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Poésie Engagée

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Poésie Engagée

Poésies de la collection poésie engagée

    Abdellatif Laâbi

    Abdellatif Laâbi

    @abdellatifLaabi

    Les tueurs sont à l’affût Mère, ma superbe mon imprudente Toi qui t’apprêtes à me mettre au monde De grâce, ne me donne pas de nom Car les tueurs sont à l’affût Mère, fais que ma peau soit d’une couleur neutre Les tueurs sont à l’affût Mère, ne parle pas devant moi Je risque d’apprendre ta langue et les tueurs sont à l’affût Mère, cache-toi quand tu pries laisse-moi à l’écart de ta foi Les tueurs sont à l’affût

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    Aimé Césaire

    Aimé Césaire

    @aimeCesaire

    Et ce pays cria Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la négrerie ; que nous sommes un fumier abondant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on nous vendait sur les places et l’aune de drap anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans ses actes. Nous vomissure de négrier nous vénerie des Calabars Quoi ? Se boucher les oreilles ? Nous, soûlés à crever de roulis, de risées, de brume humée ! Pardon tourbillon partenaire ! J’entends de la cale monter les malédictions enchaînées, les hoquettements des mourants, le bruit d’un qu’on jette à la mer... les abois d’une femme en gésine...des raclements d’ongles cherchant des gorges...des ricanements de fouet... des farfouillis de vermine parmi les lassitudes... Rien ne put nous insurger jamais vers quelque noble aventure désespérée. Ainsi soit-il. Ainsi soit-il. Je ne suis d’aucune nationalité prévue par les chancelleries. Je défie le craniomètre. Homo sum, etc. Et qu’ils servent et trahissent et meurent. Ainsi soit-il. Ainsi soit-il. C’était écrit dans la forme de leur bassin.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Contre la peine de mort (Au peuple du 19 octobre 1830) Vains efforts ! périlleuse audace ! Me disent des amis au geste menaçant, Le lion même fait-il grâce Quand sa langue a léché du sang ? Taisez-vous ! ou chantez comme rugit la foule ? Attendez pour passer que le torrent s’écoule De sang et de lie écumant ! On peut braver Néron, cette hyène de Rome! Les brutes ont un coeur! le tyran est un homme : Mais le peuple est un élément ; Elément qu’aucun frein ne dompte, Et qui roule semblable à la fatalité ; Pendant que sa colère monte, Jeter un cri d’humanité, C’est au sourd Océan qui blanchit son rivage Jeter dans la tempête un roseau de la plage, La feuille sèche à l’ouragan ! C’est aiguiser le fer pour soutirer la foudre, Ou poser pour l’éteindre un bras réduit en poudre Sur la bouche en feu du volcan ! Souviens-toi du jeune poète, Chénier ! dont sous tes pas le sang est encor chaud, Dont l’histoire en pleurant répète Le salut triste à l’échafaud . Il rêvait, comme toi, sur une terre libre Du pouvoir et des lois le sublime équilibre ; Dans ses bourreaux il avait foi ! Qu’importe ? il faut mourir, et mourir sans mémoire : Eh bien ! mourons, dit-il. Vous tuez de la gloire : J’en avais pour vous et pour moi ! Cache plutôt dans le silence Ton nom, qu’un peu d’éclat pourrait un jour trahir ! Conserve une lyre à la France, Et laisse-les s’entre-haïr ; De peur qu’un délateur à l’oreille attentive Sur sa table future en pourpre ne t’inscrive Et ne dise à son peuple-roi : C’est lui qui disputant ta proie à ta colère, Voulant sauver du sang ta robe populaire, Te crut généreux : venge-toi ! Non, le dieu qui trempa mon âme Dans des torrents de force et de virilité, N’eût pas mis dans un coeur de femme Cette soif d’immortalité. Que l’autel de la peur serve d’asile au lâche, Ce coeur ne tremble pas aux coups sourds d’une hache, Ce front levé ne pâlit pas ! La mort qui se trahit dans un signe farouche En vain, pour m’avertir, met un doigt sur sa bouche : La gloire sourit au trépas. Il est beau de tomber victime Sous le regard vengeur de la postérité Dans l’holocauste magnanime De sa vie à la vérité ! L’échafaud pour le juste est le lit de sa gloire : Il est beau d’y mourir au soleil de l’histoire, Au milieu d’un peuple éperdu ! De léguer un remords à la foule insensée, Et de lui dire en face une mâle pensée, Au prix de son sang répandu. Peuple, dirais-je ; écoute ! et juge ! Oui, tu fus grand, le jour où du bronze affronté Tu le couvris comme un déluge Du reflux de la liberté ! Tu fus fort, quand pareil à la mer écumante, Au nuage qui gronde, au volcan qui fermente, Noyant les gueules du canon, Tu bouillonnais semblable au plomb dans la fournaise, Et roulais furieux sur une plage anglaise Trois couronnes dans ton limon ! Tu fus beau, tu fus magnanime, Le jour où, recevant les balles sur ton sein, Tu marchais d’un pas unanime, Sans autre chef que ton tocsin ; Où, n’ayant que ton coeur et tes mains pour combattre, Relevant le vaincu que tu venais d’abattre Et l’emportant, tu lui disais : Avant d’être ennemis, le pays nous fit frères ; Livrons au même lit les blessés des deux guerres : La France couvre le Français ! Quand dans ta chétive demeure, Le soir, noirci du feu, tu rentrais triomphant Près de l’épouse qui te pleure, Du berceau nu de ton enfant ! Tu ne leur présentais pour unique dépouille Que la goutte de sang, la poudre qui te souille, Un tronçon d’arme dans ta main ; En vain l’or des palais dans la boue étincelle, Fils de la liberté, tu ne rapportais qu’elle : Seule elle assaisonnait ton pain ! Un cri de stupeur et de gloire Sorti de tous les coeurs monta sous chaque ciel, Et l’écho de cette victoire Devint un hymne universel. Moi-même dont le coeur date d’une autre France, Moi, dont la liberté n’allaita pas l’enfance, Rougissant et fier à la fois, Je ne pus retenir mes bravos à tes armes, Et j’applaudis des mains, en suivant de mes larmes L’innocent orphelin des rois ! Tu reposais dans ta justice Sur la foi des serments conquis, donnés, reçus ; Un jour brise dans un caprice Les noeuds par deux règnes tissus ! Tu t’élances bouillant de honte et de délire : Le lambeau mutilé du gage qu’on déchire Reste dans les dents du lion. On en appelle au fer; il t’absout ! Qu’il se lève Celui qui jetterait ou la pierre, ou le glaive A ton jour d’indignation ! Mais tout pouvoir a des salaires A jeter aux flatteurs qui lèchent ses genoux, Et les courtisans populaires Sont les plus serviles de tous ! Ceux-là des rois honteux pour corrompre les âmes Offrent les pleurs du peuple ou son or, ou ses femmes, Aux désirs d’un maître puissant ; Les tiens, pour caresser des penchants plus sinistres, Te font sous l’échafaud, dont ils sont les ministres, Respirer des vapeurs de sang ! Dans un aveuglement funeste, Ils te poussent de l’oeil vers un but odieux, Comme l’enfer poussait Oreste, En cachant le crime à ses yeux ! La soif de ta vengeance, ils l’appellent justice : Et bien, justice soit ! Est-ce un droit de supplice Qui par tes morts fut acheté ? Que feras-tu, réponds, du sang qu’on te demande ? Quatre têtes sans tronc, est-ce donc là l’offrande D’un grand peuple à sa liberté ? N’en ont-ils pas fauché sans nombre ? N’en ont-ils pas jeté des monceaux, sans combler Le sac insatiable et sombre Où tu les entendais rouler ? Depuis que la mort même, inventant ses machines, Eut ajouté la roue aux faux des guillotines Pour hâter son char gémissant, Tu comptais par centaine, et tu comptas par mille ! Quand on presse du pied le pavé de ta ville, On craint d’en voir jaillir du sang ! – Oui, mais ils ont joué leur tête. – Je le sais; et le sort les livre et te les doit! C’est ton gage, c’est ta conquête ; Prends, ô peuple! use de ton droit. Mais alors jette au vent l’honneur de ta victoire; Ne demande plus rien à l’Europe, à la gloire, Plus rien à la postérité ! En donnant cette joie à ta libre colère, Va-t’en; tu t’es payé toi-même ton salaire : Du sang, au lieu de liberté ! Songe au passé, songe à l’aurore De ce jour orageux levé sur nos berceaux ; Son ombre te rougit encore Du reflet pourpré des ruisseaux ! Il t’a fallu dix ans de fortune et de gloire Pour effacer l’horreur de deux pages d’histoire. Songe à l’Europe qui te suit Et qui dans le sentier que ton pied fort lui creuse Voit marcher tantôt sombre et tantôt lumineuse Ta colonne qui la conduit ! Veux-tu que sa liberté feinte Du carnage civique arbore aussi la faux ? Et que partout sa main soit teinte De la fange des échafauds ? Veux-tu que le drapeau qui la porte aux deux mondes, Veux-tu que les degrés du trône que tu fondes, Pour piédestal aient un remords ? Et que ton Roi, fermant sa main pleine de grâces, Ne puisse à son réveil descendre sur tes places, Sans entendre hurler la mort ? Aux jours de fer de tes annales Quels dieux n’ont pas été fabriqués par tes mains ? Des divinités infernales Reçurent l’encens des humains ! Tu dressas des autels à la terreur publique, A la peur, à la mort, Dieux de ta République ; Ton grand prêtre fut ton bourreau ! De tous ces dieux vengeurs qu’adora ta démence, Tu n’en oublias qu’un, ô peuple ! la Clémence ! Essayons d’un culte nouveau. Le jour qu’oubliant ta colère, Comme un lutteur grandi qui sent son bras plus fort, De l’héroïsme populaire Tu feras le dernier effort ; Le jour où tu diras : Je triomphe et pardonne !… Ta vertu montera plus haut que ta colonne Au-dessus des exploits humains ; Dans des temples voués à ta miséricorde Ton génie unira la force et la concorde, Et les siècles battront des mains !  » Peuple, diront-ils, ouvre une ère  » Que dans ses rêves seuls l’humanité tenta,  » Proscris des codes de la terre  » La mort que le crime inventa !  » Remplis de ta vertu l’histoire qui la nie,  » Réponds par tant de gloire à tant de calomnie !  » Laisse la pitié respirer!  » Jette à tes ennemis des lois plus magnanimes,  » Ou si tu veux punir, inflige à tes victimes  » Le supplice de t’admirer !  » Quitte enfin la sanglante ornière  » Où se traîne le char des révolutions,  » Que ta halte soit la dernière  » Dans ce désert des nations ;  » Que le genre humain dise en bénissant tes pages :  » C’est ici que la France a de ses lois sauvages  » Fermé le livre ensanglanté ;  » C’est ici qu’un grand peuple, au jour de la justice,  » Dans la balance humaine, au lieu d’un vil supplice,  » Jeta sa magnanimité. » Mais le jour où le long des fleuves Tu reviendras, les yeux baissés sur tes chemins, Suivi, maudit par quatre veuves, Et par des groupes d’orphelins, De ton morne triomphe en vain cherchant la fête, Les passants se diront, en détournant la tête : Marchons, ce n’est rien de nouveau ! C’est, après la victoire, un peuple qui se venge ; Le siècle en a menti ; jamais l’homme ne change : Toujours, ou victime, ou bourreau !

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre Anime la fin d'un beau jour, Au pied de l'échafaud j'essaye encor ma lyre. Peut-être est-ce bientôt mon tour ; Peut-être avant que l'heure en cercle promenée Ait posé sur l'émail brillant, Dans les soixante pas où sa route est bornée, Son pied sonore et vigilant, Le sommeil du tombeau pressera ma paupière ! Avant que de ses deux moitiés Ce vers que je commence ait atteint la dernière, Peut-être en ces murs effrayés Le messager de mort, noir recruteur des ombres, Escorté d'infâmes soldats, Remplira de mon nom ces longs corridors sombres. Quand au mouton bêlant la sombre boucherie Ouvre ses cavernes de mort, Pâtre, chiens et moutons, toute la bergerie Ne s'informe plus de son sort. Les enfants qui suivaient ses ébats dans la plaine, Les vierges aux belles couleurs Qui le baisaient en foule, et sur sa blanche laine Entrelaçaient rubans et fleurs, Sans plus penser à lui, le mangent s'il est tendre. Dans cet abîme enseveli, J'ai le même destin. Je m'y devais attendre. Accoutumons-nous à l'oubli. Oubliés comme moi dans cet affreux repaire, Mille autres moutons, comme moi Pendus aux crocs sanglants du charnier populaire, Seront servis au peuple-roi. Que pouvaient mes amis ? Oui, de leur main chérie Un mot, à travers les barreaux, Eût versé quelque baume en mon âme flétrie ; De l'or peut-être à mes bourreaux... Mais tout est précipice. Ils ont eu droit de vivre. Vivez, amis ; vivez contents. En dépit de Bavus, soyez lents à me suivre ; Peut-être en de plus heureux temps J'ai moi-même, à l'aspect des pleurs de l'infortune, Détourné mes regards distraits ; A mon tour aujourd'hui mon malheur importune. Vivez, amis ; vivez en paix.

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    André Chénier

    André Chénier

    @andreChenier

    La jeune captive « L'épi naissant mûrit de la faux respecté ; Sans crainte du pressoir, le pampre tout l'été Boit les doux présents de l'aurore ; Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui, Quoi que l'heure présente ait de trouble et d'ennui, Je ne veux point mourir encore.

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    Andrée Chedid

    Andrée Chedid

    @andreeChedid

    Toi - moi Par l'univers-planète univers à toute bride Par l'univers-bourdon dans chaque cellule du corps Par les mots qui s'engendrent Par cette parole étranglée Par l'avant-scène du présent Par vents d'éternité Par cette naissance qui nous décerne le monde Par cette mort qui l'escamote Par cette vie Plus bruissante que tout l'imaginé Toi Qui que tu sois! Je te suis bien plus proche qu'étranger.

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    A

    Anna Marly

    @annaMarly

    Le chant des partisans Ami entends-tu Le vol noir des corbeaux Sur nos plaines. Ami entends-tu Les cris sourds du pays Qu'on enchaîne, Ohé partisans Ouvriers et paysans C'est l'alarme! Ce soir l'ennemi Connaîtra le prix du sang Et des larmes… Montez de la mine, Descendez des collines, Camarades. Sortez de la paille Les fusils, la mitraille, Les grenades. Ohé! les tueurs A la balle et au couteau Tuez vite! Ohé! saboteurs Attention à ton fardeau… Dynamite… C'est nous qui brisons Les barreaux des prisons Pour nos frères. La haine à nos trousses Et la faim qui nous pousse, La misère. Il y a des pays Où les gens au creux des lits Font des rêves. Ici, nous vois-tu Nous on marche et nous on tue Nous on crève… Ici, chacun sait Ce qu'il veut, ce qu'il fait Quand il passe Ami, si tu tombes, Un ami sort de l'ombre A ta place. Demain du sang noir Séchera au grand soleil Sur les routes. Chantez compagnons, Dans la nuit, la liberté Nous écoute… Ami, entends-tu Les cris sourds du pays qu'on Enchaîne!… Ami, entends-tu Le vol noir des corbeaux sur nos Plaines!

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    Auteur inconnu

    Titre inconnu Quand au bout d'huit jours le repos terminé On va reprendre les tranchées, Notre place est si utile Que sans nous on prend la pile Mais c'est bien fini, on en a assez Personne ne veut plus marcher Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot On dit adieu aux civ'lots Même sans tambours et sans trompettes On s'en va là-bas en baissant la tête. - Refrain: Adieu la vie, adieu l'amour, Adieu toutes les femmes C'est bien fini, c'est pour toujours De cette guerre infâme C'est à Craonne sur le plateau Qu'on doit laisser sa peau Car nous sommes tous des condamnés C'est nous les sacrifiés. Huit jours de tranchée, huit jours de souffrance Pourtant on a l'espérance Que ce soir viendra la r'lève Que nous attendons sans trêve Soudain dans la nuit et le silence On voit quelqu'un qui s'avance C'est un officier de chasseurs à pied Qui vient pour nous remplacer Doucement dans l'ombre sous la pluie qui tombe Nos pauvr' remplaçants vont chercher leurs tombes. C'est malheureux d'voir sur les grands boulevards Tous ces gros qui font la foire Si pour eux la vie est rose Pour nous c'est pas la même chose Au lieu d'se cacher tous ces embusqués F'raient mieux d'monter aux tranchées Pour défendre leurs biens, car nous n'avons rien Nous autres les pauv' purotins Et les camarades sont étendus là Pour défendr' les biens de ces messieurs là. - Refrain: Ceux qu'ont le pognon, ceux-là reviendront Car c'est pour eux qu'on crève Mais c'est fini, nous, les troufions On va se mettre en grève Ce sera vot' tour messieurs les gros De monter sur le plateau Si vous voulez faire la guerre Payez-la de votre peau.

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    A

    Aristide Bruant

    @aristideBruant

    Le chant des canuts Pour chanter Veni Creator Il faut avoir chasuble d'or4. Pour chanter Veni Creator Il faut avoir chasuble d'or4. Nous en tissons pour vous, grands de l'Église, Et nous, pauvres canuts, n'avons pas de chemise. C'est nous les canuts, Nous sommes tout nus. Pour gouverner il faut avoir Manteaux et rubans en sautoir. Pour gouverner il faut avoir Manteaux et rubans en sautoir5. Nous en tissons pour vous, grands de la terre, Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre. C'est nous les canuts, Nous allons tout nus6. Mais notre règne arrivera Quand votre règne finira Mais notre règne arrivera Quand votre règne finira : Nous tisserons le linceul du vieux monde Car on entend déjà la tempête qui gronde. C'est nous les canuts, Nous sommes tout nus.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Le dormeur du Val C'est un trou de verdure où chante une rivière, Accrochant follement aux herbes des haillons D'argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Matinée d'ivresse Ô mon Bien ! Ô mon Beau ! Fanfare atroce où je ne trébuche point ! chevalet féerique ! Hourra pour l'œuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois ! Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendus à l'ancienne inharmonie. O maintenant, nous si digne de ces tortures ! rassemblons fervemment cette promesse surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés : cette promesse, cette démence ! L'élégance, la science, la violence ! On nous a promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour. Cela commença par quelques dégoûts et cela finit, — ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette éternité, — cela finit par une débandade de parfums. Rire des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges, horreur des figures et des objets d'ici, sacrés soyez-vous par le souvenir de cette veille. Cela commençait par toute la rustrerie, voici que cela finit par des anges de flamme et de glace. Petite veille d'ivresse, sainte ! quand ce ne serait que pour le masque dont tu nous as gratifié. Nous t'affirmons, méthode ! Nous n'oublions pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. Nous avons foi au poison. Nous savons donner notre vie tout entière tous les jours. Voici le temps des Assassins.

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    Auguste Barbier

    Auguste Barbier

    @augusteBarbier

    L'idole Ô Corse à cheveux plats ! que ta France était belle Au grand soleil de messidor ! C'était une cavale indomptable et rebelle, Sans frein d'acier ni rênes d'or ; Une jument sauvage à la croupe rustique, Fumante encor du sang des rois, Mais fière, et d'un pied fort heurtant le sol antique, Libre pour la première fois. Jamais aucune main n'avait passé sur elle Pour la flétrir et l'outrager ; Jamais ses larges flancs n'avaient porté la selle Et le harnais de l'étranger ; Tout son poil était vierge, et, belle vagabonde, L'œil haut, la croupe en mouvement, Sur ses jarrets dressée, elle effrayait le monde Du bruit de son hennissement. Tu parus, et sitôt que tu vis son allure, Ses reins si souples et dispos, Dompteur audacieux tu pris sa chevelure, Tu montas botté sur son dos. Alors, comme elle aimait les rumeurs de la guerre, La poudre, les tambours battants, Pour champ de course, alors tu lui donnas la terre Et des combats pour passe-temps : Alors, plus de repos, plus de nuits, plus de sommes, Toujours l'air, toujours le travail. Toujours comme du sable écraser des corps d'hommes, Toujours du sang jusqu'au poitrail. Quinze ans son dur sabot, dans sa course rapide, Broya les générations ; Quinze ans elle passa, fumante, à toute bride, Sur le ventre des nations ; Enfin, lasse d'aller sans finir sa carrière, D'aller sans user son chemin, De pétrir l'univers, et comme une poussière De soulever le genre humain ; Les jarrets épuisés, haletante, sans force Et fléchissant à chaque pas, Elle demanda grâce à son cavalier corse ; Mais, bourreau, tu n'écoutas pas ! Tu la pressas plus fort de ta cuisse nerveuse, Pour étouffer ses cris ardents, Tu retournas le mors dans sa bouche baveuse, De fureur tu brisas ses dents ; Elle se releva : mais un jour de bataille, Ne pouvant plus mordre ses freins, Mourante, elle tomba sur un lit de mitraille Et du coup te cassa les reins.

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    Boris Vian

    Boris Vian

    @borisVian

    Le déserteur Monsieur le Président Je vous fais une lettre Que vous lirez peut-être Si vous avez le temps Je viens de recevoir Mes papiers militaires Pour partir à la guerre Avant mercredi soir Monsieur le Président Je ne veux pas la faire Je ne suis pas sur terre Pour tuer des pauvres gens C'est pas pour vous fâcher Il faut que je vous dise Ma décision est prise Je m'en vais déserter Depuis que je suis né J'ai vu mourir mon père J'ai vu partir mes frères Et pleurer mes enfants Ma mère a tant souffert Qu'elle est dedans sa tombe Et se moque des bombes Et se moque des vers Quand j'étais prisonnier On m'a volé ma femme On m'a volé mon âme Et tout mon cher passé Demain de bon matin Je fermerai ma porte Au nez des années mortes J'irai sur les chemins Je mendierai ma vie Sur les routes de France De Bretagne en Provence Et je dirai aux gens Refusez d'obéir Refusez de la faire N'allez pas à la guerre Refusez de partir S'il faut donner son sang Allez donner le vôtre Vous êtes bon apôtre Monsieur le Président Si vous me poursuivez Prévenez vos gendarmes Que je n'aurai pas d'armes Et qu'ils pourront tirer

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    Boris Vian

    Boris Vian

    @borisVian

    L’évadé Il a dévalé la colline Ses pieds faisaient rouler des pierres Là-haut, entre les quatre murs La sirène chantait sans joie Il respirait l'odeur des arbres De tout son corps comme une forge La lumière l'accompagnait Et lui faisait danser son ombre Pourvu qu'ils me laissent le temps Il sautait à travers les herbes Il a cueilli deux feuilles jaunes Gorgées de sève et de soleil Les canons d'acier bleu crachaient De courtes flammes de feu sec Pourvu qu'ils me laissent le temps Il est arrivé près de l'eau Il y a plongé son visage Il riait de joie, il a bu Pourvu qu'ils me laissent le temps Il s'est relevé pour sauter Pourvu qu'ils me laissent le temps Une abeille de cuivre chaud L'a foudroyé sur l'autre rive Le sang et l'eau se sont mêlés Il avait eu le temps de voir Le temps de boire à ce ruisseau Le temps de porter à sa bouche Deux feuilles gorgées de soleil Le temps de rire aux assassins Le temps d'atteindre l'autre rive Le temps de courir vers la femme Il avait eu le temps de vivre.

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    Cesare Pavese

    Cesare Pavese

    @cesarePavese

    Mythe Un jour viendra où le jeune dieu sera un homme, sans souffrance, avec le sourire mort de l’homme qui a compris. Le soleil lui aussi glisse au loin, en rougissant les plages. Un jour viendra où le dieu ne saura plus où étaient les plages de jadis. On s’éveille un matin : l’été est déjà mort, dans les yeux grondent encore des splendeurs, comme hier, et à l’oreille le fracas du soleil devenu sang. Le monde a changé de couleur. La montagne ne touche plus le ciel ; les nuages ne s’amoncellent plus comme les fruits ; dans l’eau pas un galet n’affleure. Un corps d’homme se courbe pensif, où respirait un dieu. C’est la fin du grand soleil d’été et de l’odeur de terre et de la route libre, animée par un peuple qui ignorait la mort. On ne meurt pas l’été. Si quelqu’un venait à disparaître, il y avait le jeune dieu qui vivait pour les autres et ignorait la mort. Sur lui, la tristesse n’était que l’ombre d’un nuage. Son pas étonnait la terre. Maintenant, la lassitude pèse sur les membres de cet homme, sans souffrance : la calme lassitude d’une aube ouvrant un jour de pluie. Les plages assombries sur lesquelles jadis il n’avait qu’à poser son regard ne connaissent plus le dieu. Et l’océan de l’air ne revit plus au souffle. Les lèvres de l’homme se plissent résignées, pour sourire devant la terre.

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Le vin de l'assassin Ma femme est morte, je suis libre ! Je puis donc boire tout mon soûl. Lorsque je rentrais sans un sou, Ses cris me déchiraient la fibre. Autant qu'un roi je suis heureux ; L'air est pur, le ciel admirable... Nous avions un été semblable Lorsque j'en devins amoureux ! L'horrible soif qui me déchire Aurait besoin pour s'assouvir D'autant de vin qu'en peut tenir Son tombeau ; - ce n'est pas peu dire : Je l'ai jetée au fond d'un puits, Et j'ai même poussé sur elle Tous les pavés de la margelle. - Je l'oublierai si je le puis ! Au nom des serments de tendresse, Dont rien ne peut nous délier, Et pour nous réconcilier Comme au beau temps de notre ivresse, J'implorai d'elle un rendez-vous, Le soir, sur une route obscure. Elle y vint ! - folle créature ! Nous sommes tous plus ou moins fous ! Elle était encore jolie, Quoique bien fatiguée ! et moi, Je l'aimais trop ! voilà pourquoi Je lui dis : Sors de cette vie ! Nul ne peut me comprendre. Un seul Parmi ces ivrognes stupides Songea-t-il dans ses nuits morbides A faire du vin un linceul ? Cette crapule invulnérable Comme les machines de fer Jamais, ni l'été ni l'hiver, N'a connu l'amour véritable, Avec ses noirs enchantements Son cortège infernal d'alarmes, Ses fioles de poison, ses larmes, Ses bruits de chaîne et d'ossements ! - Me voilà libre et solitaire ! Je serai ce soir ivre mort ; Alors, sans peur et sans remord, Je me coucherai sur la terre, Et je dormirai comme un chien ! Le chariot aux lourdes roues Chargé de pierres et de boues, Le wagon enragé peut bien Ecraser ma tête coupable Ou me couper par le milieu, Je m'en moque comme de Dieu, Du Diable ou de la Sainte Table !

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    C

    Charlotte Delbo

    @charlotteDelbo

    Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants Vous qui passez bien habillés de tous vos muscles un vêtement qui vous va bien qui vous va mal qui vous va à peu près vous qui passez animés d’une vie tumultueuse aux artères et bien collée au squelette d’un pas alerte sportif lourdaud rieurs renfrognés, vous êtes beaux si quelconques si quelconquement tout le monde tellement beaux d’être quelconques diversement avec cette vie qui vous empêche de sentir votre buste qui suit la jambe votre main au chapeau votre main sur le coeur... la rotule qui roule doucement au genou comment vous pardonner d’être vivants... Vous qui passez bien habillés de tous vos muscles comment vous pardonner ils sont morts tous Vous passez et vous buvez aux terrasses vous êtes heureux elle vous aime mauvaise humeur souci d’argent comment comment vous pardonner d’être vivants comment comment vous ferez-vous pardonner par ceux-là qui sont morts pour que vous passiez bien habillés de tous vos muscles... que vous buviez aux terrasses que vous soyez plus jeunes chaque printemps je vous en supplie faites quelque chose apprenez un pas une danse quelque chose qui vous justifie qui vous donne le droit d’être habillé de votre peau de votre poil apprenez à marcher et à rire , parce que ce serait trop bête à la fin que tant soient morts et que vous viviez sans rien faire de votre vie. Je reviens... d’au-delà de la connaissance il faut maintenant désapprendre je vois bien qu’autrement je ne pourrais plus vivre. Et puis mieux vaut ne pas y croire à ces histoires de revenants plus jamais vous ne dormirez si jamais vous les croyez ces spectres revenants ces revenants qui reviennent sans pouvoir même expliquer comment.

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    Clément Marot

    Clément Marot

    @clementMarot

    L'épître au Roi, pour le délivrer de prison Roi des Français, plein de toutes bontés, Quinze jours a, je les ai bien comptés, Et dès demain seront justement seize, Que je fus fait confrère au diocèse De Saint-Marry, en l'église Saint-Pris. Si vous dirai comment je fus surpris, Et me déplaît qu'il faut que je le die. Trois grands pendards vinrent à l'étourdie En ce palais me dire en désarroi : « Nous vous faisons prisonnier, par le Roi. » Incontinent, qui fut bien étonné ? Ce fut Marot, plus que s'il eût tonné. Puis m'ont montré un parchemin écrit, Où n'y avait seul mot de Jésus-Christ : II ne parlait tout que de plaiderie, De conseillers et d'emprisonnerie. « Vous souvient-il, ce me dirent-ils lors, Que vous étiez l'autre jour là-dehors, Qu'on recourut un certain prisonnier Entre nos mains ? » Et moi de le nier ! Car, soyez sûr, si j'eusse dit oui, Que le plus sourd d'entre eux m'eût bien ouï, Et d'autre part, j'eusse publiquement Été menteur : car, pourquoi et comment Eussé-je pu un autre recourir, Quand je n'ai su moi-même secourir ? Pour faire court, je ne sus tant prêcher Que ces paillards me voulsissent lâcher. Sur mes deux bras ils ont la main posée, Et m'ont mené ainsi qu'une épousée, Non pas ainsi, mais plus raide un petit. Et toutefois j'ai plus grand appétit De pardonner à leur folle fureur Qu'à celle-là de mon beau procureur : Que male mort les deux jambes lui casse ! II a bien pris de moi une bécasse, Une perdrix, et un levraut aussi, Et toutefois je suis encore ici ! […] Si vous supplie, Sire, mander par lettre, Qu'en liberté ces gens me veuillent mettre; Très humblement requérant votre grâce De pardonner à ma trop grande audace D'avoir empris ce sot écrit vous faire; Et m'excusez, si pour le mien affaire Je ne suis point vers vous allé parler : Je n'ai pas eu le loisir d'y aller.

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    Aimé Césaire

    Aimé Césaire

    @aimeCesaire

    C'était un très bon nègre C'était un très bon nègre. Et on lui jetait des pierres, des bouts de ferraille, des tessons de bouteille, mais ni ces pierres, ni cette ferraille, ni ces bouteilles … Ô quiètes années de Dieu sur cette motte terraquée ! Et le fouet disputa au bombillement des mouches la rosée sucrée de nos plaies.

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    D

    David Diop

    @davidDiop

    Défi à la force Toi qui plies, toi qui pleures Toi qui meurs un jour sans savoir pourquoi Toi qui luttes, qui veille sur le repos de l’autre Toi qui ne regardes plus avec le rire dans les yeux Toi mon frère au visage de peur et d’angoisse Relève-toi et crie: NON

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    D

    Dominique Simonet

    @dominiqueSimonet

    L'alcool L'alcool est un fléau, cette chimère immonde Qui conduit l'être faible au bord du désespoir ! Ce compagnon hideux va partout dans le monde Pour offrir le cancer, un crabe atroce et noir. Il procure à l'ivrogne un bonheur éphémère, Beau nectar bien souvent de toutes les couleurs : Rouge et blanc rosé sec ou boisson plus amère… Après ivresse et rêve arrivent les douleurs.

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    Federico Garcia Lorca

    Federico Garcia Lorca

    @federicoGarciaLorca

    Le poète dit la vérité Je veux pleurer ma peine et te le dire pour que tu m’aimes et pour que tu me pleures par un long crépuscule de rossignols où poignard et baisers pour toi délirent. Je veux tuer le seul témoin, l’unique, qui a pu voir assassiner mes fleurs, et transformer ma plainte et mes sueurs en éternel monceau de durs épis. Fais que jamais ne s’achève la tresse du je t’aime tu m’aimes toujours ardente de jours, de cris, de sel, de lune ancienne, car tes refus rendus à mes silences se perdront tous dans la mort qui ne laisse pas même une ombre à la chair frémissante.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Le cabaret Dans le bouge qu’emplit l’essaim insupportable Des mouches bourdonnant dans un chaud rayon d’août, L’ivrogne, un de ceux-là qu’un désespoir absout, Noyait au fond du vin son rêve détestable. Stupide, il remuait la bouche avec dégoût, Ainsi qu’un bœuf repu ruminant dans l’étable. Près de lui le flacon, renversé sur la table, Se dégorgeait avec les hoquets d’un égout. Oh ! qu’il est lourd, le poids des têtes accoudées Où se heurtent sans fin les confuses idées Avec le bruit tournant du plomb dans le grelot ! Je m’approchai de lui, pressentant quelque drame, Et vis que dans le vin craché par le goulot Lentement il traçait du doigt un nom de femme.

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    F

    François Sengat Kuo

    @francoisSengatKuo

    Ils m'ont dit Ils m’ont dit tu n’es qu’un nègre juste bon à trimer pour nous j’ai travaillé pour eux et ils ont ri Ils m’ont dit tu n’es qu’un enfant danse pour nous j’ai dansé pour eux et ils ont ri Ils m’ont dit tu n’es qu’un sauvage laisse-là tes totems laisse-là tes sorciers va à l’église je suis allée à l’église et ils ont ri Ils m’ont dit tu n’es bon à rien va mourir pour nous sur les neiges de l’Europe pour eux j’ai versé mon sang l’on m’a maudit et ils ont ri Alors ma patience excédée brisant les nœuds de ma lâche résignation j’ai donné la main aux parias de l’Univers et ils m’ont dit désemparés cachant mal leur terreur panique meurs tu n’es qu’un traître meurs… pourtant je suis une hydre à mille têtes.

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    Jacques Prévert

    Jacques Prévert

    @jacquesPrevert

    Barbara Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là Et tu marchais souriante Épanouie ravie ruisselante Sous la pluie Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest Et je t'ai croisée rue de Siam Tu souriais Et moi je souriais de même Rappelle-toi Barbara Toi que je ne connaissais pas Toi qui ne me connaissais pas Rappelle-toi Rappelle-toi quand même ce jour-là N'oublie pas Un homme sous un porche s'abritait Et il a crié ton nom Barbara Et tu as couru vers lui sous la pluie Ruisselante ravie épanouie Et tu t'es jetée dans ses bras Rappelle-toi cela Barbara Et ne m'en veux pas si je te tutoie Je dis tu à tous ceux que j'aime Même si je ne les ai vus qu'une seule fois Je dis tu à tous ceux qui s'aiment Même si je ne les connais pas Rappelle-toi Barbara N'oublie pas Cette pluie sage et heureuse Sur ton visage heureux Sur cette ville heureuse Cette pluie sur la mer Sur l'arsenal Sur le bateau d'Ouessant Oh Barbara Quelle connerie la guerre Qu'es-tu devenue maintenant Sous cette pluie de fer De feu d'acier de sang Et celui qui te serrait dans ses bras Amoureusement Est-il mort disparu ou bien encore vivant Oh Barbara Il pleut sans cesse sur Brest Comme il pleuvait avant Mais ce n'est plus pareil et tout est abîmé C'est une pluie de deuil terrible et désolée Ce n'est même plus l'orage De fer d'acier de sang Tout simplement des nuages Qui crèvent comme des chiens Des chiens qui disparaissent Au fil de l'eau sur Brest Et vont pourrir au loin Au loin très loin de Brest Dont il ne reste rien.

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    Jacques Prévert

    Jacques Prévert

    @jacquesPrevert

    Déjeuner du matin Il a mis le café Dans la tasse Il a mis le lait Dans la tasse de café Il a mis le sucre Dans le café au lait Avec la petite cuillère Il a tourné Il a bu le café au lait Et il a reposé la tasse Sans me parler Il a allumé Une cigarette Il a fait des ronds Avec la fumée Il a mis les cendres Dans le cendrier Sans me parler Sans me regarder Il s’est levé Il a mis Son chapeau sur sa tête Il a mis son manteau de pluie Parce qu’il pleuvait Et il est parti Sous la pluie Sans une parole Sans me regarder Et moi j’ai pris Ma tête dans ma main Et j’ai pleuré

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    Jacques Prévert

    Jacques Prévert

    @jacquesPrevert

    Pater Noster Notre Père qui êtes au cieux Restez-y Et nous nous resterons sur la terre Qui est quelquefois si jolie Avec ses mystères de New York Et puis ses mystères de Paris Qui valent bien celui de la Trinité Avec son petit canal de l'Ourcq Sa grande muraille de Chine Sa rivière de Morlaix Ses bêtises de Cambrai Avec son océan Pacifique Et ses deux bassins aux Tuileries Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets Avec toutes les merveilles du monde Qui sont là Simplement sur la terre Offertes à tout le monde Éparpillées Émerveillées elles-mêmes d'être de telles merveilles Et qui n'osent se l'avouer Comme une jolie fille nue qui n'ose se montrer Avec les épouvantables malheurs du monde Qui sont légion Avec leurs légionnaires Avec leurs tortionnaires Avec les maîtres de ce monde

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    Jacques Prévert

    Jacques Prévert

    @jacquesPrevert

    Étranges étrangers Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel Hommes de pays loin Cobayes des colonies Doux petits musiciens Soleils adolescents de la porte d’Italie Boumians de la porte de Saint-Ouen Apatrides d’Aubervilliers Brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris Ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied Au beau milieu des rues Tunisiens de Grenelle Embauchés débauchés Manœuvres désœuvrés Polacks du Marais du Temple des Rosiers Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone Pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère Rescapés de Franco Et déportés de France et de Navarre Pour avoir défendu en souvenir de la vôtre La liberté des autres. Esclaves noirs de Fréjus Tiraillés et parqués Au bord d’une petite mer Où peu vous vous baignez Esclaves noirs de Fréjus Qui évoquez chaque soir Dans les locaux disciplinaires Avec une vieille boîte à cigares Et quelques bouts de fil de fer Tous les échos de vos villages Tous les oiseaux de vos forêts Et ne venez dans la capitale Que pour fêter au pas cadencé La prise de la Bastille le quatorze juillet.

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    Jean Cassou

    Jean Cassou

    @jeanCassou

    À mes camarades de prison Bruits lointains de la vie, divinités secrètes, trompe d’auto, cris des enfants à la sortie, carillon du salut à la veille des fêtes, voiture aveugle se perdant à l’infini, rumeurs cachées aux plis des épaisseurs muettes, quels génies autres que l’infortune et la nuit, auraient su me conduire à l’abîme où vous êtes? Et je touche à tâtons vos visages amis. Pour mériter l’accueil d’aussi profonds mystères je me suis dépouillé de toute ma lumière: la lumière aussitôt se cueille dans vos voix. Laissez-moi maintenant repasser la poterne et remonter, portant ces reflets noirs en moi, fleurs d’un ciel inversé, astres de ma caverne.

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    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    L'homme et la couleuvre Un Homme vit une Couleuvre. Ah ! méchante, dit-il, je m'en vais faire une oeuvre Agréable à tout l'univers. A ces mots, l'animal pervers (C'est le serpent que je veux dire Et non l'homme : on pourrait aisément s'y tromper), A ces mots, le serpent, se laissant attraper, Est pris, mis en un sac ; et, ce qui fut le pire, On résolut sa mort, fût-il coupable ou non. Afin de le payer toutefois de raison, L'autre lui fit cette harangue : Symbole des ingrats, être bon aux méchants, C'est être sot, meurs donc : ta colère et tes dents Ne me nuiront jamais. Le Serpent, en sa langue, Reprit du mieux qu'il put : S'il fallait condamner Tous les ingrats qui sont au monde, A qui pourrait-on pardonner ? Toi-même tu te fais ton procès. Je me fonde Sur tes propres leçons ; jette les yeux sur toi. Mes jours sont en tes mains, tranche-les : ta justice, C'est ton utilité, ton plaisir, ton caprice ; Selon ces lois, condamne-moi ; Mais trouve bon qu'avec franchise En mourant au moins je te dise Que le symbole des ingrats Ce n'est point le serpent, c'est l'homme. Ces paroles Firent arrêter l'autre ; il recula d'un pas. Enfin il repartit : Tes raisons sont frivoles : Je pourrais décider, car ce droit m'appartient ; Mais rapportons-nous-en. - Soit fait, dit le reptile. Une Vache était là, l'on l'appelle, elle vient ; Le cas est proposé ; c'était chose facile : Fallait-il pour cela, dit-elle, m'appeler ? La Couleuvre a raison ; pourquoi dissimuler ? Je nourris celui-ci depuis longues années ; Il n'a sans mes bienfaits passé nulles journées ; Tout n'est que pour lui seul ; mon lait et mes enfants Le font à la maison revenir les mains pleines ; Même j'ai rétabli sa santé, que les ans Avaient altérée, et mes peines Ont pour but son plaisir ainsi que son besoin. Enfin me voilà vieille ; il me laisse en un coin Sans herbe ; s'il voulait encor me laisser paître ! Mais je suis attachée ; et si j'eusse eu pour maître Un serpent, eût-il su jamais pousser si loin L'homme, tout étonné d'une telle sentence, Dit au Serpent : Faut-il croire ce qu'elle dit ? C'est une radoteuse ; elle a perdu l'esprit. Croyons ce Boeuf. - Croyons, dit la rampante bête. Ainsi dit, ainsi fait. Le Boeuf vient à pas lents. Quand il eut ruminé tout le cas en sa tête, Il dit que du labeur des ans Pour nous seuls il portait les soins les plus pesants, Parcourant sans cesser ce long cercle de peines Qui, revenant sur soi, ramenait dans nos plaines Ce que Cérès nous donne, et vend aux animaux ; Que cette suite de travaux Pour récompense avait, de tous tant que nous sommes, Force coups, peu de gré ; puis, quand il était vieux, On croyait l'honorer chaque fois que les hommes Achetaient de son sang l'indulgence des Dieux. Ainsi parla le Boeuf. L'Homme dit : Faisons taire Cet ennuyeux déclamateur ; Il cherche de grands mots, et vient ici se faire, Au lieu d'arbitre, accusateur. Je le récuse aussi. L'arbre étant pris pour juge, Ce fut bien pis encore. Il servait de refuge Contre le chaud, la pluie, et la fureur des vents ; Pour nous seuls il ornait les jardins et les champs. L'ombrage n'était pas le seul bien qu'il sût faire ; Il courbait sous les fruits ; cependant pour salaire Un rustre l'abattait, c'était là son loyer, Quoique pendant tout l'an libéral il nous donne Ou des fleurs au Printemps, ou du fruit en Automne ; L'ombre l'Eté, l'Hiver les plaisirs du foyer. Que ne l'émondait-on, sans prendre la cognée ? De son tempérament il eût encor vécu. L'Homme trouvant mauvais que l'on l'eût convaincu, Voulut à toute force avoir cause gagnée. Je suis bien bon, dit-il, d'écouter ces gens-là. Du sac et du serpent aussitôt il donna Contre les murs, tant qu'il tua la bête. On en use ainsi chez les grands. La raison les offense ; ils se mettent en tête Que tout est né pour eux, quadrupèdes, et gens, Et serpents. Si quelqu'un desserre les dents, C'est un sot. - J'en conviens. Mais que faut-il donc faire ? - Parler de loin, ou bien se taire.

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