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François Coppée

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François Coppée, né le 26 janvier 1842 à Paris et mort le 23 mai 1908 dans la même ville, est un poète, dramaturge et romancier français. Coppée fut le poète populaire et sentimental de Paris et de ses faubourgs, des tableaux de rue intimistes du monde des humbles. Poète de la tristesse à la vue des oiseaux qui meurent en hiver (La Mort des oiseaux), du souvenir d'une première rencontre amoureuse (« Septembre, au ciel léger »), de la nostalgie d'une autre existence (« Je suis un pâle enfant du vieux Paris ») ou de la beauté du crépuscule (« Le crépuscule est triste et doux »), il rencontra un grand succès populaire.

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Poésies

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    François Coppée

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    Ferrum est quod amant À José Maria de Heredia. Sous les pleurs du jet d’eau qui bruit dans la vasque, Armide étreint les flancs du héros enchaîné. Près d’Ares, qui de sang ruisselle, Dioné Mêle ses fins cheveux aux crins rudes d’un casque Donc, ô femme, toujours ton caprice fantasque Aux boucles des brassards s’accroche fasciné. Ton orgueil, par le glaive absurde dominé, Tombe aux pieds des pesants pourfendeurs comme un masque. Si tu t’offres ainsi, lubrique, à ces vainqueurs, C’est qu’ils ont comme toi versé le sang des cœurs. C’est que ta lèvre rouge est pareille à des traces Sanglantes sur l’épée aux sinistres éclairs, Et que, mieux qu’au miroir, dans l’acier des cuirasses Tu te plais à mirer tes yeux cruels et clairs.

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    François Coppée

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    Innocence Si chétive, une haleine, une âme, L’orpheline du porte-clés Promenait dans la cour infâme L’innocence en cheveux bouclés. Elle avait cinq ans ; son épaule Était blanche sous les haillons ; Et, libre, elle emplissait la geôle D’éclats de rire et de rayons.

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    Intimités I Afin de louer mieux vos charmes endormeurs, Souvenirs que j’adore, hélas ! et dont je meurs, J’évoquerai, dans une ineffable ballade, Aux pieds du grand fauteuil d’une reine malade, Un page de douze ans aux traits déjà pâlis, Qui, dans les coussins bleus brodés de fleurs de lys, Soupirera des airs sur une mandoline, Pour voir, pâle parmi la pâle mousseline, La reine soulever son beau front douloureux, Et surtout pour sentir, trop précoce amoureux, Dans ses lourds cheveux blonds, où le hasard la laisse, Une fiévreuse main jouer avec mollesse. Il se mourra du mal des enfants trop aimés ; Et, parfois, regardant par les vitraux fermés La route qui s’en va, le nuage qui passe, La voile sur le fleuve et l’oiseau dans l’espace, La liberté, l’azur, le lointain, l’horizon, Il songera qu’il est heureux dans sa prison, Qu’aux salubres parfums des forêts il préfère La chambre obscure et son étouffante atmosphère, Que ces choses ne lui font rien, qu’il aime mieux Sa mort exquise et lente, et qu’il n’est envieux Que si, par la douleur arrachée à son rêve, La reine sur le coude un moment se soulève Et regarde longtemps de ses yeux assoupis Le lévrier qui dort en rond sur le tapis. II Elle viendra ce soir ; elle me l’a promis. Tout est bien prêt. Je viens d’éloigner mes amis, De brûler des parfums, d’allumer les bougies Et de jeter au feu les fades élégies Que j’ai faites alors qu’elle ne venait pas ; Et j’attends. Tout à l’heure elle viendra. Son pas Retentira, léger comme un pas de gazelle, Et déjà ce seul bruit me paiera de mon zèle. Elle entrera, troublée et voilant sa pâleur. Nous nous prendrons les mains, et la douce chaleur De la chambre fera sentir bon sa toilette. O les premiers baisers à travers la voilette ! III C’est lâche ! J’aurais dû me fâcher, j’aurais dû Lui dire ce que c’est qu’un bonheur attendu Si longtemps et qui manque, et qu’une nuit pareille Qu’on passe, l’œil fixé sur l’horloge et l’oreille Tendue au moindre bruit vague de l’escalier. C’est lâche ! J’aurais dû me faire supplier, Avoir à pardonner la faute qu’on avoue Et boire en un baiser ses larmes sur sa joue. Mais elle avait un air si tranquille et si doux Qu’en la voyant je suis tombé sur les genoux ; Et, me cachant le front dans les plis de sa jupe, J’ai savouré longtemps la douceur d’être dupe. Je n’ai pas exigé de larmes ni d’aveux, Car ses petites mains jouaient dans mes cheveux ; Tandis que ses deux bras m’enlaçaient de leur chaîne, D’avance j’absolvais la trahison prochaine. Et, vil esclave heureux de reprendre ses fers, J’ai demandé pardon des maux que j’ai soufferts. IV Il faisait presque nuit. La chambre était obscure. Nous étions dans ce calme alangui que procure La fatigue, et j’étais assis à ses genoux. Ses yeux cernés, mais plus caressants et plus doux, Se souvenaient encor de l’extase finie, Et ce regard voilé, long comme une agonie, Me faisait palpiter le cœur à le briser. Le logis était plein d’une odeur de baiser. Ses magnétiques yeux me tenaient sous leurs charmes ; Et je lui pris les mains et les couvris de larmes. Moi qui savais déjà l’aimer jusqu’à la mort, Je vis que je l’aimais bien mieux et bien plus fort Et que ma passion s’était encore accrue. Et j’écoutais rouler les fiacres dans la rue. V Sa chambre bleue est bien celle que je préfère. Mon bouquet du matin s’y fane, et l’atmosphère Languissante s’empreint de parfums assoupis ; Les longs et fins rideaux, tombant sur le tapis, Attendrissent encor le jour discret et sobre Que leur verse une tiède après-midi d’octobre. Au coin du feu mourant deux fauteuils rapprochés Semblent causer entre eux de nos prochains péchés. Un coussin traîne là sans raison ; mais le fourbe S’offrira tout à l’heure au genou qui se courbe. VI La plus lente caresse, amie, est la meilleure, N’est-ce pas ? Et tu hais l’instant funeste où l’heure Rappelle avec son chant métallique et glacé Qu’il se fait tard, très tard, et qu’il est dépassé Déjà le temps moral d’un bain ou d’une messe ; Car ce sont les adieux alors et la promesse De revenir. — Et puis nous oublions encor ! Mais l’horloge implacable avec son timbre d’or Recommence. Tu veux te sauver ; tu te troubles. Hélas ! et nous devons mettre les baisers doubles. VII Septembre au ciel léger taché de cerfs-volants Est favorable à la flânerie à pas lents, Par la rue, en sortant de chez la femme aimée, Après un tendre adieu dont l’âme est parfumée. Pour moi, je crois toujours l’aimer mieux et bien plus Dans ce mois-ci, car c’est l’époque où je lui plus. L’après-midi, je vais souvent la voir en fraude ; Et, quand j’ai dû quitter la chambre étroite et chaude, Après avoir promis de bientôt revenir, Je m’en vais devant moi, distrait. Le Souvenir Me fait monter au cœur ses effluves heureuses ; Et de mes vêtements et de mes mains fiévreuses Se dégage un arome exquis et capiteux, Dont je suis à la fois trop fier et trop honteux Pour en bien définir la volupté profonde, — Quelque chose comme une odeur qui serait blonde. VIII Le crépuscule est triste et doux comme un adieu. À l’orient déjà, dans le ciel sombre et bleu Où lentement la nuit qui monte étend ses voiles, De timides clartés, vagues espoirs d’étoiles, Contemplent l’occident clair encore, y cherchant Le rose souvenir d’un beau soleil couchant. Le vent du soir se tait. Nulle feuille ne tremble, Même dans le frisson harmonieux du tremble ; Et l’immobilité se fait dans les roseaux Que l’étang réfléchit au miroir de ses eaux. En un parfum ému chaque fleur s’évapore Pure, et les rossignols ne chantent pas encore. Pour échanger tout bas nos éternels aveux, Chère, nous choisirons cette heure, si tu veux. Nous prendrons le chemin tournant de la colline. Mon front se penchera vers ton front qui s’incline ; Et nos baisers feront des concerts infinis, Si doux que les oiseaux, réveillés dans leurs nids, Trouveront la musique, à cette heure, indiscrète Et se demanderont quelle bergeronnette Ou quel chardonneret est assez débauché Pour faire l’amour quand le soleil s’est couché. IX À Paris, en été, les soirs sont étouffants. Et moi, noir promeneur qu’évitent les enfants, Qui fuis la joie et fais, en flânant, bien des lieues, Je m’en vais, ces jours-là, vers les tristes banlieues. Je prends quelque ruelle où pousse le gazon Et dont un mur tournant est le seul horizon. Je me plais dans ces lieux déserts où le pied sonne, Où je suis presque sûr de ne croiser personne. Au-dessus des enclos les tilleuls sentent bon ; Et sur le plâtre frais sont écrits au charbon Les noms entrelacés de Victoire et d’Eugène, Populaire et naïf monument, que ne gêne Pas du tout le croquis odieux qu’à côté A tracé gauchement, d’un fusain effronté, En passant après eux, la débauche impubère. Et quand s’allume au loin le premier réverbère, Je gagne la grand’rue, où je puis encor voir Des boutiquiers prenant le frais sur le trottoir, Tandis que, pour montrer un peu ses formes grasses, Avec son prétendu leur fille joue aux grâces. X Je suis un pâle enfant du vieux Paris, et j’ai Le regret des rêveurs qui n’ont pas voyage. Au pays bleu mon âme en vain se réfugie, Elle n’a jamais pu perdre la nostalgie Des verts chemins qui vont là-bas, à l’horizon. Comme un pauvre captif vieilli dans sa prison Se cramponne aux barreaux étroits de sa fenêtre Pour voir mourir le jour et pour le voir renaître, Ou comme un exilé, promeneur assidu, Regarde du coteau le pays défendu Se dérouler au loin sous l’immensité bleue, Ainsi je fuis la ville et cherche la banlieue. Avec mon rêve heureux j’aime partir, marcher Dans la poussière, voir le soleil se coucher Parmi la brume d’or, derrière les vieux ormes, Contempler les couleurs splendides et les formes Des nuages baignés dans l’occident vermeil, Et, quand l’ombre succède à la mort du soleil, M’éloigner encor plus par quelque agreste rue Dont l’ornière rappelle un sillon de charrue, Gagner les champs pierreux, sans songer au départ, Et m’asseoir, les cheveux au vent, sur le rempart. Au loin, dans la lueur blême du crépuscule, L’amphithéâtre noir des collines recule, Et, tout au fond du val profond et solennel, Paris pousse à mes pieds son soupir éternel. Le sombre azur du ciel s’épaissit. Je commence À distinguer des bruits dans ce murmure immense, Et je puis, écoutant, rêveur et plein d’émoi, Le vent du soir froissant lés herbes près de moi, Et, parmi le chaos des ombres débordantes, Le sifflet douloureux des machines stridentes, Ou l’aboiement d’un chien, ou le cri d’un enfant, Ou le sanglot d’un orgue au lointain s’étouffant, Ou le tintement clair d’une tardive enclume, Voir la nuit qui s’étoile et Paris qui s’allume. XI Elle est un peu pédante, et, lorsque nous lisons, Tout en laissant rôtir sa pantoufle aux tisons, Elle laisse échapper un fin mot de critique. Moi, comme j’ai fait choix d’un livre sympathique, Comme il est quelquefois signé par un ami, Je le défends, mais trop faiblement, à demi, Les amoureux ayant des lâchetés infâmes. — Les poètes pourtant sont bien compris des femmes, Non ceux que le lyrisme emporte aux fiers sommets, Mais les doux, les souffrants, mais Sainte-Beuve, mais Musset, quand il s’abstient de rire, et Baudelaire, Lorsque pour engourdir son mal et sa colère Il se plonge dans les parfums lourds de langueur. — Elle aime ces divers interprètes du cœur. Moi, je lis à ses pieds et relis le passage Où, comme elle l’a dit, l’auteur n’était pas sage, Doux nid de vers où des baisers étaient tapis. Et le livre souvent tombe sur le tapis. XII Quelquefois tu me prends les mains et tu les serres, Tu fixes sur les miens tes yeux bons et sincères, Et, me parlant avec cette ferme douceur Qui tient du camarade et qui tient de la sœur, Mêlant dans tes discours les douces réprimandes Aux encouragements tendres, tu me demandes Quelles longues douleurs et quels chagrins aigris M’ont fait le front si pâle et les yeux si meurtris. Je prétexte d’abord des tristesses confuses, Des ennuis qu’il vaut mieux taire ; mais tu refuses De me croire, et j’avoue un souci bien banal. Je te confie alors, tout honteux, qu’un journal Qui trouve des oisifs quelconques pour le lire Vient d’insulter mon art, mes frères et la Lyre, Que je m’en suis ému, mais que je m’y ferai. — Alors, amie, avec ton regard préféré, Qui se charge un moment de bienveillants reproches, Pour me mettre les bras au cou tu te rapproches, Et, donnant à ta voix son charme captivant, Tu me railles tout bas, et tu me dis : — « Enfant ! Enfant, qui se permet de garder ce front blême Et ces grands yeux remplis de chagrin, quand on l’aime ! Ces poètes ingrats ! ils sont trop adorés. Nous les reconnaissons à leurs beaux doigts dorés Encor d’avoir saisi les papillons du rêve, Et nous sentons frémir nos cœurs de filles d’Ève. C’est d’abord un attrait vaguement vaniteux Qui nous séduit ; car nous savons que ce sont eux Qui domptent la pensée et le rythme rebelles Pour dire aux temps futurs combien nous fumes belles. Mais, les Èves toujours écoutant les démons, Nous les aimons, et puis après nous les aimons Encor, parce qu’eux seuls savent parler aux femmes. Ainsi donc vous auriez les rêves et les âmes, Poètes, vous seriez les heureux, vous auriez La rose qui parfume et fleurit vos lauriers, Vous auriez cette joie, et, parce que l’envie Aura mordu le vers qu’une femme ravie La veille avait trouvé peut-être le plus beau, Ainsi qu’un écolier qui se plaint d’un bobo, Vous nous reviendriez tout pleurants et moroses ! » — Je t’écoute, mignonne, et tu me dis ces choses D’un accent qui caresse et, doucement moqueur, Éveille la gaîté franche qui vient du cœur Et tu me les redis jusqu’à ce qu’applaudisse Ma pensée oubliant la haine et l’injustice ; Et tu n’en parles plus que lorsque l’entretien Te fait bien voir mon cœur heureux comme le tien. Ainsi nous devisons longtemps à l’aventure ; Et, quand c’est bien assez parler littérature, Afin que ton conseil me soit plus précieux, Tu me fais le baiser que tu sais, sur les yeux. XIII Le soleil froid donnait un ton rose au grésil, Et le ciel de novembre avait des airs d’avril. Nous voulions profiter de la belle gelée. Moi chaudement vêtu, toi bien emmitouflée Sous le manteau, sous la voilette et sous les gants, Nous franchissions, parmi les couples élégants, La porte de la blanche et joyeuse avenue, Quand soudain jusqu’à nous une enfant presque nue Et livide, tenant des fleurettes en main, Accourut, se frayant à la hâte un chemin Entre les beaux habits et les riches toilettes, Nous offrir un petit bouquet de violettes. Elle avait deviné que nous étions heureux Sans doute et s’était dit : Ils seront généreux. Elle nous proposa ses fleurs d’une voix douce, En souriant avec ce sourire qui tousse. Et c’était monstrueux, cette enfant de sept ans Qui mourait de l’hiver en offrant le printemps. Ses pauvres petits doigts étaient pleins d’engelures. Moi, je sentais le fin parfum de tes fourrures, Je voyais ton cou rose et blanc sous la fanchon, Et je touchais ta main chaude dans ton manchon. — Nous fîmes notre offrande, amie, et nous passâmes ; Mais la gaîté s’était envolée, et nos âmes Gardèrent jusqu’au soir un souvenir amer. Mignonne, nous ferons l’aumône cet hiver. XIV Je ne suis plus l’entant et tu n’es plus l’espiègle Qui naguère, le long des verts épis de seigle, Effarions les oiseaux du printemps par nos jeux, Ou qui marchions, le long des aubépins neigeux Dont la branche en passant vous taquine et vous frôle, Enlacés et l’épaule appuyée à l’épaule, Parlant tout bas d’amour qu’on ne peut épuiser, Et ton front juste à la hauteur de mon baiser. Six ans se sont passés depuis lors, six années ! Et le beau temps n’est plus des blondes matinées, Du ciel dans le regard, du vent dans les cheveux, De la lèvre chanteuse et facile aux aveux, Et des perles d’argent du rire qui s’égrène Comme une fleur qui sème au loin sa folle graine. — Nous ne regrettons pas, sans doute, nos vingt ans, Car notre amour loyal grandit avec le temps ; Mais le mien ne devient ni courageux ni mule. Je suis toujours enfant pour souffrir ; et plus pâle Est mon front, et mon cœur plus sombre et plus amer. Tel qu’à l’écueil revient le lourd paquet de mer, La cigogne au clocher, et la flèche à la cible, Tel je reviens toujours à mon rêve impossible, À ton amour pour moi, qui te met en danger ; Aux courts instants d’oubli qu’il nous faut abréger, Car nous savons tous deux qu’un espion les compte ; À ce bonheur, que nous cachons comme une honte ; À ce logis, que j’ose à peine orner de fleurs, Où je viens en secret, comme font les voleurs, Et dans lequel tu vis, hélas ! emprisonnée ; À tes chagrins, et puis à la vingtième année ; Au temps des longs chemins qu’on fait à petits pas, Échangeant des serments légers, ne sachant pas Qu’il faudra tant souffrir et que c’est pour la vie ; Au bon temps où, parmi la nature ravie, On s’aime en ne songeant qu’à la beauté des cieux ; — Et je t’écris cela les larmes dans les yeux. XV Au fond je suis resté naïf, et mon passé, Bien que sombre, n’a pas tout à fait effacé De mon cœur la première et candide chimère ; Et, lorsque je rencontre allant devant leur mère, Timides sous les yeux ardents des connaisseurs, Deux fillettes de seize à dix-huit ans, deux sœurs Se ressemblant, avec d’identiques toilettes, Et portant, comme deux joyeuses goélettes Dont les mêmes couleurs pavoisent les haubans, Le même air d’innocence et les mêmes rubans, Je suis heureux ; j’en ai quelquefois pour des heures À me bercer alors d’espérances meilleures, À rêver d’un doux nid, d’un amour de mon choix Et d’un bonheur très long, très calme et très bourgeois. J’imagine déjà la saveur indicible Du livre qu’on ferait près du foyer paisible, Tandis qu’une adorée, aux cheveux blonds ou noirs, Promènerait les flots neigeux de ses peignoirs Par la chambre à coucher étroite et familière, Pour allumer la lampe et remplir la théière. Mais cette illusion ne dure pas longtemps. Et tu reviens avec tes désirs irritants, Passé, passé fatal, par qui ma vie est prise, Poison amer et doux, dont on meurt, mais qui grise ! Et toutes les ardeurs du mauvais souvenir, Qui viennent s’imposer à mes sens et ternir Les naïves blancheurs à peine encore écloses, Sont comme des moineaux qui, dans le mois des roses, S’installeraient, parmi tous les autres jardins, Pour prendre leurs ébats effrontés et badins, Se becqueter à l’aise et palpiter des ailes, Dans un pensionnat déjeunes demoiselles. XVI L’autre soir, en parlant à cette jeune fille D’un rien, du chiffon blanc que brodait son aiguille, Du ruban que parmi ses nattes elle avait, Vain prétexte pour mieux admirer le duvet Des petits cheveux blonds frisant près de l’oreille Et cette ombre, au reflet d’une rose pareille, Du menton mollement replié sur le cou, Tout en causant, je fis, dis-je, ce rêve fou : Que rien n’était charmant comme une demi-teinte, Que cette enfant avait la timidité sainte Des longs cils d’or voilant les chastes regards bleus, Et des gestes d’hermine effrayés et frileux ; Et déjà ma pensée absorbante et jalouse Se la représentait comme une blanche épouse, Pure et douce, au milieu d’un frais intérieur Égayé par les jeux d’un bel enfant rieur. Et cette impression qu’elle m’avait donnée Dura le lendemain toute la matinée, Si bien que j’espérais presque un amour naissant. Le bon rêve ! j’étais comme un convalescent Faible encore et fiévreux, mais qui se sent renaître Et qui, dans les coussins, auprès de sa fenêtre, Devant un ciel d’avril plein d’azur rajeuni, Sourit en se disant que tout n’est pas fini, Tandis qu’un feu discret meurt dans les cendres chaudes Et qu’il voit au jardin en vives émeraudes Sur les arbustes noirs éclater les bourgeons. Les nuages, avec lesquels nous voyageons, Lui parlent d’horizon, d’air pur, de libres courses Dans les grands bois charmés du murmure des sources, De la ferme, avec son bonnet de chaumes blonds, Croulante sous l’assaut fantasque des houblons Et de loin devinée à son odeur d’étable, Où, vers le soir, dans la salle basse, on s’attable ; Et, tout en caressant son menton amaigri, Heureux, tendre, oubliant déjà son mal guéri, Qui lui fut un miroir des amitiés fidèles, Il songe au tout prochain retour des hirondelles.

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    François Coppée

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    Janvier Songes-tu parfois, bien-aimée, Assise près du foyer clair, Lorsque sous la porte fermée Gémit la bise de l’hiver, Qu’après cette automne clémente, Les oiseaux, cher peuple étourdi, Trop tard, par un jour de tourmente, Ont pris leur vol vers le Midi ; Que leurs ailes, blanches de givre, Sont lasses d’avoir voyagé ; Que sur le long chemin à suivre Il a neigé, neigé, neigé ; Et que, perdus dans la rafale, Ils sont là, transis et sans voix, Eux dont la chanson triomphale Charmait nos courses dans les bois ? Hélas ! comme il faut qu’il en meure De ces émigrés grelottants ! Y songes-tu ? Moi, je les pleure, Nos chanteurs du dernier printemps. Tu parles, ce soir où tu m’aimes, Des oiseaux du prochain Avril ; Mais ce ne seront plus les mêmes, Et ton amour attendra-t-il ?

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    François Coppée

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    Juin Dans cette vie ou nous ne sommes Que pour un temps si tôt fini, L’instinct des oiseaux et des hommes Sera toujours de faire un nid ; Et d’un peu de paille ou d’argile Tous veulent se construire, un jour, Un humble toit, chaud et fragile, Pour la famille et pour l’amour. Par les yeux d’une fille d’Ève Mon coeur profondément touché Avait fait aussi ce doux rêve D’un bonheur étroit et caché. Rempli de joie et de courage, A fonder mon nid je songeais ; Mais un furieux vent d’orage Vient d’emporter tous mes projets ; Et sur mon chemin solitaire Je vois, triste et le front courbé, Tous mes espoirs brisés à terre Comme les oeufs d’un nid tombé.

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    François Coppée

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    J’adore la banlieue avec ses champs en friche J’adore la banlieue avec ses champs en friche Et ses vieux murs lépreux, où quelque ancienne affiche Me parle de quartiers dès longtemps démolis. Ô vanité ! Le nom du marchand que j’y lis Doit orner un tombeau dans le Père-Lachaise. Je m’attarde. Il n’est rien ici qui ne me plaise, Même les pissenlits frissonnant dans un coin. Et puis, pour regagner les maisons déjà loin, Dont le couchant vermeil fait flamboyer les vitres, Je prends un chemin noir semé d’écailles d’huîtres

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    François Coppée

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    La bénédiction Or, en mil huit cent neuf, nous prîmes Saragosse. J’étais sergent. Ce fut une journée atroce. La ville prise, on fit le siège des maisons, Qui, bien closes, avec des airs de trahisons, Faisaient pleuvoir les coups de feu par leurs fenêtres. On se disait tout bas : « C’est la faute des prêtres. » Et, quand on en voyait s’enfuir dans le lointain, Bien qu’on eût combattu dès le petit matin, Avec les yeux brûlés de poussière et la bouche Amère du baiser sombre de la cartouche, On fusillait gaîment et soudain plus dispos Tous ces longs manteaux noirs et tous ces grands chapeaux. Mon bataillon suivait une ruelle étroite. Je marchais, observant les toits à gauche, à droite, A mon rang de sergent, avec les voltigeurs, Et je voyais au ciel de subites rougeurs Haletantes ainsi qu’une haleine de forge. On entendait des cris de femmes qu’on égorge, Au loin, dans le funèbre et sourd bourdonnement. Il fallait enjamber des morts à tout moment. Nos hommes se baissaient pour entrer dans les bouges, Puis en sortaient avec leurs baïonnettes rouges, Et du sang de leurs mains faisaient des croix au mur, Car dans ces défilés il fallait être sûr De ne pas oublier un ennemi derrière. Nous allions sans tambour et sans marche guerrière. Nos officiers étaient pensifs. Les vétérans, Inquiets, se serraient des coudes dans les rangs Et se sentaient le cœur faible d’une recrue. Tout à coup, au détour d’une petite rue, On nous crie en français : « À l’aide ! » En quelques bonds Nous joignons nos amis en danger et tombons Au milieu d’une belle et grave compagnie De grenadiers chassés avec ignominie Du parvis d’un couvent seulement défendu Par vingt moines, démons noirs au crâne tondu. Qui sur la robe avaient la croix de laine blanche, Et qui, pieds nus, le bras sanglant hors de la manche, Les assommaient à coups d’énormes crucifix. Ce fut tragique : avec tous les autres je fis Un feu de peloton qui balaya la place. Froidement, méchamment, car la troupe était lasse Et tous nous nous sentions des âmes de bourreaux, Nous tuâmes ce groupe horrible de héros. Et cette action vile une fois consommée, Lorsque se dissipa la compacte fumée, Nous vîmes, de dessous les corps enchevêtrés, De longs ruisseaux de sang descendre les degrés. — — Et, derrière, s’ouvrait l’église, immense et sombre. Les cierges étoilaient de points d’or toute l’ombre ; L’encens y répandait son parfum de langueur ; Et, tout au fond, tourné vers l’autel, dans le chœur, Comme s’il n’avait pas entendu la bataille, Un prêtre en cheveux blancs et de très haute taille Terminait son office avec tranquillité. Ce mauvais souvenir si présent m’est resté Qu’en vous le racontant je crois tout revoir presque : Le vieux couvent avec sa façade moresque, Les grands cadavres bruns des moines, le soleil Faisant sur les pavés fumer le sang vermeil, Et, dans l’encadrement noir de la porte basse, Ce prêtre et cet autel brillant comme une châsse, Et nous autres cloués au sol, presque poltrons. Certes, j’étais alors un vrai sac à jurons, Un impie ; et plus d’un encore se rappelle Qu’on me vit une fois, au sac d’une chapelle, Pour faire le gentil et le spirituel, Allumer une pipe aux cierges de l’autel. Déjà j’étais un vieux traîneur de sabretache ; Et le pli que donnait ma lèvre à ma moustache Annonçait un blasphème et n’était pas trompeur. — Mais ce vieil homme était si blanc qu’il me fit peur. « Feu ! » dit un officier. Nul ne bougea. Le prêtre Entendit, à coup sûr, mais n’en fit rien paraître, Et nous fit face avec son grand saint sacrement, Car sa messe en était arrivée au moment Où le prêtre se tourne et bénit les fidèles. Ses bras levés avaient une envergure d’ailes. Et chacun recula, lorsqu’avec l’ostensoir Il décrivit la croix dans l’air et qu’on put voir Qu’il ne tremblait pas plus que devant les dévotes ; Et quand sa belle voix, psalmodiant les notes, Comme font les curés dans tous leurs Oremus, Dit : Benedicat vos omnipotens Deus, « Feu ! répéta la voix féroce, ou je me fâche. » Alors un d’entre nous, un soldat, mais un lâche, Abaissa son fusil et fit feu. Le vieillard Devint très pâle, mais, sans baisser son regard Étincelant d’un sombre et farouche courage : Pater et Filius, reprit-il. Quelle rage Ou quel voile de sang affolant un cerveau Fit partir de nos rangs un coup de feu nouveau ? Je ne sais ; mais pourtant cette action fut faite. Le moine, d’une main s’appuyant sur le faîte De l’autel et tâchant de nous bénir encor De l’autre, souleva le lourd ostensoir d’or. Pour la troisième fois il traça dans l’espace Le signe du pardon, et d’une voix très basse, Mais qu’on entendit bien, car tous bruits s’étaient tus, Il dit, les yeux fermés : Et Spiritus sanctus. Puis tomba mort, ayant achevé sa prière. L’ostensoir rebondit par trois fois sur la pierre. Et, comme nous restions, même les vieux troupiers, Sombres, l’horreur vivante au cœur et l’arme aux pieds, Devant ce meurtre infâme et devant ce martyre : Amen ! dit un tambour en éclatant de rire.

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    François Coppée

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    La cueillette des cerises Espiègle ! j’ai bien vu tout ce que vous faisiez, Ce matin, dans le champ planté de cerisiers Où seule vous étiez, nu-tête, en robe blanche. Caché par le taillis, j’observais. Une branche, Lourde sous les fruits mûrs, vous barrait le chemin Et se trouvait à la hauteur de votre main. Or, vous avez cueilli des cerises vermeilles, Coquette ! et les avez mises à vos oreilles, Tandis qu’un vent léger dans vos boucles jouait. Alors, vous asseyant pour cueillir un bleuet Dans l’herbe, et puis un autre, et puis un autre encore, Vous les avez piqués dans vos cheveux d’aurore ; Et, les bras recourbés sur votre front fleuri, Assise dans le vert gazon, vous avez ri ; Et vos joyeuses dents jetaient une étincelle. Mais pendant ce temps-là, ma belle demoiselle, Un seul témoin, qui vous gardera le secret, Tout heureux de vous voir heureuse, comparait, Sur votre frais visage animé par les brises, Vos regards aux bleuets, vos lèvres aux cerises.

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    François Coppée

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    La grève des forgerons Mon histoire, messieurs les juges, sera brève. Voilà. Les forgerons s’étaient tous mis en grève. C’était leur droit. L’hiver était très dur ; enfin, Cette fois, le faubourg était las d’avoir faim. Le samedi, le soir du payement de semaine, On me prend doucement par le bras, on m’emmène Au cabaret ; et, là, les plus vieux compagnons – J’ai déjà refusé de vous livrer leurs noms – Me disent : « Père Jean, nous manquons de courage ; Qu’on augmente la paye, ou sinon plus d’ouvrage ! On nous exploite, et c’est notre unique moyen. Donc, nous vous choisissons, comme étant le doyen, Pour aller prévenir le patron, sans colère, Que, s’il n’augmente pas notre pauvre salaire, Dès demain, tous les jours sont autant de lundis. Père Jean, êtes-vous notre homme ? » Moi je dis : « Je veux bien, puisque c’est utile aux camarades. » Mon président, je n’ai pas fait de barricades ; Je suis un vieux paisible, et me méfie un peu Des habits noirs pour qui l’on fait le coup de feu. Mais je ne pouvais pas leur refuser, peut-être. Je prends donc la corvée, et me rends chez le maître ; J’arrive, et je le trouve à table ; on m’introduit. Je lui dis notre gêne et tout ce qui s’ensuit : Le pain trop cher, le prix des loyers. Je lui conte Que nous n’en pouvons plus ; j’établis un long compte De son gain et du nôtre, et conclus poliment Qu’il pourrait, sans ruine, augmenter le payement. Il m’écouta tranquille, en cassant des noisettes, Et me dit à la fin : « Vous, père Jean, vous êtes Un honnête homme ; et ceux qui vous poussent ici Savaient ce qu’ils faisaient quant ils vous ont choisi. Pour vous, j’aurai toujours une place à ma forge. Mais sachez que le prix qu’ils demandent m’égorge, Que je ferme demain l’atelier, et que ceux Qui font les turbulents sont tous des paresseux. C’est là mon dernier mot, vous pouvez le leur dire. » Moi je réponds : « C’est bien, monsieur. » Je me retire, Le cœur sombre, et m’en vais rapporter aux amis Cette réponse, ainsi que je l’avais promis. Là-dessus, grand tumulte. On parle politique. On jure de ne pas rentrer à la boutique ; Et, dam ! je jure aussi, moi, comme les anciens. Oh ! plus d’un, ce soir-là, lorsque devant les siens Il jeta sur un coin de table sa monnaie, Ne dut pas, j’en réponds, se sentir l’âme gaie, Ni sommeiller sa nuit tout entière, en songeant Que de longtemps peut-être on n’aurait plus d’argent, Et qu’il allait falloir s’accoutumer au jeûne. – Pour moi, le coup fut dur, car je ne suis plus jeune Et je ne suis pas seul. – Lorsque, rentré chez nous, Je pris mes deux petits-enfants sur mes genoux, – Mon gendre a mal tourné, ma fille est morte en couches – Je regardai, pensif, ces deux petites bouches Qui bientôt connaîtraient la faim ; et je rougis D’avoir ainsi juré de rester au logis. Mais je n’étais pas plus à plaindre que les autres ; Et, comme on sait tenir un serment chez les nôtres, Je me promis encor de faire mon devoir. Ma vieille femme alors rentra de son lavoir, Ployant sous un paquet de linge tout humide ; Et je lui dis la chose avec un air timide. La pauvre n’avait pas le cœur à se fâcher ; Elle resta, les yeux fixés sur le plancher, Immobile longtemps, et répondit : « Mon homme, Tu sais bien que je suis une femme économe. Je ferai ce qu’il faut ; mais les temps sont bien lourds, Et nous avons du pain au plus pour quinze jours. » Moi je repris : « Cela s’arrangera peut-être ! » Quand je savais qu’à moins de devenir un traître Je n’y pouvais plus rien, et que les mécontents, Afin de maintenir la grève plus longtemps, Sauraient bien surveiller et punir les transfuges. Et la misère vint. – O mes juges, mes juges ! Vous croyez bien que, même au comble du malheur, Je n’aurais jamais pu devenir un voleur, Que rien que d’y songer, je serais mort de honte ; Et je ne prétends pas qu’il faille tenir compte, Même au désespéré qui du matin au soir Regarde dans les yeux son propre désespoir, De n’avoir jamais eu de mauvaise pensée. Pourtant, lorsque au plus fort de la raison glacée Ma vieille honnêteté voyait – vivants défis – Ma vaillante campagne et mes deux petits-fils Grelotter tous les trois près du foyer sans flamme, Devant ces cris d’enfants, devant ces pleurs de femme, Devant ce groupe affreux de froid pétrifié, Jamais – j’en jure ici par ce Crucifié – Jamais dans mon cerveau sombre n’est apparue Cette action furtive et vile de la rue, 0ù le cœur tremble, où l’œil guette, où la main saisit. Hélas ! si mon orgueil à present s’adoucit, Si je plie un moment devant vous, si je pleure, C’est que je les revois, ceux de qui tout à l’heure J’ai parlé, ceux pour qui j’ai fait ce que j’ai fait. Donc on se conduisit d’abord comme on devait : On mangea du pain sec, et l’on mit tout en gage. Je souffrais bien. Pour nous, la chambre, c’est la cage, Et nous ne savons pas rester à la maison. Voyez-vous ! j’ai tâté depuis de la prison, Et je n’ai pas trouvé de grande différence. Puis ne rien faire, c’est encore une souffrance. On ne le croirait pas. Eh bien, il faut qu’on soit Les bras croisés par force ; alors on s’aperçoit Qu’on aime l’atelier, et que cette atmosphère De limaille et de feu, c’est celle qu’on préfère. Au bout de quinze jours nous étions sans un sou. – J’avais passé ce temps à marcher comme un fou, Seul, allant devant moi, tout droit, parmi la foule, Car le bruit des cités vous endort et vous saoûle, Et, mieux que l’alcool, fait oublier la faim. Mais, comme je rentrais, une fois, vers la fin D’une après-midi froide et grise de novembre, Je vis ma femme assise en un coin de la chambre, Avec les deux petits serrés contre son sein ; Et je pensai : C’est moi qui suis leur assassin ! Quand la vieille me dit, douce et presque confuse : « Mon pauvre homme, le Mont-de-piété refuse Le dernier matelas, comme étant trop mauvais. Où vas-tu maintenant trouver du pain ? -J’y vais, » Répondis-je ; et prenant à deux mains mon courage, Je résolus d’aller me remettre à l’ouvrage ; Et, quoique me doutant qu’on m’y repousserait Je me rendis d’abord dans le vieux cabaret Où se tenaient toujours les meneurs de la grève. – Lorsque j’entrai je crus, sur ma foi, faire un rêve : On buvait là, tandis que d’autres avaient faim, On buvait. ? Oh ! ceux-là qui leur payaient ce vin Et prolongeaient ainsi notre horrible martyre, Qu’ils entendent encore un vieillard les maudire ! – Dès que vers les buveurs je me fus avancé, Et qu’ils virent mes yeux rouges, mon front baissé, Ils comprirent un peu ce que je venais faire ; Mais, malgré leur air sombre et leur accueil sévère, Je leur parlai : « Je viens pour vous dire ceci : C’est que j’ai soixante ans passés, ma femme aussi, Que mes deux petits-fils sont restés à ma charge, Et que dans la mansarde où nous vivons au large, -Tous nos meubles étant vendus – on est sans pain. Un lit à l’hôpital, mon corps au carabin, C’est un sort pour un gueux comme moi, je suppose ; Mais pour ma femme et mes petits, c’est autre chose. Donc, je veux retourner tout seul sur les chantiers. Mais, avant tout, il faut que vous le permettiez Pour qu’on ne puisse pas sur moi faire d’histoires. Voyez ! J’ai les cheveux tout blancs et les mains noires, Et voilà quarante ans que je suis forgeron. Laissez-moi retourner tout seul chez le patron. J’ai voulu mendier, je n’ai pas pu. Mon âge Est mon excuse. On fait un triste personnage Lorsqu’on porte à son front le sillon qu’a gravé L’effort continuel du marteau soulevé, Et qu’on veut au passant tendre une main robuste. Je vous prie à deux mains. Ce n’est pas trop injuste Que ce soit le plus vieux qui cède le premier. – Laissez-moi retourner tout seul à l’atelier. Voilà tout. Maintenant, dites si ça vous fâche. » Un d’entre eux fit vers moi trois pas et me dit : « Lâche ! » Alors j’eus froid au cœur, et le sang m’aveugla. Je regardai celui qui m’avait dit cela. C’était un grand garçon, blême aux reflets des lampes, Un malin, un coureur de bals, qui, sur les tempes, Comme une fille, avait deux gros accroche-cœurs. Il ricanait, fixant sur moi ses yeux moqueurs : Et les autres gardaient un si profond silence Que j’entendais mon cœur battre avec violence. Tout à coup j’étreignis dans mes deux mains mon front Et m’écriai : « Ma femme et mes deux fils mourront. Soit ! Et je n’irai pas travailler. – Mais je jure Que, toi, tu me rendras raison de cette injure, Et que nous nous battrons, tout comme des bourgeois. Mon heure – Sur-le-champ. – Mon arme – J’ai le choix ; Et, parbleu ! ce sera le lourd marteau d’enclume, Plus léger pour nos bras que l’épée ou la plume ; Et vous, les compagnons, vous serez les témoins. Or çà, faites le cercle et cherchez dans les coins Deux de ces bons frappeurs de fer couverts de rouille. Et toi, vil insulteur de vieux, allons ! dépouille Ta blouse et ta chemise, et crache dans ta main. » Farouche et me frayant des coudes un chemin Parmi les ouvriers, dans un coin des murailles Je choisis deux marteaux sur un tas de ferraille Et les ayant jugés d’un coup d’œil je jetai Le meilleur à celui qui m’avait insulté. Il ricanait encor ; mais, à toute aventure, Il prit l’arme, et gardant toujours cette posture Défensive : « Allons, vieux, ne fais pas le méchant ! » Mais je ne répondis au drôle qu’en marchant Contre lui, le gênant de mon regard honnête Et faisant tournoyer au-dessus de ma tête Mon outil de travail, mon arme de combat. Jamais le chien couché sous le fouet qui le bat, Dans ses yeux effarés et qui demandent grâce, N’eut une expression de prière aussi basse Que celle que je vis alors dans le regard De ce louche poltron, qui reculait, hagard, Et qui vint s’acculer contre le mur du bouge. Mais il était trop tard, hélas ! Un voile rouge, Une brume de sang descendit entre moi Et cet être pourtant terrassé par l’effroi, Et d’un seul coup, d’un seul, je lui brisai le crâne Je sais que c’est un meurtre et que tout me condamne ; Et je ne voudrais pas vraiment qu’on chicanât Et qu’on prît pour un duel un simple assassinat. Il était à mes pieds, mort, perdant sa cervelle, Et, comme un homme à qui tout à coup se révèle Toute l’immensité du remords de Caïn, Je restai là, cachant mes deux yeux sous ma main. Alors les compagnons de moi se rapprochèrent Et voulant me saisir, en tremblant me touchèrent. Mais je les écartai d’un geste, sans effort, Et leur dis : « Laissez-moi. Je me condamne à mort. » Ils comprirent. Alors, ramassant ma casquette, Je la leur présentai, disant, comme à la quête : « Pour la femme et pour les petiots, mes bons amis. » Et cela fit dix francs, qu’un vieux leur a remis. Puis j’allai me livrer moi-même au commissaire. A présent, vous avez un récit très sincère De mon crime, et pouvez ne pas faire grand cas De ce que vous diront messieurs les avocats. Je n’ai même conté le détail de la chose Que pour bien vous prouver que, quelquefois, la cause D’un fait vient d’un concours d’événements fatal. Les mioches aujourd’hui sont au même hôpital Où le chagrin tua ma vaillante compagne. Donc, que pour moi ce soit la prison ou le bagne, Ou même le pardon, je n’en ai plus souci ; Et si vous m’envoyez à l’échafaud, merci !

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    François Coppée

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    La mort des oiseaux Le soir, au coin du feu, j’ai pensé bien des fois, A la mort d’un oiseau, quelque part, dans les bois, Pendant les tristes jours de l’hiver monotone Les pauvres nids déserts, les nids qu’on abandonne, Se balancent au vent sur le ciel gris de fer. Oh ! comme les oiseaux doivent mourir l’hiver ! Pourtant lorsque viendra le temps des violettes, Nous ne trouverons pas leurs délicats squelettes. Dans le gazon d’avril où nous irons courir. Est-ce que  » les oiseaux se cachent pour mourir ?  »

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    François Coppée

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    La mort du singe Frissonnant jusque dans la moelle, Pelé, funèbre et moribond, Le vieux singe, près de son poêle, Tousse en râlant et se morfond. Composant, malgré sa détresse, La douleur qui le fait mourir, Il geint ; mais sa plainte s’adresse Au public qu’il veut attendrir. Comme une phtisique de drame Pâmée en ses neigeux peignoirs, Il joint, avec des airs de femme, Ses petits doigts ridés et noirs ; Et des pleurs, traçant sur sa face Deux sillons parmi les poils roux, Font plus navrante sa grimace Faite de rire et de courroux. Vieil histrion, loin de tes planches, Ainsi tu n’as pas regretté Les bonds effarés dans les branches, L’Inde immense, la liberté ! Ce que tu pleures, c’est la scène Et ce palais de fil de fer Dans lequel, parodiste obscène, Grattant ton poil, montrant ta chair, Railleur, tu faisais voir aux hommes Ce qu’ils ont de vil et de laid, Pour manger les trognons de pommes Dont leur colère t’accablait !

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    François Coppée

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    La mémoire Souvent, lorsque la main sur les yeux je médite, Elle m’apparaît, svelte et la tête petite, Avec ses blonds cheveux coupés courts sur le front. Trouverai-je jamais des mots qui la peindront, La chère vision que malgré moi j’ai fuie ? Qu’est auprès de son teint la rose après la pluie ? Peut-on comparer même au chant du bengali Son exotique accent, si clair et si joli ? Est-il une grenade entr’ouverte qui rende L’incarnat de sa bouche adorablement grande ? Oui, les astres sont purs, mais aucun, dans les cieux, Aucun n’est éclatant et pur comme ses yeux ; Et l’antilope errant sous le taillis humide N’a pas ce long regard lumineux et timide. Ah ! devant tant de grâce et de charme innocent, Le poète qui veut décrire est impuissant ; Mais l’amant peut du moins s’écrier : « Sois bénie, O faculté sublime à l’égal du génie, Mémoire, qui me rends son sourire et sa voix, Et qui fais qu’exilé loin d’elle, je la vois ! »

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    François Coppée

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    La petite marchande de fleurs Le soleil froid donnait un ton rose au grésil, Et le ciel de novembre avait des airs d’avril, Nous voulions profiter de la belle gelée. Moi chaudement vêtu, toi bien emmitouflée Sous le manteau, sous la voilette et sous les gants, Nous franchissions, parmi les couples élégants, La porte de la blanche et joyeuse avenue, Quand soudain jusqu’à nous une enfant presque nue Et livide, tenant des fleurettes en main, Accourut, se frayant à la hâte un chemin Entre les beaux habits et les riches toilettes, Nous offrir un bouquet de violettes. Elle avait deviné que nous étions heureux Sans doute, et s’était dit : “ ils seront généreux ”. Elle nous proposa ses fleurs d’une voix douce, En souriant avec ce sourire qui tousse, Et c’était monstrueux, cette enfant de sept ans Qui mourait de l’hiver en offrant le printemps. Ses pauvres petits doigts étaient pleins d’engelures. Moi, je sentais le fin parfum de tes fourrures, Je voyais ton cou rose et blanc sous la fanchon, Et je touchais ta main chaude dans ton manchon. Nous fîmes notre offrande, amie, et nous passâmes ; Mais la gaîté s’était envolée, et nos âmes Gardèrent jusqu’au soir un souvenir amer. Mignonne, nous ferons l’aumône cet hiver.

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    François Coppée

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    La première Ce n'est pas qu'elle fût bien belle ; Mais nous avions tous deux vingt ans, Et ce jour-là, – je me rappelle, – Était un matin de printemps. Ce n'est pas qu'elle eût l'air bien grave ; Mais je jure ici que jamais Je n'ai rien osé de plus brave Que de lui dire que j'aimais. Ce n'est pas qu'elle eût le cœur tendre ; Mais c'était si délicieux De lui parler et de l'entendre Que les pleurs me venaient aux yeux. Ce n'est pas qu'elle eût l'âme dure ; Mais pourtant elle m'a quitté, Et, depuis, ma tristesse dure, Et c'est pour une éternité.

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    François Coppée

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    La trêve La fatigue nous désenlace. Reste ainsi, mignonne. Je veux Voir reposer ta tête lasse Sur l’or épais de tes cheveux. Tais-toi. Ce que tu pourrais dire Sur le bonheur que tu ressens Jamais ne vaudrait ce sourire Chargé d’aveux reconnaissants. Sous tes paupières abaissées Cherche plutôt à retenir, Pour en parfumer tes pensées, L’extase qui vient de finir. Et pendant ton doux rêve, amie, Accoudé parmi les coussins, Je regarderai l’accalmie Vaincre l’orage de tes seins.

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    François Coppée

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    Le banc Non loin du piédestal où j’étais accoudé, A l’ombre d’un Sylvain de marbre démodé Et sur un banc perdu du jardin solitaire, Je vis une servante auprès d’un militaire. Ils se tenaient tous deux assis à chaque coin Du banc, et se parlaient doucement, mais de loin, – Attitude où l’amour jeune est reconnaissable. – A leurs pieds un enfant jouait avec le sable. C’était le soir ; c’était l’heure où les amoureux, Moins timides, tout bas osent se faire entre eux Les tendres questions et les douces réponses. Le couchant empourprait le front noir des quinconces ; Lentement descendait l’ombre, comme à dessein ; Le vent, déjà plus frais, ridait l’eau du bassin Où tremblait un beau ciel vert et moiré de rose ; Tout s’apaisait. C’était cette adorable chose : Une fin de beau jour à la fin de l’été. Et, n’ayant rien de mieux à faire, j’écoutai. Tous deux dirent d’abord le plaisir qu’on éprouve A parler du passé, comment on se retrouve Si loin, bien qu’étant nés dans un petit pays, Leur enfance commune, et les parents vieillis Dont on est inquiet, sans trop oser le dire Dans ses lettres, les vieux ne sachant pas écrire Et ne pouvant payer la plume du bedeau. Ils dirent la rivière ombreuse, le rideau De peupliers, l’endroit pour pêcher à la ligne Caché sous le houblon et sous la folle vigne, Le cerisier qu’ensemble ils avaient dépouillé, Le vieux bateau, rempli de feuillage mouillé, Qu’on prenait pour aller jouer dans le coin d’île, Les moulins, les sentiers sous bois, toute l’idylle. Mais l’enfance du pauvre est très courte, et depuis N’avaient-ils pas tous deux souffert bien des ennuis – – Et naïve, ignorant encore la prudence, La simple enfant livra toute sa confidence, La première. Elle dit, en termes très touchants, Que, ne supportant pas les durs travaux des champs Et ne voulant pas être à charge à sa famille, Elle avait bien prévu qu’elle resterait fille, Ses père et mère étant de pauvres villageois, Et qu’elle était entrée alors chez des bourgeois. Or cette vie était pour elle bien amère, A son âge, d’avoir tous les soins d’une mère Pour des enfants ingrats et qui ne l’aimaient pas. Elle pleurait souvent à l’heure des repas, Dans sa froide cuisine, auprès d’une chandelle, Toute seule. Elle était courageuse et fidèle ; Mais ses maîtres, gardant toujours leur air grognon, Ne semblaient même pas la connaître de nom Et lui donnaient celui de la servante ancienne. Enfin la vie était dure à tous, et la sienne Lui compterait sans doute un jour pour ses péchés. Les deux enfants s’étaient doucement rapprochés. Mais, sans pouvoir trouver un bon mot qui console, Le militaire prit à son tour la parole. Il parla, le front bas et les yeux assombris : Lui, la conscription à vingt ans l’avait pris. Être soldat, cela se nomme encor service. Il maudit ce métier qui lui donnait un vice : De pauvre on l’avait fait devenir paresseux. L’avenir ! il n’osait y croire, étant de ceux Qu’on peut le lendemain envoyer à la guerre, Un de ces hommes, faits d’une argile vulgaire, Que pour l’ambition du premier conquérant Dieu sans doute pétrit d’un pouce indifférent, Chair à canon, chair à scalpel, matière infâme Et que la statistique appelle seule une âme. Il raconta ses jours sans fin de garnison, Ses courses dans les champs, le soir, vers l’horizon, Sans but, en écoutant si la retraite sonne. Il était sans ami, sans pays, sans personne, Sans rien. Il ne pouvait se faire à son état Et parfois souhaitait que la guerre éclatât. A ce mot, prononcé simplement, la servante Eut un petit frisson de soudaine épouvante, Et s’approchant, avec un bon geste de sœur : « Ne parlez pas ainsi, » dit-elle avec douceur ; Puis elle prit les mains du soldat, sans rien dire, Et tous deux, essayant un douloureux sourire, Écoutèrent au loin mourir le chant des nids. Alors – mystérieux témoin, je te bénis, Amour, consolateur dernier des misérables, Je vous bénis, ô nuit, ô rameaux vénérables Qui les cachiez, pendant qu’ils oubliaient un peu ! En silence, les mains froides, la tête en feu, Ils virent dans l’azur les étoiles éclore, Puis longtemps et tout bas échangèrent encore, Heureux et confiants, l’un près de l’autre assis, Leurs modestes espoirs et leurs humbles soucis. Le murmure des voix, plus craintif et plus tendre, S’affaiblit ; et, bientôt après, je pus entendre – Car l’ombre m’empêchait de voir les deux amis – Un baiser, qu’un soupir d’abord avait promis, Vibrer, pareil au bruit d’un oiseau qui s’effare. Tout à coup une claire et brutale fanfare Éclata dans la nuit profonde du jardin. Le soldat inquiet se releva soudain : Il fallait se quitter, car c’était la retraite. Oh ! le triste moment d’un départ qui s’apprête ! Vingt fois on se redit qu’on se reverrait là ; Et le pauvre amoureux en hâte s’en alla, Mais non sans regarder bien souvent en arrière. Elle, les yeux baissés comme pour la prière, Triste, joignant les mains sur son tablier blanc, Resta longtemps rêveuse et seule sur le banc. Lentement s’éloignait la fanfare importune ; Et, lorsque dans le ciel monta le clair de lune, Je la vis, pâle encor du baiser de l’amant Et les larmes aux yeux, écouter vaguement La retraite s’éteindre au fond du crépuscule. Et je n’ai pas trouvé cela si ridicule.

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    François Coppée

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    Le cabaret Dans le bouge qu’emplit l’essaim insupportable Des mouches bourdonnant dans un chaud rayon d’août, L’ivrogne, un de ceux-là qu’un désespoir absout, Noyait au fond du vin son rêve détestable. Stupide, il remuait la bouche avec dégoût, Ainsi qu’un bœuf repu ruminant dans l’étable. Près de lui le flacon, renversé sur la table, Se dégorgeait avec les hoquets d’un égout. Oh ! qu’il est lourd, le poids des têtes accoudées Où se heurtent sans fin les confuses idées Avec le bruit tournant du plomb dans le grelot ! Je m’approchai de lui, pressentant quelque drame, Et vis que dans le vin craché par le goulot Lentement il traçait du doigt un nom de femme.

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    François Coppée

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    Le crépuscule est triste et doux comme un adieu Le crépuscule est triste et doux comme un adieu. A l'orient déjà, dans le ciel sombre et bleu Où lentement la nuit qui monte étend ses voiles, De timides clartés, vagues espoirs d'étoiles, Contemplent l'occident clair encore, y cherchant Le rose souvenir d'un beau soleil couchant. Le vent du soir se tait. Nulle feuille ne tremble, Même dans le frisson harmonieux du tremble ; Et l'immobilité se fait dans les roseaux Que l'étang réfléchit au miroir de ses eaux. En un parfum ému chaque fleur s'évapore Pure, et les rossignols ne chantent pas encore. Pour échanger tout bas nos éternels aveux, Chère, nous choisirons cette heure, si tu veux. Nous prendrons le chemin tournant de la colline. Mon front se penchera vers ton front qui s'incline ; Et nos baisers feront des concerts infinis, Si doux que les oiseaux, réveillés dans leurs nids, Trouveront la musique, à cette heure, indiscrète Et se demanderont quelle bergeronnette Ou quel chardonneret est assez débauché Pour faire l'amour quand le soleil s'est couché.

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    François Coppée

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    Le défilé Dans le faubourg planté d’arbustes rabougris, Où le pâle chardon pousse au bord des murs gris, Sur le trottoir pavé que limitent des bornes, Lentement, en grand deuil tous deux, tristes et mornes, Et vers le couchant d’or d’un juillet étouffant, Vont ensemble une mère et son petit enfant. La mère est jeune encore, elle est pauvre, elle est veuve. Résignée, et pourtant droite encor sous l’épreuve, Elle songe sans doute au sombre lendemain ; Et le petit garçon qu’elle tient par la main A déjà dans ses yeux agrandis par les jeûnes L’air grave des enfants qui s’étonnent trop jeunes. Ils marchent, regardant le coucher du soleil. Mais voici que, parmi le triomphe vermeil Des nuages de pourpre aux franges d’écarlate, Là-bas, soudaine et fière, une fanfare éclate ; Et, poussant devant eux clairons et timbaliers, Apparaissent au loin les premiers cavaliers D’un pompeux régiment qui vient de la parade. Des escadrons ! mais c’est comme une mascarade. Les enfants et le peuple, hélas ! enfant aussi, S’arrêtent en chemin pour les voir. Or ceux-ci Sont très beaux ; et le fils de la veuve regarde. Lui qui vécut dans les murs froids d’une mansarde, Il n’a jamais rien vu de tel. Il est hagard ; Et sa mère lui dit, bénissant ce hasard, Et distraite, elle aussi, de ses rêves austères : « Restons là. Nous verrons passer les militaires. » Ils s’arrêtent tous deux ; et le beau régiment, Sombre et pesant d’orgueil, défile fièrement. Ce sont des cuirassiers ; ils vont, musique en tête, Répandant à l’entour comme un bruit de tempête. Les casques sont polis ainsi que des miroirs ; Les sabres sont tirés. Tous les chevaux sont noirs ; Ils ont la flamme aux yeux et le sang aux narines. – Les cuirasses d’acier qui bombent les poitrines Jettent à chaque pas des éclairs aveuglants ; Et les lourds escadrons, impassibles et lents, Se succèdent, au pas, allant de gauche à droite, Avec leurs officiers dans la distance étroite, Si bien que le passant, sur la route arrêté, Cependant qu’il peut voir s’éloigner d’un côté Des croupes de chevaux et des dos de cuirasses, Voit de l’autre, marchant de tout près sur leurs traces, S’avancer, alignés comme par deux niveaux, Des casques de soldats et des fronts de chevaux. Et ce spectacle est plus sublime et plus farouche Dans la rouge splendeur du soleil qui se couche. Mais, l’œil tout ébloui des ors et des aciers, L’enfant cherche surtout à voir ces officiers Qui brandissent, tournés à demi sur la selle, Leur sabre dont la lame au soleil étincelle, Et sont gantés de blanc ainsi que pour le bal, Et commandent, tandis que leur fougueux cheval, Se rappelant sans doute une ancienne victoire, Secoue avec orgueil son mors dans sa mâchoire. Et plus que tous ceux-là l’enfant admire encor Le plus jeune, qui n’a qu’une aiguillette d’or Et marche dans les rangs ainsi qu’une recrue, Mais qui semble toujours à la foule accourue Le plus heureux, le plus superbe et le plus beau, Car il porte les plis somptueux du drapeau. Le régiment défile, et l’enfant s’extasie. Craintif et se tenant à la jupe saisie De sa mère, il admire, avide et stupéfait, Et tremble. Mais alors celle-ci, qui rêvait, Le regarde, et soudain elle devient peureuse. La pauvre femme, qui naguère était heureuse Que pour son fils ce beau régiment paradât, Craint maintenant qu’il veuille un jour être soldat ; Et même, bien avant que ce soupçon s’achève, Son esprit a conçu l’épouvantable rêve D’un noir champ de bataille où dans les blés versés, Sous la lune sinistre, on voit quelques blessés, Qui, mouillés par le sang et la rosée amère, Se traînent sur leurs mains en appelant leur mère, Puis qui s’accoudent, puis qui retombent enfin ; Et, seuls debout alors, des chevaux ayant faim Qui, baissant vers le sol leurs longs museaux avides, Broutent le gazon noir entre les morts livides ! Elle entraîne son fils ; elle a le cœur glacé. Et, bien que le brillant régiment soit passé Et qu’au coin du faubourg tourne l’arrière-garde, L’enfant se plaint tout bas, et résiste, et regarde Son rêve qui s’enfuit, espérant voir encor Là-bas, dans la poussière, une étincelle d’or, Et détestant déjà les amis et les mères Qui nous tirent loin des dangers et des chimères.

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    François Coppée

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    Le feu follet Par une nuit d’orage et sous un ciel en deuil, Parfois le paysan qui sort d’une veillée Aperçoit au détour de la route mouillée Un feu follet énorme et fixe comme un œil. S’il s’avance, domptant son effroi par orgueil, Le feu recule et semble, au fond de la feuillée, Par la brise de mer tordue et travaillée Une flamme d’alarme, au loin, sur un écueil ; Mais s’il fuit, le poltron, et regarde en arrière, Il voit, tout près, tout près, l’infernale lumière, Grossissante et dardant sur lui son œil mauvais. Ô vieux désir, pourquoi donc me poursuivre encore, Puisque tu t’es enfui quand je te poursuivais ? Quand donc t’éteindras-tu ? Quand donc viendra l’aurore ?

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    François Coppée

    François Coppée

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    Le fils des armures À Léopold Flameng. Tous les ducs morts sont là, gloire d’acier vêtue, Depuis Othon le Saint jusqu’à Job le Frugal ; Et devant eux, riant son rire musical, L’enfant à soulever des armes s’évertue. Chaque armure, où l’aïeul se survit en statue Sous la fière couronne et le cimier ducal, Joyeuse reconnaît d’un regard amical Sa race, qui déjà joue avec ce qui tue. Plongé dans un fauteuil de cuir rouge, gaufré De fleurs d’or, l’écuyer, grand vieillard balafré, Feuillette un très-ancien traité de balistique. Et les vieux casques ont des sourires humains, Cependant qu’au milieu de la chambre gothique L’enfant chevauche sur une épée à deux mains.

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    François Coppée

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    Le jongleur Las des pédants de Salamanque Et de l’école aux noirs gradins, Je vais me faire saltimbanque Et vivre avec les baladins. Que je dorme entre quatre toiles, La nuque sur un vieux tambour, Mais que la fraîcheur des étoiles Baigne mon front brûlé d’amour ! Je consens à risquer ma tête En jonglant avec des couteaux, Si le vin, ce but de la quête, Coule à gros sous sur mes tréteaux. Que la bise des nuits flagelle La tente où j’irai bivaquant, Mais que le maillot où je gèle Soit fait de pourpre et de clinquant ! Que j’aille errant de ville en ville, Chassé par le corrégidor, Mais que la populace vile M’admire, ceint d’un bandeau d’or ! Qu’importe que sous la dentelle, Devant mon cynisme doré, Les dévotes de Compostelle Se signent d’un air timoré, Si la gitane de Cordoue, Qui sait se mettre sans miroir Des accroche-cœurs sur la joue Et du gros fard sous son œil noir, Trompant un hercule de foire Stupide et fort comme un cheval, M’accorde un soir d’été la gloire D’avoir un géant pour rival ! Croule donc, ô mon passé, croule, Espoir des avenirs mesquins, Et que je tienne enfin la foule Béante sous mes brodequins ! Que je la voie, ardente, suivre Le cercle pur que décriront Les sonores poignards de cuivre Sur ma tête envolés en rond, Et que, l’œil fou de l’auréole Qu’allume ce serpent vermeil, Elle prenne un jour pour idole Le fier jongleur, aux dieux pareil !

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    François Coppée

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    Le justicier À Théodore de Banville L’an mil quatre cent trois, juste un mois après Pâques, Le jour des bienheureux saint Philippe et saint Jacques, Très-haut et très-puissant Gottlob, dit le Brutal, Baron d’Hildburghausen, comte de Schnepfenthal, Grand bailli d’Elbenau, margrave héréditaire De Schlotemsdorff, seigneur du fleuve et de la terre, Le doyen, le plus vieux des chevaliers saxons, Qui, sur l’armorial, porte les écussons De Rhun et de Gommern écartelés, l’unique Descendant d’une race altière et tyrannique, Après être allé voir pendre trois paysans Malgré la pluie et ses quatre-vingt-quatorze ans, Vers l’Angelus, après souper, presque sans fièvre Mourut, les bras en croix et l’hostie à la lèvre, En son château de Ruhn, sur l’Elbe. On arbora Le drapeau noir, et tout le pays respira. Car on était alors dans les guerres civiles ; L’ivrogne Wenceslas avait vendu les villes À prix d’or. Les seigneurs gouvernaient à leur gré, Et le vieux droit avait dès longtemps émigré. Or, il avait été cupide et sanguinaire Ce grand vieillard tout pâle et presque centenaire Que le drap dessinait sur son lit de repos. Il avait rétabli tous les anciens impôts ; Et ses hallebardiers, démons de violence, Faisaient payer les gens à coups de bois de lance : Impôt sur la vendange, impôt sur la moisson, Sur le gibier, sur les moulins, sur le poisson ; Impôt même sur ceux qui font pèlerinage ; Impôt toujours, et, quand on refusait, carnage. Le vieux margrave avait des vengeances d’enfer. Vêtu de fer, ganté de fer, masqué de fer, Il arrivait, suivi de ses piquiers avides, Et d’un geste faisait garnir les gibets vides. Les vassaux par le fer, la corde ou le bâton Mouraient ; les jeunes gens prenaient le hoqueton ; Mais les vieux, tout couverts de haillons et de lèpres, Il leur fallait aller, après l’heure des vêpres, Mendier un pain noir aux portes du couvent ; Et sur la grande route on rencontrait souvent Des mendiants douteux montrant d’horribles plaies. Les bourgeois, enterrant les sous et les monnaies, Avaient d’abord voulu se plaindre. Ils avaient pris Un des leurs, un de ces malcontents à fronts gris Qui portent des rouleaux auxquels pend une cire Et qui font la grimace en disant le mot : Sire, Pour aller supplier l’archevêque électeur À Trêves, en secret, et dire avec lenteur Et sans fiel leurs griefs au très-saint patriarche. Mais Gottlob, du prud’homme ayant su la démarche, Envoya devant lui deux beaux mulets très-lourds Portant ciboires d’or et chappes de velours ; Et l’électeur, du bien de Dieu trop économe, Reçut les dons et fit estraper le prud’homme. Et l’on se tut. Or la misère redoublait, Et Gottlob devenait centenaire. Il semblait Qu’on ne dût jamais voir la fin de ce supplice. Les vieilles lui donnaient le diable pour complice ; Et tous désespéraient, et l’on criait merci. Enfin il était mort ; c’était bien sûr. Aussi, Comme les petits nids des forêts sont en joie Quand la tempête emporte un vol d’oiseaux de proie, Le bon peuple à grands cris saluait ce départ En allumant des feux de nuit sur le rempart, Comme à Noël, après le temps des pénitences ; Et les manants dansaient en rond sous les potences. Dans le château fermé, prêtant l’oreille aux bruits Du lointain apportés par la brise des nuits, Les soldats, inquiets, veillaient aux meurtrières ; Et près du mort un moine était seul en prières. Assis dans un fauteuil de cuir, il rêvait, seul, Observant sur le corps le dessin du linceul Que rougissaient un cierge à droite, un cierge à gauche, Et comparant ce lit funéraire à l’ébauche Du marbre qu’on allait tailler pour le tombeau ; Ou, quand l’air plus glacé ravivait un flambeau Et détournait ainsi sa vague rêverie, Il regardait dans l’ombre une tapisserie Obscure où se tordaient confus des cavaliers ; Ou bien suivait de l’œil l’arête des piliers. Il était seul. Parfois une flamme hardie Sur les vitraux étroits reflétait l’incendie, Et les cris des vassaux en liesse au dehors Par instants arrivaient moins lointains et plus forts. Rigide sous le froc et pareil aux fantômes, Le moine s’était mis à réciter des psaumes Souvent interrompus d’un lent miserere, Quand soudain il pâlit, et son œil égaré S’emplit d’une épouvante effroyable et niaise ; Ses maigres doigts crispés aux deux bras de sa chaise, Il restait là, dompté, pétrifié, béant : Le margrave s’était dressé sur son séant, Voilé, blanc, et faisant de grands gestes étranges Pour se débarrasser de ses funèbres langes. Et celui qu’on croyait la pâture des vers Apparut tout à coup vivant, les yeux ouverts, Reconnut d’un regard vague et surpris à peine Le moine, les flambeaux, le crucifix d’ébène, Le bénitier plein d’eau bénite avec son buis, Et dit d’une voix claire : « Où suis-je ? Je ne puis Dire si je rêvais ou si j’étais mort. Moine, Mes neveux ont-ils pris déjà mon patrimoine Et jeté bas le rouge étendard du beffroi ? Suis-je défunt ou suis-je encor maître chez moi ? Réponds. Puis, comme j’ai la tête encor troublée, Cherche sur ce dressoir ma coupe ciselée, Et me verse un grand coup de vin. — En vérité, Dieu puissant, dit le moine, il est ressuscité ! — Ressuscité ? J’étais donc mort ? Par mes ancêtres, Je vais faire demain pavoiser mes fenêtres, Recevoir mes neveux du haut de mon balcon Et leur offrir à tous une chasse au faucon Quand ils viendront, la larme à l’œil, pour mes obsèques, Puis, après un repas comme en font nos évêques, Les renvoyer tous gris abominablement. » Le moine avec deux doigts se signa triplement Sur la poitrine, sur le front et sur la bouche, Se leva, fit un pas vers le vieillard farouche, Et, d’une voix encor palpitante d’émoi, Il dit : « Et maintenant, margrave, écoutez-moi. Tout à l’heure, à genoux près de votre cadavre, Je priais, en songeant que c’est chose qui navre Que de voir un vieillard, un grand seigneur, partir Sans avoir eu le temps de se bien repentir. Car l’absolution tombant des mains du prêtre Est encore soumise à l’Éternel peut-être ; Et, sans contrition, l’orémus dépêché Ne guérit point l’ulcère horrible du péché. C’est pourquoi je priais avec ferveur dans l’ombre. Nous vivons dans un siècle inexorable et sombre, Monseigneur, dans un temps très-pervers, où les grands Du malheur populaire, hélas ! sont ignorants. Les gens de guerre ont tant piétiné l’Allemagne Qu’il ne reste plus rien debout sur la campagne. Les moissonneurs sont sans besogne, et nous n’aurons Bientôt plus de travail que pour les forgerons ; C’est grand’pitié de voir les blés couchés, les seigles Perdus, et les festins des vautours et des aigles, Les seuls qui maintenant se nourrissent de chair ; On mendie à tous les moutiers ; le pain est cher ; Les villes ayant faim, les hameaux font comme elles ; Et les mères n’ont plus de lait dans leurs mamelles. De cela les puissants n’ont soucis ni remords. Et moi, qui dois prier ici-bas pour les morts, Ma prière est surtout pour les grands et les riches : Car je vois des vassaux en pleurs, des champs en friches Et des pendus bercés par le vent des forêts ; Car je songe, margrave, aux éternels arrêts, À la stricte balance où se pèsent les âmes, Et j’entends le joyeux crépitement des flammes Qu’attisé avec sa fourche énorme le démon. » Le margrave éclata de rire. « Un beau sermon, Dit-il. Et tu conclus ? — Que si la mort tenace Vous épargne, c’est une effrayante menace, Un avis du Très-Haut, et que votre cercueil Avant longtemps aura franchi le dernier seuil, Et que Dieu vous accorde, en son omnipotence, Gottlob, le juste temps de faire pénitence. — Tu le vois, dit Gottlob, j’écoute de mon mieux Ton homélie, étant aujourd’hui très-joyeux De n’avoir point quatre ais de chêne pour chemise. Ne crois pas cependant qu’elle te soit permise Davantage, et retiens que, si je le voulais, Je te ferais chasser par deux de mes valets Fouaillant derrière toi mes limiers pour te mordre Aux jambes. Maintenant je t’avais donné l’ordre De m’aller vilement quérir à boire ; va. » Le moine, qui s’était assis, se releva. Son froc l’enveloppait de grandes lignes blanches ; Ses mains en l’air sortaient, tremblantes, de ses manches, Et, sous l’ombre de sa cagoule, son regard S’attachait fixement sur le marquis. « Vieillard, Repens-toi ! cria-t-il. Avant que de descendre Au tombeau, va souiller tes cheveux blancs de cendre, Prends le cilice et prends la robe comme nous, Aux marches des autels use tes vieux genoux, Va chanter les répons et va baiser la pierre Des cloîtres, et, la nuit, couche dans une bière. Le martinet armé de ses pointes de fer Entretenant la plaie ardente sur ta chair, L’in pace, l’escalier gluant où l’on trébuche, Le jeûne, le pain noir et l’eau bue à la cruche, Sont doux pour un pécheur qui se repent si tard ! — Holà ! cria Gottlob, ridicule bâtard, Sache d’abord qu’il n’est qu’un vêtement qui m’aille : C’est mon habit de fer qu’on forgea maille à maille, Et que n’ont pu trouer les princes et les rois, Quand j’étais lieutenant du duc Rudolphe Trois Et sergent de combat du bon empereur Charles, Moi, Gottlob, haut seigneur de Ruhn, à qui tu parles. Sache aussi que tous ceux qui portent de grands noms Et qui se font broder en or sur leurs pennons Des mots latins parlant de courage et de morgue Ne savent point hurler des psaumes sous un orgue ; Que leur musique, c’est le bruit des éperons, C’est la note éclatante et fière des clairons, Le frisson des tambours et le joyeux murmure Des estocs martelant le cuivre d’une armure. Sache aussi que je hais les frocards et tous ceux Qui se cachent, poltrons, dans les cloîtres crasseux Et ne lavent leurs mains qu’en prenant l’eau bénite. Ainsi, tais-toi, bon frère, et m’obéis bien vite. » Le moine vers le lit fit encore deux pas. Redoute Dieu, qui passe et qui ne revient pas. Margrave, il est encor temps de sauver ton âme. Mais tu fus vil, tu fus cruel, tu fus infâme ; Tu sembles aujourd’hui ne plus te souvenir De tes crimes ; mais Dieu, qui les doit tous punir, Se rappelle, et la liste au ciel en est gravée : Au sac de Schepfenthal, qui s’était soulevée, Tu tuas d’un seul coup, stupide meurtrier, Un échevin courbé jusqu’à ton étrier ; Puis tu le fis couper en morceaux et suspendre Au portail du donjon, qu’alors on pouvait prendre Pour les crochets sanglants de l’étal des tripiers. À la chasse, une fois, tu te chauffas les pieds Dans le ventre béant d’un braconnier. Tes lances Faisaient autour de toi régner de noirs silences ; Mais qui t’aurait suivi sûrement t’eût rejoint Par le chemin sanglant que menaçaient du poing Les laboureurs avec leurs familles en larmes. Tu fis périr ta sœur enceinte. Tes gens d’armes Pillaient les voyageurs jusque dans les faubourgs ; Et tu fis promener, chevauchant à rebours Des pourceaux, les bourgeois qui refusaient les dîmes. J’en passe. Et quand tu meurs souillé de tous ces crimes, Et quand le Tout-Puissant, comme surpris de voir Ce monstre et te trouvant pour son enfer trop noir, Te repousse du pied sur la terre et t’accorde Le temps de lui crier enfin miséricorde, Le ciel par ton orgueil est encore insulté ! Apprends donc maintenant toute la vérité. Ah ! tu n’as pas assez d’un prêtre pour arbitre ? Eh bien ! vois cette flamme incendiant ta vitre ; Entends ces cris de joie au lointain éclatants. Écoute et souviens-toi. Lorsque depuis longtemps Un loup, un ours ou quelque autre bête sauvage Exerçait dans nos bois antiques son ravage, Et lorsqu’il est enfin tombé sous les épieux, Le soir sur les coteaux on allume des feux Autour desquels, grandis par les flammes rougeâtres, Dansent, lourds et joyeux, les chasseurs et les pâtres ; Marquis, c’est la coutume en Saxe, n’est-ce pas ? Puisqu’on en fait autant le jour de ton trépas, Et qu’on te traite ainsi qu’une bête féroce. — Silence ! » dit Gottlob avec un rire atroce. Et, se levant de ses deux poings sur l’oreiller, Livide, fou de rage, il se mit à crier : Ah ! vous mettez la flamme aux bûchers, misérables ! Ah ! vous jetez au feu les pins et les érables Où je taillais jadis vos poteaux de gibet ! Sans mon réveil, demain peut-être l’on flambait, Pour l’ébaudissement de toute la canaille, Avec mes ormes gris un margrave de paille ! Ah ! vous coupez gaîment, pour les mettre en fagots, Mes vieux chênes rugueux plantés du temps des Goths ! Soit ! puisque mon bon peuple aime le feu qui flambe, Dès ce soir, casque en tête et lance sur la jambe, J’accours pour voir s’il est joyeux et rayonnant, Le feu qu’on entretient de graisse de manant, Et je veux comparer les flammes et les braises. — Gottlob, Satan aussi prépare ses fournaises. Songe au feu qui rougeoie aux bouches des volcans ; Marquis, songe aux damnés tordus et suffocants Qui, perdus dans le gouffre et sous les sombres porches, Pour une éternité brûlent comme des torches ; Songe qu’il est un Dieu ; songe que tu mourras, Et que tous tes gibets de leur unique bras Te montrent le chemin de l’abîme. Margrave, Songe qu’après ta mort, toi qui fus noble et brave Et qui portais une hydre horrible à ton cimier, Tu seras faible et nu comme un ver de fumier. Alors, entraîné vers les flammes éternelles Par les démons, saignant sous l’ongle de leurs ailes, La corde aux mains, la fourche aux reins, les fers aux pieds, Tu roidiras tes vieux membres estropiés, Sans pouvoir fuir ce feu, vers lequel on te penche Et dont l’ardeur fera flamber ta barbe blanche. — Soit donc, reprit le vieux margrave. Je te dis, Moine, d’aller offrir tes clés de paradis À cette populace à chanter occupée, Et dont bientôt, par la grâce de mon épée, Plus d’un aura besoin d’avoir les cieux conquis. Pour mon compte, Satan est prince, moi marquis, Et j’irai le rejoindre en égal, car nous sommes Tous les deux de très-bons et très-vieux gentilshommes. Puis je retrouverai là-bas, dans son enfer, Mes meilleurs compagnons de combat que le fer Jadis faucha parmi les sanglantes tempêtes, Et nous nous donnerons des tournois et des fêtes ; Quant à vous, mes mignons, qui vous réjouissez, Et qui faites des feux de paille, et qui dansez, Je vais donner à tout le monde un peu de joie Et régaler si bien mes chers oiseaux de proie Que, dans cent ans, vos fils ôteront leur chapeau Quand ils traverseront l’ombre de mon tombeau. » Et Gottlob, haletant d’une horrible folie, Tourna son regard noir vers une panoplie Où s’épanouissaient, comme une fleur de fer Énorme, vingt estocs au reflet dur et clair, Que reliaient entre eux des toiles d’araignée ; Puis, s’élançant, car elle était trop éloignée, Mit hors du lit sa jambe horrible de vieillard. Le moine devant lui s’était dressé, hagard. Meurs donc dans ton blasphème et ton impénitence ! » Dit-il ; et d’un seul bond franchissant la distance Qui le sépare encor du vieillard éperdu, Nu-tête, et laissant voir sous son crâne tondu Ses yeux creux et brillants comme un foyer de forge, Calme et tragique, il prend le margrave à la gorge ; Et, malgré cette voix qui crie : À l’assassin ! Malgré ces cheveux blancs épars sur le coussin, Il l’étrangle, en disant : « Cette fois-ci, margrave, Meurs pour de bon. » Alors, toujours tranquille et grave, Il ramène le drap rejeté sur le mort, Comme fait une mère à son enfant qui dort, Ramasse un des flambeaux renversé, le rallume, Puis se met à genoux, ainsi qu’il a coutume De faire quand il prie à l’ombre du saint lieu, Joint les deux mains et dit : « Je me confesse à Dieu. »

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Le lys À Amédée Bandit. Hors du coffret de laque aux clous d’argent, parmi Les fleurs du tapis jaune aux nuances calmées, Le riche et lourd collier, qu’agrafent deux camées, Ruisselle et se répand sur la table à demi. Un oblique rayon l’atteint. L’or a frémi. L’étincelle s’attache aux perles parsemées, Et midi darde moins de flèches enflammées Sur le dos somptueux d’un reptile endormi. Cette splendeur rayonne et fait pâlir des bagues Éparses où l’onyx a mis ses reflets vagues Et le froid diamant sa claire goutte d’eau ; Et, comme dédaigneux du contraste et du groupe, Plus loin, et sous la pourpre ombreuse du rideau, Noble et pur, un grand lys se meurt dans une coupe.

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    François Coppée

    François Coppée

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    Le naufragé À Constant Coquelin. Devant le cabaret qui domine la rade, Maître Jean Goëllo, le rude camarade, Le vieux gabier manchot du bras droit, le marin Qu’un boulet amputa le jour de Navarin, La pipe aux dents, buvant son grog par intervalles, Conte, les soirs d’été, ses histoires navales Aux pilotins du port attablés avec lui. « Oui, mes enfants, voilà soixante ans aujourd’hui, Leur dit-il, que je suis entré dans la marine Et que j’ai pris la mer sur la Belle-Honorine, Un trois-mâts éreinté, pourri, tout au plus bon A brûler, qui faisait voile pour le Gabon, Avec le vent arrière et la brise bien faite. J’avais grandi, pieds nus, à pêcher la crevette Avec un vieux – mon oncle, à ce qu’on prétendait, – Qui rentrait tous les soirs ivre et qui me battait. Tout enfant, j’ai beaucoup pâti, je puis le dire; Mais, une fois à bord, ce fut encor bien pire, Et c’est laque j’appris à souffrir sans crier. Primo: notre navire était un négrier, Et, dès qu’on fut au large, on ne tint plus secrète L’intention d’aller là-bas faire la traite. Le capitaine était toujours rond comme un oeuf Et menait l’équipage à coups de nerf de boeuf. Tous retombaient sur moi; – la chose est naturelle, Un mousse! – Je vivais au milieu d’une grêle De coups; à chaque pas sur le pont, je tremblais, Et je levais le bras pour parer les soufflets. Ah! nul n’avait pitié de moi. C’était bien rude; Mais dans les temps d’alors, on avait l’habitude D’assommer un enfant pour en faire un marin; Et je ne pleurais plus tant j’avais de chagrin. Enfin j’aurais fini par crever de misère, Quand je fus consolé par un ami sincère. Dieu – nous y croyons tous; en mer, il le faut bien! – Chez ces hommes méchants avait mis un bon chien. Traité comme moi-même, il vivait dans les transes, Et nous fûmes bientôt de vieilles connaissances. C’était un terre-neuve, et Black était son nom; Noir, avec des yeux d’or; et ce doux compagnon, Dès lors ne me quitta guère plus que mon ombre. Et par les belles nuits aux étoiles sans nombre, Quand il ne restait plus que les hommes de quart, Accroupi sur le pont avec Black à l’écart, Dans un recoin formé d’une demi-douzaine De ballots arrimés près du mât de misaine, Et mes deux bras passés au cou du brave chien, Je déchargeais mon coeur en pleurant près du sien. Oui, je pleurais, bercé par le bateau qui tangue, Tandis qu’il me léchait avec sa grosse langue. Mon pauvre Black! Allez! je songe à lui souvent. Nous avions eu d’abord bonne mer et bon vent; Mais, un jour qu’il faisait une chaleur atroce, Notre vieux capitaine – une bête féroce, C’est vrai, mais bon marin, on ne peut le nier! – Fit une étrange moue et dit au timonier: « Vois donc ce grain là-bas… La drôle de visite!… » L’autre répond: « Il est bien noir et vient bien vite! – Holà! hé! tu vas voir comment je le reçois… Haie bas le clin-foc!… Serre le catacois! » Bah! c’était la tempête; et toujours trop de toile! On serre les huniers, on cargue la grand’voile; Enfin le loup de mer prend ses précautions. Mais le navire était trop vieux, et nous dansions, Mes enfants, que le diable en aurait pris les armes. On travaillait, malgré l’orage et ses vacarmes; Mais quand on eut de l’eau plein la cale, il fallut S’occuper promptement des moyens de salut. Harassés, aveuglés, trempés comme une soupe, Pour la mettre à la mer nous parions la chaloupe, Quand tout à coup, et sans nous demander conseil, Voilà le pont qui crève avec un bruit pareil Au fracas d’un vaisseau qui lâche sa bordée. Nous coulions. On ne peut pas se faire une idée De l’émoi que vous cause un de ces plongeons-là. Moi, pendant la minute où le bateau coula En tournant sur lui-même avec un air stupide, Je revis mon passé dans un éclair rapide; Oui, tout, notre vieux port, ses mâts et son clocher, Et la plage où j’allais, pieds nus, sur le rocher, Et le sable semé de méduses vermeilles… Brusquement, l’eau m’emplit la bouche et les oreilles. Je n’aurais pas été longtemps à patauger Et j’allais m’engloutir, ne sachant pas nager, Lorsque Black me saisit au collet par la gueule. Justement la chaloupe avait surnagé seule; Elle était près de nous; le chien, d’un brave effort, Me pousse jusque-là; j’en empoigne le bord Et je saute dedans avec la bonne bête! Quant à notre trois-mâts, l’effroyable tempête N’en avait épargné que le mousse et son chien, Dans ce canot sans mâts, sans avirons, sans rien! Quoique gamin, j’avais le coeur plein de courage; Mais, deux heures après, quand se calma l’orage, Je compris, en songeant à mon sort froidement, Qu’à moins de rencontrer en mer un bâtiment, Je ne parviendrais pas à regagner la terre. J’étais seul sur le vaste océan solitaire, Et nous n’étions sauvés de la noyade enfin, Mon pauvre Black et moi, que pour mourir de faim! Pas un biscuit, pas un bidon dans la cambuse, Comme sur le fameux radeau de la Méduse!… Mais, abrégeons. Les bons récits sont les plus courts. Pendant trois longues nuits et pendant trois longs jours Notre canot flotta, balancé par la lame. La faim grondante au ventre et l’angoisse dans l’âme, Et perdant chaque jour l’espoir du lendemain, Assis près de mon chien qui me léchait la main, Sous le soleil torride ou sous la froide étoile, J’attendis donc, sans voir apparaître une voile A l’horizon fermant sur moi son cercle bleu. Donc, le troisième jour, j’avais la gorge en feu Et la fièvre, lorsque tout à coup je remarque Que Black se rencognait dans un coin de la barque, Qu’il avait l’air tout chose, et que son oeil, si bon D’ordinaire et si doux, luisait comme un charbon. « Allons, mon vieux, lui dis-je, ici! Qu’on te caresse! » Pas du tout. Il me lance un regard de détresse. Je m’avance; il recule et gronde entre ses dents, Tenant toujours fixés sur moi ses yeux ardents, Et veut happer ma main, que, d’instinct, je retire; Et je me demandais: « Qu’est-ce que ça veut dire? » Lorsque avec le frisson de la petite mort, Je vois Black qui saisit le bordage et le mord, En laissant sur le bois couler un flot de bave; Et je devinai tout!… Sur notre atroce épave, Le chien, pas plus que moi, n’avait bu ni mangé! Et voilà maintenant qu’il était enragé! Oui, celui qui m’avait sauvé du grand naufrage, Mon chien, mon matelot, mon frère, avait la rage! Avez-vous bien compris? Voyez-vous le tableau? Cette barque perdue entre le ciel et l’eau, Et, dedans, cet enfant, seul devant cette bête, Avec le grand soleil tropical sur la tête, Blanc de peur et tapi dans un coin du bateau. Je cherchai dans ma poche et j’ouvris mon couteau, Car, machinalement, chacun défend sa vie. Il était temps. Cédant à son horrible envie, L’animal furieux sur moi s’était jeté. D’un brusque mouvement du corps je l’évitai, Je le pris par la nuque, et, le sentant se tordre Et tâcher de tourner la tête pour me mordre, Je pus le terrasser enfin sous mon genou; Puis, tandis qu’il roulait ses pauvres yeux de fou, Et que sous moi ses flancs ronflaient comme une forge, Je lui plongeai trois fois mon couteau dans la gorge… J’avais tué mon seul et mon premier ami! Comment je fus trouvé plus tard, mort à demi, Et tout couvert du sang que vomit le cadavre, Par les hommes d’un brick qui retournait au Havre, Qu’importe? Depuis lors, j’ai bien souvent tué. En guerre, n’est-ce pas? on s’est habitué. Je fus du peloton, un jour, à la Barbade, Qui devait fusiller mon meilleur camarade; Et cela ne m’a pas donné le cauchemar. Sous le contre-amiral Magon, à Trafalgar, Ma hache a bien coupé, pendant les abordages, Plus de dix mains d’Anglais s’accrochant aux cordages; Je n’y pense jamais, pas plus qu’au peloton. A Plymouth, j’ai plongé, pour m’enfuir du ponton, Mon poignard dans le dos à deux factionnaires, Et sans m’en repentir jamais, mille tonnerres! Mais, d’avoir évoqué ce souvenir ancien, De vous avoir conté le meurtre de mon chien, Je ne dormirai pas de la nuit, et pour cause… Garçon, un second grog!… Et parlons d’autre chose!… »

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    François Coppée

    François Coppée

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    Le printemps C'est l'aurore et c'est l'avril, Lui dit-il, Viens, la rosée étincelle. – Le vallon est embaumé : Viens, c'est mai Et c'est l'aube, lui dit-elle Et dans le bois abritant Un étang, Où les chevreuils viennent boire, Ils sont allés, les heureux Amoureux, Suspendre leur balançoire. Gaîment ils s'y sont assis, Puis Thyrsis Prit les cordes à mains pleines ; Et voilà qu'ils sont lancés, Enlacés Et confondant leurs haleines. Daphné, près de son ami, A frémi D'entendre craquer les branches, Et, prise d'un rire fou, Mis au cou Du brun Thyrsis ses mains blanches. Mais, fier du fardeau léger, Le berger La regarde avec ivresse Et presse le bercement Si charmant Qui lui livre sa maîtresse. Elle a son seul point d'appui Contre lui, Qui touche ce que dérobe L'écharpe qu'un vent mutin Du matin Fait flotter avec la robe. Leurs beaux cheveux envolés, Sont mêlés. Ils vont, rasant les fleurettes De leurs jeunes pieds unis ; Et les nids Là-haut sont pleins de fauvettes. – Un baiser sur tes cheveux, Je le veux Et je veux que tu le veuilles. – Non, berger, car les grimpants Ægipans Sont là, cachés sous les feuilles. – Un baiser, – qu'il soit moins prompt ! – Sur ton front, Sur ta bouche qui m'attire ! – Non, berger. N'entends-tu pas Que là-bas Déjà ricane un satyre ? Ainsi l'ingénue enfant Se défend Et veut détourner la tête ; Mais, pour augmenter sa peur, Le trompeur Fait voler l'escarpolette ; Et craintive, et s'attachant Au méchant Qui lâchement en profite, La vierge au regard divin Bien en vain L'adjure d'aller moins vite. Mais déjà le bercement Lentement S'affaiblit et diminue. Les enfants se sont assez Balancés, Mais leur baiser continue. Où ce jeu les mène-t-il ? Très subtil Est Éros, riveur de chaînes, Et, dans le taillis en paix, Très épais Le gazon au pied des chênes. Sur l'écorce des rameaux En deux mots Plus d'une idylle est écrite, Et sous les myrtes de Cos Les échos Savent par cœur Théocrite.

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Le Père Il rentrait toujours ivre et battait sa maîtresse. Deux sombres forgerons, le Vice et la Détresse, Avaient rivé la chaîne à ces deux malheureux. Cette femme était chez cet homme – c’est affreux ! – Seulement par l’effroi de coucher dans la rue. L’ivrogne la trouvait toujours aigre et bourrue Le soir, et la frappait. Leurs cris et leurs jurons Faisaient connaître l’heure aux gens des environs. Puis c’était un silence effrayant dans leur chambre. – Un jour que par l’horreur, par la faim, par décembre, Ce couple épouvantable était plus assailli, Il leur naquit un fils, berceau mal accueilli, Humble front baptisé par un baiser morose, Hélas ! et qui n’était pas moins pur ni moins rose. L’homme revint encore ivre le lendemain, Mais, s’arrêtant au seuil, ne leva point la main Sur sa femme, depuis que c’était une mère. Le regard noir de haine et la parole amère, Celle-ci se tourna vers son horrible amant Qui la voyait bercer son fils farouchement, Et, raillant, lui cria : « Frappe donc ! Qui t’arrête ? Notre homme, j’attendais ton retour. Je suis prête. L’hiver est-il moins dur ? le pain est-il moins cher ? Dis ! et n’es-tu pas ivre aujourd’hui comme hier ? » Mais le père, accablé, ne parut point l’entendre, Et, fixant sur son fils un œil stupide et tendre, Craintif, ainsi qu’un homme accusé se défend, Il murmura : « J’ai peur de réveiller l’enfant ! »

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    François Coppée

    François Coppée

    @francoisCoppee

    Le rêve du poète Ce serait sur les bords de la Seine. Je vois Notre chalet, voilé par un bouquet de bois. Un hamac au jardin, un bateau sur le fleuve. Pas d’autre compagnon qu’un chien de Terre-Neuve Qu’elle aimerait et dont je serais bien jaloux. Des faïences à fleurs pendraient après des clous ; Puis beaucoup de chapeaux de paille et des ombrelles. Sous leurs papiers chinois les murs seraient si frêles Que même, en travaillant à travers la cloison Je l’entendrais toujours errer par la maison Et traîner dans l’étroit escalier sa pantoufle. Les miroirs de ma chambre auraient senti son souffle Et souvent réfléchi son visage, charmés. Elle aurait effleuré tout de ses doigts aimés. Et ces bruits, ces reflets, ces parfums, venant d’elle, Ne me permettraient pas d’être une heure infidèle. Enfin, quand, poursuivant un vers capricieux, Je serais là, pensif et la main sur les yeux, Elle viendrait, sachant pourtant que c’est un crime, Pour lire mon poème et me souffler ma rime, Derrière moi, sans bruit, sur la pointe des pieds. Moi, qui ne veux pas voir mes secrets épiés, Je me retournerais avec un air farouche ; Mais son gentil baiser me fermerait la bouche. – Et dans les bois voisins, inondés de rayons, Précédés du gros chien, nous nous promènerions, Moi, vêtu de coutil, elle, en toilette blanche, Et j’envelopperais sa taille, et sous sa manche Ma main caresserait la rondeur de son bras. On ferait des bouquets, et, quand nous serions las On rejoindrait, toujours suivis du chien qui jappe, La table mise, avec des roses sur la nappe, Près du bosquet criblé par le soleil couchant ; Et, tout en s’envoyant des baisers en mangeant, Tout en s’interrompant pour se dire : Je t’aime ! On assaisonnerait des fraises à la crème, Et l’on bavarderait comme des étourdis Jusqu’à ce que la nuit descende… – O Paradis !

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    François Coppée

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    Le soleil froid donnait un ton rose au grésil… Le soleil froid donnait un ton rose au grésil Et le ciel de novembre avait des airs d'avril. Nous voulions profiter de la belle gelée. Moi chaudement vêtu, toi bien emmitouflée Sous le manteau, sous la voilette et sous les gants, Nous franchissions, parmi les couples élégants, La porte de la blanche et joyeuse avenue, Quand soudain jusqu'à nous une enfant presque nue Et livide, tenant des fleurettes en main, Accourut, se frayant à la hâte un chemin Entre les beaux habits et les riches toilettes, Nous offrir un petit bouquet de violettes. Elle avait deviné que nous étions heureux Sans doute et s'était dit : Ils seront généreux. Elle nous proposa ses fleurs d'une voix douce, En souriant avec ce sourire qui tousse. Et c'était monstrueux, cette enfant de sept ans Qui mourait de l'hiver en offrant le printemps. Ses pauvres petits doigts étaient pleins d'engelures. Moi, je sentais le fin parfum de tes fourrures ; Je voyais ton cou rose et blanc sous la fanchon, Et je touchais ta main chaude dans ton manchon. — Nous fîmes notre offrande, amie, et nous passâmes ; Mais la gaieté s'était envolée, et nos âmes Gardèrent jusqu'au soir un souvenir amer. Mignonne, nous ferons l'aumône cet hiver.

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    François Coppée

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    @francoisCoppee

    Romance Quand vous me montrez une rose Qui s’épanouit sous l’azur, Pourquoi suis-je alors plus morose ? Quand vous me montrez une rose, C’est que je pense à son front pur. Quand vous me montrez une étoile, Pourquoi les pleurs, comme un brouillard, Sur mes yeux jettent-ils leur voile ? Quand vous me montrez une étoile, C’est que je pense à son regard. Quand vous me montrez l’hirondelle Qui part jusqu’au prochain avril, Pourquoi mon âme se meurt-elle ? Quand vous me montrez l’hirondelle, C’est que je pense à mon exil.

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