splash screen icon Lenndi
splash screen name leendi

Vie

88 poésies en cours de vérification
Vie

Poésies de la collection vie

    F

    Francis Ponge

    @francisPonge

    La mort a vivre « Nous subissons la chose la plus insupportable qui soit. On cherche à nous couvrir de poux, de larves, de chenilles. On a peuplé l'air de microbes (Pasteur). Il y a maintenant dans l'eau pure à boire et à manger. L'imprimé se multiplie. Et il y a des gens qui trouvent que tout cela ne grouille pas assez, qui font des vers, de la poésie, de la surréalité, qui en rajoutent. Les rêves (il paraît que les rêves méritent d'entrer en danse, qu'il vaut mieux ne pas les oublier). Les réincarnations, les paradis, les enfers, enfin quoi : après la vie, la mort encore à vivre! »

    en cours de vérification

    F

    Francis Vielé Griffin

    @francisVieleGriffin

    Étire-toi, la Vie Étire-toi, la Vie est lasse à ton côté — Qu’elle dorme de l’aube au soir, Belle, lasse Qu’elle dorme — Toi, lève-toi : le rêve appelle et passe Dans l’ombre énorme ; Et, si tu tardes à croire, Je ne sais quel guide il te pourra rester — Le rêve appelle et passe, Vers la divinité. Laisse, ne prends qu’un viatique, Et, de tout cet amour qui double chaque pas, Ne prends que le désir, et va ; Dépêche-toi : Le rêve appelle et passe, Passe — et n’appelle qu’une fois. Marche dans l’ombre, cours ! Est-il un abîme que tu craignes ? Ô hâte-toi !... il est trop tard : La belle Vie en son sommeil d’amour Étend ses doux bras qui t’étreignent — Trop tard ; le rêve appelle et passe, Appelle en vain, Passe et dédaigne... Alors, Étreins la Vie, encore, de baisers lasse, Engendre d’elle un art ; Si tu ne fus vers Dieu, à l’infini, Selon le rêve muet et qui prie, Retourne-toi, étreins la belle Vie ; Immortalise en elle ta seule heure : De ta douleur de mort et de sa joie Procréant quelque Verbe harmonieux Qui te survive et rie et pleure Quand le printemps verdoie Au bois joyeux Du jeune leurre d’amour qu’il faut redire ; Et chante dans la clarté de son sourire...

    en cours de vérification

    F

    François Creteau

    @francoisCreteau

    Je sens la morsure Je sens la morsure d'un démon Mon âme attristée joue avec la confusion Quand je hume des parfums de satisfaction Que m'offre ces visages comme hameçon L'enfer brûle les restes de ma raison Ses morsuures n'ont aucune compassion Pour mon cœur qui ne veut adoration Pour ce mal qui me donne vaine leçon Je récite des prières saines afin de guérir Cette misère qui titille mon grand délire Celui de ne plus voir ces faux sourires à venir Dans un feu d'amour qui ne vous inspire Je ne veux plus être ce docile messire Qui se laisse berner par la vile duplicité ☼ŦC

    en cours de vérification

    F

    François Maynard

    @francoisMaynard

    Mon âme, il faut partir Mon âme, il faut partir. Ma vigueur est passée, Mon dernier jour est dessus l'horizon. Tu crains ta liberté. Quoi ! n'es-tu pas lassée D'avoir souffert soixante ans de prison ? Tes désordres sont grands ; tes vertus sont petites ; Parmi tes maux on trouve peu de bien ; Mais si le bon Jésus te donne ses mérites, Espère tout et n'appréhende rien. Mon âme, repens-toi d'avoir aimé le monde, Et de mes yeux fais la source d'une onde Qui touche de pitié le monarque des rois. Que tu serais courageuse et ravie Si j'avais soupiré, durant toute ma vie, Dans le désert, sous l'ombre de la Croix !

    en cours de vérification

    François Villon

    François Villon

    @francoisVillon

    Quand je considère ces têtes Quand je considère ces têtes Entassées en ces charniers, Tous furent maitres des requêtes, Au moins de la Chambre aux Deniers, Ou tous furent portepaniers : Autant puis l’un que l’autre dire, Car d’évêques ou lanterniers, Je n’y connois rien à redire.

    en cours de vérification

    F

    Frédéric Dubost

    @fredericDubost

    La dernière année Il regarde les secondes s’écouler lentement Bientôt arrivera ce décompte, cet instant unique Ou il attaquera ce qu’il sait, sa dernière année C’est pareil pour d’autres, mais lui il le sait Dans quelques souffles, ils vont tous lui dire Bonne année, bonne santé, plein de bonheur Il va sourire, faire semblant de jouer le jeu C’est la dernière fois qu’il entend ces mots Il n’a rien dit à personne, pourquoi les affoler Il lève sa coupe comme les autres, il trinque Il voudrait que dans quelques mois, ailleurs Ils partagent un autre verre, en parlant de lui. La soirée est terminée, il rentre chez lui à pied Il n’a pas sommeil, il veut profiter de ce froid Sentir dans son corps cette morsure du gel Laisser la neige gifler son visage encore vivant Depuis qu’il sait, il déguste chaque parcelle de vie Regarde ses enfants, l’envie d’imprimer leur image Il voudrait éviter leurs larmes, partir en douceur Il sait qu’ils sont forts, ils apprendront sans lui. Il ne peut le dire à personne. Mais il a peur De ces dernières heures, ou il devine déjà Dans un endroit tout blanc, avant-gout de paradis Que sa main dans le vide cherchera la sienne Il marche dans la nuit…Il disparaît derrière la neige…

    en cours de vérification

    A

    Alexis-Félix Arvers

    @alexisFelixArvers

    La vie Amis, accueillez-moi, j’arrive dans la vie. Dépensons l’existence au gré de notre envie : Vivre, c’est être libre, et pouvoir à loisir Abandonner son âme à l’attrait du plaisir ; C’est chanter, s’enivrer des cieux, des bois, de l’onde, Ou, parmi les tilleuls, suivre une vierge blonde ! — C’est bien là le discours d’un enfant. Écoutez : Vous avez de l’esprit. — Trop bon. — Et méritez Qu’un ami plus mûr vienne, en cette circonstance, D’un utile conseil vous prêter l’assistance. Il ne faut pas se faire illusion ici ; Avant d’être poète, et de livrer ainsi Votre âme à tout le feu de l’ardeur qui l’emporte. Avez-vous de l’argent ? — Que sais-je ?et que m’importe ? — Il importe beaucoup ; et c’est précisément Ce qu’il faut, avant tout, considérer. — Vraiment ? — S’il fut des jours heureux, où la voix des poètes Enchaînait à son gré les nations muettes, Ces jours-là ne sont plus, et depuis bien longtemps : Est-ce un bien, est-ce un mal, je l’ignore, et n’entends Que vous prouver un fait, et vous faire comprendre Que si le monde est tel, tel il faut bien le prendre. Le poète n’est plus l’enfant des immortels, A qui l’homme à genoux élevait des autels ; Ce culte d’un autre âge est perdu dans le nôtre, Et c’est tout simplement un homme comme un autre. Si donc vous n’avez rien, travaillez pour avoir ; Embrassez un état : le tout est de savoir Choisir, et sans jamais regarder en arrière, D’un pas ferme et hardi poursuivre sa carrière. — Et ce monde idéal que je me figurais ! Et ces accents lointains du cor dans les forêts ! Et ce bel avenir, et ces chants d’innocence ! Et ces rêves dorés de mon adolescence ! Et ces lacs, et ces mers, et ces champs émaillés, Et ces grands peupliers, et ces fleurs ! — Travaillez. Apprenez donc un peu, jeune homme, à vous connaître : Vous croyez que l’on n’a que la peine de naître, Et qu’on est ici-bas pour dormir, se lever, Passer, les bras croisés, tout le jour à rêver ; C’est ainsi qu’on se perd, c’est ainsi qu’on végète : Pauvre, inutile à tous, le monde vous rejette : Contre la faim, le froid, on lutte, on se débat Quelque temps, et l’on va mourir sur un grabat. Ce tableau n’est pas gai, ce discours n’est pas tendre. C’est vrai ; mais j’ai voulu vous faire bien entendre, Par amitié pour vous, et dans votre intérêt, Où votre poésie un jour vous conduirait. Cet homme avait raison, au fait : j’ai dû me taire. Je me croyais poète, et me voici notaire. J’ai suivi ses conseils, et j’ai, sans m’effrayer, Subi le lourd fardeau d’une charge à payer. Je dois être content : c’est un très bel office ; C’est magnifique, à part même le bénéfice. On a bonne maison, on reçoit les jeudis ; On a des clercs, qu’on loge en haut, dans un taudis. Il est vrai que l’état n’est pas fort poétique. Et rien n’est positif comme l’acte authentique. Mais il faut pourtant bien se faire une raison, Et tous ces contes bleus ne sont plus de saison : Il faut que le notaire, homme d’exactitude, D’un travail assidu se fasse l’habitude ; Va, malheureux ! et si quelquefois il advient Qu’un riant souvenir d’enfance vous revient, Si vous vous rappelez que la voix des génies Vous berçait, tout petit, de vagues harmonies ; Si, poursuivant encor un bonheur qu’il rêva. L’esprit vers d’autres temps veut se retourner : Va ! Est-ce avec tout cela qu’on mène son affaire ? N’as-tu pas ce matin un testament à faire ? Le client est fort mal, et serait en état, Si tu tardais encor, de mourir intestat. Mais j’ai trente-deux ans accomplis ; à mon âge Il faut songer pourtant à se mettre en ménage ; Il faut faire une fin, tôt ou tard. Dans le temps. J’y songeais bien aussi, quand j’avais dix-huit ans. Je voyais chaque nuit, de la voûte étoilée, Descendre sur ma couche une vierge voilée ; Je la sentais, craintive, et cédant à mes vœux. D’un souffle caressant effleurer mes cheveux ; Et cette vision que j’avais tant rêvée. Sur la terre, une fois, je l’avais retrouvée. Oh ! qui me les rendra ces rapides instants, Et ces illusions d’un amour de vingt ans ! L’automne à la campagne, et ses longues soirées, Les mères, dans un coin du salon retirées, Ces regards pleins de feu, ces gestes si connus, Et ces airs si touchants que j’ai tous retenus ? Tout à coup une voix d’en haut l’a rappelée : Cette vie est si triste ! elle s’en est allée ; Elle a fermé les yeux, sans crainte, sans remords ; Mais pensent-ils encore à nous ceux qui sont morts ? Il s’agit bien ici d’un amour platonique ! Me voici marié : ma femme est fille unique ; Son père est épicier-droguiste retiré, Et riche, qui plus est : je le trouve à mon gré. Il n’est correspondant d’aucune académie. C’est vrai ; mais il est rond, et plein de bonhomie : Et puis j’aime ma femme, et je crois en effet, En demandant sa main, avoir sagement fait. Est-il un sort plus doux, et plus digne d’envie ? On passe, au coin du feu, tranquillement sa vie : On boit, on mange, on dort, et l’on voit arriver Des enfants qu’il faut mettre en nourrice, élever, Puis établir enfin : puis viennent les années, Les rides au visage et les couleurs fanées, Puis les maux, puis la goutte. On vit comme cela Cinquante ou soixante ans, et puis on meurt. Voilà.

    en cours de vérification

    Guillaume Apollinaire

    Guillaume Apollinaire

    @guillaumeApollinaire

    Hôtels La chambre est veuve Chacun pour soi Présence neuve On paye au mois Le patron doute Payera-t-on Je tourne en route Comme un toton Le bruit des fiacres Mon voisin laid Qui fume un âcre Tabac anglais Ô La Vallière Qui boite et rit De mes prières Table de nuit Et tous ensemble Dans cet hôtel Savons la langue Comme à Babel Fermons nos portes À double tour Chacun apporte Son seul amour

    en cours de vérification

    Gérard de Nerval

    Gérard de Nerval

    @gerardDeNerval

    Épitaphe Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet, Tour à tour amoureux insoucieux et tendre, Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre. Un jour il entendit qu'à sa porte on sonnait. C'était la Mort ! Alors il la pria d'attendre Qu'il eût posé le point à son dernier sonnet ; Et puis sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre Au fond du coffre froid où son corps frissonnait. Il était paresseux, à ce que dit l'histoire, Il laissait trop sécher l'encre dans l'écritoire. Il voulait tout savoir mais il n'a rien connu. Et quand vint le moment où, las de cette vie, Un soir d'hiver, enfin l'âme lui fut ravie, Il s'en alla disant : "Pourquoi suis-je venu ?"

    en cours de vérification

    Gérard de Nerval

    Gérard de Nerval

    @gerardDeNerval

    Le point noir Quiconque a regardé le soleil fixement Croit voir devant ses yeux voler obstinément Autour de lui, dans l’air, une tache livide. Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux, Sur la gloire un instant j’osai fixer les yeux : Un point noir est resté dans mon regard avide. Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil, Partout, sur quelque endroit que s’arrête mon oeil, Je la vois se poser aussi, la tache noire ! Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur ! Oh ! c’est que l’aigle seul – malheur à nous, malheur ! Contemple impunément le Soleil et la Gloire.

    en cours de vérification

    Henri-Frédéric Amiel

    Henri-Frédéric Amiel

    @henriFredericAmiel

    La vie intérieure Aux deux extrémités du jour, lorsque la nuit Étend ou retire ses voiles, Quand le rayon douteux qui revient ou s'enfuit Laisse au ciel briller les étoiles, Alors, comme dans l'ombre un vaillant ouvrier S'assied, au labeur faisant trêve, Entre l'heure d'agir et l'heure d'oublier, La Terre se recueille et rêve. — Aux bornes du sommeil, quand enfin l'homme éteint Sa lampe ou déjà la rallume, Dans notre esprit alors notre avenir se peint, Et notre passé se résume ; Revoyant ses désirs, ses peines ou ses torts, L'âme regrette, espère ou pleure ; Et, sur soi repliée et comptant ses trésors, Vit de sa vie intérieure.

    en cours de vérification

    J

    Jean Auvray

    @jeanAuvray

    Contre une vieille importune Furie aux crins retors, exécrable mégère, Qui te fait tant vomir de poison contre moi, Et troubler la beauté qui me donne la loi Des importuns discours de ta langue légère ? Quel démon envieux tous les jours te suggère Les moyens d'ébranler le roc de notre foi ? Penses-tu que la sainte, en qui seule je crois, Soit infidèle autant que tu es mensongère ? Non, non, vieille sorcière, invente si tu veux, Mille charmes nouveaux pour dissoudre les nœuds Dont Cupidon étreint nos amoureuses âmes : Tu feras lors cesser nos honnêtes ébats, Quand tes yeux cesseront d'allumer aux sabbats Dans le sein des démons des impudiques flammes.

    en cours de vérification

    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    La laitière et le pot au lait Perrette sur sa tête ayant un Pot au lait Bien posé sur un coussinet, Prétendait arriver sans encombre à la ville. Légère et court vêtue elle allait à grands pas ; Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile, Cotillon simple, et souliers plats. Notre laitière ainsi troussée Comptait déjà dans sa pensée Tout le prix de son lait, en employait l’argent, Achetait un cent d’oeufs, faisait triple couvée ; La chose allait à bien par son soin diligent. Il m’est, disait-elle, facile, D’élever des poulets autour de ma maison : Le Renard sera bien habile, S’il ne m’en laisse assez pour avoir un cochon. Le porc à s’engraisser coûtera peu de son ; Il était quand je l’eus de grosseur raisonnable : J’aurai le revendant de l’argent bel et bon. Et qui m’empêchera de mettre en notre étable, Vu le prix dont il est, une vache et son veau, Que je verrai sauter au milieu du troupeau ? Perrette là-dessus saute aussi, transportée. Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ; La dame de ces biens, quittant d’un oeil marri Sa fortune ainsi répandue, Va s’excuser à son mari En grand danger d’être battue. Le récit en farce en fut fait ; On l’appela le Pot au lait. Quel esprit ne bat la campagne ? Qui ne fait châteaux en Espagne ? Picrochole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous, Autant les sages que les fous ? Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux : Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes : Tout le bien du monde est à nous, Tous les honneurs, toutes les femmes. Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ; Je m’écarte, je vais détrôner le Sophi ; On m’élit roi, mon peuple m’aime ; Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant : Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ; Je suis gros Jean comme devant.

    en cours de vérification

    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    La mort et le bûcheron Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramée, Sous le faix du fagot aussi bien que des ans Gémissant et courbé marchait à pas pesants, Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée. Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur, Il met bas son fagot, il songe à son malheur. Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ? En est-il un plus pauvre en la machine ronde ? Point de pain quelquefois, et jamais de repos. Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, Le créancier, et la corvée Lui font d'un malheureux la peinture achevée. Il appelle la mort, elle vient sans tarder, Lui demande ce qu'il faut faire C'est, dit-il, afin de m'aider A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère. Le trépas vient tout guérir ; Mais ne bougeons d'où nous sommes. Plutôt souffrir que mourir, C'est la devise des hommes.

    en cours de vérification

    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    La mort et le mourant La Mort ne surprend point le sage ; Il est toujours prêt à partir, S'étant su lui-même avertir Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage. Ce temps, hélas ! embrasse tous les temps : Qu'on le partage en jours, en heures, en moments, Il n'en est point qu'il ne comprenne Dans le fatal tribut ; tous sont de son domaine ; Et le premier instant où les enfants des rois Ouvrent les yeux à la lumière, Est celui qui vient quelquefois Fermer pour toujours leur paupière. Défendez-vous par la grandeur, Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse, La mort ravit tout sans pudeur Un jour le monde entier accroîtra sa richesse. Il n'est rien de moins ignoré, Et puisqu'il faut que je le die, Rien où l'on soit moins préparé. Un mourant qui comptait plus de cent ans de vie, Se plaignait à la Mort que précipitamment Elle le contraignait de partir tout à l'heure, Sans qu'il eût fait son testament, Sans l'avertir au moins. Est-il juste qu'on meure Au pied levé ? dit-il : attendez quelque peu. Ma femme ne veut pas que je parte sans elle ; Il me reste à pourvoir un arrière-neveu ; Souffrez qu'à mon logis j'ajoute encore une aile. Que vous êtes pressante, ô Déesse cruelle ! - Vieillard, lui dit la mort, je ne t'ai point surpris ; Tu te plains sans raison de mon impatience. Eh n'as-tu pas cent ans ? trouve-moi dans Paris Deux mortels aussi vieux, trouve-m'en dix en France. Je devais, ce dis-tu, te donner quelque avis Qui te disposât à la chose : J'aurais trouvé ton testament tout fait, Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait ; Ne te donna-t-on pas des avis quand la cause Du marcher et du mouvement, Quand les esprits, le sentiment, Quand tout faillit en toi ? Plus de goût, plus d'ouïe : Toute chose pour toi semble être évanouie : Pour toi l'astre du jour prend des soins superflus : Tu regrettes des biens qui ne te touchent plus Je t'ai fait voir tes camarades, Ou morts, ou mourants, ou malades. Qu'est-ce que tout cela, qu'un avertissement ? Allons, vieillard, et sans réplique. Il n'importe à la république Que tu fasses ton testament. La mort avait raison. Je voudrais qu'à cet âge On sortît de la vie ainsi que d'un banquet, Remerciant son hôte, et qu'on fit son paquet ; Car de combien peut-on retarder le voyage ? Tu murmures, vieillard ; vois ces jeunes mourir, Vois-les marcher, vois-les courir A des morts, il est vrai, glorieuses et belles, Mais sûres cependant, et quelquefois cruelles. J'ai beau te le crier ; mon zèle est indiscret : Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.

    en cours de vérification

    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le chêne et le roseau Le Chêne un jour dit au Roseau : "Vous avez bien sujet d'accuser la Nature ; Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau. Le moindre vent, qui d'aventure Fait rider la face de l'eau, Vous oblige à baisser la tête : Cependant que mon front, au Caucase pareil, Non content d'arrêter les rayons du soleil, Brave l'effort de la tempête. Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr. Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage Dont je couvre le voisinage, Vous n'auriez pas tant à souffrir : Je vous défendrais de l'orage ; Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des Royaumes du vent. La nature envers vous me semble bien injuste. - Votre compassion, lui répondit l'Arbuste, Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci. Les vents me sont moins qu'à vous redoutables. Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici Contre leurs coups épouvantables Résisté sans courber le dos ; Mais attendons la fin. "Comme il disait ces mots, Du bout de l'horizon accourt avec furie Le plus terrible des enfants Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs. L'Arbre tient bon ; le Roseau plie. Le vent redouble ses efforts, Et fait si bien qu'il déracine Celui de qui la tête au Ciel était voisine Et dont les pieds touchaient à l'Empire des Morts.

    en cours de vérification

    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le coche et la mouche Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, Et de tous les côtés au Soleil exposé, Six forts chevaux tiraient un Coche. Femmes, Moine, vieillards, tout était descendu. L'attelage suait, soufflait, était rendu. Une Mouche survient, et des chevaux s'approche ; Prétend les animer par son bourdonnement ; Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment Qu'elle fait aller la machine, S'assied sur le timon, sur le nez du Cocher ; Aussitôt que le char chemine, Et qu'elle voit les gens marcher, Elle s'en attribue uniquement la gloire ; Va, vient, fait l'empressée ; il semble que ce soit Un Sergent de bataille allant en chaque endroit Faire avancer ses gens, et hâter la victoire. La Mouche en ce commun besoin Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin ; Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire. Le Moine disait son Bréviaire ; Il prenait bien son temps ! une femme chantait ; C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait ! Dame Mouche s'en va chanter à leurs oreilles, Et fait cent sottises pareilles. Après bien du travail le Coche arrive au haut. Respirons maintenant, dit la Mouche aussitôt : J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine. Ca, Messieurs les Chevaux, payez-moi de ma peine. Ainsi certaines gens, faisant les empressés, S'introduisent dans les affaires : Ils font partout les nécessaires, Et, partout importuns, devraient être chassés.

    en cours de vérification

    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le corbeau et le renard Le Corbeau et le Renard est une fable célèbre de Jean de La Fontaine inspirée des Fables d'Ésope. Il s'agit de la deuxième fable du livre I du premier recueil des Fables de La Fontaine (1668). Elle met en scène un corbeau fier et orgueilleux qui perd son fromage au profit du renard rusé et flatteur. Maître Corbeau, sur un arbre perché, Tenait en son bec un fromage. Maître Renard, par l'odeur alléché, Lui tint à peu près ce langage : « Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau. Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau ! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. » À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ; Et pour montrer sa belle voix, Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie. Le Renard s'en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur, Apprenez que tout flatteur Vit aux dépens de celui qui l'écoute : Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. » Le Corbeau, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.

    en cours de vérification

    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le loup et l'agneau La raison du plus fort est toujours la meilleure : Nous l'allons montrer tout à l'heure. Un Agneau se désaltérait Dans le courant d'une onde pure. Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure, Et que la faim en ces lieux attirait. Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? Dit cet animal plein de rage : Tu seras châtié de ta témérité. - Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté Ne se mette pas en colère ; Mais plutôt qu'elle considère Que je me vas désaltérant Dans le courant, Plus de vingt pas au-dessous d'Elle, Et que par conséquent, en aucune façon, Je ne puis troubler sa boisson. - Tu la troubles, reprit cette bête cruelle, Et je sais que de moi tu médis l'an passé. - Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ? Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère. - Si ce n'est toi, c'est donc ton frère. - Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens : Car vous ne m'épargnez guère, Vous, vos bergers, et vos chiens. On me l'a dit : il faut que je me venge. Là-dessus, au fond des forêts Le Loup l'emporte, et puis le mange, Sans autre forme de procès.

    en cours de vérification

    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Les animaux malades de la peste Un mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre, La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom) Capable d'enrichir en un jour l'Achéron, Faisait aux animaux la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés : On n'en voyait point d'occupés A chercher le soutien d'une mourante vie ; Nul mets n'excitait leur envie ; Ni Loups ni Renards n'épiaient La douce et l'innocente proie. Les Tourterelles se fuyaient : Plus d'amour, partant plus de joie. Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis, Je crois que le Ciel a permis Pour nos péchés cette infortune ; Que le plus coupable de nous Se sacrifie aux traits du céleste courroux, Peut-être il obtiendra la guérison commune. L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents On fait de pareils dévouements : Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence L'état de notre conscience. Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons J'ai dévoré force moutons. Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense : Même il m'est arrivé quelquefois de manger Le Berger. Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi : Car on doit souhaiter selon toute justice Que le plus coupable périsse. - Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ; Vos scrupules font voir trop de délicatesse ; Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur En les croquant beaucoup d'honneur. Et quant au Berger l'on peut dire Qu'il était digne de tous maux, Etant de ces gens-là qui sur les animaux Se font un chimérique empire. Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir. On n'osa trop approfondir Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances, Les moins pardonnables offenses. Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins, Au dire de chacun, étaient de petits saints. L'Ane vint à son tour et dit : J'ai souvenance Qu'en un pré de Moines passant, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense Quelque diable aussi me poussant, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net. A ces mots on cria haro sur le baudet. Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue Qu'il fallait dévouer ce maudit animal, Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable ! Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait : on le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

    en cours de vérification

    Jean Racine

    Jean Racine

    @jeanRacine

    Sur les vaines occupations des gens du siècle Quel charme vainqueur du monde Vers Dieu m'élève aujourd'hui ? Malheureux l'homme, qui fonde Sur les hommes son appui. Leur gloire fuit, et s'efface En moins de temps que la trace Du vaisseau qui fend les mers, Ou de la flèche rapide, Qui loin de l'œil qui la guide Cherche l'oiseau dans les airs.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Philippe Salabreuil

    @jeanPhilippeSalabreuil

    Chant baroque de la vie transparente C'est une fenêtre blanche toujours ouverte Mon âme sombre assise auprès riant trop clair Si clair on sait dehors tout ce que j'aime et certes Ensemble je déteste en ce sanglot trop clair Je viens au monde chaque instant ma transparence Avivée de lumière un peu plus et dépense Un boisseau d'ombre fraîche au coin brûlant du jour Avec de bleus Téniers avec ce que Lhermite Épand de nuit mauvâtfe au promenoir en titre Des amants de Rameau et le hautbois d'amour Tout encordé de frais qu'ensommeillé Albinone Avec l'aube aquatinte au fond ma voix qui sonne Et mince toujours plus comme va le soleil Ne me laisse qu'un doigt devant d.'ardentes cibles Mais sombre et de velours enfin joignant pareil Au feu le sein de tant de filles intangibles.

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    La guenon, le singe et la noix Une jeune guenon cueillit Une noix dans sa coque verte ; Elle y porte la dent, fait la grimace… « Ah ! Certes, Dit-elle, ma mère mentit Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes. Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes Qui trompent la jeunesse ! Au diable soit le fruit ! » Elle jette la noix. Un singe la ramasse, Vite entre deux cailloux la casse, L'épluche, la mange, et lui dit : « Votre mère eut raison, ma mie : Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir. Souvenez-vous que, dans la vie, Sans un peu de travail on n'a point de plaisir ».

    en cours de vérification

    J

    Jean-Pierre Claris de Florian

    @jeanPierreClarisDeFlorian

    Le grillon Un pauvre petit grillon Caché dans l'herbe fleurie Regardait un papillon Voltigeant dans la prairie. L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs ; L'azur, la pourpre et l'or éclataient sur ses ailes ; Jeune, beau, petit maître, il court de fleurs en fleurs, Prenant et quittant les plus belles. Ah! disait le grillon, que son sort et le mien Sont différents ! Dame nature Pour lui fit tout, et pour moi rien. je n'ai point de talent, encor moins de figure. Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici-bas : Autant vaudrait n'exister pas. Comme il parlait, dans la prairie Arrive une troupe d'enfants : Aussitôt les voilà courants Après ce papillon dont ils ont tous envie. Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper ; L'insecte vainement cherche à leur échapper, Il devient bientôt leur conquête. L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps ; Un troisième survient, et le prend par la tête : Il ne fallait pas tant d'efforts Pour déchirer la pauvre bête. Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché ; Il en coûte trop cher pour briller dans le monde. Combien je vais aimer ma retraite profonde ! Pour vivre heureux, vivons caché.

    en cours de vérification

    Jean-Pierre Siméon

    Jean-Pierre Siméon

    @jeanPierreSimeon

    Hériter du monde Invente le ciel Engendre la pierre Comme le firent l’Arabe et l’Inca Comme le fit l’Africain Invente le feu l’arbre et le fruit Dans le silence du vieux chinois Comprends le chant muet de la fleur Apprends de la mer Ce qu’en apprit Ulysse l’égaré Pliant son désir comme un arc La vague et l’amour Emplis-toi du monde et à chaque instant Égale le jour qui te fait naître.

    en cours de vérification

    Joachim du Bellay

    Joachim du Bellay

    @joachimDuBellay

    C'etait ores, c'etait qu'a moi je devais vivre C'était ores, c'était qu'à moi je devais vivre, Sans vouloir être plus que cela que je suis, Et qu'heureux je devais de ce peu que je puis Vivre content du bien de la plume et du livre. Mais il n'a plu aux dieux me permettre de suivre Ma jeune liberté, ni faire que depuis Je vécusse aussi franc de travaux et d'ennuis, Comme d'ambition j'étais franc et délivre. Il ne leur a pas plu qu'en ma vieille saison Je susse quel bien c'est de vivre en sa maison, De vivre entre les siens sans crainte et sans envie : Il leur a plu (hélas) qu'à ce bord étranger Je visse ma franchise en prison se changer, Et la fleur de mes ans en l'hiver de ma vie.

    en cours de vérification

    Joachim du Bellay

    Joachim du Bellay

    @joachimDuBellay

    Comme on passe en été le torrent sans danger Comme on passe en été le torrent sans danger, Qui soulait en hiver être roi de la plaine, Et ravir par les champs d'une fuite hautaine L'espoir du laboureur et l'espoir du berger : Comme on voit les couards animaux outrager Le courageux lion gisant dessus l'arène, Ensanglanter leurs dents, et d'une audace vaine Provoquer l'ennemi qui ne se peut venger : Et comme devant Troie on vit des Grecs encor Braver les moins vaillants autour du corps d'Hector : Ainsi ceux qui jadis soulaient, à tête basse, Du triomphe romain la gloire accompagner, Sur ces poudreux tombeaux exercent leur audace, Et osent les vaincus les vainqueurs dédaigner.

    en cours de vérification

    Jules Laforgue

    Jules Laforgue

    @julesLaforgue

    Spleen Tout m'ennuie aujourd'hui. J'écarte mon rideau, En haut ciel gris rayé d'une éternelle pluie, En bas la rue où dans une brume de suie Des ombres vont, glissant parmi les flaques d'eau. Je regarde sans voir fouillant mon vieux cerveau, Et machinalement sur la vitre ternie Je fais du bout du doigt de la calligraphie. Bah ! sortons, je verrai peut-être du nouveau. Pas de livres parus. Passants bêtes. Personne. Des fiacres, de la boue, et l'averse toujours… Puis le soir et le gaz et je rentre à pas lourds…

    en cours de vérification

    K

    Khalil Gibran

    @khalilGibran

    De la vie La Vie est comme une île perdue dans l'océan de la solitude, une île dont les rochers seraient nos espérances, et les arbres nos rêves, dont les fleurs seraient notre solitude et les ruisseaux nos aspirations. Votre Vie, ami, est une île séparée de toutes les autres îles et régions. Quel que soit le nombre de bateaux qui quittent vos rivages pour d'autres pays, quel que soit le nombre de flottes qui y accostent, vous serez à jamais une île séparée, souffrant les affres de la solitude et aspirant au bonheur. Les autres hommes ne vous connaissent point et ils sont loin de compatir à votre solitude ou de vous comprendre. Je t'ai aperçu mon frère quand, assis sur ton monticule d'or, tu te réjouissais de tes richesses. Tu étais fier de tes trésors et ancré dans la conviction que chaque poignée d'or amassée tisserait un lien invisible entre les désirs et les pensées d'autrui et les tiens propres. Dans mon imagination tu apparaissais en grand conquérant, conduisant ses troupes à l'assaut des forteresses de l'ennemi. Mais quand à nouveau je regardai, je ne vis plus qu'un coeur solitaire se languissant derrière ses coffres d'or, qu'un oiseau affamé dans une cage dorée à la mangeoire vide. Mon frère, je t'ai vu alors que tu étais assis sur le trône de la gloire. Tout autour, le peuple t'acclamait comme sa majesté. Il chantait les louanges de tes actes et magnifiait ta sagesse. Les yeux étaient fixés sur toi comme sur un prophète et les chants des esprits réjouis montaient jusqu'à la voûte céleste. Lorsque tu regardais tes sujets, je distinguais dans ton regard les signes du bonheur, de la puissance et du triomphe, tu paraissais être l'âme de leur corps. Mais, quand à nouveau je regardai, tu étais seul dans ta solitude. Debout près de ton trône, tu te tournais dans toutes les directions, les bras tendus, comme un exilé qui demanderait grâce et miséricorde à d'invisibles fantômes ou qui mendierait un abri, ne serait-ce que celui pouvant offrir chaleur et amitié. Mon frère, je t'ai vu aimer une femme merveilleusement belle et poser ton coeur sur l'autel de sa beauté. Quand je la vis te regarder, les yeux empreints de tendresse et d'amour maternel, je me dis: « Puisse vivre longtemps l'amour qui a chassé la solitude du coeur de cet homme et l'a uni à un autre coeur. » Hélas, quand à nouveau je regardai, dans ton coeur aimant la solitude était enclose! Il révélait tout haut ses secrets à la femme aimée, en vain. Car, derrière ton âme pleine d'amour, je distinguai une autre âme solitaire. Elle ressemblait à un nuage errant que tu eusses voulu transformer en larmes coulant dans les yeux de ta bien-aimée... Mon frère, ta vie est comme une maison isolée, loin de toute demeure humaine. Une maison où aucun regard étranger ne peut pénétrer. Si elle était privée de lumière, la lampe e ton voisin ne pourrait l'éclairer. Si elle était sans vivres, les garde-manger de tes voisins ne pourraient lui en procurer. Si elle s'élevait dans le désert, tu ne pourrais la transporter dans le jardin d'autres hommes, labouré et cultivé par d'autres mains. Si elle était construite au sommet d'une montagne, tu ne pourrais la descendre dans la vallée, parcourue par le pas d'autres hommes. Mon frère, la vie de l'esprit s'écoule dans la solitude, et n'y aurait-il cette solitude et cet isolement, tu ne serais point ce que tu es, ni moi ce que je suis. Sans cet isolement et cette solitude, j'arriverais à croire en entendant ta voix que c'est ma voix qui parle, ou en voyant ton visage que c'est le reflet de moi-même dans un miroir.

    en cours de vérification

    Langston Hughes

    Langston Hughes

    @langstonHughes

    La Mère à son Fils Eh bien mon fils, je vais te dire quelque chose : La vie ça n’a pas été pour moi un escalier de verre. Il y a eu des clous, Des échardes, Et des planches défoncées, Et des endroits sans moquettes, A nu. Mais quand même, Je grimpais toujours, Je passais les paliers, Je prenais les tournants, Et quelquefois j’allais dans le noir Quand y avait pas de lumière. Alors mon garçon faut pas retourner en arrière. Faut pas t’asseoir sur les marches Parce que tu trouves que c’est un peu dur. Et ne va pas tomber maintenant… Parce que, mon fils, moi je vais toujours, Je grimpe toujours, Et la vie ça n’a pas été pour moi un escalier de verre.

    en cours de vérification