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Titre : La nuit de Juin

Auteur : Léon Dierx

La nuit glisse à pas lents sous les feuillages lourds ; Sur les nappes d'eau morte aux reflets métalliques, Ce soir traîne là-bas sa robe de velours ; Et du riche tapis des fleurs mélancoliques, Vers les massifs baignés d'une fine vapeur, Partent de chauds parfums dans l'air pris de torpeur. Avec l'obsession rythmique de la houle, Tout chargés de vertige, ils passent, emportés Dans l'indolent soupir qui les berce et les roule. Les gazons bleus sont pleins de féeriques clartés ; Sur la forêt au loin pèse un sommeil étrange ; On voit chaque rameau pendre comme une frange, Et l'on n'entend monter au ciel pur aucun bruit. Mais une âme dans l'air flotte sur toutes choses, Et, docile au désir sans fin qui la poursuit, D'elle-même s'essaye à ses métempsycoses. Elle palpite et tremble, et comme un papillon, A chaque instant, l'on voit naître dans un rayon Une forme inconnue et faite de lumière, Qui luit, s'évanouit, revient et disparaît. Des appels étouffés traversent la clairière Et meurent longuement comme expire un regret. Une langueur morbide étreint partout les sèves ; Tout repose immobile, et s'endort ; mais les rêves Qui dans l'illusion tournent désespérés, Voltigent par essaims sur les corps léthargiques Et s'en vont bourdonnant par les bois, par les prés, Et rayant l'air du bout de leurs ailes magiques. - Droite, grande, le front hautain et rayonnant, Majestueuse ainsi qu'une reine, traînant Le somptueux manteau de ses cheveux sur l'herbe, Sous les arbres, là-bas, une femme à pas lents Glisse. Rigidement, comme une sombre gerbe, Sa robe en plis serrés tombe autour de ses flancs. C'est la nuit ! Elle étend la main sur les feuillages, Et tranquille, poursuit, sans valets et sans pages, Son chemin tout jonché de fleurs et de parfums. Comme sort du satin une épaule charnue, La lune à l'horizon sort des nuages bruns, Et plus languissamment s'élève large et nue. Sa lueur filtre et joue à travers le treillis Des feuilles ; et, par jets de rosée aux taillis, Caresse, en la sculptant dans sa beauté splendide, Cette femme aux yeux noirs qui se tourne vers moi. Enveloppée alors d'une auréole humide, Elle approche, elle arrive : et, plein d'un vague effroi, Je sens dans ces grands yeux, dans ces orbes sans flamme, Avec des sanglots sourds aller toute mon âme. Doucement sur mon cœur elle pose la main. Son immobilité me fascine et m'obsède, Et roidit tous mes nerfs d'un effort surhumain. Moi qui ne sais rien d'elle, elle qui me possède, Tous deux nous restons là, spectres silencieux, Et nous nous contemplons fixement dans les yeux.