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Poèmes épiques

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Poèmes épiques

Poésies de la collection poèmes épiques

    Auteur inconnu

    Titre inconnu Vision de l’enfer Le ciel tonnait la terre lui répondait et moi j'étais debout entre eux lorsqu'un homme au visage sombre apparut devant moi. (...) Il me dirigea vers la demeure sans retour il me dirigea vers la route sans retour vers la demeure de l'éternelle obscurité vers la demeure dont les habitants sont privés de lumière qui ont la poussière pour nourriture et la boue pour pain. Ils sont comme des oiseaux vêtus d'ailes de plumes ils vivent dans l'obscurité sans jamais voir la lumière.Première description de l’enfer. Unlieu duquel on ne revient pas! Mort d’Endikou « Mon ami, une malédiction me frappe je ne vais pas mourir comme celui qui tombe en plein combat humilié je vais mourir malgré moi mon ami celui qui tombeau combat est béni. » La maladie est signe de malédiction... Seule la mort au combat compte parce qu’elle est vaillante. Lamentation de Gilgamesh Au premier rai de lumière de l'aube Gilgamesh se lamente et pleure sur Enkidou. Aux Anciens d'Ourouk il dit : « Écoutez-moi Anciens d'Ourouk sur Enkidou mon ami et mon compagnon amèrement je pleure et me lamente comme une pleureuse. Celui qui fut la hache de mon côté et la force de mon bras le poignard de ma ceinture et le bouclier de ma défense ma seule joie et mon habit de fête. Un démon impitoyable a surgi et m'a dérobé mon ami mon petit frère âne sauvage des collines léopard du désert.Poème de lamentation et de tristesse devant un être aimé.

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    Dante Alighieri

    Dante Alighieri

    @danteAlighieri

    La divine comédie Gloire à Celui qui meut tout, qui pénètre l’univers, et resplendit plus en une partie, et ailleurs moins. Dans le ciel qui le plus reçoit de sa lumière, je fus, et je vis des choses que ne peut redire celui qui descend de là-haut: parce qu’en s’approchant de l’objet de son désir, tant s’y enfonce notre intelligence, que la mémoire ne peut en arrière retourner si loin. Cependant tout ce qu’en moi j’ai pu thésauriser de souvenirs du royaume saint, sera maintenant le sujet de mon chant. O bon Apollon, fais, en ce dernier travail, que de ta vertu je sois rempli, autant que tu le demandes pour donner le laurier aimé de toi. Jusqu’ici ce me fut assez d’un sommet du Parnasse; mais des deux j’ai besoin pour entrer dans la nouvelle carrière. Viens dans ma poitrine, souffle en elle, comme lorsque tu tiras Marsyas de la gaîne de ses membres. O divine vertu, si tant tu te donnes à moi, que je reproduise au dehors l’ombre du bienheureux royaume empreinte en mon esprit, tu me verras alors venir à ton arbre aimé, et me couronner de ces feuilles dont le sujet et toi me rendrez digne. Si rarement, Père, on en cueille, pour le triomphe ou d’un César ou d’un poète (faute et honte des humains désirs), qu’à joie devrait être à la radieuse Déité Delphique, le feuillage de Pénée, lorsqu’il rend de soi quelqu’un avide. Petite étincelle allume une grande flamme: peut-être qu’après moi, d’une voix meilleure, on priera Cirra de répondre. Par des passages divers surgit pour les mortels la lampe du monde; mais par celui qui avec trois croix joint quatre cercles, il sort, d’un cours plus bienfaisant, en conjonction avec une étoile plus propice, et de la manière qui mieux convient, amollit et empreint la cire terrestre. Un tel lever avait fait là le matin, et ici comme le soir, et là était blanc tout cet hémisphère, et l’autre noir, lorsque je vis Béatrice, tournée vers la gauche, regarder le soleil: jamais aigle si fixement ne le regarda. Et comme un second rayon sort du premier, et rejaillit en haut, tel qu’un voyageur qui veut s’en retourner; ainsi son acte, infus par les yeux dans mon imaginative, devint le mien, et sur le Soleil je fixai les yeux plus qu’il n’est de notre usage. Beaucoup de choses peut là, que ne peut ici notre force, grâce au lieu fait pour être la demeure propre de l’humaine espèce. Je ne le supportai pas longtemps, non cependant si peu que je ne le visse étinceler tout autour, comme le fer qui du feu sort bouillant. Et tout à coup un nouveau jour parut être ajouté au jour, comme si Celui qui peut, d’un autre Soleil avait orné le ciel. Béatrice, debout, tenait ses yeux fixés sur les Cercles éternels; et moi, d’en bas éloignant les miens, je les fixai sur elle, et si avant je pénétrai, que dans son aspect je me fis tel que se fit Glaucus [13], qui en goûtant de l’herbe, devint dans la mer le compagnon des autres Dieux. Cette surhumaine transformation par des paroles ne saurait se décrire: que l’exemple donc suffise à celui à qui la grâce en réserve l’expérience. Si là était de moi cela seul que tu avais nouvellement créé [14], Amour qui gouvernes le ciel, tu le sais, toi qui m’élevas par ta lumière. Lorsque la roue [15] qu’éternellement tu meus, ô désiré, à soi m’eut rendu attentif, par l’harmonie que tu règles et que tu distribues, me parut embrasée de la flamme du soleil une telle étendue du ciel, que ni pluie ni fleuve ne firent jamais un si vaste lac. La nouveauté du son et l’éclat de la lumière allumèrent en moi un désir d’en connaître la cause, plus vif qu’aucun autre que j’eusse jamais senti. D’où elle, qui me voyait comme moi-même, afin de calmer mon âme agitée, avant que pour demander j’eusse ouvert la bouche, ouvrit la sienne, et commença: « Tu épaissis toi-même ta vue par une fausse imagination, tellement que tu ne vois pas ce que tu verrais si tu l’avais secouée. Tu n’es point sur la terre, comme tu le crois; mais de son séjour propre la foudre descend moins vite que tu n’y montes. » Si ces brèves paroles, enveloppées d’un sourire, me délivrèrent du premier doute, dans un autre je fus encore plus enlacé; et je dis: — Satisfait désormais suis-je, et soulagé d’un grand étonnement; mais à présent je m’étonne comment je m’élève au-dessus de ces corps légers. — Sur quoi, après un pieux soupir, elle tourna vers moi les yeux, telle de visage qu’une mère qui regarde son fils en délire. Et commença: « Toutes choses sont ordonnées entre elles, et cet ordre est la forme qui rend l’univers semblable à Dieu. Ici les hautes créatures [16] contemplent la trace de l’éternelle Puissance, qui est la fin de ce qu’ainsi elle a réglé. Dans l’ordre dont je parle, toutes les natures ont leur inclination, plus ou moins, selon leurs genres divers, rapprochées de leur principe: d’où vient qu’elles voguent vers divers ports à travers la grande mer de l’Etre, emportées chacune par l’instinct qu’elle a reçu: celui-ci emporte le feu vers la lune; celui-ci meut les cœurs mortels; celui-ci condense et unit en une masse la terre. Et les flèches de cet arc n’atteignent pas seulement les créatures privées d’intelligence, mais celles aussi douées d’intelligence et d’amour. La Providence ordonnatrice de ce vaste tout, par l’effusion de sa lumière maintient perpétuellement en paix le ciel où tourne le Cercle le plus rapide [17]; et là maintenant nous porte, comme au séjour prédestiné, la puissance de cette corde, qui dirige ce qu’elle décoche vers un heureux but. Il est vrai que, comme souvent la forme ne s’accorde point avec l’intention de l’art, parce que la matière refuse de s’y prêter, ainsi de cette direction s’écarte parfois la créature, qui, poussée de la sorte, a le pouvoir de se ployer d’autre part, et (comme on peut voir le feu tomber de la nue) tombe, si vers la terre l’impulsion première est détournée par un faux plaisir. Tu ne dois donc pas, si bien je juge, plus t’étonner de monter, que de ce qu’un ruisseau descend du haut d’un mont. Même merveille serait-ce, si, dégagé de tout empêchement, tu fusses en bas demeuré, que si un feu libre restait en repos à terre. » Puis vers le ciel elle reporta ses regards.

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    Dante Alighieri

    Dante Alighieri

    @danteAlighieri

    Le purgatoire 1. Contre un plus fort vouloir, mal combat un autre vouloir; ainsi, contre ce qui me plaisait, pour lui plaire, je retirai de l’eau l’éponge non rassasiée. 2. Je m’avançai, et mon Guide s’avança par l’espace libre, le long de la rampe, comme on va par un étroit mur crénelé, 3. La gent qui, par les yeux, goutte à goutte, verse le mal dont tout le monde est plein, s’approchant trop en dehors. 4. Maudite sois-tu, antique louve, qui, plus que toutes les autres bêtes, abondes de proie pour ta faim sans fond! 5. O ciel, dont on paraît croire que les mouvements changent la condition des choses d’ici-bas, quand viendra celui par lequel s’en ira celle-ci? 6. Nous allions à pas lents et rares, et j’étais attentif aux ombres que j’entendais pitoyablement pleurer et se plaindre, 7. Lorsque, de fortune, j’ouïs : « Douce Marie! » devant nous appeler au milieu de ces pleurs, comme la femme en travail d’enfant, 8. Et ajouter : « Aussi pauvre tu fus qu’on le peut voir par le réduit où tu déposas ton fruit saint. » 9. J’entendis ensuite : « O bon Fabricius, tu aimas mieux la pauvreté avec la vertu, que de grandes richesses avec le vice. » 10. Tant me plurent ces paroles, que je m’avançai pour connaître l’esprit de qui elles paraissaient venir. 11. Il parlait aussi de la largesse que fit Nicolas aux jeunes vierges, pour conserver pur leur honneur. 12. — O âme qui si bien discours, dis-moi qui tu fus, dis-je, et pourquoi seule tu renouvelles ces dignes louanges. 13. Tes paroles ne seront point sans récompense, si je reviens accomplir le court chemin de cette vie qui vole vers son terme. 14. Et lui : « Je te parlerai, non pour confort que j’attende de là, mais à cause de la grâce singulière qui reluit en toi avant que tu sois mort. 15. « Je fus la racine de la mauvaise plante qui tellement de son ombre couvre la terre chrétienne, que rarement s’y cueille un bon fruit. 16. « Si Douai, Gand, Lille et Bruges pouvaient, prompte en serait la vengeance, et je la demande à celui qui juge tout. 17. « Je fus appelé là Hugues Capet : de moi sont nés les Philippe et les Louis, par qui nouvellement est régie la France. 18. « Je fus fils d'un boucher de Paris. Lorsque les anciens rois vinrent à manquer tous, hors un qui avait endossé la robe grise, 19. « Je me trouvai ayant en main le frein du gouvernement du royaume, et si puissant par de nouveaux acquêts, et entouré de tant d’amis, 20. « Qu’à la couronne veuve fut promue la tête de mon fils, par qui de ceux-là commença la race exécrable. 21. « Jusqu’à ce que la grande dot de Provence eût à mon sang ôté toute pudeur, peu il valait, mais du moins il ne faisait pas de mal. 22. « Alors, par la force et le mensonge, commencèrent leurs rapines : ensuite, pour amende, ils prirent le Ponthois, la Normandie et la Gascogne. 23. « Charles vint en Italie, et pour amende, fit de Conradin une victime, et au ciel renvoya Thomas, pour amende. 24. « Peu après, je vois un temps où de France est attiré un nouveau Charles, pour que mieux soient connus et lui et les siens. 25. « Il en sort sans armée, seul avec la lance avec laquelle jouta Judas, et si bien que de Florence elle ouvre le flanc. 26. « Par là point de terre il ne gagnera, mais péché et honte, pour lui d’autant plus pesants, que plus léger lui semblera un pareil dommage. 27. « L’autre qui sortit ensuite, je le vois, pris sur un navire, vendre sa fille, et en trafiquer comme les corsaires des autres esclaves. 28. « O avarice, quoi de plus peux-tu faire des miens, après qu’à toi tellement tu les as attirés, que point ils n’ont souci de leur propre chair? 29. « Pour que moindre paraisse le mal futur et le mal fait, je vois dans Alagna entrer le lis, et dans son vicaire le Christ captif. 30. « Je le vois moqué une autre fois : je le vois derechef abreuvé de vinaigre et de fiel, et mis à mort entre deux voleurs vivants. 31. « Je vois le nouveau Pilate, si cruel que, non assouvi encore, il porte, sans rescrit, ses voiles avides dans le temple. 32. « O mon Seigneur, quand joyeux verrai-je la vengeance cachée dont jouit en secret ta colère! 33. « Ce que je disais de cette unique épouse de l’Esprit saint sur quoi pour t’enquérir tu t’es tourné vers moi, 34. « Nous le redisons dans nos prières, pendant que le jour dure; mais, quand vient la nuit, nos voix prennent un ton contraire. 35. « Alors nous parlons de Pygmalion, que traître et voleur et parricide fit l’insatiable désir de l’or; 36. « Et de la misère de l’avare Midas, suite de l’avide demande qui doit le rendre à jamais un objet de risée. 37. « Puis chacun se rappelle l’insensé Achan, comment il déroba le butin, et il semble qu’ici le châtie encore la colère de Josué. 38. « Ensuite nous accusons Saphira avec son mari; aux ruades que reçut Héliodore nous applaudissons, et tout le mont roule dans l’infamie. 39. « Polymnestor qui tua Polydore. Enfin, ici l’on crie : O Crassus, dis-nous, puisque tu le sais, quel goût a l’or? 40. « L’un parle haut, et l’autre bas, selon le sentiment qui nous excite à parler avec plus ou moins de véhémence. » 41. Cependant à écouter le bien que de jour on rappelle, je n’étais pas seul; mais là auprès était une autre personne qui n’élevait pas la voix. 42. Nous avions quitté cet esprit, et nous tâchions de gagner du chemin autant que nos forces nous le permettaient, 43. Lorsque je sentis trembler le mont comme une chose qui tombe : d’où je fus pris d’un frisson semblable à celui qui saisit l’homme qu’on mène à la mort. 44. Si fortement ne trembla pas Délos, avant que Latone y eût fait le nid ou elle enfanta les deux yeux du ciel. 45. Puis retentit de toutes parts un cri tel, que le Maître se tourna vers moi, disant : — Ne crains rien, pendant que je te guide. 46. « Gloria in excelsis Deo! » tous disaient selon que je le compris, lorsque de plus près je pus entendre le cri. 47. Nous demeurâmes immobiles et en suspens, comme les pasteurs qui les premiers ouïrent ce chant, jusqu’à ce que, le tremblement ayant cessé, le chant aussi cessa. 48. Puis nous reprîmes notre route sainte, regardant les ombres qui gisaient à terre, et qui déjà étaient retournées aux pleurs accoutumés. 49 Contre aucune ignorance qui me rendit désireux de savoir, je n’eus jamais si grand combat, si ma mémoire en cela n’erre pas, 50. Que n’était celui qu’en ma pensée il me semblait alors avoir; et, à cause de la hâte, je n’osais demander, et là par moi-même je ne pouvais rien voir : Ainsi je m’en allais timide et pensif.

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    F

    Ferdowsi

    @ferdowsi

    Shâhnâmeh Lorsque Khosrou eut des nouvelles de sa marche, il devint inquiet de ses menées violentes, envoya des émissaires actifs pour observer ce qui se passait, et leur dit : « Avant, tout il faut tirer au clair le s& «secret de cette armée, si elle est du même avis que Bahram sur la «guerre, ce qui pour nous ferait traîner en longueur cette affaire; « ensuite il faut observer si Bahram, quand il se place au centre de «l'armée, se tient en avant ou au milieu des troupes, comment il « s'assoit quand il donne audience, et s'il se livre à la chasse pendant « sa marche. » Les émissaires partirent de la cour, sans que l'armée du roi s'en fût aperçue; ils partirent, observèrent, revinrent, se rendirent en se- M cret auprès de Khosrou. et dirent : « L'armée est en toute chose de «son avis, tant les grands que les petits; pendant qu'il fait marcher «les troupes, il est toujours au milieu d'elles; tantôt il est avec l'aile «droite, tantôt avec l'aile gauche, quelquefois auprès des bagages. « Il tient en bon ordre tous ses hommes et n'a pas besoin d'étrangers. «Quand il donne audience, il est assis comme les rois et il chasse oa « dans les plaines avec des guépards. Aucun homme à. vue longue «et à haute ambition n'est plus illustre, ni plus vaillant que lui; il «ne sort jamais des coutumes royales, il lit en entier le livre de « Calilah et Dimnah. » Khosrou dit à son Destour : « Nous avons devant nous une affaire «longue, car Bahram, quand il lance son cheval contre un ennemi, «effraye les dragons dans la mer; ensuite il a appris du maître du JOO « monde, mon père, des manières de roi des rois; enfin on dirait qu'il «a pris pour Vizir le livre de Calilah, qui est un conseiller savant « comme personne n'en possède. » Ensuite il dit à Bendouï et à Gustehem : « Nous sommes devenus «les compagnons du chagrin et des peines.» Guerdouï, Schapour, Endian et Radman, le chef de l'Arménie, des grands pleins d'intelli- gence et d'ardeur guerrière, tinrent en secret une séance avec le roi A de l'Iran. Khosrou dit à ces grands : « 0 vous, hommes vaillants et 105 « portant haut la tête ! Ceux dont le cerveau est plein de lumière sont « défendus par leur sagesse comme par une cuirasse que rien ne peut «briser, si ce n'est l'épée de la mort, dont les coups traversent l'acier « du casque comme de la cire. Je suis votre inférieur en âge et ne « puis nie charger du gouvernement du monde en raison de ma jeu- « nesse. Dites quel est le remède à employer, car qui de nous ne « souffre pas de ces blessures ? Le Grand Mobed répondit: «Puisses-tu être heureux! Puisses-tu uo «être la lumière et le soutien des pauvres d'esprit! Dès que le nivs- « tère de ce monde qui tourne a paru (dès la création), l'intelligence « a été divisée en quatre parts. Presqu'une moitié a été donnée aux «rois, car il leur faut de la majesté et de la raison; une autre part. « est le lot des hommes purs; une troisième est la part des serviteurs « du roi, car, puisqu'ils se tiennent près du maître du monde, son in- « telligence ne se cache pas devant eux; enfin il reste une petite part us « d'intelligence que les sages attribuent aux cultivateurs. Mais l'homme « ingrat et celui qui ne connaît pas Dieu n'ont pas d'intelligence. Si « le roi veut écouter cette parole qu'a dite un sage vieillard et s'il veut. «y réfléchir dans son âme, il en profitera quand il l'aura fait entrer « dans son esprit. » Le roi dit : « Si j'écrivais ces paroles en lettres d'or, je ne leur ferais « que l'honneur qui leur est dû. Les paroles des Mobeds sont des 121 « perles, mais j'ai dans le coeur d'autres soucis. Quand les deux armées «seront en présence, quand, les pointes des lances s'élèveront au- « dessus des Gémeaux, ne me blâmera-t-on pas si je sors du centre « de l'armée et si je m'avance vers l'ennemi? si j'appelle à haute voix «Bahram, ce Sipehdar insoumis et de mauvais renom? si je lui « montre un visage de paix? si je le reçois bien et si je le couvre 12; «de louanges? S'il accepte mes propositions, ce sera bien, car qui « est comparable à lui dans ma cour? S'il veut la guerre, je suis prêt « pour la lutte et nous mènerons notre armée contre la sienne. » Les grands lui rendirent hommage et l'acclamèrent roi du monde; tous les hommes qui avaient de l'expérience applaudirent à ses paroles, et chacun s'écria : « Ô roi ! puisse le mauvais sort rester loin «de toi, puissent la victoire et la gloire, la puissance et le diadème no «impérial être à toi!» Khosrou dit : «Ainsi soit-il! Puissions-nous «n'être ni vaincus ni désunis! » U emmena l'armée de Baghdad et fit dresser l'enceinte neuve de ses tentes dans la plaine. Lorsque les deux armées s'approchèrent, d'un côté celle du Sipeh- bed, de l'autre celle du roi, et lorsque la lampe du monde fut prise dans le lacet et que la nuit noire secoua ses boucles, les deux ar- 135 niées envoyèrent des rondes pour garder les troupes contre l'ennemi. Au moment où la nuit, tremblante et les lèvres desséchées, s'enfuit devant le glaive du jour, on entendit résonner le tambour des deux grandes tentes et le soleil devint le guide pour le combat. Le roi ordonna à Bendouï et à Gustehem de mettre leurs casques de fer et s'aArança avec ses grands à l'esprit serein jusqu'à la source du Nah- rewan. Une ronde avertit à l'instant Bahram qu'une troupe était arrivée 140 à deux portées de flèche; aussitôt Bahram envoya des troupes, appela près de lui des hommes expérimentés, monta sur un cheval blanc, à crinière noire, se cabrant, portant haut la tête, à sabots d'airain. Il était armé d'une épée indienne, dont le coup frappait comme la loudre. 11 lança son cheval comme un éclair brillant; à sa gauche était le vil Ized Guschasp, et llamdan Guschasp et Yelan Sineh l'accompa- m, gnaient, remplis de haine et le coeur plein d'ardeur. Avec eux mar- chaient trois vaillants Turcs du pays du Khakan, résolus de servir la haine de Bahram, et ayant promis tous les trois, que s'ils voyaient le roi loin de son armée, ils l'amèneraient en courant au camp de Bahram, mort ou captif. C'est ainsi que se trouvaient d'un côté Khosrou, de l'autre le Peh- lewan, et au milieu d'eux coulait le Nahrewan; les armées regardaient 1&0 attentivement des deux côtés pour voir comment Bahram s'appro- cherait du roi. ENTREVUE ENTRE KHOSROU PARVIZ ET RAHRAM D.IOURJNEH. Khosrou et Bahram se rencontrèrent, l'un le visage ouvert et l'autre avec une mine sombre. Le maître du monde était assis sur son cheval couleur d'ivoire, une couronne d'or et de rubis sur la tête et vêtu d'une tunique de brocart d'or de Chine. Guerdouï le précédait comme guide, Bendouï, Grustehem et Kharrad, fils de Berzin, portant un casque d'or, l'accompagnaient, couverts de fer, d'or et d'argent, et de 155 ceintures où l'or disparaissait sous les rubis. Lorsque Bahram vit le visage du roi des rois, il pâlit de colère et dit à ses grands : « Ce mi- « sérable fils de courtisane s'est élevé de sa bassesse et de sa stupidité «jusqu'à l'état d'homme, il est devenu fort et fait le fier; un duvet « noir pousse sur son visage blanc; il devient, un roi Feridoun avec «la massue et. la couronne; il a appris les manières impériales, mais 100 « sa vie s'évanouira subitement. Ce roi, à l'âme obscure, conduit son «armée à la façon de Nouschirwan. Begardez ses troupes d'un bout à «l'autre, et voyez s'il y a parmi eux un seul homme illustre. Je n'y «aperçois pas de cavaliers avides de combats, qui oseraient se pré- « senter en face de moi. Il va voir maintenant à l'oeuvre des hommes « vaillants, il verra le conflit des chevaux, les épées et la poussière des « combats, le choc des massues et la pluie de flèches, 1 es cris des braves 105 « et les coups donnés et reçus. Un éléphant n'ose tenir sur le champ «de bataille quand je m'ébranle avec mon armée, les montagnes se « fendent quand j'élève la voix, et le lion, plein de coeur, s'enfuit. Je «jette un charme sur la mer avec mon épée, je couvre de sang les « plaines. » Il parla ainsi et lança son cheval blanc; on aurait, dit que ce des- trier était un aigle royal qui volait. II choisit un étroit champ de no bataille, et l'armée le regarda avec étonnement. De là, il revint vers Je Nahrewan et s'avança vers le fortuné prince, accompagné de quel- ques Iraniens, tous armés pour le combat contre Khosrou. Khosrou dit. : « 0 vous qui portez haut la tête ! qui de vous recon- « naît Bahram Djoubhieh?» Guerdouï répondit : «0 roi, regarde «l'homme monté sur un cheval blanc, en tunique blanche, avec un « baudrier noir et courant au milieu de la troupe. » Lorsque le maître ns du monde vit Bahram, il comprit .sa nature parfaitement et dit : « Cet homme sombre à haute taille, assis sur ce cheval blanc qui «relève la tête?» Guerdouï répondit : «C'est lui, un homme qui n'a «jamais eu une pensée de bien. » Khosrou dit : « Si tu fais une q.ues- « tion à ce Peblewan au dos courbé, il te donnera une réponse rude. « On dirait que cet homme au museau, de sanglier et aux yeux moitié iso «fermés a le coeur rempli de colère; regarde ses yeux et tu verras « que c'est un mauvais homme et l'ennemi de Dieu dans le monde. «Je ne vois pas en lui une trace de soumission, et il n'obéira jamais « à personne. » Puis il dit à Bendouï et à Gustehem : « Je tirerai au clair cette « affaire. Quand l'âne ne veut pas venir vers la charge, porte la lourde « charge vers le dos de l'âne. Puisque Djoubineh a été perverti par le iss «Div, comment pourrait-il reconnaître la voie de Dieu? Un coeur « malade d'ambition n'écoute plus les conseils des grands. Il ne nous «reste qu'à combattre Djoubineh, car il n'y a pas de place dans son « âme pour la justice; mais, une fois que l'on entame la lutte, les pa- « rôles ne sont plus de mise, et il faut réfléchir à tout, depuis le « commencement jusqu'à la fin; car qui sait qui sera victorieux dans «la lutte, et qui, de ce côté ou de l'autre, couvrira son armée de «gloire? Nous avons devant nous une armée si bien ordonnée, avec un mo « chef ardent pour le combat comme Djoubineh, un homme cruel « comme le Div terrible, avec des troupes comme des loups qui « hurlent. « Si vous êtes de mon avis, je ne crois pas me déshonorer si je lui « fais des avances par des questions de politesse ; cela vaudra mieux «que si je faiblissais dans le combat. Si je reçois de lui des paroles «mesurées, ses méfaits inouïs s'oublieront, je lui donnerai un coin ma « du monde et lui imposerai de la reconnaissance par mes libé- « ralités. Alors cette lutte et. ces préparations pour le chanxp de ba- « taille se tourneront en paix; la paix me profitera et ma prudence « aura empêché des malheurs. Quand un roi agit comme un mar- «chand, le coeur des hommes purs se réjouit.» Gustehem lui dit : « 0 roi ! puisses-tu vivre jusqu'à la fin des tenrps. Tes paroles sont 200 « des perles que tu répands, tu es le plus sage des hommes, fais ce «que tu trouves bon. Tu es plein de justice, mais Bahram, cet es- « clave est dépourvu de justice, ta tête est remplie de cervelle et la « sienne est pleine de vent. »

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    Homère

    Homère

    @homere

    L'iliade Quand tous, de chaque côté, se furent rangés sous leurs chefs, les Troiens s’avancèrent, pleins de clameurs et de bruit, comme des oiseaux. Ainsi, le cri des grues monte dans l’air, quand, fuyant l’hiver et les pluies abondantes, elles volent sur les flots d’Okéanos, portant le massacre et la kèr de la mort aux Pygmées. Et elles livrent dans l’air un rude combat. Mais les Akhaiens allaient en silence, respirant la force, et, dans leur cœur, désirant s’entre aider. Comme le Notos enveloppe les hauteurs de la montagne d’un brouillard odieux au berger et plus propice au voleur que la nuit même, de sorte qu’on ne peut voir au-delà d’une pierre qu’on a jetée ; de même une noire poussière montait sous les pieds de ceux qui marchaient, et ils traversaient rapidement la plaine. Et quand ils furent proches les uns des autres, le divin Alexandros apparut en tête des Troiens, ayant une peau de léopard sur les épaules, et l’arc recourbé et l’épée. Et, agitant deux piques d’airain, il appelait les plus braves des Argiens à combattre un rude combat. Et dès que Ménélaos, cher à Arès, l’eut aperçu qui devançait l’armée et qui marchait à grands pas, comme un lion se réjouit, quand il a faim, de rencontrer un cerf cornu ou une chèvre sauvage, et dévore sa proie, bien que les chiens agiles et les ardents jeunes hommes le poursuivent, de même Ménélaos se réjouit quand il vit devant lui le divin Alexandros. Et il espéra se venger de celui qui l’avait outragé, et il sauta du char avec ses armes. Et dès que le divin Alexandros l’eut aperçu en tête de l’armée, son cœur se serra, et il recula parmi les siens pour éviter la kèr de la mort. Si quelqu’un, dans les gorges des montagnes, voit un serpent, il saute en arrière, et ses genoux tremblent, et ses joues pâlissent. De même le divin Alexandros, craignant le fils d’Atreus, rentra dans la foule des hardis Troiens. Et Hektôr, l’ayant vu, l’accabla de paroles amères : – Misérable Pâris, qui n’as que ta beauté, trompeur et efféminé, plût aux dieux que tu ne fusses point né, ou que tu fusses mort avant tes dernières noces ! Certes, cela eût mieux valu de beaucoup, plutôt que d’être l’opprobre et la risée de tous ! Voici que les Akhaiens chevelus rient de mépris, car ils croyaient que tu combattais hardiment hors des rangs, parce que ton visage est beau ; mais il n’y a dans ton cœur ni force ni courage. Pourquoi, étant un lâche, as-tu traversé la mer sur tes nefs rapides, avec tes meilleurs compagnons, et, mêlé à des étrangers, as-tu enlevé une très belle jeune femme du pays d’Apy, parente d’hommes belliqueux ? Immense malheur pour ton père, pour ta ville et pour tout le peuple ; joie pour nos ennemis et honte pour toi-même ! Et tu n’as point osé attendre Ménélaos, cher à Arès. Tu saurais maintenant de quel guerrier tu retiens la femme. Ni ta kithare, ni les dons d’Aphrodite, ta chevelure et ta beauté, ne t’auraient sauvé d’être traîné dans la poussière. Mais les Troiens ont trop de respect, car autrement, tu serais déjà revêtu d’une tunique de pierres, pour prix des maux que tu as causés. Et le divin Alexandros lui répondit : – Hektôr, tu m’as réprimandé justement. Ton cœur est toujours indompté, comme la hache qui fend le bois et accroît la force de l’ouvrier constructeur de nefs. Telle est l’âme indomptée qui est dans ta poitrine. Ne me reproche point les dons aimables d’Aphrodite d’or. Il ne faut point rejeter les dons glorieux des dieux, car eux seuls en disposent, et nul ne les pourrait prendre à son gré. Mais si tu veux maintenant que je combatte et que je lutte, arrête les Troiens et les Akhaiens, afin que nous combattions moi et Ménélaos, cher à Arès, au milieu de tous, pour Hélénè et pour outes ses richesses. Et le vainqueur emportera cette femme et toutes ses richesses, et, après avoir échangé des serments inviolables, vous, Troiens, habiterez la féconde Troiè, et les Akhaiens retourneront dans Argos, nourrice de chevaux, et dans l’Akhaiè aux belles femmes. Il parla ainsi, et Hektôr en eut une grande joie, et il s’avança, arrêtant les phalanges des Troiens, à l’aide de sa pique qu’il tenait par le milieu. Et ils s’arrêtèrent. Et les Akhaiens chevelus tiraient sur lui et le frappaient de flèches et de pierres. Mais le roi des hommes, Agamemnôn, cria à voix haute : – Arrêtez, Argiens ! ne frappez point, fils des Akhaiens ! Hektôr au casque mouvant semble vouloir dire quelques mots. Il parla ainsi, et ils cessèrent et firent silence, et Hektôr parla au milieu d’eux : – Ecoutez, Troiens et Akhaiens, ce que dit Alexandros qui causa cette guerre. Il désire que les Troiens et les Akhaiens déposent leurs belles armes sur la terre nourricière, et que lui et Ménélaos, cher à Arès, combattent, seuls, au milieu de tous, pour Hélénè et pour toutes ses richesses. Et le vainqueur emportera cette femme et toutes ses richesses, et nous échangerons des serments inviolables. Il parla ainsi, et tous restèrent silencieux. Et Ménélaos, hardi au combat, leur dit : – Écoutez-moi maintenant. Une grande douleur serre mon cœur, et j’espère que les Argiens et les Troiens vont cesser la guerre, car vous avez subi des maux infinis pour ma querelle et pour l’injure que m’a faite Alexandros. Que celui des deux à qui sont réservées la moire et la mort, meure donc ; et vous, cessez aussitôt de combattre. Apportez un agneau noir pour Gaia et un agneau blanc pour Hélios, et nous en apporterons autant pour Zeus. Et vous amènerez Priamos lui-même, pour qu’il se lie par des serments, car ses enfants sont parjures et sans foi, et que personne ne puisse violer les serments de Zeus. L’esprit des jeunes hommes est léger, mais, dans ses actions, le vieillard regarde à la fois l’avenir et le passé et agit avec équité. - Chant 9 - Tandis que les Troiens plaçaient ainsi leurs gardes, le désir de la fuite, qui accompagne la froide terreur, saisissait les Akhaiens. Et les plus braves étaient frappés d’une accablante tristesse. De même, lorsque les deux vents Boréas et Zéphyros, soufflant de la Thrèkè, bouleversent la haute mer poissonneuse, et que l’onde noire se gonfle et se déroule en masses d’écume, ainsi, dans leurs poitrines, se déchirait le cœur des Akhaiens. Et l’Atréide, frappé d’une grande douleur, ordonna aux hérauts à la voix sonore d’appeler, chacun par son nom, et sans clameurs, les hommes à l’agora. Et lui-même appela les plus proches. Et tous vinrent s’asseoir dans l’agora, pleins de tristesse. Et Agamemnôn se leva, versant des larmes, comme une source abondante qui tombe largement d’une roche élevée. Et, avec un profond soupir, il dit aux Argiens : – Ô amis, rois et chefs des Argiens, le Kronide Zeus m’a accablé d’un lourd malheur, lui qui m’avait solennellement promis que je ne m’en retournerais qu’après avoir détruit Ilios aux murailles solides. Maintenant, il médite une fraude funeste, et il m’ordonne de retourner sans gloire dans Argos, quand j’ai perdu tant de guerriers déjà ! Et ceci plaît au tout-puissant Zeus qui a renversé les citadelles de tant de villes, et qui en renversera encore, car sa puissance est très grande. Allons ! obéissez tous à mes paroles : fuyons sur nos nefs vers la terre bien-aimée de la patrie. Nous ne prendrons jamais Ilios aux larges rues. Il parla ainsi, et tous restèrent muets, et les fils des Akhaiens étaient tristes et silencieux. Enfin, Diomèdès hardi au combat parla au milieu d’eux : – Atréide, je combattrai le premier tes paroles insensées, comme il est permis, ô roi, dans l’agora ; et tu ne t’en irriteras pas, car toi-même tu m’as outragé déjà au milieu des Danaens, me nommant faible et lâche. Et ceci, les Argiens le savent, jeunes et vieux. Certes, le fils du subtil Kronos t’a doué inégalement. Il t’a accordé le sceptre et les honneurs suprêmes, mais il ne t’a point donné la fermeté de l’âme, qui est la plus grande vertu. Malheureux ! penses-tu que les fils des Akhaiens soient aussi faibles et aussi lâches que tu le dis ? Si ton cœur te pousse à retourner en arrière, va ! voici la route ; et les nombreuses nefs qui t’ont suivi de Mykènè sont là, auprès du rivage de la mer. Mais tous les autres Akhaiens chevelus resteront jusqu’à ce que nous ayons renversé Ilios. Et s’ils veulent eux-mêmes fuir sur leurs nefs vers la terre bien-aimée de la patrie, moi et Sthénélos nous combattrons jusqu’à ce que nous ayons vu la fin d’Ilios, car nous sommes venus ici sur la foi des dieux ! Il parla ainsi, et tous les fils des Akhaiens applaudirent, admirant le discours du dompteur de chevaux Diomèdès. Et le cavalier Nestôr, se levant au milieu d’eux, parla ainsi : – Tydéide, tu es le plus hardi au combat, et tu es aussi le premier à l’agora parmi tes égaux en âge. Nul ne blâmera tes paroles, et aucun des Akhaiens ne les contredira mais tu n’as pas tout dit. À la vérité, tu es jeune, et tu pourrais être le moins âgé de mes fils ; et, cependant, tu parles avec prudence devant les rois des Argiens, et comme il convient. C’est à moi de tout prévoir et de tout dire, car je me glorifie d’être plus vieux que toi. Et nul ne blâmera mes paroles, pas même le roi Agamemnôn. Il est sans intelligence, sans justice et sans foyers domestiques, celui qui aime les affreuses discordes intestines. Mais obéissons maintenant à la nuit noire : préparons notre repas, plaçons des gardes choisies auprès du fossé profond, en avant des murailles. C’est aux jeunes hommes de prendre ce soin, et c’est à toi, Atréide, qui es le chef suprême, de le leur commander. Puis, offre un repas aux chefs, car ceci est convenable et t’appartient. Tes tentes sont pleines du vin que les nefs des Akhaiens t’apportent chaque jour de la Thrèkè, à travers l’immensité de la haute mer. Tu peux aisément beaucoup offrir, et tu commandes à un grand nombre de serviteurs. Quand les chefs seront assemblés, obéis à qui te donnera le meilleur conseil ; car les Akhaiens ont tous besoin de sages conseils au moment où les ennemis allument tant de feux auprès des nefs. Qui de nous pourrait s’en réjouir ? Cette nuit, l’armée sera perdue ou sauvée. Il parla ainsi, et tous, l’ayant écouté, obéirent. Et les gardes armées sortirent, conduites par le Nestoréide Thrasymèdès, prince des peuples, par Askalaphos et Ialménos, fils d’Arès, par Mèrionès, Apharèos et Dèipiros, et par le divin Lykomèdès, fils de Kréôn. Et les sept chefs des gardes conduisaient, chacun, cent jeunes guerriers armés de longues piques. Et ils se placèrent entre le fossé et la muraille, et ils allumèrent des feux et prirent leur repas. Et l’Atréide conduisit les chefs des Akhaiens sous sa tente et leur offrit un abondant repas. Et tous étendirent les mains vers les mets. Et, quand ils eurent assouvi la soif et la faim, le premier d’entre eux, le vieillard Nestôr, qui avait déjà donné le meilleur conseil, parla ainsi, plein de sagesse, et dit : – Très illustre Atréide Agamemnôn, roi des hommes, je commencerai et je finirai par toi, car tu commandes à de nombreux peuples, et Zeus t’a donné le sceptre et les droits afin que tu les gouvernes. C’est pourquoi il faut que tu saches parler et entendre, et accueillir les sages conseils, si leur cœur ordonne aux autres chefs de t’en donner de meilleurs. Et je te dirai ce qu’il y a de mieux à faire, car personne n’a une meilleure pensée que celle que je médite maintenant, et depuis longtemps, depuis le jour où tu as enlevé, ô race divine, contre notre gré, la vierge Breisèis de la tente d’Akhilleus irrité. Et j’ai voulu te dissuader, et, cédant à ton cœur orgueilleux, tu as outragé le plus brave des hommes, que les immortels mêmes honorent, et tu lui as enlevé sa récompense. Délibérons donc aujourd’hui, et cherchons comment nous pourrons apaiser Akhilleus par des présents pacifiques et par des paroles flatteuses. Et le roi des hommes, Agamemnôn, lui répondit : – Ô vieillard, tu ne mens point en rappelant mes injustices. J’ai commis une offense, et je ne le nie point. Un guerrier que Zeus aime dans son cœur l’emporte sur tous les guerriers. Et c’est pour l’honorer qu’il accable aujourd’hui l’armée des Akhaiens. Mais, puisque j’ai failli en obéissant à de funestes pensées, je veux maintenant apaiser Akhilleus et lui offrir des présents infinis. Et je vous dirai quels sont ces dons illustres : sept trépieds vierges du feu, dix talents d’or, vingt bassins qu’on peut exposer à la flamme, douze chevaux robustes qui ont toujours remporté les premiers prix par la rapidité de leur course. Et il ne manquerait plus de rien, et il serait comblé d’or celui qui posséderait les prix que m’ont rapportés ces chevaux aux sabots massifs. Et je donnerai encore au Pèléide sept belles femmes Lesbiennes, habiles aux travaux, qu’il a prises lui-même dans Lesbos bien peuplée, et que j’ai choisies, car elles étaient plus belles que toutes les autres femmes. Et je les lui donnerai, et, avec elles, celle que je lui ai enlevée, la vierge Breisèis ; et je jurerai un grand serment qu’elle n’a point connu mon lit, et que je l’ai respectée. Toutes ces choses lui seront livrées aussitôt. Et si les dieux nous donnent de renverser la grande ville de Priamos, il remplira abondamment sa nef d’or et d’airain. - Chant 18 - Et ils combattaient ainsi, comme le feu ardent. Et Antilokhos vint à Akhilleus aux pieds rapides, et il le trouva devant ses nefs aux antennes dressées, songeant dans son esprit aux choses accomplies déjà ; et, gémissant, il disait dans son cœur magnanime : – Ô dieux ! pourquoi les Akhaiens chevelus, dispersés par la plaine, sont-ils repoussés tumultueusement vers les nefs ? Que les dieux m’épargnent ces cruelles douleurs qu’autrefois ma mère m’annonça, quand elle me disait que le meilleur des Myrmidones, moi vivant, perdrait la lumière de Hélios sous les mains des Troiens. Sans doute il est déjà mort, le brave fils de Ménoitios, le malheureux ! Certes, j’avais ordonné qu’ayant repoussé le feu ennemi, il revînt aux nefs sans combattre Hektôr. Tandis qu’il roulait ceci dans son esprit et dans son cœur, le fils de l’illustre Nestôr s’approcha de lui, et, versant de chaudes larmes, dit la triste nouvelle : – Hélas ! fils du belliqueux Pèleus, certes, tu vas entendre une triste nouvelle ; et plût aux dieux que ceci ne fût point arrivé ! Patroklos gît mort, et tous combattent pour son cadavre nu, car Hektôr possède ses armes. Il parla ainsi, et la noire nuée de la douleur enveloppa Akhilleus, et il saisit de ses deux mains la poussière du foyer et la répandit sur sa tête, et il en souilla sa belle face ; et la noire poussière souilla sa tunique nektaréenne ; et, lui-même, étendu tout entier dans la poussière, gisait, et des deux mains arrachait sa chevelure. Et les femmes, que lui et Patroklos avaient prises, hurlaient violemment, affligées dans leur cœur ; et toutes, hors des tentes, entouraient le belliqueux Akhilleus, et elles se frappaient la poitrine, et leurs genoux étaient rompus. Antilokhos aussi gémissait, répandant des larmes, et tenait les mains d’Akhilleus qui sanglotait dans son noble cœur. Et le Nestôride craignait qu’il se tranchât la gorge avec l’airain. Akhilleus poussait des sanglots terribles, et sa mère vénérable l’entendit, assise dans les gouffres de la mer, auprès de son vieux père. Et elle se lamenta aussitôt. Et autour de la déesse étaient rassemblées toutes les nèrèides qui sont au fond de la mer : Glaukè, et Thaléia, et Kymodokè, et Nèsaiè, et Spéiô, et Thoè, et Haliè aux yeux de bœuf, et Kymothoè, et Alkaiè, et Limnoréia, et Mélitè, et Iaira, et Amphithoè, et Agavè, et Lôtô, et Prôtô, et Phérousa, Dynaménè, et Dexaménè et Amphinomè, et Kallianassa, et Dôris, et Panopè, et l’illustre Galatéia, et Nèmertès, et Abseudès, et Kallianéira, et Klyménè, et Ianéira, et Ianassa, et Maira, et Oreithya, et Amathéia aux beaux cheveux, et les autres nèrèides qui sont dans la profonde mer. Et elles emplissaient la grotte d’argent, et elles se frappaient la poitrine, et Thétis se lamentait ainsi : – Écoutez-moi, sœurs nèrèides, afin que vous sachiez les douleurs qui déchirent mon âme, hélas ! à moi, malheureuse, qui ai enfanté un homme illustre, un fils irréprochable et brave, le plus courageux des héros, et qui a grandi comme un arbre. Je l’ai élevé comme une plante dans une terre fertile, et je l’ai envoyé vers Ilios, sur ses nefs aux poupes recourbées, combattre les Troiens. Et je ne le verrai point revenir dans mes demeures, dans la maison Pèléienne. Voici qu’il est vivant, et qu’il voit la lumière de Hélios, et qu’il souffre, et je ne puis le secourir. Mais j’irai vers mon fils bien-aimé, et je saurai de lui-même quelle douleur l’accable loin du combat. Ayant ainsi parlé, elle quitta la grotte, et toutes la suivaient, pleurantes ; et l’eau de la mer s’ouvrait devant elles. Puis, elles parvinrent à la riche Troie, et elles abordèrent là où les Myrmidones, autour d’Akhilleus aux pieds rapides, avaient tiré leurs nombreuses nefs sur le rivage. Et sa mère vénérable le trouva poussant de profonds soupirs ; et elle prit, en pleurant, la tête de son fils, et elle lui dit en gémissant ces paroles ailées : – Mon enfant, pourquoi pleures-tu ? Quelle douleur envahit ton âme ? Parle, ne me cache rien, afin que nous sachions tous deux. Zeus, ainsi que je l’en avais supplié de mes mains étendues, a rejeté tous les fils des Akhaiens auprès des nefs, et ils souffrent de grands maux, parce que tu leur manques. Et Akhilleus aux pieds rapides, avec de profonds soupirs, lui répondit : – Ma mère, l’Olympien m’a exaucé ; mais qu’en ai-je retiré, puisque mon cher compagnon Patroklos est mort, lui que j’honorais entre tous autant que moi-même ? Je l’ai perdu. Hektôr, l’ayant tué, lui a arraché mes belles, grandes et admirables armes, présents splendides des dieux à Pèleus, le jour où ils te firent partager le lit d’un homme mortel. Plût aux dieux que tu fusses restée avec les déesses de la mer, et que Pèleus eût épousé plutôt une femme mortelle ! Maintenant, une douleur éternelle emplira ton âme, à cause de la mort de ton fils que tu ne verras plus revenir dans tes demeures ; car je ne veux plus vivre, ni m’inquiéter des hommes, à moins que Hektôr, percé par ma lance, ne rende l’âme, et que Patroklos Ménoitiade, livré en pâture aux chiens, ne soit vengé.

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    Homère

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    L'odyssée Dis-moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, après qu’il eut renversé la citadelle sacrée de Troiè. Et il vit les cités de peuples nombreux, et il connut leur esprit ; et, dans son cœur, il endura beaucoup de maux, sur la mer, pour sa propre vie et le retour de ses compagnons Mais il ne les sauva point, contre son désir ; et ils périrent par leur impiété, les insensés ! ayant mangé les bœufs de Hèlios Hypérionade. Et ce dernier leur ravit l’heure du retour. Dis-moi une partie de ces choses, Déesse, fille de Zeus. Tous ceux qui avaient évité la noire mort, échappés de la guerre et de la mer, étaient rentrés dans leurs demeures ; mais Odysseus restait seul, loin de son pays et de sa femme, et la vénérable Nymphe Kalypsô, la très-noble déesse, le retenait dans ses grottes creuses, le désirant pour mari. Et quand le temps vint, après le déroulement des années, où les Dieux voulurent qu’il revît sa demeure en Ithakè, même alors il devait subir des combats au milieu des siens. Et tous les Dieux le prenaient en pitié, excepté Poseidaôn, qui était toujours irrité contre le divin Odysseus, jusqu’à ce qu’il fût rentré dans son pays. Et Poseidaôn était allé chez les Aithiopiens qui habitent au loin et sont partagés en deux peuples, dont l’un regarde du côté de Hypériôn, au couchant, et l’autre au levant. Et le Dieu y était allé pour une hécatombe de taureaux et d’agneaux. Et comme il se réjouissait, assis à ce repas, les autres Dieux étaient réunis dans la demeure royale de Zeus Olympien. Et le Père des hommes et des Dieux commença de leur parler, se rappelant dans son cœur l’irréprochable Aigisthos que l’illustre Orestès Agamemnonide avait tué. Se souvenant de cela, il dit ces paroles aux Immortels: – Ah ! combien les hommes accusent les Dieux ! Ils disent que leurs maux viennent de nous, et, seuls, ils aggravent leur destinée par leur démence. Maintenant, voici qu’Aigisthos, contre le destin, a épousé la femme de l’Atréide et a tué ce dernier, sachant quelle serait sa mort terrible ; car nous l’avions prévenu par Herméias, le vigilant tueur d’Argos, de ne point tuer Agamemnôn et de ne point désirer sa femme, de peur que l’Atréide Orestès se vengeât, ayant grandi et désirant revoir son pays. Herméias parla ainsi, mais son conseil salutaire n’a point persuadé l’esprit d’Aigisthos, et, maintenant, celui-ci a tout expié d’un coup. Et Athènè, la Déesse aux yeux clairs, lui répondit : – Ô notre Père, Kronide, le plus haut des Rois ! celui-ci du moins a été frappé d’une mort juste. Qu’il meure ainsi celui qui agira de même ! Mais mon cœur est déchiré au souvenir du brave Odysseus, le malheureux ! qui souffre depuis longtemps loin des siens, dans une île, au milieu de la mer, et où en est le centre. Et, dans cette île plantée d’arbres, habite une Déesse, la fille dangereuse d’Atlas, lui qui connaît les profondeurs de la mer, et qui porte les hautes colonnes dressées entre la terre et l’Ouranos. Et sa fille retient ce malheureux qui se lamente et qu’elle flatte toujours de molles et douces paroles, afin qu’il oublie Ithakè ; mais il désire revoir la fumée de son pays et souhaite de mourir. Et ton cœur n’est point touché, Olympien, par les sacrifices qu’Odysseus accomplissait pour toi auprès des nefs Argiennes, devant la grande Troiè. Zeus, pourquoi donc es-tu si irrité contre lui ? Et Zeus qui amasse les nuées, lui répondant, parla ainsi : – Mon enfant, quelle parole s’est échappée d’entre tes dents ? Comment pourrais-je oublier le divin Odysseus, qui, par l’intelligence, est au-dessus de tous les hommes, et qui offrait le plus de sacrifices aux Dieux qui vivent toujours et qui habitent le large Ouranos ? Mais Poseidaôn qui entoure la terre est constamment irrité à cause du Kyklôps qu’Odysseus a aveuglé, Polyphèmos tel qu’un Dieu, le plus fort des Kyklôpes. La Nymphe Thoôsa, fille de Phorkyn, maître de la mer sauvage, l’enfanta, s’étant unie à Poseidaôn dans ses grottes creuses. C’est pour cela que Poseidaôn qui secoue la terre, ne tuant point Odysseus, le contraint d’errer loin de son pays. Mais nous, qui sommes ici, assurons son retour ; et Poseidaôn oubliera sa colère, car il ne pourra rien, seul, contre tous les dieux immortels. Et la Déesse Athènè aux yeux clairs lui répondit : – Ô notre Père, Kronide, le plus haut des Rois ! s’il plaît aux Dieux heureux que le sage Odysseus retourne en sa demeure, envoyons le Messager Herméias, tueur d’Argos, dans l’île Ogygiè, afin qu’il avertisse la Nymphe à la belle chevelure que nous avons résolu le retour d’Odysseus à l’âme forte et patiente. Et moi j’irai à Ithakè, et j’exciterai son fils et lui inspirerai la force, ayant réuni l’agora des Akhaiens chevelus, de chasser tous les Prétendants qui égorgent ses brebis nombreuses et ses bœufs aux jambes torses et aux cornes recourbées. Et je l’enverrai à Spartè et dans la sablonneuse Pylos, afin qu’il s’informe du retour de son père bien-aimé, et qu’il soit très honoré parmi les hommes. -- Chant 11 -- Étant arrivés à la mer, nous traînâmes d’abord notre nef à la mer divine. Puis, ayant dressé le mât, avec les voiles blanches de la nef noire, nous y portâmes les victimes offertes. Et, nous-mêmes nous y prîmes place, pleins de tristesse et versant des larmes abondantes. Et Kirkè à la belle chevelure, déesse terrible et éloquente, fit souffler pour nous un vent propice derrière la nef à proue bleue, et ce vent, bon compagnon, gonfla la voile. Toutes choses étant mises en place sur la nef, nous nous assîmes, et le vent et le pilote nous dirigeaient. Et, tout le jour, les voiles de la nef qui courait sur la mer furent déployées, et Hèlios tomba, et tous les chemins s’emplirent d’ombre. Et la nef arriva aux bornes du profond Okéanos. Là, étaient le peuple et la ville des Kimmériens, toujours enveloppés de brouillards et de nuées ; et jamais le brillant Hèlios ne les regardait de ses rayons, ni quand il montait dans l’Ouranos étoilé, ni quand il descendait de l’Ouranos sur la terre ; mais une affreuse nuit était toujours suspendue sur les misérables hommes. Arrivés là, nous arrêtâmes la nef, et, après en avoir retiré les victimes, nous marchâmes le long du cours d’Okéanos, jusqu’à ce que nous fussions parvenus dans la contrée que nous avait indiquée Kirkè. Et Périmèdès et Eurylokhos portaient les victimes. Alors je tirai mon épée aiguë de sa gaine, le long de ma cuisse, et je creusai une fosse d’une coudée dans tous les sens, et j’y fis des libations pour tous les morts, de lait mielleux d’abord, puis de vin doux, puis enfin d’eau, et, par-dessus, je répandis la farine blanche. Et je priai les têtes vaines des morts, promettant, dès que je serais rentré dans Ithakè, de sacrifier dans mes demeures la meilleure vache stérile que je posséderais, d’allumer un bûcher formé de choses précieuses, et de sacrifier à part, au seul Teirésias, un bélier entièrement noir, le plus beau de mes troupeaux. Puis, ayant prié les générations des morts, j’égorgeai les victimes sur la fosse, et le sang noir y coulait. Et les âmes des morts qui ne sont plus sortaient en foule de l’Érébos. Les nouvelles épouses, les jeunes hommes, les vieillards qui ont subi beaucoup de maux, les tendres vierges ayant un deuil dans l’âme, et les guerriers aux armes sanglantes, blessés par les lances d’airain, tous s’amassaient de toutes parts sur les bords de la fosse, avec un frémissement immense. Et la terreur pâle me saisit. Alors j’ordonnai à mes compagnons d’écorcher les victimes qui gisaient égorgées par l’airain cruel, de les brûler et de les vouer aux dieux, à l’illustre Aidès et à l’implacable Perséphonéia. Et je m’assis, tenant l’épée aiguë tirée de sa gaine, le long de ma cuisse ; et je ne permettais pas aux têtes vaines des morts de boire le sang, avant que j’eusse entendu Teirésias. La première, vint l’âme de mon compagnon Elpènôr. Et il n’avait point été enseveli dans la vaste terre, et nous avions laissé son cadavre dans les demeures de Kirkè, non pleuré et non enseveli, car un autre souci nous pressait. Et je pleurai en le voyant, et je fus plein de pitié dans le cœur. Et je lui dis ces paroles ailées : – Elpènôr, comment es-tu venu dans les épaisses ténèbres ? Comment as-tu marché plus vite que moi sur ma nef noire ? Je parlai ainsi, et il me répondit en pleurant : – Divin Laertiade, subtil Odysseus, la mauvaise volonté d’un daimôn et l’abondance du vin m’ont perdu. Dormant sur la demeure de Kirkè, je ne songeai pas à descendre par la longue échelle, et je tombai du haut du toit, et mon cou fut rompu, et je descendis chez Aidès. Maintenant, je te supplie par ceux qui sont loin de toi, par ta femme, par ton père qui t’a nourri tout petit, par Tèlémakhos, l’enfant unique que tu as laissé dans tes demeures ! Je sais qu’en sortant de la demeure d’Aidès tu retourneras sur ta nef bien construite à l’île Aiaiè. Là, ô roi, je te demande de te souvenir de moi, et de ne point partir, me laissant non pleuré et non enseveli, de peur que je ne te cause la colère des dieux ; mais de me brûler avec toutes mes armes. Élève sur le bord de la mer écumeuse le tombeau de ton compagnon malheureux. Accomplis ces choses, afin qu’on se souvienne de moi dans l’avenir, et plante sur mon tombeau l’aviron dont je me servais quand j’étais avec mes compagnons. Il parla ainsi, et, lui répondant, je dis : – Malheureux, j’accomplirai toutes ces choses. Nous nous parlions ainsi tristement, et je tenais mon épée au-dessus du sang, tandis que, de l’autre côté de la fosse, mon compagnon parlait longuement. Puis, arriva l’âme de ma mère morte, d’Antikléia, fille du magnanime Autolykos, que j’avais laissée vivante en partant pour la sainte Ilios. Et je pleurai en la voyant, le cœur plein de pitié ; mais, malgré ma tristesse, je ne lui permis pas de boire le sang avant que j’eusse entendu Teirésias. Et l’âme du Thébain Teirésias arriva, tenant un sceptre d’or, et elle me reconnut et me dit : – Pourquoi, ô malheureux, ayant quitté la lumière de Hèlios, es-tu venu pour voir les morts et leur pays lamentable ? Mais recule de la fosse, écarte ton épée, afin que je boive le sang, et je te dirai la vérité. Il parla ainsi, et, me reculant, je remis dans la gaine mon épée aux clous d’argent. Et il but le sang noir, et, alors, l’irréprochable divinateur me dit : – Tu désires un retour très facile, illustre Odysseus, mais un dieu te le rendra difficile ; car je ne pense pas que celui qui entoure la terre apaise sa colère dans son cœur, et il est irrité parce que tu as aveuglé son fils. Vous arriverez cependant, après avoir beaucoup souffert, si tu veux contenir ton esprit et celui de tes compagnons. En ce temps, quand ta nef solide aura abordé l’île Thrinakiè, où vous échapperez à la sombre mer, vous trouverez là, paissant, les bœufs et les gras troupeaux de Hèlios qui voit et entend tout. Si vous les laissez sains et saufs, si tu te souviens de ton retour, vous parviendrez tous dans Ithakè, après avoir beaucoup souffert ; mais, si tu les blesses, je te prédis la perte de ta nef et de tes compagnons. Tu échapperas seul, et tu reviendras misérablement, ayant perdu ta nef et tes compagnons, sur une nef étrangère. Et tu trouveras le malheur dans ta demeure et des hommes orgueilleux qui consumeront tes richesses, recherchant ta femme et lui offrant des présents. Mais, certes, tu te vengeras de leurs outrages en arrivant. Et, après que tu auras tué les prétendants dans ta demeure, soit par ruse, soit ouvertement avec l’airain aigu, tu partiras de nouveau, et tu iras, portant un aviron léger, jusqu’à ce que tu rencontres des hommes qui ne connaissent point la mer et qui ne salent point ce qu’ils mangent, et qui ignorent les nefs aux proues rouges et les avirons qui sont les ailes des nefs. Et je te dirai un signe manifeste qui ne t’échappera pas. Quand tu rencontreras un autre voyageur qui croira voir un fléau sur ta brillante épaule, alors, plante l’aviron en terre et fais de saintes offrandes au roi Poseidaôn, un bélier, un taureau et un verrat. Et tu retourneras dans ta demeure, et tu feras, selon leur rang, de saintes hécatombes à tous les dieux immortels qui habitent le large Ouranos. Et la douce mort te viendra de la mer et te tuera consumé d’une heureuse vieillesse, tandis qu’autour de toi les peuples seront heureux. -- Chant 20 -- Et le divin Odysseus se coucha dans le vestibule, et il étendit une peau de bœuf encore saignante, et, pardessus, les nombreuses peaux de brebis que les Akhaiens avaient sacrifiées ; et Eurykléia jeta un manteau sur lui, quand il se fut couché. C’est là qu’Odysseus était couché, méditant dans son esprit la mort des prétendants, et plein de vigilance. Et les femmes qui s’étaient depuis longtemps livrées aux prétendants sortirent de la maison, riant entre elles et songeant à la joie. Alors, le cœur d’Odysseus s’agita dans sa poitrine, et il délibérait dans son âme, si, se jetant sur elles, il les tuerait toutes, ou s’il les laisserait pour la dernière fois s’unir aux prétendants insolents. Et son cœur aboyait dans sa poitrine, comme une chienne qui tourne autour de ses petits aboie contre un inconnu et désire le combattre. Ainsi son cœur aboyait dans sa poitrine contre ces outrages ; et, se frappant la poitrine, il réprima son cœur par ces paroles : – Souffre encore, ô mon cœur ! Tu as subi des maux pires le jour où le kyklôps indomptable par sa force mangea mes braves compagnons. Tu le supportas courageusement, jusqu’à ce que ma prudence t’eût retiré de la caverne où tu pensais mourir. Il parla ainsi, apaisant son cher cœur dans sa poitrine, et son cœur s’apaisa et patienta. Mais Odysseus se retournait çà et là. De même qu’un homme tourne et retourne, sur un grand feu ardent, un ventre plein de graisse et de sang, de même il s’agitait d’un côté et de l’autre, songeant comment, seul contre une multitude, il mettrait la main sur les prétendants insolents. Et voici qu’Athènè, étant descendue de l’Ouranos, s’approcha de lui, semblable à une femme, et, se tenant près de sa tête, lui dit ces paroles : – Pourquoi veilles-tu, ô le plus malheureux de tous les hommes ? Cette demeure est la tienne, ta femme est ici, et ton fils aussi, lui que chacun désirerait pour fils. Et le sage Odysseus lui répondit : – Certes, déesse, tu as parlé très sagement, mais je songe dans mon âme comment je mettrai la main sur les prétendants insolents, car je suis seul, et ils se réunissent ici en grand nombre. Et j’ai une autre pensée plus grande dans mon esprit. Serai-je tué par la volonté de Zeus et par la tienne ? Échapperai-je ? Je voudrais le savoir de toi. Et la déesse aux yeux clairs, Athènè, lui répondit : – Insensé ! Tout homme a confiance dans le plus faible de ses compagnons, qui n’est qu’un mortel, et de peu de sagesse. Mais moi, je suis déesse, et je t’ai protégé dans tous tes travaux, et je te le dis hautement : Quand même cinquante armées d’hommes parlant des langues diverses nous entoureraient pour te tuer avec l’épée, tu n’en ravirais pas moins leurs bœufs et leurs grasses brebis. Dors donc. Il est cruel de veiller toute la nuit. Bientôt tu échapperas à tous tes maux. Elle parla ainsi et répandit le sommeil sur ses paupières. Puis, la noble déesse remonta dans l’Olympos, dès que le sommeil eut saisi Odysseus, enveloppant ses membres et apaisant les peines de son cœur. Et sa femme se réveilla ; et elle pleurait, assise sur son lit moelleux. Et, après qu’elle se fut rassasiée de larmes, la noble femme supplia d’abord la vénérable déesse Artémis, fille de Zeus : – Artémis, vénérable déesse, fille de Zeus, plût aux dieux que tu m’arrachasses l’âme, à l’instant même, avec tes flèches, ou que les tempêtes pussent m’emporter par les routes sombres et me jeter dans les courants du rapide Okéanos ! Ainsi, les tempêtes emportèrent autrefois les filles de Pandaros. Les dieux avaient fait mourir leurs parents et elles étaient restées orphelines dans leurs demeures, et la divine Aphroditè les nourrissait de fromage, de miel doux et de vin parfumé. Hèrè les doua, plus que toutes les autres femmes, de beauté et de prudence, et la chaste Artémis d’une haute taille, et Athènè leur enseigna à faire de beaux ouvrages. Alors, la divine Aphroditè monta dans le haut Olympos, afin de demander, pour ces vierges, d’heureuses noces à Zeus qui se réjouit de la foudre et qui connaît les bonnes et les mauvaises destinées des hommes mortels. Et, pendant ce temps, les Harpyes enlevèrent ces vierges et les donnèrent aux odieuses Érinnyes pour les servir. Que les Olympiens me perdent ainsi ! Qu’Artémis aux beaux cheveux me frappe, afin que je revoie au moins Odysseus sous la terre odieuse, plutôt que réjouir l’âme d’un homme indigne ! On peut supporter son mal, quand, après avoir pleuré tout le jour, le cœur gémissant, on dort la nuit ; car le sommeil, ayant fermé leurs paupières, fait oublier à tous les hommes les biens et les maux. Mais l’insomnie cruelle m’a envoyé un daimôn qui a couché cette nuit auprès de moi, semblable à ce qu’était Odysseus quand il partit pour l’armée. Et mon cœur était consolé, pensant que ce n’était point un songe, mais la vérité. Elle parla ainsi, et, aussitôt, Éôs au thrône d’or apparut. Et le divin Odysseus entendit la voix de Pènélopéia qui pleurait. Et il pensa et il lui vint à l’esprit que, placée au-dessus de sa tête, elle l’avait reconnu. C’est pourquoi, ramassant le manteau et les toisons sur lesquelles il était couché, il les plaça sur le thrône dans la salle ; et, jetant dehors la peau de bœuf, il leva les mains et supplia Zeus : – Père Zeus ! si, par la volonté des dieux, tu m’as ramené dans ma patrie, à travers la terre et la mer, et après m’avoir accablé de tant de maux, fais qu’un de ceux qui s’éveillent dans cette demeure dise une parole heureuse, et, qu’au-dehors, un de tes signes m’apparaisse. Il parla ainsi en priant, et le très sage Zeus l’entendit, et, aussitôt, il tonna du haut de l’Olympos éclatant et par-dessus les nuées, et le divin Odysseus s’en réjouit. Et, aussitôt, une femme occupée à moudre éleva la voix dans la maison. Car il y avait non loin de là douze meules du prince des peuples, et autant de servantes les tournaient, préparant l’huile et la farine, moelle des hommes. Et elles s’étaient endormies, après avoir moulu le grain, et l’une d’elles n’avait pas fini, et c’était la plus faible de toutes. Elle arrêta sa meule et dit une parole heureuse pour le roi : – Père Zeus, qui commandes aux dieux et aux hommes, certes, tu as tonné fortement du haut de l’Ouranos étoilé où il n’y a pas un nuage. C’est un de tes signes à quelqu’un. Accomplis donc mon souhait, à moi, malheureuse : Que les prétendants, en ce jour et pour la dernière fois, prennent le repas désirable dans la demeure d’Odysseus ! Ils ont rompu mes genoux sous ce dur travail de moudre leur farine ; qu’ils prennent aujourd’hui leur dernier repas ! Elle parla ainsi, et le divin Odysseus se réjouit de cette parole heureuse et du tonnerre de Zeus, et il se dit qu’il allait punir les coupables. Et les autres servantes se rassemblaient dans les belles demeures d’Odysseus, et elles allumèrent un grand feu dans le foyer. Et le divin Tèlémakhos se leva de son lit et se couvrit de ses vêtements. Il suspendit une épée à ses épaules et il attacha de belles sandales à ses pieds brillants ; puis, il saisit une forte lance à pointe d’airain, et, s’arrêtant, comme il passait le seuil, il dit à Eurykléia : – Chère nourrice, comment avez-vous honoré l’étranger dans la demeure ? Lui avez-vous donné un lit et de la nourriture, ou gît-il négligé ? Car ma mère est souvent ainsi, bien que prudente ; elle honore inconsidérément le moindre des hommes et renvoie le plus méritant sans honneurs.

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    Auteur inconnu

    Titre inconnu I Eh quoi! nous avons entendu parler de la valeur des rois qui gouvernèrent jadis les Danois des Lances et de l’héroïsme dont firent preuve ces princes! Souvent Scyld, fils de Scef, remporta la victoire sur des foules d’ennemis et de nombreuses tribus. Lui qui avait été jadis recueilli dans le dénûment, il devint un redoutable seigneur; ses malheurs furent réparés, car il grandit, sa renommée s’étendit dans le monde et un jour vint où tous ses voisins lui furent soumis et lui envoyèrent le tribut par-dessus les mers. Oui, c’était un excellent roi! — Il eut un enfant que Dieu envoya pour être la consolation de ses sujets, car le Seigneur avait été témoin des maux que leur avaient causés pendant bien longtemps leurs ennemis. C’est pourquoi Dieu leur donna de la gloire en ce monde. Beowulf fut célèbre; le nom du descendant de Scyld retentit au loin dans le Scedeland. (C’est ainsi qu’il sied à un jeune guerrier de se montrer prodigue de bienfaits et de trésors envers les amis de son père afin que, dans sa vieillesse, il trouve aussi des compagnons volontaires qui puissent le servir en cas de guerre: ainsi sa renommée grandira dans chaque tribu par des actions d’éclat). Quand le moment fatal fut venu Scyld partit, sous la garde de Dieu, pour le long voyage. Ses chers compagnons le portèrent à la mer, ainsi qu’il l’avait ordonndé pendant qu’il régnait; — son temps de puissance avait été long. Dans le port se trouvait une barque bien équipée, — la barque du roi. Ils y placèrent, près du mât, leur souverain. La barque était remplie d’objets précieux et de trésors venant de lointains pays. Jamais, à ma connaissance, esquif ne reçut une plus belle parure d’armes et d’habits de guerre: cette masse de trésors devait partir avec lui sur les flots. Il ne furent pas moins prodigues de dons envers lui que ne l’avaient été ceux qui l’avaient livré seul, après sa naissance, au caprice des vagues. — Ils firent flotter une bannière d’or au-dessus de sa tête, puis l’abandonnèrent à la mer. L’esprit tout rempli de tristesse ils n’auraient pu dire en vérité qui recevait la charge du navire. II. Beowulf, prince des Scyldingas, jouit longtemps d’une grande renommée parmi les peuples après que son père eût quitté ce monde. De lui naquit le puissant Healfdene qui gouverna heureusement, tant qu’il vécut, les Scyldingas. Celui-ci, à son tour, eut quatre enfants: Heorogar, Hrothgar, Halga-til et Elan qui, d’après ce que j’ai entendu rapporter, fut l’épouse d’Ongentheow le Heathoscylfing. Hrothgar devint puissant dans les combats: aussi ses parents lui obéirent et la foule de ses serviteurs d’armes s’accrût. Il lui vint à la pensée de faire construire une salle plus grande que toutes celles qu’on avait vues jusque-là, et d’y partager entre jeunes et vieux tout ce que Dieu lui avait donné, à l’exception toutefois des terres publiques et de la vie des personnes. Grand nombre de tribus, dit-on, furent mises à l’œuvre pour construire et parer cette salle; elle fut achevée pour le temps fixé et Hrothgar lui donna le nom de Heort. Il ne manqua pas à ses engagements et partagea trésors et bracelets pendant le festin. La salle s’élevait enfin haute et spacieuse; elle était réservée pour la flamme hostile. Le temps n’était pas loin encore où Hrothgar avait fait jurer fidélité à ses ennemis après les combats, quand l’esprit malfaisant commença à s’éveiller: du sein de ses ténèbres il entendait avec impatience les bruits joyeux qui chaque jour s’élevaient de la salle. Le son de la harpe et le chant du poëte y retentissaient. Un homme instruit en ces matières racontait l’antique origine des mortels; il disait que le Tout-Puissant avait créé la terre comme une belle plaine entourée par les eaux, qu’il avait posé le soleil et la lune comme des luminaires pour les habitants de la terre, qu’il avait revêtu les régions de la terre d’une parure de branches et de feuillages, qu’il avait aussi créé les êtres vivants de toute espèce. — Les guerriers vécurent ainsi dans la joie jusqu’au moment où un esprit infernal commença à machiner des forfaits; on l’appelait Grendel; il habitait les marais et les lieux inaccessibles depuis que Dieu l’avait maudit. (Le Seigneur éternel vengea le meurtre d’Abel sur la race de Caïn: celui-ci n’eut pas lieu de se réjouir de la haine qu’il avait encourue, car Dieu le punit de son crime en le bannissant loin de l’humanité. C’est de lui que sont venues toutes les races pernicieuses, les géants, les elfes et les monstres marins lesquels combattirent longtemps contre Dieu, mais Dieu les servit selon leur mérite). III Après que la nuit fut venue Grendel alla visiter le haut édifice et voulut voir comment les Danois s’y étaient logés à l’issue du festin. À l’intérieur il trouva la compagnie des nobles qui se livrait au sommeil, libre de tout souci. Le démon avide fut bientôt prêt et enleva trente chevaliers au repos. Il partit ensuite, fier de son butin, pour se rendre dans sa demeure. À l’aurore du jour l’attaque de Grendel fut découverte: des clameurs et un grand bruit matinal se firent alors entendre. — Hrothgar était maintenant tout rempli de tristesse; les soucis que lui causait le sort de ses chevaliers le tourmentait depuis que les traces de l’esprit infernal étaient apparues: cette guerre était trop terrible et trop longue. — La nuit suivante (et sans attendre davantage) Grendel commit de nouveaux meurtres et ne recula ni devant le combat ni devant les crimes: cette affliction s’était terriblement appesantie sur eux. — La haine de Grendel ayant été manifestée au roi par des signes certains il alla chercher dans le château un lieu de repos moins à l’étroit; celui qui avait échappé à l’ennemi se tenait désormais au loin et sur ses gardes. Grendel régna ainsi et combattit injustement seul contre eux tous jusqu’au jour où la plus belle des maisons devint déserte. Longue fut la durée de ses hostilités: pendant douze hivers les Scyldingas souffrirent toute espèce de maux, de terribles soucis; aussi des chants lugubres apportèrent aux hommes la nouvelle que Grendel avait engagé une longue guerre contre Hrothgar. (Le monstre porta longtemps la guerre chez les Danois, car il ne voulait épargner aucun homme de leur élite ni lâcher prise à aucun prix, en sorte que nul des conseillers du royaume ne pouvait espérer d’échapper à ses griffes par l’appât d’une haute rançon; l’esprit infernal s’emparait également des chevaliers et des hommes d’armes et les retenaient dans les fers. Il vivait dans une nuit continuelle, au milieu des marais brumeux; personne ne savait où il portait ses pas. — Tels étaient les nombreux crimes qu’il machinait. Il hantait Heort, la salle magnifique, pendant les nuits ténébreuses — Dieu, dont il ne connaissait pas l’amour, ne lui permit pas de s’emparer du trône: — ces ravages remplissaient Hrothgar de tristesse. Bien souvent le Conseil s’assemblait pour délibérer sur ce qu’il y aurait de mieux à faire pour arrêter ces attaques. Parfois ils promettaient de consacrer dans leurs temples leurs parures de guerre et priaient le démon de les secourir dans leurs calamités. — Telles étaient leurs coutumes païennes: leurs idées étaient tournées vers l’enfer; ils ne connaissaient pas le Créateur, ne savaient pas honorer Dieu. Malheur à celui qui, par une conduite déplorable précipitera son âme dans le feu et qui n’aura aucun espoir de voir finir ses maux! Heureux, au contraire, celui qui peut chercher après sa mort un refuge dans les bras de Dieu. IV C’est ainsi que l’affliction déchirait le fils de Healfdene, car il ne pouvait détourner les maux que lui causaient son ennemi: cette guerre, ce mal nocturne fait au peuple, était trop terrible et trop long! Le bruit des crimes de Grendel parvint jusqu’au chevalier de Hygelac qui était vaillant parmi les Goths et l’homme le plus fort de son temps. Il ordonna d’équiper un navire et dit qu’il irait trouver par mer Hrothgar, puisque ce roi avait besoin de monde. Les hommes sagaces ne blâmèrent point ce voyage bien que le chevalier leur fût cher: ils encouragèrent ce brave et ils tirèrent des augures favorables sur son entreprise. Beowulf avait choisi, parmi les Goths, les guerriers les plus hardis qu’il avait pu trouver. Ils s’embarquèrent à quinze dans le navire. Un homme, expert dans la navigation, les conduisit à la limite des terres. Le temps était passé; le bateau était sur les flots, remisé sous la falaise. Les guerriers étaient prêts; ils montèrent sur la proue. Les courants faisaient tordre la mer contre le rivage. Les guerriers portèrent au milieu du navire des équipements magnifiques, puis, commençant leur expédition volontaire, poussèrent leur navire au large. Poussé par un bon vent le navire fendit comme un oiseau les flots de la mer, en sorte que, vers la même heure du jour suivant, il arriva à un endroit d’où les navigateurs aperçurent la terre et virent briller les falaises, les rochers escarpés et les vastes promontoires marins: la mer était traversée et le voyage à sa fin. Les Wederas montèrent aussitôt sur le rivage et attachèrent leur navire (on entendit le cliquetis des cuirasses); ils rendirent leurs actions de grâce à Dieu de ce qu’ils avaient pu accomplir facilement leur voyage. Le garde-côte des Scyldingas vit du rivage les brillants boucliers et les équipements que l’on portait à terre; dans sa curiosité il chercha à deviner par des conjectures qui étaient ces hommes. Le serviteur de Hrothgar se rendit alors à cheval au rivage, puis secouant sa lance avec force, leur adressa ces questions: « Qui êtes-vous donc, vous qui conduisez ainsi, couverts de cottes de mailles et de parures guerrières, ce haut navire par dessus le détroit de la mer? Je suis le gardien de la côte et je dois veiller à ce qu’aucune flotte ennemie ne vienne ravager le pays des Danois. Jamais troupe guerrière n’est encore venue ici plus librement; cependant vous ignorez complètement si vous pouvez obtenir la permission de nos guerriers. — Jamais je n’ai vu un plus puissant chevalier que celui qui est au milieu de vous avec ses habits de guerre; un homme vulgaire ne porterait pas de pareilles armes; il doit être intrépide si son apparence ne me trompe pas. — Maintenant il me faut savoir votre origine avant que vous fassiez un pas de plus sur la terre des Danois. Écoutez donc mon simple conseil, ô habitants d’une région lointaine et navigateurs de la mer, mieux vaut dire au plus tôt le pays d’où vous venez! » V Le chef de la troupe répondit: « Nous sommes de la nation des Goths et des serviteurs de Hygelac. Mon père était célèbre parmi les peuples; on l’appelait Ecgtheow; il eut de longs jours et tous les sages de la terre se souviennent de lui. — Nous venons, dans un esprit de fidélité, trouver ton maître, le fils de Healfdene: puissent tes instructions nous être favorables! Nous apportons au seigneur des Danois un message important, mais rien n’en doit être caché, je pense. Tu dois savoir, si ce que nous avons entendu dire est vrai, que pendant les nuits obscures un ennemi inconnu manifeste sa haine contre les Scyldingas par la dévastation et le meurtre. Je peux donner un bon conseil à Hrothgar à ce sujet et l’aviser de la manière de terrasser l’ennemi: il faut savoir si le temps de tribulation peut cesser pour faire place à des jours meilleurs, ou bien s’il faut toujours que Hrothgar endure des souffrances tant que demeurera sur ses fondements le plus beau des édifices. Le gardien de la côte répondit: « Tout bon guerrier doit connaître la différence qui existe entre les paroles et les actes. J’entends dire que cette troupe est dévouée au seigneur des Scyldingas: venez, je vous servirai de guide. Je vais donner l’ordre à mes gens de bien garder votre barque contre tous les ennemis, afin qu’elle puisse porter de nouveau votre chef quand il retournera à la frontière des Wederas. Puisse-t-il être donné à un si vaillant guerrier de traverser sans accident la mêlée des batailles! » Ils partirent alors. — Le navire resta immobile, attaché à ses cordes, ferme sur son ancre. — Le signe du sanglier brillait sur les visières; le sanglier montait la garde. — Les guerriers marchèrent ensemble rapidement jusqu’au moment où il purent apercevoir Heort (c’était le plus beau des édifices sous le ciel et c’est là que se tenait Hrothgar; l’éclat de la salle se répandait sur de nombreux pays). Le gardien de la côte le leur montra, afin qu’ils pussent s’y rendre seuls, puis, faisant tourner bride à son cheval, il leur dit ces paroles: « Il est temps que je parte. Que la grâce du Père tout-puissant vous garde en santé pendant vos entreprises! Moi, je me rends à la mer pour monter la garde contre les ennemis. » VI La route était bigarrée de pierres; elle indiquait la direction aux guerriers. La cotte de mailles brillait, l’épée luisante chantait en se choquant contre les armures. Tout à coup ils arrivèrent à la salle. Ils déposèrent leurs larges boucliers contre le mur, puis se dirigèrent vers le banc. Un homme vint alors leur demander quelle était leur nation: « De quel endroit apportez-vous ces boucliers, ces chemises d’armes, ces casques et cette masse de lances? — Je suis l’envoyé et le serviteur de Hrothgar. Je n’ai pas encore vu un plus grand nombre de braves étrangers. J’espère que la hardiesse de votre esprit, et non la contrainte, vous a poussés à venir trouver Hrothgar. » Le prince des Goths répondit: « Nous sommes les compagnons de table de Hygelac; mon nom est Beowulf. Je veux délivrer mon message au fils de Healfdene si, toutefois, il nous accorde la faveur de le saluer. » Wulfgar, prince des Wendlas (il était renommé pour sa sagesse et sa vaillance) dit alors: « Je vais exposer ta requête au roi des Danois et lui parler de ton voyage, et je t’apporterai de suite la réponse qu’il me fera. » Il alla aussitôt à l’endroit où siégeait le vieux Hrothgar avec sa compagnie de nobles, et se plaçant sur le côté du roi (car il connaissait l’étiquette): « Il y a ici, dit-il, des Goths qui sont venus de loin en traversant la mer; ils nomment le principal d’entre eux Beowulf. Ils sollicitent de s’entretenir avec toi, ô mon prince! ne leur refuse pas la faveur d’une réponse. Ils paraissent être de braves guerriers; leur chef surtout est excellent. » VII Hrothgar, prince des Scyldingas, dit alors: « Je l’ai connu quand il était enfant. Son père s’appelait Ecgtheow; le Goth Hrethel lui donna en mariage sa fille unique. Son fils est venu ici trouver son fidèle ami. C’est de lui que les marins qui portaient le tribut aux Goths disaient qu’il avait dans le poing la force de trente hommes. Dieu l’envoie comme une bénédiction aux Danois de l’Ouest et afin que j’espère la fin de la guerre contre Grendel. Je veux lui offrir des trésors pour récompenser sa bravoure. Hâte-toi; dis leur d’entrer et de venir voir mes guerriers; dis leur aussi qu’ils sont les bienvenus chez les Danois. » Wulfgar alla alors à la porte de la salle et, de l’intérieur, il leur adressa ces paroles: « Mon seigneur le chef des Danois de l’Est me fait dire qu’il connaît votre race et qu’il vous souhaite la bienvenue. Vous pouvez entrer maintenant avec vos habits de guerre et vos casques, en la présence de Hrothgar, mais laissez vos boucliers attendre ici l’issue de l’entretien. » Beowulf se leva alors. Nombre de guerriers se pressèrent autour de lui; quelques uns restèrent, d’après son ordre, pour veiller aux équipements. Ils se rendirent en hâte sous le toit de Heort où les conduisait le chevalier. Beowulf alla à l’estrade et dit ces paroles (son armure faite de mailles cousues avec art par le forgeron brillait sur lui): « Salut, ô Hrothgar! Je suis le parent et le chevalier de Hygelac; j’ai fait dans ma jeunesse beaucoup d’actions d’éclat. J’ai appris l’affaire de Grendel dans ma patrie. Les marins racontent que cette salle magnifique devient déserte chaque soir après la fin du crépuscule. Les plus sages et les meilleurs de mes concitoyens m’ont conseillé de venir te trouver parce qu’ils connaissent ma force et qu’ils ont été eux-mêmes témoins de la manière dont j’avais échappé aux embûches, quand j’ai lié cinq ennemis et anéanti la race des géants, ou encore quand j’ai tué la nuit sur les flots les esprits des eaux et vengé les attaques contre les Goths. Maintenant c’est à Grendel seul qu’il faut faire le procès. — À présent, souverain des Beorht-Dene je vais t’adresser une prière; ne nous refuse pas à moi et à ma compagnie de chevaliers de nettoyer Heort. J’ai entendu dire que le monstre, dans son assurance, ne faisait aucun cas des armes, mais je t’affirme, par la faveur de Hygelac, mon seigneur, dont je jouis, que je dédaignerai de porter l’épée ou le large bouclier contre Grendel: c’est avec mon poing que je veux saisir l’ennemi et combattre l’implacable combat. Celui que la mort enlèvera croira à la puissance de Dieu. Je pense que si Grendel est vainqueur il voudra dévorer les hommes de Gothie comme il a dévoré souvent l’élite des Hrethmen. Tu n’as pas besoin de me donner de garde mais, si je meurs, Grendel voudra emporter mon cadavre sanglant, il consommera mes restes sans regret et il marquera les marais de mon sang. Ne t’attriste pas longtemps sur mon massacre. Envoie à Hygelac, si je péris dans le combat, la meilleure des cottes de mailles, celle que porte ma poitrine: c’est un héritage de Hrædla, un travail de Weland. Le sort est toujours le maître! » VIII Hrothgar roi des Scyldingas parla ensuite: « Tu es venu, mon cher Beowulf, combattre pour notre défense et nous apporter le salut. — Ton père livra autrefois un combat terrible: il tua Heatholaf chez les Wylfingas; les Wederas refusèrent de le recevoir à cause de cette action. Il vint de là, à travers les flots, visiter les Danois du Sud. J’étais jeune alors et je venais prendre les rênes du gouvernement des Danois; Heregar mon frère aîné, le fils de Healfdene, était mort (il était meilleur que je ne suis!). — Plus tard je composai pour ce meurtre; j’envoyai des objets de prix, par dessus la mer, aux Wylfingas. Ecgtheow me prêta serment. — J’ai peine à dire à qui que ce soit l’humiliation que Grendel m’a causée dans Heort. Les rangs de mes compagnons se sont éclaircis: le destin les a livrés à la haine du monstre. Dieu peut empêcher sans peine ce téméraire de commettre ses crimes. Bien souvent les guerriers, pendant le festin de la bière, ont promis de l’affronter dans la salle avec la pointe de l’épée; le lendemain au lever du jour la salle était tachée de sang. Le nombre de mes fidèles diminuait d’autant plus qu’ils m’étaient ravis par la mort. — Mais prends place au banquet et débarrasse tes hommes des règles de l’étiquette si cela te fait plaisir! » Après ces mots on fit place aux Goths sur les bancs de la salle du festin et les braves guerriers allèrent y prendre place. Un serviteur veillait à ce qu’il ne leur manquât de rien; il avait une cruche à la main et leur versait de la bière. De temps en temps le poète faisait entendre ses chants éclatants dans Heort, et la joie régnait parmi la foule des Danois et des Goths. IX Hunferth, fils d’Ecglaf, qui était assis aux pieds du prince des Scyldingas, parla ainsi (l’expédition de Beowulf le remplissait de chagrin, parce qu’il ne voulait pas convenir qu’aucun homme eût plus de gloire que lui-même): « N’es-tu pas le Beowulf qui essaya ses forces à la nage sur la mer immense avec Breca quand, par bravade, vous avez tenté les flots et que vous avez follement hasardé votre vie dans l’eau profonde? Aucun homme, qu’il fut ami ou ennemi, ne put vous empêcher d’entreprendre ce triste voyage. — Vous avez nagé alors sur la mer, vous avez suivi les sentiers de l’océan. L’hiver agitait les vagues. Vous êtes restés en détresse pendant sept nuits sous la puissance des flots, mais il t’a vaincu dans la joute parce qu’il avait plus de force que toi. Le matin, le flot le porta sur Heatho-ræmas et il alla visiter sa chère patrie le pays des Brondingas, où il possédait le peuple, une ville et des trésors. Le fils de Beanstan accomplit entièrement la promesse qu’il t’avait faite. — Quoique tu brilles dans tous les combats je crois qu’un sort plus terrible t’est réservé si tu oses passer une nuit auprès de Grendel. » Beowulf, fils d’Ecgtheow, répondit: « Combien de paroles tu as dites, excité par la bière, sur Breca et son voyage, mon ami Hunferth! Je te dis en vérité que j’avais plus de force pour résistera à la mer qu’aucun autre homme. Nous fîmes la promesse, quand nous étions encore jeunes, de risquer notre vie à la mer et nous tînmes notre parole. Nous avions une épée nue dans la main qui devait nous protéger contre les baleines pendant que nous nagerions sur les flots. Il ne put avancer plus rapidement que moi, et moi je ne voulus pas le quitter. Nous fûmes donc ensemble sur la mer pendant cinq nuits; puis les flots tumultueux, le temps glacial, la nuit obscure et le terrible vent du nord nous séparèrent. Les poissons marins étaient irrités. Ma cotte de mailles me protégea contre les ennemis: ce vêtement de guerre couvrait ma poitrine. L’ennemi m’entraîna au fond; il me tint sous sa griffe, mais je parvins à le frapper avec la pointe de mon épée: le monstre de mer périt par ma main dans le combat. » X « C’est ainsi que, souvent, les ennemis mirent ma vie en péril. Je les traitai avec ma chère épée comme il était juste; ils n’eurent pas lieu de se réjouir de l’abondance du festin ni de m’avoir entraîné près du fond de la mer pour me dévorer, car le matin ils étaient étendus sans vie sur le rivage et désormais ils ne barrèrent plus la route à ceux qui naviguent sur la mer. La lumière se fit dans l’est, le brillant flambeau de Dieu parut; les flots s’apaisèrent et je pus voir les promontoires marins et les côtes venteuses. Souvent le sort conserve la vie du brave! Il me permit même de tuer avec mon épée neuf niceras. Je n’ai pas connaissance qu’on ait combattu plus rude combat la nuit sous la voûte des cieux, ni qu’aucun homme ait été plus misérable sur les flots. Et cependant, quoique fatigué par le voyage, je sauvai ma vie de la griffe des ennemis. Les courants de la mer me portèrent sur le Finnaland. — Je n’ai jamais entendu dire que tu aies pris part à de semblables combats quoique tu sois le meurtrier de tes frères (tu souffriras pour ce fait la damnation dans l’enfer, bien que ton esprit soit subtil); jamais Breca, ni aucun de vous, n’a encore accompli de pareilles prouesses avec son épée (je ne m’en fais pas gloire.) Je te le dis en vérité, fils d’Ecglaf, jamais Grendel n’eut fait tant de maux à ton roi dans Heort si ton caractère était aussi belliqueux que tu le dis toi-même. Mais il a vu qu’il n’avait pas besoin de craindre trop les épées de votre peuple; il prend son tribut, il ne fait grâce à aucun Danois, il combat, dort et se gorge à plaisir sans redouter rien de vous. Bientôt cependant il aura affaire à la force et à l’héroïsme des Goths. — Que celui qui le pourra aille de nouveau prendre l’hydromel quand la lumière se fera demain sur les hommes et que le soleil brillera dans le sud! » Le prince des Beorht-Dene, ayant entendu ce discours, était heureux; il se fiait à Beowulf dont il venait d’entendre les paroles résolues. Alors on entendit les rires des guerriers et les joyeux propos. Wealhtheow, l’épouse de Hrothgar, qui se rappelait les règles de l’étiquette, alla saluer les guerriers dans la salle, et la noble femme présenta d’abord la coupe au roi en lui disant de se réjouir au festin de la bière. Le roi prit joyeusement la coupe. La reine fit alors le tour de l’assistance et présenta la coupe aux chevaliers de tout rang; le tour de Beowulf étant venu elle salua le prince Goth et remercia Dieu en de sages paroles de ce que le souhait qu’elle avait formé de pouvoir se confier dans un chevalier vengeur des crimes s’était accompli. Beowulf reçut la coupe des mains de Wealhtheow et, résolu au combat, il parla ainsi: « J’étais résolu, en m’embarquant sur la mer avec mes compagnons, de faire prévaloir entièrement la volonté de votre peuple ou de périr et d’être saisi par les griffes de l’ennemi. Je ferai des actions d’éclat ou mes jours trouveront leur issue dans cette salle de festin. » Ces paroles orgueilleuses du Goth plurent à la reine, qui alla prendre place auprès de son époux. Les conversations animées recommencèrent dans la salle jusqu’au moment où le fils de Healfdene se leva subitement pour aller prendre du repos; il savait que le combat contre le monstre était résolu… Pendant qu’ils purent voir la lumière du soleil jusqu’à ce que la nuit obscure se fut faite dans le ciel. — Tout le monde se leva. Hrothgar salua alors Beowulf; il lui délégua le pouvoir sur la salle et lui adressa ces paroles: « Jamais depuis que j’ai pu lever la main et le bouclier je n’ai confié à un homme la salle des Danois, si ce n’est à toi. Garde maintenant le plus beau des édifices; montre-toi soucieux de la gloire; fais des preuves de bravoure; veille sur l’ennemi! Tu ne manqueras pas de trésors si tu échappes la vie sauve à cette action! »

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    John Milton

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    Le paradis perdu Argument. Dieu, siégeant sur son trône, voit Satan qui vole vers ce monde nouvellement créé. Il le montre à son fils, assis à sa droite. Il prédit le succès de Satan, qui pervertira l’espèce humaine. L’Éternel justifie sa justice et sa sagesse de toute imputation, ayant créé l’homme libre et capable de résister au tentateur. Cependant il déclare son dessein de faire grâce à l’homme, parce qu’il n’est pas tombé par sa propre méchanceté comme Satan, mais par la séduction de Satan. Le Fils de Dieu glorifie son Père pour la manifestation de sa grâce envers l’homme ; mais Dieu déclare encore que cette grâce ne peut être accordée à l’homme si la justice divine ne reçoit satisfaction : l’homme a offensé la majesté de Dieu en aspirant à la divinité ; et c’est pourquoi, dévoué à la mort avec toute sa postérité, il faut qu’il meure, à moins que quelqu’un ne soit trouvé capable de répondre pour son crime et de subir sa punition. Le Fils de Dieu s’offre volontairement pour rançon de l’homme. Le Père l’accepte, ordonne l’incarnation, et prononce que le Fils soit exalté au-dessus de tous, dans le ciel et sur la terre. Il commande à tous les anges de l’adorer. Ils obéissent, et chantant en chœur sur leurs harpes, ils célèbrent le Fils et le Père. Cependant Satan descend sur la convexité nue de l’orbe le plus extérieur de ce monde, où errant le premier, il trouve un lieu appelé dans la suite le limbe de vanité : quelles personnes et quelles choses volent à ce lieu. De là l’ennemi arrive aux portes du ciel. Les degrés par lesquels on y monte décrits, ainsi que les eaux qui coulent au-dessus du firmament. Passage de Satan à l’orbe du soleil. Il y rencontre Uriel, régent de cet orbe, mais il prend auparavant la forme d’un ange inférieur, et prétextant un pieux désir de contempler la nouvelle création et l’homme que Dieu y a placé, il s’informe de la demeure de celui-ci : Uriel l’en instruit. Satan s’abat d’abord sur le sommet du mont Niphates. Salut, lumière sacrée, fille du ciel, née la première, ou de l’Éternel rayon coéternel ! Ne puis-je pas te nommer ainsi sans être blâmé ? Puisque Dieu est lumière, et que de toute éternité il n’habita jamais que dans une lumière inaccessible, il habita donc en toi, brillante effusion d’une brillante essence incréée. Ou préfères-tu t’entendre appeler ruisseau de pur éther ? Qui dira ta source ? Avant le soleil, avant les cieux, tu étais, et à la voix de Dieu, tu couvris, comme d’un manteau, le monde s’élevant des eaux ténébreuses et profondes, conquête faite sur l’infini vide et sans forme. Maintenant je te visite de nouveau d’une aile plus hardie, échappé du lac Stygien, quoique longtemps retenu dans cet obscur séjour. Lorsque, dans mon vol, j’étais porté à travers les ténèbres extérieures et moyennes, j’ai chanté, avec des accords différents de ceux de la lyre d’Orphée, le Chaos et l’éternelle Nuit. Une Muse céleste m’apprit à m’aventurer dans la noire descente et à la remonter, chose rare et pénible. Sauvé, je te visite de nouveau, et je sens ta lampe vitale et souveraine. Mais toi tu ne reviens point visiter des yeux qui roulent en vain pour rencontrer ton rayon perçant, et ne trouvent point d’aurore, tant une goutte sereine a profondément éteint leurs orbites, ou un sombre tissu les a voilés ! Cependant, je ne cesse d’errer aux lieux fréquentés des Muses, claires fontaines, bocages ombreux, collines dorées du soleil, épris que je suis de l’amour des chants sacrés. Mais toi surtout, ô Sion, toi et les ruisseaux fleuris qui baignent tes pieds saints et coulent en murmurant, je vous visite pendant la nuit. Je n’oublie pas non plus ces deux mortels, semblables à moi en malheur (puissé-je les égaler en gloire !), l’aveugle Thamyris et l’aveugle Méonides, Tirésias et Phinée, prophètes antiques. Alors je me nourris des pensées qui produisent d’elles-mêmes les nombres harmonieux, comme l’oiseau qui veille chante dans l’obscurité : caché sous le plus épais couvert, il soupire ses nocturnes complaintes. Ainsi avec l’année reviennent les saisons ; mais le jour ne revient pas pour moi ; je ne vois plus les douces approches du matin et du soir, ni la fleur du printemps, ni la rose de l’été, ni les troupeaux, ni la face divine de l’homme. Des nuages et des ténèbres qui durent toujours m’environnent. Retranché des agréables voies des humains, le livre des belles connaissances ne me présente qu’un blanc universel, où les ouvrages de la nature sont effacés et rayés pour moi : la sagesse à l’une de ses entrées m’est entièrement fermée. Brille d’autant plus intérieurement, ô céleste lumière ! que toutes les puissances de mon esprit soient pénétrées de tes rayons ! mets tes yeux à mon âme ; disperse et dissipe loin d’elle tous les brouillards, afin que je puisse voir et dire des choses invisibles à l’œil mortel. Déjà le Père tout-puissant, du haut du ciel, du pur Empyrée, où il siège sur un trône au-dessus de toute hauteur, avait abaissé son regard pour contempler à la fois ses ouvrages et les ouvrages de ses ouvrages. Autour de lui toutes les saintetés du ciel se pressaient comme des étoiles, et recevaient de sa vue une béatitude qui surpasse toute expression ; à sa droite était assise la radieuse image de sa gloire, son Fils unique. Il aperçut d’abord sur la terre nos deux premiers parents, les deux seuls êtres de l’espèce humaine, placés dans le jardin des délices, goûtant d’immortels fruits de joie et d’amour, joie non interrompue, amour sans rival dans une heureuse solitude. Il aperçut aussi l’enfer et le gouffre entre l’enfer et la création ; il vit Satan côtoyant le mur du ciel, du côté de la nuit dans l’air sublime et sombre, et près de s’abattre, avec ses ailes fatiguées et un pied impatient, sur la surface aride de ce monde qui lui semble une terre ferme, arrondie et sans firmament : l’archange est incertain si ce qu’il voit est l’océan ou l’air. Dieu l’observant de ce regard élevé dont il découvre le présent, le passé et l’avenir, parla de la sorte à son Fils unique, en prévoyant cet avenir : « Unique Fils que j’ai engendré, vois-tu quelle rage transporte notre adversaire ? Ni les bornes prescrites, ni les barreaux de l’enfer, ni toutes les chaînes amoncelées sur lui, ni même du profond Chaos l’interruption immense, ne l’ont pu retenir ; tant il semble enclin à une vengeance désespérée qui retombera sur sa tête rebelle. Maintenant, après avoir rompu tous ses liens, il vole non loin du ciel, sur les limites de la lumière, directement vers le monde nouvellement créé et vers l’homme placé là, dans le dessein d’essayer s’il pourra le détruire par la force, ou, ce qui serait pis, le pervertir par quelque fallacieux artifice ; et il le pervertira : l’homme écoutera ses mensonges flatteurs, et transgressera facilement l’unique commandement, l’unique gage de son obéissance : il tombera lui et sa race infidèle. « À qui sera la faute ? À qui, si ce n’est à lui seul ? Ingrat ! il avait de moi tout ce qu’il pouvait avoir ; je l’avais fait juste et droit, capable de se soutenir, quoique libre de tomber. Je créai tels tous les pouvoirs éthérés et tous les esprits, ceux qui se soutinrent et ceux qui tombèrent : librement se sont soutenus ceux qui se sont soutenus, et tombés ceux qui sont tombés. N’étant pas libres, quelle preuve sincère auraient-ils pu donner d’une vraie obéissance, de leur constante foi ou de leur amour ? Lorsqu’ils n’auraient fait seulement que ce qu’ils auraient été contraints de faire, et non ce qu’ils auraient voulu, quelle louange en auraient-ils pu recevoir ? quel plaisir aurais-je trouvé dans une obéissance ainsi rendue, alors que la volonté et la raison (raison est aussi choix), inutiles et vaines, toutes deux dépouillées de liberté, toutes deux passives, eussent servi la nécessité, non pas moi ? « Ainsi créés, comme il appartenait de droit, ils ne peuvent donc justement accuser leur créateur, ou leur nature, ou leur destinée, comme si la prédestination, dominant leur volonté, en disposât par un décret absolu, ou par une prescience suprême. Eux-mêmes ont décrété leur propre révolte ; moi non : si je l’ai prévue, ma prescience n’a eu aucune influence sur leur faute, qui n’étant pas prévue n’en aurait pas moins été certaine. Ainsi sans la moindre impulsion, sans la moindre ombre de destinée ou de chose quelconque par moi immuablement prévue, ils pèchent, auteurs de tout pour eux-mêmes, à la fois en ce qu’ils jugent et en ce qu’ils choisissent : car ainsi je les ai créés libres, et libres ils doivent demeurer, jusqu’à ce qu’ils s’enchaînent eux-mêmes. Autrement, il me faudrait changer leur nature, révoquer le haut décret irrévocable, éternel, par qui fut ordonnée leur liberté ; eux seuls ont ordonné leur chute. « Les premiers coupables tombèrent par leur propre suggestion, tentés par eux-mêmes, par eux-mêmes dépravés ; l’homme tombe déçu par les premiers coupables. L’homme, à cause de cela, trouvera grâce ; les autres n’en trouveront point. Par la miséricorde et par la justice, dans le ciel et sur la terre, ainsi ma gloire triomphera ; mais la miséricorde, la première et la dernière, brillera la plus éclatante. » Tandis que Dieu parlait, un parfum d’ambroisie remplissait tout le ciel, et répandait parmi les bienheureux esprits élus, le sentiment d’une nouvelle joie ineffable. Au-dessus de toute comparaison, le Fils de Dieu se montrait dans une très-grande gloire : en lui brillait tout son Père substantiellement exprimé. Une divine compassion apparut visible sur son visage, avec un amour sans fin et une grâce sans mesure ; il les fit connaître à son Père, en lui parlant de la sorte : « Ô mon Père, miséricordieuse a été cette parole qui a terminé ton arrêt suprême : l’homme trouvera grâce ! Pour cette parole le ciel et la terre publieront tes louanges par les innombrables concerts des hymnes et des sacrés cantiques : de ces cantiques ton trône environné retentira de toi à jamais béni. Car l’homme serait-il finalement perdu ? l’homme, ta créature dernièrement encore si aimée, ton plus jeune fils, tomberait-il circonvenu par la fraude, bien qu’en y mêlant sa propre folie ! Que cela soit loin de toi, que cela soit loin de toi, ô Père, toi qui juges de toutes les choses faites, et qui seul juges équitablement ! Ou l’adversaire obtiendra-t-il ainsi ses fins et te frustrera-t-il des tiennes ? Satisfera-t-il sa malice, et réduira-t-il ta bonté à néant ? Ou s’en retournera-t-il plein d’orgueil, quoique sous un plus pesant arrêt, et cependant avec une vengeance satisfaite, entraînant après lui dans l’enfer la race entière des humains, par lui corrompue ? Ou veux-tu toi-même abolir ta création, et défaire, pour cet ennemi ce que tu as fait pour ta gloire ? Ta bonté et ta grandeur pourraient être mises ainsi en question, et blasphémées sans être défendues. » Le grand Créateur lui répondit : « Ô mon Fils, en qui mon âme a ses principales délices, Fils de mon sein, Fils qui es seul mon Verbe, ma sagesse et mon effectuelle puissance, toutes tes paroles ont été comme sont mes pensées, toutes comme ce que mon éternel dessein a décrété, l’homme ne périra pas tout entier, mais se sauvera qui voudra ; non cependant par une volonté de lui-même, mais par une grâce de moi, librement accordée. Une fois encore je renouvellerai les pouvoirs expirés de l’homme, quoique forfaits et assujettis par le péché à d’impurs et exorbitants désirs. Relevé par moi, l’homme se tiendra debout une fois encore, sur le même terrain que son mortel ennemi ; l’homme sera par moi relevé, afin qu’il sache combien est débile sa condition dégradée, afin qu’il ne rapporte qu’à moi sa délivrance, et à nul autre qu’à moi. « J’en ai choisi quelques-uns, par une grâce particulière élus au-dessus des autres : telle est ma volonté. Les autres entendront mon appel ; ils seront souvent avertis de songer à leur état criminel et d’apaiser au plus tôt la Divinité irritée, tandis que la grâce offerte les y invite. Car j’éclairerai leurs sens ténébreux d’une manière suffisante, et j’amollirai leur cœur de pierre, afin qu’ils puissent prier, se repentir et me rendre l’obéissance due : à la prière, au repentir, à l’obéissance due (quand elle ne serait que cherchée avec une intention sincère), mon oreille ne sera point sourde, mon œil fermé. Je mettrai dans eux, comme un guide, mon arbitre, la conscience : s’ils veulent l’écouter, ils atteindront lumière après lumière ; celle-ci bien employée et eux persévérant jusqu’à la fin, ils arriveront en sûreté. « Ma longue tolérance et mon jour de grâce, ceux qui les négligeront et les mépriseront ne les goûteront jamais ; mais l’endurci sera plus endurci, l’aveugle plus aveuglé, afin qu’ils trébuchent et tombent plus bas. Et nuls que ceux-ci je n’exclus de la miséricorde. « Mais cependant tout n’est pas fait : l’homme désobéissant rompt déloyalement sa foi, et pèche contre la haute suprématie du ciel ; affectant la divinité, et perdant tout ainsi, il ne laisse rien pour expier sa trahison ; mais consacré et dévoué à la destruction, lui et toute sa postérité doivent mourir. Lui ou la justice doivent mourir, à moins que pour lui un autre ne soit capable, s’offrant volontairement de donner la rigide satisfaction : mort pour mort. « Dites, pouvoirs célestes, où nous trouverons un pareil amour ? Qui de vous se fera mortel pour racheter le mortel crime de l’homme ? et quel juste sauvera l’injuste ? Une charité si tendre habite-t-elle dans tout le Ciel ? » Il adressait cette demande, mais tout le chœur divin resta muet, et le silence était dans le ciel. En faveur de l’homme ni patron ni intercesseur ne paraît, ni encore moins qui ose attirer sur sa tête la proscription mortelle, et payer rançon. Et alors, privée de rédemption, la race humaine entière eût été perdue, adjugée, par un arrêt sévère à la mort et à l’enfer, si le Fils de Dieu, en qui réside la plénitude de l’amour divin, n’eût ainsi renouvelé sa plus chère médiation : « Mon Père, ta parole est prononcée : l’homme trouvera grâce. La grâce ne trouvera-t-elle pas quelque moyen de salut, elle qui, le plus rapide de tes messagers ailés, trouve un passage pour visiter tes créatures, et venir à toutes, sans être prévue, sans être implorée, sans être cherchée ? Heureux l’homme si elle le prévient ainsi ! Il ne l’appellera jamais à son aide, une fois perdu et mort dans le péché : endetté et ruiné, il ne peut fournir pour lui ni expiation, ni offrande. « Me voici donc, moi pour lui, vie pour vie ; je m’offre : sur moi laisse tomber ta colère ; compte-moi pour homme. Pour l’amour de lui, je quitterai ton sein, et je me dépouillerai volontairement de cette gloire que je partage avec toi ; pour lui je mourrai satisfait. Que la mort exerce sur moi toute sa fureur : sous son pouvoir ténébreux je ne demeurerai pas longtemps vaincu. Tu m’as donné de posséder la vie en moi-même à jamais ; par toi je vis, quoique à présent je cède à la Mort ; je suis son dû en tout ce qui peut mourir en moi. « Mais cette dette payée, tu ne me laisseras pas sa proie dans l’impur tombeau ; tu ne souffriras pas que mon âme sans tache habite là pour jamais avec la corruption ; mais je ressusciterai victorieux, et je subjuguerai mon vainqueur dépouillé de ses dépouilles vantées. La Mort recevra alors sa blessure de mort, et rampera inglorieuse, désarmée de son dard mortel. Moi, à travers les airs, dans un grand triomphe, j’emmènerai l’enfer captif malgré l’enfer, et je montrerai les pouvoirs des ténèbres enchaînés. Toi, charmé à cette vue, tu laisseras tomber du ciel un regard, et tu souriras, tandis qu’élevé par toi je confondrai tous mes ennemis, la Mort la dernière, et avec sa carcasse je rassasierai le sépulcre. Alors, entouré de la multitude par moi rachetée, je rentrerai dans le ciel après une longue absence ; j’y reviendrai, ô mon Père, pour contempler ta face sur laquelle aucun nuage de colère ne restera, mais où l’on verra la paix assurée et la réconciliation ; désormais la colère n’existera plus, mais en ta présence la joie sera entière. » Ici ses paroles cessèrent, mais son tendre aspect silencieux paraît encore, et respirait un immortel amour pour les hommes mortels, au-dessus duquel brillait seulement l’obéissance filiale. Content de s’offrir en sacrifice, il attend la volonté de son Père. L’admiration saisit tout le ciel, qui s’étonne de la signification de ces choses, et ne sait où elles tendent. Bientôt le Tout-Puissant répliqua ainsi : « Ô toi, sur la terre et dans le ciel, seule paix trouvée pour le genre humain sous le coup de la colère ! Ô toi, unique objet de ma complaisance ! tu sais combien me sont chers tous mes ouvrages ; l’homme ne me l’est pas moins, quoique le dernier créé, puisque pour lui je te séparerai de mon sein et de ma droite, afin de sauver (en te perdant quelque temps) toute la race perdue. Toi donc qui peux seul la racheter, joins à ta nature la nature humaine, et sois toi-même homme parmi les hommes sur la terre ; fais-toi chair quand les temps seront accomplis, et sors du sein d’une vierge par une naissance miraculeuse. Sois le chef du genre humain dans la place d’Adam, quoique fils d’Adam. Comme en lui périssent tous les hommes, en toi, ainsi que d’une seconde racine, seront rétablis tous ceux qui doivent l’être ; sans toi, personne. Le crime d’Adam rend coupables tous ses fils ; ton mérite, qui leur sera imputé, absoudra ceux qui, renonçant à leurs propres actions, justes ou injustes, vivront en toi transplantés, et de toi recevront une nouvelle vie. Ainsi l’homme, comme cela est juste, donnera satisfaction pour l’homme ; il sera jugé et mourra ; et en mourant il se relèvera, et en se relevant relèvera avec lui tous ses frères rachetés par son sang précieux. Ainsi l’amour céleste l’emportera sur la haine infernale en se donnant à la mort, en mourant pour racheter si chèrement ce que la haine infernale a si aisément détruit, ce qu’elle continuera de détruire dans ceux qui, lorsqu’ils le peuvent, n’acceptent point la grâce. « Ô mon Fils ! en descendant à l’humaine nature, tu n’amoindris ni ne dégrades la tienne. Parce que tu es, quoique assis sur un trône dans la plus haute béatitude, égal à Dieu, jouissant également du bonheur divin ; parce que tu as tout quitté pour sauver un monde d’une entière perdition ; parce que ton mérite, plus encore que ton droit de naissance, Fils de Dieu, t’a rendu plus digne d’être ce Fils, étant beaucoup plus encore que grand et puissant ; parce que l’amour a abondé en toi plus que la gloire, ton humiliation élèvera avec toi à ce trône ton humanité. Ici tu t’assiéras incarné ; ici tu régneras à la fois Dieu et homme, à la fois Fils de Dieu et de l’homme, établis par l’onction Roi universel. « Je te donne tout pouvoir : règne à jamais ; et revêts-toi de tes mérites : je te soumets, comme chef suprême, les Trônes, les Princes, les Pouvoirs, les Dominations : tous les genoux fléchiront devant toi, les genoux de ceux qui habitent au ciel, ou sur la terre, ou sous la terre, en enfer. Quand, glorieusement entouré d’un cortège céleste, tu apparaîtras sur les nuées, quand tu enverras les archanges, tes hérauts, annoncer ton redoutable jugement, aussitôt des quatre vents les vivants appelés, de tous les siècles passés les morts ajournés, se hâteront à la sentence générale ; si grand sera le bruit qui réveillera leur sommeil ! Alors, dans l’assemblée des saints, tu jugeras les méchants, hommes et anges : convaincus, ils s’abîmeront sous ton arrêt. L’enfer, rempli de ses multitudes, sera fermé pour toujours. Cependant le monde sera consumé ; de ses cendres sortira un ciel nouveau, une nouvelle terre, où les justes habiteront. Après leurs longues tribulations, ils verront des jours d’or, fertiles en actions d’or, avec la joie et le triomphant amour et la vérité belle. Alors tu déposeras ton sceptre royal, car il n’y aura plus besoin de sceptre royal ; Dieu sera tout en tous. Mais vous, anges, adorez celui qui, pour accomplir tout cela, meurt ; adorez le Fils et honorez-le comme moi. » Le Tout-Puissant n’eut pas plutôt cessé de parler, que la foule des anges (avec une acclamation forte comme celle d’une multitude sans nombre, douce comme provenant de voix saintes) fit éclater la joie : le ciel retentit de bénédictions, et d’éclatants hosanna remplirent les régions éternelles. Les anges révérencieusement s’inclinèrent devant les deux trônes, et avec une solennelle adoration, ils jetèrent sur le parvis leurs couronnes entremêlées d’or et d’amarante ; immortelle amarante ! Cette fleur commença jadis à s’épanouir près de l’arbre de vie, dans le paradis terrestre ; mais bientôt après le péché de l’homme, elle fut reportée au ciel, où elle croissait d’abord : là elle croît encore ; elle fleurit en ombrageant la fontaine de Vie et les bords du fleuve de la Félicité, qui au milieu du ciel roule son onde d’ambre sur des fleurs élysiennes. Avec ces fleurs d’amarante jamais fanées, les esprits élus attachent leur resplendissante chevelure, entrelacée de rayons. Maintenant ces guirlandes détachées sont jetées éparses sur le pavé étincelant qui brillait comme une mer de jaspe, et souriait empourpré des roses célestes. Ensuite, couronnés de nouveau, les anges saisissent leurs harpes d’or, toujours accordées, et qui, brillantes à leur côté, étaient suspendues comme des carquois. Par le doux prélude d’une charmante symphonie ils introduisent leur chant sacré et éveillent l’enthousiasme sublime. Aucune voix ne se tait ; pas une voix qui ne puisse facilement se joindre à la mélodie, tant l’accord est parfait dans le ciel ! « Toi, ô Père, ils te chantèrent le premier, tout-puissant, immuable, immortel, infini, Roi éternel ; toi, auteur de tous les êtres, fontaine de lumière ; toi, invisible dans les glorieuses splendeurs où tu es assis sur un trône inaccessible, et même lorsque tu ombres la pleine effusion de tes rayons, et qu’à travers un nuage arrondi autour de toi comme un radieux tabernacle, les bords de tes vêtements, obscurcis par leur excessif éclat, apparaissent : cependant encore le ciel est ébloui, et les plus brillants séraphins ne s’approchent qu’en voilant leurs yeux de leurs deux ailes. « Ils te chantèrent ensuite, ô toi, le premier de toute la création, Fils engendré, divine ressemblance sur le clair visage de qui brille le Père tout-puissant, sans nuage rendu visible, et qu’aucune créature ne pourrait autrement regarder ailleurs. En toi imprimée la splendeur de sa gloire habite ; transfusé dans toi son vaste esprit réside. Par toi il créa le ciel des cieux et toutes les puissances qu’il renferme, et par toi il précipita les ambitieuses Dominations. Ce jour-là, tu n’épargnas point le terrible tonnerre de ton Père : tu n’arrêtas pas les roues de ton chariot flamboyant, qui ébranlaient la structure éternelle du ciel, tandis que tu passais sur le cou des anges rebelles dispersés : revenu de la poursuite, tes saints, par d’immenses acclamations, t’exaltèrent, toi, unique Fils de la puissance de ton Père, exécuteur de sa fière vengeance sur ses ennemis ! Non pas de même sur l’homme !… Tu ne condamnas pas avec tant de rigueur l’homme tombé par la malice des esprits rebelles, ô Père de grâce et de miséricorde ; mais tu inclines beaucoup plus à la pitié. Ton cher et unique Fils n’eut pas plutôt aperçu ta résolution de ne pas condamner avec tant de rigueur l’homme fragile, mais d’incliner beaucoup plus à la pitié, que pour apaiser ta colère, pour finir le combat entre la miséricorde et la justice, que l’on discernait sur ta face, ton Fils, sans égard à la félicité dont il jouissait assis près de toi, s’offrit lui-même à la mort, pour l’offense de l’homme. Ô amour sans exemple, amour qui ne pouvait être trouvé que dans l’amour divin ! Salut, Fils de Dieu, Sauveur des hommes ! Ton nom dorénavant sera l’ample matière de mon chant ! Jamais ma harpe n’oubliera ta louange, ni ne la séparera de la louange de ton Père. » Ainsi les anges dans le ciel, au-dessus de la sphère étoilée, passaient leurs heures fortunées dans la joie à chanter des hymnes. Cependant descendu sur le ferme et opaque globe de ce monde sphérique, Satan marche sur la première convexité qui, enveloppant les orbes inférieurs lumineux, les sépare du chaos et de l’invasion de l’antique nuit. De loin, cette convexité semblait un globe ; de près elle semble un continent sans bornes, sombre, désolé et sauvage, exposé aux tristesses d’une nuit sans étoiles et aux orages toujours menaçants du chaos qui gronde alentour ; ciel inclément, excepté du côté de la muraille du ciel quoique très-éloignée ; là quelque petit reflet d’une clarté débile se glisse, moins tourmenté par la tempête mugissante. Ici marchait à l’aise l’ennemi dans un champ spacieux. Quand un vautour, élevé sur l’Immaüs (dont la chaîne neigeuse enferme le Tartare vagabond), quand ce vautour abandonne une région dépourvue de proie, pour se gorger de la chair des agneaux ou des chevreaux d’un an sur les collines qui nourrissent les troupeaux, il vole vers les sources du Gange ou de l’Hydaspe, fleuves de l’Inde ; mais, dans son chemin, il s’abat sur les plaines arides de Séricane, où les Chinois conduisent, à l’aide du vent et des voiles, leurs légers chariots de roseaux : ainsi, sur cette mer battue du vent, l’ennemi marchait seul çà et là, cherchant sa proie ; seul, car de créature vivante ou sans vie, on n’en trouve aucune dans ce lieu, aucune encore ; mais là, dans la suite, montèrent de la terre, comme une vapeur aérienne, toutes les choses vaines et transitoires, lorsque le péché eut rempli de vanité les œuvres des hommes. Là volèrent à la fois et les choses vaines et ceux qui sur les choses vaines bâtissent leurs confiantes espérances de gloire, de renommée durable, ou de bonheur dans cette vie ou dans l’autre ; tous ceux qui sur la terre ont leur récompense, fruit d’une pénible superstition ou d’un zèle aveugle, ne cherchant rien que les louanges des hommes, trouvent ici une rétribution convenable, vide comme leurs actions. Tous les ouvrages imparfaits des mains de la nature, les ouvrages avortés, monstrueux, bizarrement mélangés, après s’être dissous sur la terre, fuient ici, errent ici vainement jusqu’à la dissolution finale. Ils ne vont pas dans la lune voisine, comme quelques-uns l’ont rêvé : les habitants de ces champs d’argent sont plus vraisemblablement des saints transportés ou des esprits tenant le milieu entre l’ange et l’homme.

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    K

    Krishna Dvaipayana Veda Vyasa

    @krishnaDvaipayanaVedaVyasa

    Mahabharata Vaîçampâyana dit: « Le fils de Soubala, le roi Douryodhana, Douççâsana et Kama se mirent à concerter un dessein criminel. Ayant arraché à Dhrilarâshtra, l’auguste rejeton de Rourou, son consentement à l’exil des Pândouides, ils conçurent la pensée de brûler Kountî avec ses fils. Vidoura, qui possédait la vue de la vérité et devinait leurs sentiments à leurs gestes, entrevit à l’air de ces âmes méchantes quel était leur dessein. Vidoura, connaissant l’essence elle-même de ce qui peut être connu, l’irréprochable Vidoura, qui trouvait son plaisir dans le bien des Pândouides, appliqua sa pensée à sauver Kountî avec les fils de Pândou. Ensuite, quand il eut fait construire une barque solide, pavoisée, munie de ses rames et de son gouvernail, en état de supporter le vent et capable de résister aux vagues, il tint ce langage à Kountî: « Ce Dhritarâshtra, l’âme circonvenue, est devenu le destructeur de la race et de la gloire de cette famille; il abandonne la justice éternelle. » Voici un navire convenable pour suivre la route des eaux, capable de résister à la fureur des vagues et du vent: avec lui, noble dame, tu échapperas, toi et tes fils, au lasso de la mort! » Ces paroles entendues, l’illustre Kountî monta désolée dans le navire avec ses fils et s’avança, puissant Bharatide, sur les eaux du Gange. Les Pândouides abandonnent le bâtiment à la parole de Vidoura; et, chargés des richesses, que leur a données la victoire, invulnérable monarque, ils entrent dans une forêt. Une femme Nishâdî, accompagnée de cinq fils, vint les trouver dans leur maison de laque pour une certaine affaire; elle y fut brûlée avec ses fils par l’irréprochable Youddhishthira. Le méchant Pourotchana, le plus vil des barbares, y périt consumé. Les Dhristarâshtrides aux âmes scélérates et leurs suivants échouèrent ainsi dans leurs desseins. Les magnanimes fils de Kountî et leur mère échappèrent donc au danger sans blessures à l’insu du monde, grâce aux conseils de Vidoura. Ensuite, les habitants de la ville, affligés en voyant la maison de laque devenue la proie des flammes dans la cité de Vâranâvata, s’abandonnèrent aux regrets. Ils envoyèrent annoncer au monarque circonstanciellement la chose: « Il t’est survenu un grand bonheur: tu as brûlé les fils de Pândou. » Sois au comble de tes vœux, rejeton de Kourou; jouis du royaume avec tes fils! » À cette nouvelle, Dhritarâshtra de se livrer avec ses fils à des regrets simulés. Lui, et sa famille, et Kshattri, et Bhishma, le plus vertueux des enfants de Kourou, s’empressent de célébrer les cérémonies funèbres en l’honneur des Pândouides. » Djanamédjaya dit: « J’ai le désir d’entendre une seconde fois, mais avec étendue, ô le meilleur des brahmes, l’incendie de la maison de laque et la délivrance des Pândouides. « Raconte-moi avec détail, — ma curiosité est extrême! — l’acte bien destructeur, imaginé pour leur perte d’une âme cruelle. » « Écoute donc avec détail de ma bouche, roi, fléau des ennemis, l’incendie de la maison de laque et cette délivrance des Pândouides. Douryodhana sentit le feu de l’envie consumer son esprit méchant, lorsqu’il vit Bhîmaséna doué d’une force supérieure et Dhanandjaya possédant une science complète. Alors Karna, surnommé Valkarttana, et Çaikouni, le fils de Soubala, mirent en jeu plus d’un moyen pour tuer les Pândouides. Mais ceux-ci, fermes dans les opinions de Vidoura, sans commettre aucune négligence, contre-barraient tout de la manière que les choses arrivaient. Voyant les fils de Pândou s’élever de plus en plus vers le sommet des qualités, les citadins se mirent à s’entretenir d’elles, auguste Bharatide, au milieu de leurs assemblées. Réunis dans les cours et dans les salles: « Le fils ainé de Pândou est arrivé, disaient-ils, à l’âge de monter sur le trône. » Dhritarâshtra, qui est notre souverain aujourd’hui, n’est pas d’abord parvenu à l’empire, tout doué qu’il fût des yeux de la science, parce qu’il était aveugle de naissance; comment pourrait-il occuper le trône maintenant que nous avons un prince en âge de tenir le sceptre? » Bhîshma, le fils de Çântanou, a jadis refusé la couronne: homme aux grands vœux, enchaîné aux lois de la vérité, il ne consentira jamais à la recevoir! » Eh bien! sacrons aujourd’hui même l’aîné des Pândouides: c’est un jeune homme, bien doué pour la guerre; il sait compatir aux peines; il connaît la vérité! » Ce prince vertueux saura vénérer Bhîshma, le rejeton de Çântanou, Dhritarâshtra avec ses fils, et les combler de biens divers. » À peine Douryodhana eut-il entendu ces paroles, que l’amour d’Youddhishthira inspirait aux habitants de la ville, son âme dépravée en ressentit aussitôt une brûlante jalousie. Rongé de chagrin, son esprit méchant ne put supporter ce langage des citadins, et, consumé d’envie, il courut chez Dhritarâshtra. Il vit son père délaissé, lui rendit ses hommages, et, furieux de voir l’inclination du peuple se tourner vers les Pândouides, lui parla en ces termes: » J’ai recueilli, mon père, des paroles fâcheuses dans les entretiens des habitants de cette ville: sans aucun égard, ni pour Bhîshma, ni pour toi-même, ils veulent pour maître un fils de Pândou. » L’opinion de Bhîshnia est connue; il ne désire pas ceindre la couronne: c’est donc nous-mêmes, que les gens de la ville prétendent abattre sans retour. » Pândou autrefois dut le trône à ses avantages personnels: le droit d’aînesse te l’aurait adjugé; mais tu l’as perdu à cause de la cécité, dont tu portais la triste infirmité. » Si le Pândouide obtient ce royaume comme un héritage de Pândou, son fils le recueillera infailliblement après lui; ensuite, un fils de celui-ci; puis, un autre de ce dernier, et ainsi de suite. » Quant à nous, souverain du monde, exclus avec nos fils de l’hérédité au trône, nous serons en butte au mépris des hommes. » Suis une marche telle, sire, que nos mânes, précipités à jamais dans les enfers, n’attendent pas des autres l’offrande du gâteau funèbre. » Si l’on peut dire un jour que tu as obtenu et conservé le trône, il est certain que nous l’occuperons également, sire, nous-mêmes, quoi que fasse le peuple. » Après qu’il eut ouï son fils parler ainsi, l’âme du monarque aveugle, éclairé par la science, qui avait déjà écouté entièrement les discours de son ministre Kanika, fut partagée en deux sentiments et donnée en proie au chagrin. Douryodhana, Kama, Douççâsana et Çakouni, le fils de Soubala, délibérèrent tous les quatre en commun. À la suite du conseil, le roi Douryodhana de parler en ces termes à Dhritarâshtra: « Pour nous mettre à couvert des Pândouides, que ta majesté les envoie habiter la ville de Vâranâvata. » Celui-ci, dès qu’il eut ouï ces mots, lancés par son fils, réfléchit un instant et tint ce langage à Douryodhana: « Pândou fut toujours invariable dans le devoir: le devoir était sa principale rêgle envers tous ses parents et moi en particulier. » Il ne sentit pas la moindre envie de poursuivre les jouissances des sens et, ferme dans ses vœux, il proclamait toujours que la couronne était mon droit. » Son fils est, comme était Pândou, adonné à la vertu; il est rempli de bonnes qualités, célèbre dans le monde, estimé des citadins. » Comment pourrions-nous le chasser d’ici par la force? Comment lui ôter le royaume de son père et desesayeux, surtout quand il est soutenu par ce peuple? » En effet Pândou a nourri les ministres, il a nourri continuellement l’armée, il a nourri surtout leurs fils et petit-fils. » Les habitants de cette ville ont éprouvé jadis les bons traitements de Pândou; comment pourraient-ils ne pas nous sacrifier, nous et nos familles, à Youddhisthira? » « Tous les sujets, reprit Douryodhana, honorés pour l’opulence et la dignité, aussitôt vu qu’il est contraire à leur intérêt de penser comme tu dis, mon père, se hâteront de faire alliance avec nous, à commencer par les chefs. La classe riche avec les ministres a déjà embrassé mon parti, souverain de la terre. » Que ta majesté veuille donc bien, à l’aide même d’un moyen doux, envoyer au plus vite les Pândouides en exil dans la ville de Vâranâvata. » Une fois que la couronne sera bien assurée, auguste Bharatide, sur ma tête, Kountî reviendra avec ses fils. » Dhritarâshtra lui répondit: « Cette pensée roule aussi dans mon esprit, Douryodhana; mais je la repousse à cause de la cruauté du moyen. » Ni Bhîshma, ni Drona, ni Kshattri, ni le Gautamide n’auront jamais le désir que les fils de Kountî vivent dans l’exil. » Eux et nous en effet nous sommes égaux parmi les enfants de Kourou: il est impossible que ces hommes sages et liés au devoir désirent qu’il y ait entre ses rejetons une inégalité. » Cette conduite coupable ne nous rendrait-elle pas, mon fils, dignes de mort aux yeux des Kourouides, de ces magnanimes et du monde? » » Bhîshma garde toujours la neutralité, reprit Douryodhana; le fils de Drona est de mon côté, et Drona, on n’en saurait douter, se rangera du parti où il verra son fils. » Kripa le Çaradvatide soutiendra la cause, pour laquelle combattront ces derniers: il n’abandonnera jamais Drona et le fils de sa sœur. » L’intérêt attache à nous Vidoura; il tient également aux autres; mais seul il ne peut déranger nos plans au sujet des Pândouides. » Envoie donc en toute assurance les fils de Pândou et leur mère habiter loin d’ici: agis de telle sorte qu’ils s’en aillent aujourd’hui même à Vâranâvata. » Que cet acte de vigueur éteigne le feu du chagrin, qui s’est allumé en moi: il ressemble à un horrible dard, lancé dans mon cœur pour la destruction de mon sommeil. À la suite de cette conférence, Douryodhana et ses frères puinés de séduire tous les sujets en leur distribuant des biens et des honneurs. Ensuite cçrtains brahraes, conseillers habiles, souillés par Dhritarâshtra, se mirent à répéter que Vâranâvata était une ville délicieuse. « Voici le temps, où se tient, en l’honneur de Paçoupati, une grande bien assemblée, la plus charmante, qu’on voie sur la terre, dans la ville de Vâranâvata; Il Cette région pleine de toutes les pierreries et qui enchante les hommes! » Telles étaient ces paroles, qu’ils redisaient la voix de Dhritarâshtra. Comme ils entendaient vanter l&s agréments de cette ville, la pensée de faire un voyage à Vâranâvata naquit alors, sire, aux fils de Pândou. Aussitôt que le fils d’Ambikâ put se dire: « La curiosité leur est venue! » le monarque de parler en ces termes à ces enfants de Pândou: « J’entends ces hommes me répéter sans cesse à chaque instant du jour: « La cité de Vâranâvata est ce qu’il y a de plus charmant au monde, » » Si vous désirez, mes enfants, voir la fête à Vâranâvata, allez-y avec votre suite, avec vos familles, et divertissez-vous là comme des Dieux! » Distribuez tout à fait selon votre bon plaisir, comme des Immortels, éclatants de splendeur, des pierreries aux brahmes et aux chanteurs. » Alors que vous vous serez divertis là un peu de temps et que vous y aurez goûté une joie suprême, vous reviendrez satisfaits dans cette ville d’Hastinapoura. » Youddhishthira, qui avait découvert, continua le narrarateur, quel était le désir de Dhritarâshtra et qui se savait lui-même abandonné de ses adhérents, lui répondit: « Qu’il en soit ainsi! » Il dit ensuite d’un visage contristé lentement ces paroles à Bhishma, fils de Çântanou, à Vidoura, le sage à la grande intelligence, à Drona, à Vâlhika lui-même, à Somadatta, rejeton de Kourou, à Kripa, au fils d’Atchârya, à Bhoûriçravasa, aux brahmanes riches de pénitences, aux prêtres de famille, aux habitants de la cité et à l’illustre Gandhârî: « Nous irons avec notre suite, comme Dhritarâshtra nous l’ordonne, à la charmante et populeuse ville de Vâranâvata. » Versez tous d’une âme sereine vos paroles saintes sur nous: le crime ne pourra nous vaincre, comblés de vos bénédictions. » À ces mots du fils de Pândou, tous les Kourouides, ayant purifié leurs bouches, accomplirent ce que demandaient les rejetons de Pândou: « Que le bonheur vienne complètement à vous de tous les êtres dans ce voyage; qu’il ne s’y présente à vous rien de malheureux nulle part, fils de Pândou! » Aussitôt les oraisons faites pour obtenir un bon voyage, les jeunes seigneurs, ayant terminé toutes leurs affaires, prirent le chemin de Vâranâvata. Après que le monarque eut parlé de cette manière, fils de Bharata, aux rejetons de Pândou, le cruel Douryodhana ressentit la joie la plus vive. Il prit la main droite de Pourotchana, le conduisit à part, noble Bharatide, et lui tint ce langage: « Cette terre pleine de richesses est à moi, Pourotchana; elle est à toi, comme elle est à moi: veuille donc l’assurer dans nos mains. » Il n’est personne, en qui j’aie mis plus de confiance qu’en toi; je n’ai pas un autre compagnon, avec qui je puisse délibérer comme avec toi sur des intérêts communs. » Garde cette délibération dans le secret, arrache la racine de mes ennemis, exécute d’une adroite manière ce que je vais te dire. » Dhritarâshtra envoie les fils de Pândou à Vâranâvata; ils vont se divertir à la fête suivant son ordre. » Fais en sorte d’arriver aujourd’hui même à Vâranâvata sur un char à la course rapide, attelé d’ânes. » Aussitôt venu, fais construire là une maison de grande richesse, bien cachée, à quatre salles, dans le voisinage de la ville. » Fais mettre là du chanvre, de la résine et les autres choses, quelles qu’elles soient là, faciles à s’enflammer. » Détrempe l’argile avec du beurre fondu, de l’huile de sésame, de la graisse mêlée à beaucoup de laque, et fais maçonner les murs avec ce mortier. » Jette de tous les côtés dans cette maison toutes les matières dangereuses: le beurre fondu, le chanvre, l’huile de sésame et la laque. » Mais de telle sorte que les Pândouides n’en voient rien de leurs yeux les plus attentifs, et que les autres hommes ne puissent dire: « Voilà une chose facile à s’enflammer! » » Comble de tes respects les Pândouides arrivés dans le pays et fais-les habiter avec Kountî et leurs amis dans cette maison ainsi construite. » Il faut disposer là pour les fils de Pândou des chars, des lits, des sièges d’une beauté céleste, afin que mon père soit content. » Il faut tout préparer, tandis que s’opère la révolution du temps, avec un tel soin qu’on n’en sache rien dans la ville même de Vâranâvata. » Puis, une nuit que tu les auras vu s’endormir pleins de confiance, en toute sécurité, mets le feu aux portes de cette maison. » Ils ont péri, dira le monde, brûlés dans l’incendie de leur maison! » et jamais aucun reproche ne tombera sur nous au sujet des fils de Pândou. » » Je ferai ainsi! » promit au rejeton de Kourou le méchant Pourotchana; et, montant sur un char à la course rapide, attelé d’ânes, il partit. Arrivé en toute hâte, sire, Pourotchana, sans dévier des sentiments de Douryodhana, accomplit tout comme l’avait recommandé ce fils du roi. Les Pândouides, ayant attelé à leurs chars de bons chevaux, semblables au vent, y montèrent, après qu’ils eurent embrassé avec tristesse les pieds de Bhîshma, Du roi Dhritarâshtra, du magnanime Drona et des autres vieillards, de Kripa et de Vidoura. Ces princes aux vœux inébranlables saluent ainsi tous les vieillards nés de Kourou, embrassent leurs égaux et sont eux-mêmes salués par les enfants. Ils font leurs adieux à toutes les mères, décrivent un pradakshina en l’honneur de toutes les parties constituantes du gouvernement royal et s’acheminent vers la cité de Vâranâvata. Vidoura à la grande science, les autres chefs des Kourouides et les citadins accompagnèrent, accablés de chagrin ces jeunes princes, les plus éminents des hommes. Là, tous les brahmes dans une extrême douleur, disaient alors sans crainte, à la vue des fds de Pândou plongés dans une profonde affliction: « Ce monarque issu de Kourou, ce Dhritarâshtra à l’intelligence étroite de toutes les manières, il voit bien les embarras d’une situation; mais il ne distingue pas le devoir. » Ni le Pândouide aîné à l’âme innocente, ni Bhîma le plus fort des hommes forts, ni Dhanandjaya, fils de Kountî, ne trouveront jamais de plaisir à faire le mal. » Combien moins en trouveraient les deux magnanimes fils de Mâdrî! Et Dhritarâshtra, lui! ne souffle pas qu’ils montent sur le trône de leurs pères! » Comment Bhîshma permet-il qu’ils soient exilés dans une ville sauvage et peut-il approuver une si révoltante injustice? » Nous avons eu jadis comme un père dans le roi Vitchitravîrya, fils de Çântanou: il en fut ainsi de Pândou, le saint roi, honneur du sang de Kourou. » Depuis que ce tigre de l’espèce humaine s’en est allé au ciel revêtir la nature des Dieux, Dhritarâshtra ne peut supporter ces enfants, les fils de ce roi. » Nous, qui n’approuvons pas une telle conduite, abandonnons tous nos maisons; et, sortant de cette métropole, suivons Youddhishthira aux lieux, où il va. » Aux citadins, que la douleur faisait parler ainsi, Youddhishthira, le fils de Dharmarâdja, appliquant sa pensée à la réflexion et pénétré de chagrin, tint alors ce langage: « On doit estimer un père comme le plus grand des gourous, il nous faut donc accomplir sans balancer ce qu’a dit le monarque de la terre: c’est là notre plus saint devoir. » Vous, qui êtes nos amis, honorez-nous d’un pradakshina; et, nous saluant de vos bénédictions, retournez dans vos maisons, comme vous en êtes venus. » Quand vos seigneuries nous auront accordé cette chose, vous aurez fait pour nous l’agréable et l’utile. » Les citadins à ces mois décrivent autour d’eux un pradakshina, et, leur adressant pour adieux des bénédictions, s’en retournent à la ville. Une fois les habitants de la cité partis, Vidoura, versé dans tous les devoirs, tint ce langage à l’aîné des Pândouides afin de l’éclairer; Vidoura, l’homme de science, qui savait l’art de cacher un sens dans un non-sens apparent, lui adressa donc ce discours énigmatique; et tint, savant au savant, lui, qui n’ignorait pas l’art d’embrouiller un sens à l’homme, qui n’ignorait pas l’ait de le débrouiller, ces paroles, où le sens était enveloppé d’un voile: « L’homme, auquel est connue la science de son ennemi, fondée sur les Traités de politique, agit de telle sorte en ce monde, grâce à cette connaissance, qu’il échappe à l’infortune. » Un ennemi ne réussit pas à tuer l’homme, qui sait qu’une flèche sans fer peut trancher de sa pointe aiguë dans tout le circuit du corps, parce qu’il sait mettre en pratique l’art de s’en garantir. » Le feu, qui dévore les broussailles, ne peut brûler dans l’incendie d’un grand bois sec, dit un adage, les reptiles, qui habitent dans les trous! » Qui veille sur soi-même conserve sa vie. » L’aveugle ne connaît pas sa route, l’aveugle ne sait pas discerner les points du ciel; la légèreté n’acquiert pas la sagesse: averti, sache appliquer Ion attention. » L’homme reçoit un trait sans rouille donné par des gens, qui ne peuvent le manier. Que le porc-épic, retiré dans son repaire, s’y tienne en garde du feu! » Le voyageur distingue ses routes, il connaît les points du ciel par les constellations. Qui sacrifie de lui-même les cinq de soi-même n’est point ensuite immolé. » À ces mots de Vidoura, le plus éminent des hommes savants, le fils d’Yama imputé à Pândou, Youddhishthira lui répondit: « Je comprends! » Après qu’il eut averti, accompagné, honoré d’un pradakshina les fils de Pândou, Vidoura leur donna congé et retourna vers la ville. Vidoura, et Bhîshma, et les gens de la cité partis, Kountî s’approcha de son fils Adjâtaçatrou, et lui parla en ces termes: « Nous ne comprenons pas ces paroles, que Kshattri a dites, comme s’il parlait indirectement au milieu du monde, et qui ont reçu de toi cette réponse: « C’est ainsi! » » S’il est possible pour nous de les connaître, et si la grandeur ne commet pas une faute de les dire, j’ai le désir d’entendre toute cette conversation de lui et de toi. «. « Vidoura m’a dit, lui répondit Youddhishthira: « Il faut penser à tirer le feu de la maison. Aucune route quelconque, ajouta le sage, ne doit être inconnue. » Celui, qui a vaincu ses organes des sens, obtiendra la terre; » m’a-t-il dit encore, et j’ai répondu à Vidoura: « Je sais tout cela! » Le huitième jour du mois Phâlgouna, reprit Vaîçampâyana, dans l’astérisme de Rohinî, les voyageurs, étant arrivés non loin de Vâranâvata, aperçurent les gens de la ville. Ensuite, à la nouvelle de l’arrivée des fils de Pândou, à cette nouvelle, qui les remplit d’une joie suprême, tous les sujets sortirent à la hâte par milliers, sur d’innombrables chars, de la ville de Vâranâvata et marchèrent au-devant d’eux, portant toutes les choses de bon augure indiquées dans les Castras. Tous les Vâranâvatains s’approchent, répandent sur les fils de Kountî leurs bénédictions de victoire et se tiennent, faisant un cercle autour d’eux. Environné par cette foule, Youddhishthira, le plus distingué des hommes, Dharmarâdja même en personne, brillait tel que le Dieu au bras armé de la foudre, environné des Immortels. Salués par les citadins et les saluant eux-mêmes, les Pândouides entrent dans Vâranâvata, remplie de monde et bien décorée. Entrés là, ils s’empressent de visiter, monarque sans péché, les maisons des brahmes, qui se plaisent dans leurs fonctions. Ces jeunes princes vont dans les maisons des opulents [] chefs de la ville; ils vont dans les maisons des vaîçyas et des çoûdras eux-mêmes. À la suite de ces choses, éminent Bharatide, les fils de Pândou, que précédait Pourotchana, se rendirent à la maison, qui leur était destinée, au milieu des hommages des citadins. Le traître leur donna des mets, des breuvages, de splendides couches et des sièges royaux. Honorés par lui, bien fournis de meubles et de vaisselle du plus haut prix, ils habitèrent là, servis par les habitants de la ville. Mais la dixième nuit de leur séjour à Vâranâvata, cet homme leur parla de la maison appelée maison de la Félicité, et qu’on aurait plus justement nommée la maison de la Calamité. Sur l’invitation de Pourotchana, les jeunes princes entrèrent dans ce palais avec leur suite comme les Couhyakas dans les grottes du mont Kaîlâça. Youddhisthira, la plus forte de toutes les colonnes, qui soutiennent la vertu, dit à Bhîmaséna, quand il eut examiné cette demeure: « C’est fait pour brûler! » » Nous sentons, continua-t-il, une odeur de graisse et de laque mêlées au beurre fondu: évidemment, fléau des ennemis, cette maison est vouée aux flammes. « Le moundja, le valvadja, le roseau et pareilles choses, arrosées de beurre fondu furent ici employées habilement par de bons ouvriers, instruits dans l’art de bâtir, qui ont mêlé évidemment à cette construction du chanvre et de la résine. » Abusant de ma confiance, le traître Pourotchana veut donc me brûler! car ce misérable est à la dévotion de Douryodhana. » Vidoura à la haute intelligence avait deviné cette coupable trame; et c’est pour cela, fils de Prithâ, qu’il m’a naguère donné cet avis déguisé. » Avertis par cet homme, qu’anime sans cesse le désir de notre bien, comme par un plus jeune père, que son amour inspire, nous avons pénétré que des ouvriers scélérats, dévoués à la volonté du cruel Douryodhana, avaient construit cette maison funeste. » « Si ta grandeur pense, lui répondit Bhîmaséna, que cette maison fut disposée pour un incendie, eh bien! retournons, comme nous sommes venus, dans la maison, où nous habitions auparavant. » « Il nous faut continuer d’habiter ici, répondit Youddhishthira, nous tenant sur nos gardes, déployant nos efforts contre le danger, sans jamais en laisser rien paraître, et sans cesse occupés à trouver la voie sûre et désirée, qui peut nous tirer d’ici: tel est mon sentiment. » Car, si le moindre signe dévoilait à Pourotchana nos pensées, alors, se hâtant d’accomplir son projet, il nous brûlerait, dût-il employer la violence. » Ce lâche n’a peur, ni du blâme, ni du crime, tant il est soumis à la volonté de Souyodhana! » De plus, nous, une fois brûlés, que ferait Bhîsma, notre grand-oncle? Pourquoi souleverait-il stérilement la colère des Kourouides? » Cependant, si nous étions brûlés dans cette maison, notre grand-oncle Bhîshma pousserait encore le cri JUSTICE! et les autres chefs des Kourouides en seraient nécessairement irrités. » Si nous fuyons par la crainte de l’incendie, Souyodhana, que presse l’avidité du trône, nous fera tous mourir de maladies, causées par le poison. Il nous fera périr infailliblement de toutes manières, lui, qui possède un grand trésor, nous, à qui un trésor manque; lui, qui a l’appui d’un parti, nous, qu’un parti ne défend pas; lui, qui a le pied sur un terrain solide, nous, de qui le pied vacille sur un sol mouvant. » Il nous faut donc, trompant ce perfide et méchant Souyodhana, habiter, n’importe où, une demeure cachée. » Ici, adonnés à la chasse, parcourons cette terre; et les chemins propres à la fuite nous seront parfaitement connus. » Creusons une caverne souterraine bien dérobée aux yeux, où le feu ne pourra nous atteindre, cachés et respirants. » II nous faut exécuter ce travail sans paresse et de manière que ni Pourotchana ni un habitant quelconque de la ville ne s’aperçoive que nous demeurons là. » Vaîçampâyana reprit: Un mineur, homme habile, ami de Vidoura, vint dire en secret, sire, aux Pândouides ces paroles: « Je suis un adroit mineur, que Vidoura vous envoie: « Fais, m’a-t-il dit, ce qui sera agréable aux fils de Pândou! » Que ferai-je donc pour vous? « Justifie notre confiance et procure leur salut aux Pândouides, » m’a dit en confidence Vidoura. Que ferai-je donc pour vous? » Dans la quinzaine obscure de ce mois, à la quatorzième nuit, Pourotchana doit mettre le feu à la porte de ton palais, Youddhishthira. « Il faut que les princes fils de Pândou soient brûlés avec leur mère! » C’est là une résolution fixe de cet insensé Dhritavâshtride. » Vidoura t’en a dit quelque chose en langue barbare; et tu lui as répondu: « C’est ainsi! » Je le répété ces mots, fils de Pândou, comme un signe de la conliance, que tu peux mettre en moi. » Youddhishthira, le fils de Kountî, ferme comme la vérité, lui répondit: « Je reconnais en toi, mon cher, on ami de Vidoura, » Intègre, capable, bienveillant et de qui le dévouement sera toujours inébranlable. Il n’existe aucun projet au monde, que ce poète ne sache pénétrer. » Ce que tu es pour lui, tu l’es également pour nous; nous ne faisons aucune distinction entre lui et toi; ce que nous espérons de lui, nous l’espérons de toi: sauve-nous comme le sage nous sauverait! » Cette maison fut construite de matières combustibles pour me détruire: telle est mon opinion. Pourotchana, en la disposant ainsi, a suivi les ordres du fils de Dhritarâshtra. » Le cruel insensé, qui a des trésors, qui a des alliés, qui est la scélératesse en personne, ne laisse pas s’écouler un seul jour sans nous persécuter. » Que ton art nous garantisse de cet incendie par tous ses efforts: en effet, nous brûlés dans cette maison, Douryodhana parvient au comble de ses vœux! » Cette demeure est le riche arsenal de sa méchanceté; c’est un rempart haut, inexpugnable, qu’il a bâti pour elle. » Heureusement Vidoura sut deviner l’action criminelle, qu’il se proposait de faire, et nous en informa d’avance. » Le voici arrivé ce malheur, qu’avait pressenti Vidoura: veuille donc nous en garantir à l’insu de Pourotchana! » « Oui! » promit le mineur, qui, déployant ses efforts, ouvrit d’abord un fossé et creusa ensuite une grande cave. Il pratiqua au milieu de cette maison, fils de Bharata, un vaste souterrain, muni d’une porte invisible et de niveau avec la terre; Issue, dont il déroba l’ouverture avec soin par la crainte de Pourotchana. Il se tenait sans cesse à la porte secrète de cette caverne, la pensée attentive aux alarmes; et tous les Pândouides s’y retiraient la nuit, sire, munis de toutes leurs armes. Le jour, ils erraient à la chasse de forêt en forêt; et, tandis qu’ils étaient dans la défiance, ils trompaient Pourotchana par les apparences de la sécurité. Tristes avec un air joyeux, mais pleins d’une extrême attention, ils continuèrent d’habiter ce palais; et nul des habitants de la ville, si ce n’est le vertueux mineur, conseiller de Vidoura, ne pénétra ce qu’ils pensaient. Ayant vu qu’ils avaient habité là une année entière avec les apparences de la satisfaction et de la sécurité, Pourotchana en ressentit du plaisir. Tandis qu’il se réjouissait ainsi, le fils de Kountî, Youddhishthira, qui savait le devoir, tint ce langage à Bhîmaséna, à Dhanandjaya et aux deux jumeaux: « Le méchant Pourotchana s’imagine que nous sommes pleins de confiance; nous avons su tromper cet homme à l’âme cruelle: je pense que c’est le moment de fuir. » Après que nous aurons mis le feu à ce palais, brûlé Pourotchana lui-même et déposé six cadavres ici, qui sembleront les nôtres, sauvons-nous, sans être vus. » Ensuite, reprit Vaîçampâyana, Kountî, sous prétexte d’exercer l’aumône, prépara des mets pour les brahmanes; et leurs épouses, puissant monarque, se rendirent chez elle pendant la nuit. Là, après qu’elles se furent diverties, qu’elles eurent mangé, qu’elles eurent bu au gré de leurs désirs, elles dirent adieu à Mâdhavî et s’en retournèrent la nuit à leurs maisons. Mais une Nishâdi, mère de cinq fils, excitée par la faim et poussée par la mort, était venue, Bharatide, au festin avec ses enfants, d’un mouvement spontané. Ivre avec ses fils des liqueurs spiritueuses, qu’ils avaient bues, et troublée par l’ivresse, elle s’endormit avec eux, sire, dans cette maison, ayant perdu toute connaissance et pareille à une morte. Tandis que le monde dormait dans une nuit, où le vent déchaînait ses mugissements, Bhîmaséna mit d’abord le feu à la chambre, où Pourotchana était couché; ensuite, le Pândouide incendia les portes de la maison de laque. Puis, il répandit de tous côtés les flammes dans cette demeure; mais les fils de Pândou, avertis que la maison brûlait, Se hâtèrent, triomphants de leurs ennemis, d’entrer avec leur mère dans la galerie souterraine. L’incendie alors d’éclater en une immense lumière et un vaste bruit, qui réveillèrent à la ronde les multitudes des hommes; et les citadins, voyant la maison dévorée par le feu, de s’écrier: « C’est l’agent scélérat de Douryodhana, qui, dans son intelligence bornée, a fait construire et incendier cette maison pour sa perte elle-même! » Oh! honni soit Dhritarâshtra! Sa pensée était peu conforme à la vertu, quand il fit brûler comme des ennemis les vertueux héritiers de Pândou! « Mais, ô bonheur! le voici consumé lui-même ce grand insensé à l’âme criminelle, qui fit mourir par le feu les plus vertueux des hommes, eux qui vivaient irréprochables dans une pleine confiance! » Ainsi les Vâranâvatains se lamentaient; ils restèrent là toute cette nuit, environnant de toutes parts la maison. Les cinq fils de Pândou, plongés dans une grande affliction, sortirent avec leur mère par la voie souterraine et s’enfuirent en courant, sans qu’on les vît. Mais, troublés par le sommeil et la peur, les Pândouides, victorieux de leur ennemi, ne pouvaient marcher bien vite avec leur mère. Alors Bhîmaséna d’une force et d’une vitesse épouvantables, se chargea de Kountî, roi des rois, et s’avança, portant tous ses frères avec elle. Il fit monter sa mère sur ses épaules et les jumeaux sur ses hanches; il prit dans ses mains les deux Prithides et, brisant les arbres avec sa poitrine, creusant la terre sous ses pieds, le robuste et vigoureux Vrikaudara à la bien grande force chemina légèrement avec la rapidité du vent. Or, dans ce même temps, le sage Vidoura envoya dans la forêt, où ils s’étaient réfugiés, un homme sûr quant à la confiance. Celui-ci arrivé, rejeton de Kourou, dans le pays, qu’on lui avait désigné, vit les Pândouides avec leur mère occupés dans ces bois à sonder la profondeur des eaux du fleuve. Le magnanime Vidoura à la haute intelligence avait appris d’un espion toute la conduite du traître à l’âme criminelle. Il avait donc envoyé cet homme intelligent aux fils de Prithâ. Le messager leur fit voir sur la rive favorable du Gange une barque construite par des ouvriers affidés, munie de ses agrès, ornée de sa banderolle, capable de résister à tous les vents, aussi légère que Maroute ou la pensée. Il se fit reconnaître d’eux en répétant les paroles, que leur oncle avait prononcées jadis: « Youddhisthira, écoute pour signe de confiance ces mots, que le sage t’adressa: « Le feu, qui dévore les broussailles, ne brûle pas au sein des grandes forêts incendiées les reptiles, qui vivent dans les trous. Qui se tient sur ses gardes, conserve sa vie! » » Sache donc que Vidoura m’a envoyé, moi homme, en qui l’on peut se fier, avec ces paroles de crédit. Vidoura, le fils de la femme esclave, sagace en toutes choses, m’a chargé encore de ces mots: « Fils de Kountî, tu sortiras du combat, victorieux de Karna, de Douryodhana, soutenu par ses frères, et de Çakouni: il n’y a là-dessus aucun doute! » » Cette barque, propre à voyager sur les routes de fonde et qui marche facilement sur les eaux, vous sauvera de ce pays; il n’y a là-dessus aucun doute! » Ayant vu ces princes agités par la crainte avec leur mère, il les fit monter dans la barque et leur dit encore au moment qu’ils s’en allaient sur le Gange: « Vidoura vous baise sur le front, vous serre dans ses bras et vous répète mainte et mainte fois: « Allez, sans crainte, et puisse la bonne fortune vous accompagner dans vos routes! » Ces paroles dites aux héros, l’homme envoyé par Vidoura fit traverser le Gange dans sa barque, Indra des rois, à ces taureaux du troupeau des hommes. Ce fleuve traversé, les passagers débarqués sur la rive ultérieure, il versa de tous côtés sur eux des bénédictions de victoire et s’en alla comme il était venu. Les magnanimes Pândouides, sur la rive ultérieure du Gange, le chargèrent de commissions pour le sage Vidoura et s’en allèrent furtivement, sans avoir été vus. Ensuite, quand la nuit se fut écoulée, le peuple entier de la ville accourut à la maison, attiré par l’envie de voir les restes des fils de Pândou. Alors, éteignant la flamme, les citadins virent consumés la maison de laque et Pourotchana, le perfide conseiller. « Assurément, s’écriait-on, l’auteur du mal ici, c’est Douroydhana aux actions criminelles! Il a fait cela pour détruire les fils de Pândou. » Le fils de Dhritarâshtra sans doute a fait périr les Pândouides par le feu à la connaissance de son père, puisque celui-ci n’a pas su l’empêcher. » Bhîshma, pour sûr, n’a point suivi les pas de la justice en cette affaire, ni Drona, ni Vidoura, ni Kripa, ni les autres chefs des Rourouides. » Envoyons donc, nous! porter ces mots au cruel Dhritarâshtra: « Ton désir le plus cher est accompli! tu as brûlé les fils de Pândou! » Et, parlant ainsi, ils écartent, ils éteignent le feu pour chercher ce qui restait encore des Pândouides; ils voient la Nishâdî aux cinq fils et s’imaginent qu’ils sont la vertueuse mère et ses nobles enfants. Mais aucun de ces hommes ne vit la caverne, dont le mineur avait caché l’ouverture avec un amas de poussière, en balayant cette maison. Les citadins ensuite d’informer Dhritarâshtra que le feu avait consumé les cinq Pândouides et son conseiller Pourotchana. Dès qu’il eut ouï la perte des fils de Pândou, immense catastrophe, le roi Dhritarâshtra gémit dans une profonde douleur: « En ce jour que ces héros ont été brûlés jusqu’au dernier avec leur mère, le roi Pândou, mon frère à la vaste renommée, est mort véritablement! » Que des hommes s’en aillent promptement à la cité de Vâranâvata! Qu’ils rendent les derniers honneurs à ces héros et à la fille du roi de Kountî! » Qu’on célèbre des funérailles grandes, pompeuses, dignes de leur famille! Que ceux, qui furent leurs amis, se rendent vers les victimes de ce malheur! « Qu’on prenne sur mes richesses pour accomplir dans ce triste événement tout ce qu’il est en mon pouvoir de célébrer à l’honneur des Pândouides et de Kountî! » Ces paroles dites, Dhritarâshtra, le fils d’Ambikâ, de célébrer, environné de ses parents, la cérémonie de l’eau en l’honneur des fils de Pândou. Tous, s’abandonnant à la plus vive douleur, ils pleuraient de compagnie. «Hélas! Youddhishthira, fils de Kourou!» disaient les uns. « Hélas! Bhîma! » s’écriaient ceux-ci. « Hélas! Phâlgouna! » gémissaient les autres; « Hélas, vous! les deux jumeaux! » soupiraient ceux-là. Pleins de tristesse, ils déploraient le sort de Kountî et célébraient la cérémonie de l’eau. Le reste des citadins regrettait ainsi les fils de Pândou; mais Vidoura ne fit pas éclater une très-vive douleur, car il savait sur le fond de cette chose plus que n’en savaient les autres. Sortis de la cité de Vâranâvata, les cinq vigoureux fils de Pândou et leur mère, qui était la sixième, avaient donc atteint le fleuve du Gange. Secondés par la force de leurs dix bras, la vitesse du courant et la fougue du vent, ils eurent touché bientôt à la rive ultérieure. Là, abandonnant leur barque, ils s’avancèrent vers la plage méridionale, reconnaissant au milieu de la nuit leur chemin indiqué par les groupes des constellations. À grande peine ils parvinrent sur l’orée d’un bois épais, où, épuisés de fatigue, tourmentés par la soif, aveuglés par le sommeil, les fils de Pândou.

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    L

    Luis de Camoes

    @luisDeCamoes

    Les lusiades Daigne abaisser vers moi ton front majestueux Et ce regard déjà brillant des mêmes feux Dont tes yeux lanceront les vives étincelles, Quand le ciel t'ouvrira ses portes éternelles. Souris à ces accents que m'inspire en ce jour De mon noble pays le pur et saint amour. Le chanter dignement est la gloire où j'aspire; Le vil espoir du gain n'a point monté ma lyre; Je me propose un but qui plaît à ma fierté, L'honneur de ma patrie et l'immortalité. Ecoute; mes récits vont te faire connaître La grande nation dont tu naquis le maître; Juge si ton orgueil doit être plus jaloux De régner sur le monde ou de régner sur nous. Je ne vanterai point des palmes mensongères, Comme en vont célébrant les Muses étrangères, Qui, pour se rehausser aux yeux des nations, Décorent leurs récits de vaines fictions. La vérité chez nous va plus loin que la fable, Et de nos Portugais la valeur indomptable De tous ces paladins, si vantés autrefois, Des Roger, des Roland surpasse les exploits. Au lieu de tous ces preux, que récuse l'histoire, D'un Moniz, d'un Fuas je te peindrai la gloire; Je dirai ce Nuno, dont le chantre d'Hector Seul parmi les hasards pourrait suivre l'essor; Ces douze chevaliers, appui des damoiselles, Qu'Albion vit joûter pour l'honneur de ses belles, Et ce navigateur, rival heureux d'Hannon, Ce Gama, qui d'Ënée a passé le renom. Si tu veux des héros dont la mémoire égale La gloire des vainqueurs de Tours ou de Pharsale, Dans Aljubarota vois l'intrépide Jean Terrassant sous ses coups l'orgueilleux Castillan; Vois Alfonse premier, fléau des infidèles, Conquérant d'Ourika les palmes immortelles, Et trois Alfonse encor, ses vaillants héritiers, De leurs lauriers nouveaux accroissant ses lauriers. Ils sont dignes aussi des tributs du Parnasse, Ceux qu'aux rives du Gange entraîna leur audace Et dont l'Asie a vu les hardis étendards Flotter victorieux sur cent et cent remparts, Ces grands Almeïda que pleure encor le Tage, Des Lopez, des Castro le généreux courage, Le terrible Albuquerque, et tous ces Portugais Dont les noms à l'oubli n'appartiendront jamais. En attendant le jour où ma voix moins timide Osera célébrer leur valeur intrépide, Prélude, noble Prince, à ton règne immortel Et prépare à mes chants un sujet solennel. Que les mers d'Orient et les plages d'Afrique De tes vaillants guerriers, de ton peuple héroïque Commencent à sentir l'indomptable courroux, Et que l'univers tremble au seul bruit de tes coups. Lisant dans tes regards ta prochaine conquête, Le Maure épouvanté déjà courbe la tête. Le Barbare idolâtre, à ta voix frémissant, Incline sous le joug son front obéissant. Téthys, de tes beaux traits admirant la noblesse, Contemple avec amour ta royale jeunesse; Elle t'offre sa fille et veut subir ta loi, Fière de conquérir un gendre tel que toi. Deux héros ( 3) qui longtemps ont brillé sur la terre, L'un fameux dans la paix et l'autre dans la guerre, Espérant voir en toi renaître tes aïeux, Veillent du haut du ciel sur tes jours précieux. Leur regard te sourit, noble enfant de leur race, Et dans l'éternité déjà marque ta place. S'il est lent à venir, le jour où tu pourras Commander par toi-même et régir tes états, Ta peux, dès aujourd'hui, protecteur de ma lyre, Encourager ces vers que mon pays m'inspire. De tes fiers Portugais, Argonautes nouveaux, Sur les flots blanchissants vois voler les vaisseaux; Que des mers sous tes yeux ils bravent la colère, Et pour nous dès ce jour sois un dieu tutélaire. Leurs navires déjà d'un cours précipité Du superbe Océan fendaient l'immensité. Dans la voile tendue un doux zéphir se joue; L'onde amère jaillit à l'entour de la proue. Les Dieux en ce moment dans l'Olympe étoilé, Où le sort des humains par leur choix est réglé, Foulant du ciel d'azur les voûtes fortunées, Allaient de l'Orient peser les destinées. Jupiter, par la voix du petit-fils d'Atlas, Les avait convoqués pour ces graves débats. Ils ont abandonné les sphères éthérées Que le pouvoir suprême à leurs soins a livrées, Pouvoir dont la pensée aux astres éclatants, A la terre, à la mer commande en même temps. A ces divinités bientôt se réunissent Les Dieux à qui; le sud et le nord obéissent, Les gardiens des climats où naît l'astre des jours, Et des bords où dans l'onde il va finir son cours. Sur un trône entouré d'étoiles flamboyantes Siège le Dieu puissant dont les mains foudroyantes Lancent du haut des cieux les carreaux de Vulcain. Son maintien est sévère, imposant, souverain. Autour de lui circule une, odeur d'ambroisie Qui rendrait immortelle une mortelle vie. Son sceptre, sa couronne, augustes ornements, Surpassent en éclat le feu des diamants. Au-dessous du grand Dieu qui lance le tonnerre, Selon leur dignité dans la céleste sphère, Sur des trônes d'or pur éblouissant les yeux, Dans leur ordre placés, siègent les autres Dieux. Jupiter, s'adressant à la cour immortelle, Fait entendre ces mots d'une voix solennelle : « Du radieux Olympe éternels habitants, Des enfants de Lusus les exploits éclatants Sans doute sont toujours présents à vos pensées. Le destin, si j'en crois leurs victoires passées, Leur donne d'effacer par des faits plus qu'humains Les Mèdes, les Persans, les Grecs et les Romains. La terre les a vus, faibles dans l'origine, Grandir par leur valeur indomptable et divine; Ravir aux Sarrazins, leurs superbes rivaux, La terre que le Tage arrose de ses eaux, Braver du Castillan les phalanges altières Et partout en triomphe arborer leurs bannières. Devant vous en ce jour je n'évoquerai pas L'antique souvenir de leurs fameux combats, Quand, sous Viriathus, leur noble résistance Des Romains étonnés fatiguait la puissance; Et l'honneur immortel dont leur nom se couvrit, Quand ils étaient guidés par l'illustre proscrit, Qui, joignant au courage une fraude sacrée, Feignait de consulter une biche inspirée. Voyez-les maintenant, hardis navigateurs, Affrontant le courroux des autans destructeurs, Confier leurs destins aux caprices des ondes, Et des lieux où Phoebus dans les plaines profondes Précipite son char à la fin de son tour, S'élancer sur les flots jusqu'au berceau du jour. Le destin ( sa promesse est un gage infaillible ) Assure un long empire à leur race invincible Sur les lointaines mers et sur les nations Qu'éclaire le soleil de ses premiers rayons. L'hiver contre leurs nefs a déchaîné l'orage : Après tant de périls qu'a bravé leur courage, N'est-il pas temps enfin de leur montrer ces bords, L'objet de leurs désirs, le but de leurs efforts ? Des vents, des flots jaloux l'injuste résistance Assez et trop longtemps éprouva leur constance : Que l'Afrique aujourd'hui, telle est ma volonté, Leur offre les douceurs de l'hospitalité; Et, réparant leurs nefs par l'hiver affaissées, Qu'ils suivent sur les flots leurs courses commencées.» Ainsi parle des Dieux le maître souverain. Les uns de Jupiter approuvent le dessein; D'autres aux Portugais se déclarent contraires. Bacchus poursuit en eux de vaillants adversaires, Par qui l'Inde oubliera son nom jadis vanté, Si le champ reste ouvert à ce peuple indompté. Il apprit du destin qu'une race aguerrie Viendra des bords lointains de l'antique Hespérie Et qu'à leurs pavillons ses superbes vaisseaux Dé l'océan de l'Inde asserviront les eaux. Il sait que leurs exploits éclipseront la gloire Des exploits dont Nysa conserve la mémoire. Il a jusqu'à ce jour possédé sans rival Ce titre de vainqueur du monde oriental ; Mais il craint désormais que sa palme avilie Au gouffre de l'oubli ne soit ensevelie, Si les fils de Lusus, triomphateurs nouveaux, Vont aux rives du Gange arborer leurs drapeaux. Des guerriers portugais Vénus prend la défense; De ce peuple héroïque elle aime la vaillance; Sur les bords Africains elle a vu quels combats Au Musulman farouche ont livré ses soldats; De ses Romains si chers il a le fier courage Et l'esprit belliqueux et presque le langage. Un intérêt d'ailleurs plus doux et non moins fort L'attache aux Portugais; car les arrêts du sort Portent que la beauté deviendra souveraine, Partout où ces héros étendront leur domaine. C'est ainsi que Vénus pour accroître ses droits, Bacchus pour assurer ses honneurs d'autrefois, L'un à l'autre opposés, débattent leur querelle Et partagent des dieux rassemblée immortelle. Tels qu'en leur vaste essor les noirs tyrans de l'air, L'impétueux Borée ou l'orageux Auster, Ebranlent sur les monts une forêt sauvage, Des arbres mutilés dispersent le feuillage Et dans la profondeur des rochers et des bois Roulent avec fracas leur mugissante voix : Tels résonnaient au loin dans la sphère étoilée Les solennels accents de l'auguste assemblée. Mars pour les Portugais combat avec chaleur : Soit que sa sympathie honore leur valeur, Soit que secrètement son ancienne tendresse Se rallume en son coeur pour la belle déesse, Entre les immortels il s'est levé soudain, L'oeil ardent de courroux, le front sombre et hautain. De son casque superbe il hausse la visière; De sa main irritée il rejette en arrière Son large bouclier, puis, menaçant et fier, D'un pas impétueux il marche à Jupiter, Et du trône où le Dieu siégeait dans sa puissance Il frappe les degrés de sa terrible lance : Le ciel en retentit, et Phoebus un instant Sent trembler ses rayons sur son front pâlissant. « Père des immortels, dit le Dieu de la guerre, Arbitre souverain du ciel et de la terre, Qui des fils de Lusus admiras tant de fois Et l'audace héroïque et les brillants exploits, De l'ennemi jaloux qu'irrite leur courage Ta sévère équité condamne le langage. Par son aveugle effroi s'il n'était égaré, Contre les Portugais serait-il déclaré? N'abjurerait-il pas de honteuses alarmes, En songeant que Lusus fut son compagnon d'armes? Toutefois, qu'il se livre à ses bouillants transports; Nous ne redoutons pas ses impuissants efforts; Vainement contre nous se déchaîne sa rage : Le ciel a prononcé par les guerriers du Tage. Tout-puissant Jupiter, ferme en tes volontés, Persévère aux desseins dans ton âme arrêtés; Le fort ne change pas; l'inconstance est faiblesse. Ordonne, et que des vents surpassant la vîtesse, Plus rapide qu'un trait, le messager des cieux Descende sur la flotte et la conduise aux lieux: Où doit un peuple ami l'accueillir avec joie Et lui montrer vers l'Inde une nouvelle voie. » Ainsi parle le Dieu qui préside aux combats. Jupiter, mettant fin à ces bruyants débats, Lui donne, en abaissant sa tête vénérable, De son consentement le signe favorable. De son auguste front dans le ciel étoilé Un parfum d'ambroisie au loin s'est exhalé. Tout l'Olympe aussitôt devant son roi s'incline. Loin du palais qu'emplit sa majesté divine, Par les brillants sentiers du séjour radieux Vers leurs sphères alors s'acheminent les dieux. Cependant, sur les flots poursuivant sa carrière, Des hardis Portugais la nation guerrière Entre Madagascar et les bords Africains Suivait vers l'Orient sa roule et ses destins. Le soleil enflammait au haut de l'Empyrée Le signe qu'y plaça la belle Cythérée. Aux voiles des vaisseaux souffle un zéphir joyeux Qui semble conspirer aux volontés des cieux. La mer est sans péril et l'air est sans nuage. Déjà du cap Prason ils doublaient le rivage, Quand Neptune à leurs yeux découvre des îlots Qu'il allait entourant et lavant de ses flots. Gama, l'illustre chef de la grande entreprise, Gama, que le destin protège et favorise, Sans visiter ces bords qui lui semblent déserts Allait suivre sa route au sein des vastes mers. Soudain il voit sortir de l'une de ces îles Au souffle heureux des vents des nacelles agiles. De joie à cet aspect frémissent tous les coeurs. Quels sont de ces mortels les usages, les moeurs? Se dit-on à l'envi, l'oeil fixé sur la rive D'où ces barques voguaient vers la flotte attentive. Leur forme longue, étroite et propre au mouvement Hâtait leurs bonds légers sur l'humide élément. De feuilles de palmiers, au lieu de blanches toiles, Un art grossier encore a composé leurs voiles. On voit sur les fronts noirs à des signes certains De quels feux Phaéton brûla ces bords lointains, Quand, du char d'Apollon conducteur téméraire, En croyant l'éclairer, il embrâsa la terre; L'Éridan de son char vit fumer les éclats, Et Phaëtuse encor gémit de son trépas. Le coton doux et tendre a pour ces insulaires Changé ses fils soyeux en étoffes légères. On voyait à l'entour de leurs corps demi-nus En ceinture, en écharpe ondoyer ces tissus. Portant le cimeterre et le turban du Maure, Ils naviguaient au bruit de l'anafil sonore. La flotte au devant d'eux se hâte à leurs signaux Et croit voir sur ces bords la fin de ses travaux. On abaisse la vergue et les voiles flottantes Et l'ancre ouvre à grand bruit les ondes écumantes. Les vaisseaux au rivage à peine étaient fixés, Les habitants joyeux, aux cordages hissés, S'empressent à l'entour des vaillants Argonautes. Vasco d'un doux accueil encourage ses hôtes. Les tables aussitôt se dressent devant eux; Dans la coupe à flots purs coule un vin généreux, Et le brillant nectar que Bacchus leur envoie Sur leurs fronts basanés fait rayonner la joie. «D'où venez-vous? Quels bords ont quitté vos vaisseaux?» Disaient aux Portugais leurs convives nouveaux; ( Leur langage est celui que parle l'Arabie ). « Quels flots a parcourus votre escadre hardie ? » L'amiral leur répond avec simplicité : « Aux lieux où du soleil disparaît la clarté Le Tage sur ses bords vit croître notre enfance. Nous cherchons les climats où le jour prend naissance. Du nord jusqu'au midi, nous avons visité La mugissante mer dont le flot redouté Assiége incessamment les rivages d'Afrique ; Nous avons affronté les ardeurs du tropique. Ainsi le commandait le plus chéri des rois, Dont toujours les désirs furent pour nous des lois Et qui de Satan même, à sa voix souveraine, Nous verrait envahir le ténébreux domaine. C'est lui qui nous envoie aux bords orientaux Que le Gange et l'Indus arrosent de leurs eaux, Et qui nous fait braver cette mer sans limite, Trop longtemps réservée aux troupeaux d'Amphitrite. Mais vous, si dans ces lieux règne la vérité, Dites, à votre tour, avec sincérité, Qui vous êtes, quel sang du vôtre fut la source Et quel chemin conduit au but de notre course. » — « Nous sommes étrangers dans les lieux que tu vois; Leur peuple primitif est sans culte et sans lois. Mais la nôtre est la loi du sage de Médine, Qui lire d'Abraham son illustre origine, Et, de la destinée instrument glorieux, Sur l'univers soumis règne victorieux. Mozambique est le nom que l'on donne à cette île; Aux nochers Africains elle est un lieu d'asile. Loin des bords plus connus où nous vîmes le jour, Le commerce en ces lieux fixa notre séjour. Vous, qui de l'Hespérie avez quitté la plage Pour aller chercher l'Inde et son brûlant rivage, Vous trouverez ici des marins préparés A guider vos vaisseaux vers ces bords ignorés. Mais à vous reposer ce climat vous invite. De notre gouverneur attendez la visite; Car sans doute il viendra, de sa cour escorté, Vous offrir les présents de l'hospitalité. » Les Maures, à ces mots, rentrent dans leurs nacelles, Emportant d'amitié des marques mutuelles. Cependant le soleil, éteignant son fanal, Avait plongé ses feux au flot occidental; Sa soeur le remplacait dans la sphère éthérée Et d'étoiles sans nombre y marchait entourée.

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    Pierre Corneille

    Pierre Corneille

    @pierreCorneille

    Le cid Elvire, où sommes-nous, et qu'est-ce que je voi? Rodrigue en ma maison ! Rodrigue devant moi ! DON RODRIGUE N'épargnez point mon sang : goûtez sans résistance La douceur de ma perte et de votre vengeance. CHIMÈNE Hélas! DON RODRIGUE Écoute-moi. CHIMÈNE Je me meurs. DON RODRIGUE Un moment. CHIMÈNE Va, laisse-moi mourir. DON RODRIGUE Quatre mots seulement : Après, ne me réponds qn'avecque cène épée. CHIMÈNE Quoi ! du sang de mon père encor toute trempée ! DON RODRIGUE Ma Chimène... CHIMÈNE Ote-moi cet objet odieux, Qui reproche ton crime et ta vie à mes yeux. DON RODRIGUE Regarde-le plutôt pour exciter ta haine, Pour croître ta colère, et pour hâter ma peine. CHIMÈNE Il est teint de mon sang. DON RODRIGUE Plonge-le dans le mien Et fais-lui perdre ainsi la teinture du tien. CHIMÈNE Ah! quelle cruauté, qui tout en un jour tue Le père par le fer, la fille par la vue ! Ote-moi cet objet, je ne le puis souffrir : Tu veux que je t'écoute, et tu me fais mourir! DON RODRIGUE Je fais ce que tu veux, mais sans quitter l'envie De finir par tes mains ma déplorable vie; Car enfin n'attends pas de mon affection Un lâche repentir d'une bonne action. L'irréparable effet d'une chaleur trop prompte Déshonorait mon père, et me couvrait de honte. Tu sais comme un soufflet touche un homme de cœur; J'avais part à l'affront, j'en ai cherché l'auteur : Je l'ai vu, j'ai vengé mon honneur et mon père; Je le ferais encor, si j'avais à le faire. Ce n'est pas qu'en effet contre mon père et moi, Ma flamme assez longtemps n'ait combattu pour toi; Juge de son pouvoir : dans une telle offense, J'ai pu délibérer si j'en prendrais vengeance. Réduit à te déplaire, ou souffrir un affront, J'ai pensé qu'à son tour mon bras était trop prompt; Je me suis accusé de trop de violence; Et ta beauté sans doute emportait la balance, A moins que d'opposer à tes plus forts appas Qu'un homme sans honneur ne te méritait pas; Que malgré cette part que j'avais en ton âme, Qui m'aima généreux me haïrait infâme; Qu'écouter ton amour, obéir à sa voix, C'était m'en rendre indigne et diffamer ton choix. Je te le dis encore; et, quoique j'en soupire, Jusqu'au dernier soupir je veux bien le redire : Je t'ai fait une offense, et j'ai dû m'y porter Pour effacer ma honte, et pour te mériter; [père, Mais, quitte envers l'honneur, et quitte envers mon C'est maintenant à toi que je viens satisfaire : C'est pour t'offrir mon sang qu'en ce lieu tu me vois. J'ai fait ce que j'ai dû, je fais ce que je dois. Je sais qu'un père mort t'arme contre mon crime; Je ne t'ai pas voulu dérober ta victime : Immole avec courage au sang qu'il a perdu Celui qui met sa gloire à l'avoir répandu. CHTMÈNE Ah! Rodrigue, il est vrai, quoique ton ennemie, Je ne puis te blâmer d'avoir fui l'infamie ; Et de quelque façon qu'éclatent mes douleurs, Je ne t'accuse point, je pleure mes malheurs. Je sais ce que l'honneur, après un tel outrage, Demandait à l'ardeur d'un généreux courage : Tu n'as fait le devoir que d'un homme de bien ; Mais aussi, le faisant, tu m'as appris le mien. Ta funeste valeur m'instruit par ta victoire ; Elle a vengé ton père et soutenu ta gloire : Même soin me regarde, et j'ai, pour m'affliger, Ma gloire à soutenir, et mon père à venger. Hélas ! ton intérêt ici me désespère : Si quelque autre malheur m'avait ravi mon père, Mon âme aurait trouvé dans le bien de te voir L'unique allégement qu'elle eût pu recevoir; Et contre ma douleur j'aurais senti des charmes, Quand une main si chère eût essuyé mes larmes. Mais il me faut te perdre après l'avoir perdu; Cet effort sur ma flamme à mon honneur est dû; Et cet affreux devoir, dont l'ordre m'assassine, Me force à travailler moi-même à ta ruine. Car enfin n'attends pas de mon affection De lâches sentiments pour ta punition. De quoi qu'en ta faveur notre amour m'entretienne, Ma générosité doit répondre à la tienne : Tu t'es, en m'offensant, montré digne de moi ; Je me dois, par ta mort, montrer digne de toi. DON RODRIGUE Ne diffère donc plus ce que l'honneur t'ordonne : Il demande ma tête, et je te l'abandonne; Fais-en un sacrifice à ce noble intérêt : Le coup m'en sera doux, aussi bien que l'arrêt. Attendre après mon crime une lente justice, C'est reculer ta gloire autant que mon supplice. Je mourrai trop heureux, mourant d'un coup si beau. CHTMÈNE Va, je suis ta partie, et non pas ton bourreau. Si tu m'offres ta tête, est-ce à moi de la prendre? Je la dois attaquer, mais tu dois la défendre; C'est d'un autre que toi qu'il me faut l'obtenir, Et je dois te poursuivre, et non pas te punir. DON RODRIGUE De quoi qu'en ma faveur notre amour t'entretienne, Ta générosité doit répondre à la mienne; Et pour venger un père emprunter d'autres bras, Ma Chimène, crois-moi, c'est n'y répondre pas : Ma main seule du mien a su venger l'offense, Ta main seule du tien doit prendre la vengeance. CHIMÈNE Cruel! à quel propos sur ce point t'obstiner? Tu t'es vengé sans aide, et tu m'en veux donner! Je suivrai ton exemple, et j'ai trop de courage Pour souffrir qu'avec toi ma gloire se partage. Mon père et mon honneur ne veulent rien devoir Aux traits de ton amour ni de ton désespoir. DON RODRIGUE Rigoureux point d'honneur ! hélas ! quoi que je fasse, Ne pourrai-je à la fin obtenir cette grâce? Au nom d'un père mort, ou de notre amitié, Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié. Ton malheureux amant aura bien moins de peine A mourir par ta main qu'à vivre avec ta haine. CHIMÈNE Va, je ne te hais point. DON RODRIGUE Tu le dois. CHIMÈNE Je ne puis. DON RODRIGUE Crains-tu si peu le blâme, et si peu les faux bruits ? Quand on saura mon crime, et que ta flamme dure, Que ne publieront point l'envie et l'imposture! Force-les au silence, et sans plus discourir, Sauve ta renommée en me faisant mourir. CHIMÈNE Elle éclate bien mieux en te laissant la vie; Et je veux que la voix de la plus noire envie Elève au ciel ma gloire et plaigne mes ennuis, Sachant que je t'adore et que je te poursuis. Va-t'en, ne montre plus à ma douleur extrême Ce qu'il faut que je perde, encore que je l'aime. Dans l'ombre de la nuit cache bien ton départ : Si l'on te voit sortir, mon honneur court hasard. La seule occasion qu'aura la médisance, C'est de savoir qu'ici j'ai souffert ta présence : Ne lui donne point lieu d'attaquer ma vertu. DON RODRIGUE Que je meure! CHIMÈNE Va-t'en. DON RODRIGUE A quoi te résous-tu? CHIMÈNE algré des feux si beaux, qui troublent ma colère, e ferai mon possible à bien venger mon père ; "ais malgré la rigueur d'un si cruel devoir, on unique souhait est de ne rien pouvoir. DON RODRIGUE O miracle d'amour! CHIMÈNE O comble de misères! DON RODRIGUE Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères! CHIMÈNE Rodrigue, qui l'eût cru? . DON RODRIGUE Chimène, qui l'eût dit ? CHIMÈNE Que notre heur fût si proche et sitôt se perdît? DON RODRIGUE Et que si près du port, contre toute apparence, Un orage si prompt brisât notre espérance? CHIMÈNE Ah! mortelles douleurs! DON RODRIGUE Ah! regrets superflus! CHIMÈNE Va-t'en, encore un coup, je ne t'écoute plus. OON RODRIGUE Adieu : je vais traîner une mourante vie, Tant que par ta poursuite elle me soit ravie. CHIMÈNE Si j'en obtiens l'effet, je t'engage ma foi De ne respirer pas un moment après toi. Adieu : sors, et surtout garde bien qu'on te voie.

    en cours de vérification

    V

    Valmiki

    @valmiki

    Ramayana Il est une vaste contrée, grasse, souriante, abondante en richesses de toute sorte, en grains comme en troupeaux, assise au bord de la Sarayoû et nommée Kauçala. Là, était une ville, célèbre dans tout l’univers et fondée jadis par Manou, le chef du genre humain. Elle avait nom Ayaudhyâ. Heureuse et belle cité, large de trois yaudjanas, elle étendait sur douze yaudjanas de longueur son enceinte resplendissante de constructions nouvelles. Munie de portes à des intervalles bien distribués, elle était percée de grandes rues, largement développées, entre lesquelles brillait aux yeux la rue Royale, où des arrosements d’eau abattaient le vol de la poussière. De nombreux marchands fréquentaient ses bazars, et de nombreux joyaux paraient ses boutiques. Imprenable, de grandes maisons en couvraient le sol, embelli par des bocages et des jardins publics. Des fossés profonds, impossibles à franchir, l’environnaient; ses arsenaux étaient pleins d’armes variées; et des arcades ornementées couronnaient ses portes, où veillaient continuellement des archers. Un roi magnanime, appelé Daçaratha, et de qui la victoire ajoutait journellement à l’empire, gouvernait alors cette ville, comme Indra gouverne son Amarâvatî, cité des Immortels. Abritée sous les drapeaux flottant sur les arcades sculptées de ses portes, douée avec tous les avantages que lui procurait une multitude variée d’arts et de métiers, toute remplie de chars, de chevaux et d’éléphants, bien approvisionnée en toute espèce d’armes, de massues, de machines pour la guerre et de çataghnîs , elle était bruissante et comme troublée par la circulation continuelle des marchands, des messagers et des voyageurs, qui se pressaient dans ses rues, fermées de portes solides, et dans ses marchés, bien répartis à des intervalles judicieusement calculés. Elle voyait sans cesse mille troupes d’hommes et de femmes aller et venir dans son enceinte; et, décorée avec de brillantes fontaines, des jardins publics, des salles pour les assemblées et de grands édifices parfaitement distribués, il semblait encore, à ses nombreux autels pour tous les dieux, qu’elle était comme la remise où stationnaient ici-bas leurs chars animés. En cette ville d’Ayaudhyâ était donc un roi, nommé Daçaratha, semblable aux quatorze dieux, très savant et dans les Védas et dans leur appendice, les six Angas, prince à la vue d’aigle, à la splendeur éclatante, également aimé des villageois et des citadins, roi saint, célèbre dans les trois mondes, égal aux Maharshis et le plus solide appui entre les soutiens de la justice. Plein de force, vainqueur de ses ennemis, dompteur de ses sens, réglant sur la saine morale toute sa conduite, et représentant Ikshwakou dans les sacrifices, comme chef de cette royale maison, il semblait à la fois le roi du ciel et le dieu même des richesses par ses ressources, son abondance, ses grains, son opulence; et sa protection, comme celle de Manou, le premier des monarques, couvrait tous ses sujets. Ce prince magnanime, bien instruit dans la justice et de qui la justice était le but suprême, n’avait pas un fils qui dût continuer sa race, et son cœur était consumé de chagrin. Un jour qu’il pensait à son malheur, cette idée lui vint à l’esprit: « Qui m’empêche de célébrer un açwa-médha pour obtenir un fils? » Le monarque vint donc trouver Vaçishtha, il se prosterna devant son ritouidj, lui rendit l’hommage exigé par la bienséance et lui tint ce langage respectueux au sujet de son açwa-médha pour obtenir des fils: « Il faut promptement célébrer le sacrifice de la manière qu’il est commandé par le Çâstra, et régler tout avec un tel soin qu’un de ces mauvais Génies, destructeurs des cérémonies saintes, n’y puisse jeter aucun empêchement. C’est à toi, en qui je possède un ami dévoué et qui es le premier de mes directeurs spirituels, c’est à toi de prendre sur tes épaules ce fardeau pesant d’un tel sacrifice. » — « Oui! » répondit au roi le plus vertueux des régénérés. « Je ferai assurément tout ce que désire Ta Majesté. » Ensuite il dit à tous les brahmes experts dans les choses des sacrifices: « Que l’on bâtisse pour les rois des palais distingués par de nombreuses qualités! Que l’on bâtisse même par centaines pour les brahmes invités de beaux logis bien disposés, bien pourvus en divers breuvages, bien approvisionnés en différents comestibles. Il faut construire aussi pour l’habitant des villes maintes demeures vastes, fournies de nombreux aliments et remplies de choses propres à satisfaire tous les désirs. Rassemblez encore d’abondantes victuailles pour l’habitant des campagnes. « Que ces différentes nourritures soient données avec politesse, et non comme arrachées par la violence, afin que toutes les castes bien traitées obtiennent ainsi les égards dus à chacune d’elles. « Passant de l’amour à la colère, n’appliquez l’injure à personne. Que les honneurs soient rendus surtout, mais en observant les degrés, aux hommes supérieurs dans les choses des sacrifices, comme aux sommités dans les arts manuels. Agissez enfin d’une âme aimante et satisfaite, ô vous, révérendes personnes, de manière que tout soit bien fait et que rien ne soit omis! » Ensuite, les brahmes s’étant rapprochés de Vaçishtha, lui répondirent ainsi: « Nous ferons tout, comme il est dit, et rien ne sera oublié. » Après cette réponse, ayant fait appeler Soumantra, le ministre: « Invite, lui dit Vaçishtha, invite les rois qui sur la terre sont dévoués à la justice. » Ensuite, après quelques jours et quelques nuits écoulés, arrivèrent ces rois si nombreux, à qui Daçaratha avait envoyé des pierreries en royal cadeau. Alors Vaçishtha, l’âme très satisfaite, tint ce langage au monarque: « Tous les rois sont venus, ô le plus illustre des souverains, comme tu l’avais commandé. Je les ai tous bien traités, et tous honorés dignement. Tes serviteurs ont disposé convenablement toutes les choses avec un esprit attentif. » Charmé à ces paroles de Vaçishtha, le roi dit: « Que le sacrifice, doué en toutes ses parties de choses offertes à tous les désirs, soit célébré aujourd’hui même. » Ensuite les prêtres, consommés dans la science de la Sainte Écriture, commencent la première des cérémonies, l’accension du feu, suivant les rites enseignés par le soûtra du Kalpa. Les règles des expiations furent aussi observées entièrement par eux, et ils firent toutes ces libations que la circonstance demandait. Alors Kâauçalyâ décrivit un pradakshina autour du cheval consacré, le vénéra avec la piété due, et lui prodigua les ornements, les parfums, les guirlandes de fleurs. Puis, accompagnée de l’adhwaryou, la chaste épouse toucha la victime et passa toute une nuit avec elle pour obtenir ce fils, objet de ses désirs. Ensuite, le ritouidje, ayant égorgé la victime et tiré la moelle des os, suivant les règles saintes, la répandit sur le feu, invitant chacun des Immortels au sacrifice avec la formule accoutumée des prières. Alors, engagé par son désir immense d’obtenir une lignée, Daçaratha, uni dans cet acte à sa fidèle épouse, le roi Daçaratha vint avec elle respirer la fumée de cette moelle, que le brasier consumait sur l’autel. Enfin, les sacrificateurs de couper les membres du cheval en morceaux, et d’offrir sur le feu à tous les habitants des cieux la part que le rituel assignait à chacun d’eux. Voici que tout à coup, sortant du feu sacré, apparut devant les yeux un grand être, d’une splendeur admirable, et tout pareil au brasier allumé. Le teint bruni, une peau noire était son vêtement; sa barbe était verte, et ses cheveux rattachés en djatà; les angles de ses yeux obliques avaient la rougeur du lotus: on eût dit que sa voix était le son du tambour ou le bruit d’un nuage orageux. Doué de tous les signes heureux, orné de parures célestes, haut comme la cime d’une montagne, il avait les yeux et la poitrine du lion. Il tenait dans ses bras, comme on étreint une épouse chérie, un vase fermé, qui semblait une chose merveilleuse, entièrement d’or, et tout rempli d’une liqueur céleste. « Brahme, dit le spectre qui s’était manifesté d’une manière si étonnante, sache que je suis un être émané du souverain maître des créatures pour venir en ces lieux mêmes. — Reçois ce vase donné par moi et remets-le au roi Daçaratha: c’est pour lui que je dépose en tes mains ce divin breuvage. Qu’il donne à savourer ce philtre générateur à ses épouses fidèles! » Le plus excellent des brahmes lui répondit en ces termes: « Donne toi-même au roi ce vase merveilleux. » La resplendissante émanation du souverain maître des créatures dit au fils d’Ikshwâkou avec une voix de la plus haute perfection: « Grand roi, j’ai du plaisir à te donner cette liqueur toute composée avec des sucs immortels: reçois donc ce vase, ô toi qui es la joie de la maison d’Ikshwâkou! » Alors, inclinant sa tête, le monarque reçut la précieuse amphore, et dit: « Seigneur, que dois-je en faire? » — « Roi, je te donne en ce vase, répondit au monarque l’être émané du créateur même, je te donne en lui ce bonheur qui est le cher objet de ton pieux sacrifice. Prends donc, ô le plus éminent des hommes, et donne à tes chastes épouses ce breuvage, que les Dieux eux-mêmes ont composé. Qu’elles savourent ce nectar, auguste monarque: il fait naître de la santé, des richesses, des enfants aux femmes qui boivent sa liqueur efficace. » Ensuite, quand elle eut donné au monarque le breuvage incomparable, cette apparition merveilleuse de s’évanouir aussitôt dans les airs; et Daçaratha, se voyant maître enfin du nectar saint distillé par les Dieux, fut ravi d’une joie suprême, comme un pauvre aux mains de qui tomberait soudain la richesse. Il entra dans son gynécée, et dit à Kâauçalyâ: « Reine, savoure cette boisson génératrice, dont l’efficacité doit opérer son bien en toi-même. » Ayant ainsi parlé, son époux, qui avait partagé lui-même cette ambroisie en quatre portions égales, en servit deux parts a Kâauçalyâ, et donna à Kêkéyî une moitié de la moitié restante. Puis, ayant coupé en deux sa quatrième portion, le monarque en fit boire une moitié à Soumitrâ: ensuite il réfléchit, et donna encore à Soumitrâ ce qui restait du nectar composé par les Dieux. Suivant l’ordre où ces femmes avaient bu la nonpareille ambroisie, donnée par le roi même au comble de la joie, les princesses conçurent des fruits beaux et resplendissants à l’égal du soleil ou du feu sacré. De ces femmes naquirent quatre fils, d’une beauté céleste et d’une splendeur infinie: Râma, Lakshmana, Çatroughna et Bharata. Kâauçalyâ mit au monde Râma, l’aîné par sa naissance, le premier par ses vertus, sa beauté, sa force nonpareille et même l’égal de Vishnou par son courage. De même, Soumitrâ donna le jour à deux fils, Lakshmana et Çatroughna: inébranlables pour le dévouement et grands par la force, ils cédaient néanmoins à Râma pour les qualités. Vishnou avait formé ces jumeaux avec une quatrième portion de lui-même: celui-ci était né d’une moitié, et celui-là d’une autre moitié du quart. Le fils de Kêkéyi se nommait Bharata: homme juste, magnanime, vanté pour sa vigueur et sa force, il avait l’énergie de la vérité. Ces princes, doués tous d’une âme ardente, habiles à manier de grands arcs, dévoués à l’exercice des vertus, comblaient ainsi les vœux du roi leur père; et Daçaratha, entouré de ces quatre fils éminents, goûtait au milieu d’eux une joie suprême, comme Brahma, environné par les Dieux. Depuis l’enfance, Lakshmana s’était voué d’une ardente amitié à Râma, l’amour des créatures: en retour, ce jeune frère, de qui l’aide servit puissamment à la prospérité de son frère aîné, ce juste, ce fortuné, ce victorieux Lakshmana était plus cher que la vie même à Râma, le destructeur invincible de ses ennemis. Celui-ci ne mangeait pas sans lui son repas ordinaire, il ne touchait pas sans lui à quelque mets plus délicat; sans lui, il ne se livrait pas au plaisir un seul instant même. Râma s’en allait-il, soit à la chasse, soit ailleurs, aussitôt, prenant son arc, le dévoué Lakshmana y marchait avec lui et suivait ses pas. Autant Lakshmana était dévoué à Râma, autant Çatroughna l’était à Bharata; celui-ci était plus cher à celui-ci et celui-ci à celui-là que le souffle même de la vie. Joie de son père, attirant les regards au milieu de ses frères comme un drapeau, Râma était immensément aimé de tous les sujets pour ses qualités naturelles: aussi, comme il savait se concilier par ses vertus l’affection des mortels, lui avait-on donné ce nom de RAMA, c’est-à-dire, l’homme qui plaît, ou qui se fait aimer. Un grand saint, nommé Viçvâmitra, vint dans la ville d’Ayaudhyâ, conduit par le besoin d’y voir le souverain. Des rakshasas, enivrés de leur force, de leur courage, de leur science dans la magie, interrompaient sans cesse le sacrifice de cet homme sage et dévoué à l’amour de ses devoirs: aussi l’anachorète, qui ne pouvait sans obstacle mener à fin la cérémonie, désirait-il voir le monarque, afin de lui demander protection contre les perturbateurs de son pieux sacrifice. « Prince, lui dit-il, si tu veux obtenir de la gloire et soutenir la justice, ou si tu as foi en mes paroles, prouve-le en m’accordant un seul homme, ton Râma. La dixième nuit me verra célébrer ce grand sacrifice, où les rakshasas tomberont, immolés par un exploit merveilleux de ton fils. » Alors, ayant baisé avec amour son fils sur la tête, Daçaratha le donna au saint ermite avec son fidèle compagnon Lakshmana. Quand il vit Râma aux yeux de lotus s’avancer vers le fils de Kouçika, le vent souffla d’une haleine pure, douce, embaumée, sans poussière. Au moment où partit ce rejeton bien-aimé de Raghou, une pluie de fleurs tomba des cieux, et l'on entendit ruisseler d’en haut les chants de voix suaves, les fanfares des conques, les roulements des cymbales célestes. Le magnanime anachorète était suivi par ces deux héros, comme le roi du ciel est suivi par les deux Açwins. Armés d’un arc, d’un carquois et d’une épée, la main gauche défendue par un cuir lié autour de leurs doigts, ils suivaient Viçvâmitra, comme les deux jumeaux enfants du feu suivent Sthânou, c’est-à-dire le Stable, un des noms de Çiva. Arrivés à un demi-yaudjana et plus sur la rive méridionale de la Sarayoû: « Râma, dit avec douceur Viçvâmitra; mon bien-aimé Râma, il convient que tu verses maintenant l’eau sur toi, suivant nos rites; je vais t’enseigner les moyens de salut; ne perdons pas le temps. « Reçois d’abord ces deux sciences merveilleuses, LA PUISSANCE et L’OUTRE-PUISSANCE; par elles, ni la fatigue, ni la vieillesse, ni aucune altération ne pourront jamais envahir tes membres. « Car ces deux sciences, qui apportent avec elles la force et la vie, sont les filles de l’aïeul suprême des créatures; et toi, ô Kakoutsthide, tu es un vase digne que je verse en lui ces connaissances merveilleuses. Entouré de qualités divines, enfantées par ta propre nature, et d’autres qualités acquises par les efforts d’un louable désir, tu verras encore ces deux sciences élever tes vertus jusqu’à la plus haute excellence. » Après ce discours, Viçvâmitra, l’homme riche en mortifications, initia aux deux sciences Râma, purifié dans les eaux du fleuve, debout, la tête inclinée et les mains jointes, Le héros enfant dit, chemin faisant, au sublime anachorète Viçvâmitra ces paroles, toutes composées de syllabes douces: « Quelle est cette forêt bien grande, qui se montre ici, non loin de la montagne, comme une masse de nuages? À qui appartient-elle, homme saint, qui brilles d’une splendeur impérissable? Cette forêt semble à mes regards délicieuse et ravissante. » « Ce lieu, Râma, lui répondit l’anachorète, fut jadis l’ermitage du Nain magnanime: l’Ermitage-Parfait, c’est ainsi qu’on l’appelle, fut jadis la scène où le parfait, où l’illustre Vishnou se livrait sous la forme d’un nain à la plus austère pénitence, dans le temps, noble fils de Raghou, que Bali ravit à Indra le sceptre des trois mondes. « Le Virotchanide, enflammé par l’ivresse que lui inspirait l’éminence de sa force, ayant donc vaincu le monarque du ciel, Bali resta maître de l’empire des trois mondes. « Ensuite, comme Bali voulait encore augmenter sa puissance par l’offrande d’un sacrifice, Indra et l’armée des immortels avec lui vint dire, tout ému de crainte, à Vishnou, ici même, dans cet ermitage: « Ce Virotchanide d’une si haute puissance, Bali offre un sacrifice: et cependant ce roi des Asouras est déjà doué d’une telle abondance, qu’il rassasie les désirs de toutes les créatures. Va le trouver sous cette forme de nain, Dieu aux longs bras, et veuille bien lui mendier ce que trois de tes pas seulement peuvent mesurer de terre. Il doit nécessairement t’accorder l’aumône de ces trois pas, aveuglé qu’il est de sa force, comme de son courage, et méprisant dans toi-même le maître du monde, qu’il ne reconnaîtra point sous ta forme de nain. Le roi des vils Démons gratifie par l’accomplissement de leurs vœux les plus chers tous ceux qui, désirant obtenir l’objet où leur souhait aspire, invoquent sa munificence. « Cet ermitage parfait de nom le sera donc aussi de fait, si tu veux bien en sortir un instant, ô toi, de qui l’énergie est celle de la vérité même, pour accomplir cette action parfaite. « Conjuré ainsi par les Dieux, Vishnou, sous la forme de nain, dont s’était revêtue son âme divine, alla trouver le Virotchanide et lui demanda l’aumône des trois pas. » Mais aussitôt que Bali eut accordé les trois pas de terre au mendiant, le nain se développa dans une forme prodigieuse, et le Dieu-aux-trois-pas s’empara de tous les mondes en trois pas. — Du premier pas, noble Raghouide, il franchit toute la terre; au deuxième, tout l’immortel espace atmosphérique; et, du troisième, il mesura tout le ciel austral. C’est ainsi que Vishnou réduisit le démon Bali à ne plus avoir d’autre habitation que l’abîme des enfers; c’est ainsi qu’ayant extirpé ce fléau des trois mondes, il en restitua l’empire au monarque du ciel. « Cet ermitage, qui fut habité jadis par le Dieu aux œuvres saintes, reçoit très souvent mes visites par dévotion en l’ineffable nain. Voici le lieu où grâce à ton courage, héros, fils du plus grand des hommes, tu dois immoler ces deux rakshasas qui mettent des obstacles à mon sacrifice. » Ensuite Râma, ayant habité là cette nuit avec Lakshmana et s’étant levé à l’heure où blanchit l’aube, se prosterna humblement pour saluer Viçvâmitra. Alors ce guerrier, de qui la force ne trompe jamais, Râma, qui sait le prix du lieu, du temps et des moyens, adresse à Viçvâmitra ce langage opportun: « Saint anachorète, je désire que tu m’apprennes dans quel temps il me faut écarter ces Démons nocturnes qui jettent des obstacles dans ton sacrifice. » Ravis de joie à ces paroles, aussitôt Viçvâmitra et tous les autres solitaires de louer Râma et de lui dire: « À partir de ce jour, il faut, Râma, que tu gardes pendant six nuits, dévoué entièrement à cette veille continue; car une fois entré dans les cérémonies préliminaires du sacrifice, il est défendu au solitaire de rompre le silence. » Après qu’il eut écouté ces paroles des monobites à l’âme contemplative, Râma se tint là debout, six nuits, gardant avec Lakshmana le sacrifice de l’anachorète, l’arc en main, sans dormir et sans faire un mouvement, immobile, comme un tronc d’arbre, impatient de voir la nuée des rakshasas abattre son vol sur l’ermitage. Ensuite, quand le cours du temps eut amené le sixième jour, ces fidèles observateurs des vœux, les magnanimes anachorètes dressèrent l’autel sur sa base. — Déjà, accompagné des hymnes, arrosé de beurre clarifié, le sacrifice était célébré suivant les rites; déjà la flamme se développait sur l’autel, où priait le contemplateur d’une âme attentive, quand soudain éclata dans l’air un bruit immense et tel que l’on entend le sombre nuage tonner au sein des cieux dans la saison des pluies. Alors, voici que se précipitent dans l’ermitage, et Mârîtcha, et Soubâhou, et les serviteurs de ces deux rakshasas, déployant toute la puissance de leur magie. Aussitôt que, de ses yeux beaux comme des lotus, Râma les vit accourir, faisant pleuvoir un torrent de sang: « Vois, Lakshmana, dit-il à son frère, vois Mârîtcha, qui vient, suivi de son cortège, avec sa voix de bruyant tonnerre, et Soubâhou, le rôdeur nocturne. Regarde bien! ces Démons noirs, comme deux montagnes de collyre, vont disparaître à l’instant même devant moi, tels que deux nuages au souffle du vent! » À ces mots, l’habile archer tira de son carquois la flèche nommée le Trait-de-l’homme, et, sans être poussé d’une très vive colère, il décocha le dard en pleine poitrine de Mârîtcha. Emporté jusqu’au front de l’Océan par l’impétuosité de cette flèche, Mârîtcha y tomba comme une montagne, les membres agités par le tremblement de l’épouvante. Ensuite, le rejeton vaillant de Raghou choisit dans son carquois le dard nommé la Flèche-du-feu; il envoya ce trait céleste dans la poitrine de Soubâhou, et le rakshasa frappé tomba mort sur la terre. Puis, s’armant avec la Flèche-du-vent et mettant le comble à la joie des solitaires, le descendant illustre de Raghou immola même tous les autres Démons. Après ce carnage, Viçvâmitra avec toute la communauté des anachorètes, s’approcha du jeune guerrier, et lui décerna les honneurs, les félicitations, les présents, que méritait sa victoire: « Je suis content, guerrier aux longs bras: tu as bien observé la parole de moi, ton maître; en effet, cet Ermitage-Parfait est devenu, grâce à toi, plus parfait encore. Leur mission accomplie, Râma et Lakshmana passèrent encore là cette nuit, honorés des anachorètes et l’âme joyeuse. À l’heure où la nuit s’éclaire aux premières lueurs de l’aube, et quand ils eurent vaqué aux dévotions du matin, les deux héros petits-neveux de Raghou allèrent s’incliner devant Viçvàmitra et devant les autres solitaires; puis, les ayant tous salués avec lui, ces princes, doués d’une immortelle splendeur, lui tinrent ce discours à la fois noble et doux: « Ces deux guerriers, qui se tiennent devant toi, ô le plus éminent des anachorètes, sont tes serviteurs; commande-nous à ton gré: que veux-tu que nous fassions encore? » À ce discours, les ermites, riches de mortifications, à qui ces deux frères l’avaient adressé, laissent parler Viçvâmitra, et rendent par lui cette réponse au vaillant Râma: « Djanaka, le roi de Mithila, doit bientôt célébrer, ô le plus vertueux des Raghouides, un sacrifice très grand et très saint: nous irons certainement. — Toi-même, ô le plus éminent des hommes, tu viendras avec nous: tu es digne de voir là cet arc fameux, qui est une grande merveille et la perle des arcs. « Jadis, Indra et les Dieux ont donné au roi de Mithila cet arc géant, comme un dépôt, au temps que la guerre fut terminée entre eux et les Démons. Ni les Dieux, ni les Gandharvas, ni les Yakshas, ni les Nâgas, ni les Rakshasas ne sont capables de bander cet arc: combien moins, nous autres hommes, ne le saurions-nous faire! » Et sur le champ Râma se mit en route avec ces grands saints, à la tête desquels marchait Viçvâmitra. Attelés dans un instant, s’avançaient une centaine de chars brahmiques, où l’on avait chargé les bagages des anachorètes, qui venaient tous à leur suite. On voyait aussi des troupeaux d’antilopes et d’oiseaux, doux habitants de l’Ermitage-Parfait, suivre pas à pas dans cette marche Viçvâmitra, le sublime solitaire. Déjà les troupes des anachorètes s’étaient avancées loin dans cette route, quand, arrivées au bord de la Çona, vers le temps où le soleil s’affaisse à l’horizon, elles s’arrêtent pour camper devant son rivage. Mais, aussitôt que l’astre du jour a touché le couchant, ces hommes d’une splendeur infinie se purifient dans les ondes, rendent un hommage au feu avec des libations de beurre clarifié, et, donnant la première place à Viçvâmitra, s’assoient autour du sage. Râma lui-même avec le fils de Soumitrâ se prosterne devant l’ermite, qui s’est amassé un trésor de mortifications, et s’assoit auprès de lui. — Alors, joignant ses mains, le jeune tigre des hommes, que sa curiosité pousse à faire cette demande, interroge ainsi Viçvâmitra, le saint: « Bienheureux, quel est donc ce lieu, que je vois habité par des hommes au sein de la félicité? Je désire l’apprendre, sublime anachorète, de ta bouche même en toute vérité. » Excitée par ce langage de Râma, la grande lumière de Viçvâmitra commença donc à lui raconter ainsi l’histoire du lieu où ils étaient arrivés: « Jadis il fut un monarque puissant, appelé Kouça, issu de Brahma et père de quatre fils, renommés pour la force. C’étaient Kouçâçwa, Kouçanâbha, Amoûrtaradjasa et Vasou, tous magnanimes, brillants et dévoués aux devoirs du kshatrya. « Kouça dit un jour: « Mes fils, il faut vous consacrer à la défense des créatures. » C’est ainsi qu’il parla, noble Raghouide, à ces princes, de qui la modestie était la compagne de la science dans la Sainte Ecriture. « À ces paroles du roi leur père, ils bâtirent quatre villes, chacun fondant la sienne. De ces héros, semblables aux gardiens célestes du monde, Kouçâçwa construisit la ville charmante de Kâauçâçwi; Kouçanâbha, qu’on eût dit la justice en personne, fut l’auteur de Mahaudaya; le vaillant Amoûrtaradjasa créa la ville de Prâgdjyautisha, et Vasou éleva Girivradja dans le voisinage de Dharmâranya. « Ce lieu-ci, appelé Vasou, porte le nom du prince Vasou à la splendeur infinie: on y remarque ces belles montagnes, au nombre de cinq, à la crête sourcilleuse. — Là, coule la jolie rivière de Mâgadhî; elle donne son nom à la ville de Magadhâ, qui brille, comme un bouquet de fleurs, au milieu des cinq grands monts. Cette rivière appelée Mâgadhî appartenait au domaine du magnanime Vasou: car jadis il habita, vaillant Râma, ces champs fertiles, guirlandes de moissons. « De son côté, l’invincible et saint roi Kouçanâbha rendit la nymphe Ghritâtchyâ mère de cent filles jumelles, à qui rien n’était supérieur en toutes qualités. « Un jour, ces jeunes vierges, délicieusement parées, toutes charmantes de jeunesse et de beauté, descendent au jardin, et là, vives comme des éclairs, se mettent à folâtrer. Elles chantaient, noble fils de Raghou, elles dansaient, elles touchaient ou pinçaient divers instruments de musique, et, parfumant l’air des guirlandes tressées dans leurs atours, elles se laissaient ravir aux mouvements d’une joie suprême. « Le Vent, qui va se glissant partout, les vit en ce moment, et voici quel langage il tint à ces jouvencelles, aux membres suaves, et de qui rien n’était pareil en beauté sur la terre: « Charmantes filles, je vous aime toutes; soyez donc mes épouses. Par là, vous dépouillant de la condition humaine, vous obtiendrez l’immortalité. » « À ces habiles paroles du Vent amoureux, les jeunes vierges lui décochent un éclat de rire; et puis toutes lui répondent ainsi: « Ô Vent, il est certain que tu pénètres dans toutes les créatures; nous savons toutes quelle est ta puissance; mais pourquoi juger de nous avec ce mépris? Nous sommes toutes filles de Kouçanâbha; et, fermes sur l’assiette de nos devoirs, nous défions ta force de nous en précipiter: oui! Dieu léger, nous voulons rester dans la condition faite à notre famille. — Qu’on ne voie jamais arriver le temps où, volontairement infidèle au commandement de notre bon père, de qui la parole est celle de la vérité, nous irons de nous-mêmes arrêter le choix d’un époux. Notre père est notre loi, notre père est pour nous une divinité suprême; l’homme, à qui notre père voudra bien nous donner, est celui-là seul qui deviendra jamais notre époux. » « Saisi de colère à ces paroles des jeunes vierges, le Vent fit violence à toutes et brisa la taille à toutes par le milieu du corps. Pliées en deux, les nobles filles rentrent donc au palais du roi leur père; elles se jettent devant lui sur la terre, pleines de confusion, rougissantes de pudeur et les yeux noyés de larmes. « À l’aspect de ses filles, tout à l’heure d’une beauté nonpareille, maintenant flétries et la taille déviée, le monarque dit avec émotion ces paroles aux princesses désolées: — « Quelle chose vois-je donc ici, mes filles? Dites-le moi! Quel être eut une âme assez violente pour attenter sur vos personnes et vous rendre ainsi toutes bossues? « À ces mots du sage Kouçanâbha, les cent jeunes filles répondirent, baissant leur tête à ses pieds: — « Enivré d’amour, le Vent s’est approché de nous; et, franchissant les bornes du devoir, ce Dieu s’est porté jusqu’à nous faire violence. — Toutes cependant nous avions dit à ce Vent, tombé sous l’aiguillon de l’Amour: « Dieu fort, nous avons un père; nous ne sommes pas maîtresses de nous-mêmes. Demande-nous à notre père, si ta pensée ne veut point une autre chose que ce qui est honnête. Nos cœurs ne sont pas libres dans leur choix: sois bon pour nous, toi qui es un Dieu! » Irrité de ce langage, le Vent, seigneur, fit irruption dans nos membres: abusant de sa force, il nous brisa et nous rendit bossues, comme tu vois. » « Après que ses filles eurent achevé ce discours, le dominateur des hommes, Kouçanâbha fit cette réponse, noble Râma, aux cent princesses: « Mes filles, je vois avec une grande satisfaction que ces violences du Vent, vous les avez souffertes avec une sainte résignation, et que vous avez en même temps sauvegardé l’honneur de ma race. En effet, la patience, mes filles, est le principal ornement des femmes; et nous devons supporter, c’est mon sentiment, tout ce qui vient des Dieux. Votre soumission à de tels outrages commis par le Vent, je vous l’impute à bonne action; aussi je m’en réjouis, mes chastes filles, comme je pense que ce jour vient d’amener pour vous le temps du mariage. Allez donc où il vous plaît d’aller, mes enfants: moi, je vais occuper ma pensée de votre bonheur à venir. » « Ensuite, quand ce roi, le plus vertueux des monarques, eut congédié les tristes jeunes filles, il se mit, en homme versé dans la science du devoir, à délibérer avec ses ministres sur le mariage des cent princesses. Enfin, c’est de ce jour que Mahaudaya fut dans la suite des temps appelé Kanyakoubja, c’est à dire la ville des jeunes bossues, en mémoire du fait arrivé dans ces lieux, où jadis le Vent déforma les cent filles du roi et les rendit toutes bossues.

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