Aux femmes S'il arrivait un jour, en quelque lieu sur terre,
Qu'une entre vous vraiment comprit sa tâche austère ;
Si, dans le sentier rude avançant lentement,
Cette âme s'arrêtait à quelque dévoûment ;
Si c'était la bonté sous les cieux descendue,
Vers les infortunés la main toujours tendue ;
Si l'époux et l'enfant à ce cœur ont puisé ;
Si l'espoir de plusieurs sur elle est déposé ;
Femmes, enviez-la ! Tandis que dans la foule
Votre vie inutile en vains plaisirs s'écoule
Et que votre cœur flotte, au hasard entraîné,
Elle a sa foi, son but et son labeur donné.
Enviez-la ! Qu'il souffre ou combatte, c'est Elle
Que l'homme à son secours incessamment appelle,
Sa joie et son espoir, son rayon sous les cieux,
Qu'il pressentait de l'âme et qu'il cherchait des yeux,
La colombe au cou blanc qu'un vent du ciel ramène
Vers cette arche en danger de la famille humaine,
Qui, des saintes hauteurs en ce morne séjour,
Pour branche d'olivier a rapporté l'amour.
il y a 6 mois
L
Louise Ackermann
@louiseAckermann
Deux vers d'Alcée Quel était ton désir et ta crainte secrète ?
Quoi ! le vœu de ton cœur, ta Muse trop discrète
Rougit-elle de l'exprimer ?
Alcée, on reconnaît l'amour à ce langage.
Sapho feint vainement que ton discours l'outrage,
Sapho sait que tu vas l'aimer.
Tu l'entendais chanter, tu la voyais sourire,
La fille de Lesbos, Sapho qui sur sa lyre
Répandit sa grâce et ses feux.
Sa voix te trouble, Alcée, et son regard t'enflamme
Tandis que ses accents pénétraient dans ton âme,
Sa beauté ravissait tes yeux.
Que devint ton amour ? L'heure qui le vit naître
L'a-t-elle vu mourir ? Vénus ailleurs peut-être
Emporta tes vœux fugitifs.
Mais le parfum du cœur jamais ne s'évapore ;
Même après deux mille ans je le respire encore
Dans deux vers émus et craintifs.
il y a 6 mois
L
Louise Ackermann
@louiseAckermann
Mon livre Je ne vous offre plus pour toutes mélodies
Que des cris de révolte et des rimes hardies.
Oui ! Mais en m’écoutant si vous alliez pâlir ?
Si, surpris des éclats de ma verve imprudente,
Vous maudissez la voix énergique et stridente
Qui vous aura fait tressaillir ?
Pourtant, quand je m’élève à des notes pareilles,
Je ne prétends blesser les cœurs ni les oreilles.
Même les plus craintifs n’ont point à s’alarmer ;
L’accent désespéré sans doute ici domine,
Mais je n’ai pas tiré ces sons de ma poitrine
Pour le plaisir de blasphémer.
Comment ? la Liberté déchaîne ses colères ;
Partout, contre l’effort des erreurs séculaires ;
La Vérité combat pour s’ouvrir un chemin ;
Et je ne prendrais pas parti de ce grand drame ?
Quoi ! ce cœur qui bat là, pour être un cœur de femme,
En est-il moins un cœur humain ?
Est-ce ma faute à moi si dans ces jours de fièvre
D’ardentes questions se pressent sur ma lèvre ?
Si votre Dieu surtout m’inspire des soupçons ?
Si la Nature aussi prend des teintes funèbres,
Et si j’ai de mon temps, le long de mes vertèbres,
Senti courir tous les frissons ?
Jouet depuis longtemps des vents et de la houle,
Mon bâtiment fait eau de toutes parts ; il coule.
La foudre seule encore à ses signaux répond.
Le voyant en péril et loin de toute escale,
Au lieu de m’enfermer tremblante à fond de cale,
J’ai voulu monter sur le pont.
À l’écart, mais debout, là, dans leur lit immense
J’ai contemplé le jeu des vagues en démence.
Puis, prévoyant bientôt le naufrage et la mort,
Au risque d’encourir l’anathème ou le blâme,
À deux mains j’ai saisi ce livre de mon âme,
Et j’ai lancé par-dessus bord.
C’est mon trésor unique, amassé page à page.
À le laisser au fond d’une mer sans rivage
Disparaître avec moi je n’ai pu consentir.
En dépit du courant qui l’emporte ou l’entrave,
Qu’il se soutienne donc et surnage en épave
Sur ces flots qui vont m’engloutir !
Paris, 7 janvier 1874
il y a 6 mois
M
Marie Krysinska
@marieKrysinska
Ève À Maurice Isabey
Ève au corps ingénu lasse de jeux charmants
Avec les biches rivales et les doux léopards
Goûte à présent le repos extatique,
Sur la riche brocatelle des mousses.
Autour d’elle, le silence de midi
Exalte la pamoison odorante des calices,
Et le jeune soleil baise les feuillées neuves.
Tout est miraculeux dans ce Jardin de Joie:
Les branchages s’étoilent de fruits symboliques
Rouges comme des cœurs et blancs comme des âmes;
Les Roses d’Amour encore inécloses
Dorment au beau Rosier;
Les Lys premiers nés
Balancent leurs fervents encensoirs
Auprès
Des chères coupes des Iris
Où fermente le vin noir des mélancolies;
Et le Lotus auguste rêve aux règnes futurs.
Mais parmi les ramures,
C’est la joie criante des oiseaux;
Bleus comme les flammes vives du Désir,
Roses comme de chastes Caresses
Ornés d’or clair ainsi que des Poèmes
Et vêtus d’ailes sombres comme les Trahisons.
Ève repose,
Et cependant que ses beaux flancs nus,
Ignorants de leurs prodigieuses destinées,
Dorment paisibles et par leurs grâces émerveillent
La tribu docile des antilopes,
Voici descendre des plus hautes branches
Un merveilleux Serpent à la bouche lascive,
Un merveilleux Serpent qu’attire et tente
La douceur magnétique de ces beaux flancs nus,
Et voici que pareil à un bras amoureux,
Il s’enroule autour
De ces beaux flancs nus
Ignorants de leurs prodigieuses destinées.
il y a 6 mois
M
Martineau Philippe
@martineauPhilippe
Carmen Comment savoir
si tes cheveux au vent
ont un cœur de tourterelle...
ou un nid de frelons ?
Comment savoir
si tes yeux tant rêvés
ont l’autre part du rêve...
ou ne sont que deux plaies ?
Comment savoir
si tes lèvres carmin
préparent un baiser...
ou un cri de douleur ?
Comment savoir
si ton sang d’aquarelle
est celui qui me peint...
ou celui que je perds ?
il y a 6 mois
Maurice Scève
@mauriceSceve
L'aube éteignait étoiles à foison L'Aube éteignait Étoiles à foison,
Tirant le jour des régions infimes,
Quand Apollo montant sur l'Horizon
Des monts cornus dorait les hautes cimes.
Lors du profond des ténébreux Abîmes,
Où mon penser par ses fâcheux ennuis
Me fait souvent percer les longues nuits,
Je révoquai à moi l'âme ravie :
Qui, desséchant mes larmoyants conduits,
Me fait clair voir le Soleil de ma vie…
L'ardent désir du haut bien désiré,
Qui aspirait à cette fin heureuse,
A de l'ardeur si grand feu attiré,
Que le corps vif est jà poussière Ombreuse :
Et de ma vie, en ce point malheureuse
Pour vouloir tout à son bien condescendre,
Et de mon être, ainsi réduit en cendre
Ne m'est resté, que ces deux signes-ci :
L'œil larmoyant pour piteuse te rendre,
La bouche ouverte à demander merci…
il y a 6 mois
Mellin de Saint-Gelais
@mellinDeSaintGelais
Epitaphe de Marie Compane femme de Nicolas de Herberay Cy gist le corps de la plus heureuse ame
Qui oncques fut ou soit pour sa beauté,
Ou pour ses meurs, ou pour sa loyaulté,
Ou pour avoir esté d'un amy femme.
Amy qui a or le bruyt et la fame
D'un vif exemple et seur de fermetté,
Qui ce corps mort, ce corps tant regretté,
Plus mort luy mesme a mys soubz ceste lame.
Pas n'eust voulu seul demeurer vivant,
Et seul sans elle au monde il pensoit estre,
Dont vif voulut s'enterrer la suivant.
L'ombre de luy seulle on veoit apparoistre,
Et est ce lieu heureux sur toute chose,
Où il languit et morte elle repose.
il y a 6 mois
M
Michel Ménaché
@michelMenache
Le métier qui danse La femme de chambre
chaque matin danse
avec les draps de lit en capilotade
Elle les déploie comme des drapeaux
En trois tours de valse
elle les roule en boule
et s’éclipse avec le panier à linge
Et quand elle rentre chez elle
elle se laisse tomber sur son lit défait
épuisée par tous ces tours
sans l’épaule d’un cavalier
pour appuyer sa joue et ses rêves
il y a 6 mois
N
Nashmia Noormohamed
@nashmiaNoormohamed
Grossesse Grossesse, quel mot immonde,
pour cette merveilleuse métamorphose.
Grossesse, voulue ou non,
désirée, provoquée ou avortée.
Grossesse, en prélude à la
maternité, la mère enfantée.
Grossesse, fruit de l’amour,
l’amour éclair ou l’amour toujours.
Grossesse, moment de plénitude,
ou quand l’enfant élève la mère.
Grossesse, heureux hasard
aléatoire, source de vie.
Grossesse, nausées, insomnies,
mal-être oubliés dès le premier regard,
entre le nouveau-né et sa mère fraîchement nommée.
il y a 6 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
La muse Bluet aux regards d’améthyste,
Bluet aux yeux de ciel, dis-nous
Ce qui te fait être si triste ?
– J’ai vu ses yeux, j’en suis jaloux.
Et toi, simple églantine rose,
Payse aux lèvres de carmin,
Pourquoi sembles-tu si morose ?
– Je suis jalouse de son teint.
Toi, beau lys, qu’en dis-tu ? – Que n’ai-je
Le fin velouté, la blancheur,
La fraîcheur d’aurore et de neige
De sa diaphane blondeur !
Je comprends votre jalousie,
Ô fleurs, c’est qu’hier, en ces lieux,
Dans sa robe de fantaisie
La Muse a passé sous vos yeux.
il y a 6 mois
Pablo Neruda
@pabloNeruda
À mon coeur suffit ta poitrine À mon cœur suffit ta poitrine,
Mes ailes pour ta liberté.
De ma bouche atteindra au ciel
Tout ce qui dormait sur ton âme.
En toi l’illusion quotidienne.
Tu viens, rosée sur les corolles.
Absente et creusant l’horizon
Tu t’enfuis, éternelle vague.
Je l’ai dit : tu chantais au vent
Comme les pins et les mâts des navires.
Tu es haute comme eux et comme eux taciturne.
Tu t’attristes soudain, comme fait un voyage.
Accueillante, pareille à un ancien chemin.
Des échos et des voix nostalgiques te peuplent.
À mon réveil parfois émigrent et s’en vont
Des oiseaux qui s’étaient endormis dans ton âme.
il y a 6 mois
Paul Éluard
@paulEluard
L’entente I
Au centre de la ville la tête prise dans le vide d’une place
Ne sachant pas ce qui t’arrête ô toi plus forte qu’une statue
Tu donnes à la solitude un premier gage
Mais c’est pour mieux la renier
T’es-tu déjà prise par la main
As-tu déjà touché tes mains
Elles sont petites et douces
Ce sont les mains de toutes les femmes
Et les mains des hommes leur vont comme un gant
Les mains touchent aux mêmes choses
Écoute-toi parler tu parles pour les autres
Et si tu te réponds ce sont les autres qui t’entendent
Sous le soleil au haut du ciel qui te délivre de ton ombre
Tu prends la place de chacun et ta réalité est infinie
Multiple tes yeux divers et confondus
Font fleurir les miroirs
Les couvrent de rosée de givre de pollen
Les miroirs spontanés où les aubes voyagent
Où les horizons s’associent
Le creux de ton corps cueille des avalanches
Car tu bois au soleil
Tu dissous le rythme majeur
Tu le redonnes au monde
Tu enveloppes l’homme.
Toujours en train de rire
Mon petit feu charnel
Toujours prête à chanter
Ma double lèvre en flammes
Les chemins tendres que trace ton sang clair
Joignent les créatures
C’est de la mousse qui recouvre le désert
Sans que la nuit jamais puisse y laisser d’emprintes ni d’ornières
Belle à dormir partout à rêver rencontrée à chaque instant d’air pur
Aussi bien sur la terre que parmi les fruits des bras des jambes de la tête
Belle à désirs renouvelés tout est nouveau tout est futur
Mains qui s’étreignent ne pèsent rien
Entre des yeux qui se regardent la lumière déborde
L’écho le plus lointain rebondit entre nous
Tranquille sève nue
Nous passons à travers nos semblables
Sans nous perdre
Sur cette place absurde tu n’es pas plus seule
Qu’une feuille dans un arbre qu’un oiseau dans les airs
Qu’un trésor délivré.
II
Ou bien rire ensemble dans les rues
Chaque pas plus léger plus rapide
Nous sommes deux à ne plus compter sur la sagesse
Avoue le ciel n’est pas sérieux
Ce matin n’est qu’un jeu sur ta bouche de joie
Le soleil se prend dans sa toile
Nous conduisons l’eau pure et toute perfection
Vers l’été diluvien
Sur une mer qui a la forme et la couleur de ton corps
Ravie de ses tempêtes qui lui font robe neuve
Capricieuse et chaude
Changeante comme moi
Ô mes raisons le loir en a plus de dormir
Que moi d’en découvrir de valables à la vie
À moins d’aimer
En passe de devenir caresses
Tes rires et tes gestes règlent mon allure
Poliraient les pavés
Et je ris avec toi et je te crois toute seule
Tout le temps d’une rue qui n’en finit pas.
il y a 6 mois
Paul Éluard
@paulEluard
L’unique Elle avait dans la tranquillité de son corps
Une petite boule de neige couleur d’œil
Elle avait sur les épaules
Une tache de silence une tache de rose
Couvercle de son auréole
Ses mains et des arcs souples et chanteurs
Brisaient la lumière
Elle chantait les minutes sans s’endormir.
il y a 6 mois
Paul Éluard
@paulEluard
L’égalité des sexes Tes yeux sont revenus d’un pays arbitraire
Où nul n’a jamais su ce que c’est qu’un regard
Ni connu la beauté des yeux, beauté des pierres,
Celle des gouttes d’eau, des perles en placards,
Des pierres nues et sans squelette, ô ma statue,
Le soleil aveuglant te tient lieu de miroir
Et s’il semble obéir aux puissances du soir
C’est que ta tête est close, ô statue abattue
Par mon amour et par mes ruses de sauvage.
Mon désir immobile est ton dernier soutien
Et je t’emporte sans bataille, ô mon image,
Rompue à ma faiblesse et prise dans mes liens.
il y a 6 mois
Paul-Jean Toulet
@paulJeanToulet
Dans le lit vaste et dévasté Dans le lit vaste et dévasté
J'ouvre les yeux près d'elle ;
Je l'effleure : un songe infidèle
L'embrasse à mon côté.
Une lueur tranchante et mince
Echancre mon plafond.
Très loin, sur le pavé profond,
J'entends un seau qui grince...
il y a 6 mois
Paul Valéry
@paulValery
Anne Anne qui se mélange au drap pâle et délaisse
Des cheveux endormis sur ses yeux mal ouverts
Mire ses bras lointains tournés avec mollesse
Sur la peau sans couleur du ventre découvert.
Elle vide, elle enfle d'ombre sa gorge lente,
Et comme un souvenir pressant ses propres chairs,
Une bouche brisée et pleine d'eau brûlante
Roule le goût immense et le reflet des mers.
Enfin désemparée et libre d'être fraîche,
La dormeuse déserte aux touffes de couleur
Flotte sur son lit blême, et d'une lèvre sèche,
Tette dans la ténèbre un souffle amer de fleur.
Et sur le linge où l'aube insensible se plisse,
Tombe, d'un bras de glace effleuré de carmin,
Toute une main défaite et perdant le délice
A travers ses doigts nus dénoués de l'humain.
Au hasard ! A jamais, dans le sommeil sans hommes
Pur des tristes éclairs de leurs embrassements,
Elle laisse rouler les grappes et les pommes
Puissantes, qui pendaient aux treilles d'ossements,
il y a 6 mois
Paul Valéry
@paulValery
L'abeille Quelle, et si fine, et si mortelle,
Que soit ta pointe, blonde abeille,
Je n'ai, sur ma tendre corbeille,
Jeté qu'un songe de dentelle.
il y a 6 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
À celle qu’on dit froide Tu n’es pas la plus amoureuse
De celles qui m’ont pris ma chair ;
Tu n’es pas la plus savoureuse
De mes femmes de l’autre hiver.
Mais je t’adore tout de même !
D’ailleurs ton corps doux et bénin
A tout, dans son calme suprême,
De si grassement féminin,
De si voluptueux sans phrase,
Depuis les pieds longtemps baisés
Jusqu’à ces yeux clairs pur d’extase,
Mais que bien et mieux apaisés !
Depuis les jambes et les cuisses
Jeunettes sous la jeune peau,
A travers ton odeur d’éclisses
Et d’écrevisses fraîches, beau,
Mignon, discret, doux, petit Chose
A peine ombré d’un or fluet,
T’ouvrant en une apothéose
A mon désir rauque et muet,
Jusqu’aux jolis tétins d’infante,
De miss à peine en puberté,
Jusqu’à ta gorge triomphante
Dans sa gracile venusté,
Jusqu’à ces épaules luisantes,
Jusqu’à la bouche, jusqu’au front
Naïfs aux mines innocentes
Qu’au fond les faits démentiront,
Jusqu’aux cheveux courts bouclés comme
Les cheveux d’un joli garçon,
Mais dont le flot nous charme, en somme,
Parmi leur apprêt sans façon,
En passant par la lente échine
Dodue à plaisir, jusques au
Cul somptueux, blancheur divine,
Rondeurs dignes de ton ciseau,
Mol Canova ! jusques aux cuisses
Qu’il sied de saluer encor,
Jusqu’aux mollets, fermes délices,
Jusqu’aux talons de rose et d’or !
Nos nœuds furent incoërcibles ?
Non, mais eurent leur attrait leur.
Nos feux se trouvèrent terribles ?
Non, mais donnèrent leur chaleur.
Quant au Point, Froide ? Non pas, Fraîche.
Je dis que notre « sérieux »
Fut surtout, et je m’en pourlèche,
Une masturbation mieux,
Bien qu’aussi bien les prévenances
Sussent te préparer sans plus,
Comme l’on dit, d’inconvenances,
Pensionnaire qui me plus.
Et je te garde entre mes femmes
Du regret non sans quelque espoir
De quand peut-être nous aimâmes
Et de sans doute nous ravoir.
il y a 6 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
A ma femme Grande amie, aujourd'hui l'épouse de mon cœur,
Toi qui fis mon délice en mes jours de langueur,
Or, maintenant quelque force m'est revenue
Et je puis défier la tentation nue.
Rose et
Noire en dehors de toi, bien entendu,
A qui mon corps, vaillant et douloureux, est dû,
Tout mon corps et toute mon âme et tout cet être
Qui t'approche aujourd'hui, ton servant mais son maître,
Et communie en toi par tels tours innocents.
Désormais,
Reine
Légitime de mes sens,
Que te voici car
Dieu nous veut voir, car il aime
A nous voir toujours, avec ou sans emblème,
Unis, ce qui nous fait des anges à ses yeux;
Tout, aussi bien, nous tient de liens précieux,
Tout nous a mariés, ta maturité même.
Epanouie exprés en une fleur suprême.
Et ce même passé, souvent à déplorer.
Luxures, trahisons, qu'il faudra réparer.
Et surtout ce malheur qu'en sainte tu partages
D'un courage charmant par quoi tu t'avantages,
Ce malheur tout physique où je suis, tout moral
De là d'où tu plaças ton vraiment auroral
Et comme virginal mode de m'ëtre bonne,
Ne le cédant en exactitude à personne
Que dis-je ? toujours là, près du triste chevet
Où l'on crut par moments que mon sort s'achevait.
Oui, tout nous fiançait, tout fit les justes noces
De notre avenir calme après les chocs atroces
Où nous usions la chair et l'esprit, en enfants
Vieillis que nous étions déjà, fous, triomphants
D'un reste de jeunesse encor bien usurpée :
Mais qui se sert du fer périra par l'épée !
Heureusement que sur moi seul le mot divin
S'accomplit presque sous tes yeux. —
Mais il est vain
De parler.
Agissons.
Usons de patience
D'abord.
Il le faut bien.
Puisque l'âpre science
Et l'âpre maladie, en leurs mornes combats,
Me piétinent, champ de bataille aux mille pas.
Et puis, soyons joyeux, ou plutôt sois joyeuse,
Toi dont la joie éperle une gamme soyeuse.
Moi je suis résigné, presque content, content.
Comblé, puisque tu vas m'en sourire d'autant.
Ah ! nous serons heureux mieux qu'avant : la sagesse...
Raisonnable est bien là pour nous faire largesse
D'un bonheur jusqu'au bout au lieu de ce plaisir
Où tu te méfiais et qui m'était désir
Pur et simple, avec bien, pourtant, déjà la flèche
Au cœur d'une amour étonnée et pure et fraîche-Mais tout cela c'est du futur...
Vite au présent.
Nous !
Et puis, te voilà de tes yeux apaisant
Ma fièvre, avec ma main sur ta main qui s'y laisse.
Embrassons, de bras lents, — acomptes et promesse !
il y a 6 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
A une femme A vous ces vers de par la grâce consolante
De vos grands yeux où rit et pleure un rêve doux,
De par votre âme pure et toute bonne, à vous
Ces vers du fond de ma détresse violente.
C’est qu’hélas ! le hideux cauchemar qui me hante
N’a pas de trêve et va furieux, fou, jaloux,
Se multipliant comme un cortège de loups
Et se pendant après mon sort qu’il ensanglante !
Oh ! je souffre, je souffre affreusement, si bien
Que le gémissement premier du premier homme
Chassé d’Eden n’est qu’une églogue au prix du mien !
Et les soucis que vous pouvez avoir sont comme
Des hirondelles sur un ciel d’après-midi,
– Chère, – par un beau jour de septembre attiédi.
il y a 6 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Beauté des femmes Beauté des femmes, leur faiblesse, et ces mains pâles
Qui font souvent le bien et peuvent tout le mal,
Et ces yeux, où plus rien ne reste d'animal
Que juste assez pour dire : " assez " aux fureurs mâles.
Et toujours, maternelle endormeuse des râles,
Même quand elle ment, cette voix ! Matinal
Appel, ou chant bien doux à vêpre, ou frais signal,
Ou beau sanglot qui va mourir au pli des châles !...
Hommes durs ! Vie atroce et laide d'ici-bas !
Ah ! que du moins, loin des baisers et des combats,
Quelque chose demeure un peu sur la montagne,
Quelque chose du coeur enfantin et subtil,
Bonté, respect ! Car, qu'est-ce qui nous accompagne
Et vraiment, quand la mort viendra, que reste-t-il ?
il y a 6 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Compagne savoureuse et bonne Compagne savoureuse et bonne
À qui j'ai confié le soin
Définitif de ma personne,
Toi mon dernier, mon seul témoin,
Viens çà, chère, que je te baise,
Que je t'embrasse long et fort,
Mon coeur près de ton coeur bat d'aise
Et d'amour pour jusqu'à la mort :
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.
Je vais gueux comme un rat d'église
Et toi tu n'as que tes dix doigts ;
La table n'est pas souvent mise
Dans nos sous-sols et sous nos toits ;
Mais jamais notre lit ne chôme,
Toujours joyeux, toujours fêté
Et j'y suis le roi du royaume
De ta gaîté, de ta santé !
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.
Après nos nuits d'amour robuste
Je sors de tes bras mieux trempé,
Ta riche caresse est la juste,
Sans rien de ma chair de trompé,
Ton amour répand la vaillance
Dans tout mon être, comme un vin,
Et, seule, tu sais la science
De me gonfler un coeur divin.
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.
Qu'importe ton passé, ma belle,
Et qu'importe, parbleu ! le mien :
Je t'aime d'un amour fidèle
Et tu ne m'as fait que du bien.
Unissons dans nos deux misères
Le pardon qu'on nous refusait
Et je t'étreins et tu me serres
Et zut au monde qui jasait !
Aime-moi,
Car, sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.
il y a 6 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Dans la danse Petite table enfantine,
il y a des femmes dont les yeux sont comme des morceaux de sucre,
il y a des femmes graves comme les mouvements de l’amour qu’on ne surprend
pas
il y a des femmes au visage pâle
d’autres comme le ciel à la veille du vent.
Petite table dorée des jours de fête,
il y a des femmes de bois vert et sombre:
celles qui pleurent,
de bois sombre et vert:
celles qui rient.
Petite table trop basse ou trop haute,
il y a des femmes grasses
avec des ombres légères,
il y a des robes creuses,
des robes sèches,
des robes que l’on porte chez soi et que l’amour ne fait jamais sortir.
Petite table,
je n’aime pas les tables sur lesquelles je danse,
je ne m’en doutais pas.
il y a 6 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Es-tu brune ou blonde ? Es-tu brune ou blonde ?
Sont-ils noirs ou bleus,
Tes yeux ?
Je n’en sais rien, mais j’aime leur clarté profonde,
Mais j’adore le désordre de tes cheveux.
Es-tu douce ou dure ?
Est-il sensible ou moqueur,
Ton cœur ?
Je n’en sais rien, mais je rends grâce à la nature
D’avoir fait de ton cœur mon maître et mon vainqueur.
Fidèle, infidèle ?
Qu’est-ce que ça fait.
Au fait ?
Puisque, toujours disposé à couronner mon zèle
Ta beauté sert de gage à mon plus cher souhait.
il y a 6 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Femme et chatte Elle jouait avec sa chatte,
Et c’était merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S’ébattre dans l’ombre du soir.
Elle cachait – la scélérate ! –
Sous ces mitaines de fil noir
Ses meurtriers ongles d’agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.
L’autre aussi faisait la sucrée
Et rentrait sa griffe acérée,
Mais le diable n’y perdait rien…
Et dans le boudoir où, sonore,
Tintait son rire aérien,
Brillaient quatre points de phosphore.
il y a 6 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Les ingénus Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
En sorte que, selon le terrain et le vent,
Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent
Interceptés ! - et nous aimions ce jeu de dupes.
Parfois aussi le dard d'un insecte jaloux
Inquiétait le col des belles sous les branches,
Et c'était des éclairs soudains de nuques blanches,
Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous.
Le soir tombait, un soir équivoque d'automne :
Les belles, se Pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,
Que notre âme depuis ce temps tremble et s'étonne.
il y a 6 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
L’allée Fardée et peinte comme au temps des bergeries,
Frêle parmi les nœuds énormes de rubans,
Elle passe sous les ramures assombries,
Dans l’allée où verdit la mousse des vieux bancs,
Avec mille façons et mille afféteries
Qu’on garde d’ordinaire aux perruches chéries.
Sa longue robe à queue est bleue, et l’éventail
Qu’elle froisse en ses doigts fluets aux larges bagues
S’égaie un des sujets érotiques, si vagues
Qu’elle sourit, tout en rêvant, à maint détail.
— Blonde, en somme. Le nez mignon avec la bouche
Incarnadine, grasse, et divine d’orgueil
Inconscient. — D’ailleurs plus fine que la mouche
Qui ravive l’éclat un peu niais de l’œil.
il y a 6 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Mon rêve familier Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
il y a 6 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Partie carrée Chute des reins, chute du rêve enfantin d’être sage,
Fesses, trône adoré de l’impudeur,
Fesses, dont la blancheur divinise encor la rondeur,
Triomphe de la chair mieux que celui par le visage !
Seins, double mont d’azur et de lait aux deux cîmes brunes,
Commandant quel vallon, quel bois sacré !
Seins, dont les bouts charmants sont un fruit vivant, savouré
Par la langue et la bouche ivres de ces bonnes fortunes !
Fesses, et leur ravin mignard d’ombre rose un peu sombre
Où rôde le désir devenu fou,
Chers oreillers, coussin au pli profond pour la face ou
Le sexe, et frais repos des mains après ces tours sans nombres !
Seins, fins régals aussi des mains qu’ils gorgent de délices,
Seins lourds, puissants, un brin fiers et moqueurs,
Dandinés, balancés, et, se sentant forts et vainqueurs,
Vers nos prosternements comme regardant en coulisse !
Fesses, les grandes sœurs des seins vraiment, mais plus nature,
Plus bonhomme, sourieuses aussi,
Mais sans malices trop et qui s’abstiennent du souci
De dominer, étant belles pour toute dictature !
Mais quoi ? Vous quatre, bons tyrans, despotes doux et justes,
Vous impériales et vous princiers,
Qui courbez le vulgaire et sacrez vos initiés,
Gloire et louange à vous, Seins très saints, Fesses très augustes !
il y a 6 mois
Paul Éluard
@paulEluard
La courbe de tes yeux La Courbe de tes Yeux un des plus beaux poèmes de Paul Éluard. C’est un poème d'amour en trois quintils, publié en 1924 dans le recueil Capitale de la Douleur. Il est écrit après sa séparation avec sa femme avec Gala, d’origine Russe, qu’il aime encore. Ils se rencontrent en 1912 se marient en 1917.
La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,
Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.