Titre : Le drap du temps
Auteur : Jean Ciphan
Il est peu de chemins de vie
Que nous n’ayons foulés ensemble...
Pourtant, parfois, un voile semble
Nous en faire quitter l’envie...
Le tissu des petits soupirs,
Des joies simples de l’existence,
Des regrets et des souvenirs
Bordés des perles de l’enfance,
Ce drap du temps qui nous unit
Depuis vingt ans de vie commune,
Tantôt s’effiloche et brunit,
Tantôt s’ourle au fil de fortune !
Voile à quatre épaules porté !
Traîne élevée par huit mains d’anges !
Les jours passent ! Printemps, été,
Pluie de soucis, soleils orange
Éclatant de rire au détour !
Larmes séchées d’un geste tendre,
Complicité d’un temps d’amour,
D’un moment passé à s’attendre !
Viennent les joies, s’enfuient les peines !
La vie n’est que la folle scène
Où parfois le voile trop lourd
Tombe en rideau ! Tout devient sourd...
Pourtant, un tour de manivelle :
À nouveau, le bonheur ruisselle !
Parfois, le voile flotte au vent,
Porteur du souffle des ébats
Auxquels se livrent, en combat,
Les désordres des sentiments...
Ses plis fous entravent la marche,
Les épaules sont égarées !
Renaît le calme ! Et sort de l’arche
Un couple de pigeons dorés...
Quand l’automne verra son tour
Nous rangerons le drap de vie
Pour tisser à fil assagi
Celui tranquille des vieux jours.
Il sera plié tendrement
Sur l’étagère qui accueille
Depuis déjà tantôt vingt ans
Ceux sur lesquels on se recueille.
Les doux tissus de nos enfances
Auront pris des plis de sagesse :
Effaçant ainsi les offenses
Le temps abolit la tristesse !
Restent les rires cristallins,
Les jeux fous, les secrets sublimes !
Espiègleries, petits câlins,
Confidences ! Bonbons volés !
Souvenirs que le cœur anime,
Dont tout chagrin s’est envolé !
Les mains d’anges auront forci.
Elles rangeront dans l’armoire
Le drap d’hiver qu’en raccourci
Aura tissé la belle histoire...
Enfouissant alors dans ses plis
Les déchirures d’existence
Qui se confondront dans l’oubli,
Elles tisseront à leur tour
Pour ceux qui leur devront naissance
Quelques beaux draps en fil d’amour.
Noces de porcelaine… 16 février 1983.
«Équipées sereines»