Titre : Le lièvre qui fait le brave
Auteur : Fénelon
Un Lièvre, qui était honteux d’être poltron, cherchait
quelque occasion de s’aguerrir. Il allait quelquefois
par un trou d’une haie dans les choux du jardin d’un
paysan, pour s’accoutumer au bruit du village.
Souvent même il passait assez près de quelques
mâtins, qui se contentaient d’aboyer après lui. Au
retour de ces grandes expéditions, il se croyait plus
redoutable qu’Alcide après tous ses travaux. On dit
même qu’il ne rentrait dans son gîte qu’avec des
feuilles de laurier, et faisait l’ovation. Il vantait ses
prouesses à ses compères les Lièvres voisins.
Il représentait les dangers qu’il avait courus, les
alarmes qu’il avait données aux ennemis, les ruses
de guerre qu’il avait faites en expérimenté capitaine,
et surtout son intrépidité héroïque. Chaque matin, il
remerciait Mars et Bellone de lui avoir donné des
talents et un courage pour dompter toutes les nations
à longues oreilles. Jean Lapin, discourant un jour avec lui, lui dit d’un ton moqueur :
« Mon ami, je te voudrais voir avec cette belle fierté au milieu d’une meute de chiens
courants. Hercule fuirait bien vite, et ferait une laide contenance.
— Moi, répondit notre preux chevalier, je ne reculerais pas quand toute la gent chienne
viendrait m’attaquer. »
À peine eût-il parlé, qu’il entendit un petit tournebroche d’un fermier voisin, qui glapissait
dans les buissons assez loin de lui. Aussitôt il tremble, il frissonne. il a la fièvre, ses yeux se
troublent, comme ceux de Paris quand il vit Ménélas qui venait ardemment contre lui. Il se
précipite d’un rocher escarpé dans une profonde vallée, où il pensa se noyer dans un
ruisseau. Jean Lapin, le voyant faire le saut, s’écria de son terrier :
« Le voilà, ce foudre de guerre! Le voilà, cet Hercule qui doit purger la terre de tous les
monstres dont elle est pleine ! »