splash screen icon Lenndi
splash screen name leendi

Titre : Le papillon

Auteur : Henri-Frédéric Amiel Recueil : Grains de mil, 1854

I De fleur en fleur, papillon, Et de tige en tige, Beau d'or et de vermillon, Fin d'aigrette et d'aiguillon, Étourdi, voltige ! Dans la corolle, au matin, Comme une épousée Sous ses rideaux de satin, Furtif, d'un baiser lutin, Surprends la rosée. Toi qu'un zéphyr caressant Fit à l'aube éclore, Rêve ailé qui tremble et sent, Effleure tout, beau passant, Fils léger d'Aurore. II La vie, éclair qui s'enfuit, Dore toutes choses, Puis, les rendant à la nuit, Indifférente, poursuit Ses métamorphoses. Un point bleu, signe effrayant Que trace la joie, Rit sur tout front souriant, Mais au chagrin, trait fuyant, Désigne sa proie. Tu jouis : tu vas souffrir ; Vent qui souffle tombe ; Tout ce qui naît doit mourir ; La fleur germe pour fleurir, Fleurit pour la tombe. Astre qui, sur un fond noir, Naît, luit, vole et passe, Chaque être est brillant d'espoir, Mais, météore d'un soir, S'éteint dans l'espace. Bulle éblouissante aux yeux, Qu'un rayon allume, Où l'œil croit voir terre et cieux Qu'es-tu, monde sérieux ? Un jouet d'écume. Donc, papillon palpitant, Puisque monde ou rose Ne dure, hélas! qu'un instant, En ton vol, bel inconstant, Jamais ne te pose. III L'esprit creuse pour savoir L'effet et la cause Mais ce monde est un miroir ; L'esprit ne peut que s'y voir, Et l'énigme est close. Fouillant son problème ardu, Au profond de l'onde, Nuit et jour, l'œil éperdu Sonde... mais un plomb perdu N'est point une sonde. Ignorants, que pouvons-nous ? Mais cette impuissance Ne tourmente que les fous ; Tirons-en le miel si doux, Miel de jouissance. Donc, papillon, folâtrons De la plaine aux cimes ; Volons, demain nous mourrons ; Rions, demain nous irons Voir les grands abîmes. IV Ainsi tu fais, papillon A l'aile éphémère ; Et, narguant l'humble grillon, Inquiet, par tout sillon, Tu suis ta chimère. Fils de l'air, quand, parcourant Tout ton frais empire, Tu vas butinant, errant, Ton cœur libre, ô conquérant, Librement respire. Mais, fils du zéphyr, sens-tu Ce cœur qui soupire ? Cœur volage et combattu, Pourquoi soupirer ? Peux-tu, Peux-tu nous le dire ? V Ô papillon, de Psyché Magnifique emblème, En tout calice penché, Ton cœur avide a cherché, Recherché qui l'aime. Sais-tu, sous le dôme bleu, Sais-tu ce qu'on aime ! Ou ce que cherche en tout lieu La vierge aux ailes de feu, Cet autre toi-même ? Dans l'Olympe radieux, La vierge réclame Des mortels, des morts, des dieux, Son amant mystérieux, Et Psyché, c'est l'âme. Promenant par tout séjour Le deuil que tu cèles, Psyché-papillon, un jour Puisses-tu trouver l'Amour Et perdre tes ailes ! De fleur en fleur, papillon, Et de tige en tige, Fin d'aigrette et d'aiguillon, Beau d'or et de vermillon, Papillon, voltige !