Le renard et la cigogne Compère le Renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la Cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts :
Le Galant, pour toute besogne
Avait un brouet clair (il vivait chichement).
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette.
La Cigogne au long bec n'en put attraper miette ;
Et le Drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
À quelque temps de là, la Cigogne le prie.
" Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie. "
À l'heure dite, il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse ;
Loua très fort sa politesse,
Trouva le dîner cuit à point.
Bon appétit surtout ; Renards n'en manquent point.
Il se réjouissait à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser
En un vase à long col, et d'étroite embouchure.
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer,
Mais le museau du Sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.
Trompeurs, c'est pour vous que j'écris,
Attendez-vous à la pareille.
il y a 9 mois
J
Jean Godard
@jeanGodard
Hier apres diner, trois heures environ Hier après dîner, trois heures environ,
Je surpris en dormant dans sa chambre m'amie.
La perleuse sueur de sa face endormie
Allait le long du sein roulante en son giron.
Cupidon l'éventait avec son aileron,
Son sein et sa poitrine était nue à demie,
Tellement qu'on voyait sur sa glace affermie
Ainsi qu'un mont de lait son tétin ferme et rond.
Les Zéphyrs éventaient ses cheveux par ondées.
Je n'osai pas baiser son teint de lys et fraise,
Car si au doux sommeil elle trouvait de l'aise,
Et moi encore plus à la voir sommeiller.
il y a 9 mois
Jean Richepin
@jeanRichepin
Ballade du rôdeur des champs Nul ne peut dire où je juche :
Je n’ai ni lit ni hamac.
Je ne connais d’autre huche
Si ce n’est mon estomac.
Mais j’ai planté mon bivac
Dans le pays de maraude,
Où sans lois, sans droits, sans trac,
Je suis le bon gueux qui rôde.
Le loup poursuivi débuche.
Quand la faim me poursuit, crac !
Aux œufs je tends une embûche :
Les poules font cotcodac
Et pondent dans mon bissac.
Puis dans une cave en fraude
Je bois vin, cidre ou cognac.
Je suis le bon gueux qui rôde.
Quand j’ai sifflé litre ou cruche,
Ma cervelle est en mic-mac ;
Bourdonnant comme une ruche,
Mon sang fait tic-tac tic-tac.
Alors je descends au bac
Où chante quelque faraude
Qui me prend pour son verrac.
Je suis le bon gueux qui rôde.
Envoi
Prince au cul bleu comme un lac,
Cogne dont l’œil me taraude,
Pique des deux, va ! Clic, clac !
Je suis le bon gueux qui rôde.
il y a 9 mois
Jean Tardieu
@jeanTardieu
Un repas de roi Bec de profil, terreur du monde
œil stupide et cruel
l'épaule puissante, élégante
bréchet en médaillon, hermine de plumes
et l'éventail de soirée,
près de la cime,
Saturne
au plus fort du festin.
Sur ses genoux
une génisse aux seins nus qu'il déchire,
sous son pied volontaire
un poisson cormoran préparé
Dieu des dieux, roi des rois il opère lui-même ses sacrifices, métamorphoses simultanées.
il y a 9 mois
L
Lorand Gaspar
@lorandGaspar
Le repas des oiseaux À l'aube, sur les eaux, ce premier appel
qui frissonne d'avoir d'un coup débondé l'étendue.
Et toi tu radotes en radoubant ta barque,
tu marmonnes des choses que ne peut comprendre
la Huppe Yafoûr du roi Salomon,
sur la solitude des eaux et l'inconstance des hommes,
sur la peur quand soudain s'obscurcissent les portes,
tu remâches encore ces plantes amères du cœur,
comme si tu ne savais pas que la faute, la seule
est de n'avoir pas su aimer assez, que cette douleur...
Ordre nourri d'une gorgée de braise
dévoré par la soufflerie des ailes.
Puissance et rigueur du fin balancier
qui commande aux angles du ciel.
Arcs graciles des côtes, scellés de nacre,
voûtes jumelles posées sur l'axe du vol,
ici s'amarrent les muscles de la forge
ces fibres et filins qui tendent les vents.
Une boule de choses qui tremblent dans la main,
deux ou trois couleurs, une idée folle
qui passe par la tête, une heureuse
nouvelle traverse en courant les murs,
retrousse un instant les dessous de lumière
et nous laisse à nos miroirs de nostalgie —
mais telle est l'imprudence qui nous irrigue.
Amont prodigieux, cataracte immobile de rumeurs —
buée d'encres et d'ardoises sur la vitre de Dieu.
Ecailles et poudres sur la terre.
Montagnes gris-bleu d'attendre
que se déclarent les quatre horizons —
l'humble idée de l'eau sur les tables absolues.
Glissement de lignes et de muqueuses,
puis la grande voix de l'Ange debout dans le soleil
qui convie les oiseaux à se repaître.
Prends ton sac d'indigence
de chimie chuchotante, fouineuse,
va dans le pur sifflement de lumière,
bègue boiteux, paquet de venin,
tes os remplis de craquements de fauvette.
Le soleil est déjà haut et tu écoutes les cailloux.
La lumière est un vivier de bulles et de bonds légers,
tu flottes au plafond de grandes salles liquides
et tes mouvements nagent décousus dans le tain —
il y a ce bruit de dégel que rendent à midi les fonds
des boues qui ont tant englouti de clameurs —
la note pure de l'eau tient ferme l'agonie
d'un rayon posé hors d'haleine sur les pierres —
les filets sont jetés comme d'habitude
et tu regardes incrédule le ciel sans nuage —
et qui sait le lieu et qui sait le temps?
Rappelle-toi les fonds sous la voûte glauque
la lueur dans la faille, le tressaillement des cœurs,
le fer rapide et la lutte obscure
pour remonter la mort dans la lumière.
Immobile à la barre, ses yeux d'ombre et de malice perdus dans la brume légère des vagues, il murmure Mais que cherchent-elles nos âmes à voyager ?
Plus loin, plus loin que mémoire
la bête rousse du soir sur la croupe des eaux
tant d'effervescence dans l'inéclairé
dans les vases glaiseuses de la chair,
qui sait, qui sait jusqu'où l'on peut brûler
jusqu'où te suivrai-je ineffable fraîcheur?
Rides et ravins dans la peau sèche de l'été
(tu ne voyais pas de halte à ces fièvres)
pâleur sans fond, odeur de paille effritée
clarté au soir à rien redevable
ruine de l'œil où la présence des choses
ramasse ses pépites musiciennes —
Marins dérisoires, rongés de sel et d'injures
la gorgone du naufrage tatouée sur nos bras,
qui nous conduira vers le port?
Tu es seul en cette nuit à lever l'ancre
de tant de regards que l'horreur t'a confiés —
Nuit sur mer plus noire que mer.
Il faut ramer longtemps, je sais.
La barque est noire et blanche
la peau humide et frileuse
(ton corps sentait la résine vers l'aube et la sauge)
je rame
une jubilation se tend sur les eaux couleur de ramier,
tu casses le pain cuit dans l'écorce d'orange, —
la mer change rapidement d'armure
(je ne te reconnaissais plus le matin dans les draps du regard)
la mer plie de grandes barres de miel roux,
la fraîcheur surprise dans les menthes, l'origan
et le nerprun épineux —
il y a des îles encore très accroupies
la chapelle blanche sur le dos et des femmes
qui viennent, gréées de noir
comme si tout était déjà tard et couvert de cendre.
une barque de pêcheur, là-bas, immobile, dur noyau de lumière
sédiment calme de célérité sa chimie érode le corps debout ininterrompu de mer
il y a 9 mois
L
Louise Ackermann
@louiseAckermann
Sakoutala Tiré du Sanscrit.
De l’Inde encore ! A son ami lecteur
Un grand courage il faut que l’on suppose.
Passe une fois, mais nous doubler la dose !
-Ah ! soyez donc indulgent ; un auteur
En vain se met en quatre pour vous plaire;
Vous agréer n’est pas petite affaire.
Moi qui joyeux et suant sang et eau,
De ce pays portais un fruit nouveau,
Nouveau pour vous, je n’en fais point mystère,
Ce même fruit, voici quelques cents ans
Que l’Inde entière y mord à belles dents.
-Il sera frais ! – On y verrait encore
Briller pourtant les larmes de l’Aurore.
Sur sa peau fine et de ton velouté
Glisse un rayon d’immortelle beauté;
C’est grâce pure et fraîcheur sans pareille.
Je vous offrais l’honneur de ma corbeille,
Et je pensais par là m’achalander ;
Je vous traitais en nouvelle pratique.
N’en parlons plus ; à quelque autre boutique
Tout de ce pas allez en marchander,
Fruits boursouflés de plantes mal venues,
Nés sans soleil, mais que l’on porte aux nues.
– Diable ! mon cher, que sera donc le tien ?
Montre-le-nous ; cela n’engage à rien.
– Ayant changé de ciel et de corbeille,
Il a perdu de sa couleur vermeille ;
Bien que l’aveu coûte, je vous le dois.
Ce doux produit d’une terre étrangère
Eût demandé quelque main plus légère;
Un peu de fleur est restée à mes doigts,
Même beaucoup, il vous y faut attendre;
C’est le déchet.- Je vois que tu sais vendre.
Ton fruit si beau ne serait que rebut ?
Tu ne parlais ainsi vers le début.
-Voyager nuit à cette marchandise.
En voulez-vous ou non ? – Quelle sottise !
Un fruit flétri. -Vous m’en diriez merci;
Quoique flétri, si votre lèvre y touche,
Il pourrait bien vous laisser bonne bouche.
– Donne-le donc! – Le voilà, goûtez-y.
Un roi chassait ; mais avant toute chose,
Dépeignez-le, ce roi, s’écrîra-t-on.
Quand je dis roi, tout d’abord on suppose,
Sur ce nom-là, qu’il s’agit d’un barbon;
A mon héros c’est faire un tort immense,
Lui qui n’avait pas de poil au menton.
Par le décrire il faut que je commence.
Il était beau, mais non comme le jour,
Le jour c’est vieux, je dirai donc l’aurore,
C’est bien plus jeune ; il n’avait point encore
Vingt ans ; c’était un frère de l’Amour.
Or, on est beau de plus d’une manière.
Je reconnais deux beautés ; la première
Consiste aux traits ; la ligne et le contour
En font les frais. Seule, elle est fort sévère
Et touche peu ; c’est un marbre glacé
Où de l’Amour la main n’a point passé ;
il y a 9 mois
M
Max Elskamp
@maxElskamp
La nuit Et maintenant c’est la dernière
Et la voici et toute en noir,
Et maintenant c’est la dernière
Ainsi qu’il fallait la prévoir,
Et c’est un homme au feu du soir
Tandis que le repas s’apprête,
Et c’est un homme au feu du soir
Qui mains croisées, baisse la tête,
Or pour tous alors journée faite
Voici la sienne vide et noire,
Or pour tous alors journée faite,
Voici qu’il songe à son avoir,
Et maintenant la table prête
Que c’est tout seul qu’il va s’asseoir,
Et maintenant la table prête
Que seul il va manger et boire,
Car maintenant c’est la dernière
Et qui finit au banc des lits,
Car maintenant c’est la dernière
Et que cela vaut mieux ainsi.
il y a 9 mois
M
Max Elskamp
@maxElskamp
La vie Et lors la sixième est aveugle
Comme un pinson tout à chanter,
Et la sixième, elle, est aveugle
Car voici qu’on est à aimer,
Et que des mets sont sur des tables,
Et que du vin coule de nuit,
A bougies brûlant sur des tables
Où sont des fleurs avec des fruits.
Or gestes alors qui se pressent,
Vins bus, paroles échangées,
Lèvres tendues, yeux qui se baissent,
Chair ici qui jette les dés.
C’est temps allé qui se dérobe,
Et la tête de Jean coupée
Qu’emporte saignante en sa robe
Une fois de plus Salomé,
Car la sixième, elle, est aveugle,
Comme un pinson tout à chanter,
Car la sixième, elle, est aveugle,
Et puis voici qu’on a aimé.
il y a 9 mois
Max Jacob
@maxJacob
Repas chez Simon Chacun doit pleurer sur
Son
Sort
Car c'est pour chacun qu'il est mort.
Ce n'est pas
Lui, ce n'est pas
Lui qui avait mangé de ce fruit
Pourtant
II a été puni.
Par pitié pour moi, par amour pour eux,
Il s'est offert au
Roi des
Cieux
«
Puisque vous êtes en cette ville
«
Soupez avec nous aujourd'hui.
«
Venez donc à mon domicile :
«
Dans une heure les plats seront cuits. »
Disait
Simon à
Jésus-Christ.
—
Simon, de ton repas je ne ferai pas fi. »
—
Je suis irrité contre moi-même.
Disait au
Seigneur
Madeleine,
De ma triste vie qui me guérira donc ?
—
Moi ! qui te donne mon pardon.
Que ma grâce descende à ta nuque,
Toi qui te courbes à mes pieds nus
Voici mes amis !
Qu'ils t'éduquent :
Près d'eux tu seras bienvenue.
Pendant que tous étaient à table,
Judas l'envieux, l'implacable
S'en va trouver les gens notables ; «
Je donne aux soldats rendez-vous «
Demain soir après son repas 1 «
Que je
Le voie sous les verroux. «
Croyez-moi !
C'est un scélérat ! »
J'ai le triste pressentiment
Disait
Marie, la
Vierge-Mère,
Ne va pas en ville, mon enfant,
Pas ce soir si tu veux me plaire —
Pour soulager l'humaine gent
Je dois me donner chair et sang.
il y a 9 mois
M
Michel Deguy
@michelDeguy
Le dîner de Vénus a Port-La-Galère A Vénus Khoury-Ghata
Vénus, aux tard venus
Ton bijou pendait sous les palmes d'août
La systole rouge de
Régulus entre les pieds du
Lion
Donnait le pouls de l'horizon
Véga cloutait le zénith bleu
Tu cherchais la polaire en vain
La chaise cassée de
Cassiopée tu
La rangeas en paix où je te dis sur les terrasses
Et je sortis de ton coffret
Comme l'assistant du prestidigitateur
La
Couronne et
Déneb la triangulaire
Ton cœur de salade fila dans ma bouche
J'ai lu pour toi encore
Arcturus et les
Ourses
Avec des rimes et cette ligne mieux venue
J'aurais pu faire ton sonnet,
Vénus
Tout
Polyphonix échoua down town
aux portes de la veuve de
Max
Ernst
«
The party is over »
Il fallait remonter
Mais à
New
York
Gherassim
Luca perdait l'orie:
Nous prîmes un express tardif et ressortâmes
où il ne fallait pas, e et
Fifth, à peu près
«
On the dark side you are » dit le taxi portoricain
A deux heures un dernier bar open on
Amsterdam
mais rien que du bourbon et des nuts
Et à trois heures
Gherassim ne savait toujours pas
de quel collège de
Columbia il était l'hôte
J'ai un portrait de lui polaroïd contre la grille du
Réservoir un large chapeau noir éclaire son sourire souriant
J'écris avec un crayon rouge de la
Bodleian
Library
Acheté en même temps que la carte postale
Aussitôt envoyée à
Jacques
Derrida
Avec
Jacques
Roubaud rios voyages ne sont pas finis
De
Nashville à
La
Nouvelle-Orléans il a le détail dans son carnet
T.W.
Bundy nous montra des factures de
Baudelaire
La barge à touristes fit
circuler le
Mississippi
A
Cambridge nous avons lu
John
Montague posait sa fiole sur la table
A
Barcelone le sereno d'hôtel
intervertit nos passeports
et nous avons quitté l'Espagne léthargiquement
chacun sous l'identité de l'autre
C'est
Jacques qui s'en est aperçu
Repartant pour
Oslo
il me téléphone
Il en rit volontiers et me dit
L'an prochain
Il faudrait que tu viennes à
Oslo
il y a 9 mois
M
Mohammed Dib
@mohammedDib
Manger À table tout
Ce qu'on mangeait,
Il n'en voulait pas.
Tout cela vivait.
Détestait les gens.
Le détestait, lui.
Il n'en mangerait pas.
Mange, dit la mère.
Il dévora ses larmes.
il y a 9 mois
N
Nashmia Noormohamed
@nashmiaNoormohamed
Le monarque miel aimé Le papillon, après sa mue,
prend son envol avec légèreté,
fend les airs avec grâce,
il embrasse chaque fleur,
chaque beauté de mère Nature.
Tout en nous enchantant de son délicat toucher, il se laisse admirer, ne se lasse de charmer et discrètement fait campagne.
Le pot de miel, lui, suffit par sa présence,
son parfum, sa texture et son nectar doré,
il aiguise notre appétit, titille notre désir,
il nous appelle à la dégustation.
Laissez le pot ouvert, et voilà qu’arrivent une nuée de courtisanes, voilà que s’y invitent les bons vivants.
Des deux, qui es-tu ? Qui voudrais-tu être le temps de cette brève histoire? Le papillon qui voudrait tout butiner ou le pot de miel qui n’objecte à aucune avance?
il y a 9 mois
O
Ondine Valmore
@ondineValmore
Automne Vois ce fruit, chaque jour plus tiède et plus vermeil,
Se gonfler doucement aux regards du soleil !
Sa sève, à chaque instant plus riche et plus féconde,
L’emplit, on le dirait, de volupté profonde.
Sous les feux d’un soleil invisible et puissant,
Notre coeur est semblable à ce fruit mûrissant.
De sucs plus abondants chaque jour il enivre,
Et, maintenant mûri, il est heureux de vivre.
L’automne vient : le fruit se vide et va tomber,
Mais sa gaine est vivante et demande à germer.
L’âge arrive, le coeur se referme en silence,
Mais, pour l’été promis, il garde sa semence.
il y a 9 mois
Paul Éluard
@paulEluard
Vache I On ne mène pas la vache
À la verdure rase et sèche,
À la verdure sans caresses.
L’herbe qui la reçoit
Doit être douce comme un fil de soie,
Un fil de soie doux comme un fil de lait.
Mère ignorée,
Pour les enfants, ce n’est pas le déjeuner,
Mais le lait sur l’herbe
L’herbe devant la vache,
L’enfant devant le lait.
il y a 9 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Epitafe de Francois Rabelais Si d’un mort qui pourri repose
Nature engendre quelque chose,
Et si la generation
Se fait de la corruption,
Une vigne prendra naissance
De l’estomac et de la pance
Du bon Rabelais, qui boivoit
Tousjours ce pendant qu’il vivoit
La fosse de sa grande gueule
Eust plus beu de vin toute seule
(L’epuisant du nez en deus cous)
Qu’un porc ne hume de lait dous,
Qu’Iris de fleuves, ne qu’encore
De vagues le rivage more.
Jamais le Soleil ne l’a veu
s Tant fût-il matin, qu’il n’eut beu,
Et jamais au soir la nuit noire
Tant fut tard, ne l’a veu sans boire.
Car, alteré, sans nul sejour
Le gallant boivoit nuit et jour.
Mais quand l’ardante Canicule
Ramenoit la saison qui brule,
Demi-nus se troussoit les bras,
Et se couchoit tout plat à bas
Sur la jonchée, entre les taces :
Et parmi des escuelles grasses
Sans nulle honte se touillant,
Alloit dans le vin barbouillant
Comme une grenouille en sa fange
Puis ivre chantoit la louange
De son ami le bon Bacus,
Comme sous lui furent vaincus
Les Thebains, et comme sa mere
Trop chaudement receut son pere,
Qui en lieu de faire cela
Las ! toute vive la brula.
Il chantoit la grande massue,
Et la jument de Gargantüe,
Son fils Panurge, et les païs
Des Papimanes ébaïs :
Et chantoit les Iles Hieres
Et frere Jan des autonnieres,
Et d’Episteme les combas :
Mais la mort qui ne boivoit pas
Tira le beuveur de ce monde,
Et ores le fait boire en l’onde
Qui fuit trouble dans le giron
Du large fleuve d’Acheron.
Or toi quiconques sois qui passes
Sur sa fosse repen des taces,
Repen du bril, et des flacons,
Des cervelas et des jambons,
Car si encor dessous la lame
Quelque sentiment a son ame,
Il les aime mieux que les Lis,
Tant soient ils fraichement cueillis.
il y a 9 mois
Raymond Queneau
@raymondQueneau
Le repas ridicule Une fois n'est pas coutume : allons au restaurant nous payer du caviar et des ptits ortolans
Consultons le journal à la rubrique esbrouffe révélant le bon coin où pour pas cher on bouffe
Nous irons à çui-ci, nous irons à çui-là
mais y a des objections : l'un aimm ci, l'autre aimm ça
Je propose : engouffrons notre appétit peu mince au bistrot le troisième après la rue
Huyghens
Tous d'accord remontons le boulevard
Raspail jusqu'aux bars où l'on suss la mouss avec des pailles
Hans
William
Vladimir et
Jean-Jacques
Dupont avalent goulûment de la bière en ballon
Avec ces chers amis d'un pas moins assuré nous trouverons enfin le ptit endroit rêvé
Les couteaux y sont mous les nappes y sont sales te serveuse sans fards parfume toutt la salle
Le patron — un gourmet ! vous fait prendre — c'est fou du pipi pour du vin et pour du foi' du mou
La patronne a du cran et rince les sardines avec une huile qui fut huile dparaffîne
La carne nous amène un rôti d'aspect dur orné concentricment do légumes impurs
Elle vous proposera les miettes gluantes d'une tête de veau que connurent les lentes
Elle proposera les panards englués
d'un porc qui négligea toujours do les laver
Peut-ôtre qu'un produit à l'état naturel échappra-z-aux méfaits dla putréfiantt femelle
«
Voici ma belle enfant un petit nerf do bœuf que vous ulilizrcz pour casser tous vos coufs »
De l'omelette jaune où nage lo persil elle fera-z-hélas un morceau d'anthraci
Ce bon charbon croquant bien craquant sous la dont se blanchira d'un sel sous la dent bien crissant
Plutôt que de noircir un intestin qui grêle nous dévorerons la simili-porcelaine
L'hôtesse nous voyant grignoter son ménage écaillera les murs de l'ampleur de sa rage
Alors avalerons fourchettes et couteaux avant d'avec vitesse enfiler nos manteaux
Fuyards nous galoprons dans la rue où ça neige sans peur de déchirer la couturr de nos grèges
Nous retournant au bout de cinquante ou cent mètres nous verrons le souillon jouer au gazomètre
et nous péter au nez ses infâmes insultes
— patronne de bistrot, empoisonneuse occulte
il y a 9 mois
René Char
@reneChar
Faim rouge Tu étais folle.
Comme c'est loin!
Tu mourus, un doigt devant ta bouche,
Dans un noble mouvement,
Pour couper court à l'effusion;
Au froid soleil d'un vert partage.
Tu étais si belle que nul ne s'aperçut de ta mort.
Plus tard, c'était la nuit, tu te mis en chemin avec moi.
Nudité sans méfiance,
Seins pourris par ton cœur. »
A l'aise en ce monde occurrent,
Un homme, qui t'avait serrée dans ses bras,
Passa à table.
Sois bien, tu n'es pas.
il y a 9 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
La châtaigne Peut-être un hérisson qui vient de naître ?
Dans la mer, ce serait un oursin, pas bien gros…
Ici, la boule d’un chardon – peut-être
Ou le pompon sournois d’une bardane
Ou d’un cactus ? Mais non, dans le bois qui se fane,
Dans le bois sans piquants, moussu, discret et clos,
Cette chose a roulé subitement, d’en-haut,
Comme un défi… parmi les feuilles qui se fanent.
Allez, j’ai bien compris. C’est la saison.
Les geais, à coups de bec, ont travaillé dans l’arbre.
Même les parcs où veillent, tout pensifs, les dieux de marbre,
Ont de ces chutes-là sur leurs gazons.
Marron d’Inde là-bas, châtaigne ici. Châtaigne
Rude et sauvage, verte encore, détachée
Par force de la branche où les grands vents, déjà, l’atteignent
Le vent et les geais ricaneurs, et la nichée
Des écoliers armés de pierres et de gaules.
Comme il faut se défendre ! Sur l’épaule
De la douce prairie en pente, l’on pouvait
Glisser un jour, à son heure, qui sait ?
Et se blottir dans un coin tiède, pour l’hiver…
Ah! Pourquoi tant d’épines, tant d’aiguilles,
Tant de poignards dressés, pauvre peloton vert ?
Une fente… Voici qu’un peu de satin brille
Et le cœur neuf est là, dessous, et rien ne sert
D’être châtaigne obscure, âpre au goût, si menue !
Fendue, on est une châtaigne presque nue…
Et le coup de sabot sur la tête viendra,
Et le couteau pointu, l’eau bouillante, le pot
Qui sue avec de petits rires, des sanglots
Dans les tisons trop rouges ; tout sera
Comme il est dit en l’ordinaire histoire des châtaignes.
Et vous ne voudriez pas, quand me renseigne
Dans la ville brumeuse, un cri rauque : « Marrons tout chauds ! »
Quand j’aperçois, joufflus, blêmes, sans peau,
Ou craquelés et durs avec des taches de panthère,
Les frères de ma sauvageonne, tous ses frères
Vous ne le voudriez pas, que j’évoque, là-bas,
Un vieil arbre perdant ses feuilles rousses,
Et me souvienne du choc sourd, lourd, lourd comme un glas,
De pauvres fruits tués qui tombent sur la mousse ?
il y a 9 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
La graine de raisin oubliée Adieu, paniers ! Les vendanges sont faites !
Qu’attends-tu, graine que je sais, doux grain vivant
Qui s’obstine, grain tendre ?… C’est le temps !
Comme les castagnettes,
Claquent les feuilles sèches dans le vent.
Sur les coteaux, la vigne a chanté jusqu’au bout
Sur chanson rouge. Et, par toutes les routes,
Les chars s’en sont allés, comme ivres. Toutes,
Toutes les grappes ont saigné toutes leurs gouttes.
Qu’attends-tu, graine défiant l’Automne roux ?
À voix basse chante le moût,
À voix haute le vigneron,
À voix lointaine et sans entrain, la grive…
– « Où faut-il maintenant qu’on vive ?
Où faut-il ? dit la grive. Ô raisins blonds,
Ô raisins noirs, ô raisins bleus ! »
– « Clic, clac ! – chantent les feuilles sèches –
La campagne couleur pêche,
De miel et de framboise est déjà morte un peu.
Elle sera morte demain pour de longs jours… »
Te voilà cependant jeune et vivante,
Seule au cœur de la treille en loques, dans l’attente
D’on ne sait quoi d’heureux, graine de frais velours !
Graine de saphir moite à reflet de rubis,
Graine mûrie après les autres, retenue
Par une vrille folle entre deux branches nues,
Qu’attends-tu ? Vois, le vent déchire les habits
Du somptueux platane. Tu subis,
Tu subiras le vent, tu subiras la pluie,
Le gel… « Qu’importent l’heure enfuie,
L’heure à venir, dis-tu, je vis… »
Et tu veux vivre,
Vivre, même boule de givre,
Même chair molle, avec des rides coulissant
Ta petite figure de négresse ?
(Car tu deviendras vieille et noire ; je pressens
Déjà ces choses tristes : la vieillesse,
Le ratatinement, l’ennui…) survivre là,
Dehors, parmi l’hiver aux longues plaintes,
Même séchée en raisin de Corinthe,
Même noyée en éponge, cela
Tu le veux donc ?… soit. L’homme et l’oiseau l’oublièrent.
Mais ne songes-tu pas à tant de grains, tes frères,
Tes frères dont le sang rouge ou doré s’en va
Par les grands chemins de la terre,
Vers les ports, les villes en feu, les bourgs, là-bas,
Là-bas, en tonneaux lourds ou flacons rares ?
Tes frères, que sais-tu de leur vie, au-delà
De ton étroit verger ?
Vins brûlants ou mousseux, vins musqués, vins légers,
Vins qui sentent la rose et la mûre, et se parent
Des noms chantants de vieux pays… dis-moi,
Que sais-tu d’eux ? – « Rien. Leur destin les mène.
Je vis ; je ne suis qu’une graine…
J’attends, où tu me vois,
De tomber toute seule et de germer peut-être.
Le sillon me fera comme un nid, sous le toit
Du vieux cep grelottant, un nid où peut renaître
Une tige sauvage et libre… Je veux être
Encore jeune vigne aux beaux jours qui viendront ! »
À pleine voix chante le vigneron,
À voix lointaine et plaintive, la grive…
il y a 9 mois
S
Sabine Sicaud
@sabineSicaud
Potager basque Le rouge du piment, celui de la tomate,
Luisent joyeusement contre le petit mur.
Le bel oignon de cuivre et le melon trop mûr
Joignent leur blondeur fauve à la gamme écarlate.
Des grains de malaga qui font songer aux dattes
Achèvent de confire au haut du petit mur.
Le cardonnette en fleurs mêle une ombre d’azur
Aux doigts fins de l’hysope offrant ses aromates,
Mais le crépi de cahxu qui par morceaux éclate
Semble jusqu’à la nuit, le long du petit mur,
Réfléchir un soleil si blanc, tapant si dur,
Que les lézards ont dû fermer leurs yeux d’agate.
il y a 9 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
Le pressoir À Auguste Vitu
Sans doute elles vivaient, ces grappes mutilées
Qu’une aveugle machine a sans pitié foulées !
Ne souffraient-elles pas lorsque le dur pressoir
A déchiré leur chair du matin jusqu’au soir,
Et lorsque de leur sein, meurtri de flétrissures,
Leur pauvre âme a coulé par ces mille blessures ?
Les ceps luxuriants et le raisin vermeil
Des coteaux, ces beaux fruits que baisait le soleil,
Sur le sol à présent gisent, cadavre infâme
D’où se sont retirés le sourire et la flamme !
Sainte vigne, qu’importe ! à la clarté des cieux
Nous nous enivrerons de ton sang précieux !
Que le cœur du poète et la grappe qu’on souille
Ne soient plus qu’une triste et honteuse dépouille,
Qu’importe, si pour tous, au bruit d’un chant divin,
Ruisselle éblouissant le flot sacré du vin !
il y a 9 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
Le thé Miss Ellen, versez-moi le Thé
Dans la belle tasse chinoise,
Où des poissons d’or cherchent noise
Au monstre rose épouvanté.
J’aime la folle cruauté
Des chimères qu’on apprivoise :
Miss Ellen, versez-moi le Thé
Dans la belle tasse chinoise.
Là, sous un ciel rouge irrité,
Une dame fière et sournoise
Montre en ses longs yeux de turquoise
L’extase et la naïveté :
Miss Ellen, versez-moi le Thé.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Quand les guignes furent mangées… Quand les guignes furent mangées,
Elle s’écria tout à coup :
– J’aimerais bien mieux des dragées.
Est-il ennuyeux, ton Saint-Cloud !
On a grand-soif ; au lieu de boire,
On mange des cerises ; voi,
C’est joli, j’ai la bouche noire
Et j’ai les doigts bleus ; laisse-moi. –
Elle disait cent autres choses,
Et sa douce main me battait.
Ô mois de juin ! rayons et roses !
L’azur chante et l’ombre se tait.
J’essuyai, sans trop lui déplaire,
Tout en la laissant m’accuser,
Avec des fleurs sa main colère,
Et sa bouche avec un baiser.
il y a 9 mois
W
William Braumann
@williamBraumann
Chez Gaston, le notre Ce que j’ai envie de dire
Tient en quelques mots enrobés de chocolat menthe,
Dans la vitrine sucre glace de la boulangerie d’en face
Où très souvent je me délasse,
Dans un jacuzzi d’îles flottantes
Et de millefeuilles au café
Dans son grand four
Gaston, le pâtissier
En prépare des petits,
Que l’on mange en une seule bouchée
Et ses mignardises bourgeonnantes et costumées,
Fondent sur le palais des rois et des reines
Comme sur ceux des énergumènes
Notre homme, aussi doué que Le Nôtre,
Mais c’est le notre,
Fait valser la chantilly en chantant la traviata
Tandis que sa dame aux camélias,
Accueille ceux qui ont un petit creux sous les côtes
Les croissants, confiseries
Éclats d’amandes, meringues et fruits confits
Dansent car, confidence,
Pendant leurs vacances
Ils ont un peu trempés dans l’alcool
D’un ciel d’étoiles Espagnol
Je plains les vaches dans leurs enclos
Condamner à regarder passer les Paris-Brest,
Que leur vie semble indigeste
À les voir filer sans cesse, j’en deviendrais marteau
Madame, s’il vous plait, je voudrais ce gâteau !
– Ce sera tout ? Me répond-elle,
Sa question est bien embarrassante,
Je tire nerveusement sur mes bretelles
J’ai peu d’argent sur moi,
J’achèterai bien toute la boutique
Me fera t’elle crédit, ou pas ?