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Vie

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Poésies de la collection vie

    Abdellatif Laâbi

    Abdellatif Laâbi

    @abdellatifLaabi

    J'aime notre expérience humaine J'aime notre expérience humaine Quand je pense à ce que fut notre histoire depuis l'apparition de la vie de ses formes les plus élémentaires jusqu'à cet être controversé qu'est l'homme le déploiement foudroyant de l'intelligence oui cette expérience valait la peine et je le dis sans ambages je suis un fanatique de notre espèce

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    A

    Achille Chavée

    @achilleChavee

    Au jour la vie Antan qui veut dire jadis est un piège de seins fanés voyageur nain dans le wagon géant entends tourner le long disque des roues sur l'aiguille du rail Danse chante pense ou pleure au rythme de la matière selon ta nocturne et profonde nature et tu verras bientôt dans le disque lunaire plus belle que Phryné une femme faisant l'amour avec le grand aventurier de marbre noir Sur la hampe de la mort il y a un calice d'or où boit l'hirondelle de sel Le temps est Temps Le grand rideau de la mémoire s'est déchiré dans le temple du Seul Le ver est dans le fruit le fruit est dans le ventre le ventre est dans le corps le corps est dans le temps le temps est dans l'horloge l'horloge est dans l'attente l'attente est une pincée de tapioca L'univers est un poing fermé qui laisse couler du sable dans un gant de cristal L'univers est un bouchon de liège sur un litre de néant Sur le tillac du cargo fantôme un gentleman en habit noir conduit une brouette de réverbères Vieillir devenir vieux se sentir incapable de signer le moindre crime passionnel Sous un ciel pavé de mauvaises intentions lorsque tu la pousses du pied dans l'abîme reconnais que la terre est ronde pour Louis Van de Spiegele Convenons du signal de la révolution : une femme nue sélective tachée de lumière et de sang tombant en parachute rouge sur la place de la républiqu Un spacieux tombeau d*ardoise où pour tuer l'éternité le mort enraciné dans l'esprit de révolte écrirait à la craie le récit de ses démêlés avec Dieu Dans le mauve violacé pour qui s'éveille dans son ombre il y a des dentelles de sexe bleu un viol inscrit dans un labyrinthe fatal Couleur ô couleur couverte de blessures tu saignes silencieuse et des âmes désespérées s'écoulent de tes plaies tordant en moi leur longue chevelure O couleur je t'aime et je te bois je bois ton sang de lumière panique éclairant ma mémoire d'abîme qui est source métaphysique de la nuit

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    A

    Achille Chavée

    @achilleChavee

    Cristal de vivre J'aurais voulu écrire un livre sur le bonheur de vivre où la joie éclatait en explosions successives où le matin était l'angoisse heureuse d'être où le crépuscule du soir était un apaisant baiser de l'inconnu j'aurais voulu être mangé comme un fruit de lumière être bu comme une tisane de bonté j'aurais voulu vous présenter le merveilleux bouquet de roses sans épines que je n'ai pas trouvé Du temps que j'étais milliardaire un éléphant vêtu de noir près de moi vint s'asseoir en me disant pardon confrère Du temps que j'étais souris blanche je suis sorti de souricière au jour perdu de ma naissance mais je n'ai pas gagné au change Du temps que j'étais hanneton je fus aussi dans la prison de l'allumette et dans celle des horizons Du temps trouvé pour être un homme et pour penser à moi aussi je n'ai cueilli sur l'arbre que la pomme pleine des vers de mon souci à Edouard Faucon O nuit horrible aurore horrible soleil horrible mémoire horrible ô dérisoire identité universelle vacherie Et si le Jésus-Christ est Dieu tant mieux et mieux vaut lui qu'un autre crocodile spirituel Vous le voyez j'ai quelquefois la connerie de croire en des instants d'immense lassitude que je me ferais bien à sa mâchoire ainsi qu'un très petit oiseau du Nil Fusillez-moi je l'autorise Et ne pas faire le dresseur de puces intellectuelles et ne pas oublier lorsque je mange que mon petit chien me regarde et penser quand je fais l'amour que c'est acte de dieu et dévorer le monde en affame de vérité à Armand Simon N'importe quel homme peut bien m'assassiner au tout premier tournant venu et je dirai adieu veaux vaches cochons couvées très calmement ainsi que se prononce le mot dormir dormir dans la voiture du néant traînée par quatre sauterelles sans mémoire chacun sachant ce que parler veut dire Douce maman soyez heureuse auprès de Dieu ne pensez plus à moi je vous en prie oubliez-moi dans l'inconnu dans Pinescamotable aventure de vivre dans son atrocité autorisez que s'accomplissent les derniers pas d'irréparable à Paul Michel Avoir tiré des dizaines de fois à boulets rouges sur son âme son cœur et progresser avec l'imprudence du sage dans les ruines de son propre destin c'est vivre c'est modeler dans l'invisible la matière indissoluble de son noyau c'est graver dans la muraille d'ombre les traits secrets de son dernier visage Hommes vous m'entourez de toutes parts hommes ma bonne volonté vous cerne hommes vous torturez les étendues les façades de l'incidence les oripeaux de la saison les sédiments spirituels hommes je suis en vous à votre insu je suis la belle négation de vos maîtresses prétendues hommes je suis toujours en vous comme un serment de contingence d'étonnante fidélité d'aromatique probité hommes vous ne pourrez jamais m'atteindre que dans le sang que je vous donne à Albert Snchelbaut Un jour viendra sans doute où nous serons en communication avec le monde des insectes avec les termites muets avec les aveugles fourmis Qu'est-ce que parler humain veut dire au fond du gouffre de la pensée ! Et je me vois très bien buvant un bock avec un insecte asexué à la table effrayante de l'éternité Insecte je bois à ta santé à nos bonnes santés interminables Écrire le poème unique qui a plus d'importance que d'être né que d'être encore en vie Écrire le poème unique intraduisible de survie l'ayant porté en soi humainement comme a porté Marie

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    Aimé Césaire

    Aimé Césaire

    @aimeCesaire

    Histoire de vivre Et les collines soulevèrent de leurs épaules grêles, de leurs épaules sans paille, de leurs épaules d'eau jaune, de terre noire, de nénuphar torrentiel, la poitrine trois fois horrible du ciel tenace. C'était l'aube, l'aube ailée d'eau courante, la vraie, la racine de la lune. Et midi arriva. Je m'y accrochai de toutes mes forces à ce midi furieux. Je m'y accrochai avec l'énergie du désespoir. La potiche dans l'étreinte innombrable de la pieuvre, d'avoir senti perler à ses yeux la mélodie prénatale du baobab de mon enfance, sursauta. Et ce n'était que le commencement! La potiche, la natte, la lampe, les pincettes, le mannequin. Je bousculais les frontières. J'avalais les bornes indicatrices. Je mâchais la prohibition. Je suçais, goûtais, à même : plis, corridors, labyrinthes, mon souffle effaçait tout. Je cueillis des algues sur la mer très froidement démontée du microdion. J'embrassai turbines et diatomées - comme le soir les épaves jumelles dans la stupeur des anses. La vie faisait ciel, ou naufrage, à votre guise. Je me laissai couler à pic. Ainsi vint le temps que, depuis, de mes grêles mains, je tâche de ressaisir, le temps de la grande fraternité, de la grande négation de la totale affirmation, le temps de la grande impatience... Des avalanches de méduses crachées du plankton sommaire me gorgeaient à même le sable de ma défaite d'or du sang tiède des lianes de la forêt. Je refis connaissance avec le connu, l'animal, l'eau, l'arbre, la montagne. Je cultivai leurs noms dans le creux de ma main sous-marine. O Sylve des déserts, solitaires pyramides des babils de femmes télescopaient une étoile camouflée des mots d'enfants chevauchaient des mondes dociles Je me réveillai panthère avec de brusques colères et la panique gagna de proche en proche. La très stupide savane de Fort-de-France prit feu à la bougie enfin réveillée de ses palmiers. Des acanthes monstrueuses y parurent, piys disparurent, le temps de sonner à toute volée les cloches brisées de la mer - tocsin - Au rond-point des Trois Flammes dans le sproum du désespoir, des eaux se poignardèrent. L'eau n'était plus l'eau. Le ciel n'était plus le ciel. Le ciel n'était qu'un pavillon de trombone où soufflaient les trente mille chameaux du roi de Gana. Et voici que cette terre plus haut que les mangliers plus haut que les pâmoisons créoles des lucioles bleues se mit à parler de manière solennelle. Et le ciel s'écroula. Le ciel cessa de nous regarder. De ses gros yeux de nasse. De ses gros yeux pédoncules. De ses gros yeux giclant des cacades et des chiques. Ah! vous ne m'empêcherez pas de parler, moi qui fais profession de vous déplaire. Le vent chavira très douces voilures à mes narines bruissantes vos belles correctes pourritures de flics bien descendus dans la touffeur des mornes. Mais qui m'a amené ici ? Quel crime ? Pèlerin... Pèlerin... Lyddite, Cheddite, pèlerin des dynamites Je maudis l'impuissance qui m'immobilise dans le réseau arachnéen des lignes de ma main, car dans les replis d'une cervelle béate se lovent amoureusement trois dents d'ivoire et des yeux caressants. Des éclairs. Des feux. Et ce doux rire de la lumière. Ma vie, elle aussi : Ce train qui s'élance avec la tranquille furie des rivières pierreuses par les journées étincelantes. Fosse aux ours ! Fosse aux ours ! à l'heure sans faute de l'acide carbonique Quoi ! Toujours maudire ! Un midi ténébreux. La tige éblouissante du silence. Les surfaces isolantes disparurent. Fenêtres du marécage fleurissez ah ! fleurissez Sur le coi de la nuit pour Suzanne Césaire de papillons sonores. Amie Nous gonflerons nos voiles océanes, Vers l'élan perdu des pampas et des pierres Et nous chanterons aux basses eaux inépuisablement la chanson de l'aurore. (Tropiques n°4, janvier 1942)

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    Alain Bosquet

    Alain Bosquet

    @alainBosquet

    Je veux vivre longtemps Je suis déçu. Est-ce ainsi qu'on se quitte? Je vous offre un toucan, un mimosa, un corail qui s'effrite, un mystère éloquent que traverse au matin une comète ou un astre étranglé. La métaphore et la fable s'apprêtent à vous interpeller. L'univers en devient plus insolite que ce vieux pangolin sur son rocher. Je ne suis pas l'élite, mais un être malin qui vous ressemble un peu : le doute ronge tant de sincérité. Vivons sans réconfort ; je fais un songe : n'avoir jamais été. Or, la Gartempe soudain m'apostrophe : « Tu dois me célébrer. » Je l'oblige aussitôt ; le philosophe, d'un poème feutré, retrouve enfin sa pente naturelle pour imiter Péguy. À Beaugency je salue la Pucelle, en lui offrant le gui. J'écris mes Fleurs du Mal si roturières et mes Jaunes Amours. Je crois qu'il m'aimerait, Tristan Corbière, si je faisais le sourd devant ce siècle où tout se décompose. Ô planète, va-t'en ! Je ressuscite un bouvreuil, une rose : je veux vivre longtemps.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    La nuit de Mai Poète, prends ton luth et me donne un baiser ; La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore, Le printemps naît ce soir ; les vents vont s’embraser ; Et la bergeronnette, en attendant l’aurore, Aux premiers buissons verts commence à se poser. Poète, prends ton luth, et me donne un baiser. LE POÈTE Comme il fait noir dans la vallée ! J’ai cru qu’une forme voilée Flottait là-bas sur la forêt. Elle sortait de la prairie ; Son pied rasait l’herbe fleurie ; C’est une étrange rêverie ; Elle s’efface et disparaît. LA MUSE Poète, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse, Balance le zéphyr dans son voile odorant. La rose, vierge encor, se referme jalouse Sur le frelon nacré qu’elle enivre en mourant. Écoute ! tout se tait ; songe à ta bien-aimée. Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux. Ce soir, tout va fleurir : l’immortelle nature Se remplit de parfums, d’amour et de murmure, Comme le lit joyeux de deux jeunes époux. LE POÈTE Pourquoi mon coeur bat-il si vite ? Qu’ai-je donc en moi qui s’agite Dont je me sens épouvanté ? Ne frappe-t-on pas à ma porte ? Pourquoi ma lampe à demi morte M’éblouit-elle de clarté ? Dieu puissant ! tout mon corps frissonne. Qui vient ? qui m’appelle ? – Personne. Je suis seul ; c’est l’heure qui sonne ; Ô solitude ! ô pauvreté ! LA MUSE Poète, prends ton luth ; le vin de la jeunesse Fermente cette nuit dans les veines de Dieu. Mon sein est inquiet ; la volupté l’oppresse, Et les vents altérés m’ont mis la lèvre en feu. Ô paresseux enfant ! regarde, je suis belle. Notre premier baiser, ne t’en souviens-tu pas, Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile, Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ? Ah ! je t’ai consolé d’une amère souffrance ! Hélas ! bien jeune encor, tu te mourais d’amour. Console-moi ce soir, je me meurs d’espérance ; J’ai besoin de prier pour vivre jusqu’au jour. LE POÈTE Est-ce toi dont la voix m’appelle, Ô ma pauvre Muse ! est-ce toi ? Ô ma fleur ! ô mon immortelle ! Seul être pudique et fidèle Où vive encor l’amour de moi ! Oui, te voilà, c’est toi, ma blonde, C’est toi, ma maîtresse et ma soeur ! Et je sens, dans la nuit profonde, De ta robe d’or qui m’inonde Les rayons glisser dans mon coeur. LA MUSE Poète, prends ton luth ; c’est moi, ton immortelle, Qui t’ai vu cette nuit triste et silencieux, Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle, Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux. Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire Te ronge, quelque chose a gémi dans ton coeur ; Quelque amour t’est venu, comme on en voit sur terre, Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur. Viens, chantons devant Dieu ; chantons dans tes pensées, Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées ; Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu, Éveillons au hasard les échos de ta vie, Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie, Et que ce soit un rêve, et le premier venu. Inventons quelque part des lieux où l’on oublie ; Partons, nous sommes seuls, l’univers est à nous. Voici la verte Écosse et la brune Italie, Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux, Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes, Et Messa la divine, agréable aux colombes, Et le front chevelu du Pélion changeant ; Et le bleu Titarèse, et le golfe d’argent Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire, La blanche Oloossone à la blanche Camyre. Dis-moi, quel songe d’or nos chants vont-ils bercer ? D’où vont venir les pleurs que nous allons verser ? Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière, Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet, Secouait des lilas dans sa robe légère, Et te contait tout bas les amours qu’il rêvait ? Chanterons-nous l’espoir, la tristesse ou la joie ? Tremperons-nous de sang les bataillons d’acier ? Suspendrons-nous l’amant sur l’échelle de soie ? Jetterons-nous au vent l’écume du coursier ? Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre De la maison céleste, allume nuit et jour L’huile sainte de vie et d’éternel amour ? Crierons-nous à Tarquin :  » Il est temps, voici l’ombre ! «  Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ? Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers ? Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie ? Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ? La biche le regarde ; elle pleure et supplie ; Sa bruyère l’attend ; ses faons sont nouveau-nés ; Il se baisse, il l’égorge, il jette à la curée Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant. Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée, S’en allant à la messe, un page la suivant, Et d’un regard distrait, à côté de sa mère, Sur sa lèvre entr’ouverte oubliant sa prière ? Elle écoute en tremblant, dans l’écho du pilier, Résonner l’éperon d’un hardi cavalier. Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France De monter tout armés aux créneaux de leurs tours, Et de ressusciter la naïve romance Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours ? Vêtirons-nous de blanc une molle élégie ? L’homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie, Et ce qu’il a fauché du troupeau des humains Avant que l’envoyé de la nuit éternelle Vînt sur son tertre vert l’abattre d’un coup d’aile, Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains ? Clouerons-nous au poteau d’une satire altière Le nom sept fois vendu d’un pâle pamphlétaire, Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli, S’en vient, tout grelottant d’envie et d’impuissance, Sur le front du génie insulter l’espérance, Et mordre le laurier que son souffle a sali ? Prends ton luth ! prends ton luth ! je ne peux plus me taire ; Mon aile me soulève au souffle du printemps. Le vent va m’emporter ; je vais quitter la terre. Une larme de toi ! Dieu m’écoute ; il est temps. LE POÈTE S’il ne te faut, ma soeur chérie, Qu’un baiser d’une lèvre amie Et qu’une larme de mes yeux, Je te les donnerai sans peine ; De nos amours qu’il te souvienne, Si tu remontes dans les cieux. Je ne chante ni l’espérance, Ni la gloire, ni le bonheur, Hélas ! pas même la souffrance. La bouche garde le silence Pour écouter parler le coeur. LA MUSE Crois-tu donc que je sois comme le vent d’automne, Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau, Et pour qui la douleur n’est qu’une goutte d’eau ? Ô poète ! un baiser, c’est moi qui te le donne. L’herbe que je voulais arracher de ce lieu, C’est ton oisiveté ; ta douleur est à Dieu. Quel que soit le souci que ta jeunesse endure, Laisse-la s’élargir, cette sainte blessure Que les noirs séraphins t’ont faite au fond du coeur : Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur. Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète, Que ta voix ici-bas doive rester muette. Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage, Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux, Ses petits affamés courent sur le rivage En le voyant au loin s’abattre sur les eaux. Déjà, croyant saisir et partager leur proie, Ils courent à leur père avec des cris de joie En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux. Lui, gagnant à pas lents une roche élevée, De son aile pendante abritant sa couvée, Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux. Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ; En vain il a des mers fouillé la profondeur ; L’Océan était vide et la plage déserte ; Pour toute nourriture il apporte son coeur. Sombre et silencieux, étendu sur la pierre Partageant à ses fils ses entrailles de père, Dans son amour sublime il berce sa douleur, Et, regardant couler sa sanglante mamelle, Sur son festin de mort il s’affaisse et chancelle, Ivre de volupté, de tendresse et d’horreur. Mais parfois, au milieu du divin sacrifice, Fatigué de mourir dans un trop long supplice, Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ; Alors il se soulève, ouvre son aile au vent, Et, se frappant le coeur avec un cri sauvage, Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu, Que les oiseaux des mers désertent le rivage, Et que le voyageur attardé sur la plage, Sentant passer la mort, se recommande à Dieu. Poète, c’est ainsi que font les grands poètes. Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps ; Mais les festins humains qu’ils servent à leurs fêtes Ressemblent la plupart à ceux des pélicans. Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées, De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur, Ce n’est pas un concert à dilater le coeur. Leurs déclamations sont comme des épées : Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant, Mais il y pend toujours quelque goutte de sang. LE POÈTE Ô Muse ! spectre insatiable, Ne m’en demande pas si long. L’homme n’écrit rien sur le sable À l’heure où passe l’aquilon. J’ai vu le temps où ma jeunesse Sur mes lèvres était sans cesse Prête à chanter comme un oiseau ; Mais j’ai souffert un dur martyre, Et le moins que j’en pourrais dire, Si je l’essayais sur ma lyre, La briserait comme un roseau.

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    Alfred de Vigny

    Alfred de Vigny

    @alfredDeVigny

    La mort du loup I Les nuages couraient sur la lune enflammée Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée, Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon. Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon, Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes, Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes, Nous avons aperçu les grands ongles marqués Par les loups voyageurs que nous avions traqués. Nous avons écouté, retenant notre haleine Et le pas suspendu. - Ni le bois, ni la plaine Ne poussait un soupir dans les airs ; Seulement La girouette en deuil criait au firmament ; Car le vent élevé bien au dessus des terres, N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires, Et les chênes d'en-bas, contre les rocs penchés, Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés. Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête, Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête A regardé le sable en s'y couchant ; Bientôt, Lui que jamais ici on ne vit en défaut, A déclaré tout bas que ces marques récentes Annonçaient la démarche et les griffes puissantes De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux. Nous avons tous alors préparé nos couteaux, Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches, Nous allions pas à pas en écartant les branches. Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient, J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient, Et je vois au delà quatre formes légères Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères, Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux, Quand le maître revient, les lévriers joyeux. Leur forme était semblable et semblable la danse ; Mais les enfants du loup se jouaient en silence, Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi, Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi. Le père était debout, et plus loin, contre un arbre, Sa louve reposait comme celle de marbre Qu'adoraient les romains, et dont les flancs velus Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus. Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées. Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris, Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ; Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante, Du chien le plus hardi la gorge pantelante Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer, Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles, Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles, Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé, Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé. Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde. Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde, Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ; Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant. Il nous regarde encore, ensuite il se recouche, Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche, Et, sans daigner savoir comment il a péri, Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

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    Alphonse de Lamartine

    Alphonse de Lamartine

    @alphonseDeLamartine

    Pensée des morts Voilà les feuilles sans sève Qui tombent sur le gazon, Voilà le vent qui s’élève Et gémit dans le vallon, Voilà l’errante hirondelle . Qui rase du bout de l’aile : L’eau dormante des marais, Voilà l’enfant des chaumières Qui glane sur les bruyères Le bois tombé des forêts. L’onde n’a plus le murmure , Dont elle enchantait les bois ; Sous des rameaux sans verdure. Les oiseaux n’ont plus de voix ; Le soir est près de l’aurore, L’astre à peine vient d’éclore Qu’il va terminer son tour, Il jette par intervalle Une heure de clarté pâle Qu’on appelle encore un jour. L’aube n’a plus de zéphire Sous ses nuages dorés, La pourpre du soir expire Sur les flots décolorés, La mer solitaire et vide N’est plus qu’un désert aride Où l’oeil cherche en vain l’esquif, Et sur la grève plus sourde La vague orageuse et lourde N’a qu’un murmure plaintif. La brebis sur les collines Ne trouve plus le gazon, Son agneau laisse aux épines Les débris de sa toison, La flûte aux accords champêtres Ne réjouit plus les hêtres Des airs de joie ou d’amour, Toute herbe aux champs est glanée : Ainsi finit une année, Ainsi finissent nos jours ! C’est la saison où tout tombe Aux coups redoublés des vents ; Un vent qui vient de la tombe Moissonne aussi les vivants : Ils tombent alors par mille, Comme la plume inutile Que l’aigle abandonne aux airs, Lorsque des plumes nouvelles Viennent réchauffer ses ailes A l’approche des hivers. C’est alors que ma paupière Vous vit pâlir et mourir, Tendres fruits qu’à la lumière Dieu n’a pas laissé mûrir ! Quoique jeune sur la terre, Je suis déjà solitaire Parmi ceux de ma saison, Et quand je dis en moi-même : Où sont ceux que ton coeur aime ? Je regarde le gazon. Leur tombe est sur la colline, Mon pied la sait ; la voilà ! Mais leur essence divine, Mais eux, Seigneur, sont-ils là ? Jusqu’à l’indien rivage Le ramier porte un message Qu’il rapporte à nos climats ; La voile passe et repasse, Mais de son étroit espace Leur âme ne revient pas. Ah ! quand les vents de l’automne Sifflent dans les rameaux morts, Quand le brin d’herbe frissonne, Quand le pin rend ses accords, Quand la cloche des ténèbres Balance ses glas funèbres, La nuit, à travers les bois, A chaque vent qui s’élève, A chaque flot sur la grève, Je dis : N’es-tu pas leur voix? Du moins si leur voix si pure Est trop vague pour nos sens, Leur âme en secret murmure De plus intimes accents ; Au fond des coeurs qui sommeillent, Leurs souvenirs qui s’éveillent Se pressent de tous côtés, Comme d’arides feuillages Que rapportent les orages Au tronc qui les a portés ! C’est une mère ravie A ses enfants dispersés, Qui leur tend de l’autre vie Ces bras qui les ont bercés ; Des baisers sont sur sa bouche, Sur ce sein qui fut leur couche Son coeur les rappelle à soi ; Des pleurs voilent son sourire, Et son regard semble dire : Vous aime-t-on comme moi ? C’est une jeune fiancée Qui, le front ceint du bandeau, N’emporta qu’une pensée De sa jeunesse au tombeau ; Triste, hélas ! dans le ciel même, Pour revoir celui qu’elle aime Elle revient sur ses pas, Et lui dit : Ma tombe est verte ! Sur cette terre déserte Qu’attends-tu ? Je n’y suis pas ! C’est un ami de l’enfance, Qu’aux jours sombres du malheur Nous prêta la Providence Pour appuyer notre cœur ; Il n’est plus ; notre âme est veuve, Il nous suit dans notre épreuve Et nous dit avec pitié : Ami, si ton âme est pleine, De ta joie ou de ta peine Qui portera la moitié ? C’est l’ombre pâle d’un père Qui mourut en nous nommant ; C’est une soeur, c’est un frère, Qui nous devance un moment ; Sous notre heureuse demeure, Avec celui qui les pleure, Hélas ! ils dormaient hier ! Et notre coeur doute encore, Que le ver déjà dévore Cette chair de notre chair ! L’enfant dont la mort cruelle Vient de vider le berceau, Qui tomba de la mamelle Au lit glacé du tombeau ; Tous ceux enfin dont la vie Un jour ou l’autre ravie, Emporte une part de nous, Murmurent sous la poussière : Vous qui voyez la lumière, Vous souvenez-vous de nous ? Ah ! vous pleurer est le bonheur suprême Mânes chéris de quiconque a des pleurs ! Vous oublier c’est s’oublier soi-même : N’êtes-vous pas un débris de nos coeurs ? En avançant dans notre obscur voyage, Du doux passé l’horizon est plus beau, En deux moitiés notre âme se partage, Et la meilleure appartient au tombeau ! Dieu du pardon ! leur Dieu ! Dieu de leurs pères ! Toi que leur bouche a si souvent nommé ! Entends pour eux les larmes de leurs frères ! Prions pour eux, nous qu’ils ont tant aimé ! Ils t’ont prié pendant leur courte vie, Ils ont souri quand tu les as frappés ! Ils ont crié : Que ta main soit bénie ! Dieu, tout espoir ! les aurais-tu trompés ? Et cependant pourquoi ce long silence ? Nous auraient-ils oubliés sans retour ? N’aiment-ils plus ? Ah ! ce doute t’offense ! Et toi, mon Dieu, n’es-tu pas tout amour ? Mais, s’ils parlaient à l’ami qui les pleure, S’ils nous disaient comment ils sont heureux, De tes desseins nous devancerions l’heure, Avant ton jour nous volerions vers eux. Où vivent-ils ? Quel astre, à leur paupière Répand un jour plus durable et plus doux ? Vont-ils peupler ces îles de lumière ? Ou planent-ils entre le ciel et nous ? Sont-ils noyés dans l’éternelle flamme ? Ont-ils perdu ces doux noms d’ici-bas, Ces noms de soeur et d’amante et de femme ? A ces appels ne répondront-ils pas ? Non, non, mon Dieu, si la céleste gloire Leur eût ravi tout souvenir humain, Tu nous aurais enlevé leur mémoire ; Nos pleurs sur eux couleraient-ils en vain ? Ah ! dans ton sein que leur âme se noie ! Mais garde-nous nos places dans leur cœur ; Eux qui jadis ont goûté notre joie, Pouvons-nous être heureux sans leur bonheur ? Etends sur eux la main de ta clémence, Ils ont péché; mais le ciel est un don ! Ils ont souffert; c’est une autre innocence ! Ils ont aimé; c’est le sceau du pardon ! Ils furent ce que nous sommes, Poussière, jouet du vent ! Fragiles comme des hommes, Faibles comme le néant ! Si leurs pieds souvent glissèrent, Si leurs lèvres transgressèrent Quelque lettre de ta loi, Ô Père! ô juge suprême ! Ah ! ne les vois pas eux-mêmes, Ne regarde en eux que toi ! Si tu scrutes la poussière, Elle s’enfuit à ta voix ! Si tu touches la lumière, Elle ternira tes doigts ! Si ton oeil divin les sonde, Les colonnes de ce monde Et des cieux chancelleront : Si tu dis à l’innocence : Monte et plaide en ma présence ! Tes vertus se voileront. Mais toi, Seigneur, tu possèdes Ta propre immortalité ! Tout le bonheur que tu cèdes Accroît ta félicité ! Tu dis au soleil d’éclore, Et le jour ruisselle encore ! Tu dis au temps d’enfanter, Et l’éternité docile, Jetant les siècles par mille, Les répand sans les compter ! Les mondes que tu répares Devant toi vont rajeunir, Et jamais tu ne sépares Le passé de l’avenir ; Tu vis ! et tu vis ! les âges, Inégaux pour tes ouvrages, Sont tous égaux sous ta main ; Et jamais ta voix ne nomme, Hélas ! ces trois mots de l’homme : Hier, aujourd’hui, demain ! Ô Père de la nature, Source, abîme de tout bien, Rien à toi ne se mesure, Ah ! ne te mesure à rien ! Mets, à divine clémence, Mets ton poids dans la balance, Si tu pèses le néant ! Triomphe, à vertu suprême ! En te contemplant toi-même, Triomphe en nous pardonnant !

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    André Suarès

    André Suarès

    @andreSuares

    Âme de la nuit Mol et sans voix, le couperet de l’ombre descend du ciel et le jour tombe, la face contre terre, dans le fatal étang ; et les yeux s’enfoncent dans la fosse. Long crépuscule.

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    Andrée Chedid

    Andrée Chedid

    @andreeChedid

    Escorte la Vie Vie - éclair que la nôtre Proche et déjà perdue Dans les strates du corps Sur les degrés du rêve Fourmilière d'instants Perpétuité rompue Vie - mère qui nous engrène Vie - code qui nous façonne Puis nous démonte pour subsister

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    Anna de Noailles

    Anna de Noailles

    @annaDeNoailles

    L'innocence Si tu veux nous ferons notre maison si belle Que nous y resterons les étés et l'hiver ! Nous verrons alentour fluer l'eau qui dégèle, Et les arbres jaunis y redevenir verts. Les jours harmonieux et les saisons heureuses Passeront sur le bord lumineux du chemin, Comme de beaux enfants dont les bandes rieuses S'enlacent en jouant et se tiennent les mains. Un rosier montera devant notre fenêtre Pour baptiser le jour de rosée et d'odeur ; Les dociles troupeaux, qu'un enfant mène paître, Répandront sur les champs leur paisible candeur. Le frivole soleil et la lune pensive Qui s'enroulent au tronc lisse des peupliers Refléteront en nous leur âme lasse ou vive Selon les clairs midis et les soirs familiers. Nous ferons notre coeur si simple et si crédule Que les esprits charmants des contes d'autrefois Reviendront habiter dans les vieilles pendules Avec des airs secrets, affairés et courtois. Pendant les soirs d'hiver, pour mieux sentir la flamme, Nous tâcherons d'avoir un peu froid tous les deux, Et de grandes clartés nous danseront dans l'âme À la lueur du bois qui semblera joyeux. Émus de la douceur que le printemps apporte, Nous ferons en avril des rêves plus troublants. — Et l'Amour sagement jouera sur notre porte Et comptera les jours avec des cailloux blancs...

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    Anna de Noailles

    Anna de Noailles

    @annaDeNoailles

    La vie profonde Être dans la nature ainsi qu'un arbre humain, Étendre ses désirs comme un profond feuillage, Et sentir, par la nuit paisible et par l'orage, La sève universelle affluer dans ses mains. Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face, Boire le sel ardent des embruns et des pleurs, Et goûter chaudement la joie et la douleur Qui font une buée humaine dans l'espace. Sentir, dans son cœur vif, l'air, le feu et le sang Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre ; — S'élever au réel et pencher au mystère, Être le jour qui monte et l'ombre qui descend. Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise, Laisser du cœur vermeil couler la flamme et l'eau, Et comme l'aube claire appuyée au coteau Avoir l'âme qui rêve, au bord du monde assise...

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    Anna de Noailles

    Anna de Noailles

    @annaDeNoailles

    Le temps de vivre Déjà la vie ardente incline vers le soir, Respire ta jeunesse, Le temps est court qui va de la vigne au pressoir, De l'aube au jour qui baisse, Garde ton âme ouverte aux parfums d'alentour, Aux mouvements de l'onde, Aime l'effort, l'espoir, l'orgueil, aime l'amour, C'est la chose profonde ; Combien s'en sont allés de tous les cœurs vivants Au séjour solitaire Sans avoir bu le miel ni respiré le vent Des matins de la terre, Combien s'en sont allés qui ce soir sont pareils Aux racines des ronces, Et qui n'ont pas goûté la vie où le soleil Se déploie et s'enfonce. Ils n'ont pas répandu les essences et l'or Dont leurs mains étaient pleines, Les voici maintenant dans cette ombre où l'on dort Sans rêve et sans haleine ; — Toi, vis, sois innombrable à force de désirs De frissons et d'extase, Penche sur les chemins où l'homme doit servir Ton âme comme un vase, Mêlé aux jeux des jours, presse contre ton sein La vie âpre et farouche ; Que la joie et l'amour chantent comme un essaim D'abeilles sur ta bouche. Et puis regarde fuir, sans regret ni tourment Les rives infidèles, Ayant donné ton cœur et ton consentement À la nuit éternelle.

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    Arsène Houssaye

    Arsène Houssaye

    @arseneHoussaye

    Le chemin de la vie La vie est le chemin de la mort. Le chemin N'est d'abord qu'un sentier fuyant par la prairie, Où la mère conduit son enfant par la main, En priant la Vierge Marie. Aux abords du vallon, le sentier des enfants Passe dans un jardin. Rêveur et solitaire, L'adolescent effeuille et jette à tous les vents Les roses blanches du parterre. Quand l'amoureux s'égare en ce bosquet charmant, Il voit s'évanouir ses chimères lointaines, Et le démon du mal l'entraîne indolemment Au bord des impures fontaines. Plus loin, c'est l'arbre noir — détourne-toi toujours, L'arbre de la science où flottent les mensonges : Garde que ses rameaux ne voilent tes beaux jours, Et n'effarouchent tes beaux songes. En quittant le jardin, la fleur et la chanson, La Jeunesse et l'Amour qui s'endorment sur l'herbe, Le voyageur aborde au champ de la moisson, Où son bras étreint une gerbe. De sa moisson il va bientôt se reposer Sur la blonde colline où les raisins mûrissent ; Pour la coupe enivrante il retrouve un baiser À ses lèvres qui se flétrissent. Plus loin, c'est le désert, le désert nébuleux, Parsemé de cyprès et de bouquets funèbres ; Enfin, c'est la montagne aux rochers anguleux, D'où vont descendre les ténèbres. Pour la gravir, passant, Dieu te laissera seul. Un ami te restait, mais le voilà qui tombe ; Adieu ; l'oubli de tous t'a couvert du linceul, Et tes enfants creusent ta tombe ! Ô pauvre pèlerin ! il s'arrête en montant ; Et, se voyant si loin du sentier où sa mère L'endormait tous les soirs sur son sein palpitant, Il essuie une larme amère. Se voyant loin de vous, paradis regrettés, Dans un doux souvenir son cœur se réfugie : Se voyant loin de vous, ô jeunes voluptés ! Il chante une vieille élégie. En vain il tend les bras vers la belle saison, Il jette des sanglots au vent d'hiver qui brame ; Il a vu près de lui le dernier horizon, Déjà Dieu rappelle son âme. Quand il s'est épuisé dans le mauvais chemin, Quand ses pieds ont laissé du sang à chaque pierre, La mort passe à propos pour lui tendre la main Et pour lui clore la paupière.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Ma bohème Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ; Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées ! Mon unique culotte avait un large trou. – Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. – Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou Et je les écoutais, assis au bord des routes, Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ; Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, Comme des lyres, je tirais les élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !

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    C

    Caroline Baucher

    @carolineBaucher

    L'air du temps Le temps est parti se promener, il est parti en plein air piquer une tête dans les courantS d’ère. ce fleuve tumultueux, insaisissable, dans lequel on ne se baignerait jamais deux fois. Le coeur est parti prendre l’air du temps Les sensations passées : Il est maintenant et ailleurs. L’aire de jeu du temps est la musique ce doux air de musique se souvient du bon vieux temps il a un air de famille avec le présent. Le temps prend ces grands airs : celui des espoirs futurs : le temps nous fait souvent des promesses en l’air La promesse de temps meilleurs Il me tourne la tête ; il ne change pourtant pas si souvent d’ère : le temps erre entre les ages. Parfois, le vent ne porte plus le temps : j’ai oublié. Le vent est parti prendre l’air : notre coeur, est parti porté par le vent. Le temps à eu vent de nos émotions passées, il nous souffle cet air : c’est la bise du temps ; mais parfois le vent brise le temps : le temps n'est pas arrivé à temps : il est à bout de souffle.

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    L'homme et la mer Homme libre, toujours tu chériras la mer ! La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme Dans le déroulement infini de sa lame, Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer. Tu te plais à plonger au sein de ton image ; Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur Se distrait quelquefois de sa propre rumeur Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage. Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets : Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ; Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes, Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets ! Et cependant voilà des siècles innombrables Que vous vous combattez sans pitié ni remord, Tellement vous aimez le carnage et la mort, Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    L'ennemi Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage, Traversé çà et là par de brillants soleils ; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils. Voilà que j'ai touché l'automne des idées, Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux Pour rassembler à neuf les terres inondées, Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux. Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? - Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie, Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    L'examen de minuit La pendule, sonnant minuit, Ironiquement nous engage A nous rappeler quel usage Nous fîmes du jour qui s'enfuit : - Aujourd'hui, date fatidique, Vendredi, treize, nous avons, Malgré tout ce que nous savons, Mené le train d'un hérétique ; Nous avons blasphémé Jésus, Des Dieux le plus incontestable ! Comme un parasite à la table De quelque monstrueux Crésus, Nous avons, pour plaire à la brute, Digne vassale des Démons, Insulté ce que nous aimons Et flatté ce qui nous rebute ;

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Le voyage A Maxime Du Camp. I Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes, L’univers est égal à son vaste appétit. Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes ! Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme, Le coeur gros de rancune et de désirs amers, Et nous allons, suivant le rythme de la lame, Berçant notre infini sur le fini des mers : Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ; D’autres, l’horreur de leurs berceaux, et quelques-uns, Astrologues noyés dans les yeux d’une femme, La Circé tyrannique aux dangereux parfums. Pour n’être pas changés en bêtes, ils s’enivrent D’espace et de lumière et de cieux embrasés ; La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent, Effacent lentement la marque des baisers. Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons, De leur fatalité jamais ils ne s’écartent, Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons ! Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues, Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon, De vastes voluptés, changeantes, inconnues, Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom ! II Nous imitons, horreur ! la toupie et la boule Dans leur valse et leurs bonds ; même dans nos sommeils La Curiosité nous tourmente et nous roule, Comme un Ange cruel qui fouette des soleils. Singulière fortune où le but se déplace, Et, n’étant nulle part, peut être n’importe où ! Où l’homme, dont jamais l’espérance n’est lasse, Pour trouver le repos court toujours comme un fou ! Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ; Une voix retentit sur le pont :  » Ouvre l’oeil !  » Une voix de la hune, ardente et folle, crie .  » Amour… gloire… bonheur !  » Enfer ! c’est un écueil ! Chaque îlot signalé par l’homme de vigie Est un Eldorado promis par le Destin ; L’Imagination qui dresse son orgie Ne trouve qu’un récif aux clartés du matin. Ô le Pauvre amoureux des pays chimériques ! Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer, Ce matelot ivrogne, inventeur d’Amériques Dont le mirage rend le gouffre plus amer ? Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue, Rêve, le nez en l’air, de brillants paradis ; Son oeil ensorcelé découvre une Capoue Partout où la chandelle illumine un taudis. III Etonnants voyageurs ! quelles nobles histoires Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers ! Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires, Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers. Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile ! Faites, pour égayer l’ennui de nos prisons, Passer sur nos esprits, tendus comme une toile, Vos souvenirs avec leurs cadres d’horizons. Dites, qu’avez-vous vu ? IV  » Nous avons vu des astres Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ; Et, malgré bien des chocs et d’imprévus désastres, Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici. La gloire du soleil sur la mer violette, La gloire des cités dans le soleil couchant, Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète De plonger dans un ciel au reflet alléchant. Les plus riches cités, les plus grands paysages, Jamais ne contenaient l’attrait mystérieux De ceux que le hasard fait avec les nuages. Et toujours le désir nous rendait soucieux ! – La jouissance ajoute au désir de la force. Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais, Cependant que grossit et durcit ton écorce, Tes branches veulent voir le soleil de plus près ! Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace Que le cyprès ? – Pourtant nous avons, avec soin, Cueilli quelques croquis pour votre album vorace, Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin ! Nous avons salué des idoles à trompe ; Des trônes constellés de joyaux lumineux ; Des palais ouvragés dont la féerique pompe Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ;  » Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ; Des femmes dont les dents et les ongles sont teints, Et des jongleurs savants que le serpent caresse.  » V Et puis, et puis encore ? VI  » Ô cerveaux enfantins ! Pour ne pas oublier la chose capitale, Nous avons vu partout, et sans l’avoir cherché, Du haut jusques en bas de l’échelle fatale, Le spectacle ennuyeux de l’immortel péché La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide, Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoût ; L’homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide, Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égout ; Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ; La fête qu’assaisonne et parfume le sang ; Le poison du pouvoir énervant le despote, Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ; Plusieurs religions semblables à la nôtre, Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté, Comme en un lit de plume un délicat se vautre, Dans les clous et le crin cherchant la volupté ; L’Humanité bavarde, ivre de son génie, Et, folle maintenant comme elle était jadis, Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :  » Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis !  » Et les moins sots, hardis amants de la Démence, Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin, Et se réfugiant dans l’opium immense ! – Tel est du globe entier l’éternel bulletin.  » VII Amer savoir, celui qu’on tire du voyage ! Le monde, monotone et petit, aujourd’hui, Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui ! Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ; Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste, Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit, Comme le Juif errant et comme les apôtres, A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau, Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d’autres Qui savent le tuer sans quitter leur berceau. Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine, Nous pourrons espérer et crier : En avant ! De même qu’autrefois nous partions pour la Chine, Les yeux fixés au large et les cheveux au vent, Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres Avec le coeur joyeux d’un jeune passager. Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres, Qui chantent :  » Par ici ! vous qui voulez manger Le Lotus parfumé ! c’est ici qu’on vendange Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim ; Venez vous enivrer de la douceur étrange De cette après-midi qui n’a jamais de fin ?  » A l’accent familier nous devinons le spectre ; Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.  » Pour rafraîchir ton coeur nage vers ton Electre !  » Dit celle dont jadis nous baisions les genoux. VIII Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre ! Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons ! Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre, Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons ! Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte ! Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Les petites vieilles I. Dans les plis sinueux des vieilles capitales, Où tout, même l'horreur, tourne aux enchantements, Je guette, obéissant à mes humeurs fatales Des êtres singuliers, décrépits et charmants. Ces monstres disloqués furent jadis des femmes, Éponine ou Laïs ! Monstres brisés, bossus Ou tordus, aimons-les ! ce sont encor des âmes. Sous des jupons troués et sous de froids tissus Ils rampent, flagellés par les bises iniques, Frémissant au fracas roulant des omnibus, Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques, Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus ; Ils trottent, tout pareils à des marionnettes ; Se traînent, comme font les animaux blessés, Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes Où se pend un Démon sans pitié ! Tout cassés

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    Charles Baudelaire

    Charles Baudelaire

    @charlesBaudelaire

    Une charogne Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme, Ce beau matin d'été si doux : Au détour d'un sentier une charogne infâme Sur un lit semé de cailloux, Les jambes en l'air, comme une femme lubrique, Brûlante et suant les poisons, Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d'exhalaisons. Le soleil rayonnait sur cette pourriture, Comme afin de la cuire à point, Et de rendre au centuple à la grande Nature Tout ce qu'ensemble elle avait joint ; Et le ciel regardait la carcasse superbe Comme une fleur s'épanouir. La puanteur était si forte, que sur l'herbe Vous crûtes vous évanouir.

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    Charles Cros

    Charles Cros

    @charlesCros

    La vie idéale Une salle avec du feu, des bougies, Des soupers toujours servis, des guitares, Des fleurets, des fleurs, tous les tabacs rares, Où l'on causerait pourtant sans orgies. Au printemps lilas, roses et muguets, En été jasmins, oeillets et tilleuls Rempliraient la nuit du grand parc où, seuls Parfois, les rêveurs fuiraient les bruits gais. Les hommes seraient tous de bonne race, Dompteurs familiers des Muses hautaines, Et les femmes, sans cancans et sans haines, Illumineraient les soirs de leur grâce. Et l'on songerait, parmi ces parfums De bras, d'éventails, de fleurs, de peignoirs, De fins cheveux blonds, de lourds cheveux noirs, Aux pays lointains, aux siècles défunts.

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    Charles-Augustin Sainte-Beuve

    Charles-Augustin Sainte-Beuve

    @charlesAugustinSainteBeuve

    Oh ! que la vie est longue À Madame Victor Hugo Notre bonheur n'est qu'un malheur plus ou moins consolé. Jean-François Ducis. Oh ! que la vie est longue aux longs jours de l'été, Et que le temps y pèse à mon cœur attristé ! Lorsque midi surtout a versé sa lumière, Que ce n'est que chaleur et soleil et poussière ; Quand il n'est plus matin et que j'attends le soir, Vers trois heures, souvent, j'aime à vous aller voir ; Et là vous trouvant seule, ô mère et chaste épouse ! Et vos enfants au loin épars sur la pelouse, Et votre époux absent et sorti pour rêver, J'entre pourtant ; et Vous, belle et sans vous lever, Me dites de m'asseoir ; nous causons ; je commence À vous ouvrir mon cœur, ma nuit, mon vide immense, Ma jeunesse déjà dévorée à moitié, Et vous me répondez par des mots d'amitié ; Puis revenant à vous, Vous si noble et si pure, Vous que, dès le berceau, l'amoureuse nature Dans ses secrets desseins avait formée exprès Plus fraîche que la vigne au bord d'un antre frais, Douce comme un parfum et comme une harmonie ; Fleur qui deviez fleurir sous les pas du génie ; Nous parlons de vous-même, et du bonheur humain, Comme une ombre, d'en haut, couvrant votre chemin, De vos enfants bénis que la joie environne, De l'époux votre orgueil, votre illustre couronne ; Et quand vous avez bien de vos félicités Épuisé le récit, alors vous ajoutez Triste, et tournant au ciel votre noire prunelle : « Hélas ! non, il n'est point ici-bas de mortelle Qui se puisse avouer plus heureuse que moi ; Mais à certains moments, et sans savoir pourquoi, Il me prend des accès de soupirs et de larmes ; Et plus autour de moi la vie épand ses charmes, Et plus le monde est beau, plus le feuillage vert, Plus le ciel bleu, l'air pur, le pré de fleurs couvert, Plus mon époux aimant comme au premier bel âge, Plus mes enfants joyeux et courant sous l'ombrage, Plus la brise légère et n'osant soupirer, Plus aussi je me sens ce besoin de pleurer. » C'est que même au-delà des bonheurs qu'on envie Il reste à désirer dans la plus belle vie ; C'est qu'ailleurs et plus loin notre but est marqué ; Qu'à le chercher plus bas on l'a toujours manqué ; C'est qu'ombrage, verdure et fleurs, tout cela tombe, Renaît, meurt pour renaître enfin sur une tombe ; C'est qu'après bien des jours, bien des ans révolus, Ce ciel restera bleu quand nous ne serons plus ; Que ces enfants, objets de si chères tendresses, En vivant oublieront vos pleurs et vos caresses ; Que toute joie est sombre à qui veut la sonder, Et qu'aux plus clairs endroits, et pour trop regarder Le lac d'argent, paisible, au cours insaisissable, On découvre sous l'eau de la boue et du sable. Mais comme au lac profond et sur son limon noir Le ciel se réfléchit, vaste et charmant à voir, Et, déroulant d'en haut la splendeur de ses voiles, Pour décorer l'abîme, y sème les étoiles, Tel dans ce fond obscur de notre humble destin Se révèle l'espoir de l'éternel matin ; Et quand sous l'œil de Dieu l'on s'est mis de bonne heure, Quand on s'est fait une âme où la vertu demeure ; Quand, morts entre nos bras, les parents révérés Tous bas nous ont bénis avec des mots sacrés ; Quand nos enfants, nourris d'une douceur austère, Continueront le bien après nous sur la terre ; Quand un chaste devoir a réglé tous nos pas, Alors on peut encore être heureux ici-bas ; Aux instants de tristesse on peut, d'un œil plus ferme, Envisager la vie et ses biens et leur terme, Et ce grave penser, qui ramène au Seigneur, Soutient l'âme et console au milieu du bonheur. Mai 1829.

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    C

    Christine Lièvre

    @christineLievre

    Désappointé Enfant qui te balances Dans les bribes du vent Sans savoir la froidure Innocent et blessure Enfant regard de lune Craintif de tant de peurs Quêteur de l’imprenable Sous un front batailleur Ô mon preneur d’étoiles Qui fis glisser des larmes Pour première tendresse Dans le chant d’une nuit Fragile et sans mesure Comme un glaçon d’eau pure Epris d’immensité Tu dénonces les pièges Jusqu’à te retrouver Aux premières coulées Du jour tout blond Frêle et désappointé Comme un violon … dans la rosée

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    Clément Marot

    Clément Marot

    @clementMarot

    J'ai grand désir J'ai grand désir D'avoir plaisir D'amour mondaine : Mais c'est grand peine, Car chaque loyal amoureux Au temps présent est malheureux : Et le plus fin Gagne à la fin La grâce pleine.

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    Emily Dickinson

    Emily Dickinson

    @emilyDickinson

    J'ai bu une gorgée de vie J'ai bu une Gorgée de Vie - Savez-vous ce que j'ai payé - Exactement une existence - Le prix, ont-ils dit, du marché. Ils m'ont pesée, grain par grain de Poussière - Ont mis en balance Pellicule contre Pellicule, Puis m'ont donné la valeur de mon Être - Une unique Goutte de Ciel !

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    E

    Esther Granek

    @estherGranek

    Au féminin Vais-je traîner toute ma vie en moi cette sorte de litanie qui ne me laisse point de repos et met ma conscience en morceaux ? Car voyez-vous, quoi que je fasse, toujours quelque chose me tracasse et mes actes les plus louables au fond de moi me crient : coupable ! Coupable je suis, sachez-le. Comment, pourquoi importent peu car mes réponses mille fois reprises sans fin en moi se contredisent. Coupable je suis de telle sorte qu’à y penser toute chose me porte et mes regrets sempiternels me sont punition éternelle. Ainsi donc, n’ayant nulle paix, de moi-même faisant le portrait, je rumine l’énumération de mes actions et inactions… J’adore me prélasser au lit, lisant, me cultivant l’esprit. Mais le remords, comme un démon, sitôt m’insuffle son poison. Alors je m’attèle à la tâche et comme une brute, fais le ménage, mais en même temps je me répète : ma fille, tu seras toujours bête ! Je veux, ai-je raison ou tort ? aussi m’occuper de mon corps pour être épouse désirable d’un effet quelque peu durable. Mais dès qu’à mes soins je m’adonne, une voix perfide me chantonne : tu as raison, ne pense qu’à toi, ils attendront pour le repas ! Alors, retrouvant mes casseroles, échevelée et l’air d’une folle, je me redis dans un sermon : toujours seras-tu une souillon ? Parfois, avide de détente, je me complais à ce qui tente, croyant voler quelques bonnes heures au temps à consacrer ailleurs. Mais au lieu de me réjouir, je ne cherche qu’à troubler ma fête car de mes cent tâches non faites, je me punis comme à plaisir ! Ainsi donc, n’ayant nulle paix… De moi-même faisant le procès…

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    E

    Eustache Deschamps

    @eustacheDeschamps

    Ballade du temps présent Temps de douleur et de tentation Age de pleurs, d’envie et de tourment Temps d’impiété et de damnation Age qui nous mène à la mort Temps plein d’horreur, qui tout fait faussement Age menteur plein d’orgueil et d’envie Temps sans honneur et sans vraie jugement Age en tristesse qui abrège la vie

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    Francis Jammes

    Francis Jammes

    @francisJammes

    Il va neiger Il va neiger dans quelques jours. Je me souviens de l’an dernier. Je me souviens de mes tristesses au coin du feu. Si l’on m’avait demandé : qu’est-ce? J’aurais dit : laissez-moi tranquille. Ce n’est rien. J’ai bien réfléchi, l’année avant, dans ma chambre, pendant que la neige lourde tombait dehors. J’ai réfléchi pour rien. À présent comme alors je fume une pipe en bois avec un bout d’ambre. Ma vieille commode en chêne sent toujours bon. Mais moi j’étais bête parce que ces choses ne pouvaient pas changer et que c’est une pose de vouloir chasser les choses que nous savons. Pourquoi donc pensons-nous et parlons-nous? C’est drôle; nos larmes et nos baisers, eux, ne parlent pas et cependant nous les comprenons, et les pas d’un ami sont plus doux que de douces paroles. On a baptisé les étoiles sans penser qu’elles n’avaient pas besoin de nom, et les nombres qui prouvent que les belles comètes dans l’ombre passeront, ne les forceront pas à passer. Et maintenant même, où sont mes vieilles tristesses de l’an dernier? À peine si je m’en souviens. Je dirais : laissez-moi tranquille, ce n’est rien, si dans ma chambre on venait me demander : qu’est-ce?

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