Titre : Mythe
Auteur : Cesare Pavese Recueil : Travailler fatigue, 1979
Un jour viendra où le jeune dieu sera un homme,
sans souffrance, avec le sourire mort
de l’homme qui a compris. Le soleil lui aussi glisse au loin,
en rougissant les plages. Un jour viendra où le dieu
ne saura plus où étaient les plages de jadis.
On s’éveille un matin : l’été est déjà mort,
dans les yeux grondent encore des splendeurs,
comme hier, et à l’oreille le fracas du soleil
devenu sang. Le monde a changé de couleur.
La montagne ne touche plus le ciel ; les nuages
ne s’amoncellent plus comme les fruits ; dans l’eau
pas un galet n’affleure. Un corps d’homme
se courbe pensif, où respirait un dieu.
C’est la fin du grand soleil d’été et de l’odeur de terre
et de la route libre, animée par un peuple
qui ignorait la mort. On ne meurt pas l’été.
Si quelqu’un venait à disparaître, il y avait le jeune dieu
qui vivait pour les autres et ignorait la mort.
Sur lui, la tristesse n’était que l’ombre d’un nuage.
Son pas étonnait la terre.
Maintenant,
la lassitude pèse sur les membres de cet homme,
sans souffrance : la calme lassitude d’une aube
ouvrant un jour de pluie. Les plages assombries
sur lesquelles jadis il n’avait qu’à poser son regard
ne connaissent plus le dieu. Et l’océan de l’air
ne revit plus au souffle. Les lèvres de l’homme
se plissent résignées, pour sourire devant la terre.