Que vous m'allez tourmentant Que vous m'allez tourmentant
De m'estimer infidèle !
Non, vous n'êtes point plus belle
Que je suis ferme et constant.
Pour bien voir quelle est ma foi,
Regardez-moi dans votre âme :
C'est comme j'en fais, Madame ;
Dans la mienne je vous vois.
Si vous pensez me changer,
Ce miroir me le rapporte ;
Voyez donc, de même sorte,
En vous, si je suis léger.
Pour vous, sans plus, je fus né,
Mon cœur n'en peut aimer d'autre :
Las ! si je ne suis plus vôtre,
A qui m'avez-vous donné ?
il y a 6 mois
Philippe Desportes
@philippeDesportes
Rosette, pour un peu d'absence Rosette, pour un peu d'absence,
Votre cœur vous avez changé,
Et moi, sachant cette inconstance,
Le mien autre part j'ai rangé :
Jamais plus, beauté si légère
Sur moi tant de pouvoir n'aura
Nous verrons, volage bergère,
Qui premier s'en repentira.
Tandis qu'en pleurs je me consume,
Maudissant cet éloignement,
Vous qui n'aimez que par coutume,
Caressiez un nouvel amant.
Jamais légère girouette
Au vent si tôt ne se vira :
Nous verrons, bergère Rosette.
Qui premier s'en repentira.
Où sont tant de promesses saintes,
Tant de pleurs versés en partant ?
Est-il vrai que ces tristes plaintes
Sortissent d'un cœur inconstant ?
Dieux ! que vous êtes mensongère !
Maudit soit qui plus vous croira !
Nous verrons, volage bergère,
Qui premier s'en repentira.
Celui qui a gagné ma place
Ne vous peut aimer tant que moi ;
Et celle que j'aime vous passe
De beauté, d'amour et de foi.
Gardez bien votre amitié neuve,
La mienne plus ne variera,
Et puis, nous verrons à l'épreuve
Qui premier s'en repentira.
il y a 6 mois
Fabre d'Eglantine
@fabreDeglantine
Hospitalité Il pleut, il pleut, bergère,
Presse tes blancs moutons,
Allons sous ma chaumière,
Bergère, vite, allons.
J'entends sur le feuillage
L'eau qui tombe à grand bruit ;
Voici, voici l'orage,
Voici l'éclair qui luit.
Bonsoir, bonsoir, ma mère,
Ma Sœur Anne, bonsoir !
J'amène ma bergère
Près de nous pour ce soir.
Va te sécher, ma mie,
Auprès de nos tisons.
Sœur, fais-lui compagnie ;
Entrez, petits moutons.
il y a 6 mois
Pierre Corneille
@pierreCorneille
Chanson Si je perds bien des maîtresses,
J'en fais encor plus souvent,
Et mes vœux et mes promesses
Ne sont que feintes caresses,
Et mes vœux et mes promesses
Ne sont jamais que du vent.
il y a 6 mois
Pierre Corneille
@pierreCorneille
Source délicieuse en misères féconde Source délicieuse en misères féconde,
Que voulez-vous de moi, flatteuses voluptés ?
Honteux attachements de la chair et du Monde,
Que ne me quittez-vous, quand je vous ai quittés ?
Allez honneurs, plaisirs, qui me livrez la guerre,
Toute votre félicité
Sujette à l'instabilité
En moins de rien tombe par terre,
Et comme elle a l'éclat du verre
Elle en a la fragilité.
il y a 6 mois
Pierre Corneille
@pierreCorneille
Stances à la marquise du parc Marquise si mon visage
À quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.
Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront,
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.
Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On m'a vu ce que vous êtes
Vous serez ce que je suis.
Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps.
Vous en avez qu'on adore ;
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.
Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu'il me plaira de vous.
il y a 6 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Ode à Cassandre Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.
Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las ! las ! ses beautés laissé choir !
Ô vraiment marâtre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
il y a 6 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Prends cette rose Prends cette rose aimable comme toi,
Qui sert de rose aux roses les plus belles,
Qui sert de fleur aux fleurs les plus nouvelles,
Dont la senteur me ravit tout de moi.
il y a 6 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Quand vous serez bien vieille Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle. »
Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom, de louange immortelle.
Je serai sous la terre et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
il y a 6 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Sonnet à Marie Je vous envoie un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanouies ;
Qui ne les eût à ces vêpres cueillies,
Tombées à terre elles fussent demain.
il y a 6 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Te regardant assise auprès de ta cousine Te regardant assise auprès de ta cousine,
Belle comme une Aurore, et toi comme un Soleil,
Je pensai voir deux fleurs d'un même teint pareil,
Croissantes en beauté, l'une à l'autre voisine.
La chaste, sainte, belle et unique Angevine,
Vite comme un éclair sur moi jeta son œil.
Toi, comme paresseuse et pleine de sommeil,
D'un seul petit regard tu ne m'estimas digne.
Tu t'entretenais seule au visage abaissé,
Pensive toute à toi, n'aimant rien que toi-même,
Dédaignant un chacun d'un sourcil ramassé.
Comme une qui ne veut qu'on la cherche ou qu'on l'aime.
J'eus peur de ton silence et m'en ahai tout blërne,
Craignant que mon salut n'eût ton œil offensé.
il y a 6 mois
P
Pierre Motin
@pierreMotin
Élégie contre les femmes À quoi,
Destin sanglant, tient-il que tu n'égales
Le bonheur des mortels à celui des cigales,
N'ayant donné la voix qu'aux mâles seulement ?
Des femmes sans raison le faible entendement,
Par la bouche exprimant ses images frivoles,
Ne pourrait nous tromper par de vaines paroles,
Ne saurait pas mentir, reprocher et crier,
Flatter, feindre, trahir, jurer, injurier.
De là vient la feintise, et la haine, et la guerre,
Et toutes les fureurs qui saccagent la terre,
Car tout le mal qui donne aux mortels du souci
Prend son nom d'une femme et de nature aussi,
Comme peste, langueurs, fièvres, hydropisie,
Avarice, tristesse, envie, jalousie,
Crainte, furie, horreur, vengeance, ambition :
Le nom de femme est propre à toute passion.
La mort même, des maux le dernier et le pire,
Est femme, et comme telle à toute chose aspire.
ô femme, dont l'aspeâ, aux mortels déleétable
Autant comme la haine, est toujours redoutable,
Vous aimez en vipère, et ceux que vous baisez
S'avancent au sépulcre où vous les conduisez!
Ou bien la pauvreté, la douleur, et la honte,
Accompagnent toujours ceux dont vous faites conte,
Insensés et trop vains d'embrasser les premiers
Vos corps, qui ne sont rien que de vivants fumiers !
Vos tresses en serpents aux tombeaux sont changées,
Et de votre œil sorcier les fleurs sont outragées.
L'oiseau qui du soleil sent les pures ardeurs,
Qui s'immole, mourant, sur un lit plein d'odeurs,
Et son plumage d'or de cent couleurs émaille,
Apparaît plus souvent qu'une femme qui vaille.
il y a 6 mois
Raymond Radiguet
@raymondRadiguet
Nues Au regard frivoles les nues
Se refusent selon la nuit
Vers l'aurore sans plus de bruit
Dormez chère étoile ingénue
Sous les arbres de l'avenue
Les amours ne sont plus gratuits
Au regard frivoles les nues
Se refusent selon la nuit
Deux étoiles à demi nues
Semblables sœurs nées à minuit
Chacune son tour nous conduit
À des adresses inconnues
De vos regards frivoles nues
il y a 6 mois
R
Rene Depestre
@reneDepestre
Célébration de ma femme Comme le feu qui rit aux éclats dans ta chair ma poésie sera corps de femme au soleil
tel un bateau chargé d'épices à la folie
ma vie tangue sous le poids de ta mythologie
toi par qui le plaisir navigue en haute mer toi qui donnes un horizon à mes chimères
corps au feu magicien sexe à incandescence toi qui sais azurer les soirs sans espérance
quel honneur plus glorieux que celui de chanter dans un lied éclatant de joie et de santé
le grand soleil labié où les quatre éléments montent au ciel dans l'arc émerveillé du sang.
il y a 6 mois
R
Renee Vivien
@reneeVivien
A la femme aimée Lorsque tu vins, à pas réfléchis, dans la brume,
Le ciel mêlait aux ors le cristal et l’airain.
Ton corps se devinait, ondoiement incertain,
Plus souple que la vague et plus frais que l’écume.
Le soir d’été semblait un rêve oriental
De rose et de santal.
Je tremblais. De longs lys religieux et blêmes
Se mouraient dans tes mains, comme des cierges froids.
Leurs parfums expirants s’échappaient de tes doigts
En le souffle pâmé des angoisses suprêmes.
De tes clairs vêtements s’exhalaient tour à tour
L’agonie et l’amour.
Je sentis frissonner sur mes lèvres muettes
La douceur et l’effroi de ton premier baiser.
Sous tes pas, j’entendis les lyres se briser
En criant vers le ciel l’ennui fier des poètes
Parmi des flots de sons languissamment décrus,
Blonde, tu m’apparus.
Et l’esprit assoiffé d’éternel, d’impossible,
D’infini, je voulus moduler largement
Un hymne de magie et d’émerveillement.
Mais la strophe monta bégayante et pénible,
Reflet naïf, écho puéril, vol heurté,
Vers ta Divinité.
il y a 6 mois
R
Renee Vivien
@reneeVivien
Naïade moderne Les remous de la mer miroitaient dans ta robe.
Ton corps semblait le flot traître qui se dérobe.
Tu m’attirais vers toi comme l’abîme et l’eau ;
Tes souples mains avaient le charme du réseau,
Et tes vagues cheveux flottaient sur ta poitrine,
Fluides et subtils comme l’algue marine.
Cet attrait décevant qui pare le danger
Rendait encor plus doux ton sourire léger ;
Ton front me rappelait les profondeurs sereines,
Et tes yeux me chantaient la chanson des sirènes.
il y a 6 mois
R
Renee Vivien
@reneeVivien
Ondine Ton rire est clair, ta caresse est profonde,
Tes froids baisers aiment le mal qu’ils font ;
Tes yeux sont bleus comme un lotus sur l’onde,
Et les lys d’eau sont moins purs que ton front.
Ta forme fuit, ta démarche est fluide,
Et tes cheveux sont de légers réseaux ;
Ta voix ruisselle ainsi qu’un flot perfide ;
Tes souples bras sont pareils aux roseaux,
Aux longs roseaux des fleuves, dont l’étreinte
Enlace, étouffe, étrangle savamment,
Au fond des flots, une agonie éteinte
Dans un nocturne évanouissement.
il y a 6 mois
R
Renee Vivien
@reneeVivien
À une femme Tendre à qui te lapide et mortelle à qui t’aime,
Faisant de l’attitude un frisson de poème,
O Femme dont la grâce enfantine et suprême
Triomphe dans la fange et les pleurs et le sang,
Tu n’aimes que la main qui meurtrit ta faiblesse,
La parole qui trompe et le baiser qui blesse,
L’antique préjugé qui meurt avec noblesse
Et le désir d’un jour qui sourit en passant.
Férocité passive, âme légère et douce,
Pour t’attirer, il faut que le geste repousse :
Ta chair inerte appelle, en râlant, la secousse
Et l’effort sans beauté du mâle triomphant.
Esclave du hasard, des choses et de l’heure,
Être ondoyant, en qui rien de vrai ne demeure,
Tu n’accueilles jamais la passion qui pleure
Ni l’amour qui languit sous ton regard d’enfant.
Le baume du banal et le fard du factice,
L’absurdité des lois, la vanité du vice
Et l’amant dont l’orgueil contente ton caprice,
Suffisent à ton cœur sans rêve et sans espoir.
Jamais tu ne t’éprends de la grâce d’un songe,
D’un reflet dont le charme expirant se prolonge,
D’un écho dans lequel le souvenir se plonge,
Jamais tu ne pâlis à l’approche du soir.
il y a 6 mois
R
Rhita Benjelloun
@rhitaBenjelloun
Le socle du monde Être femme, cœur et âme
Non seulement une chaire sous une trame
Loin d’être avare, d’amour vous inonde
À elle seule ce don, elle est le socle du monde
Être femme, c’est la douceur qui vous guide
Elle a soif d’altruisme avec un cœur avide
Elle donne sans pour autant recevoir,
Ne souhaitant que de l’estime et de l’égard
Être femme, c’est porter le monde
Le voir grandir, et renaître de ses cendres
Le tenir entre les mains puis observer ses pas
Et le soutenir, pour qu’un jour à bon port il arrivera
Être femme, c’est l’incarnation de la patience
De la tendresse, de l’affection,
Du charme et de l’élégance
Être femme, c’est marcher et avoir la tête haute
Car elle est la fierté des autres
il y a 6 mois
R
Robert Garnier
@robertGarnier
Les juives, chœur Pauvres filles de Sion,
Vos liesses sont passées;
La commune affliction
Les a toutes effacées.
il y a 6 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
Autre éventail de mademoiselle Mallarmé O rêveuse, pour que je plonge
Au pur délice sans chemin,
Sache, par un subtil mensonge,
Garder mon aile dans ta main.
Une fraîcheur de crépuscule
Te vient à chaque battement
Dont le coup prisonnier recule
L’horizon délicatement.
Vertige ! voici que frissonne
L’espace comme un grand baiser
Qui, fou de naître pour personne,
Ne peut jaillir ni s’apaiser.
Sens-tu le paradis farouche
Ainsi qu’un rire enseveli
Se couler du coin de ta bouche
Au fond de l’unanime pli !
Le sceptre des rivages roses
Stagnants sur les soirs d’or, ce l’est,
Ce blanc vol fermé que tu poses
Contre le feu d’un bracelet.
il y a 6 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
Billet Pas les rafales à propos
De rien comme occuper la rue
Sujette au noir vol de chapeaux ;
Mais une danseuse apparue
Tourbillon de mousseline ou
Fureur éparses en écumes
Que soulève par son genou
Celle même dont nous vécûmes
Pour tout, hormis lui, rebattu
Spirituelle, ivre, immobile
Foudroyer avec le tutu,
Sans se faire autrement de bile
Sinon rieur que puisse l’air
De sa jupe éventer Whistler.
il y a 6 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Maïeutique reproductive J’ai enfanté moi aussi dans la douleur
Mon ventre dégonflé
Soudaine surprise biochimique
Mon enfant était là
Luisant et métallique
Comme une œuvre d’art jaillissant du néant
J’étais la déesse créatrice
Fertile, sacrée
Seule dans mon bonheur
Emparée par une euphorie mystique
J’ai cru, un seul instant,
être le scarabée de l’humanité
il y a 6 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Sérigraphie d’une cellule Puis-je espérer plus ?
NON
Vision multiple et multiplicatrice
Âme décalée soumise au vouloir de la chair
Transgression
Énergie désaltérante d’un après-midi
Éclair
Je crie pour que mon ego s’éparpille dans le néant.
Puis-je croire encore ?
OUI
Si la dichotomie de l’être surgit
assoiffée de vérités.
Émerveillement
subit d’une naissance
Désir de maternité
Vie intense et inévitable
C’est encore possible
Je sais
il y a 6 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
Ô jeune Florentine Ô jeune Florentine à la prunelle noire,
Beauté dont je voudrais éterniser la gloire,
Vous sur qui notre maître eût jeté plus de lys
Que devant Galatée ou sur Amaryllis,
Vous qui d’un blond sourire éclairez toutes choses
Et dont les pieds polis sont pleins de reflets roses,
Hier vous étiez belle, en quittant votre bain,
À tenter les pinceaux du bel ange d’Urbin.
Ô colombe des soirs ! moi qui vous trouve telle
Que j’ai souvent brûlé de vous rendre immortelle,
Si j’étais Raphaël ou Dante Alighieri
Je mettrais des clartés sur votre front chéri,
Et des enfants riants, fous de joie et d’ivresse,
Planeraient, éblouis, dans l’air qui vous caresse.
Si Virgile, ô diva ! m’instruisait à ses jeux,
Mes chants vous guideraient vers l’Olympe neigeux
Et l’on y pourrait voir sous les rayons de lune,
Près de la Vénus blonde une autre Vénus brune.
Vous fouleriez ces monts que le ciel étoilé
Regarde, et sur le blanc tapis inviolé
Qui brille, vierge encor de toute flétrissure,
Les Grâces baiseraient votre belle chaussure !
Mai 1842.
il y a 6 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
La chanson de ma mie Or, voyez qui je suis, ma mie.
Alfred de Musset.
L’eau, dans les grands lacs bleus
Endormie,
Est le miroir des cieux :
Mais j’aime mieux les yeux
De ma mie.
Pour que l’ombre parfois
Nous sourie,
Un oiseau chante au bois :
Mais j’aime mieux la voix
De ma mie.
La rosée, à la fleur
Défleurie
Rend sa vive couleur :
Mais j’aime mieux un pleur
De ma mie.
Le temps vient tout briser.
On l’oublie :
Moi, pour le mépriser,
Je ne veux qu’un baiser
De ma mie.
La rose sur le lin
Meurt flétrie ;
J’aime mieux pour coussin
Les lèvres et le sein
De ma mie.
On change tour à tour
De folie :
Moi, jusqu’au dernier jour,
Je m’en tiens à l’amour
De ma mie.
Mars 1845.
il y a 6 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
La femme aux roses Nue, et ses beaux cheveux laissant en vagues blondes
Courir à ses talons des nappes vagabondes,
Elle dormait, sereine. Aux plis du matelas
Un sommeil embaumé fermait ses grands yeux las,
Et ses bras vigoureux, pliés comme des ailes,
Reposaient mollement sur des flots de dentelles.
Or, la capricieuse avait, d’un doigt coquet,
Sur elle et sur le lit parsemé son bouquet,
Et, – fond éblouissant pour ces splendeurs écloses ! –
Son corps souple et superbe était jonché de roses.
Et ses lèvres de flamme, et les fleurs de son sein,
Sur ces coteaux neigeux qu’elle montre à dessein,
Semblaient, aux yeux séduits par de douces chimères,
Les boutons rougissants de ces fleurs éphémères.
il y a 6 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
Le thé Miss Ellen, versez-moi le Thé
Dans la belle tasse chinoise,
Où des poissons d’or cherchent noise
Au monstre rose épouvanté.
J’aime la folle cruauté
Des chimères qu’on apprivoise :
Miss Ellen, versez-moi le Thé
Dans la belle tasse chinoise.
Là, sous un ciel rouge irrité,
Une dame fière et sournoise
Montre en ses longs yeux de turquoise
L’extase et la naïveté :
Miss Ellen, versez-moi le Thé.
il y a 6 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
Lorsque ma soeur et moi Lorsque ma soeur et moi, dans les forêts profondes,
Nous avions déchiré nos pieds sur les cailloux,
En nous baisant au front tu nous appelais fous,
Après avoir maudit nos courses vagabondes.
Puis, comme un vent d’été confond les fraîches ondes
De deux petits ruisseaux sur un lit calme et doux,
Lorsque tu nous tenais tous deux sur tes genoux,
Tu mêlais en riant nos chevelures blondes.
Et pendant bien longtemps nous restions là blottis,
Heureux, et tu disais parfois : Ô chers petits.
Un jour vous serez grands, et moi je serai vieille !
Les jours se sont enfuis, d’un vol mystérieux,
Mais toujours la jeunesse éclatante et vermeille
Fleurit dans ton sourire et brille dans tes yeux.
il y a 6 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Caerulei oculi Une femme mystérieuse,
Dont la beauté trouble mes sens,
Se tient debout, silencieuse,
Au bord des flots retentissants.
Ses yeux, où le ciel se reflète,
Mêlent à leur azur amer,
Qu'étoile une humide paillette,
Les teintes glauques de la mer.
Dans les langueurs de leurs prunelles,
Une grâce triste sourit ;
Les pleurs mouillent les étincelles
Et la lumière s'attendrit ;
Et leurs cils comme des mouettes
Qui rasent le flot aplani,
Palpitent, ailes inquiètes,
Sur leur azur indéfini.
Comme dans l'eau bleue et profonde,
Où dort plus d'un trésor coulé,
On y découvre à travers l'onde
La coupe du roi de Thulé.
Sous leur transparence verdâtre,
Brille parmi le goémon,
L'autre perle de Cléopâtre
Prés de l'anneau de Salomon.
La couronne au gouffre lancée
Dans la ballade de Schiller,
Sans qu'un plongeur l'ait ramassée,
Y jette encor son reflet clair.
Un pouvoir magique m'entraîne
Vers l'abîme de ce regard,
Comme au sein des eaux la sirène
Attirait Harald Harfagar.
Mon âme, avec la violence
D'un irrésistible désir,
Au milieu du gouffre s'élance
Vers l'ombre impossible à saisir.
Montrant son sein, cachant sa queue,
La sirène amoureusement
Fait ondoyer sa blancheur bleue
Sous l'émail vert du flot dormant.
L'eau s'enfle comme une poitrine
Aux soupirs de la passion ;
Le vent, dans sa conque marine,
Murmure une incantation.
" Oh ! viens dans ma couche de nacre,
Mes bras d'onde t'enlaceront ;
Les flots, perdant leur saveur âcre,
Sur ta bouche, en miel couleront.
" Laissant bruire sur nos têtes,
La mer qui ne peut s'apaiser,
Nous boirons l'oubli des tempêtes
Dans la coupe de mon baiser. "
Ainsi parle la voix humide
De ce regard céruléen,
Et mon coeur, sous l'onde perfide,
Se noie et consomme l'hymen.