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Victor Hugo

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Victor Hugo, parfois surnommé l'Homme océan ou, de manière posthume, l'Homme siècle, est un poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français, né le 7 ventôse an X (26 février 1802) à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris. Il est considéré comme l'un des écrivains de la langue française et de la littérature mondiale les plus importants. Hugo est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a un rôle idéologique majeur et occupe une place marquante dans l'histoire des lettres françaises au XIXe siècle. Au théâtre, Victor Hugo s'impose comme un des chefs de file du romantisme français en présentant sa conception du drame romantique dans les préfaces qui introduisent Cromwell en 1827, puis Hernani en 1830, qui sont de véritables manifestes, puis par ses autres œuvres dramatiques, en particulier Lucrèce Borgia en 1833 et Ruy Blas en 1838. Son œuvre poétique comprend plusieurs recueils de poèmes lyriques, dont les plus célèbres sont Odes et Ballades paru en 1826, Les Feuilles d'automne en 1831 et Les Contemplations en 1856. Victor Hugo est aussi un poète engagé contre Napoléon III dans Les Châtiments, paru en 1853, et un poète épique dans La Légende des siècles, publié de 1859 à 1883. Comme romancier, il rencontre un grand succès populaire, d'abord avec Notre-Dame de Paris en 1831, et plus encore avec Les Misérables en 1862. Son œuvre multiple comprend aussi des écrits et discours politiques, des récits de voyages, des recueils de notes et de mémoires, des commentaires littéraires, une correspondance abondante, près de quatre mille dessins dont la plupart réalisés à l'encre, ainsi que la conception de décors intérieurs et une contribution à la photographie. Très impliqué dans le débat public, Victor Hugo est parlementaire sous la monarchie de Juillet et sous la Deuxième et Troisième République. Il s'exile pendant près de vingt ans à Jersey et Guernesey sous le Second Empire, dont il est l'un des grands opposants. Attaché à la paix et à la liberté et sensible à la misère humaine, il s'exprime en faveur de nombreuses avancées sociales, s'oppose à la peine de mort et à l'esclavage. Il soutient aussi l'idée d'une Europe unifiée. Son engagement résolument républicain dans la deuxième partie de sa vie et son immense œuvre littéraire font de lui un personnage emblématique, que la Troisième République honore par des funérailles nationales et le transfert de sa dépouille au Panthéon de Paris le 1er juin 1885, dix jours après sa mort. Pendant les deux jours où sa tombe est exposée au public, plus de deux millions de personnes se déplacent pour lui rendre hommage. Ayant fortement contribué au renouvellement de la poésie et du théâtre et ayant marqué son époque par ses prises de position politiques et sociales, Victor Hugo est encore célébré aujourd'hui, en France et à l'étranger, comme un personnage illustre, dont la vie et l'œuvre font l'objet de multiples commentaires et hommages.

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    Je respire où tu palpites Je respire où tu palpites, Tu sais ; à quoi bon, hélas ! Rester là si tu me quittes, Et vivre si tu t’en vas ? A quoi bon vivre, étant l’ombre De cet ange qui s’enfuit ? A quoi bon, sous le ciel sombre, N’être plus que de la nuit ? Je suis la fleur des murailles Dont avril est le seul bien. Il suffit que tu t’en ailles Pour qu’il ne reste plus rien. Tu m’entoures d’Auréoles; Te voir est mon seul souci. Il suffit que tu t’envoles Pour que je m’envole aussi. Si tu pars, mon front se penche ; Mon âme au ciel, son berceau, Fuira, dans ta main blanche Tu tiens ce sauvage oiseau. Que veux-tu que je devienne Si je n’entends plus ton pas ? Est-ce ta vie ou la mienne Qui s’en va ? Je ne sais pas. Quand mon orage succombe, J’en reprends dans ton coeur pur ; Je suis comme la colombe Qui vient boire au lac d’azur. L’amour fait comprendre à l’âme L’univers, salubre et béni ; Et cette petite flamme Seule éclaire l’infini Sans toi, toute la nature N’est plus qu’un cachot fermé, Où je vais à l’aventure, Pâle et n’étant plus aimé. Sans toi, tout s’effeuille et tombe ; L’ombre emplit mon noir sourcil ; Une fête est une tombe, La patrie est un exil. Je t’implore et réclame ; Ne fuis pas loin de mes maux, O fauvette de mon âme Qui chantes dans mes rameaux ! De quoi puis-je avoir envie, De quoi puis-je avoir effroi, Que ferai-je de la vie Si tu n’es plus près de moi ? Tu portes dans la lumière, Tu portes dans les buissons, Sur une aile ma prière, Et sur l’autre mes chansons. Que dirai-je aux champs que voile L’inconsolable douleur ? Que ferai-je de l’étoile ? Que ferai-je de la fleur ? Que dirai-je au bois morose Qu’illuminait ta douceur ? Que répondrai-je à la rose Disant :  » Où donc est ma soeur ? » J’en mourrai ; fuis, si tu l’oses. A quoi bon, jours révolus ! Regarder toutes ces choses Qu’elle ne regarde plus ? Que ferai-je de la lyre, De la vertu, du destin ? Hélas ! et, sans ton sourire, Que ferai-je du matin ? Que ferai-je, seul, farouche, Sans toi, du jour et des cieux, De mes baisers sans ta bouche, Et de mes pleurs sans tes yeux !

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    Je travaille Amis, je me remets à travailler ; j'ai pris Du papier sur ma table, une plume, et j'écris ; J'écris des vers, j'écris de la prose ; je songe. Je fais ce que je puis pour m'ôter du mensonge, Du mal, de l'égoïsme et de l'erreur ; j'entends Bruire en moi le gouffre obscur des mots flottants ; Je travaille. Ce mot, plus profond qu'aucun autre, Est dit par l'ouvrier et redit par l'apôtre ; Le travail est devoir et droit, et sa fierté C'est d'être l'esclavage étant la liberté. Le forçat du devoir et du travail est libre. Mais quoi ! penseur, tu vas remettre en équilibre Au fond de ton esprit, qu'occupaient d'autres soins, L'idée avec le mot, le plus avec le moins ! De la prose ! pourquoi ? des vers ! pourquoi ? des rimes ! Des phrases ! A quoi bon ? A quoi bon les abîmes, Les mystères, la vie et la mort, les secrets De la croissance étrange et sombre des forêts Et des peuples, et l'ombre où croulent les empires, Et toute cette énigme humaine où les Shakspeares Plongeaient, et que fouillaient, les yeux tout grands ouverts, Tacite avec sa prose et Dante avec son vers ? A quoi bon la beauté, l'art, la forme, le style ? Lucrèce et le spondée, Horace et le dactyle, Et tous ces arrangeurs de mètres et de mots, Pindare, Eschyle, Job, Plaute, Isaïe, Amos ? A quoi bon ce qui fait l'homme grand sur la terre ? Ceux qui parlent ainsi feraient mieux de se taire ; Je connais dès longtemps leur vaine objection. L'art est la roue immense, et j'en suis l'Ixion. Je travaille. A quoi ? Mais... à tout ; car la pensée Est une vaste porte à chaque instant poussée Par ces passants qu'on nomme Honneur, Devoir, Raison, Deuil, et qui tous ont droit d'entrer dans la maison. Je regarde là-haut le jour éternel poindre ; A qui voit plus de ciel la terre semble moindre ; J'offre aux morts, dans mon âme en proie au choc des vents, Leur souvenir accru de l'oubli des vivants. Oui, je travaille, amis ! oui, j'écris, oui, je pense ! L'apaisement superbe étant la récompense De l'homme qui, saignant, et calme néanmoins, Tâche de songer plus afin de souffrir moins. Le souffle universel m'enveloppe et me gagne. Le lointain avenir, lueur de la montagne, M'apparaît par-dessus tous les noirs horizons. C'est par ces rêves-là que nous nous redressons ! Ô frisson du songeur qui redevient prophète ! Le travail, cette chose inexprimable, faite De vertige, d'effort, de joug, de volonté, Vient quand nous l'appelons, nous jette une clarté Subite, et verse en nous tous les généreux zèles, Et, docile, ardent, fier, ouvrant de brusques ailes, Écartant les douleurs ainsi que des rameaux, Nous emporte à travers l'infini, loin des maux, Loin de la terre, loin du malheur, loin du vice, Comme un aigle qu'on a dans l'ombre à son service.

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    Jeanne songeait Jeanne songeait, sur l'herbe assise, grave et rose ; Je m'approchai : - Dis-moi si tu veux quelque chose, Jeanne ? — car j'obéis à ces charmants amours, Je les guette, et je cherche à comprendre toujours Tout ce qui peut passer par ces divines têtes. Jeanne m'a répondu : — je voudrais voir des bêtes. Alors je lui montrai dans l'herbe une fourmi. — Vois ! Mais Jeanne ne fut contente qu'à demi. — Non, les bêtes, c'est gros, me dit-elle. Leur rêve, C'est le grand. L'océan les attire à sa grève, Les berçant de son chant rauque, et les captivant Par l'ombre, et par la fuite effrayante du vent ; Ils aiment l'épouvante, il leur faut le prodige. — Je n'ai pas d'éléphant sous la main, répondis-je. Veux-tu quelque autre chose ? ô Jeanne, on te le doit ! Parle. — Alors Jeanne au ciel leva son petit doigt. — Ça, dit-elle. — C'était l'heure où le soir commence. Je vis à l'horizon surgir la lune immense.

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    Jeanne était au pain sec Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir, Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir, J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture, Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité, Repose le salut de la société, S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce : – Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ; Je ne me ferai plus griffer par le minet. Mais on s'est récrié : – Cette enfant vous connaît ; Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche. Elle vous voit toujours rire quand on se fâche. Pas de gouvernement possible. À chaque instant L'ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ; Plus de règle. L'enfant n'a plus rien qui l'arrête. Vous démolissez tout. – Et j'ai baissé la tête, Et j'ai dit : – Je n'ai rien à répondre à cela, J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-là Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte. Qu'on me mette au pain sec. – Vous le méritez, certe, On vous y mettra. – Jeanne alors, dans son coin noir, M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir, Pleins de l'autorité des douces créatures : – Eh bien, moi, je t'irai porter des confitures.

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    Jeune fille, la grâce emplit tes dix-sept ans Ton regard dit : « Matin, » et ton front dit : « Printemps. » Il semble que ta main porte un lys invisible. Don Juan te voit passer et murmure : « Impossible ! » Sois belle. Sois bénie, enfant, dans ta beauté. La nature s'égaie à toute ta clarté ; Tu fais une lueur sous les arbres ; la guêpe Touche ta joue en fleur de son aile de crêpe ; La mouche à tes yeux vole ainsi qu'à des flambeaux. Ton souffle est un encens qui monte au ciel. Lesbos Et les marins d'Hydra, s'ils te voyaient sans voiles, Te prendraient pour l'Aurore aux cheveux pleins d'étoiles. Les êtres de l'azur froncent leur pur sourcil Quand l'homme, spectre obscur du mal et de l'exil, Ose approcher ton âme, aux rayons fiancée. Sois belle. Tu te sens par l'ombre caressée, Un ange vient baiser ton pied quand il est nu, Et c'est ce qui te fait ton sourire ingénu. Février 1843.

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    L'enfant, voyant l'aïeule L'enfant, voyant l'aïeule à filer occupée, Veut faire une quenouille à sa grande poupée. L'aïeule s'assoupit un peu ; c'est le moment. L'enfant vient par derrière et tire doucement Un brin de la quenouille où le fuseau tournoie, Puis s'enfuit triomphante, emportant avec joie La belle laine d'or que le safran jaunit, Autant qu'en pourrait prendre un oiseau pour son nid. Cauteretz, août 1843.

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    Jolies femmes On leur fait des sonnets, passables quelquefois ; On baise cette main qu'elles daignent vous tendre ; On les suit à l'église, on les admire au bois ; On redevient Damis, on redevient Clitandre ; Le bal est leur triomphe, et l'on brigue leur choix ; On danse, on rit, on cause, et vous pouvez entendre, Tout en valsant, parmi les luths et les hautbois, Ces belles gazouiller de leur voix la plus tendre : - La force est tout ; la guerre est sainte ; l'échafaud Est bon ; il ne faut pas trop de lumière ; il faut Bâtir plus de prisons et bâtir moins d'écoles ; Si Paris bouge, il faut des canons plein les forts. Et ces colombes-là vous disent des paroles A faire remuer d'horreur les os des morts. Juillet 1870.

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    Jour de fête Aux environs de Paris Midi chauffe et sèche la mousse ; Les champs sont pleins de tambourins ; On voit dans une lueur douce Des groupes vagues et sereins. Là-bas, à l’horizon, poudroie Le vieux donjon de saint Louis ; Le soleil dans toute sa joie Accable les champs éblouis. L’air brûlant fait, sous ses haleines Sans murmures et sans échos, Luire en la fournaise des plaines La braise des coquelicots. Les brebis paissent inégales ; Le jour est splendide et dormant ; Presque pas d’ombre ; les cigales Chantent sous le bleu flamboiement. Voilà les avoines rentrées. Trêve au travail. Amis, du vin ! Des larges tonnes éventrées Sort l’éclat de rire divin. Le buveur chancelle à la table Qui boite fraternellement. L’ivrogne se sent véritable ; Il oublie, ô clair firmament, Tout, la ligne droite, la gêne, La loi, le gendarme, l’effroi, L’ordre ; et l’échalas de Surène Raille le poteau de l’octroi. L’âne broute, vieux philosophe ; L’oreille est longue ; l’âne en rit, Peu troublé d’un excès d’étoffe, Et content si le pré fleurit. Les enfants courent par volée. Clichy montre, honneur aux anciens ! Sa grande muraille étoilée Par la mitraille des Prussiens. La charrette roule et cahote ; Paris élève au loin sa voix, Noir chiffonnier qui dans sa hotte Porte le sombre tas des rois. On voit au loin les cheminées Et les dômes d’azur voilés ; Des filles passent, couronnées De joie et de fleurs, dans les blés.

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    L'art et le peuple I. L'art, c'est la gloire et la joie. Dans la tempête il flamboie ; Il éclaire le ciel bleu. L'art, splendeur universelle, Au front du peuple étincelle, Comme l'astre au front de Dieu. L'art est un champ magnifique Qui plaît au cœur pacifique, Que la cité dit aux bois, Que l'homme dit à la femme, Que toutes les voix de l'âme Chantent en chœur à la fois ! L'art, c'est la pensée humaine Qui va brisant toute chaîne ! L'art, c'est le doux conquérant ! À lui le Rhin et le Tibre ! Peuple esclave, il te fait libre ; Peuple libre, il te fait grand ! II. Ô bonne France invincible, Chante ta chanson paisible ! Chante, et regarde le ciel ! Ta voix joyeuse et profonde Est l'espérance du monde, Ô grand peuple fraternel ! Bon peuple, chante à l'aurore, Quand le soir vient, chante encore ! Le travail fait la gaîté. Ris du vieux siècle qui passe ! Chante l'amour à voix basse, Et tout haut la liberté ! Chante la sainte Italie, La Pologne ensevelie, Naples qu'un sang pur rougit, La Hongrie agonisante... — Ô tyrans ! le peuple chante Comme le lion rugit ! Le 7 novembre 1851.

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    L'aube est moins claire L'aube est moins claire, l'air moins chaud, le ciel moins pur ; Le soir brumeux ternit les astres de l'azur. Les longs jours sont passés ; les mois charmants finissent. Hélas ! voici déjà les arbres qui jaunissent ! Comme le temps s'en va d'un pas précipité ! Il semble que nos yeux, qu'éblouissait l'été, Ont à peine eu le temps de voir les feuilles vertes. Pour qui vit comme moi les fenêtres ouvertes, L'automne est triste avec sa bise et son brouillard, Et l'été qui s'enfuit est un ami qui part. Adieu, dit cette voix qui dans notre âme pleure, Adieu, ciel bleu ! beau ciel qu'un souffle tiède effleure ! Voluptés du grand air, bruit d'ailes dans les bois, Promenades, ravins pleins de lointaines voix, Fleurs, bonheur innocent des âmes apaisées, Adieu, rayonnements ! aubes ! chansons ! rosées ! Puis tout bas on ajoute : ô jours bénis et doux ! Hélas ! vous reviendrez ! me retrouverez-vous ?

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    L'avenir Polynice, Etéocle, Abel, Caïn ! ô frères ! Vieille querelle humaine ! échafauds ! lois agraires ! Batailles ! ô drapeaux, ô linceuls ! noirs lambeaux ! Ouverture hâtive et sombre des tombeaux ! Dieu puissant ! quand la mort sera-t-elle tuée ? Ô sainte paix ! La guerre est la prostituée ; Elle est la concubine infâme du hasard. Attila sans génie et Tamerlan sans art Sont ses amants ; elle a pour eux des préférences ; Elle traîne au charnier toutes nos espérances, Egorge nos printemps, foule aux pieds nos souhaits, Et comme elle est la haine, ô ciel bleu, je la hais ! J'espère en toi, marcheur qui viens dans les ténèbres, Avenir ! Nos travaux sont d'étranges algèbres ; Le labyrinthe vague et triste où nous rôdons Est plein d'effrois subits, de pièges, d'abandons ; Mais toujours dans la main le fil obscur nous reste. Malgré le noir duel d'Atrée et de Thyeste, Malgré Léviathan combattant Béhémoth, J'aime et je crois. L'énigme enfin dira son mot. L'ombre n'est pas sur l'homme à jamais acharnée. Non ! Non ! l'humanité n'a point pour destinée D'être assise immobile au seuil froid des tombeaux, Comme Jérôme, morne et blême, dans Ombos, Ou comme dans Argos la douloureuse Electre. Un jour, moi qui ne crains l'approche d'aucun spectre, J'allai voir le lion de Waterloo. Je vins Jusqu'à la sombre plaine à travers les ravins ; C'était l'heure où le jour chasse le crépuscule ; J'arrivai ; je marchai droit au noir monticule. Indigné, j'y montai ; car la gloire du sang, Du glaive et de la mort me laisse frémissant. Le lion se dressait sur la plaine muette ; Je regardais d'en bas sa haute silhouette ; Son immobilité défiait l'infini ; On sentait que ce fauve, au fond des cieux banni, Relégué dans l'azur, fier de sa solitude, Portait un souvenir affreux sans lassitude ; Farouche, il était là, ce témoin de l'affront. Je montais, et son ombre augmentait sur mon front. Et tout en gravissant vers l'âpre plate-forme, Je disais : Il attend que la terre s'endorme ; Mais il est implacable ; et, la nuit, par moment Ce bronze doit jeter un sourd rugissement ; Et les hommes, fuyant ce champ visionnaire, Doutent si c'est le monstre ou si c'est le tonnerre. J'arrivai jusqu'à lui, pas à pas m'approchant... J'attendais une foudre et j'entendis un chant. Une humble voix sortait de cette bouche énorme. Dans cette espèce d'antre effroyable et difforme Un rouge-gorge était venu faire son nid ; Le doux passant ailé que le printemps bénit, Sans peur de la mâchoire affreusement levée, Entre ces dents d'airain avait mis sa couvée ; Et l'oiseau gazouillait dans le lion pensif. Le mont tragique était debout comme un récif Dans la plaine jadis de tant de sang vermeille ; Et comme je songeais, pâle et prêtant l'oreille, Je sentis un esprit profond me visiter, Et, peuples, je compris que j'entendais chanter L'espoir dans ce qui fut le désespoir naguère, Et la paix dans la gueule horrible de la guerre.

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    L'enfance L'enfant chantait ; la mère au lit exténuée, Agonisait, beau front dans l'ombre se penchant ; La mort au-dessus d'elle errait dans la nuée ; Et j'écoutais ce râle, et j'entendais ce chant. L'enfant avait cinq ans, et, près de la fenêtre, Ses rires et ses jeux faisaient un charmant bruit ; Et la mère, à côté de ce pauvre doux être Qui chantait tout le jour, toussait toute la nuit. La mère alla dormir sous les dalles du cloître ; Et le petit enfant se remit à chanter... — La douleur est un fruit : Dieu ne le fait pas croître Sur la branche trop faible encor pour le porter. Paris, janvier 1835.

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    L'enfant Quand l'enfant nous regarde, on sent Dieu nous sonder ; Quand il pleure, j'entends le tonnerre gronder, Car penser c'est entendre, et le visionnaire Est souvent averti par un vague tonnerre. Quand ce petit être, humble et pliant les genoux, Attache doucement sa prunelle sur nous, Je ne sais pas pourquoi je tremble ; quand cette âme, Qui n'est pas homme encore et n'est pas encor femme, En qui rien ne s'admire et rien ne se repent, Sans sexe, sans passé derrière elle rampant, Verse, à travers les cils de sa rose paupière, Sa clarté, dans laquelle on sent de la prière, Sur nous les combattants, les vaincus, les vainqueurs ; Quand cet arrivant semble interroger nos coeurs, Quand cet ignorant, plein d'un jour que rien n'efface, A l'air de regarder notre science en face, Et jette, dans cette ombre où passe Adam banni, On ne sait quel rayon de rêve et d'infini, Ses blonds cheveux lui font au front une auréole. Comme on sent qu'il était hier l'esprit qui vole ! Comme on sent manquer l'aile à ce petit pied blanc ! Oh ! comme c'est débile et frêle et chancelant Comme on devine, aux cris de cette bouche, un songe De paradis qui jusqu'en enfer se prolonge Et que le doux enfant ne veut pas voir finir ! L'homme, ayant un passé, craint pour cet avenir. Que la vie apparaît fatale ! Comme on pense A tant de peine avec si peu de récompense ! Oh ! comme on s'attendrit sur ce nouveau venu ! Lui cependant, qu'est-il, ô vivants ? l'inconnu. Qu'a-t-il en lui ? l'énigme. Et que porte-t-il ? l'âme. Il vit à peine ; il est si chétif qu'il réclame Du brin d'herbe ondoyant aux vents un point d'appui. Parfois, lorsqu'il se tait, on le croit presque enfui, Car on a peur que tout ici-bas ne le blesse. Lui, que fait-il ? Il rit. Fait d'ombre et de faiblesse Et de tout ce qui tremble, il ne craint rien. Il est Parmi nous le seul être encor vierge et complet ; L'ange devient enfant lorsqu'il se rapetisse. Si toute pureté contient toute justice, On ne rencontre plus l'enfant sans quelque effroi ; On sent qu'on est devant un plus juste que soi ; C'est l'atome, le nain souriant, le pygmée ; Et, quand il passe, honneur, gloire, éclat, renommée, Méditent ; on se dit tout bas : Si je priais ? On rêve ; et les plus grands sont les plus inquiets ; Sa haute exception dans notre obscure sphère, C'est que, n'ayant rien fait, lui seul n'a pu mal faire ; Le monde est un mystère inondé de clarté, L'enfant est sous l'énigme adorable abrité ; Toutes les vérités couronnent condensées Ce doux front qui n'a pas encore de pensées ; On comprend que l'enfant, ange de nos douleurs, Si petit ici-bas, doit être grand ailleurs. Il se traîne, il trébuche ; il n'a dans l'attitude, Dans la voix, dans le geste aucune certitude ; Un souffle à qui la fleur résiste fait ployer Cet être à qui fait peur le grillon du foyer ; L'oeil hésite pendant que la lèvre bégaie ; Dans ce naïf regard que l'ignorance égaie, L'étonnement avec la grâce se confond, Et l'immense lueur étoilée est au fond.

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    L'exil satisfait Solitude ! silence ! oh ! le désert me tente. L'âme s'apaise là, sévèrement contente ; Là d'on ne sait quelle ombre on se sent l'éclaireur. Je vais dans les forêts chercher la vague horreur ; La sauvage épaisseur des branches me procure Une sorte de joie et d'épouvante obscure ; Et j'y trouve un oubli presque égal au tombeau. Mais je ne m'éteins pas ; on peut rester flambeau Dans l'ombre, et, sous le ciel, sous la crypte sacrée, Seul, frissonner au vent profond de l'empyrée. Rien n'est diminué dans l'homme pour avoir Jeté la sonde au fond ténébreux du devoir. Qui voit de haut, voit bien ; qui voit de loin, voit juste. La conscience sait qu'une croissance auguste Est possible pour elle, et va sur les hauts lieux Rayonner et grandir, loin du monde oublieux. Donc je vais au désert, mais sans quitter le monde. Parce qu'un songeur vient, dans la forêt profonde Ou sur l'escarpement des falaises, s'asseoir Tranquille et méditant l'immensité du soir, Il ne s'isole point de la terre où nous sommes. Ne sentez-vous donc pas qu'ayant vu beaucoup d'hommes On a besoin de fuir sous les arbres épais, Et que toutes les soifs de vérité, de paix, D'équité, de raison et de lumière, augmentent Au fond d'une âme, après tant de choses qui mentent ? Mes frères ont toujours tout mon cœur, et, lointain Mais présent, je regarde et juge le destin ; Je tiens, pour compléter l'âme humaine ébauchée, L'urne de la pitié sur les peuples penchée, Je la vide sans cesse et je l'emplis toujours. Mais je prends pour abri l'ombre des grands bois sourds. Oh ! j'ai vu de si près les foules misérables, Les cris, les chocs, l'affront aux têtes vénérables, Tant de lâches grandis par les troubles civils, Des juges qu'on eût dû juger, des prêtres vils Servant et souillant Dieu, prêchant pour, prouvant contre, J'ai tant vu la laideur que notre beauté montre, Dans notre bien le mal, dans notre vrai le faux, Et le néant passant sous nos arcs triomphaux, J'ai tant vu ce qui mord, ce qui fuit, ce qui ploie Que, vieux, faible et vaincu, j'ai désormais pour joie De rêver immobile en quelque sombre lieu ; Là, saignant, je médite ; et, lors même qu'un dieu M'offrirait pour rentrer dans les villes la gloire, La jeunesse, l'amour, la force, la victoire, Je trouve bon d'avoir un trou dans les forêts, Car je ne sais pas trop si je consentirais.

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    L'hirondelle au Printemps L'hirondelle au printemps cherche les vieilles tours, Débris où n'est plus l'homme, où la vie est toujours ; La fauvette en avril cherche, ô ma bien-aimée, La forêt sombre et fraîche et l'épaisse ramée, La mousse, et, dans les noeuds des branches, les doux toits Qu'en se superposant font les feuilles des bois. Ainsi fait l'oiseau. Nous, nous cherchons, dans la ville, Le coin désert, l'abri solitaire et tranquille. Le seuil qui n'a pas d'yeux obliques et méchants, La rue où les volets sont fermés ; dans les champs, Nous cherchons le sentier du pâtre et du poète ; Dans les bois, la clairière inconnue et muette Où le silence éteint les bruits lointains et sourds. L'oiseau cache son nid, nous cachons nos amours. Fontainebleau, juin 18...

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    L'homme a ri Ah ! tu finiras bien par hurler, misérable ! Encor tout haletant de ton crime exécrable, Dans ton triomphe abject, si lugubre et si prompt, Je t'ai saisi. J'ai mis l'écriteau sur ton front ; Et maintenant la foule accourt, et te bafoue. Toi, tandis qu'au poteau le châtiment te cloue, Que le carcan te force à lever le menton, Tandis que, de ta veste arrachant le bouton, L'histoire à mes côtés met à nu ton épaule, Tu dis : je ne sens rien ! et tu nous railles, drôle ! Ton rire sur mon nom gaîment vient écumer ; Mais je tiens le fer rouge et vois ta chair fumer. Jersey, le 30 octobre 1852.

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    L'ombre Il lui disait : – Vos chants sont tristes. Qu'avez-vous ? Ange inquiet, quels pleurs mouillent vos yeux si doux ? Pourquoi, pauvre âme tendre, inclinée et fidèle, Comme un jonc que le vent a ployé d'un coup d'aile, Pencher votre beau front assombri par instants ? Il faut vous réjouir, car voici le printemps, Avril, saison dorée, où, parmi les zéphires, Les parfums, les chansons, les baisers, les sourires, Et les charmants propos qu'on dit à demi-voix, L'amour revient aux cœurs comme la feuille aux bois ! – Elle lui répondit de sa voix grave et douce : – Ami, vous êtes fort. Sûr du Dieu qui vous pousse, L'œil fixé sur un but, vous marchez droit et fier, Sans la peur de demain, sans le souci d'hier, Et rien ne peut troubler, pour votre âme ravie, La belle vision qui vous cache la vie. Mais moi je pleure ! – Morne, attachée à vos pas, Atteinte à tous ces coups que vous ne sentez pas, Cœur fait, moins l'espérance, à l'image du vôtre, Je souffre dans ce monde et vous chantez dans l'autre. Tout m'attriste, avenir que je vois à faux jour, Aigreur de la raison qui querelle l'amour, Et l'âcre jalousie alors qu'une autre femme Veut tirer de vos yeux un regard de votre âme, Et le sort qui nous frappe et qui n'est jamais las. Plus le soleil reluit, plus je suis ombre, hélas ! Vous allez, moi je suis ; vous marchez, moi je tremble, Et tandis que, formant mille projets ensemble, Vous semblez ignorer, passant robuste et doux, Tous les angles que fait le monde autour de nous, Je me traîne après vous, pauvre femme blessée. D'un corps resté debout l'ombre est parfois brisée. – Le 5 mars 1839.

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    L'échafaud C'était fini. Splendide, étincelant, superbe, Luisant sur la cité comme la faulx sur l'herbe, Large acier dont le jour faisait une clarté, Ayant je ne sais quoi dans sa tranquillité De l'éblouissement du triangle mystique, Pareil à la lueur au fond d'un temple antique, Le fatal couperet relevé triomphait. Il n'avait rien gardé de ce qu'il avait fait Qu'une petite tache imperceptible et rouge. Le bourreau s'en était retourné dans son bouge ; Et la peine de mort, remmenant ses valets, Juges, prêtres, était rentrée en son palais, Avec son tombereau terrible dont la roue, Silencieuse, laisse un sillon dans la boue Qui se remplit de sang sitôt qu'elle a passé. La foule disait : bien ! car l'homme est insensé, Et ceux qui suivent tout, et dont c'est la manière, Suivent même ce char et même cette ornière. J'étais là. Je pensais. Le couchant empourprait Le grave Hôtel de Ville aux luttes toujours prêt, Entre Hier qu'il médite et Demain dont il rêve. L'échafaud achevait, resté seul sur la Grève, Sa journée, en voyant expirer le soleil. Le crépuscule vint, aux fantômes pareil. Et j'étais toujours là, je regardais la hache, La nuit, la ville immense et la petite tache. A mesure qu'au fond du firmament obscur L'obscurité croissait comme un effrayant mur, L'échafaud, bloc hideux de charpentes funèbres, S'emplissait de noirceur et devenait ténèbres ; Les horloges sonnaient, non l'heure, mais le glas ; Et toujours, sur l'acier, quoique le coutelas Ne fût plus qu'une forme épouvantable et sombre, La rougeur de la tache apparaissait dans l'ombre.

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    L'épanouissement L'épanouissement, c'est la loi du Seigneur. Il a fait la beauté, l'amour et le bonheur, Il veut la fleur dans la broussaille. Son âme immense, à qui l'aube sert de clairon, Vibre à l'anxiété du moindre moucheron. Toute douleur en Dieu tressaille. Quand on lie un oiseau, Dieu souffre dans le noeud. Dieu, tout objet froissé vous touche et vous émeut Dans l'ombre où votre esprit repose ; Couché sur l'univers qu'emplit votre rayon, Vous sentez, vous aussi, dans la création, Le pli d'une feuille de rose.

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    L'été a Coutances Ah ! l'équinoxe cherche noise Au solstice, et ce juin charmant Nous offre une bise sournoise ; L'été de Neustrie est normand ! Notre été chicane et querelle ; Son sourire aime à nous leurrer ; Il se, rétracte ; il tonne, il grêle ; Il pleut, manière de pleurer. Mais qu'importe ! entre deux orages, Ses rayons glissent, fiers vainqueurs, Et la pourpre est dans les nuages, Et le triomphe est dans les coeurs. Cette grande herbe est mon empire. Je suis l'amant mystérieux De l'âme obscure qui soupire Au fond des bois, au fond des cieux ! Je suis roi chez les fleurs vermeilles. Quelle extase d'être mêlé Aux oiseaux, aux vents, aux abeilles, Au vague essor du monde ailé ! L'arbre creux vous offre une chaise ; L'iris vous suit de son oeil bleu ; On contemple ; il semble qu'on baise Le bord de la robe de Dieu.

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    La chouette Une chouette était sur la porte clouée ; Larve de l’ombre au toit des hommes échouée. La nature, qui mêle une âme aux rameaux verts, Qui remplit tout, et vit, à des degrés divers, Dans la bête sauvage et la bête de somme, Toujours en dialogue avec l’esprit de l’homme, Lui donne à déchiffrer les animaux, qui sont Ses signes, alphabet formidable et profond ; Et, sombre, ayant pour mots l’oiseau, le ver, l’insecte, Parle deux langues : l’une, admirable et correcte, L’autre, obscur bégaîment. L’éléphant aux pieds lourds, Le lion, ce grand front de l’antre, l’aigle, l’ours, Le taureau, le cheval, le tigre au bond superbe, Sont le langage altier et splendide, le verbe ; Et la chauve-souris, le crapaud, le putois, Le crabe, le hibou, le porc, sont le patois. Or, j’étais là, pensif, bienveillant, presque tendre, Épelant ce squelette, et tâchant de comprendre Ce qu’entre les trois clous où son spectre pendait, Aux vivants, aux souffrants, au bœuf triste, au baudet, Disait, hélas ! la pauvre et sinistre chouette, Du côté noir de l’être informe silhouette. * Elle disait : « Sur son front sombre Comme la brume se répand ! Il remplit tout le fond de l’ombre. Comme sa tête morte pend ! De ses yeux coulent ses pensées. Ses pieds troués, ses mains percées Bleuissent à l’air glacial. Oh ! comme il saigne dans le gouffre ! Lui qui faisait le bien, il souffre Comme moi qui faisais le mal. « Une lumière à son front tremble. Et la nuit dit au vent : « Soufflons Sur cette flamme ! » et, tous ensemble, Les ténèbres, les aquilons, La pluie et l’horreur, froides bouches, Soufflent, hagards, hideux, farouches, Et dans la tempête et le bruit La clarté reparaît grandie… — Tu peux éteindre un incendie, Mais pas une auréole, ô nuit ! « Cette âme arriva sur la terre, Qu’assombrit le soir incertain ; Elle entra dans l’obscur mystère Que l’ombre appelle son destin ; Au mensonge, aux forfaits sans nombre, À tout l’horrible essaim de l’ombre, Elle livrait de saints combats ; Elle volait, et ses prunelles Semblaient deux lueurs éternelles Qui passaient dans la nuit d’en bas. « Elle allait parmi les ténèbres, Poursuivant, chassant, dévorant Les vices, ces taupes funèbres, Le crime, ce phalène errant ; Arrachant de leurs trous la haine, L’orgueil, la fraude qui se traîne, L’âpre envie, aspic du chemin, Les vers de terre et les vipères, Que la nuit cache dans les pierres Et le mal dans le cœur humain ! « Elle cherchait ces infidèles, L’Achab, le Nemrod, le Mathan, Que, dans son temple et sous ses ailes, Réchauffe le faux dieu Satan, Les vendeurs cachés sous les porches, Le brûleur allumant ses torches Au même feu que l’encensoir ; Et, quand elle l’avait trouvée, Toute la sinistre couvée Se hérissait sous l’autel noir. « Elle allait, délivrant les hommes De leurs ennemis ténébreux ; Les hommes, noirs comme nous sommes, Prirent l’esprit luttant pour eux ; Puis ils clouèrent, les infâmes, L’âme qui défendait leurs âmes, L’être dont l’œil jetait du jour ; Et leur foule, dans sa démence, Railla cette chouette immense De la lumière et de l’amour ! « Race qui frappes et lapides, Je te plains ! hommes, je vous plains ! Hélas ! je plains vos poings stupides, D’affreux clous et de marteaux pleins ! Vous persécutez pêle-mêle Le mal, le bien, la griffe et l’aile, Chasseurs sans but, bourreaux sans yeux ! Vous clouez de vos mains mal sûres Les hiboux au seuil des masures, Et Christ sur la porte des cieux ! » Mai 1843.

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    La cicatrice Une croûte assez laide est sur la cicatrice. Jeanne l’arrache, et saigne, et c’est là son caprice ; Elle arrive, montrant son doigt presque en lambeau. — J’ai, me dit-elle, ôté la peau de mon bobo. — Je la gronde, elle pleure, et, la voyant en larmes, Je deviens plat. — Faisons la paix, je rends les armes, Jeanne, à condition que tu me souriras. — Alors la douce enfant s’est jetée en mes bras, Et m’a dit, de son air indulgent et suprême : — Je ne me ferai plus de mal, puisque je t’aime. — Et nous voilà contents, en ce tendre abandon, Elle de ma clémence et moi de son pardon. 7 juillet 1875.

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    La coccinelle Elle me dit : « Quelque chose Me tourmente. » Et j’aperçus Son cou de neige, et, dessus, Un petit insecte rose. J’aurais dû, — mais, sage ou fou, À seize ans, on est farouche, — Voir le baiser sur sa bouche Plus que l’insecte à son cou. On eût dit un coquillage ; Dos rose et taché de noir. Les fauvettes pour nous voir Se penchaient dans le feuillage. Sa bouche fraîche était là ; Je me courbai sur la belle, Et je pris la coccinelle ; Mais le baiser s’envola. « Fils, apprends comme on me nomme, » Dit l’insecte du ciel bleu, « Les bêtes sont au bon Dieu, Mais la bêtise est à l’homme. » Paris, mai 1830.

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    La conscience Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes, Échevelé, livide au milieu des tempêtes, Caïn se fut enfui de devant Jéhovah, Comme le soir tombait, l'homme sombre arriva Au bas d'une montagne en une grande plaine ; Sa femme fatiguée et ses fils hors d'haleine Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. » Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts. Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres, Il vit un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres, Et qui le regardait dans l'ombre fixement. « Je suis trop près », dit-il avec un tremblement. Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse, Et se remit à fuir sinistre dans l'espace. Il marcha trente jours, il marcha trente nuits. Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits, Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve, Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grève Des mers dans le pays qui fut depuis Assur. « Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr. Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. » Et, comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes L'œil à la même place au fond de l'horizon. Alors il tressaillit en proie au noir frisson. « Cachez-moi ! » cria-t-il; et, le doigt sur la bouche, Tous ses fils regardaient trembler l'aïeul farouche. Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont Sous des tentes de poil dans le désert profond : « Étends de ce côté la toile de la tente. » Et l'on développa la muraille flottante ; Et, quand on l'eut fixée avec des poids de plomb : « Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l'enfant blond, La fille de ses Fils, douce comme l'aurore ; Et Caïn répondit : « je vois cet œil encore ! » Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs Soufflant dans des clairons et frappant des tambours, Cria : « je saurai bien construire une barrière. » Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière. Et Caïn dit « Cet œil me regarde toujours! » Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours Si terrible, que rien ne puisse approcher d'elle. Bâtissons une ville avec sa citadelle, Bâtissons une ville, et nous la fermerons. » Alors Tubalcaïn, père des forgerons, Construisit une ville énorme et surhumaine. Pendant qu'il travaillait, ses frères, dans la plaine, Chassaient les fils d'Enos et les enfants de Seth ; Et l'on crevait les yeux à quiconque passait ; Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles. Le granit remplaça la tente aux murs de toiles, On lia chaque bloc avec des nœuds de fer, Et la ville semblait une ville d'enfer ; L'ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ; Ils donnèrent aux murs l'épaisseur des montagnes ; Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d'entrer. » Quand ils eurent fini de clore et de murer, On mit l'aïeul au centre en une tour de pierre ; Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père ! L'œil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla. Et Caïn répondit : « Non, il est toujours là. » Alors il dit: « je veux habiter sous la terre Comme dans son sépulcre un homme solitaire ; Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. » On fit donc une fosse, et Caïn dit « C'est bien ! » Puis il descendit seul sous cette voûte sombre. Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain, L'œil était dans la tombe et regardait Caïn.

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    La femme Je l'ai dit quelque part, les penseurs d'autrefois, Épiant l'inconnu dans ses plus noires lois, Ont tous étudié la formation d'Ève. L'un en fit son problème et l'autre en fit son rêve. L'horreur sacrée étant dans tout, se pourrait-il Que la femme, cet être obscur, puissant, subtil, Fût double, et, tout ensemble ignorée et charnelle, Fît hors d'elle l'aurore, ayant la nuit en elle ? Le hibou serait-il caché dans l'alcyon ? Qui dira le secret de la création ? Les germes, les aimants, les instincts, les effluves ! Qui peut connaître à fond toutes ces sombres cuves ? Est-ce que le Vésuve et l'Etna, les reflux Des forces s'épuisant en efforts superflus, Le vaste tremblement des feuilles remuées, Les ouragans, les fleurs, les torrents, les nuées, Ne peuvent pas finir par faire une vapeur. Qui se condense en femme et dont le sage a peur ? Tout fait Tout, et le même insondable cratère Crée à Thulé la lave et la rose à Cythère. Rien ne sort des volcans qui n'entre dans les coeurs. Les oiseaux dans les bois ont des rires moqueurs Et tristes, au-dessus de l'amoureux crédule. N'est-ce pas le serpent qui vaguement ondule Dans la souple beauté des vierges aux seins nus ? Les grands sages étaient d'immenses ingénus ; Ils ne connaissaient pas la forme de ce globe, Mais, pâles, ils sentaient traîner sur eux la robe De la sombre passante, Isis au voile noir ; Tout devient le soupçon quand Rien est le savoir ; Pour Lucrèce, le dieu, pour Job, le kéroubime Mentaient ; on soupçonnait de trahison l'abîme ; On croyait le chaos capable d'engendrer La femme, pour nous plaire et pour nous enivrer, Et pour faire monter jusqu'à nous sa fumée ; La Sicile, la Grèce étrange, l'Idumée, L'Iran, l'Egypte et l'Inde, étaient des lieux profonds ; Qui sait ce que les vents, les brumes, les typhons Peuvent apporter d'ombre à l'âme féminine ? Les tragiques forêts de la chaîne Apennine, La farouche fontaine épandue à longs flots Sous l'Olympe, à travers les pins et les bouleaux, L'antre de Béotie où dans l'ombre diffuse On sent on ne sait quoi qui s'offre et se refuse, Chypre et tous ses parfums, Delphe et tous ses rayons, Le lys que nous cueillons, l'azur que nous voyons, Tout cela, c'est auguste, et c'est peut-être infâme. Tout, à leurs yeux, était sphinx, et quand une femme Venait vers eux, parlant avec sa douce voix, Qui sait ? peut-être Hermès et Dédale, les bois, Les nuages, les eaux, l'effrayante Cybèle, Toute l'énigme était mêlée à cette belle. L'univers aboutit à ce monstre charmant. La ménade est déjà presque un commencement De la femme chimère, et d'antiques annales Disent qu'avril était le temps des bacchanales, Et que la liberté de ces fêtes s'accrut Des fauves impudeurs de la nature en rut ; La nature partout donne l'exemple énorme De l'accouplement sombre où l'âme étreint la forme ; La rose est une fille ; et ce qu'un papillon Fait à la plante, est fait au grain par le sillon. La végétation terrible est ignorée. L'horreur des bois unit Flore avec Briarée, Et marie une fleur avec l'arbre aux cent bras. Toi qui sous le talon d'Apollon te cabras, Ô cheval orageux du Pinde, tes narines Frémissaient quand passaient les nymphes vipérines, Et, sentant là de l'ombre hostile à ta clarté, Tu t'enfuyais devant la sinistre Astarté. Et Terpandre le vit, et Platon le raconte. La femme est une gloire et peut être une honte Pour l'ouvrier divin et suspect qui la fit. A tout le bien, à tout le mal, elle suffit. Haine, amour, fange, esprit, fièvre, elle participe Du gouffre, et la matière aveugle est son principe. Elle est le mois de mai fait chair, vivant, chantant. Qu'est-ce que le printemps ? une orgie. A l'instant, Où la femme naquit, est morte l'innocence. Les vieux songeurs ont vu la fleur qui nous encense Devenir femme à l'heure où l'astre éclôt au ciel, Et, pour Orphée ainsi que pour Ézéchiel, La nature n'étant qu'un vaste hymen, l'ébauche D'un être tentateur rit dans cette débauche ; C'est la femme. Elle est spectre et masque, et notre sort Est traversé par elle ; elle entre, flotte et sort. Que nous veut-elle ? A-t-elle un but ? Par quelle issue Cette apparition vaguement aperçue S'est-elle dérobée ? Est-ce un souffle de nuit Qui semble une âme errante et qui s'évanouit ? Les sombres hommes sont une forêt, et l'ombre Couvre leurs pas, leurs voix, leurs yeux, leur bruit, leur nombre ; Le genre humain, mêlé sous les hauts firmaments, Est plein de carrefours et d'entre-croisements, Et la femme est assez blanche pour qu'on la voie A travers cette morne et blême claire-voie. Cette vision passe ; et l'on reste effaré. Aux chênes de Dodone, aux cèdres de Membré, L'hiérophante ému comme le patriarche Regarde ce fantôme inquiétant qui marche. Non, rien ne nous dira ce que peut être au fond Cet être en qui Satan avec Dieu se confond : Elle résume l'ombre énorme en son essence. Les vieux payens croyaient à la toute puissance De l'abîme, du lit sans fond, de l'élément ; Ils épiaient la mer dans son enfantement ; Pour eux, ce qui sortait de la tempête immense, De toute l'onde en proie aux souffles en démence Et du vaste flot vert à jamais tourmenté, C'était le divin sphinx féminin, la Beauté, Toute nue, infernale et céleste, insondable, Ô gouffre ! et que peut-on voir de plus formidable, Sous les cieux les plus noirs et les plus inconnus, Que l'océan ayant pour écume Vénus ! Aucune aile ici-bas n'est pour longtemps posée. Quand elle était petite, elle avait un oiseau ; Elle le nourrissait de pain et de rosée, Et veillait sur son nid comme sur un berceau. Un soir il s'échappa. Que de plaintes amères ! Dans mes bras en pleurant je la vis accourir... Jeunes filles, laissez, laissez, ô jeunes mères, Les oiseaux s'envoler et les enfants mourir ! C'est une loi d'en haut qui veut que tout nous quitte. Le secret du Seigneur, nous le saurons un jour. Elle grandit. La vie, hélas ! marche si vite ! Elle eut un doux enfant, un bel ange, un amour. Une nuit, triste sort des choses éphémères ! Cet enfant s'éteignit, sans pleurer, sans souffrir... Jeunes filles, laissez, laissez, ô jeunes mères, Les oiseaux s'envoler et les enfants mourir ! Le 22 juin 1842.

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    La fête chez Thérèse La chose fut exquise et fort bien ordonnée. C'était au mois d'avril, et dans une journée Si douce, qu'on eût dit qu'amour l'eût faite exprès. Thérèse la duchesse à qui je donnerais, Si j'étais roi, Paris, si j'étais Dieu, le monde, Quand elle ne serait que Thérèse la blonde ; Cette belle Thérèse, aux yeux de diamant, Nous avait conviés dans son jardin charmant. On était peu nombreux. Le choix faisait la fête. Nous étions tous ensemble et chacun tête à tête. Des couples pas à pas erraient de tous côtés. C'étaient les fiers seigneurs et les rares beautés, Les Amyntas rêvant auprès des Léonores, Les marquises riant avec les monsignores ; Et l'on voyait rôder dans les grands escaliers Un nain qui dérobait leur bourse aux cavaliers. A midi, le spectacle avec la mélodie. Pourquoi jouer Plautus la nuit ? La comédie Est une belle fille, et rit mieux au grand jour. Or, on avait bâti, comme un temple d'amour, Près d'un bassin dans l'ombre habité par un cygne, Un théâtre en treillage où grimpait une vigne. Un cintre à claire-voie en anse de panier, Cage verte où sifflait un bouvreuil prisonnier, Couvrait toute la scène, et, sur leurs gorges blanches, Les actrices sentaient errer l'ombre des branches. On entendait au loin de magiques accords ; Et, tout en haut, sortant de la frise à mi-corps, Pour attirer la foule aux lazzis qu'il répète, Le blanc Pulcinella sonnait de la trompette. Deux faunes soutenaient le manteau d'Arlequin ; Trivelin leur riait au nez comme un faquin. Parmi les ornements sculptés dans le treillage, Colombine dormait dans un gros coquillage, Et, quand elle montrait son sein et ses bras nus, On eût cru voir la conque, et l'on eût dit Vénus. Le seigneur Pantalon, dans une niche, à droite, Vendait des limons doux sur une table étroite, Et criait par instants : " Seigneurs, l'homme est divin. — Dieu n'avait fait que l'eau, mais l'homme a fait le vin. " Scaramouche en un coin harcelait de sa batte Le tragique Alcantor, suivi du triste Arbate ; Crispin, vêtu de noir, jouait de l'éventail ; Perché, jambe pendante, au sommet du portail, Carlino se penchait, écoutant les aubades, Et son pied ébauchait de rêveuses gambades.

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    La mort du chien Un groupe tout à l’heure était là sur la grève, Regardant quelque chose à terre : « Un chien qui crève ! » M’ont crié des enfants ; voilà tout ce que c’est ! Et j’ai vu sous leurs pieds un vieux chien qui gisait. L’océan lui jetait l’écume de ses lames. « Voilà trois jours qu’il est ainsi », disaient les femmes. « On a beau lui parler, il n’ouvre pas les yeux » « Son maître est un marin absent », disait un vieux. Un pilote, passant la tête à la fenêtre, A repris : « le chien meurt de ne plus voir son maître! Justement le bateau vient d’entrer dans le port. Le maître va venir, mais le chien sera mort! » Je me suis arrêté près de la triste bête, qui, sourde, ne bougeant ni le corps ni la tête, Les yeux fermés, semblait morte sur le pavé. Comme le soir tombait, le maître est arrivé, Vieux lui même, et, hâtant son pas que l’âge casse, A murmuré le nom de son chien à voix basse. Alors, rouvrant ses yeux pleins d’ombre, extenué, Le chien a regardé son maître, a remué Une dernière fois sa pauvre vieille queue, Puis est mort. C’était l’heure où, sous la voûte bleue, Comme un flambeau qui sort d’un gouffre, Vénus luit ; Et j’ai dit : « D’où vient l’astre ? où va le chien ? ô nuit ! »

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    La nature est pleine d'amour La nature est pleine d'amour, Jeanne, autour de nos humbles joies ; Et les fleurs semblent tour à tour Se dresser pour que tu les voies. Vive Angélique ! à bas Orgon ! L'hiver, qu'insultent nos huées, Recule, et son profil bougon Va s'effaçant dans les nuées. La sérénité de nos coeurs, Où chantent les bonheurs sans nombre, Complète, en ces doux mois vainqueurs, L'évanouissement de l'ombre. Juin couvre de fleurs les sommets, Et dit partout les mêmes choses ; Mais est-ce qu'on se plaint jamais De la prolixité des roses ? L'hirondelle, sur ton front pur, Vient si près de tes yeux fidèles Qu'on pourrait compter dans l'azur Toutes les plumes de ses ailes. Ta grâce est un rayon charmant ; Ta jeunesse, enfantine encore, Éclaire le bleu firmament, Et renvoie au ciel de l'aurore. De sa ressemblance avec toi Le lys pur sourit dans sa gloire ; Ton âme est une urne de foi Où la colombe voudrait boire.

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    La pauvre fleur La pauvre fleur disait au papillon céleste — Ne fuis pas ! Vois comme nos destins sont différents. Je reste, Tu t'en vas ! Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les hommes Et loin d'eux, Et nous nous ressemblons, et l'on dit que nous sommes Fleurs tous deux ! Mais, hélas ! l'air t'emporte et la terre m'enchaîne. Sort cruel ! Je voudrais embaumer ton vol de mon haleine Dans le ciel ! Mais non, tu vas trop loin ! — Parmi des fleurs sans nombre Vous fuyez, Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre À mes pieds ! Tu fuis, puis tu reviens, puis tu t'en vas encore Luire ailleurs. Aussi me trouves-tu toujours à chaque aurore Toute en pleurs ! Oh ! pour que notre amour coule des jours fidèles, Ô mon roi, Prends comme moi racine, ou donne-moi des ailes Comme à toi !

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    La pente de la rêverie Amis, ne creusez pas vos chères rêveries ; Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ; Et quand s'offre à vos yeux un océan qui dort, Nagez à la surface ou jouez sur le bord. Car la pensée est sombre ! Une pente insensible Va du monde réel à la sphère invisible ; La spirale est profonde, et quand on y descend, Sans cesse se prolonge et va s'élargissant, Et pour avoir touché quelque énigme fatale, De ce voyage obscur souvent on revient pâle ! L'autre jour, il venait de pleuvoir, car l'été, Cette année, est de bise et de pluie attristé, Et le beau mois de mai dont le rayon nous leurre, Prend le masque d'avril qui sourit et qui pleure. J'avais levé le store aux gothiques couleurs. Je regardais au loin les arbres et les fleurs. Le soleil se jouait sur la pelouse verte Dans les gouttes de pluie, et ma fenêtre ouverte Apportait du jardin à mon esprit heureux Un bruit d'enfants joueurs et d'oiseaux amoureux. Paris, les grands ormeaux, maison, dôme, chaumière, Tout flottait à mes yeux dans la riche lumière De cet astre de mai dont le rayon charmant Au bout de tout brin d'herbe allume un diamant ! Je me laissais aller à ces trois harmonies, Printemps, matin, enfance, en ma retraite unies ; La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil Faisait évaporer à la fois sur les grèves L'eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves ! Alors, dans mon esprit, je vis autour de moi Mes amis, non confus, mais tels que je les vois Quand ils viennent le soir, troupe grave et fidèle, Vous avec vos pinceaux dont la pointe étincelle, Vous, laissant échapper vos vers au vol ardent, Et nous tous écoutant en cercle, ou regardant. Ils étaient bien là tous, je voyais leurs visages, Tous, même les absents qui font de longs voyages. Puis tous ceux qui sont morts vinrent après ceux-ci, Avec l'air qu'ils avaient quand ils vivaient aussi. Quand j'eus, quelques instants, des yeux de ma pensée, Contemplé leur famille à mon foyer pressée, Je vis trembler leurs traits confus, et par degrés Pâlir en s'effaçant leurs fronts décolorés, Et tous, comme un ruisseau qui dans un lac s'écoule, Se perdre autour de moi dans une immense foule. Foule sans nom ! chaos ! des voix, des yeux, des pas. Ceux qu'on n'a jamais vus, ceux qu'on ne connaît pas. Tous les vivants ! - cités bourdonnant aux oreilles Plus qu'un bois d'Amérique ou des ruches d'abeilles, Caravanes campant sur le désert en feu, Matelots dispersés sur l'océan de Dieu, Et, comme un pont hardi sur l'onde qui chavire, Jetant d'un monde à l'autre un sillon de navire, Ainsi que l'araignée entre deux chênes verts Jette un fil argenté qui flotte dans les airs ! Les deux pôles ! le monde entier ! la mer, la terre, Alpes aux fronts de neige, Etnas au noir cratère, Tout à la fois, automne, été, printemps, hiver, Les vallons descendant de la terre à la mer Et s'y changeant en golfe, et des mers aux campagnes Les caps épanouis en chaînes de montagnes, Et les grands continents, brumeux, verts ou dorés, Par les grands océans sans cesse dévorés, Tout, comme un paysage en une chambre noire Se réfléchit avec ses rivières de moire, Ses passants, ses brouillards flottant comme un duvet, Tout dans mon esprit sombre allait, marchait, vivait ! Alors, en attachant, toujours plus attentives, Ma pensée et ma vue aux mille perspectives Que le souffle du vent ou le pas des saisons M'ouvrait à tous moments dans tous les horizons, Je vis soudain surgir, parfois du sein des ondes, A côté des cités vivantes des deux mondes, D'autres villes aux fronts étranges, inouïs, Sépulcres ruinés des temps évanouis, Pleines d'entassements, de tours, de pyramides, Baignant leurs pieds aux mers, leur tête aux cieux humides. Quelques-unes sortaient de dessous des cités Où les vivants encor bruissent agités, Et des siècles passés jusqu'à l'âge où nous sommes Je pus compter ainsi trois étages de Romes. Et tandis qu'élevant leurs inquiètes voix, Les cités des vivants résonnaient à la fois Des murmures du peuple ou du pas des armées, Ces villes du passé, muettes et fermées, Sans fumée à leurs toits, sans rumeurs dans leurs seins, Se taisaient, et semblaient des ruches sans essaims. J'attendais. Un grand bruit se fit. Les races mortes De ces villes en deuil vinrent ouvrir les portes, Et je les vis marcher ainsi que les vivants, Et jeter seulement plus de poussière aux vents. Alors, tours, aqueducs, pyramides, colonnes, Je vis l'intérieur des vieilles Babylones, Les Carthages, les Tyrs, les Thèbes, les Sions, D'où sans cesse sortaient des générations. Ainsi j'embrassais tout : et la terre, et Cybèle ; La face antique auprès de la face nouvelle ; Le passé, le présent ; les vivants et les morts ; Le genre humain complet comme au jour du remords. Tout parlait à la fois, tout se faisait comprendre, Le pélage d'Orphée et l'étrusque d'Évandre, Les runes d'Irmensul, le sphinx égyptien, La voix du nouveau monde aussi vieux que l'ancien. Or, ce que je voyais, je doute que je puisse Vous le peindre : c'était comme un grand édifice Formé d'entassements de siècles et de lieux ; On n'en pouvait trouver les bords ni les milieux ; A toutes les hauteurs, nations, peuples, races, Mille ouvriers humains, laissant partout leurs traces, Travaillaient nuit et jour, montant, croisant leurs pas, Parlant chacun leur langue et ne s'entendant pas ; Et moi je parcourais, cherchant qui me réponde, De degrés en degrés cette Babel du monde. La nuit avec la foule, en ce rêve hideux, Venait, s'épaississant ensemble toutes deux, Et, dans ces régions que nul regard ne sonde, Plus l'homme était nombreux, plus l'ombre était profonde. Tout devenait douteux et vague, seulement Un souffle qui passait de moment en moment, Comme pour me montrer l'immense fourmilière, Ouvrait dans l'ombre au loin des vallons de lumière, Ainsi qu'un coup de vent fait sur les flots troublés Blanchir l'écume, ou creuse une onde dans les blés. Bientôt autour de moi les ténèbres s'accrurent, L'horizon se perdit, les formes disparurent, Et l'homme avec la chose et l'être avec l'esprit Flottèrent à mon souffle, et le frisson me prit. J'étais seul. Tout fuyait. L'étendue était sombre. Je voyais seulement au loin, à travers l'ombre, Comme d'un océan les flots noirs et pressés, Dans l'espace et le temps les nombres entassés ! Oh ! cette double mer du temps et de l'espace Où le navire humain toujours passe et repasse, Je voulus la sonder, je voulus en toucher Le sable, y regarder, y fouiller, y chercher, Pour vous en rapporter quelque richesse étrange, Et dire si son lit est de roche ou de fange. Mon esprit plongea donc sous ce flot inconnu, Au profond de l'abîme il nagea seul et nu, Toujours de l'ineffable allant à l'invisible... Soudain il s'en revint avec un cri terrible, Ébloui, haletant, stupide, épouvanté, Car il avait au fond trouvé l'éternité. Mai 1830.

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