La Confession dans les collines
Les Souvenirs sont au comptoir
Publié par Fayard, le 08 février 2012
376 pages
Résumé
Le roman le plus riche et abouti d’Angelo Rinaldi, on ose écrire son chef-d’œuvre. À travers lui, Proust continue l’œuvre d’autopsie d’une société qui n’a plus de hauteur que celle de ses étages, de ses liasses, de ses talons ou de ses prétentions, se repaissant de son propre spectacle quand, en contrechamp de ce théâtre, de ses poncifs et de ses trompe-l’œil, la remémoration d’une enfance humble autour d’un bistrot-lupanar de province jette les éclats d’une nostalgie relevée d’humour et de tendresse. Conti, qui fut cet enfant, est le célibataire vieillissant qui, entre les jardins du Palais Royal, l’entrée d'un théâtre, la terrasse d’un café, embrasse d’un ample maelström mémoriel qui donne son unité de lieu à cette explosion du temps, un tourbillon de scènes trouvant son axe autour d’un anniversaire dans un restaurant chic du quartier, célébré naguère pour les quarante ans de son ami anglomane et homosexuel. Le fameux dîner est comme ces scènes de théâtre où, en prévision du baisser de rideau, l’auteur a fait se rassembler acteurs principaux, seconds rôles et figurants, et la férocité rinaldienne s’en donne à cœur joie pour camper des types imaginaires aux traits, pour certains, assez reconnaissables, mais avec, en contrepoint, cousins parigots des figurants de province, le petit peuple des grooms, gigolos et filles du trottoir, pigistes à la manque et poètes sans œuvre.Rinaldi reste un des rares à entretenir la flamme d’une littérature digne de ce nom, celle qui ne paraphrase pas le monde, mais le pare d’un éclat qu’il n’avait pas ou que notre œil casanier ne voyait plus.Extrait:Ramené de combien en arrière, soudain ? De vingt ou de vingt-quatre ans ? On se retranchait des années d'instinct comme d'autant de rides, le matin, en se rasant devant la glace, pensa Conti qui descendait la venelle en pente vers la rue de Beaujolais.«Ce soir, de toute façon, ils ne pourraient pas revenir tous.» Un quart de siècle après, en gros, probable, car même les plus jeunes n'avaient pas l'air d'avoir la veille fêté la quille à la sortie de la caserne, le principal intérêt de certains invités pour l'organisateur de la fête tenant à leur qualité de vestiges, de témoins, de miroirs où, dans le flou dû à l'usure du tain par endroits, on espérait saisir quelque reflet, une ombre de ce qu'ils avaient contemplé, approché, aimé peut-être. Quand ce n'était leur nom en lui-même, avec son poids d'échos, qui suffisait à la curiosité.Il était par exemple frappant de découvrir dans le lot, chez ce vieillard au teint couleur de cierge, d'une figure sans le moindre sillon pour l'écoulement des larmes, au regard dénué d'expression sous la paupière à demi fermée de myope aiguisant sa vue en permanence, flotter au bas de son visage - en rappel d'une beauté de traits qui ne s'était pas plus transmise par la chair que le génie - la mâchoire de son père, le poète aux strophes encore familières à quelques-uns dans l'assistance. Il s'en était servi, en somme, tel Samson de la mâchoire de l'âne qui assomma les Philistins, pour éliminer des collègues sur le tableau d'avancement, dans un ministère ou un organisme international qui lui avait ménagé jusqu'au bout la liberté de dîner en ville chaque soir, et des indulgences à la préfecture de Police, quand se pratiquaient encore des descentes d'inspecteurs de la brigade des moeurs dans les saunas qui avaient maintenant pignon sur rue, syndicats, annuaire revues. Ce que l'on racontait était exact, mais on jasait toujours beaucoup sur les célibataires alors que, souvent, ils se cramponnaient à leur état parce qu'ils n'avaient pas renoncé à la vie. Était-ce l'une des dernières sorties de celui-là ? Ses forces commençaient-elles à le trahir ? A partir du hors-d'oeuvre, il somnolait déjà en dépit d'un brouhaha de manécanterie dont le chef contient l'expansion du volume sonore, mais cette musique de mondanité ne le berçait-elle pas depuis son enfance ?Combien avait coûté ce festin de quatre-vingts convives - soit deux par année - qui devait marquer, entre autres, un quarantième anniversaire ? Après ce qui s'était produit dans la coulisse entre les deux amis et demeurerait ignoré de la salle, quel dérisoire dans la question : la note n'avait pas dû amoindrir plus l'héritage soudain tombé sur la tête de Delozier que l'achat d'un pot de yaourt en supplément n'écorne le budget de la ménagère qui se ravitaille chez Franprix. Franprix où, à la fin de la semaine, sur le trottoir, dans la poubelle des produits à la veille de se périmer, des mains de femmes aux habits sans forme ont des rapidités de becs d'oiseau autour d'une mangeoire.
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