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Titre : La chute d'un ange

Auteur : Alphonse de Lamartine

Saint ! saint ! saint ! le Seigneur qu'adore la colline ! Derrière ses soleils, d'ici nous le voyons ; Quand le souffle embaumé de la nuit nous incline, Comme d'humbles roseaux sous sa main nous plions ! Mais pourquoi plions-nous ? C'est que nous le prions, C'est qu'un intime instinct de la vertu divine Fait frissonner nos troncs du dôme à la racine, Comme un vent du courroux qui rougit leur narine, Et qui ronfle dans leur poitrine, Fait ondoyer les crins sur les cous des lions. Glissez, glissez, brises errantes, Changez en cordes murmurantes La feuille et la fibre des bois ! Nous sommes l'instrument sonore Où le nom que la lune adore À tous moments meurt pour éclore Sous nos frémissantes parois. Venez, des nuits tièdes haleines ; Tombez du ciel, montez des plaines, Dans nos branches du grand nom pleines Passez, repassez mille fois ! Si vous cherchez qui le proclame, Laissez là l'éclair et la flamme ! Laissez là la mer et la lame ! Et nous, n'avons-nous pas une âme Dont chaque feuille est une voix ? Tu le sais, ciel des nuits, à qui parlent nos cimes ; Vous, rochers que nos pieds sondent jusqu'aux abîmes Pour y chercher la sève et les sucs nourrissants ; Soleil dont nous buvons les dards éblouissants ; Vous le savez, ô nuits dont nos feuilles avides Pompent les frais baisers et les perles humides, Dites si nous avons des sens ! Des sens ! dont n'est douée aucune créature : Qui s'emparent d'ici de toute la nature, Qui respirent sans lèvre et contemplent sans yeux, Qui sentent les saisons avant qu'elles éclosent, Des sens qui palpent l'air et qui le décomposent, D'une immortelle vie agents mystérieux ! Et pour qui donc seraient ces siècles d'existence ? Et pour qui donc seraient l'âme et l'intelligence ? Est-ce donc pour l'arbuste nain ? Est-ce pour l'insecte et l'atome, Ou pour l'homme, léger fantôme, Qui sèche à mes pieds comme un chaume, Qui dit la terre son royaume, Et disparaît du jour avant que de mon dôme Ma feuille de ses pas ait jonché le chemin ? Car les siècles pour nous c'est hier et demain ! ! ! Oh ! gloire à toi, père des choses ! Dis quel doigt terrible tu poses Sur le plus faible des ressorts, Pour que notre fragile pomme, Qu'écraserait le pied de l'homme, Renferme en soi nos vastes corps ! Pour que de ce cône fragile Végétant dans un peu d'argile S'élancent ces hardis piliers Dont les gigantesques étages Portent les ombres par nuages, Et les feuillages par milliers 5 ! Et les feuillages par milliers ! Dans la sève, goutte de pluie Que boirait le bec d'un oiseau, Pour que ses ondes toujours pleines, Se multipliant dans nos veines, En désaltèrent les réseaux ! Pour que cette source éternelle Dans tous les ruisseaux renouvelle Ce torrent que rien n'interrompt, Et de la crête à la racine Verdisse l'immense colline Qui végète dans un seul tronc ! Dites quel jour des jours nos racines sont nées, Rochers qui nous servez de base et d'aliment ! De nos dômes flottants montagnes couronnées Qui vivez innombrablement ; Soleils éteints du firmament, Etoiles de la nuit par Dieu disséminées, Parlez, savez-vous le moment ? Si l'on ouvrait nos troncs, plus durs qu'un diamant, On trouverait des cents et des milliers d'années Ecrites dans le cœur de nos fibres veinées, Comme aux fibres d'un élément ! Aigles qui passez sur nos têtes, Allez dire aux vents déchaînés Que nous défions leurs tempêtes Avec nos mâts enracinés. Qu'ils montent, ces tyrans de l'onde, Que leur aile s'ameute et gronde Pour assaillir nos bras nerveux ! Allons ! leurs plus fougueux vertiges Ne feront que bercer nos tiges Et que siffler dans nos cheveux ! Fils du rocher, nés de nous-même, Sa main divine nous planta ; Nous sommes le vert diadème Qu'aux sommets d'Éden il jeta. Quand ondoiera l'eau du déluge, Nos flancs creux seront le refuge De la race entière d'Adam, Et les enfants du patriarche Dans nos bois tailleront l'arche Du Dieu nomade d'Abraham ! C'est nous, quand les tribus captives Auront vu les hauteurs d'Hermon, Qui couvrirons de nos solives L'arche immense de Salomon ; Si, plus tard, un Verbe fait homme D'un nom plus saint adore et nomme Son père du haut d'une croix, Autels de ce grand sacrifice, De l'instrument de son supplice Nos rameaux fourniront le bois. En mémoire de ces prodiges, Des hommes inclinant leurs fronts Viendront adorer nos vestiges, Coller leurs lèvres à nos troncs. Les saints, les poètes, les sages Écouteront dans nos feuillages Des bruits pareils aux grandes eaux, Et sous nos ombres prophétiques Formeront leurs plus beaux cantiques Des murmures de nos rameaux. Glissez comme une main sur la harpe qui vibre Glisse de corde en corde, arrachant à la fois À chaque corde une âme, à chaque âme une voix Glissez, brises des nuits, et que de chaque fibre Un saint tressaillement jaillisse sous vos doigts ! Que vos ailes frôlant les feuilles de nos voûtes, Que des larmes du ciel les résonnantes gouttes, Que les gazouillements du bulbul dans son nid, Que les balancements de la mer dans son lit, L'eau qui filtre, l'herbe qui plie, La sève qui découle en pluie, La brute qui hurle ou qui crie, Tous ces bruits de force et de vie Que le silence multiplie, Et ce bruissement du monde végétal Qui palpite à nos pieds du brin d'herbe au métal, Que ces voix qu'un grand chœur rassemble Dans cet air où notre ombre tremble S'élèvent et chantent ensemble Celui qui les a faits, celui qui les entend, Celui dont le regard à leurs besoins s'étend : Dieu, Dieu, Dieu, mer sans bords qui contient tout en elle, Foyer dont chaque vie est la pâle étincelle Bloc dont chaque existence est une humble parcelle, Qu'il vive sa vie éternelle, Complète, immense, universelle ; Qu'il vive à jamais renaissant Avant la nature, après elle ; Et que chaque soupir de l'heure qu'il rappelle Remonte à lui d'où tout descend ! ! ! Ainsi chantait le chœur des arbres, et les anges Avec ravissement répétaient ces louanges ; Et des monts et des mers, et des feux et des vents, De chaque forme d'être et d'atomes vivants L'unanime concert des terrestres merveilles Pour s'élever à Dieu passait par leurs oreilles. Et ces milliers de voix de tout ce qui voit Dieu, Le comprend, ou l'adore ou le sent en tout lieu, Roulaient dans le silence en grandes harmonies Sans mots articulés, sans langues définies, Semblables à ce vague et sourd gémissement Qu'une étreinte d'amour arrache au cœur aimant, Et qui dans un murmure enferme et signifie Plus d'amour qu'en cent mots l'homme n'en balbutie ! Quand l'hymne aux mille voix se fut évaporé, Les esprits, pleins du nom qu'il avait adoré, S'en allèrent ravis porter de sphère en sphère L'écho mélodieux de ces chants de la terre. Un seul, qui contemplait la scène de plus bas, Les regarda partir et ne les suivit pas. Or, pourquoi resta-t-il caché dans le nuage ? C'est qu'au pied d'un grand cèdre, à l'abri du feuillage, Un objet pour lequel il oubliait les deux Semblait comme enchaîner sa pensée et ses yeux. Oh ! qui pouvait d'un ange ainsi ravir la vue ? C'était parmi les fleurs une belle enfant nue, Qui, sous l'arbre le soir surprise du sommeil, N'avait vu ni baisser ni plonger le soleil, Et qui, seule au départ des tribus des montagnes, N'avait pas entendu les cris de ses compagnes. Sa mère sur son front n'avait encor compté Depuis son lait tari que le douzième été ; Mais dans ces jours de force où les sèves moins lentes Se hâtaient de mûrir les hommes et les plantes, Treize ans pour une vierge étaient ce qu'en nos jours Seraient dix-huit printemps pleins de grâce et d'amours. Non loin d'un tronc blanchi de cèdre, où dans les herbes L'astre réverbéré rejaillissait en gerbes, Un rayon de la lune éclairait son beau corps, D'un bassin d'eau dormant ses pieds touchaient les bords, Et quelques lis des eaux, pleins de parfums nocturnes, Recourbaient sur son corps leurs joncs verts et leurs urnes (.....................................................) L'ange, pour la mieux voir écartant le feuillage, De son céleste amour l'embrassait en image, Comme sur un objet que l'on craint d'approcher Le regard des humains pose sans y toucher. Daïdha, disait-il, tendre faon des montagnes ! Parfum caché des bois ! ta mère et tes compagnes Te cherchent en criant dans les forêts ; pourquoi Ai-je oublié le ciel pour veiller là sur toi ? C'est ainsi chaque jour : tous les anges mes frères Plongent au firmament et parcourent les sphères ; Ils m'appellent en vain, moi seul je reste en bas. Il n'est plus pour mes yeux de ciel où tu n'es pas ! Pourquoi le roi du sort, ô fille de la femme, À ton âme en naissant attacha-t-il mon âme ? Pourquoi me tira-t-il de mon heureux néant À l'heure où tu naquis d'un baiser, belle enfant ? Sœur jumelle de moi ! que par un jeu barbare Tant d'amour réunit, et l'infini sépare ! Oh ! sous mes yeux charmés depuis que tu grandis, Mon destin immortel combien je le maudis ! Combien de fois, tenté par un attrait trop tendre, Ne pouvant t'élever, je brûlai de descendre, D'abdiquer ce destin, pour t'égaler à moi, Et de vivre ta vie en mourant comme toi ! Combien de fois ainsi dans mon ciel solitaire, Lassé de mon bonheur et regrettant la terre, Ce cri, ce cri d'amour dans mon âme entendu, Sur mes lèvres de feu resta-t-il suspendu ! Fais-moi mourir aussi, Dieu qui la fis mortelle ! Etre homme ! quel destin !... oui, mais être aimé d'elle ! Mais aimer, être aimé ! s'échanger tout à tour ! Ah ! l'ange ne sait pas ce que c'est que l'amour ! Être unique et parfait qui suffit à soi-même ! Non, il ne connaît pas la volupté suprême De chercher dans un autre un but autre que lui, Et de ne vivre entier qu'en vivant en autrui ! Il n'a pas comme l'homme au milieu de ses peines La compensation des détresses humaines, La sainte faculté de créer en aimant Un être de lui-même image et complément, Un être où de deux cœurs que l'amour fond ensemble L'être se multiplie en un qui leur ressemble ! Oh ! de l'homme divin mystérieuse loi, De ne trouver jamais son tout que hors de soi, De ne pouvoir aimer qu'en consumant une autre ! Que ce destin sublime est préférable du nôtre, À cet amour qui n'a dans nous qu'un seul foyer, Et qui brûle à jamais sans s'y multiplier !