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Famille

89 poésies en cours de vérification
Famille

Poésies de la collection famille

    Théodore de Banville

    Théodore de Banville

    @theodoreDeBanville

    À ma mère (1) Madame Élisabeth-Zélie de Banville Ô ma mère, ce sont nos mères Dont les sourires triomphants Bercent nos premières chimères Dans nos premiers berceaux d’enfants. Donc reçois, comme une promesse, Ce livre où coulent de mes vers Tous les espoirs de ma jeunesse, Comme l’eau des lys entr’ouverts ! Reçois ce livre, qui peut-être Sera muet pour l’avenir, Mais où tu verras apparaître Le vague et lointain souvenir De mon enfance dépensée Dans un rêve triste ou moqueur, Fou, car il contient ma pensée, Chaste, car il contient mon cœur. Juillet 1842.

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    Stéphane Mallarmé

    Stéphane Mallarmé

    @stephaneMallarme

    Mon cher Papa J'avais appris un compliment, Et j'accourais pour célébrer ta fête, On y parlait de sentiment De tendre amour, d'ardeur parfaite ; Mais j'ai tout oublié, Lorsque je suis venu, Je t'aime est le seul mot que j'ai bien retenu.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Après la bataille Mon père, ce héros au sourire si doux, Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille, Parcourait à cheval, le soir d'une bataille, Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit. Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit. C'était un Espagnol de l'armée en déroute Qui se traînait sanglant sur le bord de la route, Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié. Et qui disait : « À boire! à boire par pitié ! » Mon père, ému, tendit à son housard fidèle Une gourde de rhum qui pendait à sa selle, Et dit : « Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. » Tout à coup, au moment où le housard baissé Se penchait vers lui, l'homme, une espèce de maure, Saisit un pistolet qu'il étreignait encore, Et vise au front mon père en criant: « Caramba ! » Le coup passa si près que le chapeau tomba Et que le cheval fit un écart en arrière. « Donne-lui tout de même à boire », dit mon père.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    À ma mère Après un si joyeux festin, Zélés sectateurs de Grégoire, Mes amis, si, le verre en main Nous voulons chanter, rire et boire, Pourquoi s'adresser à Bacchus ? Dans une journée aussi belle Mes amis, chantons en " chorus " À la tendresse maternelle. (Bis.) Un don pour nous si précieux, Ce doux protecteur de l'enfance, Ah ! c'est une faveur des cieux Que Dieu donna dans sa clémence. D'un bien pour l'homme si charmant Nous avons ici le modèle ; Qui ne serait reconnaissant À la tendresse maternelle ? (Bis.) Arrive-t-il quelque bonheur ? Vite, à sa mère on le raconte ; C'est dans son sein consolateur Qu'on cache ses pleurs ou sa honte. A-t-on quelques faibles succès, On ne triomphe que pour elle Et que pour répondre aux bienfaits De la tendresse maternelle. (Bis.) Ô toi, dont les soins prévoyants, Dans les sentiers de cette vie Dirigent mes pas nonchalants, Ma mère, à toi je me confie. Des écueils d'un monde trompeur Écarte ma faible nacelle. Je veux devoir tout mon bonheur À la tendresse maternelle. (Bis.)

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    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    Le bonheur Pour apaiser l'enfant qui, ce soir, n'est pas sage, Églé, cédant enfin, dégrafe son corsage, D'où sort, globe de neige, un sein gonflé de lait. L'enfant, calmé soudain, a vu ce qu'il voulait, Et de ses petits doigts pétrissant la chair blanche Colle une bouche avide au beau sein qui se penche. Églé sourit, heureuse et chaste en ses pensers, Et si pure de cœur sous les longs cils baissés. Le feu brille dans l'âtre ; et la flamme, au passage, D'un joyeux reflet rose éclaire son visage, Cependant qu'au dehors le vent mène un grand bruit... L'enfant s'est détaché, mûr enfin pour la nuit, Et, les yeux clos, s'endort d'un bon sommeil sans fièvres, Une goutte de lait tremblante encore aux lèvres. La mère, suspendue au souffle égal et doux, Le contemple, étendu, tout nu, sur ses genoux, Et, gagnée à son tour au grand calme qui tombe, Incline son beau col flexible de colombe ; Et, là-bas, sous la lampe au rayon studieux, Le père au large front, qui vit parmi les dieux, Laissant le livre antique, un instant considère, Double miroir d'amour, l'enfant avec la mère, Et dans la chambre sainte, où bat un triple cœur, Adore la présence auguste du bonheur.

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    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    Nyza chante La famille nombreuse, et par les dieux comblée, Tout autour de la table est encor rassemblée : Elyone au long col, Lydie aux seins naissants, Nyza dont la voix triste a de si purs accents, Myrte agile et robuste, Ixène douce et blanche. La mère aux lourds bandeaux sur les petits se penche ; Myrte rit aux éclats ; Ixène jette un cri ; Et le père accoudé sur la table sourit... Le jour fut accablant ; par la fenêtre ouverte Un peu de brise vient de la route déserte ; La campagne s'endort dans l'or des soirs d'été. Et le mystère monte avec l'obscurité... L'âme pensive au lent adieu de la lumière : Chante, dit à Nyza la voix grave du père ; Et, regardant là-bas briller les derniers feux, Il baise avec lenteur l'enfant sur ses cheveux. Entre ses sœurs Nyza de son père est chérie ; Sa voix semble toujours pleurer une patrie. Elle a treize ans ; un soir d'amour, la Volupté De nuit et de lumière a pétri sa beauté. Son petit front de marbre a l'horreur des servages, Et, douce, elle sourit avec des yeux sauvages. Elle chante ; ce sont des rondes d'anciens jours, Des airs simples appris, le soir, dans les faubourgs. Sa bouche exquise semble un calice qui s'ouvre ; Et sa voix, que toujours un peu de brume couvre, Monte et s'exhale ainsi qu'un triste et pur soupir Au fond du grand silence où le jour va mourir ! Elyone et Lydie, aux limpides pensées, Se tiennent doucement par la taille enlacées ; Le petit Myrte dort, la tête sur son bras ; Et le père, sachant qu'on ne le verra pas, Faisant tourner un verre avec sa main distraite, Laisse errer dans ses yeux une larme secrète... Sur le seuil, la servante, oubliant ses travaux, N'a point encore à table apporté les flambeaux. Tout est noir ; le grand ciel brille de feux sans nombre ; Par instants, sur la route, un pas sonne, dans l'ombre...

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    La nuit de Décembre Le poète Du temps que j’étais écolier, Je restais un soir à veiller Dans notre salle solitaire. Devant ma table vint s’asseoir Un pauvre enfant vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Son visage était triste et beau : A la lueur de mon flambeau, Dans mon livre ouvert il vint lire. Il pencha son front sur sa main, Et resta jusqu’au lendemain, Pensif, avec un doux sourire. Comme j’allais avoir quinze ans Je marchais un jour, à pas lents, Dans un bois, sur une bruyère. Au pied d’un arbre vint s’asseoir Un jeune homme vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Je lui demandai mon chemin ; Il tenait un luth d’une main, De l’autre un bouquet d’églantine. Il me fit un salut d’ami, Et, se détournant à demi, Me montra du doigt la colline. A l’âge où l’on croit à l’amour, J’étais seul dans ma chambre un jour, Pleurant ma première misère. Au coin de mon feu vint s’asseoir Un étranger vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Il était morne et soucieux ; D’une main il montrait les cieux, Et de l’autre il tenait un glaive. De ma peine il semblait souffrir, Mais il ne poussa qu’un soupir, Et s’évanouit comme un rêve. A l’âge où l’on est libertin, Pour boire un toast en un festin, Un jour je soulevais mon verre. En face de moi vint s’asseoir Un convive vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Il secouait sous son manteau Un haillon de pourpre en lambeau, Sur sa tête un myrte stérile. Son bras maigre cherchait le mien, Et mon verre, en touchant le sien, Se brisa dans ma main débile. Un an après, il était nuit ; J’étais à genoux près du lit Où venait de mourir mon père. Au chevet du lit vint s’asseoir Un orphelin vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Ses yeux étaient noyés de pleurs ; Comme les anges de douleurs, Il était couronné d’épine ; Son luth à terre était gisant, Sa pourpre de couleur de sang, Et son glaive dans sa poitrine. Je m’en suis si bien souvenu, Que je l’ai toujours reconnu A tous les instants de ma vie. C’est une étrange vision, Et cependant, ange ou démon, J’ai vu partout cette ombre amie. Lorsque plus tard, las de souffrir, Pour renaître ou pour en finir, J’ai voulu m’exiler de France ; Lorsqu’impatient de marcher, J’ai voulu partir, et chercher Les vestiges d’une espérance ; A Pise, au pied de l’Apennin ; A Cologne, en face du Rhin ; A Nice, au penchant des vallées ; A Florence, au fond des palais ; A Brigues, dans les vieux chalets ; Au sein des Alpes désolées ; A Gênes, sous les citronniers ; A Vevey, sous les verts pommiers ; Au Havre, devant l’Atlantique ; A Venise, à l’affreux Lido, Où vient sur l’herbe d’un tombeau Mourir la pâle Adriatique ; Partout où, sous ces vastes cieux, J’ai lassé mon coeur et mes yeux, Saignant d’une éternelle plaie ; Partout où le boiteux Ennui, Traînant ma fatigue après lui, M’a promené sur une claie ; Partout où, sans cesse altéré De la soif d’un monde ignoré, J’ai suivi l’ombre de mes songes ; Partout où, sans avoir vécu, J’ai revu ce que j’avais vu, La face humaine et ses mensonges ; Partout où, le long des chemins, J’ai posé mon front dans mes mains, Et sangloté comme une femme ; Partout où j’ai, comme un mouton, Qui laisse sa laine au buisson, Senti se dénuder mon âme ; Partout où j’ai voulu dormir, Partout où j’ai voulu mourir, Partout où j’ai touché la terre, Sur ma route est venu s’asseoir Un malheureux vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Qui donc es-tu, toi que dans cette vie Je vois toujours sur mon chemin ? Je ne puis croire, à ta mélancolie, Que tu sois mon mauvais Destin. Ton doux sourire a trop de patience, Tes larmes ont trop de pitié. En te voyant, j’aime la Providence. Ta douleur même est soeur de ma souffrance ; Elle ressemble à l’Amitié. Qui donc es-tu ? – Tu n’es pas mon bon ange, Jamais tu ne viens m’avertir. Tu vois mes maux (c’est une chose étrange !) Et tu me regardes souffrir. Depuis vingt ans tu marches dans ma voie, Et je ne saurais t’appeler. Qui donc es-tu, si c’est Dieu qui t’envoie ? Tu me souris sans partager ma joie, Tu me plains sans me consoler ! Ce soir encor je t’ai vu m’apparaître. C’était par une triste nuit. L’aile des vents battait à ma fenêtre ; J’étais seul, courbé sur mon lit. J’y regardais une place chérie, Tiède encor d’un baiser brûlant ; Et je songeais comme la femme oublie, Et je sentais un lambeau de ma vie Qui se déchirait lentement. Je rassemblais des lettres de la veille, Des cheveux, des débris d’amour. Tout ce passé me criait à l’oreille Ses éternels serments d’un jour. Je contemplais ces reliques sacrées, Qui me faisaient trembler la main : Larmes du coeur par le coeur dévorées, Et que les yeux qui les avaient pleurées Ne reconnaîtront plus demain ! J’enveloppais dans un morceau de bure Ces ruines des jours heureux. Je me disais qu’ici-bas ce qui dure, C’est une mèche de cheveux. Comme un plongeur dans une mer profonde, Je me perdais dans tant d’oubli. De tous côtés j’y retournais la sonde, Et je pleurais, seul, loin des yeux du monde, Mon pauvre amour enseveli. J’allais poser le sceau de cire noire Sur ce fragile et cher trésor. J’allais le rendre, et, n’y pouvant pas croire, En pleurant j’en doutais encor. Ah ! faible femme, orgueilleuse insensée, Malgré toi, tu t’en souviendras ! Pourquoi, grand Dieu ! mentir à sa pensée ? Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée, Ces sanglots, si tu n’aimais pas ? Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures ; Mais ta chimère est entre nous. Eh bien ! adieu ! Vous compterez les heures Qui me sépareront de vous. Partez, partez, et dans ce coeur de glace Emportez l’orgueil satisfait. Je sens encor le mien jeune et vivace, Et bien des maux pourront y trouver place Sur le mal que vous m’avez fait. Partez, partez ! la Nature immortelle N’a pas tout voulu vous donner. Ah ! pauvre enfant, qui voulez être belle, Et ne savez pas pardonner ! Allez, allez, suivez la destinée ; Qui vous perd n’a pas tout perdu. Jetez au vent notre amour consumée ; – Eternel Dieu ! toi que j’ai tant aimée, Si tu pars, pourquoi m’aimes-tu ? Mais tout à coup j’ai vu dans la nuit sombre Une forme glisser sans bruit. Sur mon rideau j’ai vu passer une ombre ; Elle vient s’asseoir sur mon lit. Qui donc es-tu, morne et pâle visage, Sombre portrait vêtu de noir ? Que me veux-tu, triste oiseau de passage ? Est-ce un vain rêve ? est-ce ma propre image Que j’aperçois dans ce miroir ? Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse, Pèlerin que rien n’a lassé ? Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse Assis dans l’ombre où j’ai passé. Qui donc es-tu, visiteur solitaire, Hôte assidu de mes douleurs ? Qu’as-tu donc fait pour me suivre sur terre ? Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère, Qui n’apparais qu’au jour des pleurs ? LA VISION – Ami, notre père est le tien. Je ne suis ni l’ange gardien, Ni le mauvais destin des hommes. Ceux que j’aime, je ne sais pas De quel côté s’en vont leurs pas Sur ce peu de fange où nous sommes. Je ne suis ni dieu ni démon, Et tu m’as nommé par mon nom Quand tu m’as appelé ton frère ; Où tu vas, j’y serai toujours, Jusques au dernier de tes jours, Où j’irai m’asseoir sur ta pierre. Le ciel m’a confié ton coeur. Quand tu seras dans la douleur, Viens à moi sans inquiétude. Je te suivrai sur le chemin ; Mais je ne puis toucher ta main, Ami, je suis la Solitude.

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    Alphonse Daudet

    Alphonse Daudet

    @alphonseDaudet

    Aux Petits Enfants Enfants d’un jour, ô nouveau-nés, Petites bouches, petits nez, Petites lèvres demi-closes, Membres tremblants, Si frais, si blancs, Si roses ; Enfants d’un jour, ô nouveaux-nés, Pour le bonheur que vous donnez, À vous voir dormir dans vos langes, Espoir des nids Soyez bénis, Chers anges ! Pour vos grands yeux effarouchés Que sous vos draps blancs vous cachez. Pour vos sourires, vos pleurs même, Tout ce qu’en vous, Êtres si doux, On aime ; Pour tout ce que vous gazouillez, Soyez bénis, baisés, choyés, Gais rossignols, blanches fauvettes ! Que d’amoureux Et que d’heureux Vous faites ! Lorsque sur vos chauds oreillers, En souriant vous sommeillez, Près de vous, tout bas, ô merveille ! Une voix dit : « Dors, beau petit ; Je veille. » C’est la voix de l’ange gardien ; Dormez, dormez, ne craignez rien ; Rêvez, sous ses ailes de neige : Le beau jaloux Vous berce et vous Protège. Enfants d’un jour, ô nouveau-nés, Au paradis, d’où vous venez, Un léger fil d’or vous rattache. À ce fil d’or Tient l’âme encor Sans tache. Vous êtes à toute maison Ce que la fleur est au gazon. Ce qu’au ciel est l’étoile blanche, Ce qu’un peu d’eau Est au roseau Qui penche. Mais vous avez de plus encor Ce que n’a pas l’étoile d’or, Ce qui manque aux fleurs les plus belles : Malheur à nous ! Vous avez tous Des ailes.

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    Alphonse Daudet

    Alphonse Daudet

    @alphonseDaudet

    La vierge à la crèche Dans ses langes blancs, fraîchement cousus, La vierge berçait son enfant-Jésus. Lui, gazouillait comme un nid de mésanges. Elle le berçait, et chantait tout bas Ce que nous chantons à nos petits anges… Mais l’enfant-Jésus ne s’endormait pas. Étonné, ravi de ce qu’il entend, Il rit dans sa crèche, et s’en va chantant Comme un saint lévite et comme un choriste ; Il bat la mesure avec ses deux bras, Et la sainte vierge est triste, bien triste, De voir son Jésus qui ne s’endort pas. « Doux Jésus, lui dit la mère en tremblant, « Dormez, mon agneau, mon bel agneau blanc. « Dormez ; il est tard, la lampe est éteinte. « Votre front est rouge et vos membres las ; « Dormez, mon amour, et dormez sans crainte. » Mais l’enfant-Jésus ne s’endormait pas. « Il fait froid, le vent souffle, point de feu… « Dormez ; c’est la nuit, la nuit du bon dieu. « C’est la nuit d’amour des chastes épouses ; « Vite, ami, cachons ces yeux sous nos draps, « Les étoiles d’or en seraient jalouses. » Mais l’enfant-Jésus ne s’endormait pas. « Si quelques instants vous vous endormiez, « Les songes viendraient, en vol de ramiers, « Et feraient leurs nids sur vos deux paupières, « Ils viendront ; dormez, doux Jésus. » Hélas ! Inutiles chants et vaines prières, Le petit Jésus ne s’endormait pas. Et marie alors, le regard voilé, Pencha sur son fils un front désolé : « Vous ne dormez pas, votre mère pleure, « Votre mère pleure, ô mon bel ami… » Des larmes coulaient de ses yeux ; sur l’heure, Le petit Jésus s’était endormi.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    À un enfant, fille du poète Céleste fille du poëte, La vie est un hymne à deux voix. Son front sur le tien se reflète, Sa lyre chante sous tes doigts. Sur tes yeux quand sa bouche pose Le baiser calme et sans frisson, Sur ta paupière blanche et rose Le doux baiser a plus de son. Dans ses bras quand il te soulève Pour te montrer au ciel jaloux, On croit voir son plus divin rêve Qu’il caresse sur ses genoux ! Quand son doigt te permet de lire Les vers qu’il vient de soupirer, On dirait l’âme de sa lyre Qui se penche pour l’inspirer. Il récite ; une larme brille Dans tes yeux attachés sur lui. Dans cette larme de sa fille Son cœur nage ; sa gloire a lui ! Du chant que ta bouche répète Son cœur ému jouit deux fois. Céleste fille du poëte, La vie est un hymne à deux voix.

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Euphosyne Ah ! ce n’est point à moi qu’on s’occupe de plaire. Ma soeur plus tôt que moi dut le jour à ma mère. Si quelques beaux bergers apportent une fleur, Je sais qu’en me l’offrant ils regardent ma soeur ; S’ils vantent les attraits dont brille mon visage, Ils disent à ma soeur :  » C’est ta vivante image.  » Ah ! pourquoi n’ai-je encore vu que douze moissons ? Nul amant ne me flatte en ses douces chansons ; Nul ne dit qu’il mourra si je suis infidèle. Mais j’attends. L’âge vient. Je sais que je suis belle. Je sais qu’on ne voit point d’attraits plus désirés Qu’un visage arrondi, de longs cheveux dorés, Dans une bouche étroite un double rang d’ivoire, Et sur de beaux yeux bleus une paupière noire.

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Le jeune malade Apollon, dieu sauveur, dieu des savants mystères, Dieu de la vie, et dieu des plantes salutaires, Dieu vainqueur de Python, dieu jeune et triomphant, Prends pitié de mon fils, de mon unique enfant ! Prends pitié de sa mère aux larmes condamnée, Qui ne vit que pour lui, qui meurt abandonnée, Qui n’a pas dû rester pour voir mourir son fils ; Dieu jeune, viens aider sa jeunesse. Assoupis, Assoupis dans son sein cette fièvre brûlante Qui dévore la fleur de sa vie innocente. Apollon, si jamais, échappé du tombeau, Il retourne au Ménale avoir soin du troupeau, Ces mains, ces vieilles mains orneront ta statue De ma coupe d’onyx à tes pieds suspendue ; Et, chaque été nouveau, d’un jeune taureau blanc La hache à ton autel fera couler le sang. Eh bien ! mon fils, es-tu toujours impitoyable ? Ton funeste silence est-il inexorable ? Enfant, tu veux mourir ? Tu veux, dans ses vieux ans, Laisser ta mère seule avec ses cheveux blancs ? Tu veux que ce soit moi qui ferme ta paupière? Que j’unisse ta cendre à celle de ton père ? C’est toi qui me devais ces soins religieux, Et ma tombe attendait tes pleurs et tes adieux. Parle, parle, mon fils, quel chagrin te consume ? Us maux qu’on dissimule en ont plus d’amertume. Ne lèveras-tu point ces yeux appesantis ? – Ma mère, adieu ; je meurs, et tu n’as plus de fils. Non, tu n’as plus de fils, ma mère bien-aimée. Je te perds. Une plaie ardente, envenimée, Me ronge ; avec effort je respire, et je crois Chaque fois respirer pour la dernière fois. Je ne parlerai pas ; adieu… Ce lit me blesse, Ce tapis qui me couvre accable ma faiblesse ; Tout me pèse et me lasse. Aide-moi, je me Meurs. Tourne-moi sur le flanc. Ah ! j’expire ! ô douleurs ! – Tiens, mon unique enfant, mon fils, prends ce breuvage ; Sa chaleur te rendra ta force et ton courage. La mauve, le dictame ont, avec les pavots, Mêlé leurs sucs puissants qui donnent le repos ; Sur le vase bouillant, attendrie à mes larmes, Une Thessalienne a composé des charmes. Ton corps débile a vu trois retours du soleil Sans connaître Cérès, ni tes yeux le sommeil. Prends, mon fils, laisse-toi fléchir à ma prière ; C’est ta mère, ta vieille inconsolable mère Qui pleure ; qui jadis te guidait pas à pas, T’asseyait sur son sein, te portait dans ses bras ; Que tu disais aimer, qui t’apprit à le dire ; Qui chantait, et souvent te forçait à sourire Lorsque tes jeunes dents, par de vives douleurs, De tes yeux enfantins faisaient couler des pleurs. Tiens, presse de ta lèvre, hélas ! pâle et glacée, Par qui cette mamelle était jadis pressée, Un suc qui te nourrisse et vienne à ton secours, Comme autrefois mon lait nourrit tes premiers jours. – Ô coteaux d’Erymanthe ! ô vallons ! ô bocage ! Ô vent sonore et frais qui troublais le feuillage, Et faisais frémir l’onde, et sur leur jeune sein Agitais les replis de leur robe de lin ! De légères beautés troupe agile et dansante ! Tu sais, tu sais, ma mère, aux bords de l’Erymanthe… Là, ni loups ravisseurs, ni serpents, ni poisons. Ô visage divin ! ô fêtes ! ô chansons ! Des pas entrelacés, des fleurs, une onde pure… Aucun lieu n’est si beau dans toute la nature. Dieux ! ces bras et ces fleurs, ces cheveux, ces pieds nus Si blancs, si délicats ! je ne les verrai plus ! Oh ! portez, portez-moi sur les bords d’Erymanthe, Que je la voie encor, cette nymphe dansante ! Oh ! que je voie au loin la fumée à longs flots S’élever de ce toit au bord de cet enclos ! Assise à tes côtés, ses discours, sa tendresse, Sa voix, trop heureux père ! enchante ta vieillesse. Dieux ! par-dessus la haie élevée en remparts, Je la vois, à pas lents, en longs cheveux épars, Seule, sur un tombeau, pensive, inanimée, S’arrêter et pleurer sa mère bien-aimée. Oh ! que tes yeux sont doux ! que ton visage est beau ! Viendras-tu point aussi pleurer sur mon tombeau ? Viendras-tu point aussi, la plus belle des belles, Dire sur mon tombeau : Les Parques sont cruelles ! – Ah ! mon fils, c’est l’amour ! c’est l’amour insensé Qui t’a jusqu’à ce point cruellement blessé ? Ah ! mon malheureux fils ! Oui, faibles que nous sommes, C’est toujours cet amour qui tourmente les hommes. S’ils pleurent en secret, qui lira dans leur coeur Verra que cet amour est toujours leur vainqueur. Mais, mon fils, mais dis-moi, quelle nymphe dansante, Quelle vierge as-tu vue an bord de l’Erymanthe ? N’es-tu pas riche et beau ? du moins quand la douleur N’avait point de ta joue éteint la jeune fleur ? Parle. Est-ce cette Aeglé, fille du roi des ondes, Ou cette jeune Irène aux longues tresses blondes ? Ou ne sera-ce point cette fière beauté Dont j’entends le beau nom chaque jour répété, Dont j’apprends que partout les belles sont jalouses ? Qu’aux temples, aux festins, les mères, les épouses, Ne sauraient voir, dit-on, sans peine et sans effroi ? Cette belle Daphné ?… – Dieux ! ma mère, tais-toi, Tais-toi. Dieux ! qu’as-tu dit ? elle est fière, inflexible ; Comme les immortels, elle est belle et terrible ! Mille amants l’ont aimée ; ils l’ont aimée en vain. Comme eux j’aurais trouvé quelque refus hautain. Non, garde que jamais elle soit informée… Mais, ô mort ! ô tourment ! ô mère bien-aimée ! Tu vois dans quels ennuis dépérissent mes jours. Ecoute ma prière et viens à mon secours : Je meurs ; va la trouver : que tes traits, que ton âge, De sa mère à ses yeux offrent la sainte image. Tiens, prends cette corbeille et nos fruits les plus beaux ; Prends notre Amour d’ivoire, honneur de ces hameaux ; Prends la coupe d’onyx à Corinthe ravie ; Prends mes jeunes chevreaux, prends mon coeur, prends ma vie ; Jette tout à ses pieds ; apprends-lui qui je suis ; Dis-lui que je me meurs, que tu n’as plus de fils ; Tombe aux pieds du vieillard, gémis, implore, presse ; Adjure cieux et mers, dieu, temple, autel, déesse… Pars ; et si tu reviens sans les avoir fléchis, Adieu, ma mère, adieu, tu n’auras plus de fils. – J’aurai toujours un fils ; va, la belle espérance Ne dit…  » Elle s’incline, et, dans un doux silence, Elle couvre ce front, terni par les douleurs, De baisers maternels entremêlés de pleurs. Puis elle sort en hâte, inquiète et tremblante. La démarche de crainte et d’âge chancelante, Elle arrive ; et bientôt revenant sur ses pas, Haletante, de loin :  » Mon cher fils, tu vivras, Tu vivras.  » Elle vient s’asseoir près de la couche : Le vieillard la suivait, le sourire à la bouche. La jeune belle aussi, rouge et le front baissé, Vient, jette sur le lit un coup d’oeil. L’insensé Tremble ; sous ses tissus il veut cacher sa tête.  » Ami, depuis trois jours tu n’es d’aucune fête, Dit-elle ; que fais-tu ? pourquoi veux-tu mourir ? Tu souffres. L’on me dit que je peux te guérir ; Vis, et formons ensemble une seule famille. Que mon père ait un fils, et ta mère une fille.  »

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    A

    Antoine de Latour

    @antoineDeLatour

    La famille Salut, bords où j'aimai ! Beaux arbres dont l'ombrage Me couvrit tant de fois, Quand j'allais, loin de tous emportant son image, L'adorer dans les bois ! Je vous revois sans trouble et sans mélancolie, Le chant de ma douleur, Comme un baume divin qui fait que l'on oublie, A coulé sur mon cœur. Sur le même chevet, aujourd'hui tiède encore De ma fièvre d'hier, J'ai, sans rêver son nom, dormi jusqu'à l'aurore, Ce nom jadis si cher ! Et quand le souvenir s'est, à l'aube nouvelle, Épanoui dans moi, Mon premier vœu d'amour n'a pas été pour elle, Il est allé vers toi, Vers toi, mon père aimé, vers toi, ma tendre mère, Car vous m'avez tous deux Appris, dès le berceau, les sentiers de la terre Les plus voisins des cieux. Face à face aux deux coins du foyer qui rayonne, Je vous entends d'ici Vous dire : Quand jadis nous revenait l'automne, Il revenait aussi. Oh ! faites de ma place au banquet de famille Celle du voyageur, Qui s'en vient, un moment, devant le feu qui brille, Reprendre un peu de cœur. Cet autre voyageur que vous aimez sans doute Y viendra quelque jour, Vous demander enfin, au terme de la route, Le baiser du retour. Par tous les champs, hélas ! semant nos destinées, Nous allons, nous allons, Puis à l'humble berceau de nos jeunes années Enfin nous revenons. Ainsi je reviendrai : près du clocher rustique Je ferai halte un soir ; A celui qui revient son toit mélancolique Garde un trésor d'espoir. Mais avant l'heure, hélas ! que de nuits dévorantes Suivront de mauvais jours ! D'un stérile renom promesses décevantes, C'est le but où je cours. Et quand j'aurai conquis cette vaine mémoire, Une voix me dira : Insensé, qu'as-tu fait ? Nulle part n'est la gloire, Le bonheur était là !

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Les remembrances du vieillard idiot Pardon, mon père! Jeune, aux foires de campagne, Je cherchais, non le tir banal où tout coup gagne, Mais l’endroit plein de cris où les ânes, le flanc Fatigué, déployaient ce long tube sanglant Que je ne comprends pas encore!… Et puis ma mère, Dont la chemise avait une senteur amère Quoique fripée au bas et jaune comme un fruit, Ma mère qui montait au lit avec un bruit – Fils du travail pourtant, – ma mère, avec sa cuisse De femme mûre, avec ses reins très gros où plisse Le linge, me donna ces chaleurs que l’on tait!… Une honte plus crue et plus calme, c’était Quand ma petite soeur, au retour de la classe, Ayant usé longtemps ses sabots sur la glace, Pissait, et regardait s’échapper de sa lèvre D’en bas, serrée et rose, un fil d’urine mièvre!… Ô pardon! Je songeais à mon père parfois: Le soir, le jeu de cartes et les mots plus grivois, Le voisin, et moi qu’on écartait, choses vues… – Car un père est troublant! – et les choses conçues!… Son genou, câlineur parfois; son pantalon Dont mon doigt désirait ouvrir la fente,… – oh! non! – Pour avoir le bout, gros, noir et dur, de mon père, Dont la pileuse main me berçait!… Je veux taire Le pot, l’assiette à manche, entrevue au grenier, Les almanachs couverts en rouge, et le panier De charpie, et la Bible, et les lieux, et la bonne, La Sainte-Vierge et le crucifix… Oh! Personne Ne fut si fréquemment troublé, comme étonné! Et maintenant, que le pardon me soit donné: Puisque les sens infects m’ont mis de leurs victimes, Je me confesse de l’aveu des jeunes crimes!… … Puis! – qu’il me soit permis de parler au Seigneur! Pourquoi la puberté tardive et le malheur Du gland tenace et trop consulté? Pourquoi l’ombre Si lente au bas du ventre? et ces terreurs sans nombre Comblant toujours la joie ainsi qu’un gravier noir? – Moi j’ai toujours été stupéfait! Quoi savoir? … Pardonné?… Reprenez la chancelière bleue, Mon père. Ô cette enfance!… … …- et tirons-nous la queue!. François Coppée. A. R.

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    Auguste Brizeux

    Auguste Brizeux

    @augusteBrizeux

    Le départ d'un fils Je crois l'entendre encor, quand, sa main, sur mon bras, Autour des verts remparts nous allions pas à pas: ' Oui, quand tu pars, mon fils, oui, c'est un vide immense, Un morne et froid désert, où la nuit recommence; Ma fidèle maison, le jardin, mes amours, Tout cela n'est plus rien; et j'en ai pour huit jours, J'en ai pour tous ces mois d'octobre et de novembre, Mon fils, à te chercher partout de chambre en chambre: Songe à mes longs ennuis! et, lasse enfin d'errer, Je tombe sur ma chaise et me mets à pleurer. Ah! souvent je l'ai dit: dans une humble cabane, Plutôt filer son chanvre, obscure paysanne! Du moins on est ensemble, et le jour, dans les champs, Quand on lève la tête, on peut voir ses enfants. Mais le savoir, l'orgueil, mille folles chimères Vous rendent tous ingrats, et vous quittez vos mères. Que nous sert, ô mon Dieu! notre fécondité, Si le toit paternel est par eux déserté ; Si, quand nous viendra l'âge (et bientôt j'en vois l'heure), Parents abandonnés, veufs dans notre demeure, Tournant languissamment les yeux autour de nous, Seuls nous nous retrouvons, tristes et vieux époux?' Alors elle se tut. Sentant mon coeur se fondre, J'essuyais à l'écart mes pleurs pour lui répondre Muets, nous poursuivions ainsi notre chemin, Quand cette pauvre mère, en me serrant la main: 'Je t'afflige, mon fils, je t'afflige! Pardonne! C'est qu'avec toi, vois-tu, l'avenir m'abandonne: En toi j'ai plus qu'un fils, oui, je retrouve en toi Un frère, un autre époux, un coeur fait comme moi, A qui l'on peut s'ouvrir, ouvrir toute son âme; Pensif, tu comprends bien les chagrins d'une femme: Tous m'aiment tendrement; mais ta bouche et tes yeux, Mon fils, au fond du coeur vont chercher les aveux. Pour notre sort commun, demande à ton aïeule, J'avais fait bien des plans, - mais il faut rester seule; Nous avions toutes deux bien rêvé, - mais tu pars; Pour la dernière fois, le long de ces remparts, L'un sur l'autre appuyés, nous causons, - ô misère! C'est bien, ne gronde pas... Chez la bonne grand'mère Rentrons. Tu sais son âge: en faisant tes adieux, Embrasse-la longtemps... Ah! nous espérions mieux.'

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    A

    Auguste Lacaussade

    @augusteLacaussade

    Souvenirs d’enfance O frère, ô jeune ami, dernier fils de ma mère, O toi qui devanças, dans le val regretté, Cette enfant, notre sœur, une rose éphémère, Qui ne vécut qu’un jour d’été ; Que fais-tu, cher absent, ô mon frère ! à cette heure Où mon cœur et mes yeux se retournent vers toi ? Ta pensée, évoquant les beaux jours que je pleure, Revole-t-elle aussi vers moi ? Souvent dans mon exil, je rêve à notre enfance, A nos matins si purs écoulés sous les bois, Et sur mon front le vent des souvenirs balance Les molles ombres d’autrefois. Pour tromper les ennuis d’un présent bien aride Pour rafraîchir mon pied que la route a lassé, Je remonte, songeur, à la source limpide Qui gazouille dans mon passé. De nos beaux jours c’était le matin et le rêve : Tout était joie et chants, fleurs et félicités ! O bonheurs des enfants que le temps nous enlève, Pourquoi nous avez-vous quittés ? Nous étions trois alors. Éveillés dès l’aurore, Sortant du nid à l’heure où l’aube sort du ciel, Nous allions dans les fleurs qu’elle avait fait éclore Boire la rosée et le miel. Elle et toi, de concert à ma voix indociles, Vous braviez du soleil les torrides chaleurs. Quand ma mère accourait, l’arbre aux ombres mobiles Voilait nos plaisirs querelleurs. Elle avait tout vu. Quittant le frais ombrage, Nous lisions notre faute à son front rembruni. Moi – j’étais votre aîné – bien qu’étant le plus sage, Je n’étais pas le moins puni. Nous la suivions. Bientôt, trompant sa vigilance, Nous revolions aux champs, au grand air, au soleil, Et des bois assoupis, tiède abri du silence, Nous allions troubler le sommeil. Alors, malheur à l’arbre à la grappe embaumée, Au fruit d’or rayonnant à travers les rameaux ! Nous brisions branche et fruits, la grappe et la ramée, Et jusqu’aux nids des tourtereaux. Et puis nous descendions la pente des ravines, Où l’onde et les oiseaux confondaient leurs chansons, Nous heurtant aux cailloux, nous blessant aux épines Des framboisiers et des buissons. Un lac était au bas, large, aux eaux peu profondes. Sur ses bords qu’ombrageait le dais mouvant des bois, Avec les beaux oiseaux furtifs amis des ondes, Enfants, nous jouions tous les trois. Pour suivre sur les flots leur caprice sauvage, Des troncs du bananier nous faisions un radeau, Et sur ce frêle esquif, glissant près du rivage, Nous poursuivions les poules d’eau. Ma sœur, trempant ses pieds dans l’onde claire et belle, Comme la fée-enfant de ces bords enchanteurs, Jetait aux bleus oiseaux qui nageaient devant elle Des fruits, des baisers et des fleurs. Et puis nous revenions. Notre mère, inquiète, Pour nous punir s’armant de sévères froideurs, Nous attendait au seuil de l’humble maisonnette, Heureuse, avec des mots grondeurs. O chagrin des enfants, qu’aisément tu désarmes Les mères ! Nous donnant et des fruits et du lait, Elle mêlait aux mots qui nous coûtaient des larmes Le baiser qui nous consolait. Ainsi coulaient nos jours. – O radieuse aurore ! O mes doux compagnons, je crois vous voir encore ! Bonheurs évanouis des printemps révolus, Soleils des gais matins qui ne m’éclairez plus, A vos jeunes chaleurs rajeunissant mon être, Je sens mon cœur revivre et mon passé renaître ! Je vous retrouve enfin ! Je vois là, sous mes yeux, Courir sur les gazons mes souvenirs joyeux. Je vois, de notre mère oubliant la défense, Par les grands champs de riz voltiger notre enfance. Chassons le papillon, l’insecte, les oiseaux, Glanons un fruit tombé sur le cristal des eaux ; C’est le ravin, le lac aux vagues argentines, Le vieil arbre ombrageant nos têtes enfantines ; C’est toi, c’est notre mère aux yeux pleins de douceur ! C’est moi, c’est… ; ô mon frère ! où donc est notre sœur ? Un tertre vert, voilà ce qui nous reste d’elle ! Quand une âme est si blanche, à lui Dieu la rappelle. Tige, orgueil de nos champs et que la brise aimait, Tout en elle brillait, fleurissait, embaumait. Lys sans tache, à la vie elle venait d’éclore, Douce comme un parfum, blonde comme une aurore ! Le soleil à ses jours mesurait les chaleurs ; Des roses du Bengale elle avait les pâleurs. Oh ! les fins cheveux d’or ! Les nouvelles épouses Du bonheur de ma mère, hélas ! étaient jalouses. Toutes lui faisaient fête et, des mains et des yeux Caressant de son front l’ovale harmonieux, Demandaient au Seigneur, d’une lèvre muette, Un blond enfant semblable à cette blonde tête ! Nos Noirs, comme ils l’aimaient ! Dans leur langue de feu Ils la disaient l’étoile et la fille de Dieu. Naïfs, ils comparaient cette fleur des savanes Aux fraîches visions qui hantent les cabanes : C’était un bon génie, une âme douce aux Noirs ; Et, lorsque du labour ils revenaient, les soirs, Tous, ils lui rapportaient des nids et des jam-roses, Ou le bleu papillon, amant ailé des roses. Hélas ! que vous dirais-je encor de notre sœur ? Elle était tout pour nous, grâce et fée, astre et fleur ; L’ange de la maison au nimbe d’innocence ; La tige virginale, et le palmier d’enfance Qui, croissant avec nous sous les yeux maternels, Mêlait à nos rameaux ses rameaux fraternels. C’est ma nourrice aussi qui l’avait élevée : Nous étions presque enfants d’une même couvée ; Oiseaux à qui le ciel faisait des jours pareils, Un même nid le soir berçait nos longs sommeils. Temps heureux ! Et la mort ! ô deuil ! ma pauvre mère !… Elle vint après nous et s’en fut la première. Sous un souffle glacé j’ai vu ployer son corps ; L’ange froid des tombeaux éteignit sa prunelle, Et, loin d’un sol en pleurs l’emportant sur son aile, Ensemble ils sont partis pour le pays des morts. Sa tombe ?… Elle est au pied de la haute colline Dont le front large et nu sur l’Océan s’incline ; Où la vague aux soupirs des mornes filaos Vient mêler jour et nuit ses lugubres sanglots, Et semble pour les morts, d’une voix solennelle, Chanter le Requiem de sa plainte éternelle. Paris, 1840.

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    S

    Sadek Belhamissi

    @sadekBelhamissi

    Ne pleure pas fillette Non ne pleure pas Sage, douce et belle fillette Maman sûr viendra Se souvenant de ta jolie fête. Et tu verras ta maman est si jolie Elle restera cette fois plus longtemps Rien que pour toi, tu es toute sa vie Tes cheveux bouclés de belle enfant. Elle t’adore elle t’ouvrira ses bras Et son cœur tellement généreux aussi Lors elle te verra elle se retiendra Pour ne pas te voir triste fillette si jolie. Des prunelles de ses beaux yeux, De petites larmes elle versera De son cœur blessé, mais c’est heureux Aussi que tu ne les vois pas. Enfin cette fois, elle est bien là Son petit sac bourré de friandises Toutes aussi douces que toi enlacée par maman ô quelle surprise. Par Belhamissi Sadek le 17.02.2017

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    C

    Cécile Sauvage

    @cecileSauvage

    Enfant, pâle embryon Enfant, pâle embryon, toi qui dors dans les eaux Comme un petit dieu mort dans un cercueil de verre. Tu goûtes maintenant l’existence légère Du poisson qui somnole au-dessous des roseaux. Tu vis comme la plante, et ton inconscience Est un lis entr’ouvert qui n’a que sa candeur Et qui ne sait pas même à quelle profondeur Dans le sein de la terre il puise sa substance. Douce fleur sans abeille et sans rosée au front, Ma sève te parcourt et te prête son âme ; Cependant l’étendue avare te réclame Et te fait tressaillir dans mon petit giron. Tu ne sais pas combien ta chair a mis de fibres Dans le sol maternel et jeune de ma chair Et jamais ton regard que je pressens si clair N’apprendra ce mystère innocent dans les livres. Qui peut dire comment je te serre de près ? Tu m’appartiens ainsi que l’aurore à la plaine, Autour de toi ma vie est une chaude laine Où tes membres frileux poussent dans le secret. Je suis autour de toi comme l’amande verte Qui ferme son écrin sur l’amandon laiteux, Comme la cosse molle aux replis cotonneux Dont la graine enfantine et soyeuse est couverte. La larme qui me monte aux yeux, tu la connais, Elle a le goût profond de mon sang sur tes lèvres, Tu sais quelles ferveurs, quelles brûlantes fièvres Déchaînent dans ma veine un torrent acharné. Je vois tes bras monter jusqu’à ma nuit obscure Comme pour caresser ce que j’ai d’ignoré, Ce point si douloureux où l’être resserré Sent qu’il est étranger à toute la nature. Écoute, maintenant que tu m’entends encor, Imprime dans mon sein ta bouche puérile, Réponds à mon amour avec ta chair docile Quel autre enlacement me paraîtra plus fort ? Les jours que je vivrai isolée et sans flamme, Quand tu seras un homme et moins vivant pour moi, Je reverrai les temps où j’étais avec toi, Lorsque nous étions deux à jouer dans mon âme. Car nous jouons parfois. Je te donne mon coeur Comme un joyau vibrant qui contient des chimères, Je te donne mes yeux où des images claires Rament languissamment sur un lac de fraîcheur. Ce sont des cygnes d’or qui semblent des navires, Des nymphes de la nuit qui se posent sur l’eau. La lune sur leur front incline son chapeau Et ce n’est que pour toi qu’elles ont des sourires. Aussi, quand tu feras plus tard tes premiers pas, La rose, le soleil, l’arbre, la tourterelle, Auront pour le regard de ta grâce nouvelle Des gestes familiers que tu reconnaîtras. Mais tu ne sauras plus sur quelles blondes rives De gros poissons d’argent t’apportaient des anneaux Ni sur quelle prairie intime des agneaux Faisaient bondir l’ardeur de leurs pattes naïves. Car jamais plus mon coeur qui parle avec le tien Cette langue muette et chaude des pensées Ne pourra renouer l’étreinte délacée : L’aurore ne sait pas de quelle ombre elle vient. Non, tu ne sauras pas quelle Vénus candide Déposa dans ton sang la flamme du baiser, L’angoisse du mystère où l’art va se briser, Et ce goût de nourrir un désespoir timide. Tu ne sauras plus rien de moi, le jour fatal Où tu t’élanceras dans l’existence rude, Ô mon petit miroir qui vois ma solitude Se pencher anxieuse au bord de ton cristal.

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    C

    Cécile Sauvage

    @cecileSauvage

    Il est né… Il est né, j’ai perdu mon jeune bien-aimé, Je le tenais si bien dans mon âme enfermé, Il habitait mon sein, il buvait mes tendresses, Je le laissais jouer et tirailler mes tresses. À qui vais-je parler dans mon coeur à présent ? Il écoutait mes pleurs tomber en s’écrasant, Il était le printemps qui voit notre délire Gambader sur son herbe et qui ne peut en rire. Il me donnait la main pour sauter les ruisseaux, Nous avions des bonheurs et des peines d’oiseaux ; Son sommeil s’étendait comme un aveu candide. Mon oeil grave flottait sur son âme limpide, Je couvais dans son coeur les oeufs de la bonté, J’effeuillais sur son front des roses de clarté. Le silence des fleurs reposait sur sa bouche, Son doux flanc se gonflait de mon orgueil farouche ; Son souffle était le mien, il voyait par mes yeux. Son petit crâne avait la courbure des cieux. Je le tenais des dieux que j’ai conçus moi-même ; C’était le jardin clos où la vérité sème, C’était le petit livre où des contes naïfs Me reposaient de l’ombre et des rayons pensifs. Ses doigts tendres savaient caresser ma misère. Devant ce front de lait, devant cette âme claire Mon coeur n’éprouvait point de honte d’être nu, Mon être était l’instinct dans son geste ingénu, J’étais bonne d’avril nouveau comme la terre, Je donnais mes ruisseaux, mes feuilles, ma lumière ; La mort cachait ses os sous les duvets herbeux, Nous étions le mystère et la vie à nous deux. Notre âme, au ras du sol mollement étendue, Était un blé qui berce une vague pelue. Maintenant il est né. Je suis seule, je sens S’épouvanter en moi le vide de mon sang ; Mon flair furète dans son ombre Avec le grognement des femelles. Je sombre D’un bonheur plus puissant que l’appel d’un printemps Qui ferait refleurir tous les mondes des temps. Ah ! que je suis petite et l’âme retombée, Comme lorsque la graine ayant pris sa volée La capsule rejoint ses tissus aplanis. Ô coeur abandonné dans le vent, pauvre nid !

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    D

    Doëtte Angliviel

    @doetteAngliviel

    A mon fils Le soir où dans ma chair je perçus ta présence, Ce miracle aux abords des déserts de la nuit, Quand je sus que de moi jaillirait ton enfance, Lumière du jet d'eau née à l'ombre du puits; Quand je te devinai comme la frêle graine Promise à la beauté de nacre de la fleur, Mes artères vers toi s'ouvrirent en fontaines Afin de te baigner de force et de vigueur. Mon fils, je ne fus plus que ferveur et qu'attente, Qu'arbre de vie ouvert aux semences du temps, Aux troubles de mon corps je devins vigilante, Avide de te voir naître dans le printemps! Je t'ai porté comme l'on porte une lumière. Sur toi, la main fermée en auvent.de douceur, Ma chair féconde ne fut plus qu'une prière, Car mon sang se donnait pour te forger un cœur. Et te versant le feu qui coulait en mes veines, Ce feu mobile et vif qui brûle les Latins, Mon fils, je t'ai voulu droit comme un jeune chêne, Ivre de cette ardeur qui jamais ne s'éteint. J'ai bu le miel du ciel aux coupes des aurores, Afin que tu sois fait de rosée et d'azur, J'ai voulu que ta pulpe, ô mon beau fruit, se dore, Lorsque tu tomberais de moi, vivant et mûr! Et je ne fus plus rien qu'une branche alourdie, Qu'un rameau pavoisé de songes et de chants, Qu'une tige de joie et de désir, que plie Le souffle déchaîné des tièdes autans. Tout ce que je donnais à la saison qui passe, Mes rires éblouis, mes rêves et mes jeux, La glane de mon sang et l'éclat de ma grâce, Vers toi j'en dirigeais les élans et les feux. Et te voici, souple et léger comme une palme Qui danse toute d'or dans le vent du destin, Opposant à l'orage rouge ton front calme, Ô fraîche adolescence et pudeur du matin! La grande peur gémit aux quatre coins du monde. Quels chemins douloureux allons nous parcourir? Mais, ô mon fils, dressant ta haute tête blonde, Tu t'avances en souriant vers l'avenir.

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    E

    Elodie Santos

    @elodieSantos

    Maman Maman que j’aime Maman d’avant Maman du jour ou Maman d’un moment Maman qui viendra fleurir mon printemps Maman de l’Amour ou Maman de l’Enfant Maman restera toujours dans mon coeur tout le temps

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    E

    Emile Nelligan

    @emileNelligan

    Le voyageur À mon père Las d’avoir visité mondes, continents, villes, Et vu de tout pays, ciel, palais, monuments, Le voyageur enfin revient vers les charmilles Et les vallons rieurs qu’aimaient ses premiers ans. Alors sur les vieux bancs au sein des soirs tranquilles, Sous les chênes vieillis, quelques bons paysans, Graves, fumant la pipe, auprès de leurs familles Ecoutaient les récits du docte aux cheveux blancs. Le printemps refleurit. Le rossignol volage Dans son palais rustique a de nouveau chanté, Mais les bancs sont déserts car l’homme est en voyage. On ne le revoit plus dans ses plaines natales. Fantôme, il disparut dans la nuit, emporté Par le souffle mortel des brises hivernales.

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    E

    Emile Nelligan

    @emileNelligan

    Ma mère Quelquefois sur ma tête elle met ses mains pures, Blanches, ainsi que des frissons blancs de guipures. Elle me baise au front, me parle tendrement, D’une voix au son d’or mélancoliquement. Elle a les yeux couleur de ma vague chimère, O toute poésie, ô toute extase, ô Mère ! A l’autel de ses pieds je l’honore en pleurant, Je suis toujours petit pour elle, quoique grand.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    La grève des forgerons Mon histoire, messieurs les juges, sera brève. Voilà. Les forgerons s’étaient tous mis en grève. C’était leur droit. L’hiver était très dur ; enfin, Cette fois, le faubourg était las d’avoir faim. Le samedi, le soir du payement de semaine, On me prend doucement par le bras, on m’emmène Au cabaret ; et, là, les plus vieux compagnons – J’ai déjà refusé de vous livrer leurs noms – Me disent : « Père Jean, nous manquons de courage ; Qu’on augmente la paye, ou sinon plus d’ouvrage ! On nous exploite, et c’est notre unique moyen. Donc, nous vous choisissons, comme étant le doyen, Pour aller prévenir le patron, sans colère, Que, s’il n’augmente pas notre pauvre salaire, Dès demain, tous les jours sont autant de lundis. Père Jean, êtes-vous notre homme ? » Moi je dis : « Je veux bien, puisque c’est utile aux camarades. » Mon président, je n’ai pas fait de barricades ; Je suis un vieux paisible, et me méfie un peu Des habits noirs pour qui l’on fait le coup de feu. Mais je ne pouvais pas leur refuser, peut-être. Je prends donc la corvée, et me rends chez le maître ; J’arrive, et je le trouve à table ; on m’introduit. Je lui dis notre gêne et tout ce qui s’ensuit : Le pain trop cher, le prix des loyers. Je lui conte Que nous n’en pouvons plus ; j’établis un long compte De son gain et du nôtre, et conclus poliment Qu’il pourrait, sans ruine, augmenter le payement. Il m’écouta tranquille, en cassant des noisettes, Et me dit à la fin : « Vous, père Jean, vous êtes Un honnête homme ; et ceux qui vous poussent ici Savaient ce qu’ils faisaient quant ils vous ont choisi. Pour vous, j’aurai toujours une place à ma forge. Mais sachez que le prix qu’ils demandent m’égorge, Que je ferme demain l’atelier, et que ceux Qui font les turbulents sont tous des paresseux. C’est là mon dernier mot, vous pouvez le leur dire. » Moi je réponds : « C’est bien, monsieur. » Je me retire, Le cœur sombre, et m’en vais rapporter aux amis Cette réponse, ainsi que je l’avais promis. Là-dessus, grand tumulte. On parle politique. On jure de ne pas rentrer à la boutique ; Et, dam ! je jure aussi, moi, comme les anciens. Oh ! plus d’un, ce soir-là, lorsque devant les siens Il jeta sur un coin de table sa monnaie, Ne dut pas, j’en réponds, se sentir l’âme gaie, Ni sommeiller sa nuit tout entière, en songeant Que de longtemps peut-être on n’aurait plus d’argent, Et qu’il allait falloir s’accoutumer au jeûne. – Pour moi, le coup fut dur, car je ne suis plus jeune Et je ne suis pas seul. – Lorsque, rentré chez nous, Je pris mes deux petits-enfants sur mes genoux, – Mon gendre a mal tourné, ma fille est morte en couches – Je regardai, pensif, ces deux petites bouches Qui bientôt connaîtraient la faim ; et je rougis D’avoir ainsi juré de rester au logis. Mais je n’étais pas plus à plaindre que les autres ; Et, comme on sait tenir un serment chez les nôtres, Je me promis encor de faire mon devoir. Ma vieille femme alors rentra de son lavoir, Ployant sous un paquet de linge tout humide ; Et je lui dis la chose avec un air timide. La pauvre n’avait pas le cœur à se fâcher ; Elle resta, les yeux fixés sur le plancher, Immobile longtemps, et répondit : « Mon homme, Tu sais bien que je suis une femme économe. Je ferai ce qu’il faut ; mais les temps sont bien lourds, Et nous avons du pain au plus pour quinze jours. » Moi je repris : « Cela s’arrangera peut-être ! » Quand je savais qu’à moins de devenir un traître Je n’y pouvais plus rien, et que les mécontents, Afin de maintenir la grève plus longtemps, Sauraient bien surveiller et punir les transfuges. Et la misère vint. – O mes juges, mes juges ! Vous croyez bien que, même au comble du malheur, Je n’aurais jamais pu devenir un voleur, Que rien que d’y songer, je serais mort de honte ; Et je ne prétends pas qu’il faille tenir compte, Même au désespéré qui du matin au soir Regarde dans les yeux son propre désespoir, De n’avoir jamais eu de mauvaise pensée. Pourtant, lorsque au plus fort de la raison glacée Ma vieille honnêteté voyait – vivants défis – Ma vaillante campagne et mes deux petits-fils Grelotter tous les trois près du foyer sans flamme, Devant ces cris d’enfants, devant ces pleurs de femme, Devant ce groupe affreux de froid pétrifié, Jamais – j’en jure ici par ce Crucifié – Jamais dans mon cerveau sombre n’est apparue Cette action furtive et vile de la rue, 0ù le cœur tremble, où l’œil guette, où la main saisit. Hélas ! si mon orgueil à present s’adoucit, Si je plie un moment devant vous, si je pleure, C’est que je les revois, ceux de qui tout à l’heure J’ai parlé, ceux pour qui j’ai fait ce que j’ai fait. Donc on se conduisit d’abord comme on devait : On mangea du pain sec, et l’on mit tout en gage. Je souffrais bien. Pour nous, la chambre, c’est la cage, Et nous ne savons pas rester à la maison. Voyez-vous ! j’ai tâté depuis de la prison, Et je n’ai pas trouvé de grande différence. Puis ne rien faire, c’est encore une souffrance. On ne le croirait pas. Eh bien, il faut qu’on soit Les bras croisés par force ; alors on s’aperçoit Qu’on aime l’atelier, et que cette atmosphère De limaille et de feu, c’est celle qu’on préfère. Au bout de quinze jours nous étions sans un sou. – J’avais passé ce temps à marcher comme un fou, Seul, allant devant moi, tout droit, parmi la foule, Car le bruit des cités vous endort et vous saoûle, Et, mieux que l’alcool, fait oublier la faim. Mais, comme je rentrais, une fois, vers la fin D’une après-midi froide et grise de novembre, Je vis ma femme assise en un coin de la chambre, Avec les deux petits serrés contre son sein ; Et je pensai : C’est moi qui suis leur assassin ! Quand la vieille me dit, douce et presque confuse : « Mon pauvre homme, le Mont-de-piété refuse Le dernier matelas, comme étant trop mauvais. Où vas-tu maintenant trouver du pain ? -J’y vais, » Répondis-je ; et prenant à deux mains mon courage, Je résolus d’aller me remettre à l’ouvrage ; Et, quoique me doutant qu’on m’y repousserait Je me rendis d’abord dans le vieux cabaret Où se tenaient toujours les meneurs de la grève. – Lorsque j’entrai je crus, sur ma foi, faire un rêve : On buvait là, tandis que d’autres avaient faim, On buvait. ? Oh ! ceux-là qui leur payaient ce vin Et prolongeaient ainsi notre horrible martyre, Qu’ils entendent encore un vieillard les maudire ! – Dès que vers les buveurs je me fus avancé, Et qu’ils virent mes yeux rouges, mon front baissé, Ils comprirent un peu ce que je venais faire ; Mais, malgré leur air sombre et leur accueil sévère, Je leur parlai : « Je viens pour vous dire ceci : C’est que j’ai soixante ans passés, ma femme aussi, Que mes deux petits-fils sont restés à ma charge, Et que dans la mansarde où nous vivons au large, -Tous nos meubles étant vendus – on est sans pain. Un lit à l’hôpital, mon corps au carabin, C’est un sort pour un gueux comme moi, je suppose ; Mais pour ma femme et mes petits, c’est autre chose. Donc, je veux retourner tout seul sur les chantiers. Mais, avant tout, il faut que vous le permettiez Pour qu’on ne puisse pas sur moi faire d’histoires. Voyez ! J’ai les cheveux tout blancs et les mains noires, Et voilà quarante ans que je suis forgeron. Laissez-moi retourner tout seul chez le patron. J’ai voulu mendier, je n’ai pas pu. Mon âge Est mon excuse. On fait un triste personnage Lorsqu’on porte à son front le sillon qu’a gravé L’effort continuel du marteau soulevé, Et qu’on veut au passant tendre une main robuste. Je vous prie à deux mains. Ce n’est pas trop injuste Que ce soit le plus vieux qui cède le premier. – Laissez-moi retourner tout seul à l’atelier. Voilà tout. Maintenant, dites si ça vous fâche. » Un d’entre eux fit vers moi trois pas et me dit : « Lâche ! » Alors j’eus froid au cœur, et le sang m’aveugla. Je regardai celui qui m’avait dit cela. C’était un grand garçon, blême aux reflets des lampes, Un malin, un coureur de bals, qui, sur les tempes, Comme une fille, avait deux gros accroche-cœurs. Il ricanait, fixant sur moi ses yeux moqueurs : Et les autres gardaient un si profond silence Que j’entendais mon cœur battre avec violence. Tout à coup j’étreignis dans mes deux mains mon front Et m’écriai : « Ma femme et mes deux fils mourront. Soit ! Et je n’irai pas travailler. – Mais je jure Que, toi, tu me rendras raison de cette injure, Et que nous nous battrons, tout comme des bourgeois. Mon heure – Sur-le-champ. – Mon arme – J’ai le choix ; Et, parbleu ! ce sera le lourd marteau d’enclume, Plus léger pour nos bras que l’épée ou la plume ; Et vous, les compagnons, vous serez les témoins. Or çà, faites le cercle et cherchez dans les coins Deux de ces bons frappeurs de fer couverts de rouille. Et toi, vil insulteur de vieux, allons ! dépouille Ta blouse et ta chemise, et crache dans ta main. » Farouche et me frayant des coudes un chemin Parmi les ouvriers, dans un coin des murailles Je choisis deux marteaux sur un tas de ferraille Et les ayant jugés d’un coup d’œil je jetai Le meilleur à celui qui m’avait insulté. Il ricanait encor ; mais, à toute aventure, Il prit l’arme, et gardant toujours cette posture Défensive : « Allons, vieux, ne fais pas le méchant ! » Mais je ne répondis au drôle qu’en marchant Contre lui, le gênant de mon regard honnête Et faisant tournoyer au-dessus de ma tête Mon outil de travail, mon arme de combat. Jamais le chien couché sous le fouet qui le bat, Dans ses yeux effarés et qui demandent grâce, N’eut une expression de prière aussi basse Que celle que je vis alors dans le regard De ce louche poltron, qui reculait, hagard, Et qui vint s’acculer contre le mur du bouge. Mais il était trop tard, hélas ! Un voile rouge, Une brume de sang descendit entre moi Et cet être pourtant terrassé par l’effroi, Et d’un seul coup, d’un seul, je lui brisai le crâne Je sais que c’est un meurtre et que tout me condamne ; Et je ne voudrais pas vraiment qu’on chicanât Et qu’on prît pour un duel un simple assassinat. Il était à mes pieds, mort, perdant sa cervelle, Et, comme un homme à qui tout à coup se révèle Toute l’immensité du remords de Caïn, Je restai là, cachant mes deux yeux sous ma main. Alors les compagnons de moi se rapprochèrent Et voulant me saisir, en tremblant me touchèrent. Mais je les écartai d’un geste, sans effort, Et leur dis : « Laissez-moi. Je me condamne à mort. » Ils comprirent. Alors, ramassant ma casquette, Je la leur présentai, disant, comme à la quête : « Pour la femme et pour les petiots, mes bons amis. » Et cela fit dix francs, qu’un vieux leur a remis. Puis j’allai me livrer moi-même au commissaire. A présent, vous avez un récit très sincère De mon crime, et pouvez ne pas faire grand cas De ce que vous diront messieurs les avocats. Je n’ai même conté le détail de la chose Que pour bien vous prouver que, quelquefois, la cause D’un fait vient d’un concours d’événements fatal. Les mioches aujourd’hui sont au même hôpital Où le chagrin tua ma vaillante compagne. Donc, que pour moi ce soit la prison ou le bagne, Ou même le pardon, je n’en ai plus souci ; Et si vous m’envoyez à l’échafaud, merci !

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Le défilé Dans le faubourg planté d’arbustes rabougris, Où le pâle chardon pousse au bord des murs gris, Sur le trottoir pavé que limitent des bornes, Lentement, en grand deuil tous deux, tristes et mornes, Et vers le couchant d’or d’un juillet étouffant, Vont ensemble une mère et son petit enfant. La mère est jeune encore, elle est pauvre, elle est veuve. Résignée, et pourtant droite encor sous l’épreuve, Elle songe sans doute au sombre lendemain ; Et le petit garçon qu’elle tient par la main A déjà dans ses yeux agrandis par les jeûnes L’air grave des enfants qui s’étonnent trop jeunes. Ils marchent, regardant le coucher du soleil. Mais voici que, parmi le triomphe vermeil Des nuages de pourpre aux franges d’écarlate, Là-bas, soudaine et fière, une fanfare éclate ; Et, poussant devant eux clairons et timbaliers, Apparaissent au loin les premiers cavaliers D’un pompeux régiment qui vient de la parade. Des escadrons ! mais c’est comme une mascarade. Les enfants et le peuple, hélas ! enfant aussi, S’arrêtent en chemin pour les voir. Or ceux-ci Sont très beaux ; et le fils de la veuve regarde. Lui qui vécut dans les murs froids d’une mansarde, Il n’a jamais rien vu de tel. Il est hagard ; Et sa mère lui dit, bénissant ce hasard, Et distraite, elle aussi, de ses rêves austères : « Restons là. Nous verrons passer les militaires. » Ils s’arrêtent tous deux ; et le beau régiment, Sombre et pesant d’orgueil, défile fièrement. Ce sont des cuirassiers ; ils vont, musique en tête, Répandant à l’entour comme un bruit de tempête. Les casques sont polis ainsi que des miroirs ; Les sabres sont tirés. Tous les chevaux sont noirs ; Ils ont la flamme aux yeux et le sang aux narines. – Les cuirasses d’acier qui bombent les poitrines Jettent à chaque pas des éclairs aveuglants ; Et les lourds escadrons, impassibles et lents, Se succèdent, au pas, allant de gauche à droite, Avec leurs officiers dans la distance étroite, Si bien que le passant, sur la route arrêté, Cependant qu’il peut voir s’éloigner d’un côté Des croupes de chevaux et des dos de cuirasses, Voit de l’autre, marchant de tout près sur leurs traces, S’avancer, alignés comme par deux niveaux, Des casques de soldats et des fronts de chevaux. Et ce spectacle est plus sublime et plus farouche Dans la rouge splendeur du soleil qui se couche. Mais, l’œil tout ébloui des ors et des aciers, L’enfant cherche surtout à voir ces officiers Qui brandissent, tournés à demi sur la selle, Leur sabre dont la lame au soleil étincelle, Et sont gantés de blanc ainsi que pour le bal, Et commandent, tandis que leur fougueux cheval, Se rappelant sans doute une ancienne victoire, Secoue avec orgueil son mors dans sa mâchoire. Et plus que tous ceux-là l’enfant admire encor Le plus jeune, qui n’a qu’une aiguillette d’or Et marche dans les rangs ainsi qu’une recrue, Mais qui semble toujours à la foule accourue Le plus heureux, le plus superbe et le plus beau, Car il porte les plis somptueux du drapeau. Le régiment défile, et l’enfant s’extasie. Craintif et se tenant à la jupe saisie De sa mère, il admire, avide et stupéfait, Et tremble. Mais alors celle-ci, qui rêvait, Le regarde, et soudain elle devient peureuse. La pauvre femme, qui naguère était heureuse Que pour son fils ce beau régiment paradât, Craint maintenant qu’il veuille un jour être soldat ; Et même, bien avant que ce soupçon s’achève, Son esprit a conçu l’épouvantable rêve D’un noir champ de bataille où dans les blés versés, Sous la lune sinistre, on voit quelques blessés, Qui, mouillés par le sang et la rosée amère, Se traînent sur leurs mains en appelant leur mère, Puis qui s’accoudent, puis qui retombent enfin ; Et, seuls debout alors, des chevaux ayant faim Qui, baissant vers le sol leurs longs museaux avides, Broutent le gazon noir entre les morts livides ! Elle entraîne son fils ; elle a le cœur glacé. Et, bien que le brillant régiment soit passé Et qu’au coin du faubourg tourne l’arrière-garde, L’enfant se plaint tout bas, et résiste, et regarde Son rêve qui s’enfuit, espérant voir encor Là-bas, dans la poussière, une étincelle d’or, Et détestant déjà les amis et les mères Qui nous tirent loin des dangers et des chimères.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Le Père Il rentrait toujours ivre et battait sa maîtresse. Deux sombres forgerons, le Vice et la Détresse, Avaient rivé la chaîne à ces deux malheureux. Cette femme était chez cet homme – c’est affreux ! – Seulement par l’effroi de coucher dans la rue. L’ivrogne la trouvait toujours aigre et bourrue Le soir, et la frappait. Leurs cris et leurs jurons Faisaient connaître l’heure aux gens des environs. Puis c’était un silence effrayant dans leur chambre. – Un jour que par l’horreur, par la faim, par décembre, Ce couple épouvantable était plus assailli, Il leur naquit un fils, berceau mal accueilli, Humble front baptisé par un baiser morose, Hélas ! et qui n’était pas moins pur ni moins rose. L’homme revint encore ivre le lendemain, Mais, s’arrêtant au seuil, ne leva point la main Sur sa femme, depuis que c’était une mère. Le regard noir de haine et la parole amère, Celle-ci se tourna vers son horrible amant Qui la voyait bercer son fils farouchement, Et, raillant, lui cria : « Frappe donc ! Qui t’arrête ? Notre homme, j’attendais ton retour. Je suis prête. L’hiver est-il moins dur ? le pain est-il moins cher ? Dis ! et n’es-tu pas ivre aujourd’hui comme hier ? » Mais le père, accablé, ne parut point l’entendre, Et, fixant sur son fils un œil stupide et tendre, Craintif, ainsi qu’un homme accusé se défend, Il murmura : « J’ai peur de réveiller l’enfant ! »

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    François Coppée

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    @francoisCoppee

    Mon Père Tenez, lecteur ! – souvent, tout seul, je me promène Au lieu qui fut jadis la barrière du Maine. C’est laid, surtout depuis le siège de Paris. On a planté d’affreux arbustes rabougris Sur ces longs boulevards où naguère des ormes De deux cents ans croisaient leurs ramures énormes. Le mur d’octroi n’est plus ; le quartier se bâtit. Mais c’est là que jadis, quand j’étais tout petit, Mon père me menait, enfant faible et malade, Par les couchants d’été faire une promenade. C’est sur ces boulevards déserts, c’est dans ce lieu Que cet homme de bien, pur, simple et craignant Dieu, Qui fut bon comme un saint, naïf comme un poète, Et qui, bien que très pauvre, eut toujours l’âme en fête, Au fond d’un bureau sombre après avoir passé Tout le jour, se croyant assez récompensé Par la douce chaleur qu’au coeur nous communique La main d’un dernier-né, la main d’un fils unique, C’est là qu’il me menait. Tous deux nous allions voir Les longs troupeaux de boeufs marchant vers l’abattoir, Et quand mes petits pieds étaient assez solides, Nous poussions quelquefois jusques aux Invalides, Où, mêlés aux badauds descendus des faubourgs, Nous suivions la retraite et les petits tambours. Et puis enfin, à l’heure où la lune se lève, Nous prenions pour rentrer la route la plus brève ; On montait au cinquième étage, lentement ; Et j’embrassais alors mes trois soeurs et maman, Assises et cousant auprès d’une bougie. – Eh bien, quand m’abandonne un instant l’énergie, Quand m’accable par trop le spleen décourageant, Je retourne, tout seul, à l’heure du couchant, Dans ce quartier paisible où me menait mon père ; Et du cher souvenir toujours le charme opère. Je songe à ce qu’il fit, cet homme de devoir, Ce pauvre fier et pur, à ce qu’il dut avoir De résignation patiente et chrétienne Pour gagner notre pain, tâche quotidienne, Et se priver de tout, sans se plaindre jamais. – Au chagrin qui me frappe alors je me soumets, Et je sens remonter à mes lèvres surprises Les prières qu’il m’a dans mon enfance apprises.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Une sainte À ma mère C’est une vieille fille en cheveux blancs ; elle est Pâle et maigre ; un antique et grossier chapelet S’égrène, machinal, sous ses doigts à mitaines. Sans cesse remuant ses lèvres puritaines D’où tombent les Pater noster et les Ave, Et laissant son tricot de laine inachevé, Droite, elle prie, assise au coin d’un feu de veuve, Dans sa robe de deuil rigide et toujours neuve. Le logis est glacé comme elle. Le cordeau Semble avoir aligné les plis droits du rideau, Que blêmit le reflet pâle d’un jour d’automne ; Et, s’il vient un rayon de soleil, il détonne Et sur le sol découpe un grand carré brutal. Le lit est étriqué comme un lit d’hôpital. L’heure marche sans bruit sous son globe de verre. Tout est froid, triste, gris, monotone et sévère ; Et près du crucifix penché comme un fruit mûr, Deux béquilles d’enfant, en croix, pendent au mur. C’est une histoire simple et très mélancolique Que raconte l’étrange et lugubre relique : Les baisers sur les mains froides des vieux parents ; La bénédiction tremblante des mourants ; Et puis deux orphelins tout seuls, le petit frère Infirme, étiolé, qui souffre et qui se serre, Frileux, contre le sein d’un ange aux cheveux blonds ; La grande sœur, si pâle avec ses voiles longs, Qui, la veille, devant le linceul et le cierge, Jurait aux parents morts, à Jésus, à la Vierge, D’être une mère au pauvre enfant, frêle roseau ; Ce sont les petits bras tendus hors du berceau, La douleur apaisée un instant par un conte, L’insomnie et la voix de l’horloge qui compte L’heure très lentement, les réveils pleins d’effrois, Les soins donnés, les pieds nus sur les carreaux froids, Les baisers appuyés sur la trace des larmes, Et la tisane offerte, et les folles alarmes, Et le petit malade à l’aurore n’offrant Qu’un front plus pâle et qu’un sourire plus navrant. Ce dévoûment obscur a duré dix années, Beauté, jeunesse, fleurs loin du soleil fanées, Tout fut sacrifié sans plainte et sans regret ; Et quand, par les beaux soirs, un instant elle ouvrait À la brise de mai charmante et parfumée La fenêtre toujours par prudence fermée Et laissait ses regards errer à l’horizon, Une toux de l’enfant refermait sa prison. Elle est libre aujourd’hui. C’est une pauvre vieille, Toujours en deuil, dévote, ascétique, pareille Aux béguines qu’on voit errer dans le couvent. Libre ! Pauvre âme simple et douce ! Bien souvent Elle songe, très triste, à son cher esclavage, Et, tout bas, d’une voix sourde, presque sauvage, Elle dit : « Il est mort ! » Puis elle s’attendrit, Et reprend : « Il avait déjà beaucoup d’esprit. Quand il était méchant, il m’appelait madame. Il est mort ! Le bon Dieu l’a pris. Sa petite âme À des ailes. Il est un ange au paradis. Sans quoi serait-il mort ? Quelquefois je me dis Que Dieu prend les enfants pour en faire des anges. Puis il avait des mots et des regards étranges : Peut-être qu’il était ange avant d’être né ? Tes pleurs de chaque jour, ô pauvre condamné, Valent bien tous les longs Oremus qu’on prodigue. Puis un signe de croix était une fatigue Pour son bras. Il savait sourire, et non prier. Il est mort ! Une nuit, je l’entendis crier. J’accourus, je penchai la tête vers sa couche, Et sa dernière haleine a passé sur ma bouche, Et depuis ce temps-là je n’ai plus de gaîté. Le lendemain, des gens sombres l’ont emporté. Pauvre martyr ! Sa bière était toute petite ! J’ai laissé sur son cœur sa médaille bénite. Cela fera plaisir au bon Dieu, n’est-ce pas ? Il est au Ciel. Hélas ! est-il heureux là-bas ? Les anges, on se fait parfois de ces chimères, Ont-ils soin des enfants aussi bien que les mères ? Je doute. Pardonnez, Seigneur, à mon regret ! » Et baissant ses grands yeux où l’âme transparaît, Elle active le cours rythmique et monotone De son lent chapelet. Et le soleil d’automne, Qui dore les carreaux de ses rayons tremblants, Met de vagues lueurs parmi ses cheveux blancs.

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    François Fabié

    @francoisFabie

    Berger d’abeilles Le doux titre et l’emploi charmant : Être, en juin, un berger d’abeilles, Lorsque les prés sont des corbeilles Et les champs des mers de froment ; Quand les faucheurs sur les enclumes Martèlent la faux au son clair, Et que les oisillons dans l’air Font bouffer leurs premières plumes ! Berger d’abeilles, je le fus, A huit ans, la-bas, chez mon père, Lorsque son vieux rucher prospère Chantait sous ses poiriers touffus. Quel bonheur de manquer l’école Que l’été transforme en prison, De se rouler dans le gazon, Ou de suivre l’essaim qui vole, En lui disant sur un ton doux Pour qu’il s’arrête aux branches basses : » Posez-vous, car vous êtes lasses ; Belles abeilles, posez-vous ! » Nous avons des ruches nouvelles Faites d’un bois qui vous plaira ; La sauge les parfumera : Posez-vous, abeilles, mes belles ! » Et les abeilles se posaient En une énorme grappe grise Que berçait mollement la brise Dans les rameaux qui bruissaient. » Père ! criais-je, père ! arrive ! Un essaim ! » Et l’on préparait La ruche neuve où sans regret La tribu demeurait captive. Puis, sur le soir, lorsque, à pas lents, Du fond des pâtures lointaines Les troupeaux revenaient bêlants Vers l’étable et vers les fontaines, Je retrouvais mon père au seuil Comptant ses bêtes caressantes, Et lui disais avec orgueil : » Toutes les miennes sont présentes ! » Le doux titre et l’emploi charmant : Être, en juin, un berger d’abeilles, Lorsque les prés sont des corbeilles Et les champs des mers de froment !

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    François Sauvageot

    @francoisSauvageot

    A Lucile Déjà vingt ans que je te connais ma Lucile, Ton esprit est plus fin que la belle Sibylle, Et ton visage est plus beau que celui d’Ondine, Quel bonheur est le mien de t’avoir pour cousine ! Tes cheveux ont la lueur du soleil, Et tes yeux bleus la couleur d’un beau ciel. Quand je songe à toi ma Lucile, Je revois tes yeux bleus si purs, Eclairs scintillant dans l’azur, D’un beau ciel étoilé de cils. Puis j’entrevois tes longs cheveux, Déverser leurs flots onduleux ; Je revois toujours tes beaux yeux, Eclairs du feu brillant des cieux. Tu es attentionnée, si douce et si gentille, Tu comptes plus que tout, bien plus que ma famille ; Tu es pour moi cette sœur que je n’avais pas, Qui me prendrait la main et me tiendrait le bras. Oui je t’aime, mais lorsque je sonde mon cœur ; Je réalise que tu es plus qu’une sœur. Je veux te dire ma Lucile : Tu es plus fine que Sibylle, Oui, et bien plus belle qu’Ondine ; Merci de t’avoir pour cousine.

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