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Nourriture

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Nourriture

Poésies de la collection nourriture

    Jean de La Fontaine

    Jean de La Fontaine

    @jeanDeLaFontaine

    Le renard et la cigogne Compère le Renard se mit un jour en frais, Et retint à dîner commère la Cigogne. Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts : Le Galant, pour toute besogne Avait un brouet clair (il vivait chichement). Ce brouet fut par lui servi sur une assiette. La Cigogne au long bec n'en put attraper miette ; Et le Drôle eut lapé le tout en un moment. Pour se venger de cette tromperie, À quelque temps de là, la Cigogne le prie. " Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis Je ne fais point cérémonie. " À l'heure dite, il courut au logis De la Cigogne son hôtesse ; Loua très fort sa politesse, Trouva le dîner cuit à point. Bon appétit surtout ; Renards n'en manquent point. Il se réjouissait à l'odeur de la viande Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande. On servit, pour l'embarrasser En un vase à long col, et d'étroite embouchure. Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer, Mais le museau du Sire était d'autre mesure. Il lui fallut à jeun retourner au logis, Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris, Serrant la queue, et portant bas l'oreille. Trompeurs, c'est pour vous que j'écris, Attendez-vous à la pareille.

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    J

    Jean Godard

    @jeanGodard

    Hier apres diner, trois heures environ Hier après dîner, trois heures environ, Je surpris en dormant dans sa chambre m'amie. La perleuse sueur de sa face endormie Allait le long du sein roulante en son giron. Cupidon l'éventait avec son aileron, Son sein et sa poitrine était nue à demie, Tellement qu'on voyait sur sa glace affermie Ainsi qu'un mont de lait son tétin ferme et rond. Les Zéphyrs éventaient ses cheveux par ondées. Je n'osai pas baiser son teint de lys et fraise, Car si au doux sommeil elle trouvait de l'aise, Et moi encore plus à la voir sommeiller.

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    Jean Richepin

    Jean Richepin

    @jeanRichepin

    Ballade du rôdeur des champs Nul ne peut dire où je juche : Je n’ai ni lit ni hamac. Je ne connais d’autre huche Si ce n’est mon estomac. Mais j’ai planté mon bivac Dans le pays de maraude, Où sans lois, sans droits, sans trac, Je suis le bon gueux qui rôde. Le loup poursuivi débuche. Quand la faim me poursuit, crac ! Aux œufs je tends une embûche : Les poules font cotcodac Et pondent dans mon bissac. Puis dans une cave en fraude Je bois vin, cidre ou cognac. Je suis le bon gueux qui rôde. Quand j’ai sifflé litre ou cruche, Ma cervelle est en mic-mac ; Bourdonnant comme une ruche, Mon sang fait tic-tac tic-tac. Alors je descends au bac Où chante quelque faraude Qui me prend pour son verrac. Je suis le bon gueux qui rôde. Envoi Prince au cul bleu comme un lac, Cogne dont l’œil me taraude, Pique des deux, va ! Clic, clac ! Je suis le bon gueux qui rôde.

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    Jean Tardieu

    Jean Tardieu

    @jeanTardieu

    Un repas de roi Bec de profil, terreur du monde œil stupide et cruel l'épaule puissante, élégante bréchet en médaillon, hermine de plumes et l'éventail de soirée, près de la cime, Saturne au plus fort du festin. Sur ses genoux une génisse aux seins nus qu'il déchire, sous son pied volontaire un poisson cormoran préparé Dieu des dieux, roi des rois il opère lui-même ses sacrifices, métamorphoses simultanées.

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    L

    Lorand Gaspar

    @lorandGaspar

    Le repas des oiseaux À l'aube, sur les eaux, ce premier appel qui frissonne d'avoir d'un coup débondé l'étendue. Et toi tu radotes en radoubant ta barque, tu marmonnes des choses que ne peut comprendre la Huppe Yafoûr du roi Salomon, sur la solitude des eaux et l'inconstance des hommes, sur la peur quand soudain s'obscurcissent les portes, tu remâches encore ces plantes amères du cœur, comme si tu ne savais pas que la faute, la seule est de n'avoir pas su aimer assez, que cette douleur... Ordre nourri d'une gorgée de braise dévoré par la soufflerie des ailes. Puissance et rigueur du fin balancier qui commande aux angles du ciel. Arcs graciles des côtes, scellés de nacre, voûtes jumelles posées sur l'axe du vol, ici s'amarrent les muscles de la forge ces fibres et filins qui tendent les vents. Une boule de choses qui tremblent dans la main, deux ou trois couleurs, une idée folle qui passe par la tête, une heureuse nouvelle traverse en courant les murs, retrousse un instant les dessous de lumière et nous laisse à nos miroirs de nostalgie — mais telle est l'imprudence qui nous irrigue. Amont prodigieux, cataracte immobile de rumeurs — buée d'encres et d'ardoises sur la vitre de Dieu. Ecailles et poudres sur la terre. Montagnes gris-bleu d'attendre que se déclarent les quatre horizons — l'humble idée de l'eau sur les tables absolues. Glissement de lignes et de muqueuses, puis la grande voix de l'Ange debout dans le soleil qui convie les oiseaux à se repaître. Prends ton sac d'indigence de chimie chuchotante, fouineuse, va dans le pur sifflement de lumière, bègue boiteux, paquet de venin, tes os remplis de craquements de fauvette. Le soleil est déjà haut et tu écoutes les cailloux. La lumière est un vivier de bulles et de bonds légers, tu flottes au plafond de grandes salles liquides et tes mouvements nagent décousus dans le tain — il y a ce bruit de dégel que rendent à midi les fonds des boues qui ont tant englouti de clameurs — la note pure de l'eau tient ferme l'agonie d'un rayon posé hors d'haleine sur les pierres — les filets sont jetés comme d'habitude et tu regardes incrédule le ciel sans nuage — et qui sait le lieu et qui sait le temps? Rappelle-toi les fonds sous la voûte glauque la lueur dans la faille, le tressaillement des cœurs, le fer rapide et la lutte obscure pour remonter la mort dans la lumière. Immobile à la barre, ses yeux d'ombre et de malice perdus dans la brume légère des vagues, il murmure Mais que cherchent-elles nos âmes à voyager ? Plus loin, plus loin que mémoire la bête rousse du soir sur la croupe des eaux tant d'effervescence dans l'inéclairé dans les vases glaiseuses de la chair, qui sait, qui sait jusqu'où l'on peut brûler jusqu'où te suivrai-je ineffable fraîcheur? Rides et ravins dans la peau sèche de l'été (tu ne voyais pas de halte à ces fièvres) pâleur sans fond, odeur de paille effritée clarté au soir à rien redevable ruine de l'œil où la présence des choses ramasse ses pépites musiciennes — Marins dérisoires, rongés de sel et d'injures la gorgone du naufrage tatouée sur nos bras, qui nous conduira vers le port? Tu es seul en cette nuit à lever l'ancre de tant de regards que l'horreur t'a confiés — Nuit sur mer plus noire que mer. Il faut ramer longtemps, je sais. La barque est noire et blanche la peau humide et frileuse (ton corps sentait la résine vers l'aube et la sauge) je rame une jubilation se tend sur les eaux couleur de ramier, tu casses le pain cuit dans l'écorce d'orange, — la mer change rapidement d'armure (je ne te reconnaissais plus le matin dans les draps du regard) la mer plie de grandes barres de miel roux, la fraîcheur surprise dans les menthes, l'origan et le nerprun épineux — il y a des îles encore très accroupies la chapelle blanche sur le dos et des femmes qui viennent, gréées de noir comme si tout était déjà tard et couvert de cendre. une barque de pêcheur, là-bas, immobile, dur noyau de lumière sédiment calme de célérité sa chimie érode le corps debout ininterrompu de mer

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    L

    Louise Ackermann

    @louiseAckermann

    Sakoutala Tiré du Sanscrit. De l’Inde encore ! A son ami lecteur Un grand courage il faut que l’on suppose. Passe une fois, mais nous doubler la dose ! -Ah ! soyez donc indulgent ; un auteur En vain se met en quatre pour vous plaire; Vous agréer n’est pas petite affaire. Moi qui joyeux et suant sang et eau, De ce pays portais un fruit nouveau, Nouveau pour vous, je n’en fais point mystère, Ce même fruit, voici quelques cents ans Que l’Inde entière y mord à belles dents. -Il sera frais ! – On y verrait encore Briller pourtant les larmes de l’Aurore. Sur sa peau fine et de ton velouté Glisse un rayon d’immortelle beauté; C’est grâce pure et fraîcheur sans pareille. Je vous offrais l’honneur de ma corbeille, Et je pensais par là m’achalander ; Je vous traitais en nouvelle pratique. N’en parlons plus ; à quelque autre boutique Tout de ce pas allez en marchander, Fruits boursouflés de plantes mal venues, Nés sans soleil, mais que l’on porte aux nues. – Diable ! mon cher, que sera donc le tien ? Montre-le-nous ; cela n’engage à rien. – Ayant changé de ciel et de corbeille, Il a perdu de sa couleur vermeille ; Bien que l’aveu coûte, je vous le dois. Ce doux produit d’une terre étrangère Eût demandé quelque main plus légère; Un peu de fleur est restée à mes doigts, Même beaucoup, il vous y faut attendre; C’est le déchet.- Je vois que tu sais vendre. Ton fruit si beau ne serait que rebut ? Tu ne parlais ainsi vers le début. -Voyager nuit à cette marchandise. En voulez-vous ou non ? – Quelle sottise ! Un fruit flétri. -Vous m’en diriez merci; Quoique flétri, si votre lèvre y touche, Il pourrait bien vous laisser bonne bouche. – Donne-le donc! – Le voilà, goûtez-y. Un roi chassait ; mais avant toute chose, Dépeignez-le, ce roi, s’écrîra-t-on. Quand je dis roi, tout d’abord on suppose, Sur ce nom-là, qu’il s’agit d’un barbon; A mon héros c’est faire un tort immense, Lui qui n’avait pas de poil au menton. Par le décrire il faut que je commence. Il était beau, mais non comme le jour, Le jour c’est vieux, je dirai donc l’aurore, C’est bien plus jeune ; il n’avait point encore Vingt ans ; c’était un frère de l’Amour. Or, on est beau de plus d’une manière. Je reconnais deux beautés ; la première Consiste aux traits ; la ligne et le contour En font les frais. Seule, elle est fort sévère Et touche peu ; c’est un marbre glacé Où de l’Amour la main n’a point passé ;

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    M

    Max Elskamp

    @maxElskamp

    La nuit Et maintenant c’est la dernière Et la voici et toute en noir, Et maintenant c’est la dernière Ainsi qu’il fallait la prévoir, Et c’est un homme au feu du soir Tandis que le repas s’apprête, Et c’est un homme au feu du soir Qui mains croisées, baisse la tête, Or pour tous alors journée faite Voici la sienne vide et noire, Or pour tous alors journée faite, Voici qu’il songe à son avoir, Et maintenant la table prête Que c’est tout seul qu’il va s’asseoir, Et maintenant la table prête Que seul il va manger et boire, Car maintenant c’est la dernière Et qui finit au banc des lits, Car maintenant c’est la dernière Et que cela vaut mieux ainsi.

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    M

    Max Elskamp

    @maxElskamp

    La vie Et lors la sixième est aveugle Comme un pinson tout à chanter, Et la sixième, elle, est aveugle Car voici qu’on est à aimer, Et que des mets sont sur des tables, Et que du vin coule de nuit, A bougies brûlant sur des tables Où sont des fleurs avec des fruits. Or gestes alors qui se pressent, Vins bus, paroles échangées, Lèvres tendues, yeux qui se baissent, Chair ici qui jette les dés. C’est temps allé qui se dérobe, Et la tête de Jean coupée Qu’emporte saignante en sa robe Une fois de plus Salomé, Car la sixième, elle, est aveugle, Comme un pinson tout à chanter, Car la sixième, elle, est aveugle, Et puis voici qu’on a aimé.

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    Max Jacob

    Max Jacob

    @maxJacob

    Repas chez Simon Chacun doit pleurer sur Son Sort Car c'est pour chacun qu'il est mort. Ce n'est pas Lui, ce n'est pas Lui qui avait mangé de ce fruit Pourtant II a été puni. Par pitié pour moi, par amour pour eux, Il s'est offert au Roi des Cieux « Puisque vous êtes en cette ville « Soupez avec nous aujourd'hui. « Venez donc à mon domicile : « Dans une heure les plats seront cuits. » Disait Simon à Jésus-Christ. — Simon, de ton repas je ne ferai pas fi. » — Je suis irrité contre moi-même. Disait au Seigneur Madeleine, De ma triste vie qui me guérira donc ? — Moi ! qui te donne mon pardon. Que ma grâce descende à ta nuque, Toi qui te courbes à mes pieds nus Voici mes amis ! Qu'ils t'éduquent : Près d'eux tu seras bienvenue. Pendant que tous étaient à table, Judas l'envieux, l'implacable S'en va trouver les gens notables ; « Je donne aux soldats rendez-vous « Demain soir après son repas 1 « Que je Le voie sous les verroux. « Croyez-moi ! C'est un scélérat ! » J'ai le triste pressentiment Disait Marie, la Vierge-Mère, Ne va pas en ville, mon enfant, Pas ce soir si tu veux me plaire — Pour soulager l'humaine gent Je dois me donner chair et sang.

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    M

    Michel Deguy

    @michelDeguy

    Le dîner de Vénus a Port-La-Galère A Vénus Khoury-Ghata Vénus, aux tard venus Ton bijou pendait sous les palmes d'août La systole rouge de Régulus entre les pieds du Lion Donnait le pouls de l'horizon Véga cloutait le zénith bleu Tu cherchais la polaire en vain La chaise cassée de Cassiopée tu La rangeas en paix où je te dis sur les terrasses Et je sortis de ton coffret Comme l'assistant du prestidigitateur La Couronne et Déneb la triangulaire Ton cœur de salade fila dans ma bouche J'ai lu pour toi encore Arcturus et les Ourses Avec des rimes et cette ligne mieux venue J'aurais pu faire ton sonnet, Vénus Tout Polyphonix échoua down town aux portes de la veuve de Max Ernst « The party is over » Il fallait remonter Mais à New York Gherassim Luca perdait l'orie: Nous prîmes un express tardif et ressortâmes où il ne fallait pas, e et Fifth, à peu près « On the dark side you are » dit le taxi portoricain A deux heures un dernier bar open on Amsterdam mais rien que du bourbon et des nuts Et à trois heures Gherassim ne savait toujours pas de quel collège de Columbia il était l'hôte J'ai un portrait de lui polaroïd contre la grille du Réservoir un large chapeau noir éclaire son sourire souriant J'écris avec un crayon rouge de la Bodleian Library Acheté en même temps que la carte postale Aussitôt envoyée à Jacques Derrida Avec Jacques Roubaud rios voyages ne sont pas finis De Nashville à La Nouvelle-Orléans il a le détail dans son carnet T.W. Bundy nous montra des factures de Baudelaire La barge à touristes fit circuler le Mississippi A Cambridge nous avons lu John Montague posait sa fiole sur la table A Barcelone le sereno d'hôtel intervertit nos passeports et nous avons quitté l'Espagne léthargiquement chacun sous l'identité de l'autre C'est Jacques qui s'en est aperçu Repartant pour Oslo il me téléphone Il en rit volontiers et me dit L'an prochain Il faudrait que tu viennes à Oslo

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    M

    Mohammed Dib

    @mohammedDib

    Manger À table tout Ce qu'on mangeait, Il n'en voulait pas. Tout cela vivait. Détestait les gens. Le détestait, lui. Il n'en mangerait pas. Mange, dit la mère. Il dévora ses larmes.

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    Nashmia Noormohamed

    @nashmiaNoormohamed

    Le monarque miel aimé Le papillon, après sa mue, prend son envol avec légèreté, fend les airs avec grâce, il embrasse chaque fleur, chaque beauté de mère Nature. Tout en nous enchantant de son délicat toucher, il se laisse admirer, ne se lasse de charmer et discrètement fait campagne. Le pot de miel, lui, suffit par sa présence, son parfum, sa texture et son nectar doré, il aiguise notre appétit, titille notre désir, il nous appelle à la dégustation. Laissez le pot ouvert, et voilà qu’arrivent une nuée de courtisanes, voilà que s’y invitent les bons vivants. Des deux, qui es-tu ? Qui voudrais-tu être le temps de cette brève histoire? Le papillon qui voudrait tout butiner ou le pot de miel qui n’objecte à aucune avance?

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    Ondine Valmore

    @ondineValmore

    Automne Vois ce fruit, chaque jour plus tiède et plus vermeil, Se gonfler doucement aux regards du soleil ! Sa sève, à chaque instant plus riche et plus féconde, L’emplit, on le dirait, de volupté profonde. Sous les feux d’un soleil invisible et puissant, Notre coeur est semblable à ce fruit mûrissant. De sucs plus abondants chaque jour il enivre, Et, maintenant mûri, il est heureux de vivre. L’automne vient : le fruit se vide et va tomber, Mais sa gaine est vivante et demande à germer. L’âge arrive, le coeur se referme en silence, Mais, pour l’été promis, il garde sa semence.

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    Paul Éluard

    Paul Éluard

    @paulEluard

    Vache I On ne mène pas la vache À la verdure rase et sèche, À la verdure sans caresses. L’herbe qui la reçoit Doit être douce comme un fil de soie, Un fil de soie doux comme un fil de lait. Mère ignorée, Pour les enfants, ce n’est pas le déjeuner, Mais le lait sur l’herbe L’herbe devant la vache, L’enfant devant le lait.

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    Pierre de Ronsard

    Pierre de Ronsard

    @pierreDeRonsard

    Epitafe de Francois Rabelais Si d’un mort qui pourri repose Nature engendre quelque chose, Et si la generation Se fait de la corruption, Une vigne prendra naissance De l’estomac et de la pance Du bon Rabelais, qui boivoit Tousjours ce pendant qu’il vivoit La fosse de sa grande gueule Eust plus beu de vin toute seule (L’epuisant du nez en deus cous) Qu’un porc ne hume de lait dous, Qu’Iris de fleuves, ne qu’encore De vagues le rivage more. Jamais le Soleil ne l’a veu s Tant fût-il matin, qu’il n’eut beu, Et jamais au soir la nuit noire Tant fut tard, ne l’a veu sans boire. Car, alteré, sans nul sejour Le gallant boivoit nuit et jour. Mais quand l’ardante Canicule Ramenoit la saison qui brule, Demi-nus se troussoit les bras, Et se couchoit tout plat à bas Sur la jonchée, entre les taces : Et parmi des escuelles grasses Sans nulle honte se touillant, Alloit dans le vin barbouillant Comme une grenouille en sa fange Puis ivre chantoit la louange De son ami le bon Bacus, Comme sous lui furent vaincus Les Thebains, et comme sa mere Trop chaudement receut son pere, Qui en lieu de faire cela Las ! toute vive la brula. Il chantoit la grande massue, Et la jument de Gargantüe, Son fils Panurge, et les païs Des Papimanes ébaïs : Et chantoit les Iles Hieres Et frere Jan des autonnieres, Et d’Episteme les combas : Mais la mort qui ne boivoit pas Tira le beuveur de ce monde, Et ores le fait boire en l’onde Qui fuit trouble dans le giron Du large fleuve d’Acheron. Or toi quiconques sois qui passes Sur sa fosse repen des taces, Repen du bril, et des flacons, Des cervelas et des jambons, Car si encor dessous la lame Quelque sentiment a son ame, Il les aime mieux que les Lis, Tant soient ils fraichement cueillis.

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    Raymond Queneau

    Raymond Queneau

    @raymondQueneau

    Le repas ridicule Une fois n'est pas coutume : allons au restaurant nous payer du caviar et des ptits ortolans Consultons le journal à la rubrique esbrouffe révélant le bon coin où pour pas cher on bouffe Nous irons à çui-ci, nous irons à çui-là mais y a des objections : l'un aimm ci, l'autre aimm ça Je propose : engouffrons notre appétit peu mince au bistrot le troisième après la rue Huyghens Tous d'accord remontons le boulevard Raspail jusqu'aux bars où l'on suss la mouss avec des pailles Hans William Vladimir et Jean-Jacques Dupont avalent goulûment de la bière en ballon Avec ces chers amis d'un pas moins assuré nous trouverons enfin le ptit endroit rêvé Les couteaux y sont mous les nappes y sont sales te serveuse sans fards parfume toutt la salle Le patron — un gourmet ! vous fait prendre — c'est fou du pipi pour du vin et pour du foi' du mou La patronne a du cran et rince les sardines avec une huile qui fut huile dparaffîne La carne nous amène un rôti d'aspect dur orné concentricment do légumes impurs Elle vous proposera les miettes gluantes d'une tête de veau que connurent les lentes Elle proposera les panards englués d'un porc qui négligea toujours do les laver Peut-ôtre qu'un produit à l'état naturel échappra-z-aux méfaits dla putréfiantt femelle « Voici ma belle enfant un petit nerf do bœuf que vous ulilizrcz pour casser tous vos coufs » De l'omelette jaune où nage lo persil elle fera-z-hélas un morceau d'anthraci Ce bon charbon croquant bien craquant sous la dont se blanchira d'un sel sous la dent bien crissant Plutôt que de noircir un intestin qui grêle nous dévorerons la simili-porcelaine L'hôtesse nous voyant grignoter son ménage écaillera les murs de l'ampleur de sa rage Alors avalerons fourchettes et couteaux avant d'avec vitesse enfiler nos manteaux Fuyards nous galoprons dans la rue où ça neige sans peur de déchirer la couturr de nos grèges Nous retournant au bout de cinquante ou cent mètres nous verrons le souillon jouer au gazomètre et nous péter au nez ses infâmes insultes — patronne de bistrot, empoisonneuse occulte

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    René Char

    René Char

    @reneChar

    Faim rouge Tu étais folle. Comme c'est loin! Tu mourus, un doigt devant ta bouche, Dans un noble mouvement, Pour couper court à l'effusion; Au froid soleil d'un vert partage. Tu étais si belle que nul ne s'aperçut de ta mort. Plus tard, c'était la nuit, tu te mis en chemin avec moi. Nudité sans méfiance, Seins pourris par ton cœur. » A l'aise en ce monde occurrent, Un homme, qui t'avait serrée dans ses bras, Passa à table. Sois bien, tu n'es pas.

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    S

    Sabine Sicaud

    @sabineSicaud

    La châtaigne Peut-être un hérisson qui vient de naître ? Dans la mer, ce serait un oursin, pas bien gros… Ici, la boule d’un chardon – peut-être Ou le pompon sournois d’une bardane Ou d’un cactus ? Mais non, dans le bois qui se fane, Dans le bois sans piquants, moussu, discret et clos, Cette chose a roulé subitement, d’en-haut, Comme un défi… parmi les feuilles qui se fanent. Allez, j’ai bien compris. C’est la saison. Les geais, à coups de bec, ont travaillé dans l’arbre. Même les parcs où veillent, tout pensifs, les dieux de marbre, Ont de ces chutes-là sur leurs gazons. Marron d’Inde là-bas, châtaigne ici. Châtaigne Rude et sauvage, verte encore, détachée Par force de la branche où les grands vents, déjà, l’atteignent Le vent et les geais ricaneurs, et la nichée Des écoliers armés de pierres et de gaules. Comme il faut se défendre ! Sur l’épaule De la douce prairie en pente, l’on pouvait Glisser un jour, à son heure, qui sait ? Et se blottir dans un coin tiède, pour l’hiver… Ah! Pourquoi tant d’épines, tant d’aiguilles, Tant de poignards dressés, pauvre peloton vert ? Une fente… Voici qu’un peu de satin brille Et le cœur neuf est là, dessous, et rien ne sert D’être châtaigne obscure, âpre au goût, si menue ! Fendue, on est une châtaigne presque nue… Et le coup de sabot sur la tête viendra, Et le couteau pointu, l’eau bouillante, le pot Qui sue avec de petits rires, des sanglots Dans les tisons trop rouges ; tout sera Comme il est dit en l’ordinaire histoire des châtaignes. Et vous ne voudriez pas, quand me renseigne Dans la ville brumeuse, un cri rauque : « Marrons tout chauds ! » Quand j’aperçois, joufflus, blêmes, sans peau, Ou craquelés et durs avec des taches de panthère, Les frères de ma sauvageonne, tous ses frères Vous ne le voudriez pas, que j’évoque, là-bas, Un vieil arbre perdant ses feuilles rousses, Et me souvienne du choc sourd, lourd, lourd comme un glas, De pauvres fruits tués qui tombent sur la mousse ?

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    S

    Sabine Sicaud

    @sabineSicaud

    La graine de raisin oubliée Adieu, paniers ! Les vendanges sont faites ! Qu’attends-tu, graine que je sais, doux grain vivant Qui s’obstine, grain tendre ?… C’est le temps ! Comme les castagnettes, Claquent les feuilles sèches dans le vent. Sur les coteaux, la vigne a chanté jusqu’au bout Sur chanson rouge. Et, par toutes les routes, Les chars s’en sont allés, comme ivres. Toutes, Toutes les grappes ont saigné toutes leurs gouttes. Qu’attends-tu, graine défiant l’Automne roux ? À voix basse chante le moût, À voix haute le vigneron, À voix lointaine et sans entrain, la grive… – « Où faut-il maintenant qu’on vive ? Où faut-il ? dit la grive. Ô raisins blonds, Ô raisins noirs, ô raisins bleus ! » – « Clic, clac ! – chantent les feuilles sèches – La campagne couleur pêche, De miel et de framboise est déjà morte un peu. Elle sera morte demain pour de longs jours… » Te voilà cependant jeune et vivante, Seule au cœur de la treille en loques, dans l’attente D’on ne sait quoi d’heureux, graine de frais velours ! Graine de saphir moite à reflet de rubis, Graine mûrie après les autres, retenue Par une vrille folle entre deux branches nues, Qu’attends-tu ? Vois, le vent déchire les habits Du somptueux platane. Tu subis, Tu subiras le vent, tu subiras la pluie, Le gel… « Qu’importent l’heure enfuie, L’heure à venir, dis-tu, je vis… » Et tu veux vivre, Vivre, même boule de givre, Même chair molle, avec des rides coulissant Ta petite figure de négresse ? (Car tu deviendras vieille et noire ; je pressens Déjà ces choses tristes : la vieillesse, Le ratatinement, l’ennui…) survivre là, Dehors, parmi l’hiver aux longues plaintes, Même séchée en raisin de Corinthe, Même noyée en éponge, cela Tu le veux donc ?… soit. L’homme et l’oiseau l’oublièrent. Mais ne songes-tu pas à tant de grains, tes frères, Tes frères dont le sang rouge ou doré s’en va Par les grands chemins de la terre, Vers les ports, les villes en feu, les bourgs, là-bas, Là-bas, en tonneaux lourds ou flacons rares ? Tes frères, que sais-tu de leur vie, au-delà De ton étroit verger ? Vins brûlants ou mousseux, vins musqués, vins légers, Vins qui sentent la rose et la mûre, et se parent Des noms chantants de vieux pays… dis-moi, Que sais-tu d’eux ? – « Rien. Leur destin les mène. Je vis ; je ne suis qu’une graine… J’attends, où tu me vois, De tomber toute seule et de germer peut-être. Le sillon me fera comme un nid, sous le toit Du vieux cep grelottant, un nid où peut renaître Une tige sauvage et libre… Je veux être Encore jeune vigne aux beaux jours qui viendront ! » À pleine voix chante le vigneron, À voix lointaine et plaintive, la grive…

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    S

    Sabine Sicaud

    @sabineSicaud

    Potager basque Le rouge du piment, celui de la tomate, Luisent joyeusement contre le petit mur. Le bel oignon de cuivre et le melon trop mûr Joignent leur blondeur fauve à la gamme écarlate. Des grains de malaga qui font songer aux dattes Achèvent de confire au haut du petit mur. Le cardonnette en fleurs mêle une ombre d’azur Aux doigts fins de l’hysope offrant ses aromates, Mais le crépi de cahxu qui par morceaux éclate Semble jusqu’à la nuit, le long du petit mur, Réfléchir un soleil si blanc, tapant si dur, Que les lézards ont dû fermer leurs yeux d’agate.

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    Théodore de Banville

    Théodore de Banville

    @theodoreDeBanville

    Le pressoir À Auguste Vitu Sans doute elles vivaient, ces grappes mutilées Qu’une aveugle machine a sans pitié foulées ! Ne souffraient-elles pas lorsque le dur pressoir A déchiré leur chair du matin jusqu’au soir, Et lorsque de leur sein, meurtri de flétrissures, Leur pauvre âme a coulé par ces mille blessures ? Les ceps luxuriants et le raisin vermeil Des coteaux, ces beaux fruits que baisait le soleil, Sur le sol à présent gisent, cadavre infâme D’où se sont retirés le sourire et la flamme ! Sainte vigne, qu’importe ! à la clarté des cieux Nous nous enivrerons de ton sang précieux ! Que le cœur du poète et la grappe qu’on souille Ne soient plus qu’une triste et honteuse dépouille, Qu’importe, si pour tous, au bruit d’un chant divin, Ruisselle éblouissant le flot sacré du vin !

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    Théodore de Banville

    Théodore de Banville

    @theodoreDeBanville

    Le thé Miss Ellen, versez-moi le Thé Dans la belle tasse chinoise, Où des poissons d’or cherchent noise Au monstre rose épouvanté. J’aime la folle cruauté Des chimères qu’on apprivoise : Miss Ellen, versez-moi le Thé Dans la belle tasse chinoise. Là, sous un ciel rouge irrité, Une dame fière et sournoise Montre en ses longs yeux de turquoise L’extase et la naïveté : Miss Ellen, versez-moi le Thé.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Quand les guignes furent mangées… Quand les guignes furent mangées, Elle s’écria tout à coup : – J’aimerais bien mieux des dragées. Est-il ennuyeux, ton Saint-Cloud ! On a grand-soif ; au lieu de boire, On mange des cerises ; voi, C’est joli, j’ai la bouche noire Et j’ai les doigts bleus ; laisse-moi. – Elle disait cent autres choses, Et sa douce main me battait. Ô mois de juin ! rayons et roses ! L’azur chante et l’ombre se tait. J’essuyai, sans trop lui déplaire, Tout en la laissant m’accuser, Avec des fleurs sa main colère, Et sa bouche avec un baiser.

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    William Braumann

    @williamBraumann

    Chez Gaston, le notre Ce que j’ai envie de dire Tient en quelques mots enrobés de chocolat menthe, Dans la vitrine sucre glace de la boulangerie d’en face Où très souvent je me délasse, Dans un jacuzzi d’îles flottantes Et de millefeuilles au café Dans son grand four Gaston, le pâtissier En prépare des petits, Que l’on mange en une seule bouchée Et ses mignardises bourgeonnantes et costumées, Fondent sur le palais des rois et des reines Comme sur ceux des énergumènes Notre homme, aussi doué que Le Nôtre, Mais c’est le notre, Fait valser la chantilly en chantant la traviata Tandis que sa dame aux camélias, Accueille ceux qui ont un petit creux sous les côtes Les croissants, confiseries Éclats d’amandes, meringues et fruits confits Dansent car, confidence, Pendant leurs vacances Ils ont un peu trempés dans l’alcool D’un ciel d’étoiles Espagnol Je plains les vaches dans leurs enclos Condamner à regarder passer les Paris-Brest, Que leur vie semble indigeste À les voir filer sans cesse, j’en deviendrais marteau Madame, s’il vous plait, je voudrais ce gâteau ! – Ce sera tout ? Me répond-elle, Sa question est bien embarrassante, Je tire nerveusement sur mes bretelles J’ai peu d’argent sur moi, J’achèterai bien toute la boutique Me fera t’elle crédit, ou pas ?

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