Titre : La patrie empaillee
Auteur : Jacques Izoard
Qu'il avance la langue
et lui seront offerts les doigts,
les mains qui font la sourde épave.
Mince est la peau
près des yeux et des lèvres:
tire vers toi le regard,
le long vêtement de verre,
il y va de ta vie.
Seront déjà détruits papiers et animaux.
Les paroles mortes, quelle serre les contient?
J'irai dans l'hôpital ramasser les rapaces, les sangs éteints, les filons, déchirer l'emballage des corps et des fontaines.
La neige, sur les mains, brûle à peine.
Monts et merveilles ont des chemins de pluie.
Écriture d'enfant
donne bonne coquille
à ma bête, à mon dos rond.
Voici l'herbe éveillée,
l'entretien
des arbres et des laitiers,
le va-et-vient des langues.
La sainte épaule
est creuse et déserte;
nul ne se plaint des horloges,
nul ne se plaint des pies.
Puis-je?
Puis-je rose?
Puis-je enjamber le corps de l'âne ou de la rose?
Tout le serrement de l'ail vaut la patrie pourrie, la main qui coud la main, l'œil, l'œil, le cœur, l'aine, cachette
où les herbes les plus douces tissent l'onguent cruel.
Pays de la basse besogne, fourre langues et sabots de colles et de couleuvres !
Masque est cerisier, dont le vin accompagne discours bourrus et palabres.
Donne taloches, crachats.
Voix, la voix répète les mots replets, les jurons.
La masse d'herbe étouffe mon nom cité.
La rouille, l'endormeuse,
aux confins du sommeil,
la voici nue et belle,
habillant mes outils
de linges, de cagoules.
Ne rien savoir
des nerfs, des chemins,
des épaules, des échelles.
Dormir mène au sarcasme
des papiers qui brûlent,
des bavards sans rescousse.
Enfants allongés dans les poutres,
aux enjambées pliées,
qui se souvient de vous ?
Sous le papier, les veines
fouillent le bleu du corps,
le lierre au saccage incessant,
feu gonflé des charbons,
où meurent maints oiseaux,
où des aliments, des moignons,
des mouvements, des mécanismes
étouffent la baudruche et le gel,
et les vitres, dont nul reflet
n'ose briser la langueur.
Dès lors, qui s'empare
du mot «cavalcade» ?
Qui désigne, là-haut,
le hibou, le drapeau noir?
... commençâmes à la caresser le long de la jambe, à la toucher là où nous l'aimions : mais on voudrait que la maison fût sèche : escalier vieux, tout de
bois, tout de fleurs, de sucs tapis, caravane de velours, femme en langue, en odeur, aux coudes brisés, aux petits sabots de thym, aux cris minuscules de grêle et de citron.
En haillons, vit dans la maison
celui qui se souvient,
celui qu'on nomme
en fermant les yeux.
Membres, avalanches
ont goût de femmes.
Les salives enfantines
ont léché les bahuts.
Outils lourds des porchers.
Le corps se bande
sous la poutre.
Hennit, lointaine, la ville.
Proche, un cri.
Suture, tendons, seins.
La destruction continue.
Avec un bruit de laine et de muscles,
tu entres dans la chambre,
avec un bruit d'haleine et de sueur,
avec je ne sais quel ordre
sous tes vêtements.
Avec un bruit de fruit
touché du bout des ongles.
Quelles hautes échelles
dressent ici
leurs couleurs chaudes,
leurs longs manteaux ?
Rien ne dément
la nudité du corps.
Anatomie de l'œil : le sachet noir s'en va, la fille pille la chambre où je cachais l'intrus.
Le carcan rond gît dans le globe.
Et serre les poings, crieur sans tumulte.
Et dors sans haleine, puisque les doigts sont sourds et aveugles.
Sabot fermé ou cuit.
Cœur gauche qui bat.
Quelqu'un, dans la chambre, n'attend pas le gel, saisit le poing qui blesse, prend jambe ou papillon, fait tomber les échelles.
Demeure l'enfant qui parle à peine dans ses mains étouffées.
De quel racontar garder trame et vertige?
Au lieu-d'œil, j'arrondis l'horizon, je cherche à vaincre le doux chaos, le sang.
Par-dessus les vêtements,
la maison dort et protège
les pains, les enfants;
les papiers blancs demeurent
linceuls de mots;
dehors, pierres ou grenouilles
se font grosses.
On entend
marcher le houx.
Le verger fait le jardin.
Le bras, la toupie.
L'escroc succombe au vin:
la langue d'élève
repose
au panier des épices.
... coule autour de la quille, sait serrer hanche ou pied.
On aurait voulu monter vers l'épaule de l'épaule, vers la serre, le moignon clos, dont on dit l'embellie : tertre d'herbe ou de mousse, talus de thym, de fleurs.
Pouvions-nous voir les veines, les chevilles, les doigts nus? Étais-je sabre, papier plat, vin dans sabot?
Où j'entrerai,
je laisserai mes traces,
mes passages d'eau, de paroles.
Le devin, le hêtre
ont des goûts communs :
ceux qui parlent
les connaissent.
Feront le jeu
des chèvres et des tambours.
Mort aux voleurs de fruits, dès que les vêtements arrachent les morts à la rivière.
Coutre enveloppé de linges.
J'évoque la basse éclosion des œufs d'hiver, le dégât sans couleur des vergers effondrés, la longueur des langues et ce que nomment la phrase et le chemin.
À coupé les muscles, a détruit la maison.
Et dans l'œil, les herbes emplissent le regard, la cosse où je respire.
La pupille en son sud devient légère ou douce.
Et les lèvres ont touché la bonne haleine.
Herbe où siffle un feu bleu coule à la bonne heure au bout du champ clos.
L'enfant, dans son bonnet, recueille têtes d'oiseaux, pierres, phalanges, petits œufs, longues veines d'agneau, pattes d'arbre ou de rivière.
Nous avons un fourreau dans la jambe et le bras.
Enceinte où je sommeille, lenteur où je suis tambour d'herbes.
Déjà, nous écoutons l'œil, en ses plis, rouler pupille.
Et l'éveil dresse des étais de papier, des blocs, des poutrelles.
Nous avons devant nous le chemin, la rivière.
Je perds le bras,
je suis l'amant, la lavande.
Et c'est ceci qu'on touche :
le grès de l'œil.
Je pose au fond du pied
la boule de cuivre,
le poids mort du lavoir.
Verre, voici le verre,
le haut terrain du transparent.
Je t'aime, te fais lumière,
là, tu meurs fracas,
sans habits noirs,
sans blasphème d'oiseau,
sans fourrière, sans vêture.
Les doigts font tout : l'oignon pelé glace le sang; font la cuisine, font la langue au dos des coquilles.
Les maîtres de maison le savent et les protègent.
Juin, dans la craie, tue vergers et vertèbres.
Rien n'assourdit la saveur
de la pierre qui dort.
En son sommeil, la voici nue.
Elle garde le ventre blanc
de son séjour sur l'herbe.
Épines et vacances
font tambour ou bonheur.
Tu vis dans la jambe
où passe un chemin bleu.
Tu respires sans veines.
Tu déchires
tes vêtements déserts.
Sont sœurs
l'écriture et la foudre.
Mains de plus en plus petites.
Mains demain matin.
Observe le pays du doigt du milieu.
Laisse le pouce faire le sourd voleur, toucher la lampe allemande.
On te dira qu'il faut mouiller les lèvres ou dormir dans l'étang.
Bien enveloppes,
les cailloux demeurent secs.
Les vitres au sang à demi mendiant
craquaient sous le poids des oursins, des grenades.
Des grillons, nous conservions le chant,
la neige, la saleté, le foie.
Des matières - sueurs, châtaignes, œufs —
pourrissaient dans les lavoirs et les vergers.
Avions-nous besoin de charbon, de peste ?
Murmurions, clairs et châtrés,
«Typhus», «Pharaon».
Errions à travers
habitations, locaux, bâtisses.
Coulis déjà noir
quand le faucheur se couche.
Village à jambes
et à grêles, à cerises.
Village à jabot de buis,
je te connais, je te cache
dans le pommier nerveux.
Ce que tu diras demain,
de l'arbre et de la laine,
du temps clos, de la maison,
tu peux l'écrire ici, le lire.
Nerfs et encriers
n'ont plus de lave.
Où la pluie de laine
pleut, pleut la pluie avare.
La maison de quatre chambres
et de quatre enfants,
je la bâtirai sur.
Bossus de laine ou d'os
sont bossus de papier.
Le sable.
Le papier n'est que vitre ou carcasse, ou fracas de menus fragments d'écorce, éparpillement d'osselets.
Les délégués entrent.
Endormis, les papiers, les gués, les ponts, les tremplins.
Respirer devient une autre histoire.
Qui moud le givre
casse les grelots.
Sommes sorciers
ou glaneurs de glaïeuls.
Vous respirez toujours
sans savoir vivre,
ou grenades, ou garçons.
Et naît la ribambelle
des feux et des bébés.
Utilisons nos armes: juin sans empreintes, dessins de pouces, hivers, entrailles, anneaux, bouts de corde, arches et allahs, dès le lever du poing.
La main saisit le poing, le pays fleuri, la tempe, ou touche le papier wallon.
La cruche très longue dort dans un panier.
La maison salée vit dans l'oeil, cache le pouce.
Papier sans nom dans un désert proche.
Tissu, tabac, coq frêles.
Voici le commencement d'un court récit : se tiennent, se caressent.
Partout, les herbes, les ouvriers perdent patience.
Je parle arabe, arbre.
J'aime
pierre ponce, pouce barbare.
Je parle
à ceux qui parlent.
Parle en écrivant parle.
Écris parle et jette
l'anse et le seau.
L'eau vide
emplit le verre.
Avant de scier la jambe,
que l'œil soit noir !
Plie les doigts : tu allonges
le sang dans sa course,
où grossit la pelote du poing.
Les nerfs sont invisibles :
meurt comme verre
le bruit le plus lointain,
le silence où tu vis
de la tête aux pieds.
Les vêtements, les salives,
les besognes du rouet, les houx,
juin les dénonce.
L'herbe à cent goûts
dit l'obscur parfum
des sabots et des treilles.
Jambes coupées, j'observe
les épingles du jeu,
le chemin du voleur.
Le rémouleur évanoui dort dans ses couteaux.
Qui va chanter dans l'arbre ?
Le pont souverain dort aussi dans le fleuve.
Le pain doré, la fleur font merveille.
Suis-moi je te.
Touche terre et cèdre.
Donne aux voleurs tes habits.
Des papiers blancs, sur les portes, annoncent le sommeil.
Délivrés des veines, des ajoncs, nous respirons mieux : j'avoue que je tiens à la vie.
Hâve, parle à pierre-fendre: casse noyaux et fusils, casse la neige et l'alun, la vitre où bougent les gens lointains.
Ne bouge pas, serre à peine la main, le verre, le fragment de l'œil léger.
Haleine arabe, ô haleine où je dors, où j'étends la langue et la mèche.
L'huile inonde le poing.
Respire la menthe ou pille le gel.
Dans la maison, je vis, nous vivons tous la même vie, sans bras, sans jambes.
La maison vit dans la maison.
Mais on dort quand même.
La maison de deux étages abrite une famille de quatre.
On y trouve des arêtes, des noix, des peignes, des aiguilles, des boules de laine, des dents, des massacres d'enfants.
Je vais au village
assembler genoux et tortues,
bras et jambes,
et tirer au clair
le feu caché,
la huche engourdie,
le sommeil creux.
Garçons et filles seront
dans l'amandier.
Dans la maison, je vis, nous vivons tous la même vie, sans bras, sans jambes.
La maison vit dans la maison.
Mais on dort quand même.
La maison de deux étages abrite une famille de quatre.
On y trouve des arêtes, des noix, des peignes, des aiguilles, des boules de laine, des dents, des massacres d'enfants.
Je vais au village
assembler genoux et tortues,
bras et jambes,
et tirer au clair
le feu caché,
la huche engourdie,
le sommeil creux.
Garçons et filles seront
dans l'amandier.
L'hiver et les embrassades
cachent la fille de la fille.
Les castors ensommeillés,
les neiges guéries,
les mains craquées, les coups
de couteaux, de poings, de dés.
Corps léché, séché,
près des lavoirs et des mansardes,
où tu vis toi-même,
cadavre serré,
dont le pays est familier.
Je tiens le chiffon noir,
lancée de la pierre creuse
vers l'horloge, vers l'œil.
Les yeux bossus, partout,
dans les maisons de glaise,
dans les maisons de laine,
je les vois partout:
les seins absents, les tiges,
la neige entière, ce qu'on lie,
ce qu'on délie, les genoux
où le sel se cache,
voilà mes biens, mes systèmes.
Les griffes du lait gisent ; l'horloge est mon demi sabot.
Mes veines pourrissent.
Longue étape, long sommeil plein d'engelures et de pelades.
Demain, nous serons encombrés de ciseaux, de socs, de casse-tête, et la rouille nous étoufferait.
Aujourd'hui dort.
La faux cachée, l'enfant la cherche.
Le lard pend au plafond, le foin sèche.
Les femmes, au lavoir, meurent entre elles.
Touche le doux poignet du feu qui te lèche.
Les nerfs,
éparpillés dans l'école,
les criminels de dix-huit francs,
les érables de bonne chance.
Annonce l'octobre
où des jougs font craquer
serrures et vertèbres,
et membres de bois sec.
Nos sûrs chemins, nos balafres
dénoncent le sommeil.
Je n'oublie pas que j'
écris; la maison en surplomb
est haute et le toit.
Tout nous contraint.
J'écris sans écriture
sous la main,
sans l'embellie de l'herbe,
et sans voir, à vrai dire,
la voix grêle ou le tapage
de tel oiseau très long,
de telle pluie collée à l'ongle
Peut parler.
Guêpe enfantine, laitue.
Tu peux parler
de ton corps, de tes bras
sous les vêtements élimés;
sous les arbres, quelques coqs,
gonflés d'œufs, de champignons,
se gavaient de grains.
(J'étais épervier,
Marie.
J'étais soufflet, buis,
tout ce qu'on veut.)
Mes vêtements
certes, je les aime.
Mes vêtements sont d'herbes.
Nu, sous la faïence, sous l'école,
je dis :
les nœuds, les os blessent.
Les vêtements aimés
protègent les membres nus,
les jambes et les bras,
les épaules, les orifices.
On met l'ongle sous l'ongle et la vitre.
On observe : un tambour sonne creux, marmonne ou se plaint.
Des enfants ensablés écrivent ici leur nom.
L'ongle, sous l'ongle, attend l'eau, lèche le doigt.
Respirer l'haleine fait croire qu'on vit.
Devient-on vieux sous l'ongle où l'on vit?
J'étais déjà luxueux lutteur, ton éphémère, ton juin, ton tas de soldats, ton amoncellement de bras coupés.
Sec, le sommeil
craint le feu,
les nouveaux venus,
coupe le pouce,
amasse froments et falbalas.
Soudain, c'est la sève
où tout devient bleu :
jointures, anémones.
Nos allées, nos venues
ont des tambours de foin :
laveurs, filles enceintes
lèvent le poing.
Plumes et becs emplissent
la bouche, le port.
(Imprimés sur la peau,
jabots ou graffiti).
Les verres colorés
- léger orange ou bleu glacé -
deviennent plus épais.
Les épaules cachent le sang.
La maison, l'avouée,
nous la faisons tenir dans la vitre :
vois les seaux, les nids, les tuyaux.
Qui parla?
Voyelles, comme insectes.
(Ananas).
Quel cortège?
Quelles frasques?
Le corridor de sept mètres de long,
les voyageurs l'admirent, le touchent.
Des toiles d'araignées
évoquent pourtant la vie:
gorges, sabots, quenouilles, carcans.
Et le père, et le fils ont bu.
Et le fils vit encore,
courbé dans la coquille.
L'encre est sèche.
La femme coupe le blé.
Dans le poing mûrit le poing.
L'arbre casse le verre,
emporte la maison sans ficelles,
arrache emballage, alluvion.
Outils de verre ou de bois
sont dans la chambre.
Que pèse un feu clair?
Quelle clarté
caresse l'œil?
Oranges et capsules, épices
allongent le regard.
La main ne bouge pas, n'a pas de coque, n'a pas soif, n'appartient qu'au bras, qui, lui-même, n'appartient qu'à l'épaule, grenier léger des nerfs et des paroles.
Les doigts sont faibles, n'ont aucun recours contre le thé qui brûle.
J'allonge la jambe : élongation, soudain, de muscles et de muscles; déferlement d'oursins, de taches, de lézards hors de la demeure.
Glissent loin du corps : fraîcheur, douceur, saveur.
Le bois fut brûlé, brûle encore sous les vêtements, les muscles.
Hâte, en ce parfum, le retour noir, la vie
Main levée, tu cries.
C'est un sommeil nu que tu connais, c'est le refus fermé de la langue ou de l'œil.
La douceur avalée vient mourir sous la peau.
Salive hirsute !
Carcan peureux des noix, des dents qu'on casse !
Je mange avec toi le blé, la grenade.
Connais la maison, la serpe,
les hannetons, les hampes,
les tailles, les vélocipèdes
au fond du hangar,
les femmes contre l'arbre,
les endroits rouilles de la main,
le vésuve et la meuse,
les endormis empaillés,
dès que le jour tombe
et que les toupies font peur
aux enfants qui les aiment.
Caches : sangliers, abats, crécelles.
Et le nom des parties du corps :
épaule au feu de laquelle
tu saisis salive et blanc ;
pérou, ventre entier, nœuds
des muscles et des muscades,
et des tendons de
Pierre.
Tant d'autres s'affaissaient :
corps emboîté dans le corps,
genou dans le genou,
œil dans l'œil.
Poutre d'eau, bras d'encre.
Et nos parents de paille
qui disent non.
Défendue, la peau ne cède.
Déjà, des chemins, des ducs
font papier, font aventure.
Quel pantin de chaux
bourre de cris la ville?
Et les automnes, et les douanes
ont tôt fait de.
Et toi-même tu
déclares délicieux
tel massepain, tel fruit
que tu tiens à la main.