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Titre : Beowulf

Auteur inconnu

I Eh quoi! nous avons entendu parler de la valeur des rois qui gouvernèrent jadis les Danois des Lances et de l’héroïsme dont firent preuve ces princes! Souvent Scyld, fils de Scef, remporta la victoire sur des foules d’ennemis et de nombreuses tribus. Lui qui avait été jadis recueilli dans le dénûment, il devint un redoutable seigneur; ses malheurs furent réparés, car il grandit, sa renommée s’étendit dans le monde et un jour vint où tous ses voisins lui furent soumis et lui envoyèrent le tribut par-dessus les mers. Oui, c’était un excellent roi! — Il eut un enfant que Dieu envoya pour être la consolation de ses sujets, car le Seigneur avait été témoin des maux que leur avaient causés pendant bien longtemps leurs ennemis. C’est pourquoi Dieu leur donna de la gloire en ce monde. Beowulf fut célèbre; le nom du descendant de Scyld retentit au loin dans le Scedeland. (C’est ainsi qu’il sied à un jeune guerrier de se montrer prodigue de bienfaits et de trésors envers les amis de son père afin que, dans sa vieillesse, il trouve aussi des compagnons volontaires qui puissent le servir en cas de guerre: ainsi sa renommée grandira dans chaque tribu par des actions d’éclat). Quand le moment fatal fut venu Scyld partit, sous la garde de Dieu, pour le long voyage. Ses chers compagnons le portèrent à la mer, ainsi qu’il l’avait ordonndé pendant qu’il régnait; — son temps de puissance avait été long. Dans le port se trouvait une barque bien équipée, — la barque du roi. Ils y placèrent, près du mât, leur souverain. La barque était remplie d’objets précieux et de trésors venant de lointains pays. Jamais, à ma connaissance, esquif ne reçut une plus belle parure d’armes et d’habits de guerre: cette masse de trésors devait partir avec lui sur les flots. Il ne furent pas moins prodigues de dons envers lui que ne l’avaient été ceux qui l’avaient livré seul, après sa naissance, au caprice des vagues. — Ils firent flotter une bannière d’or au-dessus de sa tête, puis l’abandonnèrent à la mer. L’esprit tout rempli de tristesse ils n’auraient pu dire en vérité qui recevait la charge du navire. II. Beowulf, prince des Scyldingas, jouit longtemps d’une grande renommée parmi les peuples après que son père eût quitté ce monde. De lui naquit le puissant Healfdene qui gouverna heureusement, tant qu’il vécut, les Scyldingas. Celui-ci, à son tour, eut quatre enfants: Heorogar, Hrothgar, Halga-til et Elan qui, d’après ce que j’ai entendu rapporter, fut l’épouse d’Ongentheow le Heathoscylfing. Hrothgar devint puissant dans les combats: aussi ses parents lui obéirent et la foule de ses serviteurs d’armes s’accrût. Il lui vint à la pensée de faire construire une salle plus grande que toutes celles qu’on avait vues jusque-là, et d’y partager entre jeunes et vieux tout ce que Dieu lui avait donné, à l’exception toutefois des terres publiques et de la vie des personnes. Grand nombre de tribus, dit-on, furent mises à l’œuvre pour construire et parer cette salle; elle fut achevée pour le temps fixé et Hrothgar lui donna le nom de Heort. Il ne manqua pas à ses engagements et partagea trésors et bracelets pendant le festin. La salle s’élevait enfin haute et spacieuse; elle était réservée pour la flamme hostile. Le temps n’était pas loin encore où Hrothgar avait fait jurer fidélité à ses ennemis après les combats, quand l’esprit malfaisant commença à s’éveiller: du sein de ses ténèbres il entendait avec impatience les bruits joyeux qui chaque jour s’élevaient de la salle. Le son de la harpe et le chant du poëte y retentissaient. Un homme instruit en ces matières racontait l’antique origine des mortels; il disait que le Tout-Puissant avait créé la terre comme une belle plaine entourée par les eaux, qu’il avait posé le soleil et la lune comme des luminaires pour les habitants de la terre, qu’il avait revêtu les régions de la terre d’une parure de branches et de feuillages, qu’il avait aussi créé les êtres vivants de toute espèce. — Les guerriers vécurent ainsi dans la joie jusqu’au moment où un esprit infernal commença à machiner des forfaits; on l’appelait Grendel; il habitait les marais et les lieux inaccessibles depuis que Dieu l’avait maudit. (Le Seigneur éternel vengea le meurtre d’Abel sur la race de Caïn: celui-ci n’eut pas lieu de se réjouir de la haine qu’il avait encourue, car Dieu le punit de son crime en le bannissant loin de l’humanité. C’est de lui que sont venues toutes les races pernicieuses, les géants, les elfes et les monstres marins lesquels combattirent longtemps contre Dieu, mais Dieu les servit selon leur mérite). III Après que la nuit fut venue Grendel alla visiter le haut édifice et voulut voir comment les Danois s’y étaient logés à l’issue du festin. À l’intérieur il trouva la compagnie des nobles qui se livrait au sommeil, libre de tout souci. Le démon avide fut bientôt prêt et enleva trente chevaliers au repos. Il partit ensuite, fier de son butin, pour se rendre dans sa demeure. À l’aurore du jour l’attaque de Grendel fut découverte: des clameurs et un grand bruit matinal se firent alors entendre. — Hrothgar était maintenant tout rempli de tristesse; les soucis que lui causait le sort de ses chevaliers le tourmentait depuis que les traces de l’esprit infernal étaient apparues: cette guerre était trop terrible et trop longue. — La nuit suivante (et sans attendre davantage) Grendel commit de nouveaux meurtres et ne recula ni devant le combat ni devant les crimes: cette affliction s’était terriblement appesantie sur eux. — La haine de Grendel ayant été manifestée au roi par des signes certains il alla chercher dans le château un lieu de repos moins à l’étroit; celui qui avait échappé à l’ennemi se tenait désormais au loin et sur ses gardes. Grendel régna ainsi et combattit injustement seul contre eux tous jusqu’au jour où la plus belle des maisons devint déserte. Longue fut la durée de ses hostilités: pendant douze hivers les Scyldingas souffrirent toute espèce de maux, de terribles soucis; aussi des chants lugubres apportèrent aux hommes la nouvelle que Grendel avait engagé une longue guerre contre Hrothgar. (Le monstre porta longtemps la guerre chez les Danois, car il ne voulait épargner aucun homme de leur élite ni lâcher prise à aucun prix, en sorte que nul des conseillers du royaume ne pouvait espérer d’échapper à ses griffes par l’appât d’une haute rançon; l’esprit infernal s’emparait également des chevaliers et des hommes d’armes et les retenaient dans les fers. Il vivait dans une nuit continuelle, au milieu des marais brumeux; personne ne savait où il portait ses pas. — Tels étaient les nombreux crimes qu’il machinait. Il hantait Heort, la salle magnifique, pendant les nuits ténébreuses — Dieu, dont il ne connaissait pas l’amour, ne lui permit pas de s’emparer du trône: — ces ravages remplissaient Hrothgar de tristesse. Bien souvent le Conseil s’assemblait pour délibérer sur ce qu’il y aurait de mieux à faire pour arrêter ces attaques. Parfois ils promettaient de consacrer dans leurs temples leurs parures de guerre et priaient le démon de les secourir dans leurs calamités. — Telles étaient leurs coutumes païennes: leurs idées étaient tournées vers l’enfer; ils ne connaissaient pas le Créateur, ne savaient pas honorer Dieu. Malheur à celui qui, par une conduite déplorable précipitera son âme dans le feu et qui n’aura aucun espoir de voir finir ses maux! Heureux, au contraire, celui qui peut chercher après sa mort un refuge dans les bras de Dieu. IV C’est ainsi que l’affliction déchirait le fils de Healfdene, car il ne pouvait détourner les maux que lui causaient son ennemi: cette guerre, ce mal nocturne fait au peuple, était trop terrible et trop long! Le bruit des crimes de Grendel parvint jusqu’au chevalier de Hygelac qui était vaillant parmi les Goths et l’homme le plus fort de son temps. Il ordonna d’équiper un navire et dit qu’il irait trouver par mer Hrothgar, puisque ce roi avait besoin de monde. Les hommes sagaces ne blâmèrent point ce voyage bien que le chevalier leur fût cher: ils encouragèrent ce brave et ils tirèrent des augures favorables sur son entreprise. Beowulf avait choisi, parmi les Goths, les guerriers les plus hardis qu’il avait pu trouver. Ils s’embarquèrent à quinze dans le navire. Un homme, expert dans la navigation, les conduisit à la limite des terres. Le temps était passé; le bateau était sur les flots, remisé sous la falaise. Les guerriers étaient prêts; ils montèrent sur la proue. Les courants faisaient tordre la mer contre le rivage. Les guerriers portèrent au milieu du navire des équipements magnifiques, puis, commençant leur expédition volontaire, poussèrent leur navire au large. Poussé par un bon vent le navire fendit comme un oiseau les flots de la mer, en sorte que, vers la même heure du jour suivant, il arriva à un endroit d’où les navigateurs aperçurent la terre et virent briller les falaises, les rochers escarpés et les vastes promontoires marins: la mer était traversée et le voyage à sa fin. Les Wederas montèrent aussitôt sur le rivage et attachèrent leur navire (on entendit le cliquetis des cuirasses); ils rendirent leurs actions de grâce à Dieu de ce qu’ils avaient pu accomplir facilement leur voyage. Le garde-côte des Scyldingas vit du rivage les brillants boucliers et les équipements que l’on portait à terre; dans sa curiosité il chercha à deviner par des conjectures qui étaient ces hommes. Le serviteur de Hrothgar se rendit alors à cheval au rivage, puis secouant sa lance avec force, leur adressa ces questions: « Qui êtes-vous donc, vous qui conduisez ainsi, couverts de cottes de mailles et de parures guerrières, ce haut navire par dessus le détroit de la mer? Je suis le gardien de la côte et je dois veiller à ce qu’aucune flotte ennemie ne vienne ravager le pays des Danois. Jamais troupe guerrière n’est encore venue ici plus librement; cependant vous ignorez complètement si vous pouvez obtenir la permission de nos guerriers. — Jamais je n’ai vu un plus puissant chevalier que celui qui est au milieu de vous avec ses habits de guerre; un homme vulgaire ne porterait pas de pareilles armes; il doit être intrépide si son apparence ne me trompe pas. — Maintenant il me faut savoir votre origine avant que vous fassiez un pas de plus sur la terre des Danois. Écoutez donc mon simple conseil, ô habitants d’une région lointaine et navigateurs de la mer, mieux vaut dire au plus tôt le pays d’où vous venez! » V Le chef de la troupe répondit: « Nous sommes de la nation des Goths et des serviteurs de Hygelac. Mon père était célèbre parmi les peuples; on l’appelait Ecgtheow; il eut de longs jours et tous les sages de la terre se souviennent de lui. — Nous venons, dans un esprit de fidélité, trouver ton maître, le fils de Healfdene: puissent tes instructions nous être favorables! Nous apportons au seigneur des Danois un message important, mais rien n’en doit être caché, je pense. Tu dois savoir, si ce que nous avons entendu dire est vrai, que pendant les nuits obscures un ennemi inconnu manifeste sa haine contre les Scyldingas par la dévastation et le meurtre. Je peux donner un bon conseil à Hrothgar à ce sujet et l’aviser de la manière de terrasser l’ennemi: il faut savoir si le temps de tribulation peut cesser pour faire place à des jours meilleurs, ou bien s’il faut toujours que Hrothgar endure des souffrances tant que demeurera sur ses fondements le plus beau des édifices. Le gardien de la côte répondit: « Tout bon guerrier doit connaître la différence qui existe entre les paroles et les actes. J’entends dire que cette troupe est dévouée au seigneur des Scyldingas: venez, je vous servirai de guide. Je vais donner l’ordre à mes gens de bien garder votre barque contre tous les ennemis, afin qu’elle puisse porter de nouveau votre chef quand il retournera à la frontière des Wederas. Puisse-t-il être donné à un si vaillant guerrier de traverser sans accident la mêlée des batailles! » Ils partirent alors. — Le navire resta immobile, attaché à ses cordes, ferme sur son ancre. — Le signe du sanglier brillait sur les visières; le sanglier montait la garde. — Les guerriers marchèrent ensemble rapidement jusqu’au moment où il purent apercevoir Heort (c’était le plus beau des édifices sous le ciel et c’est là que se tenait Hrothgar; l’éclat de la salle se répandait sur de nombreux pays). Le gardien de la côte le leur montra, afin qu’ils pussent s’y rendre seuls, puis, faisant tourner bride à son cheval, il leur dit ces paroles: « Il est temps que je parte. Que la grâce du Père tout-puissant vous garde en santé pendant vos entreprises! Moi, je me rends à la mer pour monter la garde contre les ennemis. » VI La route était bigarrée de pierres; elle indiquait la direction aux guerriers. La cotte de mailles brillait, l’épée luisante chantait en se choquant contre les armures. Tout à coup ils arrivèrent à la salle. Ils déposèrent leurs larges boucliers contre le mur, puis se dirigèrent vers le banc. Un homme vint alors leur demander quelle était leur nation: « De quel endroit apportez-vous ces boucliers, ces chemises d’armes, ces casques et cette masse de lances? — Je suis l’envoyé et le serviteur de Hrothgar. Je n’ai pas encore vu un plus grand nombre de braves étrangers. J’espère que la hardiesse de votre esprit, et non la contrainte, vous a poussés à venir trouver Hrothgar. » Le prince des Goths répondit: « Nous sommes les compagnons de table de Hygelac; mon nom est Beowulf. Je veux délivrer mon message au fils de Healfdene si, toutefois, il nous accorde la faveur de le saluer. » Wulfgar, prince des Wendlas (il était renommé pour sa sagesse et sa vaillance) dit alors: « Je vais exposer ta requête au roi des Danois et lui parler de ton voyage, et je t’apporterai de suite la réponse qu’il me fera. » Il alla aussitôt à l’endroit où siégeait le vieux Hrothgar avec sa compagnie de nobles, et se plaçant sur le côté du roi (car il connaissait l’étiquette): « Il y a ici, dit-il, des Goths qui sont venus de loin en traversant la mer; ils nomment le principal d’entre eux Beowulf. Ils sollicitent de s’entretenir avec toi, ô mon prince! ne leur refuse pas la faveur d’une réponse. Ils paraissent être de braves guerriers; leur chef surtout est excellent. » VII Hrothgar, prince des Scyldingas, dit alors: « Je l’ai connu quand il était enfant. Son père s’appelait Ecgtheow; le Goth Hrethel lui donna en mariage sa fille unique. Son fils est venu ici trouver son fidèle ami. C’est de lui que les marins qui portaient le tribut aux Goths disaient qu’il avait dans le poing la force de trente hommes. Dieu l’envoie comme une bénédiction aux Danois de l’Ouest et afin que j’espère la fin de la guerre contre Grendel. Je veux lui offrir des trésors pour récompenser sa bravoure. Hâte-toi; dis leur d’entrer et de venir voir mes guerriers; dis leur aussi qu’ils sont les bienvenus chez les Danois. » Wulfgar alla alors à la porte de la salle et, de l’intérieur, il leur adressa ces paroles: « Mon seigneur le chef des Danois de l’Est me fait dire qu’il connaît votre race et qu’il vous souhaite la bienvenue. Vous pouvez entrer maintenant avec vos habits de guerre et vos casques, en la présence de Hrothgar, mais laissez vos boucliers attendre ici l’issue de l’entretien. » Beowulf se leva alors. Nombre de guerriers se pressèrent autour de lui; quelques uns restèrent, d’après son ordre, pour veiller aux équipements. Ils se rendirent en hâte sous le toit de Heort où les conduisait le chevalier. Beowulf alla à l’estrade et dit ces paroles (son armure faite de mailles cousues avec art par le forgeron brillait sur lui): « Salut, ô Hrothgar! Je suis le parent et le chevalier de Hygelac; j’ai fait dans ma jeunesse beaucoup d’actions d’éclat. J’ai appris l’affaire de Grendel dans ma patrie. Les marins racontent que cette salle magnifique devient déserte chaque soir après la fin du crépuscule. Les plus sages et les meilleurs de mes concitoyens m’ont conseillé de venir te trouver parce qu’ils connaissent ma force et qu’ils ont été eux-mêmes témoins de la manière dont j’avais échappé aux embûches, quand j’ai lié cinq ennemis et anéanti la race des géants, ou encore quand j’ai tué la nuit sur les flots les esprits des eaux et vengé les attaques contre les Goths. Maintenant c’est à Grendel seul qu’il faut faire le procès. — À présent, souverain des Beorht-Dene je vais t’adresser une prière; ne nous refuse pas à moi et à ma compagnie de chevaliers de nettoyer Heort. J’ai entendu dire que le monstre, dans son assurance, ne faisait aucun cas des armes, mais je t’affirme, par la faveur de Hygelac, mon seigneur, dont je jouis, que je dédaignerai de porter l’épée ou le large bouclier contre Grendel: c’est avec mon poing que je veux saisir l’ennemi et combattre l’implacable combat. Celui que la mort enlèvera croira à la puissance de Dieu. Je pense que si Grendel est vainqueur il voudra dévorer les hommes de Gothie comme il a dévoré souvent l’élite des Hrethmen. Tu n’as pas besoin de me donner de garde mais, si je meurs, Grendel voudra emporter mon cadavre sanglant, il consommera mes restes sans regret et il marquera les marais de mon sang. Ne t’attriste pas longtemps sur mon massacre. Envoie à Hygelac, si je péris dans le combat, la meilleure des cottes de mailles, celle que porte ma poitrine: c’est un héritage de Hrædla, un travail de Weland. Le sort est toujours le maître! » VIII Hrothgar roi des Scyldingas parla ensuite: « Tu es venu, mon cher Beowulf, combattre pour notre défense et nous apporter le salut. — Ton père livra autrefois un combat terrible: il tua Heatholaf chez les Wylfingas; les Wederas refusèrent de le recevoir à cause de cette action. Il vint de là, à travers les flots, visiter les Danois du Sud. J’étais jeune alors et je venais prendre les rênes du gouvernement des Danois; Heregar mon frère aîné, le fils de Healfdene, était mort (il était meilleur que je ne suis!). — Plus tard je composai pour ce meurtre; j’envoyai des objets de prix, par dessus la mer, aux Wylfingas. Ecgtheow me prêta serment. — J’ai peine à dire à qui que ce soit l’humiliation que Grendel m’a causée dans Heort. Les rangs de mes compagnons se sont éclaircis: le destin les a livrés à la haine du monstre. Dieu peut empêcher sans peine ce téméraire de commettre ses crimes. Bien souvent les guerriers, pendant le festin de la bière, ont promis de l’affronter dans la salle avec la pointe de l’épée; le lendemain au lever du jour la salle était tachée de sang. Le nombre de mes fidèles diminuait d’autant plus qu’ils m’étaient ravis par la mort. — Mais prends place au banquet et débarrasse tes hommes des règles de l’étiquette si cela te fait plaisir! » Après ces mots on fit place aux Goths sur les bancs de la salle du festin et les braves guerriers allèrent y prendre place. Un serviteur veillait à ce qu’il ne leur manquât de rien; il avait une cruche à la main et leur versait de la bière. De temps en temps le poète faisait entendre ses chants éclatants dans Heort, et la joie régnait parmi la foule des Danois et des Goths. IX Hunferth, fils d’Ecglaf, qui était assis aux pieds du prince des Scyldingas, parla ainsi (l’expédition de Beowulf le remplissait de chagrin, parce qu’il ne voulait pas convenir qu’aucun homme eût plus de gloire que lui-même): « N’es-tu pas le Beowulf qui essaya ses forces à la nage sur la mer immense avec Breca quand, par bravade, vous avez tenté les flots et que vous avez follement hasardé votre vie dans l’eau profonde? Aucun homme, qu’il fut ami ou ennemi, ne put vous empêcher d’entreprendre ce triste voyage. — Vous avez nagé alors sur la mer, vous avez suivi les sentiers de l’océan. L’hiver agitait les vagues. Vous êtes restés en détresse pendant sept nuits sous la puissance des flots, mais il t’a vaincu dans la joute parce qu’il avait plus de force que toi. Le matin, le flot le porta sur Heatho-ræmas et il alla visiter sa chère patrie le pays des Brondingas, où il possédait le peuple, une ville et des trésors. Le fils de Beanstan accomplit entièrement la promesse qu’il t’avait faite. — Quoique tu brilles dans tous les combats je crois qu’un sort plus terrible t’est réservé si tu oses passer une nuit auprès de Grendel. » Beowulf, fils d’Ecgtheow, répondit: « Combien de paroles tu as dites, excité par la bière, sur Breca et son voyage, mon ami Hunferth! Je te dis en vérité que j’avais plus de force pour résistera à la mer qu’aucun autre homme. Nous fîmes la promesse, quand nous étions encore jeunes, de risquer notre vie à la mer et nous tînmes notre parole. Nous avions une épée nue dans la main qui devait nous protéger contre les baleines pendant que nous nagerions sur les flots. Il ne put avancer plus rapidement que moi, et moi je ne voulus pas le quitter. Nous fûmes donc ensemble sur la mer pendant cinq nuits; puis les flots tumultueux, le temps glacial, la nuit obscure et le terrible vent du nord nous séparèrent. Les poissons marins étaient irrités. Ma cotte de mailles me protégea contre les ennemis: ce vêtement de guerre couvrait ma poitrine. L’ennemi m’entraîna au fond; il me tint sous sa griffe, mais je parvins à le frapper avec la pointe de mon épée: le monstre de mer périt par ma main dans le combat. » X « C’est ainsi que, souvent, les ennemis mirent ma vie en péril. Je les traitai avec ma chère épée comme il était juste; ils n’eurent pas lieu de se réjouir de l’abondance du festin ni de m’avoir entraîné près du fond de la mer pour me dévorer, car le matin ils étaient étendus sans vie sur le rivage et désormais ils ne barrèrent plus la route à ceux qui naviguent sur la mer. La lumière se fit dans l’est, le brillant flambeau de Dieu parut; les flots s’apaisèrent et je pus voir les promontoires marins et les côtes venteuses. Souvent le sort conserve la vie du brave! Il me permit même de tuer avec mon épée neuf niceras. Je n’ai pas connaissance qu’on ait combattu plus rude combat la nuit sous la voûte des cieux, ni qu’aucun homme ait été plus misérable sur les flots. Et cependant, quoique fatigué par le voyage, je sauvai ma vie de la griffe des ennemis. Les courants de la mer me portèrent sur le Finnaland. — Je n’ai jamais entendu dire que tu aies pris part à de semblables combats quoique tu sois le meurtrier de tes frères (tu souffriras pour ce fait la damnation dans l’enfer, bien que ton esprit soit subtil); jamais Breca, ni aucun de vous, n’a encore accompli de pareilles prouesses avec son épée (je ne m’en fais pas gloire.) Je te le dis en vérité, fils d’Ecglaf, jamais Grendel n’eut fait tant de maux à ton roi dans Heort si ton caractère était aussi belliqueux que tu le dis toi-même. Mais il a vu qu’il n’avait pas besoin de craindre trop les épées de votre peuple; il prend son tribut, il ne fait grâce à aucun Danois, il combat, dort et se gorge à plaisir sans redouter rien de vous. Bientôt cependant il aura affaire à la force et à l’héroïsme des Goths. — Que celui qui le pourra aille de nouveau prendre l’hydromel quand la lumière se fera demain sur les hommes et que le soleil brillera dans le sud! » Le prince des Beorht-Dene, ayant entendu ce discours, était heureux; il se fiait à Beowulf dont il venait d’entendre les paroles résolues. Alors on entendit les rires des guerriers et les joyeux propos. Wealhtheow, l’épouse de Hrothgar, qui se rappelait les règles de l’étiquette, alla saluer les guerriers dans la salle, et la noble femme présenta d’abord la coupe au roi en lui disant de se réjouir au festin de la bière. Le roi prit joyeusement la coupe. La reine fit alors le tour de l’assistance et présenta la coupe aux chevaliers de tout rang; le tour de Beowulf étant venu elle salua le prince Goth et remercia Dieu en de sages paroles de ce que le souhait qu’elle avait formé de pouvoir se confier dans un chevalier vengeur des crimes s’était accompli. Beowulf reçut la coupe des mains de Wealhtheow et, résolu au combat, il parla ainsi: « J’étais résolu, en m’embarquant sur la mer avec mes compagnons, de faire prévaloir entièrement la volonté de votre peuple ou de périr et d’être saisi par les griffes de l’ennemi. Je ferai des actions d’éclat ou mes jours trouveront leur issue dans cette salle de festin. » Ces paroles orgueilleuses du Goth plurent à la reine, qui alla prendre place auprès de son époux. Les conversations animées recommencèrent dans la salle jusqu’au moment où le fils de Healfdene se leva subitement pour aller prendre du repos; il savait que le combat contre le monstre était résolu… Pendant qu’ils purent voir la lumière du soleil jusqu’à ce que la nuit obscure se fut faite dans le ciel. — Tout le monde se leva. Hrothgar salua alors Beowulf; il lui délégua le pouvoir sur la salle et lui adressa ces paroles: « Jamais depuis que j’ai pu lever la main et le bouclier je n’ai confié à un homme la salle des Danois, si ce n’est à toi. Garde maintenant le plus beau des édifices; montre-toi soucieux de la gloire; fais des preuves de bravoure; veille sur l’ennemi! Tu ne manqueras pas de trésors si tu échappes la vie sauve à cette action! »