A l’enfant inconnu Il faudrait fleurir une tombe,
A l‘enfant inconnu ;
Y déposer les fleurs du mal, du bien
De l’amour et du désamour ;
Les roses rouges de la passion,
Les roses d’hiver qui fleurissent dans la glace et la frustration.
Il faudrait honorer
L’enfant inconnu
Qui ne naît pas
Qui advient à peine
Qui est pétrit du possible et de l’impossible.
Il faudrait chanter,
Pour l’enfant inconnu,
Un chant léger, celui de l’imprévu,
Un chant lourd et grave,
Celui du désamour qui entrave.
Il faudrait s’attarder
Sur sa tombe
Se souvenir
Du désir
Qui l’ont fait venir,
Et du pourquoi
Et du comment
Qui l’ont tué.
Regarder l’emprise de la vie sur elle-même,
Sentir sa puissance,
Gouter au bien, aussi, au paisible et au sens,
Du choix fait et assumé.
Il faudrait se souvenir,
Du vieux couple qui n’a pas voulu,
De l’amant et de la maitresse
Qui n’ont pas pu ;
Du corps de la femme
Où ça ne s’accrochait pas ;
De l’hésitant et de l’indécise
Qui ne savaient pas ;
De l’enfant de prostitué
Et il ne valait mieux pas ;
Il faudrait se souvenir de ces enfants
Sans nom, sans devenir.
Il faudrait regarder sans se mentir,
L’armée des enfants inconnus
Comme une masse fantôme
Qui nous hante et nous parle,
Nous menace de sa bouche muette,
Effacée, informe.
Il faudrait la regarder en face,
Et entendre,
Ses pas lents,
Sortir
Du cœur de notre vallée noire,
Où le désir et le refus copulent,
Où le désespoir étrangle l’espoir,
Où vouloir et renoncer s’embrassent.
Qu’est-t-il sorti de cet antre ?
Peut-on le nommer ?
Je donnerai,
A l’enfant inconnu,
Une parure pour son anonymat
Des fleurs terrifiantes d’éclat
Un hymne dissonant et cru,
Un mausolée de terre nue,
Profonde, au parfum fertile.
La vie a tracé son chemin subtil, en lui,
A magnifié le chaos de la vallée noire,
Puis est retombé dans l’indicible puits,
Où se décomposent les évidences, par-delà le miroir.
il y a 9 mois
M
Maëlle Ranoux
@maelleRanoux
Se pétrir d’un voyage Je me souviens de l’océan
Chaud et doux,
S’entêtant à me séduire,
S’allongeant sur mes rêves.
Face aux torrents agités, crissants, d’ici,
Je me souviens de la vie là-bas,
Légère,
Fluide comme une rivière,
Traversante,
Dans un horizon sans barrière.
Je me souviens aussi,
Du souvenir de vous,
Mes êtres demeures,
Comme des arbres absents,
Dont l’ombre fraîche manquait sur mes rives.
Je me souviens de l’océan.
Je me souviens de vous absents.
Je me souviens encore de ceux,
Là-bas,
Restés sous le soleil ardent,
Sur les rives de ma rivière absente.
*
Mais, quelle est cette mélodie ?
Oui, je la reconnais,
C’est la triste mélodie du départ
C’est la joyeuse mélodie de l’ailleurs
Elle me pose, elle m’apaise, elle m’étreint, elle m’appelle,
Elle porte mon chagrin, elle transporte mon espoir.
*
Vos lignes monotones
M’animent !
Vos chemins chauds
M’envolent !
Votre hiver glaçant
M’échauffe !
Votre été bouillant
M’exalte
Vos grises mines
M’amusent !
Vos âmes,
à moi me lient,
à moi m’attachent,
à vous m’attachent.
*
il y a 9 mois
N
Nashmia Noormohamed
@nashmiaNoormohamed
Grossesse Grossesse, quel mot immonde,
pour cette merveilleuse métamorphose.
Grossesse, voulue ou non,
désirée, provoquée ou avortée.
Grossesse, en prélude à la
maternité, la mère enfantée.
Grossesse, fruit de l’amour,
l’amour éclair ou l’amour toujours.
Grossesse, moment de plénitude,
ou quand l’enfant élève la mère.
Grossesse, heureux hasard
aléatoire, source de vie.
Grossesse, nausées, insomnies,
mal-être oubliés dès le premier regard,
entre le nouveau-né et sa mère fraîchement nommée.
il y a 9 mois
Sully Prudhomme
@sullyPrudhomme
L’amour maternel À Maurice Chevrier
Fait d’héroïsme et de clémence,
Présent toujours au moindre appel,
Qui de nous peut dire où commence,
Où finit l’amour maternel ?
Il n’attend pas qu’on le mérite,
Il plane en deuil sur les ingrats ;
Lorsque le père déshérite,
La mère laisse ouverts ses bras ;
Son crédule dévouement reste
Quand les plus vrais nous ont menti,
Si téméraire et si modeste
Qu’il s’ignore et n’est pas senti.
Pour nous suivre il monte ou s’abîme,
À nos revers toujours égal,
Ou si profond ou si sublime
Que, sans maître, il est sans rival :
Est-il de retraite plus douce
Qu’un sein de mère, et quel abri
Recueille avec moins de secousse
Un cœur fragile endolori ?
Quel est l’ami qui sans colère
Se voit pour d’autres négligé ?
Qu’on méconnaît sans lui déplaire,
Si bon qu’il n’en soit affligé ?
Quel ami dans un précipice
Nous joint sans espoir de retour,
Et ne sent quelque sacrifice
Où la mère ne sent qu’amour ?
Lequel n’espère un avantage
Des échanges de l’amitié ?
Que de fois la mère partage
Et ne garde pas sa moitié !
Ô mère, unique Danaïde
Dont le zèle soit sans déclin,
Et qui, sans maudire le vide,
Y penche un grand cœur toujours plein !
il y a 9 mois
Sully Prudhomme
@sullyPrudhomme
Passion malheureuse J'ai mal placé mon cœur, j'aime l'enfant d'un autre ;
Et c'est pour m'exploiter qu'il fait le bon apôtre,
Ce petit traître ! Je le sais.
Sa mère, quand je viens, me devine, et l'appelle,
Sentant que je suis là pour lui plus que pour elle,
Mais elle ne m'en veut jamais.
Le marmot prend alors sa voix flûtée et tendre
(Les enfants ont deux voix) et dit, sans la comprendre,
Sa fable, avec expression ;
Puis il me fait ranger des soldats sur la table,
Et m'obsède, et je trouve un plaisir ineffable
À sa gentille obsession.
Je m'y laisse duper toutes les fois : j'espère
Qu'à force de bonté je serai presque un père :
Ne dit-il pas qu'il m'aime bien ?
Mais voici tout à coup le vrai père, ô disgrâce !
L'enfant court, bat des mains, lui saute au cou, l'embrasse,
Et le pauvre oncle n'est plus rien.
il y a 9 mois
R
Rhita Benjelloun
@rhitaBenjelloun
Ma couronne Brave homme à l’allure très sage
Amplement actif malgré ton âge
Tant de sacrifice, tant de courage
Pour le bien-être de ton petit entourage
Tu fus pour moi l’exemple à suivre
J’imitais tes gestes, tes paroles et même tes rires
Mon idole, ainsi je te nomme
L’homme à qui je porte un amour hors norme
La jouvencelle que je suis, à toi je te la dois
Tu nous as toujours procuré la gaieté, l’amour et la joie
Père tu es mon idéal, tu es ma voie
Rhita Benjelloun
il y a 9 mois
R
Richard Taillefer
@richardTaillefer
À ma mère Elle est assise
Dans l’embrasure de la grande fenêtre
C’est l’endroit du monde
Où l’on voit le mieux tout le monde
Un peu de mer
Un peu de ciel
Elle aime cet endroit
Où son cœur s’apaise
Un rayon de soleil paresseux avance devant elle
La lumière flirte avec le fond de la pièce
Là elle ne pense plus à rien
Elle n’oublie pas !
Les gens
Les choses
Les visages
De ceux qui lui sont proches
Et pourtant si lointains
Ni Pépète
La petite chienne aux poils si noirs
Réfugiée sur ses genoux de douleur
Elle écoute
Une étrange musique
Rythmée par les caprices du vent
Tournoyant dans les arbres
il y a 9 mois
Robert Desnos
@robertDesnos
La famille Dupanard de Vitry-Sur-Seine La tribu
Dupanard
Les parents les moutards
Habit' dans un gourbi
AVitry
A
Vitry-sur-Seine
Ah! quelle veine!
Le papa
Dupanard
A jadis fait son lard
Au retour d'
Biribi
AVitry
A
Vitry-sur-Seine
Ah! quelle aubaine!
La maman
Dupanard
S'est rangé' sur le tard
EH' buvait des anis
AVitry
A
Vitry-sur-Seine
Ah! quelle haleine!
Le p'tit
Louis
Dupanard
D'habitude couche au quart
Puis il fait son fourbi
A
Vitry
A
Vitry-sur-Seine
Ah ! quell' vilaine !
La
Louison
Dupanard
A des patt' de canard
Des poils de ouistiti
A
Vitry
A
Vitry-sur-Seine
Ah! quell'
Sirène!
Au musé'
Dupuytren
Il y en a encor un
Il n'a pas fait son lit
A
Vitry
A
Vitry-sur-Seine
Ah! quelle peine!
Dans l'caveau familial
Ils iront c'est fatal
C'est la mort c'est la vi*
AVitry
A
Vitry-sur-Seine
Ah! quel domaine!
Puis on les oubliera
Tôt ou tard c'est comm' ça !
A
Pékin à
Paris
AVitry
A
Vitry-sur-Seine
Faridondaine!
il y a 9 mois
Robert Frost
@robertFrost
Le jardin d'une fille Un de mes voisins dans le village
Aime raconter comment on ressort
Quand elle était fille à la ferme, elle faisait
Une chose enfantine.
Un jour, elle a demandé à son père de
lui donner une parcelle de jardin
Pour planter, entretenir et récolter elle-même,
Et il a dit: "Pourquoi pas?"
En cherchant un coin,
il pensa à un bout
de terrain clos où se trouvait un magasin,
et il dit: "Juste ça."
Et il a dit: "Cela devrait faire de vous
une ferme idéale pour une seule fille,
et vous donner une chance de mettre de la force
sur votre bras mince."
Ce n'était pas assez de jardin,
disait son père, pour labourer;
Elle a donc dû tout travailler à la main,
Mais ça ne la dérange pas maintenant.
Elle a fait rouler le fumier dans la brouette le
long d'un tronçon de route;
Mais elle s'est toujours enfuie et a laissé
sa charge pas agréable.
Et caché à quiconque passait.
Et puis elle a supplié la graine.
Elle dit qu'elle pense avoir planté une
de toutes les choses sauf de l'herbe.
Une colline chacun de pommes de terre, de
radis, de laitue, de pois, de
tomates, de betteraves, de haricots, de citrouilles, de maïs,
et même d'arbres fruitiers
Et oui, elle s'est longtemps méfiée
qu'un pommier à cidre
en portant là aujourd'hui est à lui,
Ou du moins peut être.
Sa récolte était un mélange
Quand tout a été dit et fait,
Un peu de tout,
Beaucoup de rien.
Maintenant, quand elle voit dans le village
comment les choses se passent dans le village ,
Juste au moment où ça semble aller bien,
Elle dit: "Je sais!
C'est comme quand j'étais agriculteur ..."
Oh, jamais à titre de conseil!
Et elle ne pèche jamais en racontant l'histoire
à la même personne deux fois.
il y a 9 mois
R
Régis Boury
@regisBoury
En tempête de vie Viens, allons au jardin
Avant que les roses ne pleurent
Notre vieille demeure
Est bien triste ce matin
Dire qu'ils sont repartis, ces gamins
Qui ravissaient nos âmes
A leurs cris, emportant rires et larmes
En tempête de vie
Comme un reflux de vacarme.
Cette maison trop grande
Silencieuse (horriblement)
Est redevenue une île
Perdue, battue aux vents
Prise par le froid du coeur.
Nous partirons demain !
Vite ! allons au jardin
Soudain j'ai peur
Que les roses ne meurent;
13 octobre 1997
zadig92000
il y a 9 mois
S
Sandrine Davin
@sandrineDavin
A cet homme… Des godasses un peu trop grandes
Un chapeau de paille, troué
Il n’en avait que faire :
Sa vie, c’était la terre.
Des mains aussi noires qu’un mineur
Mais tant d’amour dans le cœur
Jamais un mot de travers
Il en voulait, à son père.
Qui était-il ?
Un « Vieux Bonhomme » au regard clair
Un homme qui aimait la terre.
Les années ont passé,
Il a succombé.
…
« Il n’en avait que faire,
Sa vie, c’était la terre ».
A mon grand-père.
il y a 9 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Maïeutique reproductive J’ai enfanté moi aussi dans la douleur
Mon ventre dégonflé
Soudaine surprise biochimique
Mon enfant était là
Luisant et métallique
Comme une œuvre d’art jaillissant du néant
J’étais la déesse créatrice
Fertile, sacrée
Seule dans mon bonheur
Emparée par une euphorie mystique
J’ai cru, un seul instant,
être le scarabée de l’humanité
il y a 9 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Nativité Recroquevillé au fond de l’utérus
Il appréhendait le monde
Le petit cœur tambourinait
au rythme endiablé des printemps qui l’attendaient
Il n’a pas eu peur,
petit bébé,
l’amour le désirait
Il a laissé la musique construire son âme
Il a laissé les bruits
les pas
les voix
le façonner
Il est sorti en guerrier
Sourire aux lèvres
il y a 9 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
À maman Je suis là, maman
cachée au fond de tes entrailles
mes cellules vibrent
ton cœur bat fort
je sens la chaleur de ta voix
elle me caresse déjà
Tu es la magie du monde
Je ne suis pas encore
pourtant je t’aime déjà
Je suis un cerf volant
emmailloté dans tes bras
Le cerf volant du Paradis
sans âge
Les cloches sonnent
Je suis là, maman
j’arrive
un bouquet parfumé dans mes pensées
Sybille Rembard, Beauté fractionnée, 2002
il y a 9 mois
Sylvia Plath
@sylviaPlath
L’agneau de Marie L’agneau pascal frit dans sa graisse.
La graisse
Sacrifie son opacité…
La vitre est d’or sacré.
Le feu la rend précieuse,
Le même feu toujours
Fondant le suif des hérétiques
Et débusquant les juifs.
Leurs draps de fumée noire ondoient
Sur les stigmates de la Pologne
Et l’Allemagne incendiée.
Ils ne meurent pas.
Des oiseaux gris hantent mon cœur,
Bouche en cendre, œil cendreux,
Ils se posent. Sur l’immense
Précipice
Qui a vidé un homme dans l’espace
Les fours flambaient en cieux, incandescents.
Et c’est un cœur,
L’holocauste où j’entre,
O bel enfant d’or que le monde tue et mange.
il y a 9 mois
Tahar Ben Jelloun
@taharBenJelloun
Il quitta sa famille Il quitta sa famille
laissa pousser la barbe
et remplit sa solitude de pierres et de brume
Il arriva au désert
la tête enroulée dans un linceul
le sang versé
en terre occupée
Il n'était
ni héros ni martyr
il était
citoyen de la blessure
il y a 9 mois
T
Thomas Chaline
@thomasChaline
Tes rêves et ton berceau Tu grandis si vite
Et t’éloignes en silence
Autour de toi gravite
Cette liberté immense
Tu abandonnes tes repères
Tes rêves et ton berceau
Et tout ce que tu digères
Devient de longs sanglots
Tu grandis si vite
Et pleures en silence
Autour de toi s’évite
La prison « insolence »
Tu abandonnes les cimes
De ton berceau de lumière
Et tout ce que tu dessines
A une coloration délétère
il y a 9 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
À mon Père O mon père, soldat obscur, âme angélique !
Juste qui vois le mal d’un oeil mélancolique,
Sois béni ! je te dois ma haine et mon mépris
Pour tous les vils trésors dont le monde est épris.
Oh ! tandis que je vais fouillant l’ombre éternelle,
Si la Muse une fois me touchait de son aile !
Si ses mains avaient pris plaisir à marier
Sur mon front orgueilleux la rose et le laurier
Par lesquels le poëte est souvent plus qu’un homme,
Comme je tomberais à tes genoux ! et comme
Je ne serais jaloux de personne et de rien,
Si tu disais : Mon fils, je suis content, c’est bien.
Car ce cœur fier que rien de bas ne peut séduire,
O père, est bien à toi, qui toujours as fait luire
Devant moi, comme un triple et merveilleux flambeau,
L’ardeur du bien, l’espoir du vrai, l’amour du beau !
Février 1846.
il y a 9 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
Lorsque ma soeur et moi Lorsque ma soeur et moi, dans les forêts profondes,
Nous avions déchiré nos pieds sur les cailloux,
En nous baisant au front tu nous appelais fous,
Après avoir maudit nos courses vagabondes.
Puis, comme un vent d’été confond les fraîches ondes
De deux petits ruisseaux sur un lit calme et doux,
Lorsque tu nous tenais tous deux sur tes genoux,
Tu mêlais en riant nos chevelures blondes.
Et pendant bien longtemps nous restions là blottis,
Heureux, et tu disais parfois : Ô chers petits.
Un jour vous serez grands, et moi je serai vieille !
Les jours se sont enfuis, d’un vol mystérieux,
Mais toujours la jeunesse éclatante et vermeille
Fleurit dans ton sourire et brille dans tes yeux.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Claire Quoi donc ! la vôtre aussi ! la vôtre suit la mienne !
O mère au coeur profond, mère, vous avez beau
Laisser la porte ouverte afin qu’elle revienne,
Cette pierre là-bas dans l’herbe est un tombeau !
La mienne disparut dans les flots qui se mêlent ;
Alors, ce fut ton tour, Claire, et tu t’envolas.
Est-ce donc que là-haut dans l’ombre elles s’appellent,
Qu’elles s’en vont ainsi l’une après l’autre, hélas ?
Enfant qui rayonnais, qui chassais la tristesse,
Que ta mère jadis berçait de sa chanson,
Qui d’abord la charmas avec ta petitesse
Et plus tard lui remplis de clarté l’horizon,
Voilà donc que tu dors sous cette pierre grise !
Voilà que tu n’es plus, ayant à peine été !
L’astre attire le lys, et te voilà reprise,
O vierge, par l’azur, cette virginité !
Te voilà remontée au firmament sublime,
Échappée aux grands cieux comme la grive aux bois,
Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongée à l’abîme
Des rayons, des amours, des parfums et des voix !
Nous ne t’entendrons plus rire en notre nuit noire.
Nous voyons seulement, comme pour nous bénir,
Errer dans notre ciel et dans notre mémoire
Ta figure, nuage, et ton nom, souvenir !
Pressentais-tu déjà ton sombre épithalame ?
Marchant sur notre monde à pas silencieux,
De tous les idéals tu composais ton âme,
Comme si tu faisais un bouquet pour les cieux !
En te voyant si calme et toute lumineuse,
Les coeurs les plus saignants ne haïssaient plus rien.
Tu passais parmi nous comme Ruth la glaneuse ,
Et, comme Ruth l’épi, tu ramassais le bien.
La nature, ô front pur, versait sur toi sa grâce,
L’aurore sa candeur, et les champs leur bonté ;
Et nous retrouvions, nous sur qui la douleur passe,
Toute cette douceur dans toute ta beauté !
Chaste, elle paraissait ne pas être autre chose
Que la forme qui sort des cieux éblouissants ;
Et de tous les rosiers elle semblait la rose,
Et de tous les amours elle semblait l’encens.
Ceux qui n’ont pas connu cette charmante fille
Ne peuvent pas savoir ce qu’était ce regard
Transparent comme l’eau qui s’égaie et qui brille
Quand l’étoile surgit sur l’océan hagard.
Elle était simple, franche, humble, naïve et bonne ;
Chantant à demi-voix son chant d’illusion,
Ayant je ne sais quoi dans toute sa personne
De vague et de lointain comme la vision.
On sentait qu’elle avait peu de temps sur la terre,
Qu’elle n’apparaissait que pour s’évanouir,
Et qu’elle acceptait peu sa vie involontaire ;
Et la tombe semblait par moments l’éblouir.
Elle a passé dans l’ombre où l’homme se résigne ;
Le vent sombre soufflait ; elle a passé sans bruit,
Belle, candide, ainsi qu’une plume de cygne
Qui reste blanche, même en traversant la nuit !
Elle s’en est allée à l’aube qui se lève,
Lueur dans le matin, vertu dans le ciel bleu,
Bouche qui n’a connu que le baiser du rêve,
Ame qui n’a dormi que dans le lit de Dieu !
Nous voici maintenant en proie aux deuils sans bornes,
Mère, à genoux tous deux sur des cercueils sacrés,
Regardant à jamais dans les ténèbres mornes
La disparition des êtres adorés !
Croire qu’ils resteraient ! quel songe ! Dieu les presse.
Même quand leurs bras blancs sont autour de nos cous,
Un vent du ciel profond fait frissonner sans cesse
Ces fantômes charmants que nous croyons à nous.
Ils sont là, près de nous, jouant sur notre route ;
Ils ne dédaignent pas notre soleil obscur,
Et derrière eux, et sans que leur candeur s’en doute,
Leurs ailes font parfois de l’ombre sur le mur.
Ils viennent sous nos toits ; avec nous ils demeurent ;
Nous leur disons : Ma fille, ou : Mon fils ; ils sont doux,
Riants, joyeux, nous font une caresse, et meurent. –
O mère, ce sont là les anges, voyez-vous !
C’est une volonté du sort, pour nous sévère,
Qu’ils rentrent vite au ciel resté pour eux ouvert ;
Et qu’avant d’avoir mis leur lèvre à notre verre,
Avant d’avoir rien fait et d’avoir rien souffert,
Ils partent radieux ; et qu’ignorant l’envie,
L’erreur, l’orgueil, le mal, la haine, la douleur,
Tous ces êtres bénis s’envolent de la vie
A l’âge où la prunelle innocente est en fleur !
Nous qui sommes démons ou qui sommes apôtres,
Nous devons travailler, attendre, préparer ;
Pensifs, nous expions pour nous-même ou pour d’autres ;
Notre chair doit saigner, nos yeux doivent pleurer.
Eux, ils sont l’air qui fuit, l’oiseau qui ne se pose
Qu’un instant, le soupir qui vole, avril vermeil
Qui brille et passe ; ils sont le parfum de la rose
Qui va rejoindre aux cieux le rayon du soleil !
Ils ont ce grand dégoût mystérieux de l’âme
Pour notre chair coupable et pour notre destin ;
Ils ont, êtres rêveurs qu’un autre azur réclame,
Je ne sais quelle soif de mourir le matin !
Ils sont l’étoile d’or se couchant dans l’aurore,
Mourant pour nous, naissant pour l’autre firmament ;
Car la mort, quand un astre en son sein vient éclore,
Continue, au delà, l’épanouissement !
Oui, mère, ce sont là les élus du mystère,
Les envoyés divins, les ailés, les vainqueurs,
A qui Dieu n’a permis que d’effleurer la terre
Pour faire un peu de joie à quelques pauvres coeurs.
Comme l’ange à Jacob, comme Jésus à Pierre,
Ils viennent jusqu’à nous qui loin d’eux étouffons,
Beaux, purs, et chacun d’eux portant sous sa paupière
La sereine clarté des paradis profonds.
Puis, quand ils ont, pieux, baisé toutes nos plaies,
Pansé notre douleur, azuré nos raisons,
Et fait luire un moment l’aube à travers nos claies,
Et chanté la chanson du ciel dam nos maisons,
Ils retournent là-haut parler à Dieu des hommes,
Et, pour lui faire voir quel est notre chemin,
Tout ce que nous souffrons et tout ce que nous sommes,
S’en vont avec un peu de terre dans la main.
Ils s’en vont ; c’est tantôt l’éclair qui les emporte,
Tantôt un mal plus fort que nos soins superflus.
Alors, nous, pâles, froids, l’oeil fixé sur la porte,
Nous ne savons plus rien, sinon qu’ils ne sont plus.
Nous disons : – A quoi bon l’âtre sans étincelles ?
A quoi bon la maison où ne sont plus leurs pas ?
A quoi bon la ramée où ne sont plus les ailes ?
Qui donc attendons-nous s’ils ne reviendront pas ? –
Ils sont partis, pareils au bruit qui sort des lyres.
Et nous restons là, seuls, près du gouffre où tout fuit,
Tristes ; et la lueur de leurs charmants sourires
Parfois nous apparaît vaguement dans la nuit.
Car ils sont revenus, et c’est là le mystère ;
Nous entendons quelqu’un flotter, un souffle errer,
Des robes effleurer notre seuil solitaire,
Et cela fait alors que nous pouvons pleurer.
Nous sentons frissonner leurs cheveux dans notre ombre ;
Nous sentons, lorsqu’ayant la lassitude en nous,
Nous nous levons après quelque prière sombre,
Leurs blanches mains toucher doucement nos genoux.
Ils nous disent tout bas de leur voix la plus tendre :
« Mon père, encore un peu ! ma mère, encore un jour !
« M’entends-tu ? je suis là, je reste pour t’attendre
« Sur l’échelon d’en bas de l’échelle d’amour.
« Je t’attends pour pouvoir nous en aller ensemble.
« Cette vie est amère, et tu vas en sortir.
« Pauvre coeur, ne crains rien, Dieu vit ! la mort rassemble.
« Tu redeviendras ange ayant été martyr. »
Oh ! quand donc viendrez-vous ? Vous retrouver, c’est naître.
Quand verrons-nous, ainsi qu’un idéal flambeau,
La douce étoile mort, rayonnante, apparaître
A ce noir horizon qu’on nomme le tombeau ?
Quand nous en irons-nous où vous êtes, colombes !
Où sont les enfants morts et les printemps enfuis,
Et tous les chers amours dont nous sommes les tombes,
Et toutes les clartés dont nous sommes les nuits ?
Vers ce grand ciel clément où sont tous les dictames,
Les aimés, les absents, les êtres purs et doux,
Les baisers des esprits et les regards des âmes,
Quand nous en irons-nous ? quand nous en irons-nous ?
Quand nous en irons-nous où sont l’aube et la foudre ?
Quand verrons-nous, déjà libres, hommes encor,
Notre chair ténébreuse en rayons se dissoudre,
Et nos pieds faits de nuit éclore en ailes d’or ?
Quand nous enfuirons-nous dans la joie infinie
Où les hymnes vivants sont des anges voilés,
Où l’on voit, à travers l’azur de l’harmonie,
La strophe bleue errer sur les luths étoilés ?
Quand viendrez-vous chercher notre humble coeur qui sombre ?
Quand nous reprendrez-vous à ce monde charnel,
Pour nous bercer ensemble aux profondeurs de l’ombre,
Sous l’éblouissement du regard éternel ?
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Demain, dès l'aube Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Guerre civile La foule était tragique et terrible ; on criait :
À mort ! Autour d’un homme altier, point inquiet,
Grave, et qui paraissait lui-même inexorable,
Le peuple se pressait : À mort le misérable !
Et lui, semblait trouver toute simple la mort.
La partie est perdue, on n’est pas le plus fort,
On meurt, soit. Au milieu de la foule accourue,
Les vainqueurs le traînaient de chez lui dans la rue.
— À mort l’homme ! — On l’avait saisi dans son logis ;
Ses vêtements étaient de carnage rougis ;
Cet homme était de ceux qui font l’aveugle guerre
Des rois contre le peuple, et ne distinguent guère
Scévola de Brutus, ni Barbès de Blanqui ;
Il avait tout le jour tué n’importe qui ;
Incapable de craindre, incapable d’absoudre,
Il marchait, laissant voir ses mains noires de poudre ;
Une femme le prit au collet : « À genoux !
C’est un sergent de ville. Il a tiré sur nous !
— C’est vrai, dit l’homme. — À bas ! à mort ! qu’on le fusille !
Dit le peuple. — Ici ! Non ! Plus loin ! À la Bastille !
À l’arsenal ! Allons ! Viens ! Marche ! — Où vous voudrez »,
Dit le prisonnier. Tous, hagards, les rangs serrés,
Chargèrent leurs fusils. « Mort au sergent de ville !
Tuons-le comme un loup ! — Et l’homme dit, tranquille :
— C’est bien, je suis le loup, mais vous êtes les chiens.
— Il nous insulte ! À mort ! » Les pâles citoyens
Croisaient leurs poings crispés sur le captif farouche ;
L’ombre était sur son front et le fiel dans sa bouche ;
Cent voix criaient : « À mort ! À bas ! Plus d’empereur ! »
On voyait dans ses yeux un reste de fureur
Remuer vaguement comme une hydre échouée ;
Il marchait poursuivi par l’énorme huée,
Et, calme, il enjambait, plein d’un superbe ennui,
Des cadavres gisants, peut-être faits par lui.
Le peuple est effrayant lorsqu’il devient tempête ;
L’homme sous plus d’affronts levait plus haut la tête ;
Il était plus que pris, il était envahi.
Dieu ! comme il haïssait ! comme il était haï !
Comme il les eût, vainqueur, fusillés tous ! « Qu’il meure !
Il nous criblait encor de balles tout à l’heure !
À bas cet espion, ce traître, ce maudit !
À mort ! c’est un brigand ! » Soudain on entendit
Une petite voix qui disait : « C’est mon père ! »
Et quelque chose fit l’effet d’une lumière.
Un enfant apparut. Un enfant de six ans.
Ses deux bras se dressaient suppliants, menaçants.
Tous criaient : « Fusillez le mouchard ! Qu’on l’assomme ! »
Et l’enfant se jeta dans les jambes de l’homme,
Et dit, ayant au front le rayon baptismal :
« Père, je ne veux pas qu’on te fasse de mal ! »
Et cet enfant sortait de la même demeure.
Les clameurs grossissaient : « À bas l’homme ! Qu’il meure !
À bas ! finissons-en avec cet assassin !
Mort ! » Au loin le canon répondait au tocsin.
Toute la rue était pleine d’hommes sinistres.
À bas les rois ! À bas les prêtres, les ministres,
Les mouchards ! Tuons tout ! c’est un tas de bandits ! »
Et l’enfant leur cria : « Mais puisque je vous dis
Que c’est mon père ! — Il est joli, dit une femme,
Bel enfant ! » On voyait dans ses yeux bleus une âme ;
Il était tout en pleurs, pâle, point mal vêtu.
Une autre femme dit : « Petit, quel âge as-tu ?
Et l’enfant répondit : — Ne tuez pas mon père ! »
Quelques regards pensifs étaient fixés à terre,
Les poings ne tenaient plus l’homme si durement.
Un de plus furieux, entre tous inclément,
Dit à l’enfant : « Va-t’en ! — Où ? — Chez toi. — Pourquoi faire ?
— Chez ta mère. — Sa mère est morte, dit le père.
— Il n’a donc plus que vous ? — Qu’est-ce que cela fait ? »
Dit le vaincu. Stoïque et calme, il réchauffait
Les deux petites mains dans sa rude poitrine,
Et disait à l’enfant : « Tu sais bien, Catherine ?
— Notre voisine ? — Oui. Va chez elle. — Avec toi ?
— J’irai plus tard. — Sans toi je ne veux pas. — Pourquoi ?
— Parce qu’on te ferait du mal. » Alors le père
Parla tout bas au chef de cette sombre guerre :
« Lâchez-moi le collet. Prenez-moi par la main,
Doucement. Je vais dire à l’enfant : À demain !
Vous me fusillerez au détour de la rue,
Ailleurs, où vous voudrez. — Et, d’une voix bourrue :
— Soit, dit le chef, lâchant le captif à moitié.
Le père dit : — Tu vois. C’est de bonne amitié.
Je me promène avec ces messieurs. Sois bien sage,
Rentre. » Et l’enfant tendit au père son visage,
Et s’en alla content, rassuré, sans effroi.
« Nous sommes à notre aise à présent, tuez-moi,
Dit le père aux vainqueurs ; où voulez-vous que j’aille ? »
Alors, dans cette foule où grondait la bataille,
On entendit passer un immense frisson,
Et le peuple cria : « Rentre dans ta maison ! »
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Je prendrai par la main les deux petits enfants Je prendrai par la main les deux petits enfants ;
J’aime les bois où sont les chevreuils et les faons,
Où les cerfs tachetés suivent les biches blanches
Et se dressent dans l’ombre effrayés par les branches ;
Car les fauves sont pleins d’une telle vapeur
Que le frais tremblement des feuilles leur fait peur.
Les arbres ont cela de profond qu’ils vous montrent
Que l’éden seul est vrai, que les coeurs s’y rencontrent,
Et que, hors les amours et les nids, tout est vain ;
Théocrite souvent dans le hallier divin
Crut entendre marcher doucement la ménade.
C’est là que je ferai ma lente promenade
Avec les deux marmots. J’entendrai tour à tour
Ce que Georges conseille à Jeanne, doux amour,
Et ce que Jeanne enseigne à George. En patriarche
Que mènent les enfants, je réglerai ma marche
Sur le temps que prendront leurs jeux et leurs repas,
Et sur la petitesse aimable de leurs pas.
Ils cueilleront des fleurs, ils mangeront des mûres.
Ô vaste apaisement des forêts ! ô murmures !
Avril vient calmer tout, venant tout embaumer.
Je n’ai point d’autre affaire ici-bas que d’aimer.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Lorsque l'enfant paraît Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille
Applaudit à grands cris.
Son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,
Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,
Innocent et joyeux.
Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre
Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la chambre
Les chaises se toucher,
Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
On rit, on se récrie, on l'appelle, et sa mère
Tremble à le voir marcher.
Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
De patrie et de Dieu, des poètes, de l'âme
Qui s'élève en priant ;
L'enfant paraît, adieu le ciel et la patrie
Et les poètes saints ! la grave causerie
S'arrête en souriant.
La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rêve, à l'heure
Où l'on entend gémir, comme une voix qui pleure,
L'onde entre les roseaux,
Si l'aube tout à coup là-bas luit comme un phare,
Sa clarté dans les champs éveille une fanfare
De cloches et d'oiseaux.
Enfant, vous êtes l'aube et mon âme est la plaine
Qui des plus douces fleurs embaume son haleine
Quand vous la respirez ;
Mon âme est la forêt dont les sombres ramures
S'emplissent pour vous seul de suaves murmures
Et de rayons dorés !
Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies,
Car vos petites mains, joyeuses et bénies,
N'ont point mal fait encor ;
Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange,
Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds ! bel ange
À l'auréole d'or !
Vous êtes parmi nous la colombe de l'arche.
Vos pieds tendres et purs n'ont point l'âge où l'on marche.
Vos ailes sont d'azur.
Sans le comprendre encor vous regardez le monde.
Double virginité ! corps où rien n'est immonde,
Âme où rien n'est impur !
Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés,
Laissant errer sa vue étonnée et ravie,
Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers !
Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j'aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur ! l'été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants !
Mai 1830
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Nuits d’hiver I
Comme la nuit tombe vite !
Le jour, en cette saison,
Comme un voleur prend la fuite,
S’évade sous l’horizon.
Il semble, ô soleil de Rome,
De l’Inde et du Parthénon,
Que, quand la nuit vient de l’homme
Visiter le cabanon,
Tu ne veux pas qu’on te voie,
Et que tu crains d’être pris
En flagrant délit de joie
Par la geôlière au front gris.
Pour les heureux en démence
L’âpre hiver n’a point d’effroi,
Mais il jette un crêpe immense
Sur celui qui, comme moi,
Rêveur, saignant, inflexible,
Souffrant d’un stoïque ennui,
Sentant la bouche invisible
Et sombre souffler sur lui,
Montant des effets aux causes,
Seul, étranger en tout lieu,
Réfugié dans les choses
Où l’on sent palpiter Dieu,
De tous les biens qu’un jour fane
Et dont rit le sage amer,
N’ayant plus qu’une cabane
Au bord de la grande mer,
Songe, assis dans l’embrasure,
Se console en s’abîmant,
Et, pensif, à sa masure
Ajoute le firmament !
Pour cet homme en sa chaumière,
C’est une amère douleur
Que l’adieu de la lumière
Et le départ de la fleur.
C’est un chagrin quand, moroses,
Les rayons dans les vallons
S’éclipsent, et quand les roses
Disent : Nous nous en allons !
……..
V
Oh ! Reviens ! printemps ! fanfare
Des parfums et des couleurs !
Toute la plaine s’effare
Dans une émeute de fleurs.
La prairie est une fête ;
L’âme aspire l’air, le jour,
L’aube, et sent qu’elle en est faite ;
L’azur se mêle à l’amour.
On croit voir, tant avril dore
Tout de son reflet riant,
Éclore au rosier l’aurore
Et la rose à l’orient.
Comme ces aubes de flamme
Chassent les soucis boudeurs !
On sent s’ouvrir dans son âme
De charmantes profondeurs.
On se retrouve heureux, jeune,
Et, plein d’ombre et de matin,
On rit de l’hiver, ce jeûne,
Avec l’été, ce festin.
Oh ! mon coeur loin de ces grèves
Fuit et se plonge, insensé,
Dans tout ce gouffre de rêves
Que nous nommons le passé !
Je revois mil huit cent douze,
Mes frères petits, le bois,
Le puisard et la pelouse,
Et tout le bleu d’autrefois.
Enfance ! Madrid ! campagne
Où mon père nous quitta !
Et dans le soleil, l’Espagne !
Toi dans l’ombre, Pepita !
Moi, huit ans, elle le double ;
En m’appelant son mari,
Elle m’emplissait de trouble… –
O rameaux de mai fleuri !
Elle aimait un capitaine ;
J’ai compris plus tard pourquoi,
Tout en l’aimant, la hautaine
N’était douce que pour moi.
Elle attisait son martyre
Avec moi, pour l’embraser,
Lui refusait un sourire
Et me donnait un baiser.
L’innocente, en sa paresse,
Se livrant sans se faner,
Me donnait cette caresse
Afin de ne rien donner.
Et ce baiser économe,
Qui me semblait généreux,
Rendait jaloux le jeune homme,
Et me rendait amoureux.
Il partait, la main crispée ;
Et, me sentant un rival,
Je méditais une épée
Et je rêvais un cheval.
Ainsi, du bout de son aile
Touchant mon coeur nouveau-né,
Gaie, ayant dans sa prunelle
Un doux regard étonné,
Sans savoir qu’elle était femme,
Et riant de m’épouser,
Cet ange allumait mon âme
Dans l’ombre avec un baiser.
Mal ou bien, épine ou rose,
A tout âge, sages, fous,
Nous apprenons quelque chose
D’un enfant plus vieux que nous.
Un jour la pauvre petite
S’endormit sous le gazon… –
Comme la nuit tombe vite
Sur notre sombre horizon !
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Pepita Comme elle avait la résille,
D’abord la rime hésita.
Ce devait être Inésille… –
Mais non, c’était Pepita.
Seize ans. Belle et grande fille… –
(Ici la rime insista :
Rimeur, c’était Inésille.
Rime, c’était Pepita.)
Pepita… – Je me rappelle !
Oh ! le doux passé vainqueur,
Tout le passé, pêle-mêle
Revient à flots dans mon coeur ;
Mer, ton flux roule et rapporte
Les varechs et les galets.
Mon père avait une escorte ;
Nous habitions un palais ;
Dans cette Espagne que j’aime,
Au point du jour, au printemps,
Quand je n’existais pas même,
Pepita – j’avais huit ans –
Me disait : – Fils, je me nomme
Pepa ; mon père est marquis. –
Moi, je me croyais un homme,
Etant en pays conquis.
Dans sa résille de soie
Pepa mettait des doublons ;
De la flamme et de la joie
Sortaient de ses cheveux blonds.
Tout cela, jupe de moire,
Veste de toréador,
Velours bleu, dentelle noire,
Dansait dans un rayon d’or.
Et c’était presque une femme
Que Pepita mes amours.
L’indolente avait mon âme
Sous son coude de velours.
Je palpitais dans sa chambre
Comme un nid près du faucon,
Elle avait un collier d’ambre,
Un rosier sur son balcon.
Tous les jours un vieux qui pleure
Venait demander un sou ;
Un dragon à la même heure
Arrivait je ne sais d’où.
Il piaffait sous la croisée,
Tandis que le vieux râlait
De sa vieille voix brisée :
La charité, s’il vous plaît !
Et la belle au collier jaune,
Se penchant sur son rosier,
Faisait au pauvre l’aumône
Pour la faire à l’officier.
L’un plus fier, l’autre moins sombre,
Ils partaient, le vieux hagard
Emportant un sou dans l’ombre,
Et le dragon un regard.
J’étais près de la fenêtre,
Tremblant, trop petit pour voir,
Amoureux sans m’y connaître,
Et bête sans le savoir.
Elle disait avec charme :
Marions-nous ! choisissant
Pour amoureux le gendarme
Et pour mari l’innocent.
Je disais quelque sottise ;
Pepa répondait : Plus bas !
M’éteignant comme on attise ;
Et, pendant ces doux ébats,
Les soldats buvaient des pintes
Et jouaient au domino
Dans les grandes chambres peintes
Du palais Masserano.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Quand nous habitions tous ensemble Quand nous habitions tous ensemble
Sur nos collines d'autrefois,
Où l'eau court, où le buisson tremble,
Dans la maison qui touche aux bois,
Elle avait dix ans, et moi trente ;
J'étais pour elle l'univers.
Oh ! comme l'herbe est odorante
Sous les arbres profonds et verts !
Elle faisait mon sort prospère,
Mon travail léger, mon ciel bleu.
Lorsqu'elle me disait : Mon père,
Tout mon coeur s'écriait : Mon Dieu !
À travers mes songes sans nombre,
J'écoutais son parler joyeux,
Et mon front s'éclairait dans l'ombre
À la lumière de ses yeux.
Elle avait l'air d'une princesse
Quand je la tenais par la main.
Elle cherchait des fleurs sans cesse
Et des pauvres dans le chemin.
Elle donnait comme on dérobe,
En se cachant aux yeux de tous.
Oh ! la belle petite robe
Qu'elle avait, vous rappelez-vous ?
Le soir, auprès de ma bougie,
Elle jasait à petit bruit,
Tandis qu'à la vitre rougie
Heurtaient les papillons de nuit.
Les anges se miraient en elle.
Que son bonjour était charmant !
Le ciel mettait dans sa prunelle
Ce regard qui jamais ne ment.
Oh ! je l'avais, si jeune encore,
Vue apparaître en mon destin !
C'était l'enfant de mon aurore,
Et mon étoile du matin !
Quand la lune claire et sereine
Brillait aux cieux, dans ces beaux mois,
Comme nous allions dans la plaine !
Comme nous courions dans les bois !
Puis, vers la lumière isolée
Étoilant le logis obscur,
Nous revenions par la vallée
En tournant le coin du vieux mur ;
Nous revenions, coeurs pleins de flamme,
En parlant des splendeurs du ciel.
Je composais cette jeune âme
Comme l'abeille fait son miel.
Doux ange aux candides pensées,
Elle était gaie en arrivant... -
Toutes ces choses sont passées
Comme l'ombre et comme le vent !
À Villequier, le 4 septembre 1844.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
À maman Mon cœur me dit que c’est ta fête
Je crois toujours mon cœur quand il parle de toi
Maman, que faut-il donc que ce cœur te souhaite ?
Des trésors ? Des honneurs ? Des trônes ? Non, ma foi !
Mais un bonheur égal au mien quand je te vois.
il y a 9 mois
E
Emile Nelligan
@emileNelligan
Devant deux portraits de ma Mère Ma mère, que je l'aime en ce portrait ancien,
Peint aux jours glorieux qu'elle était jeune fille,
Le front couleur de lys et le regard qui brille
Comme un éblouissant miroir vénitien !
Ma mère que voici n'est plus du tout la même ;
Les rides ont creusé le beau marbre frontal ;
Elle a perdu l'éclat du temps sentimental
Où son hymen chanta comme un rose poème.
Aujourd'hui je compare, et j'en suis triste aussi,
Ce front nimbé de joie et ce front de souci,
Soleil d'or, brouillard dense au couchant des années.
Mais, mystère du coeur qui ne peut s'éclairer !
Comment puis-je sourire à ces lèvres fanées !
Au portrait qui sourit, comment puis-je pleurer !