Titre : Le phare
Auteur : Joseph Autran Recueil : Les Poèmes de la Mer, 1859
Parmi les noirs brisants où le flot tourbillonne,
Le phare vers la nue élève sa colonne.
Pilier de blocs massifs qu'unit un dur ciment,
Il surgit, solitaire, ainsi qu'un monument.
Des vagues, à ses pieds, la fureur se déchaîne :
On dirait que la mer assiège de sa haine
Cette tour qui, montrant le péril aux vaisseaux,
La frustre d'un butin convoité par ses eaux.
Le soir vient, l'horizon s'efface dans la brume :
Sur la tour, aussitôt, le fanal se rallume ;
Avant même qu'au ciel une étoile ait relui,
Un astre éclaire l'onde,- et cet astre, c'est lui !...
Foyer de vifs rayons dont la lueur éclate,
Il enflamme les airs d'une teinte écarlate ;
Et, sur l'Océan noir son reflet projeté
Semble un chemin de feu par la houle agité.
Averti des écueils dont ce bord se hérisse,
Le navire alors cherche une onde plus propice ;
Il veille à sa manœuvre, et, le long du canal,
Rend grâce en le fuyant au lumineux fanal.
Des nochers en péril ce guide manifeste
A d'autres voyageurs sera pourtant funeste.
Il en est qui par lui sont pris en trahison :
Ceux-là sont les oiseaux bercés à l'horizon,
Ce sont les passagers du vent et de la nue.
La saison froide et triste étant déjà venue,
En colonne, en triangle, ils traversaient les airs,
Cherchant au loin des cieux plus tièdes et plus clairs.
Voilà qu'au bord des flots l'ardent soleil du phare
Brille, et dans leur essor les trouble et les égare.
Eux qui des cieux profonds savent chaque sentier,
Qui firent sans erreur le tour du globe entier,
Pour la première fois suspendus par le doute,
Se laissent détourner de l'infaillible route ;
Ils veulent de plus près, dans l'ombre de la nuit,
Voir l'étrange soleil dont l'éclat les séduit.
Ainsi que dans un champ, par troupes inquiètes,
Descendent au miroir les jeunes alouettes ;
Comme le papillon, si fragile et si beau,
S'abandonne le soir à l'attrait du flambeau,
Ils viennent par essaims ; — ramiers blancs comme neige,
Pluviers, cailles, vanneaux, ils s'approchent du piège ;
Fascinés, éblouis, ils tournent ; je les vois
Autour du haut fanal voler tous à la fois.
En vain contre le charme ils voudraient se débattre ;
Dans le rayonnement de la clarté rougeâtre,
Ils sont pris de vertige... hélas ! Et tour à tour
Se brisent dans leur chute aux pierres de la tour.
Et la mer les saisit de ses promptes écumes ;
Et, flocons dispersés, le vent sème leurs plumes ;
Et le cri douloureux des blessés convulsifs
Se mêle au sourd fracas des flots dans les récifs.
Oiseaux infortunés ! Là-haut, près des nuages,
Vous poursuiviez en paix vos éternels voyages.
Conduits par un instinct si rarement déçu,
Au soleil véritable et d'avance aperçu
Vous alliez confiants : palmiers, claires fontaines,
Doux nids, vous appelaient aux régions lointaines.
Vous ne les verrez pas ; séduits par un faux jour,
Vous ne connaîtrez plus ni le ciel ni l'amour !
Hélas ! Telle est du sort la cruelle ironie :
On entrevoit de loin quelque sphère bénie ;
Plein des rêves sacrés du sage ou de l'amant,
Vers un but radieux on s'envole ardemment,
Et l'on meurt en chemin, et l'on tombe victime
D'un rayon qui vous ment et vous jette à l'abime !