Titre : Et ce pays cria
Auteur : Aimé Césaire
Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que
les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la négrerie ; que nous
sommes un fumier abondant hideusement prometteur de cannes tendres et de
coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos
excréments et l’on nous vendait sur les places et l’aune de drap anglais et la
viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme,
tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans ses actes.
Nous vomissure de négrier
nous vénerie des Calabars
Quoi ? Se boucher les oreilles ?
Nous, soûlés à crever de roulis, de risées, de brume humée !
Pardon tourbillon partenaire !
J’entends de la cale monter les malédictions enchaînées, les hoquettements
des mourants, le bruit d’un qu’on jette à la mer...
les abois d’une femme en gésine...des raclements d’ongles cherchant des
gorges...des ricanements de fouet... des farfouillis de vermine parmi les
lassitudes...
Rien ne put nous insurger jamais vers quelque noble aventure désespérée.
Ainsi soit-il. Ainsi soit-il.
Je ne suis d’aucune nationalité prévue par les chancelleries.
Je défie le craniomètre. Homo sum, etc.
Et qu’ils servent et trahissent et meurent. Ainsi soit-il.
Ainsi soit-il. C’était écrit dans la forme de leur bassin.