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Nourriture

54 poésies en cours de vérification
Nourriture

Poésies de la collection nourriture

    Abdellatif Laâbi

    Abdellatif Laâbi

    @abdellatifLaabi

    Grève de la faim Parlons d'ailleurs de cette grève de la faim C'est une forme de lutte que les hommes de ma condition ont expérimentée au cours de la longue histoire des mutilations Certes c'est un acte passif mais lorsqu'on n'a que sa poitrine nue à opposer à l'arsenal de l'arbitraire la seule arme qui nous reste c'est ce souffle irrépressible en nous l'épuiser jusqu'à la limite extrême risquer son extinction pour que sauve soit notre dignité Le soleil est fade quand on a faim et les nuits d'insomnie sont glaciales On pense à tellement de choses sérieuses ou cocasses J'avoue que quand j'étais le moins grave c'était l'idée des nourritures terrestres qui me tourmentait J'imaginais un tas de bonnes choses à manger toute ma culture gastronomique y passait mais va, je n'ai pas honte de ces pensées-là car ce qui domine dans cette attente cette croisière vers l'inconnu c'est le sentiment de l'immense force au sein de la faiblesse la supériorité de celui qui résiste face à celui qui l'opprime Oui la vie est une arme redoutable qui effrayera toujours les cadavres armés Ce qui domine c'est encore une fois la fraternité des douleurs La torture des affamés c'est donc ce goût putride et blessant dans la bouche ces yeux exorbités et froids dans le brouillard du jour ces tripes qui se tordent et plient sous le désespoir du vide Ce qui domine c'est encore une fois la fraternité des douleurs Les idées foncent à travers la nuit deviennent matérielles elles ne sont pas les miennes ou celles de l'autre ou de l'autre mais celles de tous les exclus du soleil Ce qui domine c'est encore une fois la fraternité des douleurs car notre faim n'est pas mirage de pactoles n'est pas concupiscence des mégalopoles à genoux devant le veau d'or et de stupre notre faim est d'une nouvelle terre habitée par des hommes nouveaux d'un soleil partagé sans mesure mercantile d'une paix irrémédiable au grand dam des bâtisseurs de différences Aussi en ces jours d'abstinence c'était une fierté pour moi que d'avoir faim et de troubler ainsi la misérable quiétude des affameurs de notre peuple

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    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    La cuisine Dans la cuisine où flotte une senteur de thym, Au retour du marché, comme un soir de butin, S’entassent pêle-mêle avec les lourdes viandes Les poireaux, les radis, les oignons en guirlandes, Les grands choux violets, le rouge potiron, La tomate vernie et le pâle citron. Comme un grand cerf-volant la raie énorme et plate Gît fouillée au couteau, d’une plaie écarlate. Un lièvre au poil rougi traîne sur les pavés Avec des yeux pareils à des raisins crevés. D’un tas d’huîtres vidé d’un panier couvert d’algues Monte l’odeur du large et la fraîcheur des vagues. Les cailles, les perdreaux au doux ventre ardoisé Laissent, du sang au bec, pendre leur cou brisé ; C’est un étal vibrant de fruits verts, de légumes, De nacre, d’argent clair, d’écailles et de plumes. Un tronçon de saumon saigne et, vivant encor, Un grand homard de bronze, acheté sur le port, Parmi la victuaille au hasard entassée, Agite, agonisant, une antenne cassée.

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    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    Le marché Sur la petite place, au lever de l’aurore, Le marché rit joyeux, bruyant, multicolore, Pêle-mêle étalant sur ses tréteaux boiteux Ses fromages, ses fruits, son miel, ses paniers d’oeufs, Et, sur la dalle où coule une eau toujours nouvelle, Ses poissons d’argent clair, qu’une âpre odeur révèle. Mylène, sa petite Alidé par la main, Dans la foule se fraie avec peine un chemin, S’attarde à chaque étal, va, vient, revient, s’arrête, Aux appels trop pressants parfois tourne la tête, Soupèse quelque fruit, marchande les primeurs Ou s’éloigne au milieu d’insolentes clameurs. L’enfant la suit, heureuse ; elle adore la foule, Les cris, les grognements, le vent frais, l’eau qui coule, L’auberge au seuil bruyant, les petits ânes gris, Et le pavé jonché partout de verts débris. Mylène a fait son choix de fruits et de légumes ; Elle ajoute un canard vivant aux belles plumes ! Alidé bat des mains, quand, pour la contenter, La mère donne enfin son panier à porter. La charge fait plier son bras, mais déjà fière, L’enfant part sans rien dire et se cambre en arrière, Pendant que le canard, discordant prisonnier, Crie et passe un bec jaune aux treilles du panier.

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    Albert Samain

    Albert Samain

    @albertSamain

    Le repas préparé Ma fille, laisse là ton aiguille et ta laine ; Le maître va rentrer ; sur la table de chêne Avec la nappe neuve aux plis étincelants Mets la faïence claire et les verres brillants. Dans la coupe arrondie à l’anse en col de cygne Pose les fruits choisis sur des feuilles de vigne : Les pêches que recouvre un velours vierge encor, Et les lourds raisins bleus mêlés aux raisins d’or. Que le pain bien coupé remplisse les corbeilles, Et puis ferme la porte et chasse les abeilles… Dehors le soleil brûle, et la muraille cuit. Rapprochons les volets, faisons presque la nuit, Afin qu’ainsi la salle, aux ténèbres plongée, S’embaume toute aux fruits dont la table est chargée. Maintenant, va puiser l’eau fraîche dans la cour ; Et veille que surtout la cruche, à ton retour, Garde longtemps glacée et lentement fondue, Une vapeur légère à ses flancs suspendue.

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    Alfred De Musset

    Alfred De Musset

    @alfredDeMusset

    A Madame Cne T. Dans son assiette arrondi mollement, Un pâté chaud, d’un aspect délectable, D’un peu trop loin m’attirait doucement. J’allais à lui. Votre instinct charitable Vous fit lever pour me l’offrir gaiement. Jupin, qu’Hébé grisait au firmament, Voyant ainsi Vénus servir à table, Laissa son verre en choir d’étonnement Dans son assiette. Pouvais-je alors vous faire un compliment ? La grâce échappe, elle est inexprimable ; Les mots sont faits pour ce qu’on trouve aimable, Les regards seuls pour ce qu’on voit charmant ; Et je n’eus pas l’esprit en ce moment Dans son assiette.

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    Alphonse Daudet

    Alphonse Daudet

    @alphonseDaudet

    Les prunes I Si vous voulez savoir comment Nous nous aimâmes pour des prunes, Je vous le dirai doucement, Si vous voulez savoir comment. L’amour vient toujours en dormant, Chez les bruns comme chez les brunes ; En quelques mots voici comment Nous nous aimâmes pour des prunes. II Mon oncle avait un grand verger Et moi j’avais une cousine ; Nous nous aimions sans y songer, Mon oncle avait un grand verger. Les oiseaux venaient y manger, Le printemps faisait leur cuisine ; Mon oncle avait un grand verger Et moi j’avais une cousine. III Un matin nous nous promenions Dans le verger, avec Mariette : Tout gentils, tout frais, tout mignons, Un matin nous nous promenions. Les cigales et les grillons Nous fredonnaient une ariette : Un matin nous nous promenions Dans le verger avec Mariette. IV De tous côtés, d’ici, de là, Les oiseaux chantaient dans les branches, En si bémol, en ut, en la, De tous côtés, d’ici, de là. Les prés en habit de gala Étaient pleins de fleurettes blanches. De tous côtés, d’ici, de là, Les oiseaux chantaient dans les branches. V Fraîche sous son petit bonnet, Belle à ravir, et point coquette, Ma cousine se démenait, Fraîche sous son petit bonnet. Elle sautait, allait, venait, Comme un volant sur la raquette : Fraîche sous son petit bonnet, Belle à ravir et point coquette. VI Arrivée au fond du verger, Ma cousine lorgne les prunes ; Et la gourmande en veut manger, Arrivée au fond du verger. L’arbre est bas ; sans se déranger Elle en fait tomber quelques-unes : Arrivée au fond du verger, Ma cousine lorgne les prunes. VII Elle en prend une, elle la mord, Et, me l’offrant : « Tiens !… » me dit-elle. Mon pauvre cœur battait bien fort ! Elle en prend une, elle la mord. Ses petites dents sur le bord Avaient fait des points de dentelle… Elle en prend une, elle la mord, Et, me l’offrant : « Tiens !… » me dit-elle. VIII Ce fut tout, mais ce fut assez ; Ce seul fruit disait bien des choses (Si j’avais su ce que je sais !…) Ce fut tout, mais ce fut assez. Je mordis, comme vous pensez, Sur la trace des lèvres roses : Ce fut tout, mais ce fut assez ; Ce seul fruit disait bien des choses. IX À MES LECTRICES. Oui, mesdames, voilà comment Nous nous aimâmes pour des prunes : N’allez pas l’entendre autrement ; Oui, mesdames, voilà comment. Si parmi vous, pourtant, d’aucunes Le comprenaient différemment, Ma foi, tant pis ! voilà comment Nous nous aimâmes pour des prunes.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Fêtes de la faim Ma faim, Anne, Anne, Fuis sur ton âne. Si j’ai du goût, ce n’est guère Que pour la terre et les pierres. Dinn ! dinn ! dinn ! dinn ! je pais l’air, Le roc, les Terres, le fer. Tournez, les faims ! paissez, faims, Le pré des sons ! Puis l’humble et vibrant venin Des liserons ; Les cailloux qu’un pauvre brise, Les vieilles pierres d’églises, Les galets, fils des déluges, Pains couchés aux vallées grises ! Mes faims, c’est les bouts d’air noir ; L’azur sonneur ; – C’est l’estomac qui me tire, C’est le malheur. Sur terre ont paru les feuilles : Je vais aux chairs de fruit blettes. Au sein du sillon je cueille La doucette et la violette. Ma faim, Anne, Anne ! Fuis sur ton âne. (Deuxième version) Ma faim, Anne, Anne, Fuis sur ton âne. Si j’ai du goût, ce n’est guère Que pour la terre et les pierres. Dinn! dinn! dinn! dinn ! Mangeons l’air, Le roc, les charbons, le fer. Mes faims, tournez. Paissez, faims, Le pré des sons ! Attirez le gai venin Des liserons ; Mangez Les cailloux qu’un pauvre brise, Les vieilles pierres d’église, Les galets, fils des déluges, Pains couchés aux vallées grises ! Mes faims, c’est les bouts d’air noir; L’azur sonneur; – C’est l’estomac qui me tire. C’est le malheur. Sur terre ont paru les feuilles ! Je vais aux chairs de fruit blettes. Au sein du sillon je cueille La doucette et la violette. Ma faim, Anne, Anne ! Fuis sur ton âne. Août 1872.

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    Arthur Rimbaud

    Arthur Rimbaud

    @arthurRimbaud

    Les effarés Noirs dans la neige et dans la brume, Au grand soupirail qui s’allume, Leurs culs en rond A genoux, cinq petits, -misère!- Regardent le boulanger faire Le lourd pain blond… Ils voient le fort bras blanc qui tourne La pâte grise, et qui l’enfourne Dans un trou clair. Ils écoutent le bon pain cuire. Le boulanger au gras sourire Chante un vieil air. Ils sont blottis, pas un ne bouge Au souffle du soupirail rouge Chaud comme un sein. Et quand, pendant que minuit sonne, Façonné, pétillant et jaune, On sort le pain, Quand, sous les poutres enfumées Chantent les croûtes parfumées Et les grillons, Quand ce trou chaud souffle la vie; Ils ont leur âme si ravie Sous leurs haillons, Ils se ressentent si bien vivre, Les pauvres petits pleins de givre, -Qu’ils sont là, tous, Collant leurs petits museaux roses Au grillage, chantant des choses, Entre les trous, Mais bien bas, -comme une prière… Repliés vers cette lumière Du ciel rouvert, -Si fort, qu’ils crèvent leur culotte -Et que leur lange blanc tremblotte Au vent d’hiver…

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    Auguste Barbier

    Auguste Barbier

    @augusteBarbier

    Un diner d'anges Nouvelle interprétation d' Horace: Paris présente aux yeux des contrastes étranges; On y voit les démons parler comme des anges Et les anges souvent vivre de la façon La plus habituelle aux enfants du démon, Dans toutes les douceurs que donne la richesse, Le monde, le confort et la charmante ivresse Des fins repas... un jour de cet hiver dernier, Je reçois d' un des miens une invite à dîner. C' est un homme savant et de ferme droiture, Riche, des mieux placé dans la magistrature, Mais un peu simple et, bien que fort pieux, trop chaud Pour les coureurs d' église et le monde bigot. N' importe, au jour marqué par son billet aimable, Chez notre amphitryon, en habit convenable, Je me rends, et voilà qu' un superbe salon M' ouvre sa porte au cri d' un laquais à galon. Là, dans un bon fauteuil, près de la flamme active D' un foyer monstrueux dont la chaleur ravive, Tout en causant avec mon hôte un peu distrait, J' attends que des dîneurs le cercle soit complet. L' attente n' est pas longue... à fort peu d' intervalle Des invités paraît la bande triomphale. Le premier qu' on annonce est un gros réjoui À l' oeil vif, au teint frais, au rire épanoui, Masque de bon vivant chauffé de rouge antique, Qui jubile et s' incline au nom de: cher critique! Le second, salué par mon parent trois fois, Est traité de plus haut: une broche de croix Étincelle au-dessous de sa blanche cravate: C' est quelque grand seigneur et même un diplomate. Derrière lui surgit, du fond d' un paletot Doublé de molleton bien douillet et bien chaud, Un long profil blafard, sec, à la lèvre mince, Qui s' avance de l' air d' un pontife ou d' un prince, Et dont le salut roide et le regard hautain Décèlent un grand clerc, un saint Thomas D' Aquin. Pour faire le contraste un monsieur en moustache Entre sur ses talons; ses cheveux en panache Se dressent, un habit d' un goût neuf et coquet Emprisonne ses reins comme dans un corset. Un pantalon collant lui dessine la cuisse; On dirait à le voir un lion de coulisse. Le cercle à son abord est tout empoisonné D' une senteur de musc qui vous brûle le né. Enfin, le front suant, couvert d' un rouge tendre, Honteux et tout confus de s' être fait attendre, Se glisse un petit homme à l' imberbe menton, Un abbé d' autrefois, un reste du vieux ton, Qu' à ses saluts nombreux et sa mine discrète, Comme l' a dit Boileau, je reconnus poëte. Les convives présents, dans le lieu du festin Nous passons; en marchant, tout heureux, mon cousin Me dit: " tu vois la fleur des esprits catholiques, Mon cher, écoute bien ces bouches angéliques: Leur pensée est solide et leur parler divin. " Le service était beau, plats d' argent, damas fin. On s' assied, et d' abord circule le madère; Mon convive de gauche en dégustant son verre Adresse la parole au blond poétereau: "Eh bien, cher Sannazar, à quand le saint Bruno! Le chef-d' oeuvre attendu ne se dévoile guères. -Et vous, cher Théophraste, à quand vos caractères? Ce que l' on en connaît est d' un si haut ragoût Que nous avons au coeur grand appétit du tout. " Et voilà de nouveau ces héros de Molière Se jetant par le nez tout le vocabulaire Des fades compliments en mots pharamineux: "On n' est pas plus piquant! -on ne chante pas mieux! " Mais un vaste turbot fait à point son entrée Pour finir l' embrassade et la phrase sucrée Des deux lettrés; alors, les yeux sur le morceau, Chacun de s' écrier en choeur: " ah! Que c' est beau! -Je ne crois pas, dit l' un, que la superbe bête Pour laquelle un César fit si grave requête Aux sénateurs de Rome ait valu ce poisson. -Eh, eh! Domitien... ce prince avait du bon, Repart le diplomate à la langue affilée; Il savait se moquer des bavards d' assemblée, Seulement, il usait trop souvent du bourreau. -Messieurs, dit à l' instant l' homme aux parfums, le beau, En donnant un grand coup de couteau sur la table, Ne faisons pas trop fi de l' homme respectable Qui se nomme Bourreau; nous ne pourrions sans lui Manger en sûreté le dîner d' aujourd' hui. -C' est vrai, répond la troupe. -hier, j' étais en visite Chez la marquise D, coeur tendre, esprit d' élite, Pour la désennuyer je lui lus tout d' un trait Le portrait merveilleux qu' un grand homme en a fait. Elle fut renversée, étourdie et ravie, Elle n' avait rien lu de si beau de sa vie. -Pardieu, je le crois bien, dit le fils d' Apollon, C' était du pur De Maistre. " au bruit de ce grand nom, Ainsi qu' au fond des bois le cri d' un chien qui jappe Est soudain répété par les échos qu' il frappe Quatre ou cinq fois, ainsi de nos gosiers béats De Maistre fait jaillir un torrent de hourras. "Quel homme, quel lutteur! Quelle ironie amère! -Comme il vous flanque à bas ce drôle de Voltaire! -Jean-Jacques, Montesquieu, ces donneurs de leçons, Auprès du savoyard sont de vrais polissons!" Et mille autres propos; mon cousin pâmait d' aise, À chaque trait ses yeux scintillaient comme braise, Il ne dégorgeait mot, mais je voyais son oeil De temps en temps vers moi tourner avec orgueil Semblant me dire: eh bien! était-ce raillerie Quand je te promettais si fine compagnie! Je ne décrirai pas les différents morceaux Qui nous furent servis tant refroidis que chauds; Hure de sanglier cuite à la bohémienne, Côtelettes d' agneau, dinde à la parisienne, Truffes du Périgord; je ne parlerai pas Non plus des entremets couronnant le repas, Pois verts au naturel et gelée à la fraise, Croque-en-bouche, babas, crème à la polonaise; Pour dignement louer ce service excellent Il faudrait un Berchoux... je n' ai pas son talent; Je viens donc au dessert; il apparaît splendide, Du champagne escorté; l' homme à face livide, Notre penseur profond qui n' avait pas encor Pris langue, dit d' un ton de saint Jean bouche d'or: "Permettez moi, messieurs, en dévoué confrère, De vous faire présent à tous d' un exemplaire Du livre que je vais donner sur la douleur. -La douleur! Ah! Vraiment, répond la table en choeur, Quel superbe sujet! -oui, messieurs, c' est le thème Que je viens de traiter avec un soin extrême. J' en ai sondé le fond d' un regard plein d' amour, Saisi tous les côtés, et le contre et le pour, Et du tout j' ai conclu que rien sur cette terre À notre avancement n' était plus nécessaire. Vous jugerez, messieurs, mais je crois avoir fait De mon mieux et toujours être demeuré vrai. -Admirable, bravo! Dit chacun à la ronde. La douleur, la douleur! C' est la bêche féconde Qui, délivrant nos coeurs des penchants vicieux, Les prépare à mûrir la semence des cieux; C' est le divin creuset où sur l' ardente flamme Le fer devient acier... c' est la trempe de l' âme... Sans elle nous serions moins que des animaux, Des mollusques grossiers, de fades végétaux... " C' était à qui mieux mieux: d' un moment de silence Je profite à mon tour pour doter l' assistance De mon mot, et je dis: " messieurs, pour moi, de Dieu En créant la douleur j' ignore encor le voeu, Mais je le bénis fort de sa pitié des hommes Et d' avoir fait couler sur le globe où nous sommes Tant de flots de bon vin afin de l' y noyer... " Mon mot lâché, j' attends l' effet du plaidoyer. Hélas! On aurait dit qu' une flamme effroyable Du feu d' enfer venait de tomber sur la table. Tous les yeux aussitôt se dirigent vers moi Étonnés, inquiets, comme saisis d' effroi; Il semblait que je fusse une horrible vipère, Un scorpion mortel... j' étais plus, un faux frère Faufilé dans la bande on ne sait trop comment, Pour y porter le trouble et l' empoisonnement. Je voyais dans les yeux s' amasser la tempête, Des cris, peut-être bien quelque verre à la tête; Redoutant pour lui-même une part des éclats, Mon cousin tout penaud regardait dans les plats. Pourtant, grâce à l' entrain de notre gros critique, La chose prit un air moins lugubre et tragique. "Monsieur en est encore au Dieu des bonnes gens, C' est un peu vieux, dit-il, mais soyons indulgents: Un jour, comme plus d' un il brisera l' idole De son printemps; pour nous, reprenant notre rôle, À notre ami portons une santé d' honneur. Au noble historien de la sainte douleur, Au poëte inspiré de la grâce suprême Qui, tous, nous doit sauver par un second baptême, Gloire, hommage, succès! " -et levant dans les cieux Son verre étincelant du jus délicieux, Il le vide d' un trait; ce magnifique exemple Est soudain imité par les anges du temple, Et la table bientôt n' est plus qu' un cliquetis De verres ballottés, de vivats et de cris, Parmi lesquels pourtant j' entends à mes oreilles Tinter d' étranges mots et des phrases pareilles À celles-ci: -" la ligue avait bien sa raison... Vivent les fils d' Ignace et l' inquisition! " Connaissant trop l' effet de ma courte harangue, Je n' étais plus d' humeur à jouer de la langue Dans ce tohu-bohu, puis je ne voulais pas Affliger le cousin d' un nouvel embarras; Je pris donc le parti de demeurer en place Bouche close, écoutant d' un sang-froid tout de glace Tomber le flot vineux des grotesques rumeurs Qu' épanchait le gosier de ces gais festineurs. Cependant je cherchais sourdement en moi-même Un honnête moyen, un décent stratagème Pour fausser compagnie à notre Amphitryon. Il se montra bientôt. Dès l' instant qu' au salon Tout le monde passa pour achever la fête, Entre le moka noir et la blanche anisette, Je saisis mon chapeau; puis, d' un pied clandestin M' esquivant, de mon toit je repris le chemin, Non sans rire parfois au feu des réverbères De ce grave troupeau de Sénèques austères Que j' avais vus, suivant le poëte Victor, Boire si joliment le falerne dans l' or. Publié en .

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    Blaise Cendrars

    Blaise Cendrars

    @blaiseCendrars

    Diner en ville Mr. Lopart n'était plus à Rio il était parti samedi par le « Lutetia » J'ai dîné en ville avec le nouveau directeur Après avoir signé le contrat de 24 F/N type Grand Sport je l'ai mené dans un petit caboulot sur le port Nous avons mangé des crevettes grillées Des langues de dorade à la mayonnaise Du tatou (La viande de tatou a le goût de la viande de renne chère à Satie) Des fruits du pays mamans bananes oranges de Bahia Chacun a bu son fiasco de chianti

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    C

    Chloe Douglas

    @chloeDouglas

    M. Le Coq Le coq sublime, ‘M. Charme’, ou ‘M. Malain,’ vient prendre sa place parmi ses concubines. Le maître de ces lieux, toujours prêt, toujours alerte, pousse son chant jusqu’à l’horizon. Escargots, vers de terre et salade verte du champs, sont des plats exquis pour ce coq gourmand. Et voilà cette vie de noblesse, obligée de se terminer dans notre chère assiette.

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    C

    Chloe Douglas

    @chloeDouglas

    Soupe en douce La soupe super Est sans secret nécessaire Juste œuf et carottes Et un peu de verdure Puis du pain et du beurre Et voilà, on mijote. Faire semblant d’un ragout Quelle tradition rigolote Essayer de nourrir Pour ces enfants trop doux Faire de son mieux Car le creux est partout Pourquoi ce repas, Sans goût, ni de joie ? Le jeu de fines herbes Est le vrai succès du choix Car une soupe moderne A manger debout Enfants contents Garder la langue surtout! Et soigner les dents Et n’oublier jamais Que la bonne soupe suscite D’épices et de sel adéquatent Une fusion délicate

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    C

    Cécile Sauvage

    @cecileSauvage

    La maison sur la montagne Notre maison est seule au creux de la montagne Où le chant d’une source appelle des roseaux, Où le bout de jardin plein de légumes gagne La roche qui nous tient dans son âpre berceau. Septembre laisse choir sur les molles argiles La pomme abandonnée aux pourceaux grassouillets. Nous avons dû poser des cailloux sur les tuiles ; Car la bise souvent s’aiguise aux peupliers, Le volet bat la nuit, le crochet de la porte Danse dans son anneau. Nous avons peur et froid. La mare des moutons réveille son eau morte Et soudain un caillou branlant tombe du toit. J’aime, sous mon poirier rongé de moisissures, Des champignons serrés voir surgir le hameau, Un petit dahlia me plaît par ses gaufrures, Mes brebis ont le nez et les yeux du chameau. Notre univers s’étend au gré de notre rêve, Le silence est mouillé par la voix du torrent, La lune de rondeur sort quand elle se lève D’un nid de thym perché sur les monts déclinants. Assise dans le jour de la porte qui pose Son reflet sur la cruche verte et le chaudron, Pour la pomme de terre au ventre dur et rose Je couds des sacs. Je vois blondir le potiron. Les pruneaux violets se rident sur leurs claies, La salade du soir est dans le seau de bois Et des corbeaux goulus qui frôlent les futaies Font en se querellant tomber de vieilles noix. C’est le temps où la feuille aux ramures déborde, La montagne nourrit des herbes de senteur, Notre chèvre s’ennuie et tire sur sa corde Pour atteindre aux lavandes fines des hauteurs. Le maître près d’ici laboure un champ de pierres ; Je vais pour son retour tremper le pain durci, Préparer à sa faim une assiette fruitière Et le verre où le vin palpite et s’assoupit. Nous nous plaisons de vivre à côté de l’espace ; Un vol d’abeilles tourne avec des cris de fleurs, La neige qui l’été reste dans les crevasses Semble se détacher des nuages bougeurs. Des guêpes au long corps tettent les sorbes mûres, La maison qui se hâle a des mousses au dos, La cloche des béliers sonne nos heures pures. Pour nous chauffer, sitôt que la lune a l’oeil clos, Le soleil comme un boeuf fume dans l’aube nue ; Car sur nos pics le ciel de lin tiède est tendu Et notre front obscur est touché par la nue Lorsqu’elle vient dormir dans les chênes tordus.

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    Didier Sicchia

    @didierSicchia

    Arabica Aux vertiges de mes larges concupiscences, Une inclinaison hardie pour les voluptés Cajole mon coeur et ma phtisique existence – Ainsi, je me consacre aux marcs ensorcelés. J’abreuve mon esprit de cette douce essence Et comme Sîn lune durant l’obscurité Je serpente l’amer et cueille les fragrances Délicates des lointains rivages sablés. Et ces ténèbres m’enjôlent d’une langueur Acrimonieuse et fascinante de saveurs. J’emplis mes narines de ces âpres parfums Et m’abandonne enivré aux philtres mystiques, Encore un arôme de cannelle sur son sein. L’ivresse est absolue – ma nymphéa d’Afrique.

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    Didier Sicchia

    @didierSicchia

    Le sud de la France Ineffables parfums de rouges fruits confits, Délicates saveurs âpres de raisins mûrs. L’ivresse est profonde et la narcose embellit L’instant si fugace au potron-jacquet azur. Ah ! Le long des chemins hasardeux de Provence, Je respire la saponaire et la lavande Aussi ces infinies bacchanales fragrances Que le Sombre et le Libeccio austral répandent. Puis, au crépuscule de la douce journée, A l’heure tardive quand chantent les grillons, Il viendra encore à la table s’ajouter L’intime chaleureux et le vin vermillon. Parmi les Enfers et les lointains paradis Se trouve un balcon sublime sur le bonheur, Un séjour idyllique et presque une utopie Afin de subir l’insistant carillonneur. Ineffables parfums de rouges fruits confits, Délicates saveurs âpres de raisins mûrs. L’ivresse est profonde et la narcose embellie L’instant si fugace au potron-minet azur.

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    Didier Venturini

    @didierVenturini

    Jardins d’ouvriers Près de l’ancienne usine Sur un petit îlot Des jardins de terre fine Respirent au fil des eaux Des hommes les ont tissés Dans l’oubli du ciment Sur les bords rapiécés De ces morceaux de temps Sous les couleurs des fruits Dans l’odeur des étés Ils renonçaient au bruit Des gros marteaux d’acier Et le bonheur poussait De semis en récoltes Toute cette vie chahutait A deux pas de nos portes Les jours s’enracinaient Dans ce sol retrouvé Sous l’herbe qui accueillait La lente fécondité Au langage des lunes Ils parlaient d’infini De silence dans les brumes Et de vent dans la nuit Sous ces cieux infusés De tremblantes illusions Ils venaient ramasser Leurs airs de floraisons Quand la pensée des pierres Sous leur blason de sel Mûrissait hors de terre Une envie de soleil Et les songes de calcaire Dans l’aube des mémoires Interrogaient l’espoir Des croissances millénaires Didier Venturini, 1999

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    Didier Venturini

    @didierVenturini

    Jour de marché Tous ces râclements de voix Huilent l’air dès les premières lueurs Les trétaux éventrent le froid De leurs pieds d’acier sans douceur Des confins du lourd sommeil Se déplient les jambes engourdies Qui s’agitent entre les corbeilles De légumes replets et de fruits Des regards soupèsent le temps Les premiers mots tanguent en surface La gueule des camions géants S’étire renifle à même l’espace De larges mains gomment la nuit De leurs gestes sûrs et rapides Les couleurs se multiplient Sur ce fond gris et insipide Ah ! Que la vie est belle Là sur son coin de mousse Dans son rêve d’eau douce Sur son bout de pouce Comme dans un aéroport Les halles se sont soudain gonflées De ces balancements de corps Cadencés au rythme des paniers Les cris lézardent le soleil S’habillent de rouge de jaune de vert Roulent sous ces langues de miel En notes chaudes libres de l’hiver Les parfums rallongent les nez les entraînent dans une course folle Flirtant du sucré au salé Comme un principe de farandole C’en est ainsi juqu’à midi Cet instant où la place se donne Au silence des pavés meurtris Par cette vie qui encore résonne Ah ! Que la vie est belle Là sur son coin de mousse Dans son rêve d’eau douce Sur son bout de pouce

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    Emile Verhaeren

    Emile Verhaeren

    @emileVerhaeren

    La cuisine Au fond, la crémaillère avait son croc pendu, Le foyer scintillait comme une rouge flaque, Et ses flammes, mordant incessamment la plaque, Y rongeaient un sujet obscène en fer fondu. Le feu s’éjouissait sous le manteau tendu Sur lui, comme l’auvent par-dessus la baraque, Dont les bibelots clairs, de bois, d’étain, de laque, Crépitaient moins aux yeux que le brasier tordu. Les rayons s’échappaient comme un jet d’émeraudes, Et, ci et là, partout, donnaient des chiquenaudes De clarté vive aux brocs de verre, aux plats d’émail, A voir sur tout relief tomber une étincelle, On eût dit – tant le feu s’émiettait par parcelle – Qu’on vannait du soleil à travers un vitrail.

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    Esther Granek

    @estherGranek

    La vache dans tous ses états Un jour ou l’autre qui n’a dit, pris de colère ou de dépit ou pour toute raison qui fâche : « la sale vache ! » ou « peau de vache ! » ou « vieille vache ! » ou « grosse vache ! ». Et tant et plus, tutti quanti. Des attributs à l’infini… Or, un matin, v’là que surgit « la vache folle ». Bel inédit ! Sitôt les continents s’affolent et dans le monde il n’est qu’un cri : « La vache folle ! » Avouons-le discrètement : Même assortis d’un tremblement, que joliment ces mots s’accolent ! « La vache folle ! ». Pourrait-il en être autrement ? De folie tout boeuf est exempt. Taureau châtré ? mâle pourtant ! Ainsi jamais n’entendrez dire : « Rôti de vache ». Ça fait trop rire ! Quel menu pourrait le souffrir ? Le « boeuf bourguignon », c’est certain, ne peut se mettre au féminin… Dès lors que la fierté virile est bien ancrée dans nos assiettes, la vache, ici, n’est point en fête… Mais tant de « vaches », en nous, défilent…

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    Francis Jammes

    Francis Jammes

    @francisJammes

    La salle a manger Il y a une armoire à peine luisante qui a entendu les voix de mes grand'tantes, qui a entendu la voix de mon grand-père, qui a entendu la voix de mon père. A ces souvenirs l'armoire est fidèle. On a tort de croire qu'elle ne sait que se taire, car je cause avec elle. Il y a aussi un coucou en bois. Je ne sais pourquoi il n'a plus de voix. Je ne veux pas le lui demander. Peut-être qu'elle est cassée, la voix qui était dans son ressort, tout bonnement comme celle des morts. Il y a aussi un vieux buffet qui sent la cire, la confiture, la viande, le pain et les poires mûres. C'est un serviteur fidèle qui sait qu'il ne doit rien nous voler. Il est venu chez moi bien des hommes et des femmes qui n'ont pas cru à ces petites âmes. Et je souris que l'on me pense seul vivant quand un visiteur me dit en entrant : — comment allez-vous, monsieur Jammes ?

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    Georges Fourest

    @georgesFourest

    Africain et gastronomique Au bord du Loudjiji qu'embaument les arômes des toumbos, le bon roi Makoko s'est assis. Un m'gannga tatoua de zigzags polychromes sa peau d'un noir vineux tirant sur le cassis. Il fait nuit: les m'pafous ont des senteurs plus frêles; sourd, un marimeba vibre en des temps égaux; des alligators d'or grouillent parmi les prêles ; un vent léger courbe la tête des sorghos; et le mont Koungoua rond comme une bedaine, sous la lune aux reflets pâles de molybdène, se mire dans le fleuve au bleuâtre circuit. Makoko reste aveugle à tout ce qui l'entoure: avec conviction ce potentat savoure un bras de son grand-père et le juge trop cuit.

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    G

    Georges Fourest

    @georgesFourest

    Petits lapons Tout nos malheurs viennent de ne sçavoir demeurer enfermez dans une chambre. Blaise Pascal. Dans leur cahute enfumée bien soigneusement fermée les braves petits lapons boivent l’huile de poisson ! Dehors on entend le vent pleurer ; les méchants ours blancs grondent en grinçant des dents et depuis longtemps est mort le pâle soleil du Nord ! Mais dans la brume enfumée bien soigneusement fermée les braves petits Lapons boivent l’huile de poisson… Sans rien dire, ils sont assis, père, mère, aïeul, les six enfants, le petit dernier bave en son berceau d’osier : leur bon vieux renne au poil roux les regarde, l’air si doux ! Bientôt ils s’endormiront et demain ils reboiront la bonne huile de poisson, et puis se rendormiront et puis, un jour, ils mourront ! Ainsi coulera leur vie monotone et sans envie… et plus d’un poète envie les braves petits Lapons buveurs d’huile de poisson !

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    Georges Fourest

    @georgesFourest

    Sardines à l’huile Dans leur cercueil de fer-blanc plein d’huile au puant relent marinent décapités ces petits corps argentés pareils aux guillotinés là-bas au champ des navets ! Elles ont vu les mers, les côtes grises de Thulé, sous les brumes argentées la Mer du Nord enchantée… Maintenant dans le fer-blanc et l’huile au puant relent de toxiques restaurants les servent à leurs clients ! Mais loin derrière la nue leur pauvre âmette ingénue dit sa muette chanson au Paradis-des-poissons, une mer fraîche et lunaire pâle comme un poitrinaire, la Mer de Sérénité aux longs reflets argentés où durant l’éternité, sans plus craindre jamais les cormorans et les filets, après leur mort nageront tous les bons petits poissons !… Sans voix, sans mains, sans genoux sardines, priez pour nous !…

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    Georges Haldas

    @georgesHaldas

    Le repas Et rien que sur la table cette nappe bien mise Et les mots et les voix Un peu d'huile d'olive ? Je suis servie Et toi ?

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    Guillaume Apollinaire

    Guillaume Apollinaire

    @guillaumeApollinaire

    Palais Vers le palais de Rosemonde au fond du Rêve Mes rêveuses pensées pieds nus vont en soirée Le palais don du roi comme un roi nu s’élève Des chairs fouettées de roses de la roseraie On voit venir au fond du jardin mes pensées Qui sourient du concert joué par les grenouilles Elles ont envie des cyprès grandes quenouilles Et le soleil miroir des roses s’est brisé Le stigmate sanglant des mains contre les vitres Quel archer mal blessé du couchant le troua La résine qui rend amer le vin de Chypre Ma bouche aux agapes d’agneau blanc l’éprouva Sur les genoux pointus du monarque adultère Sur le mai de son âge et sur son trente et un Madame Rosemonde roule avec mystère Ses petits yeux tout ronds pareils aux yeux des Huns Dame de mes pensées au cul de perle fine Dont ni perle ni cul n’égale l’orient Qui donc attendez-vous De rêveuses pensées en marche à l’Orient Mes plus belles voisines Toc toc Entrez dans l’antichambre le jour baisse La veilleuse dans l’ombre est un bijou d’or cuit Pendez vos têtes aux patères par les tresses Le ciel presque nocturne a des lueurs d’aiguilles On entra dans la salle à manger les narines Reniflaient une odeur de graisse et de graillon On eut vingt potages dont trois couleur d’urine Et le roi prit deux œufs pochés dans du bouillon Puis les marmitons apportèrent les viandes Des rôtis de pensées mortes dans mon cerveau Mes beaux rêves mort-nés en tranches bien saignantes Et mes souvenirs faisandés en godiveaux Or ces pensées mortes depuis des millénaires Avaient le fade goût des grands mammouths gelés Les os ou songe-creux venaient des ossuaires En danse macabre aux plis de mon cervelet Et tous ces mets criaient des choses nonpareilles Mais nom de Dieu ! Ventre affamé n’a pas d’oreilles Et les convives mastiquaient à qui mieux mieux Ah ! nom de Dieu ! qu’ont donc crié ces entrecôtes Ces grands pâtés ces os à moelle et mirotons Langues de feu où sont-elles mes pentecôtes Pour mes pensées de tous pays de tous les temps

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    Géo Norge

    @geoNorge

    La peur, la faim et quelques autres morsures Chez Norge. tout commence avec la peur. Une peur parfois identifiée avec précision, mais pas souvent. Lui coller une étiquette serait sans doute se donner l'illusion de la circonvenir et de l'asservir. Dangereuse illusion d'entomologiste : elle est tour-jours là. et nous colle à la peau. C'est la peur, qui vaut toutes les peurs (« C'est surtout la peur ordinaire. / C'est surtout la peur de la peur / Avec son bric-à-brac ». F., Poltron, p. 88). Si la peur nous est ainsi consubstantiellc. c'est donc qu'elle est liée à notre existence même. L'angoisse, c'est d'être au monde. Entre le monde et l'homme, ce n'est donc pas d'emblée une histoire d'amour heureux. Ça grince et ça coince. Nostalgie d'un accord perdu ? Ou soif d'un accord à naître ? On ne sait. Ce qu'on sait, en tout cas. c'est que la confrontation de l'homme et du monde fait paradoxalement coexister le remède et la souffrance. Ou. plus précisément, elle refuse le remède au moment même où la souffrance l'imagine. Ce paradoxe porte un nom : le désir. On ne désire que ce que l'on a eu. ce que l'on n'a pas mais que l'on connaît ou que l'on imagine. Elan de l'être en dehors de lui. le désir le condamne à l'inassouvissement. Si la peur est universelle, sans objet précis, c'est que le désir est lui-même infini. Paraphrasant Chesterton. Norgc nous rappelle qu'« une seule chose est nécessaire : tout ». Ces deux thèmes fondamentaux - l'angoisse et le désir - sont puissamment servis, chez Norge. par deux réseaux d'images. D'un côté, le noir et le mur : de l'autre, la faim et la morsure. L'homme norgien est donc double : si le monde est son domaine, pâture où il va paître ses faims, ce monde lui est aussi impropre, au point de lui apparaître comme une prison obscure. De toutes les peurs, la plus profonde et la plus irraisonnablc est sans doute celle du noir. Ce noir que l'on peuple de tous les esprits, de tous les dangers. Plus terrible que tout ce qu'il contient, parce qu'il est la potentialité même. Qui fait peur dans l'étrange locution il fait peur'! (« Une chanson bonne à mâcher / Quand il fait noir, quand il fait peur», R., Une chanson, p. 17). A qui donc se raccrocher? («Maman, quelle obscurité! / Oh. dans tout ce noir, j'ai peur». Q.V., Concerto, p. 420). Mais au delà du noir-contenant, il y a un noir-contenu. La physique nous apprend que le noir n'est pas une couleur, mais l'absence de toute couleur, de ces couleurs dont le blanc est la somme. Que l'obscurité abrite le néant n'est-il pas pire que de la peupler de loups-garous. de sorcières ou de gnomes ? Est-ce ce divorce entre l'être et le néant qu'expriment ces vers du Gros Gibier? : « Il fait si noir dans le noir. / Il fait si chien dans la pluie. / Ça vous colle aux dents, la suie, / Ça désespère, l'espoir» [Les chiens, p. 147). Ce noir-là. il n*est pas à l'extérieur, il est peut-être en nous, comme la peur qui y vit. Si nous participons à ce grand « il » anonyme qui fait peur et qui fait noir, le mur - seconde figure de l'inadéquation de l'homme et du monde - est aussi en nous, car nous le fabriquons. La prison, avec tout son attirail - les barreaux, les serrures, les chaînes, les gonds, les boulets, les pichets et les rats -, est la manifestation achevée du mur. Tout un chapitre des Quatre Vérités s'intitule : Prisons, suppliées. Le supplice, c'est d'être séparé. Mais séparé de quoi ? De tout, sans doute, et définitivement, comme nous le fait savoir l'inusable «deuxième barreau de droite» de telle Prison (Q.V.. pp. 382-383). Mais peut-être aussi de rien. Derrière le mur. il y a peut-être un autre mur. ou le néant. Le mur. comme tous les autres symboles norgiens, a double valeur. Instrument de supplice, il peut aussi être protection : « Non. n'ouvre pas cette porte. / Ca donne sur l'océan ... / Ca donne sur des cloportes... / Pas compris ? Sur le néant ! (...) Au bonheur des maisonnées. / Il faut des portes fermées » (L.V.. La Porte, p. 195). Protection qu'on se crée et qui est évidemment illusoire. Un mur ne rend pas le monde plein : quatre murs ne suffisent pas à apaiser la faim universelle. C'est donc en nous qu'est le mur. comme le noir. Souvent, néant et prison se compénètrent. dans la symbolique norgienne : le monde est un « néant bloqué de remparts» (Q.V., Donc, mouche, p. 389). « ce profond noir méchant des barreaux/ Et de muraille à tout élan des ailes » (Q.V.. Les barreaux, p. 383). Que notre responsabilité dans la profondeur de ce néant et dans l'hostilité des murs soit engagée est manifeste : « Non. le prisonnier ne saura jamais / Qu'il aurait suffi d'une note ailée / Pour jeter à bas son cruel palais / La longueur du temps, les grilles forgées / Et boire la mer à pleines gorgées » (G.G.. Les murs. p. 118). Deux images obscurément transparentes, pour dire le désaccord entre l'homme et le monde et, en définitive, entre l'homme ei lui-même. Mais ce ne sont pas les seules. Un troisième réseau de figures vient renforcer la thématique de l'enfermement : c'est celui de la blessure. Que de sentiments qui « griffent et qui lancinent », que de morsures, que de morts pileuses (« Un crampon dans le sapin. / Le nœud est déjà tout lisse / Louis, ton chagrin s'y glisse. / Pends-le bien». G.G., Le pendu, p. 102). que de morts ignominieuses (« Quand tu répondais oui. on te coupait la tète. / quand tu répondais non. on te coupait le cou. / (...) Le poil de vérité se portera beaucoup / Cet hiver», G.G.. De vérité. p. 107)! Que d'yeux crevés et de jambes coupées (G.G., Trop tard), de guerres entre villages (G.G.. Ennemis), et surtout que de sang ! (« Les dieux se lavent / L'œil et le jabot / Dans le sang d'esclave». G.G.. La loi. p. 111). Les objets eux-mêmes participent de cette agressivité générale : du couteau et de la lance (« De couteau, la rouge histoire / Soufflait sur la plaine en gel », G.G.. De couteau, p. 124 : « Comment va le fer de lance qui se plaît dans ton poumon ? », Les chiens, p. 147) jusqu'à tous ces instruments de la coupe et de la taille, de la frappe et de la fauchaison qui peuplent, comme innocemment, Le petit non (G.G., p. 133). Dans ce registre de la blessure et de l'agression, une place privilégiée doit être faite à la morsure, figure dont nous verrons plus loin toute l'ambiguïté: blessure retenue, destruction lente (« Quand Bérénice eut rongé sa douleur, / Mangé, rongé de larmes et de griffes .... G.G.. Ronge-cœur. p. 106), ingestion commencée, la morsure participe à la fois de la torture et de la réconciliation. Comment s'étonner, alors, de voir le mot. ou l'instrument, accompagné de mots renvoyant à des sentiments complexes? «On connaît vos dents, doux carnassiers» (G.G., Affaires, p. 126)... C'est ici que terreur et faim se rencontrent. La faim est dévorante (« Moi je dis que tout est bien :/ La dent veut de la carcasse. / On est du parti des chiens». G.G., La chasse à courre, p. 130). et de tous les carnivores, l'homme est le plus avide : « Le gai carnivore / Au dieu qu'il adore / Gloussant, / Réclame en naissant / La chair et le sang, / Le sang» (R.. Carnivore, p. 13). Norge ne veut-il nous signifier que ceci, que l'homme est dans la nalure. et que ia grande loi y est de manger pour vivre, cl d'être mangé ? Ce serait peut-être la morale toute de bon sens de la fable Lu faune (F.,p. 62) si la soif de sang ne s'y disait si nettement. Et. surtout, si le mouvement de devoration ne contaminait, chez Norge. l'univers tout entier, et pas seulement le monde du vivant. Si le chasseur est cruel. « C'est la faute aux saines lois / Des terres, des ciels voraces » (G.G., La chasse à courre, p. 130). et le néant lui-même «n'arrête pas de mâcher» (Q.V.. Tout cl rien. p. 375). Il faut donc interroger et la faim et la devoration. La faim, comme la soif qui lui est liée, peut d'abord être lue comme une métaphore du désir. Ces besoins - des plus primaires, comme l'était le sentiment de la peur - sont donc infinis, comme est infini le désir: «Tout bu. toute l'eau / Des mers sonores / El le cœur dit : ô, / J'ai soif encore » (R.. Les quaires éléments, p. 29). La faim sera donc plurielle, sans objet précis et sans siège individualisé. Famines, au pluriel, fait le titre d'un des recueils de Norge. Et la famine, c'est la faim collective, et poignante. Mais il en va de la faim comme du mur : son statut est double. Si la faim figure l'impuissance, avec au boui la mon. elle est aussi une manière d'éprouver l'existence. Le ventre qui se tait se fait oublier ; mais celui qui crie se rappelle à nous. Signe de l'existence, la faim est aussi point d'appui pour un élan (n'est-ce pas là. d'ailleurs, que s'originc toute l'inventivité des hommes ?). D'où ce paradoxe de la famine déclencheuse de quête : rien ne peut l'assouvir (puisqu'elle est infinie), mais tout peut y venir répondre. Mieux : c'est la faim qui suscite la nourriture, puisqu'elle transforme l'objet quelconque en objet comestible. Désir, et donc angoisse, la faim est aussi création : « Famine, moi je prends ton sein : / Bon sein de Famine m'allaite » (F.. Tout ou rien, p. 60). Si la faim est paradoxale - à la fois négativité et positivité -. il faut s'attendre à ce que la devoration. qui semble lui être conséquente, le soit aussi. Dans un premier temps, la devoration semble bien être une riposte : une riposte par la morsure à la morsure de l'univers. Riposte qui n'est pas, que le fait de l'homme : dans ce monde, une rose va bien au delà de ce que ses épines lui permettent dans la tradition populaire : « Rose fouettée de soleil. (...) Tant qu'épine devient dent, / Que douceur devient colère. / Que rose devient vipère» (F., Rose foueliée. p. 65). En réponse aux implacables Lois (G.G., p. 111). il y aura la rébellion : au delà de la résignation devant le « manger et être mangé ». il y a le « mordre pour n'être pas mangé ». Réponse réflexe, négativité contre négativité. Mais l'acte engendrera une positivité. en instituant avec le monde un nouvel accord. C'est ce que nous verrons plus loin. Pour l'instant, observons que la peur, l'emprisonnement, la morsure sont les manifestations matérielles d'une abstraction qui tue plus sûrement que n'importe quel couteau. Ce qui tue quotidiennement, c'est la limite, la dimension. Le temps, la distance et la pesanteur. Mur et temps sont liés (« la longueur des murs, la longueur du temps ». G.G.. Les murs. p. 118). non seulement pour limiter, mais aussi pour détruire. Ce qui constitue l'excès même de la limitation (« la longueur de mort / la longueur du temps ». id.). Invisible et anonyme, mais inexorablement présent comme le bourdonnement familier des mouches, le temps distille la mort (« Au vaste juillet ronronne / L'invisible mouche à vent. / Voilà le seul bruit que donne / Le temps ». G.G.. Les mouches, p. 129). Quant à la pesanteur, c'est elle qui est à l'origine de la quête d'Icare, mythe que Norge exploite - après Ovide et Tansillo. mais avant Queneau et Benoziglio - dans un de ses plus beaux recueils (En combattant la pesanteur, en se faisant être vertical, le mystérieux héros du Sourire d'Icare exprime son désir infini d'espace infini. Mais il ne trouvera sa victoire, signifiée par le sourire, que dans l'échec impliqué par son mouvement). Les limites ne sont pas seulement celles de la matière. La connaissance est. elle aussi une dimension finie. Elle n'est donc qu'un leurre, pour celui qui a faim de tout. Modalité du désir (dont elle partage l'ambiguité : on ne peut vouloir connaître que ce que l'on soupçonne), la connaissance joue à imposer un ordre - dérisoire - à un univers sans ordre en soi (« Pas de question. pas de réponse. Tout brille par l'absence. En somme, l'univers est impensable». C.B.. La statue, p. 492). C'est donc peut-être elle qui crée le plus subtil des emprisonnements. Car qu'est-ce au fond qu'une prison, sinon un monde trop ordonné, l'ordre poussé jusqu'à sa perfection? Et le destin de toute perfection semble bien de tendre au néant. C'est en tout cas la conclusion de Uhu-Dieu : « Puis Ubu s'engloutit de toucher au suprême... Toute perfection se dévore elle-même» (G.G., p. 104).

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    Géo Norge

    @geoNorge

    Repas Odeur de soupe à midi. « Eh bonjour, belle joufflue. Voici les maravédis Que j'ai pris à la cohue ! » Comme il est grand, le mari. Comme il a de lourdes poches : Mais les baisers qu'il décoche Font trembler le canari. La femme et l'enfant se taisent. (L'enfant va-t-il sangloter ?) On entendrait une fraise Rougir dans le saladier. Un repas des plus loyaux : Lui se pousse dans la glotte De gros morceaux d'aloyau A la sauce matelote. Mais les miroirs sont brisés (Sans le moindre éclat de vitre) Où l'aimable Chat Botte Grugeait une gent bélître. Les miroirs où tant d'oisellcs Foisonnaient au buissonnet. Tant de chevaux respiraient Bellement par les nasclles ! Et le ruisseau se dessèche Où souvent la Biche au Bois (Sans le moindre éclat de voix) Venait boire un peu d'eau fraîche.

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    Jacques Chessex

    @jacquesChessex

    Le repas Veines de la pierre et du bras Saignée, clairière de la rencontre Aisselle à l'orée de la chambre des pins Quand au cœur sourd répond le souffle Du bois qui dort sous la voûte Le promenoir des béatitudes Abandonne ses pèlerins Dégarnis de leur poussière digne Ils ont secoué leurs sandales à l'entrée Ils ont été admis et ils sont morts C'est dans les mœurs de ce temple Dispos au sacrifice de ses hôtes Ne pleurez pas, amis du dieu! Ses habitudes ne changeront pas pour vos larmes Il vous souhaite nombreux à ses audiences Et votre pas au déambulatoire des purs Le ravit de ses échos multipliés Veines de pierre rouge du bras que l'on brûle après la marche Entre les colonnes et la lumière apaisée des prières sommeil des ombres Couchées comme le bétail de l'intendant à la porte du monastère Et quand le soleil se lève sur cette gloire La fanfare des morts sonne et tonne invitant le vautour Au repas de ma piété et de ma mémoire

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    Jacques Prévert

    Jacques Prévert

    @jacquesPrevert

    Tentative de description d'un dîner de têtes a Paris-France Ceux qui pieusement... Ceux qui copieusement... Ceux qui tricolorent Ceux qui inaugurent Ceux qui croient Ceux qui croient croire Ceux qui croa-croa Ceux qui ont des plumes Ceux qui grignotent Ceux qui andromaquent Ceux qui majusculent Ceux qui chantent en mesure Ceux qui brossent à reluire Ceux qui ont du ventre Ceux qui baissent les yeux Ceux qui savent découper le poulet Ceux qui sont chauves à l'intérieur de la tête Ceux qui bénissent les meutes Ceux qui font les honneurs du pied Ceux qui debout les morts Ceux qui baïonnette... on Ceux qui donnent des canons aux enfants Ceux qui donnent des enfants aux canons Ceux qui flottent et ne sombrent pas Ceux qui ne prennent pas le Pirée pour un homme Ceux que leurs ailes de géants empêchent de voler Ceux qui plantent en rêve des tessons de bouteille sur la grande muraille de Chine Ceux qui mettent un loup sur leur visage quand ils mangent du mouton Ceux qui volent des œufs et qui n'osent pas les faire cuire Ceux qui ont quatre mille huit cent dix mètres de Mont-Blanc, trois cents de Tour Eiffel, vingt-cinq centimètres de tour de poitrine et qui en sont fiers Ceux qui mamellent de la France Ceux qui courent, volent et nous vengent, tous ceux-là, et beaucoup d'autres entraient fiévreusement à l'Elysée en faisant craquer les graviers, tous ceux-là se bousculaient, se dépêchaient, car il y avait un grand dîner de têtes et chacun s'était fait celle qu'il voulait ceux qui travaillent dans la mine ceux qui écaillent le poisson ceux qui mangent la mauvaise viande ceux qui fabriquent les épingles à cheveux ceux qui soufflent vides les bouteilles que d'autres boiront pleines ceux qui coupent leur pain avec leur couteau ceux qui passent leurs vacances dans les usines ceux qui ne savent pas ce qu'il faut dire ceux qui traient les vaches et ne boivent pas le lait ceux qu'on n'endort pas chez le dentiste ceux qui crachent leurs poumons dans le métro ceux qui fabriquent dans les caves les stylos avec lesquels d'autres écriront en plein air que tout va pour le mieux ceux qui ont trop à dire pour pouvoir le dire ceux qui ont du travail ceux qui n'en ont pas ceux qui en cherchent ceux qui n'en cherchent pas ceux qui donnent à boire aux chevaux ceux qui regardent leur chien mourir ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire ceux qui l'hiver se chauffent dans les églises ceux que le suisse envoie se chauffer dehors ceux qui croupissent ceux qui voudraient manger pour vivre ceux qui voyagent sous les roues ceux qui regardent la Seine couler ceux qu'on engage, qu'on remercie, qu'on augmente, qu'on diminue, qu'on manipule, qu'on fouille, qu'on assomme ceux dont on prend les empreintes ceux qu'on fait sortir des rangs au hasard et qu'on fusille ceux qu'on fait défiler devant l'arc ceux qui ne savent pas se tenir dans le monde entier ceux qui n'ont jamais vu la mer ceux qui sentent le lin parce qu'ils travaillent le lin ceux qui n'ont pas l'eau courante ceux qui sont voués au bleu horizon ceux qui jettent le sel sur la neige moyennant un salaire absolument dérisoire ceux qui vieillissent plus vite que les autres ceux qui ne se sont pas baissés pour ramasser l'épingle ceux qui crèvent d'ennui le dimanche après-midi parce qu'ils voient venir le lundi et le mardi, et le mercredi, et le jeudi, et le vendredi et le samedi et le dimanche après-midi.

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    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    La génisse, la chèvre, et la brebis, en société avec le lion La Génisse, la Chèvre, et leur soeur la Brebis, Avec un fier Lion, seigneur du voisinage, Firent société, dit-on, au temps jadis, Et mirent en commun le gain et le dommage. Dans les lacs de la Chèvre un Cerf se trouva pris. Vers ses associés aussitôt elle envoie. Eux venus, le Lion par ses ongles compta, Et dit : « Nous sommes quatre à partager la proie. «  Puis en autant de parts le Cerf il dépeça ; Prit pour lui la première en qualité de Sire : « Elle doit être à moi, dit-il ; et la raison, C’est que je m’appelle Lion : A cela l’on n’a rien à dire. La seconde, par droit, me doit échoir encor : Ce droit, vous le savez, c’est le droit du plus fort Comme le plus vaillant, je prétends la troisième. Si quelqu’une de vous touche à la quatrième, Je l’étranglerai tout d’abord. « 

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