merveilleuse métamorphose. Grossesse, voulue ou non, désirée, provoquée ou avortée. Grossesse, en prélude à la maternité, la mère enfantée. Grossesse, fruit de l’amour, l’amour éclair ou l’amour toujours. Grossesse, moment de plénitude, ou quand l’enfant élève la mère. Grossesse, heureux hasard aléatoire, source de vie. Grossesse, nausées, insomnies, mal-être oubliés dès le premier regard, entre le nouveau-né et sa mère fraîchement nommée.

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    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    L’amour maternel À Maurice Chevrier Fait d’héroïsme et de clémence, Présent toujours au moindre appel, Qui de nous peut dire où commence, Où finit l’amour maternel ? Il n’attend pas qu’on le mérite, Il plane en deuil sur les ingrats ; Lorsque le père déshérite, La mère laisse ouverts ses bras ; Son crédule dévouement reste Quand les plus vrais nous ont menti, Si téméraire et si modeste Qu’il s’ignore et n’est pas senti. Pour nous suivre il monte ou s’abîme, À nos revers toujours égal, Ou si profond ou si sublime Que, sans maître, il est sans rival : Est-il de retraite plus douce Qu’un sein de mère, et quel abri Recueille avec moins de secousse Un cœur fragile endolori ? Quel est l’ami qui sans colère Se voit pour d’autres négligé ? Qu’on méconnaît sans lui déplaire, Si bon qu’il n’en soit affligé ? Quel ami dans un précipice Nous joint sans espoir de retour, Et ne sent quelque sacrifice Où la mère ne sent qu’amour ? Lequel n’espère un avantage Des échanges de l’amitié ? Que de fois la mère partage Et ne garde pas sa moitié ! Ô mère, unique Danaïde Dont le zèle soit sans déclin, Et qui, sans maudire le vide, Y penche un grand cœur toujours plein !

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    Sully Prudhomme

    Sully Prudhomme

    @sullyPrudhomme

    Passion malheureuse J'ai mal placé mon cœur, j'aime l'enfant d'un autre ; Et c'est pour m'exploiter qu'il fait le bon apôtre, Ce petit traître ! Je le sais. Sa mère, quand je viens, me devine, et l'appelle, Sentant que je suis là pour lui plus que pour elle, Mais elle ne m'en veut jamais. Le marmot prend alors sa voix flûtée et tendre (Les enfants ont deux voix) et dit, sans la comprendre, Sa fable, avec expression ; Puis il me fait ranger des soldats sur la table, Et m'obsède, et je trouve un plaisir ineffable À sa gentille obsession. Je m'y laisse duper toutes les fois : j'espère Qu'à force de bonté je serai presque un père : Ne dit-il pas qu'il m'aime bien ? Mais voici tout à coup le vrai père, ô disgrâce ! L'enfant court, bat des mains, lui saute au cou, l'embrasse, Et le pauvre oncle n'est plus rien.

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    R

    Rhita Benjelloun

    @rhitaBenjelloun

    Ma couronne Brave homme à l’allure très sage Amplement actif malgré ton âge Tant de sacrifice, tant de courage Pour le bien-être de ton petit entourage Tu fus pour moi l’exemple à suivre J’imitais tes gestes, tes paroles et même tes rires Mon idole, ainsi je te nomme L’homme à qui je porte un amour hors norme La jouvencelle que je suis, à toi je te la dois Tu nous as toujours procuré la gaieté, l’amour et la joie Père tu es mon idéal, tu es ma voie Rhita Benjelloun

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    R

    Richard Taillefer

    @richardTaillefer

    À ma mère Elle est assise Dans l’embrasure de la grande fenêtre C’est l’endroit du monde Où l’on voit le mieux tout le monde Un peu de mer Un peu de ciel Elle aime cet endroit Où son cœur s’apaise Un rayon de soleil paresseux avance devant elle La lumière flirte avec le fond de la pièce Là elle ne pense plus à rien Elle n’oublie pas ! Les gens Les choses Les visages De ceux qui lui sont proches Et pourtant si lointains Ni Pépète La petite chienne aux poils si noirs Réfugiée sur ses genoux de douleur Elle écoute Une étrange musique Rythmée par les caprices du vent Tournoyant dans les arbres

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    Robert Desnos

    Robert Desnos

    @robertDesnos

    La famille Dupanard de Vitry-Sur-Seine La tribu Dupanard Les parents les moutards Habit' dans un gourbi AVitry A Vitry-sur-Seine Ah! quelle veine! Le papa Dupanard A jadis fait son lard Au retour d' Biribi AVitry A Vitry-sur-Seine Ah! quelle aubaine! La maman Dupanard S'est rangé' sur le tard EH' buvait des anis AVitry A Vitry-sur-Seine Ah! quelle haleine! Le p'tit Louis Dupanard D'habitude couche au quart Puis il fait son fourbi A Vitry A Vitry-sur-Seine Ah ! quell' vilaine ! La Louison Dupanard A des patt' de canard Des poils de ouistiti A Vitry A Vitry-sur-Seine Ah! quell' Sirène! Au musé' Dupuytren Il y en a encor un Il n'a pas fait son lit A Vitry A Vitry-sur-Seine Ah! quelle peine! Dans l'caveau familial Ils iront c'est fatal C'est la mort c'est la vi* AVitry A Vitry-sur-Seine Ah! quel domaine! Puis on les oubliera Tôt ou tard c'est comm' ça ! A Pékin à Paris AVitry A Vitry-sur-Seine Faridondaine!

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    Robert Frost

    Robert Frost

    @robertFrost

    Le jardin d'une fille Un de mes voisins dans le village Aime raconter comment on ressort Quand elle était fille à la ferme, elle faisait Une chose enfantine. Un jour, elle a demandé à son père de lui donner une parcelle de jardin Pour planter, entretenir et récolter elle-même, Et il a dit: "Pourquoi pas?" En cherchant un coin, il pensa à un bout de terrain clos où se trouvait un magasin, et il dit: "Juste ça." Et il a dit: "Cela devrait faire de vous une ferme idéale pour une seule fille, et vous donner une chance de mettre de la force sur votre bras mince." Ce n'était pas assez de jardin, disait son père, pour labourer; Elle a donc dû tout travailler à la main, Mais ça ne la dérange pas maintenant. Elle a fait rouler le fumier dans la brouette le long d'un tronçon de route; Mais elle s'est toujours enfuie et a laissé sa charge pas agréable. Et caché à quiconque passait. Et puis elle a supplié la graine. Elle dit qu'elle pense avoir planté une de toutes les choses sauf de l'herbe. Une colline chacun de pommes de terre, de radis, de laitue, de pois, de tomates, de betteraves, de haricots, de citrouilles, de maïs, et même d'arbres fruitiers Et oui, elle s'est longtemps méfiée qu'un pommier à cidre en portant là aujourd'hui est à lui, Ou du moins peut être. Sa récolte était un mélange Quand tout a été dit et fait, Un peu de tout, Beaucoup de rien. Maintenant, quand elle voit dans le village comment les choses se passent dans le village , Juste au moment où ça semble aller bien, Elle dit: "Je sais! C'est comme quand j'étais agriculteur ..." Oh, jamais à titre de conseil! Et elle ne pèche jamais en racontant l'histoire à la même personne deux fois.

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    R

    Régis Boury

    @regisBoury

    En tempête de vie Viens, allons au jardin Avant que les roses ne pleurent Notre vieille demeure Est bien triste ce matin Dire qu'ils sont repartis, ces gamins Qui ravissaient nos âmes A leurs cris, emportant rires et larmes En tempête de vie Comme un reflux de vacarme. Cette maison trop grande Silencieuse (horriblement) Est redevenue une île Perdue, battue aux vents Prise par le froid du coeur. Nous partirons demain ! Vite ! allons au jardin Soudain j'ai peur Que les roses ne meurent; 13 octobre 1997 zadig92000

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    S

    Sandrine Davin

    @sandrineDavin

    A cet homme… Des godasses un peu trop grandes Un chapeau de paille, troué Il n’en avait que faire : Sa vie, c’était la terre. Des mains aussi noires qu’un mineur Mais tant d’amour dans le cœur Jamais un mot de travers Il en voulait, à son père. Qui était-il ? Un « Vieux Bonhomme » au regard clair Un homme qui aimait la terre. Les années ont passé, Il a succombé. … « Il n’en avait que faire, Sa vie, c’était la terre ». A mon grand-père.

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    S

    Sybille Rembard

    @sybilleRembard

    Maïeutique reproductive J’ai enfanté moi aussi dans la douleur Mon ventre dégonflé Soudaine surprise biochimique Mon enfant était là Luisant et métallique Comme une œuvre d’art jaillissant du néant J’étais la déesse créatrice Fertile, sacrée Seule dans mon bonheur Emparée par une euphorie mystique J’ai cru, un seul instant, être le scarabée de l’humanité

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    S

    Sybille Rembard

    @sybilleRembard

    Nativité Recroquevillé au fond de l’utérus Il appréhendait le monde Le petit cœur tambourinait au rythme endiablé des printemps qui l’attendaient Il n’a pas eu peur, petit bébé, l’amour le désirait Il a laissé la musique construire son âme Il a laissé les bruits les pas les voix le façonner Il est sorti en guerrier Sourire aux lèvres

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    S

    Sybille Rembard

    @sybilleRembard

    À maman Je suis là, maman cachée au fond de tes entrailles mes cellules vibrent ton cœur bat fort je sens la chaleur de ta voix elle me caresse déjà Tu es la magie du monde Je ne suis pas encore pourtant je t’aime déjà Je suis un cerf volant emmailloté dans tes bras Le cerf volant du Paradis sans âge Les cloches sonnent Je suis là, maman j’arrive un bouquet parfumé dans mes pensées Sybille Rembard, Beauté fractionnée, 2002

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    Sylvia Plath

    Sylvia Plath

    @sylviaPlath

    L’agneau de Marie L’agneau pascal frit dans sa graisse. La graisse Sacrifie son opacité… La vitre est d’or sacré. Le feu la rend précieuse, Le même feu toujours Fondant le suif des hérétiques Et débusquant les juifs. Leurs draps de fumée noire ondoient Sur les stigmates de la Pologne Et l’Allemagne incendiée. Ils ne meurent pas. Des oiseaux gris hantent mon cœur, Bouche en cendre, œil cendreux, Ils se posent. Sur l’immense Précipice Qui a vidé un homme dans l’espace Les fours flambaient en cieux, incandescents. Et c’est un cœur, L’holocauste où j’entre, O bel enfant d’or que le monde tue et mange.

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    Tahar Ben Jelloun

    Tahar Ben Jelloun

    @taharBenJelloun

    Il quitta sa famille Il quitta sa famille laissa pousser la barbe et remplit sa solitude de pierres et de brume Il arriva au désert la tête enroulée dans un linceul le sang versé en terre occupée Il n'était ni héros ni martyr il était citoyen de la blessure

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    T

    Thomas Chaline

    @thomasChaline

    Tes rêves et ton berceau Tu grandis si vite Et t’éloignes en silence Autour de toi gravite Cette liberté immense Tu abandonnes tes repères Tes rêves et ton berceau Et tout ce que tu digères Devient de longs sanglots Tu grandis si vite Et pleures en silence Autour de toi s’évite La prison « insolence » Tu abandonnes les cimes De ton berceau de lumière Et tout ce que tu dessines A une coloration délétère

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    Théodore de Banville

    Théodore de Banville

    @theodoreDeBanville

    À mon Père O mon père, soldat obscur, âme angélique ! Juste qui vois le mal d’un oeil mélancolique, Sois béni ! je te dois ma haine et mon mépris Pour tous les vils trésors dont le monde est épris. Oh ! tandis que je vais fouillant l’ombre éternelle, Si la Muse une fois me touchait de son aile ! Si ses mains avaient pris plaisir à marier Sur mon front orgueilleux la rose et le laurier Par lesquels le poëte est souvent plus qu’un homme, Comme je tomberais à tes genoux ! et comme Je ne serais jaloux de personne et de rien, Si tu disais : Mon fils, je suis content, c’est bien. Car ce cœur fier que rien de bas ne peut séduire, O père, est bien à toi, qui toujours as fait luire Devant moi, comme un triple et merveilleux flambeau, L’ardeur du bien, l’espoir du vrai, l’amour du beau ! Février 1846.

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    Théodore de Banville

    Théodore de Banville

    @theodoreDeBanville

    Lorsque ma soeur et moi Lorsque ma soeur et moi, dans les forêts profondes, Nous avions déchiré nos pieds sur les cailloux, En nous baisant au front tu nous appelais fous, Après avoir maudit nos courses vagabondes. Puis, comme un vent d’été confond les fraîches ondes De deux petits ruisseaux sur un lit calme et doux, Lorsque tu nous tenais tous deux sur tes genoux, Tu mêlais en riant nos chevelures blondes. Et pendant bien longtemps nous restions là blottis, Heureux, et tu disais parfois : Ô chers petits. Un jour vous serez grands, et moi je serai vieille ! Les jours se sont enfuis, d’un vol mystérieux, Mais toujours la jeunesse éclatante et vermeille Fleurit dans ton sourire et brille dans tes yeux.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Claire Quoi donc ! la vôtre aussi ! la vôtre suit la mienne ! O mère au coeur profond, mère, vous avez beau Laisser la porte ouverte afin qu’elle revienne, Cette pierre là-bas dans l’herbe est un tombeau ! La mienne disparut dans les flots qui se mêlent ; Alors, ce fut ton tour, Claire, et tu t’envolas. Est-ce donc que là-haut dans l’ombre elles s’appellent, Qu’elles s’en vont ainsi l’une après l’autre, hélas ? Enfant qui rayonnais, qui chassais la tristesse, Que ta mère jadis berçait de sa chanson, Qui d’abord la charmas avec ta petitesse Et plus tard lui remplis de clarté l’horizon, Voilà donc que tu dors sous cette pierre grise ! Voilà que tu n’es plus, ayant à peine été ! L’astre attire le lys, et te voilà reprise, O vierge, par l’azur, cette virginité ! Te voilà remontée au firmament sublime, Échappée aux grands cieux comme la grive aux bois, Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongée à l’abîme Des rayons, des amours, des parfums et des voix ! Nous ne t’entendrons plus rire en notre nuit noire. Nous voyons seulement, comme pour nous bénir, Errer dans notre ciel et dans notre mémoire Ta figure, nuage, et ton nom, souvenir ! Pressentais-tu déjà ton sombre épithalame ? Marchant sur notre monde à pas silencieux, De tous les idéals tu composais ton âme, Comme si tu faisais un bouquet pour les cieux ! En te voyant si calme et toute lumineuse, Les coeurs les plus saignants ne haïssaient plus rien. Tu passais parmi nous comme Ruth la glaneuse , Et, comme Ruth l’épi, tu ramassais le bien. La nature, ô front pur, versait sur toi sa grâce, L’aurore sa candeur, et les champs leur bonté ; Et nous retrouvions, nous sur qui la douleur passe, Toute cette douceur dans toute ta beauté ! Chaste, elle paraissait ne pas être autre chose Que la forme qui sort des cieux éblouissants ; Et de tous les rosiers elle semblait la rose, Et de tous les amours elle semblait l’encens. Ceux qui n’ont pas connu cette charmante fille Ne peuvent pas savoir ce qu’était ce regard Transparent comme l’eau qui s’égaie et qui brille Quand l’étoile surgit sur l’océan hagard. Elle était simple, franche, humble, naïve et bonne ; Chantant à demi-voix son chant d’illusion, Ayant je ne sais quoi dans toute sa personne De vague et de lointain comme la vision. On sentait qu’elle avait peu de temps sur la terre, Qu’elle n’apparaissait que pour s’évanouir, Et qu’elle acceptait peu sa vie involontaire ; Et la tombe semblait par moments l’éblouir. Elle a passé dans l’ombre où l’homme se résigne ; Le vent sombre soufflait ; elle a passé sans bruit, Belle, candide, ainsi qu’une plume de cygne Qui reste blanche, même en traversant la nuit ! Elle s’en est allée à l’aube qui se lève, Lueur dans le matin, vertu dans le ciel bleu, Bouche qui n’a connu que le baiser du rêve, Ame qui n’a dormi que dans le lit de Dieu ! Nous voici maintenant en proie aux deuils sans bornes, Mère, à genoux tous deux sur des cercueils sacrés, Regardant à jamais dans les ténèbres mornes La disparition des êtres adorés ! Croire qu’ils resteraient ! quel songe ! Dieu les presse. Même quand leurs bras blancs sont autour de nos cous, Un vent du ciel profond fait frissonner sans cesse Ces fantômes charmants que nous croyons à nous. Ils sont là, près de nous, jouant sur notre route ; Ils ne dédaignent pas notre soleil obscur, Et derrière eux, et sans que leur candeur s’en doute, Leurs ailes font parfois de l’ombre sur le mur. Ils viennent sous nos toits ; avec nous ils demeurent ; Nous leur disons : Ma fille, ou : Mon fils ; ils sont doux, Riants, joyeux, nous font une caresse, et meurent. – O mère, ce sont là les anges, voyez-vous ! C’est une volonté du sort, pour nous sévère, Qu’ils rentrent vite au ciel resté pour eux ouvert ; Et qu’avant d’avoir mis leur lèvre à notre verre, Avant d’avoir rien fait et d’avoir rien souffert, Ils partent radieux ; et qu’ignorant l’envie, L’erreur, l’orgueil, le mal, la haine, la douleur, Tous ces êtres bénis s’envolent de la vie A l’âge où la prunelle innocente est en fleur ! Nous qui sommes démons ou qui sommes apôtres, Nous devons travailler, attendre, préparer ; Pensifs, nous expions pour nous-même ou pour d’autres ; Notre chair doit saigner, nos yeux doivent pleurer. Eux, ils sont l’air qui fuit, l’oiseau qui ne se pose Qu’un instant, le soupir qui vole, avril vermeil Qui brille et passe ; ils sont le parfum de la rose Qui va rejoindre aux cieux le rayon du soleil ! Ils ont ce grand dégoût mystérieux de l’âme Pour notre chair coupable et pour notre destin ; Ils ont, êtres rêveurs qu’un autre azur réclame, Je ne sais quelle soif de mourir le matin ! Ils sont l’étoile d’or se couchant dans l’aurore, Mourant pour nous, naissant pour l’autre firmament ; Car la mort, quand un astre en son sein vient éclore, Continue, au delà, l’épanouissement ! Oui, mère, ce sont là les élus du mystère, Les envoyés divins, les ailés, les vainqueurs, A qui Dieu n’a permis que d’effleurer la terre Pour faire un peu de joie à quelques pauvres coeurs. Comme l’ange à Jacob, comme Jésus à Pierre, Ils viennent jusqu’à nous qui loin d’eux étouffons, Beaux, purs, et chacun d’eux portant sous sa paupière La sereine clarté des paradis profonds. Puis, quand ils ont, pieux, baisé toutes nos plaies, Pansé notre douleur, azuré nos raisons, Et fait luire un moment l’aube à travers nos claies, Et chanté la chanson du ciel dam nos maisons, Ils retournent là-haut parler à Dieu des hommes, Et, pour lui faire voir quel est notre chemin, Tout ce que nous souffrons et tout ce que nous sommes, S’en vont avec un peu de terre dans la main. Ils s’en vont ; c’est tantôt l’éclair qui les emporte, Tantôt un mal plus fort que nos soins superflus. Alors, nous, pâles, froids, l’oeil fixé sur la porte, Nous ne savons plus rien, sinon qu’ils ne sont plus. Nous disons : – A quoi bon l’âtre sans étincelles ? A quoi bon la maison où ne sont plus leurs pas ? A quoi bon la ramée où ne sont plus les ailes ? Qui donc attendons-nous s’ils ne reviendront pas ? – Ils sont partis, pareils au bruit qui sort des lyres. Et nous restons là, seuls, près du gouffre où tout fuit, Tristes ; et la lueur de leurs charmants sourires Parfois nous apparaît vaguement dans la nuit. Car ils sont revenus, et c’est là le mystère ; Nous entendons quelqu’un flotter, un souffle errer, Des robes effleurer notre seuil solitaire, Et cela fait alors que nous pouvons pleurer. Nous sentons frissonner leurs cheveux dans notre ombre ; Nous sentons, lorsqu’ayant la lassitude en nous, Nous nous levons après quelque prière sombre, Leurs blanches mains toucher doucement nos genoux. Ils nous disent tout bas de leur voix la plus tendre : « Mon père, encore un peu ! ma mère, encore un jour ! « M’entends-tu ? je suis là, je reste pour t’attendre « Sur l’échelon d’en bas de l’échelle d’amour. « Je t’attends pour pouvoir nous en aller ensemble. « Cette vie est amère, et tu vas en sortir. « Pauvre coeur, ne crains rien, Dieu vit ! la mort rassemble. « Tu redeviendras ange ayant été martyr. » Oh ! quand donc viendrez-vous ? Vous retrouver, c’est naître. Quand verrons-nous, ainsi qu’un idéal flambeau, La douce étoile mort, rayonnante, apparaître A ce noir horizon qu’on nomme le tombeau ? Quand nous en irons-nous où vous êtes, colombes ! Où sont les enfants morts et les printemps enfuis, Et tous les chers amours dont nous sommes les tombes, Et toutes les clartés dont nous sommes les nuits ? Vers ce grand ciel clément où sont tous les dictames, Les aimés, les absents, les êtres purs et doux, Les baisers des esprits et les regards des âmes, Quand nous en irons-nous ? quand nous en irons-nous ? Quand nous en irons-nous où sont l’aube et la foudre ? Quand verrons-nous, déjà libres, hommes encor, Notre chair ténébreuse en rayons se dissoudre, Et nos pieds faits de nuit éclore en ailes d’or ? Quand nous enfuirons-nous dans la joie infinie Où les hymnes vivants sont des anges voilés, Où l’on voit, à travers l’azur de l’harmonie, La strophe bleue errer sur les luths étoilés ? Quand viendrez-vous chercher notre humble coeur qui sombre ? Quand nous reprendrez-vous à ce monde charnel, Pour nous bercer ensemble aux profondeurs de l’ombre, Sous l’éblouissement du regard éternel ?

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Demain, dès l'aube Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Guerre civile La foule était tragique et terrible ; on criait : À mort ! Autour d’un homme altier, point inquiet, Grave, et qui paraissait lui-même inexorable, Le peuple se pressait : À mort le misérable ! Et lui, semblait trouver toute simple la mort. La partie est perdue, on n’est pas le plus fort, On meurt, soit. Au milieu de la foule accourue, Les vainqueurs le traînaient de chez lui dans la rue. — À mort l’homme ! — On l’avait saisi dans son logis ; Ses vêtements étaient de carnage rougis ; Cet homme était de ceux qui font l’aveugle guerre Des rois contre le peuple, et ne distinguent guère Scévola de Brutus, ni Barbès de Blanqui ; Il avait tout le jour tué n’importe qui ; Incapable de craindre, incapable d’absoudre, Il marchait, laissant voir ses mains noires de poudre ; Une femme le prit au collet : « À genoux ! C’est un sergent de ville. Il a tiré sur nous ! — C’est vrai, dit l’homme. — À bas ! à mort ! qu’on le fusille ! Dit le peuple. — Ici ! Non ! Plus loin ! À la Bastille ! À l’arsenal ! Allons ! Viens ! Marche ! — Où vous voudrez », Dit le prisonnier. Tous, hagards, les rangs serrés, Chargèrent leurs fusils. « Mort au sergent de ville ! Tuons-le comme un loup ! — Et l’homme dit, tranquille : — C’est bien, je suis le loup, mais vous êtes les chiens. — Il nous insulte ! À mort ! » Les pâles citoyens Croisaient leurs poings crispés sur le captif farouche ; L’ombre était sur son front et le fiel dans sa bouche ; Cent voix criaient : « À mort ! À bas ! Plus d’empereur ! » On voyait dans ses yeux un reste de fureur Remuer vaguement comme une hydre échouée ; Il marchait poursuivi par l’énorme huée, Et, calme, il enjambait, plein d’un superbe ennui, Des cadavres gisants, peut-être faits par lui. Le peuple est effrayant lorsqu’il devient tempête ; L’homme sous plus d’affronts levait plus haut la tête ; Il était plus que pris, il était envahi. Dieu ! comme il haïssait ! comme il était haï ! Comme il les eût, vainqueur, fusillés tous ! « Qu’il meure ! Il nous criblait encor de balles tout à l’heure ! À bas cet espion, ce traître, ce maudit ! À mort ! c’est un brigand ! » Soudain on entendit Une petite voix qui disait : « C’est mon père ! » Et quelque chose fit l’effet d’une lumière. Un enfant apparut. Un enfant de six ans. Ses deux bras se dressaient suppliants, menaçants. Tous criaient : « Fusillez le mouchard ! Qu’on l’assomme ! » Et l’enfant se jeta dans les jambes de l’homme, Et dit, ayant au front le rayon baptismal : « Père, je ne veux pas qu’on te fasse de mal ! » Et cet enfant sortait de la même demeure. Les clameurs grossissaient : « À bas l’homme ! Qu’il meure ! À bas ! finissons-en avec cet assassin ! Mort ! » Au loin le canon répondait au tocsin. Toute la rue était pleine d’hommes sinistres. À bas les rois ! À bas les prêtres, les ministres, Les mouchards ! Tuons tout ! c’est un tas de bandits ! » Et l’enfant leur cria : « Mais puisque je vous dis Que c’est mon père ! — Il est joli, dit une femme, Bel enfant ! » On voyait dans ses yeux bleus une âme ; Il était tout en pleurs, pâle, point mal vêtu. Une autre femme dit : « Petit, quel âge as-tu ? Et l’enfant répondit : — Ne tuez pas mon père ! » Quelques regards pensifs étaient fixés à terre, Les poings ne tenaient plus l’homme si durement. Un de plus furieux, entre tous inclément, Dit à l’enfant : « Va-t’en ! — Où ? — Chez toi. — Pourquoi faire ? — Chez ta mère. — Sa mère est morte, dit le père. — Il n’a donc plus que vous ? — Qu’est-ce que cela fait ? » Dit le vaincu. Stoïque et calme, il réchauffait Les deux petites mains dans sa rude poitrine, Et disait à l’enfant : « Tu sais bien, Catherine ? — Notre voisine ? — Oui. Va chez elle. — Avec toi ? — J’irai plus tard. — Sans toi je ne veux pas. — Pourquoi ? — Parce qu’on te ferait du mal. » Alors le père Parla tout bas au chef de cette sombre guerre : « Lâchez-moi le collet. Prenez-moi par la main, Doucement. Je vais dire à l’enfant : À demain ! Vous me fusillerez au détour de la rue, Ailleurs, où vous voudrez. — Et, d’une voix bourrue : — Soit, dit le chef, lâchant le captif à moitié. Le père dit : — Tu vois. C’est de bonne amitié. Je me promène avec ces messieurs. Sois bien sage, Rentre. » Et l’enfant tendit au père son visage, Et s’en alla content, rassuré, sans effroi. « Nous sommes à notre aise à présent, tuez-moi, Dit le père aux vainqueurs ; où voulez-vous que j’aille ? » Alors, dans cette foule où grondait la bataille, On entendit passer un immense frisson, Et le peuple cria : « Rentre dans ta maison ! »

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    Je prendrai par la main les deux petits enfants Je prendrai par la main les deux petits enfants ; J’aime les bois où sont les chevreuils et les faons, Où les cerfs tachetés suivent les biches blanches Et se dressent dans l’ombre effrayés par les branches ; Car les fauves sont pleins d’une telle vapeur Que le frais tremblement des feuilles leur fait peur. Les arbres ont cela de profond qu’ils vous montrent Que l’éden seul est vrai, que les coeurs s’y rencontrent, Et que, hors les amours et les nids, tout est vain ; Théocrite souvent dans le hallier divin Crut entendre marcher doucement la ménade. C’est là que je ferai ma lente promenade Avec les deux marmots. J’entendrai tour à tour Ce que Georges conseille à Jeanne, doux amour, Et ce que Jeanne enseigne à George. En patriarche Que mènent les enfants, je réglerai ma marche Sur le temps que prendront leurs jeux et leurs repas, Et sur la petitesse aimable de leurs pas. Ils cueilleront des fleurs, ils mangeront des mûres. Ô vaste apaisement des forêts ! ô murmures ! Avril vient calmer tout, venant tout embaumer. Je n’ai point d’autre affaire ici-bas que d’aimer.

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    Lorsque l'enfant paraît Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille Applaudit à grands cris. Son doux regard qui brille Fait briller tous les yeux, Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être, Se dérident soudain à voir l'enfant paraître, Innocent et joyeux. Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la chambre Les chaises se toucher, Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire. On rit, on se récrie, on l'appelle, et sa mère Tremble à le voir marcher. Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme, De patrie et de Dieu, des poètes, de l'âme Qui s'élève en priant ; L'enfant paraît, adieu le ciel et la patrie Et les poètes saints ! la grave causerie S'arrête en souriant. La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rêve, à l'heure Où l'on entend gémir, comme une voix qui pleure, L'onde entre les roseaux, Si l'aube tout à coup là-bas luit comme un phare, Sa clarté dans les champs éveille une fanfare De cloches et d'oiseaux. Enfant, vous êtes l'aube et mon âme est la plaine Qui des plus douces fleurs embaume son haleine Quand vous la respirez ; Mon âme est la forêt dont les sombres ramures S'emplissent pour vous seul de suaves murmures Et de rayons dorés ! Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies, Car vos petites mains, joyeuses et bénies, N'ont point mal fait encor ; Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange, Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds ! bel ange À l'auréole d'or ! Vous êtes parmi nous la colombe de l'arche. Vos pieds tendres et purs n'ont point l'âge où l'on marche. Vos ailes sont d'azur. Sans le comprendre encor vous regardez le monde. Double virginité ! corps où rien n'est immonde, Âme où rien n'est impur ! Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire, Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire, Ses pleurs vite apaisés, Laissant errer sa vue étonnée et ravie, Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie Et sa bouche aux baisers ! Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j'aime, Frères, parents, amis, et mes ennemis même Dans le mal triomphants, De jamais voir, Seigneur ! l'été sans fleurs vermeilles, La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles, La maison sans enfants ! Mai 1830

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    Nuits d’hiver I Comme la nuit tombe vite ! Le jour, en cette saison, Comme un voleur prend la fuite, S’évade sous l’horizon. Il semble, ô soleil de Rome, De l’Inde et du Parthénon, Que, quand la nuit vient de l’homme Visiter le cabanon, Tu ne veux pas qu’on te voie, Et que tu crains d’être pris En flagrant délit de joie Par la geôlière au front gris. Pour les heureux en démence L’âpre hiver n’a point d’effroi, Mais il jette un crêpe immense Sur celui qui, comme moi, Rêveur, saignant, inflexible, Souffrant d’un stoïque ennui, Sentant la bouche invisible Et sombre souffler sur lui, Montant des effets aux causes, Seul, étranger en tout lieu, Réfugié dans les choses Où l’on sent palpiter Dieu, De tous les biens qu’un jour fane Et dont rit le sage amer, N’ayant plus qu’une cabane Au bord de la grande mer, Songe, assis dans l’embrasure, Se console en s’abîmant, Et, pensif, à sa masure Ajoute le firmament ! Pour cet homme en sa chaumière, C’est une amère douleur Que l’adieu de la lumière Et le départ de la fleur. C’est un chagrin quand, moroses, Les rayons dans les vallons S’éclipsent, et quand les roses Disent : Nous nous en allons ! …….. V Oh ! Reviens ! printemps ! fanfare Des parfums et des couleurs ! Toute la plaine s’effare Dans une émeute de fleurs. La prairie est une fête ; L’âme aspire l’air, le jour, L’aube, et sent qu’elle en est faite ; L’azur se mêle à l’amour. On croit voir, tant avril dore Tout de son reflet riant, Éclore au rosier l’aurore Et la rose à l’orient. Comme ces aubes de flamme Chassent les soucis boudeurs ! On sent s’ouvrir dans son âme De charmantes profondeurs. On se retrouve heureux, jeune, Et, plein d’ombre et de matin, On rit de l’hiver, ce jeûne, Avec l’été, ce festin. Oh ! mon coeur loin de ces grèves Fuit et se plonge, insensé, Dans tout ce gouffre de rêves Que nous nommons le passé ! Je revois mil huit cent douze, Mes frères petits, le bois, Le puisard et la pelouse, Et tout le bleu d’autrefois. Enfance ! Madrid ! campagne Où mon père nous quitta ! Et dans le soleil, l’Espagne ! Toi dans l’ombre, Pepita ! Moi, huit ans, elle le double ; En m’appelant son mari, Elle m’emplissait de trouble… – O rameaux de mai fleuri ! Elle aimait un capitaine ; J’ai compris plus tard pourquoi, Tout en l’aimant, la hautaine N’était douce que pour moi. Elle attisait son martyre Avec moi, pour l’embraser, Lui refusait un sourire Et me donnait un baiser. L’innocente, en sa paresse, Se livrant sans se faner, Me donnait cette caresse Afin de ne rien donner. Et ce baiser économe, Qui me semblait généreux, Rendait jaloux le jeune homme, Et me rendait amoureux. Il partait, la main crispée ; Et, me sentant un rival, Je méditais une épée Et je rêvais un cheval. Ainsi, du bout de son aile Touchant mon coeur nouveau-né, Gaie, ayant dans sa prunelle Un doux regard étonné, Sans savoir qu’elle était femme, Et riant de m’épouser, Cet ange allumait mon âme Dans l’ombre avec un baiser. Mal ou bien, épine ou rose, A tout âge, sages, fous, Nous apprenons quelque chose D’un enfant plus vieux que nous. Un jour la pauvre petite S’endormit sous le gazon… – Comme la nuit tombe vite Sur notre sombre horizon !

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    Pepita Comme elle avait la résille, D’abord la rime hésita. Ce devait être Inésille… – Mais non, c’était Pepita. Seize ans. Belle et grande fille… – (Ici la rime insista : Rimeur, c’était Inésille. Rime, c’était Pepita.) Pepita… – Je me rappelle ! Oh ! le doux passé vainqueur, Tout le passé, pêle-mêle Revient à flots dans mon coeur ; Mer, ton flux roule et rapporte Les varechs et les galets. Mon père avait une escorte ; Nous habitions un palais ; Dans cette Espagne que j’aime, Au point du jour, au printemps, Quand je n’existais pas même, Pepita – j’avais huit ans – Me disait : – Fils, je me nomme Pepa ; mon père est marquis. – Moi, je me croyais un homme, Etant en pays conquis. Dans sa résille de soie Pepa mettait des doublons ; De la flamme et de la joie Sortaient de ses cheveux blonds. Tout cela, jupe de moire, Veste de toréador, Velours bleu, dentelle noire, Dansait dans un rayon d’or. Et c’était presque une femme Que Pepita mes amours. L’indolente avait mon âme Sous son coude de velours. Je palpitais dans sa chambre Comme un nid près du faucon, Elle avait un collier d’ambre, Un rosier sur son balcon. Tous les jours un vieux qui pleure Venait demander un sou ; Un dragon à la même heure Arrivait je ne sais d’où. Il piaffait sous la croisée, Tandis que le vieux râlait De sa vieille voix brisée : La charité, s’il vous plaît ! Et la belle au collier jaune, Se penchant sur son rosier, Faisait au pauvre l’aumône Pour la faire à l’officier. L’un plus fier, l’autre moins sombre, Ils partaient, le vieux hagard Emportant un sou dans l’ombre, Et le dragon un regard. J’étais près de la fenêtre, Tremblant, trop petit pour voir, Amoureux sans m’y connaître, Et bête sans le savoir. Elle disait avec charme : Marions-nous ! choisissant Pour amoureux le gendarme Et pour mari l’innocent. Je disais quelque sottise ; Pepa répondait : Plus bas ! M’éteignant comme on attise ; Et, pendant ces doux ébats, Les soldats buvaient des pintes Et jouaient au domino Dans les grandes chambres peintes Du palais Masserano.

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    Quand nous habitions tous ensemble Quand nous habitions tous ensemble Sur nos collines d'autrefois, Où l'eau court, où le buisson tremble, Dans la maison qui touche aux bois, Elle avait dix ans, et moi trente ; J'étais pour elle l'univers. Oh ! comme l'herbe est odorante Sous les arbres profonds et verts ! Elle faisait mon sort prospère, Mon travail léger, mon ciel bleu. Lorsqu'elle me disait : Mon père, Tout mon coeur s'écriait : Mon Dieu ! À travers mes songes sans nombre, J'écoutais son parler joyeux, Et mon front s'éclairait dans l'ombre À la lumière de ses yeux. Elle avait l'air d'une princesse Quand je la tenais par la main. Elle cherchait des fleurs sans cesse Et des pauvres dans le chemin. Elle donnait comme on dérobe, En se cachant aux yeux de tous. Oh ! la belle petite robe Qu'elle avait, vous rappelez-vous ? Le soir, auprès de ma bougie, Elle jasait à petit bruit, Tandis qu'à la vitre rougie Heurtaient les papillons de nuit. Les anges se miraient en elle. Que son bonjour était charmant ! Le ciel mettait dans sa prunelle Ce regard qui jamais ne ment. Oh ! je l'avais, si jeune encore, Vue apparaître en mon destin ! C'était l'enfant de mon aurore, Et mon étoile du matin ! Quand la lune claire et sereine Brillait aux cieux, dans ces beaux mois, Comme nous allions dans la plaine ! Comme nous courions dans les bois ! Puis, vers la lumière isolée Étoilant le logis obscur, Nous revenions par la vallée En tournant le coin du vieux mur ; Nous revenions, coeurs pleins de flamme, En parlant des splendeurs du ciel. Je composais cette jeune âme Comme l'abeille fait son miel. Doux ange aux candides pensées, Elle était gaie en arrivant... - Toutes ces choses sont passées Comme l'ombre et comme le vent ! À Villequier, le 4 septembre 1844.

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    À maman Mon cœur me dit que c’est ta fête Je crois toujours mon cœur quand il parle de toi Maman, que faut-il donc que ce cœur te souhaite ? Des trésors ? Des honneurs ? Des trônes ? Non, ma foi ! Mais un bonheur égal au mien quand je te vois.

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    Emile Nelligan

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    Devant deux portraits de ma Mère Ma mère, que je l'aime en ce portrait ancien, Peint aux jours glorieux qu'elle était jeune fille, Le front couleur de lys et le regard qui brille Comme un éblouissant miroir vénitien ! Ma mère que voici n'est plus du tout la même ; Les rides ont creusé le beau marbre frontal ; Elle a perdu l'éclat du temps sentimental Où son hymen chanta comme un rose poème. Aujourd'hui je compare, et j'en suis triste aussi, Ce front nimbé de joie et ce front de souci, Soleil d'or, brouillard dense au couchant des années. Mais, mystère du coeur qui ne peut s'éclairer ! Comment puis-je sourire à ces lèvres fanées ! Au portrait qui sourit, comment puis-je pleurer !

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