Titre : Le sourire
Auteur : Jo Cassen
Le sourire
Pourquoi faut-il toujours s’attacher à sourire ?
Je ne me plierai pas au propos sibyllin,
Tant à vouloir le bien on passe pour vilain,
La fausse complaisance est un mal à proscrire.
Pour m’être fourvoyé, léger mais imprudent,
J’ai appris la réserve, et même s’il m’en coûte,
Je me garde du rire et j’élude le doute,
Car je ne puis risquer un effet impudent.
Notre monde à souhait se sustente d’horrible,
Les crimes et les dols, la souffrance d’enfants,
Alors dans l’anecdote et les on-dit bluffants;
Il semble malvenu le racontar terrible.
Chacun à sa façon reste maître absolu,
Prétend à se gérer, agir en autonome
Expert en tout sujet, l’excellence de l’homme,
Jaloux de son nombril, jamais irrésolu.
Pourquoi faut-il toujours s’attacher à sourire ?
Pour benêt satisfaire au réflexe courtois
Qui désigne plutôt l’hypocrite matois
Jouant l’émerveillé plus qu’on ne sait décrire ?
Les yeux sont ainsi faits, surtout pour ne pas voir
Le charmant, le hideux, mieux vaut faire l’autruche
Et se montrer ravi, se révéler baudruche,
Flatter « l’autre » innocent et ne pas décevoir.
Pourquoi s’illuminer d’un intérêt factice
Au récit d’un exploit médiocre ou banal,
Feindre d’être témoin d’un trait phénoménal,
Quand votre ennui s’installe appelant l’armistice ?
Ce sermon, humble avis, n’engagera que moi,
Ne vous obligez pas, car un discours utile,
Séduit très rarement la démarche infantile,
Il attise l’humeur et réveille l’émoi.
Alors, oui, je me tais et même vous conforte,
L’excès de politesse est un piteux respect,
La fausse déférence enivre le suspect ;
La bêtise commune est une place forte.