splash screen icon Lenndi
splash screen name leendi

Poésie Engagée

88 poésies en cours de vérification
Poésie Engagée

Poésies de la collection poésie engagée

    Paul Éluard

    Paul Éluard

    @paulEluard

    Liberté Liberté de Paul Éluard est une œuvre marquante de la poésie engagée de la résistance. Écrit en 1942 pour protester contre l'occupation, il est composé de 21 quatrains suivis du mot Liberté. Des milliers de copies furent parachutées en France par des avions britanniques pour encourager les résistants. Sur mes cahiers d'écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J'écris ton nom

    en cours de vérification

    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    Celui qui boit Celui qui boit, comme a chanté Nicandre, De l'Aconite, il a l'esprit troublé, Tout ce qu'il voit lui semble estre doublé, Et sur ses yeux la nuit se vient espandre. Celui qui boit de l'amour de Cassandre, Qui par ses yeux au cœur est ecoulé, Il perd raison, il devient afolé, Cent fois le jour la Parque le vient prendre. Mais la chaut vive, ou la rouille, ou le vin Ou l'or fondu peuvent bien mettre fin Au mal cruel que l'Aconite donne :

    en cours de vérification

    Pierre Emmanuel

    Pierre Emmanuel

    @pierreEmmanuel

    Hymne à la liberté O mes frères dans les prisons vous êtes libres Libres les yeux brûlés les membres enchaînés Le visage troué les lèvres mutilées Vous êtes ces arbres violents et torturés Qui croissent plus puissants parce qu'on les émonde Et surtout le pays d’humaine destinée Votre regard d’hommes vrais est sans limites Votre silence est la paix terrible de l’éther Par-dessus les tyrans enroués de mutismes Il y a la nef silencieuse de vos mains Par-dessus l’ordre dérisoire des tyrans Il y a l’ordre des nuées et des cieux vastes Il y a la respiration des monts très bleus Il y a les libres lointains de la prière Il y a les larges fronts qui ne se courbent pas Il y a les astres dans la liberté de leur essence Il y a les immenses moissons du devenir Il y a dans les tyrans une angoisse fatale Qui est la liberté effroyable de Dieu.

    en cours de vérification

    Pierre Emmanuel

    Pierre Emmanuel

    @pierreEmmanuel

    Les dents serrées Je hais. Ne me demandez pas ce que je hais Il y a des mondes de mutisme entre les hommes Et le ciel veule sur l’abîme, et le mépris Des morts. Il y a des mots entrechoqués, des lèvres Sans visage, se parjurant dans les ténèbres Il y a l’air prostitué au mensonge, et la Voix Souillant jusqu’au secret de l’âme mais il y a le feu sanglant, la soif rageuse d’être libre il y a des millions de sourds les dents serrées il y a le sang qui commence à peine à couler il y a la haine et c’est assez pour espérer.

    en cours de vérification

    Raoul Ponchon

    Raoul Ponchon

    @raoulPonchon

    L'absinthe Absinthe, je t’adore, certes ! Il me semble, quand je te bois, Humer l’âme des jeunes bois, Pendant la belle saison verte ! Ton frais parfum me déconcerte. Et dans ton opale je vois Des cieux habités autrefois, Comme par une porte ouverte.

    en cours de vérification

    R

    René Guy Cadou

    @reneGuyCadou

    Les fusilles de Chateaubriant Ils sont appuyés contre le ciel Ils sont une trentaine appuyés contre le ciel Avec toute la vie derrière eux Ils sont pleins d'étonnement pour leur épaule Qui est un monument d'amour Ils n'ont pas de recommandations à se faire Parce qu'ils ne se quitteront jamais plus L'un d'eux pense à un petit village Où il allait à l'école Un autre est assis à sa table Et ses amis tiennent ses mains Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent Us sont bien au-dessus de ces hommes Qui les regardent mourir Il y a entre eux la différence du martyre Parce que le vent est passé là ils chantent Et leur seul regret est que ceux Qui vont les tuer n'entendent pas Le bruit énorme des paroles Ils sont exacts au rendez-vous Ils sont même en avance sur les autres Pourtant ils disent qu'ils ne sont pas des apôtres Et que tout est simple Et que la mort surtout est une chose simple Puisque toute liberté se survit. Paysage de mon amour Tout entier dans ce village Dont je défais journellement Les liens de chanvre et de fumée Tuiles baignées de tourterelles Qui chantez sous la main du soir Écailles des saisons nouvelles Plaques tournantes de l'espoir Prairies des peintres du dimanche Passerelles des bois dormants Ô bêtes qui remuez les hanches Dans un long rêve de froment Et toi rivière sous les saules Blanche fenêtre caressée Par une truite et mon épaule Et tous Jes jours qui sont passés Je crois en vous en toutes choses Qui par souci de vérité Parlent pour moi trouvent réponse Dans la raison de mon silence. Pourquoi n'allez-vous pas à Paris? — Mais l'odeur des lys ! Mais l'odeur des lys ! — Les rives de la Seine ont aussi leurs fleuristes — Mais pas assez tristes oh ! pas assez tristes ! Je suis malade du vert des feuilles et de chevaux De servantes bousculées dans les remises du château — Mais les rues de Paris ont aussi leurs servantes — Que le diable tente ! que le diable tente ! Mais moi seul dans la grande nuit mouillée L'odeur des lys et la campagne agenouillée Cette amère montée du sol qui m'environne Le désespoir et le bonheur de ne plaire à personne — Tu périras d'oubli et dévoré d'orgueil — Oui mais l'odeur des lys la liberté des feuilles !

    en cours de vérification

    René Char

    René Char

    @reneChar

    Fragment 128 des feuillets d’hypnos Le boulanger n’avait pas encore dégrafé les rideaux de fer de sa boutique que déjà le village était assiégé, bâillonné, hypnotisé, mis dans l’impossibilité de bouger. Deux compagnies de S.S. et un détachement de miliciens le tenaient sous la gueule de leurs mitrailleuses et de leurs mortiers. Alors commença l’épreuve. Les habitants furent jetés hors des maisons et sommés de se rassembler sur la place centrale. Les clés sur les portes. Un vieux, dur d’oreille, qui ne tenait pas compte assez vite de l’ordre, vit les quatre murs et le toit de sa grange voler en morceaux sous l’effet d’une bombe. Depuis quatre heures j’étais éveillé. Marcelle était venue à mon volet me chuchoter l’alerte. J’avais reconnu immédiatement l’inutilité d’essayer de franchir le cordon de surveillance et de gagner la campagne. Je changeai rapidement de logis. La maison inhabitée où je me réfugiai autorisait, à toute extrémité, une résistance armée efficace. Je pouvais suivre de la fenêtre, derrière les rideaux jaunis, les allées et venues nerveuses des occupants. Pas un des miens n’était présent au village. Cette pensée me rassura. À quelques kilomètres de là, ils suivraient mes consignes et resteraient tapis. Des coups me parvenaient, ponctués d’injures. Les S.S. avaient surpris un jeune maçon qui revenait de relever des collets. Sa frayeur le désigna à leurs tortures. Une voix se penchait hurlante sur le corps tuméfié : « Où est-il ? Conduis-nous », suivie de silence. Et coups de pied et coups de crosse de pleuvoir. Une rage insensée s’empara de moi, chassa mon angoisse. Mes mains communiquaient à mon arme leur sueur crispée, exaltaient sa puissance contenue. Je calculais que le malheureux se tairait encore cinq minutes, puis, fatalement, il parlerait. J’eus honte de souhaiter sa mort avant cette échéance. Alors apparut jaillissant de chaque rue la marée des femmes, des enfants, des vieillards, se rendant au lieu de rassemblement, suivant un plan concerté. Ils se hâtaient sans hâte, ruisselant littéralement sur les S.S., les paralysant « en toute bonne foi ». Le maçon fut laissé pour mort. Furieuse, la patrouille se fraya un chemin à travers la foule et porta ses pas plus loin. Avec une prudence infinie, maintenant des yeux anxieux et bons regardaient dans ma direction, passaient comme un jet de lampe sur ma fenêtre. Je me découvris à moitié et un sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre.

    en cours de vérification

    R

    René Philombe

    @renePhilombe

    L'homme qui te ressemble J'ai frappé à ta porte J'ai frappé à ton cœur Pourquoi me repousser ? Ouvre-moi, mon frère. Pourquoi me demander L'épaisseur de mes lèvres La longueur de mon nez La couleur de ma peau Et le nom de mes dieux ? Ouvre-moi, mon frère. Pourquoi me demander Si je suis d'Afrique Si je suis d'Amérique Si je suis d'Asie Si je suis d'Europe ? Ouvre-moi, mon frère. Je ne suis pas un noir Je ne suis pas un rouge Je ne suis pas un blanc, Je ne suis pas un jaune. Ouvre-moi, mon frère Je ne suis qu'un homme, L'homme de tous les cieux, L'homme de tous les temps, L'homme qui te ressemble : Ouvre-moi, mon frère.

    en cours de vérification

    Robert Desnos

    Robert Desnos

    @robertDesnos

    Ce cœur qui haïssait la guerre… Ce cœur qui haïssait la guerre voilà qu'il bat pour le combat et la bataille ! Ce cœur qui ne battait qu'au rythme des marées, à celui des saisons, à celui des heures du jour et de la nuit, Voilà qu'il se gonfle et qu'il envoie dans les veines un sang brûlant de salpêtre et de haine. Et qu'il mène un tel bruit dans la cervelle que les oreilles en sifflent Et qu'il n'est pas possible que ce bruit ne se répande pas dans la ville et la campagne Comme le son d'une cloche appelant à l'émeute et au combat. Écoutez, je l'entends qui me revient renvoyé par les échos. Mais non, c'est le bruit d'autres cœurs, de millions d'autres cœurs battant comme le mien à travers la France. Ils battent au même rythme pour la même besogne tous ces cœurs, Leur bruit est celui de la mer à l'assaut des falaises Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d'ordre : Révolte contre Hitler et mort à ses partisans ! Pourtant ce cœur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons, Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères Et des millions de Français se préparent dans l'ombre à la besogne que l'aube proche leur imposera. Car ces cœurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme même des saisons et des marées, du jour et de la nuit.

    en cours de vérification

    Robert Desnos

    Robert Desnos

    @robertDesnos

    Demain Âgé de cent mille ans, j'aurais encor la force De t'attendre, ô demain pressenti par l'espoir. Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses, Peut gémir : Le matin est neuf, neuf est le soir. Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille, Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu, Nous parlons à voix basse et nous tendons l'oreille À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu. Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore De la splendeur du jour et de tous ses présents. Si nous ne dormons pas c'est pour guetter l'aurore Qui prouvera qu'enfin nous vivons au présent.

    en cours de vérification

    Robert Desnos

    Robert Desnos

    @robertDesnos

    Le veilleur du Pont-au-change Je suis le veilleur de la rue de Flandre, Je veille tandis que dort Paris. Vers le nord un incendie lointain rougeoie dans la nuit. J’entends passer des avions au-dessus de la ville. Je suis le veilleur du Point-du-Jour. La Seine se love dans l’ombre, derrière le viaduc d’Auteuil, Sous vingt-trois ponts à travers Paris. Vers l’ouest j’entends des explosions. Je suis le veilleur de la Porte Dorée. Autour du donjon le bois de Vincennes épaissit ses ténèbres. J’ai entendu des cris dans la direction de Créteil Et des trains roulent vers l’est avec un sillage de chants de révolte. Je suis le veilleur de la Poterne des Peupliers. Le vent du sud m’apporte une fumée âcre, Des rumeurs incertaines et des râles Qui se dissolvent, quelque part, dans Plaisance ou Vaugirard. Au sud, au nord, à l’est, à l’ouest, Ce ne sont que fracas de guerre convergeant vers Paris. Je suis le veilleur du Pont-au-Change Veillant au cœur de Paris, dans la rumeur grandissantev Où je reconnais les cauchemars paniques de l’ennemi, Les cris de victoire de nos amis et ceux des Français, Les cris de souffrance de nos frères torturés par les Allemands d’Hitler. Je suis le veilleur du Pont-au-Change Ne veillant pas seulement cette nuit sur Paris, Cette nuit de tempête sur Paris seulement dans sa fièvre et sa fatigue, Mais sur le monde entier qui nous environne et nous presse. Dans l’air froid tous les fracas de la guerre Cheminent jusqu’à ce lieu où, depuis si longtemps, vivent les hommes. Des cris, des chants, des râles, des fracas il en vient de partout, Victoire, douleur et mort, ciel couleur de vin blanc et de thé, Des quatre coins de l’horizon à travers les obstacles du globe, Avec des parfums de vanille, de terre mouillée et de sang, D’eau salée, de poudre et de bûchers, De baisers d’une géante inconnue enfonçant à chaque pas dans la terre grasse de chair humaine. Je suis le veilleur du Pont-au-Change Et je vous salue, au seuil du jour promis Vous tous camarades de la rue de Flandre à la Poterne des Peupliers, Du Point-du-Jour à la Porte Dorée. Je vous salue vous qui dormez Après le dur travail clandestin, Imprimeurs, porteurs de bombes, déboulonneurs de rails, incendiaires, Distributeurs de tracts, contrebandiers, porteurs de messages, Je vous salue vous tous qui résistez, enfants de vingt ans au sourire de source Vieillards plus chenus que les ponts, hommes robustes, images des saisons, Je vous salue au seuil du nouveau matin. Je vous salue sur les bords de la Tamise, Camarades de toutes nations présents au rendez-vous, Dans la vieille capitale anglaise, Dans le vieux Londres et la vieille Bretagne, Américains de toutes races et de tous drapeaux, Au-delà des espaces atlantiques, Du Canada au Mexique, du Brésil à Cuba, Camarades de Rio, de Tehuantepec, de New York et San Francisco. J’ai donné rendez-vous à toute la terre sur le Pont-au-Change, Veillant et luttant comme vous. Tout à l’heure, Prévenu par son pas lourd sur le pavé sonore, Moi aussi j’ai abattu mon ennemi. Il est mort dans le ruisseau, l’Allemand d’Hitler anonyme et haï, La face souillée de boue, la mémoire déjà pourrissante, Tandis que, déjà, j’écoutais vos voix des quatre saisons, Amis, amis et frères des nations amies. J’écoutais vos voix dans le parfum des orangers africains, Dans les lourds relents de l’océan Pacifique, Blanches escadres de mains tendues dans l’obscurité, Hommes d’Alger, Honolulu, Tchoung-King, Hommes de Fez, de Dakar et d’Ajaccio. Enivrantes et terribles clameurs, rythmes des poumons et des cœurs, Du front de Russie flambant dans la neige, Du lac Ilmen à Kief, du Dniepr au Pripet, Vous parvenez à moi, nés de millions de poitrines. Je vous écoute et vous entends. Norvégiens, Danois, Hollandais, Belges, Tchèques, Polonais, Grecs, Luxembourgeois, Albanais et Yougo-Slaves, camarades de lutte. J’entends vos voix et je vous appelle, Je vous appelle dans ma langue connue de tous Une langue qui n’a qu’un mot : Liberté ! Et je vous dis que je veille et que j’ai abattu un homme d’Hitler. Il est mort dans la rue déserte Au cœur de la ville impassible j’ai vengé mes frères assassinés Au Fort de Romainville et au Mont Valérien, Dans les échos fugitifs et renaissants du monde, de la ville et des saisons. Et d’autres que moi veillent comme moi et tuent, Comme moi ils guettent les pas sonores dans les rues désertes, Comme moi ils écoutent les rumeurs et les fracas de la terre. À la Porte Dorée, au Point-du-Jour, Rue de Flandre et Poterne des Peupliers, À travers toute la France, dans les villes et les champs, Mes camarades guettent les pas dans la nuit Et bercent leur solitude aux rumeurs et fracas de la terre. Car la terre est un camp illuminé de milliers de feux. À la veille de la bataille on bivouaque par toute la terre Et peut-être aussi, camarades, écoutez-vous les voix, Les voix qui viennent d’ici quand la nuit tombe, Qui déchirent des lèvres avides de baisers Et qui volent longuement à travers les étendues Comme des oiseaux migrateurs qu’aveugle la lumière des phares Et qui se brisent contre les fenêtres du feu. Que ma voix vous parvienne donc Chaude et joyeuse et résolue, Sans crainte et sans remords Que ma voix vous parvienne avec celle de mes camarades, Voix de l’embuscade et de l’avant-garde française. Écoutez-nous à votre tour, marins, pilotes, soldats, Nous vous donnons le bonjour, Nous ne vous parlons pas de nos souffrances mais de notre espoir, Au seuil du prochain matin nous vous donnons le bonjour, À vous qui êtes proches et, aussi, à vous Qui recevrez notre vœu du matin Au moment où le crépuscule en bottes de paille entrera dans vos maisons. Et bonjour quand même et bonjour pour demain ! Bonjour de bon cœur et de tout notre sang ! Bonjour, bonjour, le soleil va se lever sur Paris, Même si les nuages le cachent il sera là, Bonjour, bonjour, de tout cœur bonjour !

    en cours de vérification

    Robert Graves

    Robert Graves

    @robertGraves

    Être poètes Nous sommes deux amants d’une espèce qui n’est pas insouciante, Et notre amour n’est pas une curiosité (Comme des pousses de chèvrefeuille sur un chêne ou un enfant muni de deux mains gauches) mais un fier appétit De royale pensée et d’irréprochable agissement ; Ce que les autres écrivent sur nous a peu de sens, car ils vivent en un incertain entre-deux de négligence. Par le fait d’être poètes, la mort nous est décernée : Mort, ardente synthèse paradisiaque Pour ceux qui toujours se comportent en poètes, Qui ne peuvent tomber sous l’ignoble malédiction (Que ce soit par amour de soi ou par dédain De la vérité) de ne jamais mourir, de ne jamais être né.

    en cours de vérification

    R

    Robert Gélis

    @robertGelis

    Portrait de l’autre L’Autre : Celui d’en face, ou d’à côté, Qui parle une autre langue Qui a une autre couleur, Et même une autre odeur Si on cherche bien… L’Autre : Celui qui ne porte pas l’uniforme Des bien-élevés, Ni les idées Des bien-pensants, Qui n’a pas peur d’avouer Qu’il a peur… L’Autre : Celui à qui tu ne donnerais pas trois sous Des-fois-qu’il-irait-les-boire, Celui qui ne lit pas les mêmes bibles, Qui n’apprend pas les mêmes refrains… L’Autre : N’est pas nécessairement menteur, hypocrite, vaniteux, égoïste, ambitieux, jaloux, lâche, cynique, grossier, sale, cruel… Puisque, pour Lui, l’autre… C’est Toi

    en cours de vérification

    S

    Serge Pey

    @sergePey

    La poésie… La poésie est basse Il faut se pencher pour la ramasser au milieu des chaises renversées La poésie n’existe pas isolément au-dessus des choses assises sur des chaises Et pourtant elle est captive de ce qui la constitue justement en beauté quand une chose se lève de la chaise La poésie n’est jamais une vérité sans la réalité d’une chaise qui s’assoit sur une autre chaise La poésie va jusqu’au bout de l’homme qui démonte la chaise pour faire du feu La poésie est une décision qui croit à l’exigence des mots d’une chaise démontée On a tellement frappé sur le nez de cette chaise qu’elle continue à saigner sans qu’on s’aperçoive que c’est un homme qui saigne sur elle car ses barreaux ont traversé son cœur La poésie est une chaise que l’on saisit par le dossier non pour s’asseoir mais pour se battre.

    en cours de vérification

    Tahar Ben Jelloun

    Tahar Ben Jelloun

    @taharBenJelloun

    Chaque visage est un miracle Chaque visage est un miracle Un enfant noir, à la peau noire, aux yeux noirs, aux cheveux crépus ou frisés, est un enfant. Un enfant blanc, à la peau rose, aux yeux bleus ou verts, aux cheveux blonds ou raides est un enfant. L'un et l'autre, le noir et le blanc, ont le même sourire quand une main leur caresse le visage, quand on les regarde avec amour et leur parle avec tendresse. Ils verseront les mêmes larmes si on les contrarie, si on leur fait mal. Il n'existe pas deux visages absolument identiques. Chaque visage est un miracle. Parce qu'il est unique. Deux visages peuvent se ressembler, ils ne seront jamais tout à fait les mêmes. La vie est justement ce miracle, ce mouvement permanent et changeant qui ne reproduit jamais le même visage. Vivre ensemble est une aventure où l'amour, l'amitié est une belle rencontre avec ce qui n'est pas moi, avec ce qui est toujours différent de moi et qui m'enrichit.

    en cours de vérification

    Théodore Agrippa d'Aubigné

    Théodore Agrippa d'Aubigné

    @theodoreAgrippaDaubigne

    Les tragiques Je veux peindre la France une mère affligée, Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée. Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts Des tétins nourriciers ; puis, à force de coups D'ongles, de poings, de pieds, il brise le partage Dont nature donnait à son besson l'usage ; Ce voleur acharné, cet Esaü malheureux, Fait dégât du doux lait qui doit nourrir les deux, Si que, pour arracher à son frère la vie, Il méprise la sienne et n'en a plus d'envie. Mais son Jacob, pressé d'avoir jeûné meshui, Ayant dompté longtemps en son cœur son ennui, À la fin se défend, et sa juste colère Rend à l'autre un combat dont le champ et la mère. Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris, Ni les pleurs réchauffés ne calment leurs esprits ; Mais leur rage les guide et leur poison les trouble, Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble. Leur conflit se rallume et fait si furieux Que d'un gauche malheur ils se crèvent les yeux. Cette femme éplorée, en sa douleur plus forte, Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte ; Elle voit les mutins tout déchirés, sanglants, Qui, ainsi que du cœur, des mains se vont cherchant. Quand, pressant à son sein d'une amour maternelle Celui qui a le droit et la juste querelle, Elle veut le sauver, l'autre qui n'est pas las Viole en poursuivant l'asile de ses bras. Adonc se perd le lait, le suc de sa poitrine ; Puis, aux derniers abois de sa proche ruine, Elle dit : « Vous avez, félons, ensanglanté Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté ; Or vivez de venin, sanglante géniture, Je n'ai plus que du sang pour votre nourriture !

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Cent mille hommes Cent mille hommes, criblés d'obus et de mitraille, Cent mille hommes, couchés sur un champ de bataille, Tombés pour leur pays par leur mort agrandi, Comme on tombe à Fleurus, comme on tombe à Lodi, Cent mille ardents soldats, héros et non victimes, Morts dans un tourbillon d'évènements sublimes, D'où prend son vol la fière et blanche Liberté, Sont un malheur moins grand pour la société, Sont pour l'humanité, qui sur le vrai se fonde, Une calamité moins haute et moins profonde, Un coup moins lamentable et moins infortuné Qu'un innocent, - un seul innocent condamné, - Dont le sang, ruisselant sous un infâme glaive, Fume entre les pavés de la place de Grève, Qu'un juste assassiné dans la forêt des lois, Et dont l'âme a le droit d'aller dire à Dieu : Vois !

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Depuis six mille ans la guerre Depuis six mille ans la guerre Plait aux peuples querelleurs, Et Dieu perd son temps à faire Les étoiles et les fleurs. Les conseils du ciel immense, Du lys pur, du nid doré, N'ôtent aucune démence Du coeur de l'homme effaré. Les carnages, les victoires, Voilà notre grand amour ; Et les multitudes noires Ont pour grelot le tambour. La gloire, sous ses chimères Et sous ses chars triomphants, Met toutes les pauvres mères Et tous les petits enfants. Notre bonheur est farouche ; C'est de dire : Allons ! mourons ! Et c'est d'avoir à la bouche La salive des clairons. L'acier luit, les bivouacs fument ; Pâles, nous nous déchaînons ; Les sombres âmes s'allument Aux lumières des canons. Et cela pour des altesses Qui, vous à peine enterrés, Se feront des politesses Pendant que vous pourrirez, Et que, dans le champ funeste, Les chacals et les oiseaux, Hideux, iront voir s'il reste De la chair après vos os ! Aucun peuple ne tolère Qu'un autre vive à côté ; Et l'on souffle la colère Dans notre imbécillité. C'est un Russe ! Egorge, assomme. Un Croate ! Feu roulant. C'est juste. Pourquoi cet homme Avait-il un habit blanc ? Celui-ci, je le supprime Et m'en vais, le coeur serein, Puisqu'il a commis le crime De naître à droite du Rhin. Rosbach ! Waterloo ! Vengeance ! L'homme, ivre d'un affreux bruit, N'a plus d'autre intelligence Que le massacre et la nuit. On pourrait boire aux fontaines, Prier dans l'ombre à genoux, Aimer, songer sous les chênes ; Tuer son frère est plus doux. On se hache, on se harponne, On court par monts et par vaux ; L'épouvante se cramponne Du poing aux crins des chevaux. Et l'aube est là sur la plaine ! Oh ! j'admire, en vérité, Qu'on puisse avoir de la haine Quand l'alouette a chanté.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    L'échafaud C'était fini. Splendide, étincelant, superbe, Luisant sur la cité comme la faulx sur l'herbe, Large acier dont le jour faisait une clarté, Ayant je ne sais quoi dans sa tranquillité De l'éblouissement du triangle mystique, Pareil à la lueur au fond d'un temple antique, Le fatal couperet relevé triomphait. Il n'avait rien gardé de ce qu'il avait fait Qu'une petite tache imperceptible et rouge. Le bourreau s'en était retourné dans son bouge ; Et la peine de mort, remmenant ses valets, Juges, prêtres, était rentrée en son palais, Avec son tombereau terrible dont la roue, Silencieuse, laisse un sillon dans la boue Qui se remplit de sang sitôt qu'elle a passé. La foule disait : bien ! car l'homme est insensé, Et ceux qui suivent tout, et dont c'est la manière, Suivent même ce char et même cette ornière. J'étais là. Je pensais. Le couchant empourprait Le grave Hôtel de Ville aux luttes toujours prêt, Entre Hier qu'il médite et Demain dont il rêve. L'échafaud achevait, resté seul sur la Grève, Sa journée, en voyant expirer le soleil. Le crépuscule vint, aux fantômes pareil. Et j'étais toujours là, je regardais la hache, La nuit, la ville immense et la petite tache. A mesure qu'au fond du firmament obscur L'obscurité croissait comme un effrayant mur, L'échafaud, bloc hideux de charpentes funèbres, S'emplissait de noirceur et devenait ténèbres ; Les horloges sonnaient, non l'heure, mais le glas ; Et toujours, sur l'acier, quoique le coutelas Ne fût plus qu'une forme épouvantable et sombre, La rougeur de la tache apparaissait dans l'ombre.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Le manteau impérial O ! vous dont le travail est joie, Vous qui n'avez pas d'autre proie Que les parfums, souffles du ciel, Vous qui fuyez quand vient décembre, Vous qui dérobez aux fleurs l'ambre Pour donner aux hommes le miel, Chastes buveuses de rosée, Qui, pareilles à l'épousée, Visitez le lys du coteau, Ô sœurs des corolles vermeilles, Filles de la lumière, abeilles, Envolez-vous de ce manteau !

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Liberté ! De quel droit mettez-vous des oiseaux dans des cages ? De quel droit ôtez-vous ces chanteurs aux bocages, Aux sources, à l'aurore, à la nuée, aux vents ? De quel droit volez-vous la vie à ces vivants ? Homme, crois-tu que Dieu, ce père, fasse naître L'aile pour l'accrocher au clou de ta fenêtre ? Ne peux-tu vivre heureux et content sans cela ? Qu'est-ce qu'ils ont donc fait tous ces innocents-là Pour être au bagne avec leur nid et leur femelle ? Qui sait comment leur sort à notre sort se mêle ? Qui sait si le verdier qu'on dérobe aux rameaux, Qui sait si le malheur qu'on fait aux animaux Et si la servitude inutile des bêtes Ne se résolvent pas en Nérons sur nos têtes ? Qui sait si le carcan ne sort pas des licous ? Oh ! de nos actions qui sait les contre-coups, Et quels noirs croisements ont au fond du mystère Tant de choses qu'on fait en riant sur la terre ? Quand vous cadenassez sous un réseau de fer Tous ces buveurs d'azur faits pour s'enivrer d'air, Tous ces nageurs charmants de la lumière bleue, Chardonneret, pinson, moineau franc, hochequeue, Croyez-vous que le bec sanglant des passereaux Ne touche pas à l'homme en heurtant ces barreaux ?

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Lux Temps futurs ! vision sublime ! Les peuples sont hors de l'abîme. Le désert morne est traversé. Après les sables, la pelouse ; Et la terre est comme une épouse, Et l'homme est comme un fiancé ! Dès à présent l'œil qui s'élève Voit distinctement ce beau rêve Qui sera le réel un jour ; Car Dieu dénouera toute chaîne, Car le passé s'appelle haine Et l'avenir se nomme amour ! Dès à présent dans nos misères Germe l'hymen des peuples frères ; Volant sur nos sombres rameaux, Comme un frelon que l'aube éveille, Le progrès, ténébreuse abeille, Fait du bonheur avec nos maux. Oh ! voyez ! la nuit se dissipe. Sur le monde qui s'émancipe, Oubliant Césars et Capets, Et sur les nations nubiles, S'ouvrent dans l'azur, immobiles, Les vastes ailes de la paix ! O libre France enfin surgie ! O robe blanche après l'orgie ! O triomphe après les douleurs ! Le travail bruit dans les forges, Le ciel rit, et les rouges-gorges Chantent dans l'aubépine en fleurs !

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Melancholia Écoutez. Une femme au profil décharné, Maigre, blême, portant un enfant étonné, Est là qui se lamente au milieu de la rue. La foule, pour l'entendre, autour d'elle se rue. Elle accuse quelqu'un, une autre femme, ou bien Son mari. Ses enfants ont faim. Elle n'a rien ; Pas d'argent ; pas de pain ; à peine un lit de paille. L'homme est au cabaret pendant qu'elle travaille. Elle pleure, et s'en va. Quand ce spectre a passé, Ô penseurs, au milieu de ce groupe amassé, Qui vient de voir le fond d'un cœur qui se déchire, Qu'entendez-vous toujours ? Un long éclat de rire. Cette fille au doux front a cru peut-être, un jour, Avoir droit au bonheur, à la joie, à l'amour. Mais elle est seule, elle est sans parents, pauvre fille ! Seule ! — n'importe ! elle a du courage, une aiguille, Elle travaille, et peut gagner dans son réduit, En travaillant le jour, en travaillant la nuit, Un peu de pain, un gîte, une jupe de toile. Le soir, elle regarde en rêvant quelque étoile, Et chante au bord du toit tant que dure l'été. Mais l'hiver vient. Il fait bien froid, en vérité, Dans ce logis mal clos tout en haut de la rampe ; Les jours sont courts, il faut allumer une lampe ; L'huile est chère, le bois est cher, le pain est cher. Ô jeunesse ! printemps ! aube ! en proie à l'hiver ! La faim passe bientôt sa griffe sous la porte, Décroche un vieux manteau, saisit la montre, emporte Les meubles, prend enfin quelque humble bague d'or ; Tout est vendu ! L'enfant travaille et lutte encor ; Elle est honnête ; mais elle a, quand elle veille, La misère, démon, qui lui parle à l'oreille. L'ouvrage manque, hélas ! cela se voit souvent. Que devenir ! Un jour, ô jour sombre ! elle vend La pauvre croix d'honneur de son vieux père, et pleure ; Elle tousse, elle a froid. Il faut donc qu'elle meure ! A dix-sept ans ! grand Dieu ! mais que faire ?... — Voilà Ce qui fait qu'un matin la douce fille alla Droit au gouffre, et qu'enfin, à présent, ce qui monte À son front, ce n'est plus la pudeur, c'est la honte. Hélas, et maintenant, deuil et pleurs éternels ! C'est fini. Les enfants, ces innocents cruels, La suivent dans la rue avec des cris de joie. Malheureuse ! elle traîne une robe de soie, Elle chante, elle rit... ah ! pauvre âme aux abois ! Et le peuple sévère, avec sa grande voix, Souffle qui courbe un homme et qui brise une femme, Lui dit quand elle vient : « C'est toi ? Va-t-en, infâme ! » Un homme s'est fait riche en vendant à faux poids ; La loi le fait juré. L'hiver, dans les temps froids ; Un pauvre a pris un pain pour nourrir sa famille. Regardez cette salle où le peuple fourmille ; Ce riche y vient juger ce pauvre. Écoutez bien. C'est juste, puisque l'un a tout et l'autre rien. Ce juge, — ce marchand, — fâché de perdre une heure, Jette un regard distrait sur cet homme qui pleure, L'envoie au bagne, et part pour sa maison des champs. Tous s'en vont en disant : « C'est bien ! » bons et méchants ; Et rien ne reste là qu'un Christ pensif et pâle, Levant les bras au ciel dans le fond de la salle. Un homme de génie apparaît. Il est doux, Il est fort, il est grand ; il est utile à tous ; Comme l'aube au-dessus de l'océan qui roule, Il dore d'un rayon tous les fronts de la foule ; Il luit ; le jour qu'il jette est un jour éclatant ; Il apporte une idée au siècle qui l'attend ; Il fait son œuvre ; il veut des choses nécessaires, Agrandir les esprits, amoindrir les misères ; Heureux, dans ses travaux dont les cieux sont témoins, Si l'on pense un peu plus, si l'on souffre un peu moins ! Il vient. — Certe, on le va couronner ! — On le hue ! Scribes, savants, rhéteurs, les salons, la cohue, Ceux qui n'ignorent rien, ceux qui doutent de tout, Ceux qui flattent le roi, ceux qui flattent l'égout, Tous hurlent à la fois et font un bruit sinistre. Si c'est un orateur ou si c'est un ministre, On le siffle. Si c'est un poète, il entend Ce chœur : « Absurde ! faux ! monstrueux ! révoltant ! » Lui, cependant, tandis qu'on bave sur sa palme, Debout, les bras croisés, le front levé, l'œil calme, Il contemple, serein, l'idéal et le beau ; Il rêve ; et, par moments, il secoue un flambeau Qui, sous ses pieds, dans l'ombre, éblouissant la haine, Éclaire tout à coup le fond de l'âme humaine ; Ou, ministre, il prodigue et ses nuits et ses jours ; Orateur, il entasse efforts, travaux, discours ; Il marche, il lutte ! Hélas ! l'injure ardente et triste, À chaque pas qu'il fait, se transforme et persiste. Nul abri. Ce serait un ennemi public, Un monstre fabuleux, dragon ou basilic, Qu'il serait moins traqué de toutes les manières, Moins entouré de gens armés de grosses pierres, Moins haï ! -- Pour eux tous et pour ceux qui viendront, Il va semant la gloire, il recueille l'affront. Le progrès est son but, le bien est sa boussole ; Pilote, sur l'avant du navire il s'isole ; Tout marin, pour dompter les vents et les courants, Met tour à tour le cap sur des points différents, Et, pour mieux arriver, dévie en apparence ; Il fait de même ; aussi blâme et cris ; l'ignorance Sait tout, dénonce tout ; il allait vers le nord, Il avait tort ; il va vers le sud, il a tort ; Si le temps devient noir, que de rage et de joie ! Cependant, sous le faix sa tête à la fin ploie, L'âge vient, il couvait un mal profond et lent, Il meurt. L'envie alors, ce démon vigilant, Accourt, le reconnaît, lui ferme la paupière, Prend soin de la clouer de ses mains dans la bière, Se penche, écoute, épie en cette sombre nuit S'il est vraiment bien mort, s'il ne fait pas de bruit, S'il ne peut plus savoir de quel nom on le nomme, Et, s'essuyant les yeux, dit : « C'était un grand homme ! » Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ? Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ? Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement Dans la même prison le même mouvement. Accroupis sous les dents d'une machine sombre, Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre, Innocents dans un bagne, anges dans un enfer, Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer. Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue. Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue. Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las. Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas ! Ils semblent dire à Dieu : - Petits comme nous sommes, Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! Ô servitude infâme imposée à l'enfant ! Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée, La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée, Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain ! - D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin ! Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre, Qui produit la richesse en créant la misère, Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil ! Progrès dont on demande : Où va-t-il ? que veut-il ? Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme, Une âme à la machine et la retire à l'homme ! Que ce travail, haï des mères, soit maudit ! Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit, Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème ! Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même, Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux, Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux ! Le pesant chariot porte une énorme pierre ; Le limonier, suant du mors à la croupière, Tire, et le roulier fouette, et le pavé glissant Monte, et le cheval triste à le poitrail en sang. Il tire, traîne, geint, tire encore et s'arrête ; Le fouet noir tourbillonne au-dessus de sa tête ; C'est lundi ; l'homme hier buvait aux Porcherons Un vin plein de fureur, de cris et de jurons ; Oh ! quelle est donc la loi formidable qui livre L'être à l'être, et la bête effarée à l'homme ivre ! L'animal éperdu ne peut plus faire un pas ; Il sent l'ombre sur lui peser ; il ne sait pas, Sous le bloc qui l'écrase et le fouet qui l'assomme, Ce que lui veut la pierre et ce que lui veut l'homme. Et le roulier n'est plus qu'un orage de coups Tombant sur ce forçat qui traîne des licous, Qui souffre et ne connaît ni repos ni dimanche. Si la corde se casse, il frappe avec le pié ; Et le cheval, tremblant, hagard, estropié, Baisse son cou lugubre et sa tête égarée ; On entend, sous les coups de la botte ferrée, Sonner le ventre nu du pauvre être muet ! Il râle ; tout à l'heure encore il remuait ; Mais il ne bouge plus, et sa force est finie ; Et les coups furieux pleuvent ; son agonie Tente un dernier effort ; son pied fait un écart, Il tombe, et le voilà brisé sous le brancard ; Et, dans l'ombre, pendant que son bourreau redouble, Il regarde quelqu'un de sa prunelle trouble ; Et l'on voit lentement s'éteindre, humble et terni, Son œil plein des stupeurs sombres de l'infini, Où luit vaguement l'âme effrayante des choses. Hélas ! Cet avocat plaide toutes les causes ; Il rit des généreux qui désirent savoir Si blanc n'a pas raison, avant de dire noir ; Calme, en sa conscience il met ce qu'il rencontre, Ou le sac d'argent Pour, ou le sac d'argent Contre ; Le sac pèse pour lui ce que la cause vaut. Embusqué, plume au poing, dans un journal dévot, Comme un bandit tuerait, cet écrivain diffame. La foule hait cet homme et proscrit cette femme ; Ils sont maudits. Quel est leur crime ? Ils ont aimé. L'opinion rampante accable l'opprimé, Et, chatte aux pieds des forts, pour le faible est tigresse. De l'inventeur mourant le parasite engraisse. Le monde parle, assure, affirme, jure, ment, Triche, et rit d'escroquer la dupe Dévouement. Le puissant resplendit et du destin se joue ; Derrière lui, tandis qu'il marche et fait la roue, Sa fiente épanouie engendre son flatteur. Les nains sont dédaigneux de toute leur hauteur. Ô hideux coins de rue où le chiffonnier morne Va, tenant à la main sa lanterne de corne, Vos tas d'ordures sont moins noirs que les vivants ! Qui, des vents ou des cœurs, est le plus sûr ? Les vents. Cet homme ne croit rien et fait semblant de croire ; Il a l'œil clair, le front gracieux, l'âme noire ; Il se courbe ; il sera votre maître demain. Tu casses des cailloux, vieillard, sur le chemin ; Ton feutre humble et troué s'ouvre à l'air qui le mouille ; Sous la pluie et le temps ton crâne nu se rouille ; Le chaud est ton tyran, le froid est ton bourreau ; Ton vieux corps grelottant tremble sous ton sarrau ; Ta cahute, au niveau du fossé de la route, Offre son toit de mousse à la chèvre qui broute ; Tu gagnes dans ton jour juste assez de pain noir Pour manger le matin et pour jeûner le soir ; Et, fantôme suspect devant qui l'on recule, Regardé de travers quand vient le crépuscule, Pauvre au point d'alarmer les allants et venants, Frère sombre et pensif des arbres frissonnants, Tu laisses choir tes ans ainsi qu'eux leur feuillage ; Autrefois, homme alors dans la force de l'âge, Quand tu vis que l'Europe implacable venait, Et menaçait Paris et notre aube qui naît, Et, mer d'hommes, roulait vers la France effarée, Et le Russe et le Hun sur la terre sacrée Se ruer, et le nord revomir Attila, Tu te levas, tu pris ta fourche ; en ces temps-là, Tu fus, devant les rois qui tenaient la campagne, Un des grands paysans de la grande Champagne. C'est bien. Mais, vois, là-bas, le long du vert sillon, Une calèche arrive, et, comme un tourbillon, Dans la poudre du soir qu'à ton front tu secoues, Mêle l'éclair du fouet au tonnerre des roues. Un homme y dort. Vieillard, chapeau bas ! Ce passant Fit sa fortune à l'heure où tu versais ton sang ; Il jouait à la baisse, et montait à mesure Que notre chute était plus profonde et plus sûre ; Il fallait un vautour à nos morts ; il le fut ; Il fit, travailleur âpre et toujours à l'affût, Suer à nos malheurs des châteaux et des rentes ; Moscou remplit ses prés de meules odorantes ; Pour lui, Leipsick payait des chiens et des valets, Et la Bérésina charriait un palais ; Pour lui, pour que cet homme ait des fleurs, des charmilles, Des parcs dans Paris même ouvrant leurs larges grilles, Des jardins où l'on voit le cygne errer sur l'eau, Un million joyeux sortit de Waterloo ; Si bien que du désastre il a fait sa victoire, Et que, pour la manger, et la tordre, et la boire, Ce Shaylock, avec le sabre de Blucher, A coupé sur la France une livre de chair. Or, de vous deux, c'est toi qu'on hait, lui qu'on vénère ; Vieillard, tu n'es qu'un gueux, et ce millionnaire, C'est l'honnête homme. Allons, debout, et chapeau bas ! Les carrefours sont pleins de chocs et de combats. Les multitudes vont et viennent dans les rues. Foules ! sillons creusés par ces mornes charrues : Nuit, douleur, deuil ! champ triste où souvent a germé Un épi qui fait peur à ceux qui l'ont semé ! Vie et mort ! onde où l'hydre à l'infini s'enlace ! Peuple océan jetant l'écume populace ! Là sont tous les chaos et toutes les grandeurs ; Là, fauve, avec ses maux, ses horreurs, ses laideurs, Ses larves, désespoirs, haines, désirs, souffrances, Qu'on distingue à travers de vagues transparences, Ses rudes appétits, redoutables aimants, Ses prostitutions, ses avilissements, Et la fatalité des mœurs imperdables, La misère épaissit ses couches formidables. Les malheureux sont là, dans le malheur reclus. L'indigence, flux noir, l'ignorance, reflux, Montent, marée affreuse, et parmi les décombres, Roulent l'obscur filet des pénalités sombres. Le besoin fuit le mal qui le tente et le suit, Et l'homme cherche l'homme à tâtons ; il fait nuit ; Les petits enfants nus tendent leurs mains funèbres ; Le crime, antre béant, s'ouvre dans ces ténèbres ; Le vent secoue et pousse, en ses froids tourbillons, Les âmes en lambeaux dans les corps en haillons : Pas de cœur où ne croisse une aveugle chimère. Qui grince des dents ? L'homme. Et qui pleure ? La mère. Qui sanglote ? La vierge aux yeux hagards et doux. Qui dit : « J'ai froid ? » L'aïeule. Et qui dit : « J'ai faim ? » Tous ! Et le fond est horreur, et la surface est joie. Au-dessus de la faim, le festin qui flamboie, Et sur le pâle amas des cris et des douleurs, Les chansons et le rire et les chapeaux de fleurs ! Ceux-là sont les heureux. Ils n'ont qu'une pensée : A quel néant jeter la journée insensée ? Chiens, voitures, chevaux ! cendre au reflet vermeil ! Poussière dont les grains semblent d'or au soleil ! Leur vie est aux plaisirs sans fin, sans but, sans trêve, Et se passe à tâcher d'oublier dans un rêve L'enfer au-dessous d'eux et le ciel au-dessus. Quand on voile Lazare, on efface Jésus. Ils ne regardent pas dans les ombres moroses. Ils n'admettent que l'air tout parfumé de roses, La volupté, l'orgueil, l'ivresse et le laquais Ce spectre galonné du pauvre, à leurs banquets. Les fleurs couvrent les seins et débordent des vases. Le bal, tout frissonnant de souffles et d'extases, Rayonne, étourdissant ce qui s'évanouit ; Éden étrange fait de lumière et de nuit. Les lustres aux plafonds laissent pendre leurs flammes, Et semblent la racine ardente et pleine d'âmes De quelque arbre céleste épanoui plus haut. Noir paradis dansant sur l'immense cachot ! Ils savourent, ravis, l'éblouissement sombre Des beautés, des splendeurs, des quadrilles sans nombre, Des couples, des amours, des yeux bleus, des yeux noirs. Les valses, visions, passent dans les miroirs. Parfois, comme aux forêts la fuite des cavales, Les galops effrénés courent ; par intervalles, Le bal reprend haleine ; on s'interrompt, on fuit, On erre, deux à deux, sous les arbres sans bruit ; Puis, folle, et rappelant les ombres éloignées, La musique, jetant les notes à poignées, Revient, et les regards s'allument, et l'archet, Bondissant, ressaisit la foule qui marchait. Ô délire ! et d'encens et de bruit enivrées, L'heure emporte en riant les rapides soirées, Et les nuits et les jours, feuilles mortes des cieux. D'autres, toute la nuit, roulent les dés joyeux, Ou bien, âpre, et mêlant les cartes qu'ils caressent, Où des spectres riants ou sanglants apparaissent, Leur soif de l'or, penchée autour d'un tapis vert, Jusqu'à ce qu'au volet le jour bâille entr'ouvert, Poursuit le pharaon, le lansquenet ou l'hombre ; Et, pendant qu'on gémit et qu'on frémit dans l'ombre, Pendant que les greniers grelottent sous les toits, Que les fleuves, passants pleins de lugubres voix, Heurtent aux grands quais blancs les glaçons qu'ils charrient, Tous ces hommes contents de vivre, boivent, rient, Chantent ; et, par moments, on voit, au-dessus d'eux, Deux poteaux soutenant un triangle hideux, Qui sortent lentement du noir pavé des villes... — Ô forêts ! bois profonds ! solitudes ! asiles !

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Réponse à un acte d'accusation Donc, c'est moi qui suis l'ogre et le bouc émissaire. Dans ce chaos du siècle où votre cœur se serre, J'ai foulé le bon goût et l'ancien vers françois Sous mes pieds, et, hideux, j'ai dit à l'ombre : -Sois ! - Et l'ombre fut. — Voilà votre réquisitoire. Langue, tragédie, art, dogmes, conservatoire, Toute cette clarté s'est éteinte, et je suis Le responsable, et j'ai vidé l'urne des nuits. De la chute de tout je suis la pioche inepte ; C'est votre point de vue. Eh bien, soit, je l'accepte ; C'est moi que votre prose en colère a choisi ; Vous me criez : Racca ; moi je vous dis : Merci ! Cette marche du temps, qui ne sort d'une église Que pour entrer dans l'autre, et qui se civilise ; Ces grandes questions d'art et de liberté, Voyons-les, j'y consens, par le moindre côté, Et par le petit bout de la lorgnette. En somme, J'en conviens, oui, je suis cet abominable homme ; Et, quoique, en vérité, je pense avoir commis, D'autres crimes encor que vous avez omis. Avoir un peu touché les questions obscures, Avoir sondé les maux, avoir cherché les cures, De la vieille ânerie insulté les vieux bâts, Secoué le passé du haut jusques en bas, Et saccagé le fond tout autant que la forme. Je me borne à ceci : je suis ce monstre énorme, Je suis le démagogue horrible et débordé, Et le dévastateur du vieil A B C D ; Causons.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Souvenir de la nuit du 4 L'enfant avait reçu deux balles dans la tête. Le logis était propre, humble, paisible, honnête ; On voyait un rameau bénit sur un portrait. Une vieille grand-mère était là qui pleurait. Nous le déshabillions en silence. Sa bouche, Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son œil farouche ; Ses bras pendants semblaient demander des appuis. Il avait dans sa poche une toupie en buis. On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies. Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ? Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend. L'aïeule regarda déshabiller l'enfant, Disant : - comme il est blanc ! approchez donc la lampe. Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe ! - Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux. La nuit était lugubre ; on entendait des coups De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres. - Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres. Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer. L'aïeule cependant l'approchait du foyer Comme pour réchauffer ses membres déjà roides. Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas ! Elle pencha la tête et lui tira ses bas, Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre. - Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre ! Cria-t-elle ; monsieur, il n'avait pas huit ans ! Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents. Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre, C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre A tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu ! On est donc des brigands ! Je vous demande un peu, Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre ! Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être ! Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus. Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus. Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte ; Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! - Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant, Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule : - Que vais-je devenir à présent toute seule ? Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui. Hélas ! je n'avais plus de sa mère que lui. Pourquoi l'a-t-on tué ? Je veux qu'on me l'explique. L'enfant n'a pas crié vive la République. -

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Ultima verba Quand même grandirait l'abjection publique A ce point d'adorer l'exécrable trompeur ; Quand même l'Angleterre et même l'Amérique Diraient à l'exilé : - Va-t'en ! nous avons peur ! Quand même nous serions comme la feuille morte, Quand, pour plaire à César, on nous renîrait tous ; Quand le proscrit devrait s'enfuir de porte en porte, Aux hommes déchiré comme un haillon aux clous ; Quand le désert, où Dieu contre l'homme proteste, Bannirait les bannis, chasserait les chassés ; Quand même, infâme aussi, lâche comme le reste, Le tombeau jetterait dehors les trépassés ; Je ne fléchirai pas ! Sans plainte dans la bouche, Calme, le deuil au cœur, dédaignant le troupeau, Je vous embrasserai dans mon exil farouche, Patrie, ô mon autel ! Liberté, mon drapeau ! Mes nobles compagnons, je garde votre culte ; Bannis, la République est là qui nous unit. J'attacherai la gloire à tout ce qu'on insulte ; Je jetterai l'opprobre à tout ce qu'on bénit !

    en cours de vérification

    Voltaire

    Voltaire

    @voltaire

    Épigramme sur Fréron L’autre jour, au fond d’un vallon, Un serpent piqua Jean Fréron ; Que pensez-vous qu’il arriva ? Ce fut le serpent qui creva.

    en cours de vérification

    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    Les usines Se regardant avec les yeux cassés de leurs fenêtres Et se mirant dans l'eau de poix et de salpêtre D'un canal droit, marquant sa barre à l'infini, Face à face, le long des quais d'ombre et de nuit, Par à travers les faubourgs lourds Et la misère en pleurs de ces faubourgs, Ronflent terriblement usine et fabriques.

    en cours de vérification