splash screen icon Lenndi
splash screen name leendi
@victorHugo profile image

Victor Hugo

Auteurplume

Victor Hugo, parfois surnommé l'Homme océan ou, de manière posthume, l'Homme siècle, est un poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français, né le 7 ventôse an X (26 février 1802) à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris. Il est considéré comme l'un des écrivains de la langue française et de la littérature mondiale les plus importants. Hugo est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a un rôle idéologique majeur et occupe une place marquante dans l'histoire des lettres françaises au XIXe siècle. Au théâtre, Victor Hugo s'impose comme un des chefs de file du romantisme français en présentant sa conception du drame romantique dans les préfaces qui introduisent Cromwell en 1827, puis Hernani en 1830, qui sont de véritables manifestes, puis par ses autres œuvres dramatiques, en particulier Lucrèce Borgia en 1833 et Ruy Blas en 1838. Son œuvre poétique comprend plusieurs recueils de poèmes lyriques, dont les plus célèbres sont Odes et Ballades paru en 1826, Les Feuilles d'automne en 1831 et Les Contemplations en 1856. Victor Hugo est aussi un poète engagé contre Napoléon III dans Les Châtiments, paru en 1853, et un poète épique dans La Légende des siècles, publié de 1859 à 1883. Comme romancier, il rencontre un grand succès populaire, d'abord avec Notre-Dame de Paris en 1831, et plus encore avec Les Misérables en 1862. Son œuvre multiple comprend aussi des écrits et discours politiques, des récits de voyages, des recueils de notes et de mémoires, des commentaires littéraires, une correspondance abondante, près de quatre mille dessins dont la plupart réalisés à l'encre, ainsi que la conception de décors intérieurs et une contribution à la photographie. Très impliqué dans le débat public, Victor Hugo est parlementaire sous la monarchie de Juillet et sous la Deuxième et Troisième République. Il s'exile pendant près de vingt ans à Jersey et Guernesey sous le Second Empire, dont il est l'un des grands opposants. Attaché à la paix et à la liberté et sensible à la misère humaine, il s'exprime en faveur de nombreuses avancées sociales, s'oppose à la peine de mort et à l'esclavage. Il soutient aussi l'idée d'une Europe unifiée. Son engagement résolument républicain dans la deuxième partie de sa vie et son immense œuvre littéraire font de lui un personnage emblématique, que la Troisième République honore par des funérailles nationales et le transfert de sa dépouille au Panthéon de Paris le 1er juin 1885, dix jours après sa mort. Pendant les deux jours où sa tombe est exposée au public, plus de deux millions de personnes se déplacent pour lui rendre hommage. Ayant fortement contribué au renouvellement de la poésie et du théâtre et ayant marqué son époque par ses prises de position politiques et sociales, Victor Hugo est encore célébré aujourd'hui, en France et à l'étranger, comme un personnage illustre, dont la vie et l'œuvre font l'objet de multiples commentaires et hommages.

...plus

Compte non officiel

Poésies

259

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    La prière pour tous I. Ma fille, va prier ! - Vois, la nuit est venue. Une planète d'or là-bas perce la nue ; La brume des coteaux fait trembler le contour ; À peine un char lointain glisse dans l'ombre... Écoute ! Tout rentre et se repose ; et l'arbre de la route Secoue au vent du soir la poussière du jour ! Le crépuscule, ouvrant la nuit qui les recèle, Fait jaillir chaque étoile en ardente étincelle ; L'occident amincit sa frange de carmin ; La nuit de l'eau dans l'ombre argente la surface ; Sillons, sentiers, buissons, tout se mêle et s'efface ; Le passant inquiet doute de son chemin. Le jour est pour le mal, la fatigue et la haine. Prions, voici la nuit ! la nuit grave et sereine ! Le vieux pâtre, le vent aux brèches de la tour, Les étangs, les troupeaux avec leur voix cassée, Tout souffre et tout se plaint. La nature lassée A besoin de sommeil, de prière et d'amour ! C'est l'heure où les enfants parlent avec les anges. Tandis que nous courons à nos plaisirs étranges, Tous les petits enfants, les yeux levés au ciel, Mains jointes et pieds nus, à genoux sur la pierre, Disant à la même heure une même prière, Demandent pour nous grâce au père universel ! Et puis ils dormiront. - Alors, épars dans l'ombre, Les rêves d'or, essaim tumultueux, sans nombre, Qui naît aux derniers bruits du jour à son déclin, Voyant de loin leur souffle et leurs boucles vermeilles, Comme volent aux fleurs de joyeuses abeilles, Viendront s'abattre en foule à leurs rideaux de lin ! Ô sommeil du berceau ! prière de l'enfance ! Voix qui toujours caresse et qui jamais n'offense ! Douce religion, qui s'égaye et qui rit ! Prélude du concert de la nuit solennelle ! Ainsi que l'oiseau met sa tête sous son aile, L'enfant dans la prière endort son jeune esprit ! Juin 1830.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Le poète s'en va dans les champs II. Le poète s'en va dans les champs ; il admire. Il adore ; il écoute en lui-même une lyre ; Et le voyant venir, les fleurs, toutes les fleurs. Celles qui des rubis font pâlir les couleurs. Celles qui des paons même éclipseraient les queues. Les petites fleurs d'or, les petites fleurs bleues. Prennent, pour l'accueillir agitant leurs bouquets. De petits airs penchés ou de grands airs coquets, Et, familièrement, car cela sied aux belles : — Tiens ! c'est notre amoureux qui passe ! disent-elles. Et, pleins de jour et d'ombre et de confuses voix. Les grands arbres profonds qui vivent dans les bois, Tous ces vieillards, les ifs, les tilleuls, les érables. Les saules tout ridés, les chênes vénérables, L'orme au branchage noir, de mousse appesanti. Comme les ulémas quand paraît le muphti ; Lui font de grands saluts et courbent jusqu'à terre Leurs têtes de feuillée et leurs barbes de lierre. Contemplent de son front la sereine lueur. Et murmurent tout bas : C'est lui ! c'est le rêveur ! Les Roches, juin 1831.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    La sieste Elle fait au milieu du jour son petit somme ; Car l'enfant a besoin du rêve plus que l'homme, Cette terre est si laide alors qu'on vient du ciel ! L'enfant cherche à revoir Chérubin, Ariel, Ses camarades, Puck, Titania, les fées, Et ses mains quand il dort sont par Dieu réchauffées. Oh ! comme nous serions surpris si nous voyions, Au fond de ce sommeil sacré, plein de rayons, Ces paradis ouverts dans l'ombre, et ces passages D'étoiles qui font signe aux enfants d'être sages, Ces apparitions, ces éblouissements ! Donc, à l'heure où les feux du soleil sont calmants, Quand toute la nature écoute et se recueille, Vers midi, quand les nids se taisent, quand la feuille La plus tremblante oublie un instant de frémir, Jeanne a cette habitude aimable de dormir ; Et la mère un moment respire et se repose, Car on se lasse, même à servir une rose. Ses beaux petits pieds nus dont le pas est peu sûr Dorment ; et son berceau, qu'entoure un vague azur Ainsi qu'une auréole entoure une immortelle, Semble un nuage fait avec de la dentelle ; On croit, en la voyant dans ce frais berceau-là, Voir une lueur rose au fond d'un falbala ; On la contemple, on rit, on sent fuir la tristesse, Et c'est un astre, ayant de plus la petitesse ; L'ombre, amoureuse d'elle, a l'air de l'adorer ; Le vent retient son souffle et n'ose respirer. Soudain, dans l'humble et chaste alcôve maternelle, Versant tout le matin qu'elle a dans sa prunelle, Elle ouvre la paupière, étend un bras charmant, Agite un pied, puis l'autre, et, si divinement Que des fronts dans l'azur se penchent pour l'entendre, Elle gazouille... - Alors, de sa voix la plus tendre, Couvrant des yeux l'enfant que Dieu fait rayonner, Cherchant le plus doux nom qu'elle puisse donner À sa joie, à son ange en fleur, à sa chimère : - Te voilà réveillée, horreur ! lui dit sa mère.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    La tombe dit à la rose La tombe dit à la rose: - Des pleurs dont l'aube t'arrose Que fais-tu, fleur des amours? La rose dit à la tombe: - Que fais-tu de ce qui tombe Dans ton gouffre ouvert toujours? La rose dit: - Tombeau sombre, De ces pleurs je fais dans l'ombre Un parfum d'ambre et de miel. La tombe dit: - Fleur plaintive, De chaque âme qui m'arrive Je fais un ange du ciel!

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Le doigt de la femme Dieu prit sa plus molle argile Et son plus pur kaolin, Et fit un bijou fragile, Mystérieux et câlin. Il fit le doigt de la femme, Chef-d’œuvre auguste et charmant, Ce doigt fait pour toucher l’âme Et montrer le firmament. Il mit dans ce doigt le reste De la lueur qu’il venait D’employer au front céleste De l’heure où l’aurore naît. Il y mit l’ombre du voile, Le tremblement du berceau, Quelque chose de l’étoile, Quelque chose de l’oiseau. Le Père qui nous engendre Fit ce doigt mêlé d’azur, Très fort pour qu’il restât tendre, Très blanc pour qu’il restât pur, Et très doux, afin qu’en somme Jamais le mal n’en sortît, Et qu’il pût sembler à l’homme Le doigt de Dieu, plus petit. Il en orna la main d’Ève, Cette frêle et chaste main Qui se pose comme un rêve Sur le front du genre humain. Cette humble main ignorante, Guide de l’homme incertain, Qu’on voit trembler, transparente, Sur la lampe du destin. Oh ! dans ton apothéose, Femme, ange aux regards baissés, La beauté, c’est peu de chose, La grâce n’est pas assez ; Il faut aimer. Tout soupire, L’onde, la fleur, l’alcyon ; La grâce n’est qu’un sourire, La beauté n’est qu’un rayon ; Dieu, qui veut qu’Ève se dresse Sur notre rude chemin, Fit pour l’amour la caresse, Pour la caresse ta main. Dieu, lorsque ce doigt qu’on aime Sur l’argile fut conquis, S’applaudit, car le suprême Est fier de créer l’exquis. Ayant fait ce doigt sublime, Dieu dit aux anges : Voilà ! Puis s’endormit dans l’abîme ; Le diable alors s’éveilla. Dans l’ombre où Dieu se repose, Il vint, noir sur l’orient, Et tout au bout du doigt rose Mit un ongle en souriant.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Le manteau impérial O ! vous dont le travail est joie, Vous qui n'avez pas d'autre proie Que les parfums, souffles du ciel, Vous qui fuyez quand vient décembre, Vous qui dérobez aux fleurs l'ambre Pour donner aux hommes le miel, Chastes buveuses de rosée, Qui, pareilles à l'épousée, Visitez le lys du coteau, Ô sœurs des corolles vermeilles, Filles de la lumière, abeilles, Envolez-vous de ce manteau !

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Le mariage de Roland Ils se battent — combat terrible ! — corps à corps. Voilà déjà longtemps que leurs chevaux sont morts ; Ils sont là seuls tous deux dans une île du Rhône. Le fleuve à grand bruit roule un flot rapide et jaune, Le vent trempe en sifflant les brins d'herbe dans l'eau. L'archange saint Michel attaquant Apollo Ne ferait pas un choc plus étrange et plus sombre. Déjà, bien avant l'aube, ils combattaient dans l'ombre. Qui, cette nuit, eût vu s'habiller ces barons, Avant que la visière eût dérobé leurs fronts, Eût vu deux pages blonds, roses commes des filles. Hier, c'étaient deux enfants riant à leurs familles, Beaux, charmants ; — aujourd'hui, sur ce fatal terrain, C'est le duel effrayant de deux spectres d'airain, Deux fantômes auxquels le démon prête une âme, Deux masques dont les trous laissent voir de la flamme. Ils luttent, noirs, muets, furieux, acharnés. Les bateliers pensifs qui les ont amenés Ont raison d'avoir peur et de fuir dans la plaine, Et d'oser, de bien loin, les épier à peine : Car de ces deux enfants, qu'on regarde en tremblant, L'un s'appelle Olivier et l'autre a nom Roland : Et, depuis qu'ils sont là, sombres, ardents, farouches, Un mot n'est pas encor sorti de ces deux bouches. Olivier, sieur de Vienne et comte souverain, A pour père Gérard et pour aïeul Garin. Il fut pour ce combat habillé par son père. Sur sa targe est sculpté Bacchus faisant la guerre Aux normands, Rollon ivre, et Rouen consterné, Et le dieu souriant par des tigres traîné, Chassant, buveur de vin, tous ces buveurs de cidre ; Son casque est enfoui sous les ailes d'une hydre ; Il porte le haubert que portait Salomon ; Son estoc resplendit comme l'œil d'un démon ; Il y grava son nom afin qu'on s'en souvienne ; Au moment du départ, l'archevêque de Vienne A béni son cimier de prince féodal. Roland a son habit de fer, et Durandal. Ils luttent de si près avec de sourds murmures, Que leur souffle âpre et chaud s'empreint sur leurs [armures ; Le pied presse le pied ; l'île à leurs noirs assauts Tressaille au loin ; l'acier mord le fer ; des morceaux De heaume et de haubert, sans que pas un s'émeuve, Sautent à chaque instant dans l'herbe et dans le fleuve ; Leurs brassards sont rayés de longs filets de sang Qui coule de leur crâne et dans leurs yeux descend. Soudain, sire Olivier, qu'un coup affreux démasque, Voit tomber à la fois son épée et son casque. Main vide et tête nue, et Roland l'œil en feu ! L'enfant songe à son père et se tourne vers Dieu. Durandal sur son front brille. Plus d'espérance ! — Çà, dit Roland, je suis neveu du roi de France, Je dois me comporter en franc neveu de roi. Quand j'ai mon ennemi désarmé devant moi, Je m'arrête. Va donc chercher une autre épée, Et tâche, cette fois, qu'elle soit bien trempée. Tu feras apporter à boire en même temps, Car j'ai soif. — Fils, merci, dit Olivier. — J'attends, Dit Roland, hâte-toi. Sire Olivier appelle Un batelier caché derrière une chapelle. — Cours à la ville, et dis à mon père qu'il faut Une autre épée à l'un de nous, et qu'il fait chaud. Cependant les héros, assis dans les broussailles, S'aident à délacer leurs capuchons de mailles, Se lavent le visage, et causent un moment. Le batelier revient, il a fait promptement ; L'homme a vu le vieux comte ; il rapporte une épée Et du vin, de ce vin qu'aimait le grand Pompée Et que Tournon récolte au flanc de son vieux mont. L'épée est cette illustre et fière Closamont, Que d'autres quelquefois appellent Haute-Claire. L'homme a fui. Les héros achèvent sans colère Ce qu'ils disaient, le ciel rayonne au-dessus d'eux ; Olivier verse à boire à Roland ; puis tous deux Marchent droit l'un vers l'autre, et le duel recommence. Voilà que par degrés de sa sombre démence Le combat les enivre, il leur revient au cœur Ce je ne sais quel dieu qui veut qu'on soit vainqueur, Et qui, s'exaspérant aux armures frappées, Mêle l'éclair des yeux aux lueurs des épées. Ils combattent, versant à flots leur sang vermeil. Le jour entier se passe ainsi. Mais le soleil Baisse vers l'horizon. La nuit vient. — Camarade, Dit Roland, je ne sais, mais je me sens malade. Je ne me soutiens plus, et je voudrais un peu De repos. — Je prétends, avec l'aide de Dieu, Dit le bel Olivier, le sourire à la lèvre, Vous vaincre par l'épée et non point par la fièvre. Dormez sur l'herbe verte ; et, cette nuit, Roland, Je vous éventerai de mon panache blanc. Couchez-vous et dormez. — Vassal, ton âme est neuve, Dit Roland. Je riais, je faisais une épreuve. Sans m'arrêter et sans me reposer, je puis Combattre quatre jours encore, et quatre nuits. Le duel reprend. La mort plane, le sang ruisselle. Durandal heurte et suit Closamont ; l'étincelle Jaillit de toutes parts sous leurs coups répétés. L'ombre autour d'eux s'emplit de sinistres clartés. Ils frappent ; le brouillard du fleuve monte et fume ; Le voyageur s'effraie et croit voir dans la brume D'étranges bûcherons qui travaillent la nuit. Le jour naît, le combat continue à grand bruit ; La pâle nuit revient, ils combattent ; l'aurore Reparaît dans les cieux, ils combattent encore. Nul repos. Seulement, vers le troisième soir, Sous un arbre, en causant, ils sont allés s'asseoir ; Puis ont recommencé. Le vieux Gérard dans Vienne Attend depuis trois jours que son enfant revienne. Il envoie un devin regarder sur les tours ; Le devin dit : Seigneur, ils combattent toujours. Quatre jours sont passés, et l'île et le rivage Tremblent sous ce fracas monstrueux et sauvage. Ils vont, viennent, jamais fuyant, jamais lassés, Froissent le glaive au glaive et sautent les fossés, Et passent, au milieu des ronces remuées, Comme deux tourbillons et comme deux nuées. Ô chocs affreux ! terreur ! tumulte étincelant ! Mais enfin Olivier saisit au corps Roland, Qui de son propre sang en combattant s'abreuve, Et jette d'un revers Durandal dans le fleuve. — C'est mon tour maintenant, et je vais envoyer Chercher un autre estoc pour vous, dit Olivier. Le sabre du géant Sinnagog est à Vienne. C'est, après Durandal, le seul qui vous convienne. Mon père le lui prit alors qu'il le défit. Acceptez-le. Roland sourit. — Il me suffit De ce bâton. Il dit, et déracine un chêne. Sire Olivier arrache un orme dans la plaine Et jette son épée, et Roland, plein d'ennui, L'attaque. Il n'aimait pas qu'on vînt faire après lui Les générosités qu'il avait déjà faites. Plus d'épée en leurs mains, plus de casque à leurs têtes. Ils luttent maintenant, sourds, effarés, béants, A grands coups de troncs d'arbre, ainsi que des géants. Pour la cinquième fois, voici que la nuit tombe. Tout à coup Olivier, aigle aux yeux de colombe, S'arrête et dit : — Roland, nous n'en finirons point. Tant qu'il nous restera quelque tronçon au poing, Nous lutterons ainsi que lions et panthères. Ne vaudrait-il pas mieux que nous devinssions frères ? Ecoute, j'ai ma sœur, la belle Aude au bras blanc, Epouse-la. — Pardieu ! je veux bien, dit Roland. Et maintenant buvons, car l'affaire était chaude. C'est ainsi que Roland épousa la belle Aude.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Le poète au calife Ô sultan Noureddin, calife aimé de Dieu ! Tu gouvernes, seigneur, l'empire du milieu, De la mer rouge au fleuve jaune. Les rois des nations, vers ta face tournés, Pavent, silencieux, de leurs fronts prosternés Le chemin qui mène à ton trône. Ton sérail est très grand, tes jardins sont très beaux. Tes femmes ont des yeux vifs comme des flambeaux, Qui pour toi seul percent leurs voiles. Lorsque, astre impérial, aux peuples pleins d'effroi Tu luis, tes trois cents fils brillent autour de toi Comme ton cortège d'étoiles Ton front porte une aigrette et ceint le turban vert. Tu peux voir folâtrer dans leur bain, entr'ouvert Sous la fenêtre où tu te penches, Les femmes de Madras plus douces qu'un parfum, Et les filles d'Alep qui sur leur beau sein brun Ont des colliers de perles blanches. Ton sabre large et nu semble en ta main grandir. Toujours dans la bataille on le voit resplendir, Sans trouver turban qui le rompe, Au point où la mêlée a de plus noirs détours, Où les grands éléphants, entre-choquant leurs tours, Prennent des chevaux dans leur trompe. Une fée est cachée en tout ce que tu vois. Quand tu parles, calife, on dirait que ta voix Descend d'un autre monde au nôtre ; Dieu lui-même t'admire, et de félicités Emplit la coupe d'or que tes jours enchantés, Joyeux, se passent l'un à l'autre. Mais souvent dans ton cœur, radieux Noureddin, Une triste pensée apparaît, et soudain Glace ta grandeur taciturne ; Telle en plein jour parfois, sous un soleil de feu, La lune, astre des morts, blanche au fond d'un ciel bleu, Montre à demi son front nocturne. Le 14 octobre 1828.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Le poète bat aux champs I. Aux champs, compagnons et compagnes ! Fils, j'élève à la dignité De géorgiques les campagnes Quelconques où flambe l'été ! Flamber, c'est là toute l'histoire Du cœur, des sens, de la saison, Et de la pauvre mouche noire Que nous appelons la raison. Je te fais molosse, ô mon dogue ! L'acanthe manque ? j'ai le thym. Je nomme Vaugirard églogue ; J'installe Amyntas à Pantin. La nature est indifférente Aux nuances que nous créons Entre Gros-Guillaume et Dorante ; Tout pampre a ses Anacréons. L'idylle volontiers patoise. Et je ne vois point que l'oiseau Préfère Haliarte à Pontoise Et Coronée à Palaiseau. Les plus beaux noms de la Sicile Et de la Grèce ne font pas Que l'âne au fouet soit plus docile, Que l'amour fuie à moins grand pas. Les fleurs sont à Sèvre aussi fraîches Que sur l'Hybla, cher au sylvain ; Montreuil mérite avec ses pêches La garde du dragon divin. Marton nue est Phyllis sans voiles ; Fils, le soir n'est pas plus vermeil, Sous son chapeau d'ombre et d'étoiles, A Blanduse qu'à Montfermeil. Bercy pourrait griser sept sages ; Les Auteuils sont fils des Tempés ; Si l'Ida sombre a des nuages, La guinguette a des canapés. Rien n'est haut ni bas ; les fontaines Lavent la pourpre et le sayon ; L'aube d'Ivry, l'aube d'Athènes, Sont faites du même rayon. J'ai déjà dit parfois ces choses, Et toujours je les redirai ; Car du fond de toutes les proses Peut s'élancer le vers sacré. Si Babet a la gorge ronde, Babet égale Pholoé. Comme Chypre la Beauce est blonde. Larifla descend d'Evohé. Toinon, se baignant sur la grève, A plus de cheveux sur le dos Que la Callyrhoé qui rêve Dans le grand temps d'Abydos. Ça, que le bourgeois fraternise Avec les satyres cornus ! Amis, le corset de Denise Vaut la ceinture de Vénus. II. Donc, fuyons Paris ! plus de gêne ! Bergers, plantons là Tortoni ! Allons boire à la coupe pleine Du printemps, ivre d'infini. Allons fêter les fleurs exquises, Partons ! quittons, joyeux et fous, Pour les dryades, les marquises, Et pour les faunes, les voyous ! Plus de bouquins, point de gazettes ! Je hais cette submersion. Nous irons cueillir des noisettes Dans l'été, fraîche vision. La banlieue, amis, peut suffire. La fleur, que Paris souille, y naît. Flore y vivait avec Zéphire Avant de vivre avec Brunet. Aux champs les vers deviennent strophes ; A Paris, l'étang, c'est l'égout. Je sais qu'il est des philosophes Criant très haut : « Lutèce est tout ! « Les champs ne valent pas la ville ! » Fils, toujours le bon sens hurla Quand Voltaire à Damilaville Dit ces calembredaines-là. III. Aux champs, la nuit est vénérable, Le jour rit d'un rire enfantin ; Le soir berne l'orme et l'érable, Le soir est beau ; mais le matin, Le matin, c'est la grande fête ; C'est l'auréole où la nuit fond, Où le diplomate a l'air bête, Où le bouvier a l'air profond. La fleur d'or du pré d'azur sombre, L'astre, brille au ciel clair encor ; En bas, le bleuet luit dans l'ombre, Etoile bleue en un champ d'or. L'oiseau court, les taureaux mugissent ; Les feuillages sont enchantés ; Les cercles du vent s'élargissent Dans l'ascension des clartés. L'air frémit ; l'onde est plus sonore ; Toute âme entr-ouvre son secret ; L'univers croit, quand vient l'aurore, Que sa conscience apparaît. IV. Quittons Paris et ses casernes. Plongeons-nous, car les ans sont courts, Jusqu'au genoux dans les luzernes Et jusqu'au cœur dans les amours. Joignons les baisers aux spondées ; Souvenons-nous que le hautbois Donnait à Platon des idées Voluptueuses, dans les bois. Vanvre a d'indulgentes prairies ; Ville-d'Avray ferme les yeux Sur les douces gamineries Des cupidons mystérieux. Là, les Jeux, les Ris, et les Farces Poursuivent, sous les bois flottants, Les chimères de joie éparses Dans la lumière du printemps. L'onde à Triel est bucolique ; Asnière a des flux et reflux Où vogue l'adorable clique De tous ces petits dieux joufflus. Le sel attique et l'eau de Seine Se mêlent admirablement. Il n'est qu'une chose malsaine, Jeanne, c'est d'être sans amant. Que notre ivresse se signale ! Allons où Pan nous conduira. Ressuscitons la bacchanale, Cette aïeule de l'opéra. Laissons, et même envoyons paître Les bœufs, les chèvres, les brebis, La raison, le garde-champêtre ! Fils, avril chante, crions bis ! Qu'à Gif, grâce à nous, le notaire Et le marguillier soient émus, Fils, et qu'on entende à Nanterre Les vagues flûtes de l'Hémus ! Acclimatons Faune à Vincenne, Sans pourtant prendre pour conseil L'immense Aristophane obscène, Effronté comme le soleil. Rions du maire, ou de l'édile ; Et mordons, en gens convaincus, Dans cette pomme de l'idylle Où l'on voit les dents de Moschus.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Le poète dans les révolutions Mourir sans vider mon carquois ! Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange Ces bourreaux barbouilleurs de lois !... André Chénier, Lambes. « Le vent chasse loin des campagnes Le gland tombé des rameaux verts ; Chêne, il le bat sur les montagnes ; Esquif, il le bat sur les mers. Jeune homme, ainsi le sort nous presse. Ne joins pas, dans ta folle ivresse, Les maux du monde à tes malheurs ; Gardons, coupables et victimes, Nos remords pour nos propres crimes, Nos pleurs pour nos propres douleurs ! » Quoi ! mes chants sont-ils téméraires ? Faut-il donc, en ces jours d'effroi, Rester sourd aux cris de ses frères ? Ne souffrir jamais que pour soi ? Non, le poète sur la terre Console, exilé volontaire, Les tristes humains dans leurs fers ; Parmi les peuples en délire, Il s'élance, armé de sa lyre, Comme Orphée au sein des enfers ! « Orphée aux peines éternelles Vint un moment ravir les morts ; Toi, sur les têtes criminelles, Tu chantes l'hymne du remords. Insensé ! quel orgueil t'entraîne ? De quel droit viens-tu dans l'arène Juger sans avoir combattu ? Censeur échappé de l'enfance, Laisse vieillir ton innocence, Avant de croire à ta vertu ! » Quand le crime, Python livide, Brave, impuni, le frein des lois, La Muse devient I'Euménide : Apollon saisit son carquois ! Je cède au Dieu qui me rassure ; J'ignore à ma vie encor pure Quels maux le sort veut attacher ; Je suis sans orgueil mon étoile ; L'orage déchire la voile : La voile sauve le nocher. « Les hommes vont aux précipices ! Tes chants ne les sauveront pas. Avec eux, loin des cieux propices, Pourquoi donc égarer tes pas Peux-tu, dès tes jeunes années, Sans briser d'autres destinées, Rompre la chaîne de tes jours ? Épargne ta vie éphémère ; Jeune homme, n'as-tu pas de mère ? Poète, n'as-tu pas d'amours ? » Eh bien ! à mes terrestres flammes, Si je meurs, les cieux vont s'ouvrir. L'amour chaste agrandit les âmes, Et qui sait aimer sait mourir. Le poète, en des temps de crime, Fidèle aux justes qu'on opprime, Célèbre, imite les héros ; Il a, jaloux de leur martyre, Pour les victimes une lyre, Une tète pour les bourreaux ! « On dit que jadis le Poète, Chantant des jours encor lointains, Savait à la terre inquiète Révéler ses futurs destins. Mais toi, que peux-tu pour le monde Tu partages sa nuit profonde : Le ciel se voile et veut punir ; Les lyres n'ont plus de prophète, Et la Muse, aveugle et muette, Ne sait plus rien de l'avenir ! » Le mortel qu'un Dieu même anime Marche à l'avenir, plein d'ardeur ; C'est en s'élançant dans l'abîme Qu'il en sonde la profondeur. Il se prépare au sacrifice ; Il sait que le bonheur du vice Par l'innocent est expié ; Prophète à son jour mortuaire, La prison est son sanctuaire, Et l'échafaud est son trépied ! « Que n'es-tu né sur les rivages Des Abbas et des Cosroës, Aux rayons d'un ciel sans nuages, Parmi le myrte et l'aloës ! Là, sourd aux maux que tu déplores, Le poète voit ses aurores Se lever sans trouble et sans pleurs ; Et la colombe, chère aux sages, Porte aux vierges ses doux messages Où l'amour parle avec des fleurs ! » Qu'un autre au céleste martyre Préfère un repos sans honneur ! La gloire est le but où j'aspire ; On n'y va point par le bonheur. L'alcyon, quand l'Océan gronde, Craint que les vents ne troublent l'onde Où se berce son doux sommeil ; Mais pour l'aiglon, fils des orages, Ce n'est qu'à travers les nuages Qu'il prend son vol vers le soleil ! Mars 1821.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Le soleil était là qui mourait dans l'abîme Le soleil était là qui mourait dans l'abîme. L'astre, au fond du brouillard, sans air qui le ranime, Se refroidissait, morne et lentement détruit. On voyait sa rondeur sinistre dans la nuit ; Et l'on voyait décroître, en ce silence sombre, Ses ulcères de feu sous une lèpre d'ombre. Charbon d'un monde éteint ! flambeau soufflé par Dieu ! Ses crevasses montraient encore un peu de feu. Comme si par les trous du crâne on eût vu l'âme. Au centre palpitait et rampait une flamme Qui par instants léchait les bords extérieurs, Et de chaque cratère il sortait des lueurs Qui frissonnaient ainsi que de flamboyants glaives, Et s'évanouissaient sans bruit comme des rêves. L'astre était presque noir. L'archange était si las Qu'il n'avait plus de voix et plus de souffle, hélas ! Et l'astre agonisait sous ses regards farouches. Il mourait, il luttait. Avec ses sombres bouches Dans l'obscurité froide il lançait par moments Des flots ardents, des blocs rougis, des monts fumants, Des rocs tout écumants de sa clarté première ; Comme si ce géant de vie et de lumière, Englouti par la brume où tout s'évanouit, N'eût pas voulu mourir sans insulter la nuit Et sans cracher sa lave à la face de l'ombre. Autour de lui le temps et l'espace et le nombre Et la forme et le bruit expiraient, en créant L'unité formidable et noire du néant. Le spectre Rien levait sa tête hors du gouffre.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Le travail des captifs Dieu dit au roi : — Je suis ton Dieu. Je veux un temple. C'est ainsi, dans l'azur où l'astre le contemple, Que Dieu parla ; du moins le prêtre l'entendit. Et le roi vint trouver les captifs, et leur dit : — En est-il un de vous qui sache faire un temple ? — Non, dirent-ils — J'en vais tuer cent pour [l'exemple, Dit le roi. Dieu demande un temple en son courroux. Ce que Dieu veut du roi, le roi le veut de vous. C'est juste. C'est pourquoi l'on fit mourir cent hommes. Alors un des captifs cria : — Sire, nous sommes Convaincus. Faites-nous, roi, dans les environs, Donner une montagne, et nous la creuserons. — Une caverne ? dit le roi. — Roi qui gouvernes, Dieu ne refuse point d'entrer dans les cavernes, Dit l'homme, et ce n'est pas une rébellion Que faire un temple à Dieu de l'antre du lion. — Faites, dit le roi. L'homme eut donc une montagne, Et les captifs, traînant les chaînes de leur bagne, Se mirent à creuser ce mont, nommé Galgal ; Et l'homme était leur chef, bien qu'il fût leur égal ; Mais dans la servitude, ombre où rien ne pénètre, On a pour chef l'esclave à qui parle le maître. Ils creusèrent le mont Galgal profondément. Quand ils eurent fini, l'homme dit : — Roi clément, Vos prisonniers ont fait ce que le ciel désire ; Mais ce temple est à vous avant d'être à Dieu, sire ; Que votre Eternité daigne venir le voir. — J'y consens, répondit le roi. — Notre devoir, Reprit l'humble captif prosterné sur les dalles, Est d'adorer la cendre où marchent vos sandales ; Quand vous plaît-il de voir notre œuvre ? — Sur-le- [champ. Alors le maître et l'homme, à ses pieds se couchant, Furent mis sous un dais sur une plate-forme ; Un puits était bouché par une pierre énorme, La pierre fut levée, un câble hasardeux Soutint les quatre coins du trône, et tous les deux Descendirent au fond du puits, unique entrée De la montagne à coups de pioches éventrée. Quand ils furent en bas, le prince s'étonna. — C'est de cette façon qu'on entre dans l'Etna, C'est ainsi qu'on pénètre au trou de la Sibylle, C'est ainsi qu'on aborde à l'Hadès immobile, Mais ce n'est pas ainsi qu'on arrive au saint lieu. — Qu'on monte ou qu'on descende, on va toujours à [Dieu, Dit l'architecte ayant comme un forçat la marque ; 0 roi, soyez ici le bienvenu, monarque Qui, parmi les plus grands et parmi les premiers, Rayonnez, comme un cèdre au milieu des palmiers Règne, et comme Pathmos brille entre les Sporades. — Qu'est ce bruit ? dit le roi. — Ce sont mes [camarades Qui laissent retomber le couvercle du puits. — Mais nous ne pourrons plus sortir. — Rois, vos [appuis Sont les astres, ô prince, et votre cimeterre Fait reculer la foudre, et vous êtes sur terre Le soleil, comme au ciel le soleil est le roi. Que peut craindre ici-bas votre hautesse ? — Quoi ! Plus d'issue ! — 0 grand roi, roi sublime, [qu'importe ? Vous êtes l'homme à qui Dieu même ouvre la porte. Alors le roi cria : — Plus de jour, plus de bruit, Tout est noir, je ne vois plus rien. Pourquoi la nuit Est-elle dans ce temple ainsi qu'en une cave ? Pourquoi ? — Parce que c'est ta tombe, dit l'esclave.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Le vieil esprit de nuit Le vieil esprit de nuit, d'ignorance et de haine Des clous de Jésus-Christ forge à l'homme une chaîne, Change l'enfant candide et pur en nain vieillot, Lie au bûcher Jean Huss et Morus au billot, Frappe de sa férule Horace, et, si Voltaire Et Rousseau font du bruit en classe, il les fait taire. Il donne sur les doigts au bon Dieu stupéfait. Il refroidit les fronts que l'aube réchauffait, Il insulte le ciel dans la femme, et le nie Dans l'astre, dans la fleur, dans l'art, dans le génie. L'éteignoir sur les yeux, la torche au poing, boudeur, Sournois, pédant, féroce, il aspire l'odeur De la pensée éteinte et de la chair brûlée. Il fait mettre à genoux le vieillard Galilée Sur la terre qui tourne et devant le soleil. Sur œil qui veut s'ouvrir il verse le sommeil. Il tient dans ses dents l'âme humaine, et la grignote. Il inspire Nisard, Veuillot, Planche, Nonotte, Laisse derrière lui tout cœur mort et glacé, Et l'herbe ne croît plus où son âne a passé.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Le vrai dans le vin Jean Sévère était fort ivre. Ô barrière ! ô lieu divin Où Surène nous délivre Avec l'azur de son vin ! Un faune habitant d'un antre, Sous les pampres de l'été, Aurait approuvé son ventre Et vénéré sa gaieté. Il était beau de l'entendre. On voit, quand cet homme rit, Chacun des convives tendre Comme un verre son esprit. À travers les mille choses Qu'on dit parmi les chansons, Tandis qu'errent sous les roses Les filles et les garçons, On parla d'une bataille ; Deux peuples, russe et prussien, Sont hachés par la mitraille ; Les deux rois se portent bien. Chacun de ces deux bons princes (De là tous leurs différends) Trouve ses États trop minces Et ceux du voisin trop grands. Les peuples, eux, sont candides ; Tout se termine à leur gré Par un dôme d'Invalides Plein d'infirmes et doré. Les rois font pour la victoire Un hospice, où le guerrier Ira boiter dans la gloire, Borgne, et coiffé d'un laurier. Nous admirions ; mais, farouche, En nous voyant tous béats, Jean Sévère ouvrit la bouche Et dit ces alinéas : « Le pauvre genre humain pleure, « Nos pas sont tremblants et courts, « Je suis très ivre, et c'est l'heure « De faire un sage discours. « Le penseur joint sous la treille « La logique à la boisson ; « Le sage, après la bouteille, « Doit déboucher la raison. « Faire, au lieu des deux armées, « Battre les deux généraux, « Diminuerait les fumées « Et grandirait les héros. « Que me sert le dithyrambe « Qu'on va chantant devant eux, « Et que Dieu m'ait fait ingambe « Si les rois me font boiteux ? « Ils ne me connaissent guère « S'ils pensent qu'il me suffit « D'avoir les coups de la guerre « Quand ils en ont le profit. « Foin des beaux portails de marbre « De la Flèche et de Saint-Cyr ! « Lorsqu'avril fait pousser l'arbre, « Je n'éprouve aucun plaisir, « En voyant la branche, où flambe « L'aurore qui m'éveilla, « À dire : « C'est une jambe « Peut-être qui me vient là ! » « L'invalide altier se traîne, « Du poids d'un bras déchargé ; « Mais moi je n'ai nulle haine « Pour tous les membres que j'ai. « Recevoir des coups de sabre, « Choir sous les pieds furieux « D'un escadron qui se cabre, « C'est charmant ; boire vaut mieux. « Plutôt gambader sur l'herbe « Que d'être criblé de plomb ! « Le nez coupé, c'est superbe ; « J'aime autant mon nez trop long. « Décoré par mon monarque, « Je m'en reviens, ébloui, « Mais bancal, et je remarque « Qu'il a ses deux pattes, lui. « Manchot, fier, l'hymen m'attire ; « Je vois celle qui me plaît « En lorgner d'autres et dire : « Je l'aimerais mieux complet. » « Fils, c'est vrai, je ne savoure « Qu'en douteur voltairien « Cet effet de ma bravoure « De n'être plus bon à rien. « La jambe de bois est noire ; « La guerre est un dur sentier ; « Quant à ce qu'on nomme gloire, « La gloire, c'est d'être entier. « L'infirme adosse son râble, « En trébuchant, aux piliers ; « C'est une chose admirable, « Fils, que d'user deux souliers. « Fils, j'aimerais que mon prince, « En qui je mets mon orgueil, « Pût gagner une province « Sans me faire perdre un oeil. « Un discours de cette espèce « Sortant de mon hiatus, « Prouve que la langue épaisse « Ne fait pas l'esprit obtus. » Ainsi parla Jean Sévère, Ayant dans son coeur sans fiel La justice, et dans son verre Un vin bleu comme le ciel. L'ivresse mit dans sa tête Ce bon sens qu'il nous versa. Quelquefois Silène prête Son âne à Sancho Pança.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Les bonzes Que je prenne un moment de repos ? Impossible. Koran, Zend-Avesta, livres sibyllins, Bible, Talmud, Toldos Jeschut, Védas, lois de Manou, Brahmes sanglants, santons fléchissant le genou, Les contes, les romans, les terreurs, les croyances, Les superstitions fouillant les consciences, Puis-je ne pas sentir ces creusements profonds ? J'en ai ma part. Veaux d'or, sphinx, chimères, griffons, Les princes des démons et les princes des prêtres, Synodes, sanhédrins, vils muphtis, scribes traîtres, Ceux qui des empereurs bénissaient les soldats, Ceux que payait Tibère et qui payaient Judas, Ceux qui tendraient encore à Socrate le verre, Ceux qui redonneraient à Jésus le calvaire, Tous ces sadducéens, tous ces pharisiens, Ces anges, que Satan reconnaît pour les siens, Tout cela, c'est partout. C'est la puissance obscure. Plaie énorme que fait une abjecte piqûre ! Ce contre-sens : Dieu vrai, les dogmes faux ; cuisson Du mensonge qui s'est glissé dans la raison ! Démangeaison saignante, incurable, éternelle, Que sent l'homme en son âme et l'oiseau sous son aile ! Oh ! L'infâme travail ! Ici Mahomet ; là Cette tête, Wesley, sur ce corps, Loyola ; Cisneros et Calvin, dont on sent les brûlures. Ô faux révélateurs ! Ô jongleurs ! Vos allures Sont louches, et vos pas sont tortueux ; l'effroi, Et non l'amour, tel est le fond de votre loi ; Vous faites grimacer l'éternelle figure ; Vous naissez du sépulcre, et l'on sent que l'augure Et le devin son pleins de l'ombre du tombeau, Et que tous ces rêveurs, compagnons du corbeau, Tous ces fakirs d'Ombos, de Stamboul et de Rome, N'ont pu faire tomber tant de fables sur l'homme Qu'en secouant les plis sinistres des linceuls. Dieu n'étant aperçu que par les astres seuls, Les penseurs, sachant bien qu'il est là sous ses voiles, Ont toujours conseillé d'en croire les étoiles ; Dieu, c'est un lieu fermé dont l'aurore a la clé, Et la religion, c'est le ciel contemplé. Mais vous ne voulez pas, prêtres, de cette église. Vous voulez que la terre en votre livre lise Tous vos songes, moloch, Vénus, Ève, Astarté, Au lieu de lire au front des cieux la vérité. De là la foi changée en crédulité ; l'âme Éclipsant la raison dans une sombre flamme ; De là tant d'êtres noirs serpentant dans la nuit. L'imposture, par qui le vrai temple est détruit, Est un colosse fait d'un amas de pygmées ; Les sauterelles sont d'effrayantes armées ; Ô mages grecs, romains, payens, indous, hébreux, Le genre humain, couvert de rongeurs ténébreux, Sent s'élargir sur lui vos hordes invisibles ; Vous lui faites rêver tous les enfers possibles ; Le peuple infortuné voit dans son cauchemar Surgir Torquemada quand disparaît Omar. Nul répit. Vous aimez les ténèbres utiles, Et vous y rôdez, vils et vainqueurs, ô reptiles ! Sur toute cette terre, en tous lieux, dans les bois, Dans le lit nuptial, dans l'alcôve des rois, Dans les champs, sous l'autel sacré, dans la cellule, Ce qui se traîne, couve, éclôt, va, vient, pullule, C'est vous. Vous voulez tout, vous savez tout ; damner, Bénir, prendre, jurer, tromper, servir, régner, Briller même ; ramper n'empêche pas de luire. Chuchotement hideux ! Je vous entends bruire. Vous mangez votre proie énorme avec bonheur, Et vous vous appelez entre vous monseigneur. L'acarus au ciron doit donner de l'altesse. Quelles que soient votre ombre et votre petitesse, Je devine, malgré vos soins pour vous cacher, Que vous êtes sur nous, et je vous sens marcher Comme on sent remuer les mineurs dans la mine, Et je ne puis dormir, tant je hais la vermine ! Vous êtes ce qui hait, ce qui mord, ce qui ment. Vous êtes l'implacable et noir fourmillement. Vous êtes ce prodige affreux, l'insaisissable. Qu'on suppose vivants tous les vils grains de sable, Ce sera vous. Rien, tout. Zéro, des millions. L'horreur. Moins que des vers et plus que des lions. L'insecte formidable. Ô monstrueux contraste ! Pas de nains plus chétifs, pas de pouvoir plus vaste. L'univers est à vous, puisque vous l'emplissez. Vous possédez les jours futurs, les jours passés, Le temps, l'éternité, le sommeil, l'insomnie. Vous êtes l'innombrable, et, dans l'ombre infinie, Fétides, sur nos peaux mêlant vos petits pas, Vous vous multipliez ; et je ne comprends pas Dans quel but Dieu livra les empires, le monde, Les âmes, les enfants dressant leur tête blonde, Les temples, les foyers, les vierges, les époux, L'homme, à l'épouvantable immensité des poux. Le 26 juillet 1874.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Les canaris Lorsqu’un vaisseau vaincu dérive en pleine mer ; Que ses voiles carrées Pendent le long des mâts, par les boulets de fer Largement déchirées ; Qu’on n’y voit que des morts tombés de toutes parts, Ancres, agrès, voilures, Grands mâts rompus, traînant leurs cordages épars Comme des chevelures ; Que le vaisseau, couvert de fumée et de bruit, Tourne ainsi qu’une roue ; Qu’un flux et qu’un reflux d’hommes roule et s’enfuit De la poupe à la proue ; Lorsqu’à la voix des chefs nul soldat ne répond ; Que la mer monte et gronde ; Que les canons éteints nagent dans l’entre-pont, S’entre-choquant dans l’onde ; Qu’on voit le lourd colosse ouvrir au flot marin Sa blessure béante, Et saigner, à travers son armure d’airain, La galère géante ; Qu’elle vogue au hasard, comme un corps palpitant, La carène entr’ouverte, Comme un grand poisson mort, dont le ventre flottant Argente l’onde verte ; Alors gloire au vainqueur ! Son grappin noir s’abat Sur la nef qu’il foudroie ; Tel un aigle puissant pose, après le combat, Son ongle sur sa proie ! Puis, il pend au grand mât, comme au front d’une tour, Son drapeau que l’air ronge, Et dont le reflet d’or dans l’onde, tour à tour, S’élargit et s’allonge. Et c’est alors qu’on voit les peuples étaler Les couleurs les plus fières, Et la pourpre, et l’argent, et l’azur onduler Aux plis de leurs bannières. Dans ce riche appareil leur orgueil insensé Se flatte et se repose, Comme si le flot noir, par le flot effacé, En gardait quelque chose ! Malte arborait sa croix ; Venise, peuple-roi, Sur ses poupes mouvantes, L’héraldique lion qui fait rugir d’effroi Les lionnes vivantes. Le pavillon de Naple est éclatant dans l’air, Et quand il se déploie On croit voir ondoyer de la poupe à la mer Un flot d’or et de soie. Espagne peint aux plis des drapeaux voltigeant Sur ses flottes avares, Léon aux lions d’or, Castille aux tours d’argent, Les chaînes des Navarres. Rome a les clefs; Milan, l’enfant qui hurle encor Dans les dents de la guivre ; Et les vaisseaux de France ont des fleurs de lys d’or Sur leurs robes de cuivre. Stamboul la turque autour du croissant abhorré Suspend trois blanches queues ; L’Amérique enfin libre étale un ciel doré Semé d’étoiles bleues. L’Autriche a l’aigle étrange, aux ailerons dressés, Qui, brillant sur la moire, Vers les deux bouts du monde à la fois menacés Tourne une tête noire. L’autre aigle au double front, qui des czars suit les lois, Son antique adversaire, Comme elle regardant deux mondes à la fois, En tient un dans sa serre. L’Angleterre en triomphe impose aux flots amers Sa splendide oriflamme, Si riche qu’on prendrait son reflet dans les mers Pour l’ombre d’une flamme. C’est ainsi que les rois font aux mâts des vaisseaux Flotter leurs armoiries, Et condamnent les nefs conquises sur les eaux A changer de patries. Ils traînent dans leurs rangs ces voiles dont le sort Trompa les destinées, Tout fiers de voir rentrer plus nombreuses au port Leurs flottes blasonnées. Aux navires captifs toujours ils appendront Leurs drapeaux de victoire, Afin que le vaincu porte écrite à son front Sa honte avec leur gloire ! Mais le bon Canaris, dont un ardent sillon Suit la barque hardie, Sur les vaisseaux qu’il prend, comme son pavillon, Arbore l’incendie !

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Les deux îles Dites-moi d’où il est venu, je vous dirai où il est allé. E. H. I Il est deux îles dont un monde Sépare les deux Océans, Et qui de loin dominent l’onde, Comme des têtes de géants. On devine, en voyant leurs cimes, Que Dieu les tira des abîmes Pour un formidable dessein ; Leur front de coups de foudre fume, Sur leurs flancs nus la mer écume, Des volcans grondent dans leur sein. Ces îles, où le flot se broie Entre des écueils décharnés, Sont comme deux vaisseaux de proie, D’une ancre éternelle enchaînés. La main qui de ces noirs rivages Disposa les sites sauvages, Et d’effroi les voulut couvrir, Les fit si terribles, peut-être, Pour que Bonaparte y pût naître, Et Napoléon y mourir ! « — Là fut son berceau ! — Là sa tombe ! » Pour les siècles, c’en est assez. Ces mots, qu’un monde naisse ou tombe, Ne seront jamais effacés. Sur ces îles à l’aspect sombre Viendront, à l’appel de son ombre, Tous les peuples de l’avenir ; Les foudres qui frappent leurs crêtes, Et leurs écueils, et leurs tempêtes, Ne sont plus que son souvenir ! Loin de nos rives, ébranlées Par les orages de son sort, Sur ces deux îles isolées Dieu mit sa naissance et sa mort ; Afin qu’il pût venir au monde Sans qu’une secousse profonde Annonçât son premier moment ; Et que sur son lit militaire, Enfin, sans remuer la terre, Il pût expirer doucement ! II Comme il était rêveur au matin de son âge ! Comme il était pensif au terme du voyage ! C’est qu’il avait joui de son rêve insensé ; Du trône et de la gloire il savait le mensonge ; Il avait vu de près ce que c’est qu’un tel songe, Et quel est le néant d’un avenir passé ! Enfant, des visions, dans la Corse, sa mère, Lui révélaient déjà sa couronne éphémère, Et l’aigle impérial planant sur son pavois ; Il entendait d’avance, en sa superbe attente, L’hymne qu’en toute langue, aux portes de sa tente, Son peuple universel chantait tout d’une voix : III acclamation. « Gloire à Napoléon ! gloire au maître suprême ! Dieu même a sur son front posé le diadème. Du Nil au Borysthène il règne triomphant. Les rois, fils de cent rois, s’inclinent quand il passe, Et dans Rome il ne voit d’espace Que pour le trône d’un enfant ! « Pour porter son tonnerre aux villes effrayées, Ses aigles ont toujours les ailes déployées. Il régit le conclave, il commande au divan. Il mêle à ses drapeaux, de sang toujours humides, Des croissants pris aux Pyramides, Et la croix d’or du grand Ivan ! « Le mamelouk bronzé, le goth plein de vaillance, Le polonais, qui porte une flamme à sa lance, Prêtent leur force aveugle à ses ambitions. Ils ont son vœu pour loi, pour foi sa renommée. On voit marcher dans son armée Tout un peuple de nations ! « Sa main, s’il touche un but où son orgueil aspire, Fait à quelque soldat l’aumône d’un empire, Ou fait veiller des rois au seuil de son palais, Pour qu’il puisse, en quittant les combats ou les fêtes, Dormir en paix dans ses conquêtes, Comme un pêcheur sur ses filets ! « Il a bâti si haut son aire impériale, Qu’il nous semble habiter cette sphère idéale Où jamais on n’entend un orage éclater ! Ce n’est plus qu’à ses pieds que gronde la tempête ; Il faudrait, pour frapper sa tête, Que la foudre pût remonter ! » IV La foudre remonta ! — Renversé de son aire, Il tomba, tout fumant de cent coups de tonnerre. Les rois punirent leur tyran. On l’exposa vivant sur un roc solitaire ; Et le géant captif fut remis par la terre À la garde de l’océan. Oh ! comme à Sainte-Hélène il dédaignait sa vie, Quand le soir il voyait, avec un œil d’envie, Le soleil fuir sous l’horizon, Et qu’il s’égarait seul sur le sable des grèves, Jusqu’à ce qu’un anglais, l’arrachant de ses rêves, Le ramenât dans sa prison ! Comme avec désespoir ce prince de la guerre S’entendait accuser par tous ceux qui naguère Divinisaient son bras vainqueur ! Car des peuples ligués la clameur solennelle Répondait à la voix implacable, éternelle, Qui se lamentait dans son cœur ! V imprécation. « Honte ! opprobre ! malheur ! anathème ! vengeance ! Que la terre et les cieux frappent d’intelligence ! Enfin nous avons vu le colosse crouler ! Que puissent retomber sur ses jours, sur sa cendre, Tous les pleurs qu’il a fait répandre, Tout le sang qu’il a fait couler ! « Qu’à son nom, du Volga, du Tibre, de la Seine, Des murs de l’Alhambra, des fossés de Vincenne, De Jaffa, du Kremlin qu’il brûla sans remords, Des plaines du carnage et des champs de victoire, Tonne, comme un écho de sa fatale gloire, La malédiction des morts ! « Qu’il voie autour de lui se presser ses victimes ! Que tout ce peuple, en foule échappé des abîmes, Innombrable, annonçant les secrets du cercueil, Mutilé par le fer, sillonné par la foudre, Heurtant confusément des os noircis de poudre, Lui fasse un Josaphat de Sainte-Hélène en deuil ! « Qu’il vive pour mourir tous les jours, à toute heure ! Que le fier conquérant baisse les yeux, et pleure ! Sachant sa gloire à peine et riant de ses droits, Des geôliers ont chargé d’une chaîne glacée Cette main qui s’était lassée À courber la tête des rois ! « Il crut que sa fortune, en victoires féconde, Vaincrait le souvenir du peuple roi du monde ; Mais Dieu vient, et d’un souffle éteint son noir flambeau, Et ne laisse au rival de l’éternelle Rome Que ce qu’il faut de place et de temps à tout homme Pour se coucher dans le tombeau. « Ces mers auront sa tombe, et l’oubli la devance. En vain à Saint-Denis il fit parer d’avance Un sépulcre de marbre et d’or étincelant ; Le ciel n’a pas voulu que de royales ombres Vissent, en revenant pleurer sous ces murs sombres, Dormir dans leur tombeau son cadavre insolent ! » VI Qu’une coupe vidée est amère ! et qu’un rêve, Commencé dans l’ivresse, avec terreur s’achève ! Jeune, on livre à l’espoir sa crédule raison ; Mais on frémit plus tard, quand l’âme est assouvie, Hélas ! et qu’on revoit sa vie De l’autre bord de l’horizon ! Ainsi, quand vous passez au pied d’un mont sublime, Longtemps en conquérant vous admirez sa cime, Et ses pics, que jamais les ans n’humilieront, Ses forêts, vert manteau qui pend aux rocs sauvages, Et ces couronnes de nuages Qui s’amoncellent sur son front ! Montez donc, et tentez ces zones inconnues ! — Vous croyiez fuir aux cieux… vous vous perdez aux nues ! Le mont change à vos yeux d’aspect et de tableaux ; C’est un gouffre, obscurci de sapins centenaires, Où les torrents et les tonnerres Croisent des éclairs et des flots ! VII Voilà l’image de la gloire : D’abord, un prisme éblouissant, Puis un miroir expiatoire, Où la pourpre paraît du sang ! Tour à tour puissante, asservie, Voilà quel double aspect sa vie Offrit à ses âges divers. Il faut à son nom deux histoires : Jeune, il inventait ses victoires ; Vieux, il méditait ses revers. En Corse, à Saint-Hélène encore, Dans les nuits d’hiver, le nocher, Si quelque orageux météore Brille au sommet d’un noir rocher, Croit voir le sombre capitaine, Projetant son ombre lointaine, Immobile, croiser ses bras ; Et dit que, pour dernière fête, Il vient régner dans la tempête, Comme il régnait dans les combats ! VIII S’il perdit un empire, il aura deux patries, De son seul souvenir illustres et flétries, L’une aux mers d’Annibal, l’autre aux mers de Vasco ; Et jamais, de ce siècle attestant la merveille, On ne prononcera son nom, sans qu’il n’éveille Aux bouts du monde un double écho ! Telles, quand une bombe ardente, meurtrière, Décrit dans un ciel noir sa courbe incendiaire, Se balance au-dessus des murs épouvantés, Puis, comme un vautour chauve, à la serre cruelle, Qui frappe en s’abattant la terre de son aile, Tombe, et fouille à grand bruit le pavé des cités, Longtemps après sa chute, on voit fumer encore La bouche du mortier, large, noire et sonore, D’où monta pour tomber le globe au vol pesant, Et la place où la bombe, éclatée en mitrailles, Mourut, en vomissant la mort de ses entrailles, Et s’éteignit en embrasant ! Juillet 1825.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Les femmes sont sur la terre Les femmes sont sur la terre Pour tout idéaliser ; L'univers est un mystère Que commente leur baiser. C'est l'amour qui, pour ceinture, A l'onde et le firmament, Et dont toute la nature, N'est, au fond, que l'ornement. Tout ce qui brille, offre à l'âme Son parfum ou sa couleur ; Si Dieu n'avait fait la femme, Il n'aurait pas fait la fleur. A quoi bon vos étincelles, Bleus saphirs, sans les yeux doux ? Les diamants, sans les belles, Ne sont plus que des cailloux ; Et, dans les charmilles vertes, Les roses dorment debout, Et sont des bouches ouvertes Pour ne rien dire du tout. Tout objet qui charme ou rêve Tient des femmes sa clarté ; La perle blanche, sans Eve, Sans toi, ma fière beauté, Ressemblant, tout enlaidie, A mon amour qui te fuit, N'est plus que la maladie D'une bête dans la nuit. Paris, avril 18...

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Les grands corps de l'état Ces hommes passeront comme un ver sur le sable. Qu'est-ce que tu ferais de leur sang méprisable ? Le dégoût rend clément. Retenons la colère âpre, ardente, électrique. Peuple, si tu m'en crois, tu prendras une trique Au jour du châtiment. Ô de Soulouque-deux burlesque cantonade ! Ô ducs de Trou-Bonbon, marquis de Cassonade, Souteneurs du larron, Vous dont la poésie, ou sublime ou mordante, Ne sait que faire, gueux, trop grotesques pour Dante, Trop sanglants pour Scarron, Ô jongleurs, noirs par l'âme et par la servitude, Vous vous imaginez un lendemain trop rude, Vous êtes trop tremblants, Vous croyez qu'on en veut, dans l'exil où nous sommes, À cette peau qui fait qu'on vous prend pour des hommes ; Calmez-vous, nègres blancs ! Cambyse, j'en conviens, eût eu ce cœur de roche De faire asseoir Troplong sur la peau de Baroche Au bout d'un temps peu long, Il eût crié : Cet autre est pire. Qu'on l'étrangle ! Et, j'en conviens encore, eût fait asseoir Delangle Sur la peau de Troplong. Cambyse était stupide et digne d'être auguste ; Comme s'il suffisait pour qu'un être soit juste, Sans vices, sans orgueil, Pour qu'il ne soit pas traître à la loi, ni transfuge, Que d'une peau de tigre ou d'une peau de juge On lui fasse un fauteuil ! Toi, peuple, tu diras : — Ces hommes se ressemblent. Voyons les mains. — Et tous trembleront comme tremblent Les loups pris aux filets. Bon. Les uns ont du sang, qu'au bagne on les écroue, À la chaîne ! Mais ceux qui n'ont que de la boue, Tu leur diras : — Valets ! La loi râlait, ayant en vain crié : main-forte ! Vous avez partagé les habits de la morte. Par César achetés, De tous nos droits livrés vous avez fait des ventes ; Toutes ses trahisons ont trouvé pour servantes Toutes vos lâchetés ! Allez, fuyez, vivez ! pourvu que, mauvais prêtre, Mauvais juge, on vous voie en vos trous disparaître, Rampant sur vos genoux, Et qu'il ne reste rien, sous les cieux que Dieu dore, Sous le splendide azur où se lève l'aurore, Rien de pareil à vous ! Vivez, si vous pouvez ! l'opprobre est votre asile. Vous aurez à jamais, toi, cardinal Basile, Toi, sénateur Crispin, De quoi boire et manger dans vos fuites lointaines, Si le mépris se boit comme l'eau des fontaines, Si la honte est du pain ! — Peuple, alors nous prendrons au collet tous ces drôles, Et tu les jetteras dehors par les épaules À grands coups de bâton ; Et dans le Luxembourg, blancs sous les branches d'arbre, Vous nous approuverez de vos têtes de marbre, Ô Lycurgue, ô Caton ! Citoyens ! le néant pour ces laquais se rouvre Qu'importe, ô citoyens ! l'abjection les couvre De son manteau de plomb. Qu'importe que, le soir, un passant solitaire, Voyant un récureur d'égouts sortir de terre, Dise : Tiens ! c'est Troplong ! Qu'importe que Rouher sur le Pont-Neuf se carre, Que Baroche et Delangle, en quittant leur simarre, Prennent des tabliers, Qu'ils s'offrent pour trois sous, oubliés quoique infâmes, Et qu'ils aillent, après avoir sali leurs âmes, Nettoyer vos souliers ! Jersey, le 23 novembre 1853.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Les griffonnages de l’écolier Charle a fait des dessins sur son livre de classe. Le thème est fatigant au point, qu’étant très lasse, La plume de l’enfant n’a pu se reposer Qu’en faisant ce travail énorme : improviser Dans un livre, partout, en haut, en bas, des fresques, Comme on en voit aux murs des alhambras moresques, Des taches d’encre, ayant des aspects d’animaux, Qui dévorent la phrase et qui rongent les mots, Et, le texte mangé, viennent mordre les marges. Le nez du maître flotte au milieu de ces charges. Troublant le clair-obscur du vieux latin toscan, Dans la grande satire où Rome est au carcan, Sur César, sur Brutus, sur les hautes mémoires, Charle a tranquillement dispersé ses grimoires. Ce chevreau, le caprice, a grimpé sur les vers. Le livre, c’est l’endroit ; l’écolier, c’est l’envers. Sa gaîté s’est mêlée, espiègle, aux stigmates Du vengeur qui voulait s’enfuir chez les Sarmates. Les barbouillages sont étranges, profonds, drus. Les monstres ! Les voilà perchés, l’un sur Codrus, L’autre sur Néron. L’autre égratigne un dactyle. Un pâté fait son nid dans les branches du style. Un âne, qui ressemble à monsieur Nisard, brait, Et s’achève en hibou, dans l’obscure forêt ; L’encrier sur lui coule, et, la tête inondée De cette pluie, il tient dans sa patte un spondée. Partout la main du rêve a tracé le dessin ; Et c’est ainsi qu’au gré de l’écolier, l’essaim Des griffonnages, horde hostile aux belles-lettres, S’est envolé parmi les sombres hexamètres. Jeu ! songe ! on ne sait quoi d’enfantin, s’enlaçant Au poème, lui donne un ineffable accent, Commente le chef-d’œuvre, et l’on sent l’harmonie D’une naïveté complétant un génie. C’est un géant ayant sur l’épaule un marmot. Charle invente une fleur qu’il fait sortir d’un mot, Ou lâche un farfadet ailé dans la broussaille Du rythme effarouché qui s’écarte et tressaille. Un rond couvre une page. Est-ce un dôme ? est-ce un œuf ? Une belette en sort qui peut-être est un bœuf. Le gribouillage règne, et sur chaque vers, pose Les végétations de la métamorphose. Charle a sur ce latin fait pousser un hallier. Grâce à lui, ce vieux texte est un lieu singulier Où le hasard, l’ennui, le lazzi, la rature, Dressent au second plan leur vague architecture. Son encre a fait la nuit sur le livre étoilé. Et pourtant, par instants, ce noir réseau brouillé, À travers ses rameaux, ses porches, ses pilastres, Laisse passer l’idée et laisse voir les astres. C’est de cette façon que Charle a travaillé Au dur chef-d’œuvre antique, et qu’au bronze rouillé Il a plaqué le lierre, et dérangé la masse Du masque énorme avec une folle grimace. Il s’est bien amusé. Quel bonheur d’écolier ! Traiter un fier génie en monstre familier ! Être avec ce lion comme avec un caniche ! Aux pédants, groupe triste et laid, faire une niche ! Rendre agréable aux yeux, réjouissant, malin, Un livre estampillé par monsieur Delalain ! Gai, bondir à pieds joints par-dessus un poème ! Charle est très satisfait de son œuvre, et lui-même, — L’oiseau voit le miroir et ne voit pas la glu — Il s’admire. Un guetteur survient, homme absolu. Dans son œil terne luit le pensum insalubre ; Sa lèvre aux coins baissés porte en son pli lugubre Le rudiment, la loi, le refus des congés, Et l’auguste fureur des textes outragés. L’enfance veut des fleurs ; on lui donne la roche. Hélas ! c’est le censeur du collège. Il approche, Jette au livre un regard funeste, et dit, hautain : — Fort bien. Vous copierez mille vers ce matin Pour manque de respect à vos livres d’étude. — Et ce geôlier s’en va, laissant là ce Latude. Or c’est précisément la récréation. Être à neuf ans Tantale, Encelade, Ixion ! Voir autrui jouer ! Être un banni, qu’on excepte ! Tourner du châtiment la manivelle inepte ! Soupirer sous l’ennui, devant les cieux ouverts, Et sous cette montagne affreuse, mille vers ! Charles sanglote, et dit : — Ne pas jouer aux barres ! Copier du latin ! Je suis chez les barbares. — C’est midi ; le moment où sur l’herbe on s’assied, L’heure sainte où l’on doit sauter à cloche-pied ; L’air est chaud, les taillis sont verts, et la fauvette S’y débarbouille, ayant la source pour cuvette ; La cigale est là-bas qui chante dans le blé. L’enfant a droit aux champs. Charles songe accablé Devant le livre, hélas, tout noirci par ses crimes. Il croit confusément ouïr gronder les rimes D’un Boileau, qui s’entrouvre et bâille à ses côtés ; Tous ces bouquins lui font l’effet d’être irrités. Aucun remords pourtant. Il a la tête haute. Ne sentant pas de honte, il ne voit pas de faute. — Suis-je donc en prison ? Suis-je donc le vassal De Noël, lâchement aggravé par Chapsal ? Qu’est-ce donc que j’ai fait ? — Triste, il voit passer l’heure De la joie. Il est seul. Tout l’abandonne. Il pleure. Il regarde, éperdu, sa feuille de papier. Mille vers ! Copier ! Copier ! Copier ! Copier ! Ô pédant, c’est là ce que tu tires Du bois où l’on entend la flûte des satyres, Tyran dont le sourcil, sitôt qu’on te répond, Se fronce comme l’onde aux arches d’un vieux pont ! L’enfance a dès longtemps inventé dans sa rage La charrue à trois socs pour ce dur labourage. — Allons ! dit-il, trichons les pions déloyaux ! — Et, farouche, il saisit sa plume à trois tuyaux. Soudain du livre immense une ombre, une âme, un homme Sort, et dit : — Ne crains rien, mon enfant. Je me nomme Juvénal. Je suis bon. Je ne fais peur qu’aux grands. — Charles lève ses yeux pleins de pleurs transparents, Et dit : — Je n’ai pas peur. — L’homme, pareil aux marbres, Reprend, tandis qu’au loin on entend sous les arbres Jouer les écoliers, gais et de bonne foi : — Enfant, je fus jadis exilé comme toi, Pour avoir comme toi barbouillé des figures. Comme toi les pédants, j’ai fâché les augures. Élève de Jauffret que jalouse Massin, Voyons ton livre. — Il dit, et regarde un dessin Qui n’a pas trop de queue et pas beaucoup de tête. — Qu’est-ce que c’est que ça ? — Monsieur, c’est une bête. — Ah ! tu mets dans mes vers des bêtes ! Après tout Pourquoi pas ? puisque Dieu, qui dans l’ombre est debout, En met dans les grands bois et dans les mers sacrées. Il tourne une autre page, et se penche : — Tu crées. Qu’est ceci ? Ca m’a l’air fort beau, quoique tortu. — Monsieur, c’est un bonhomme. — Un bonhomme, dis-tu ? Eh bien, il en manquait justement un. Mon livre Est rempli de méchants. Voir un bonhomme vivre Parmi tous ces gens-là me plaît. Césars bouffis, Rangez-vous ! ce bonhomme est dieu. Merci, mon fils. — Et, d’un doigt souverain, le voilà qui feuillette Nisard, l’âne, le nez du maître, la belette Qui peut-être est un bœuf, les dragons, les griffons, Les pâtés d’encre ailés, mêlés aux vers profonds, Toute cette gaîté sur son courroux éparse, Et Juvénal s’écrie ébloui : — C’est très farce ! Ainsi, la grande sœur et la petite sœur, Ces deux âmes, sont là, jasant ; et le censeur, Obscur comme minuit et froid comme décembre, Serait bien étonné, s’il entrait dans la chambre, De voir sous le plafond du collège étouffant, Le vieux poète rire avec le doux enfant. 12 septembre.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Les jolies femmes On leur fait des sonnets, passables quelquefois ; On baise cette main qu'elles daignent vous tendre ; On les suit à l'église, on les admire au bois ; On redevient Damis, on redevient Clitandre ; Le bal est leur triomphe, et l'on brigue leur choix ; On danse, on rit, on cause, et vous pouvez entendre, Tout en valsant, parmi les luths et les hautbois, Ces belles gazouiller de leur voix la plus tendre : — La force est tout ; la guerre est sainte ; l'échafaud Est bon ; il ne faut pas trop de lumière ; il faut Bâmetir plus de prisons et bâmetir moins d'écoles ; Si Paris bouge, il faut des canons plein les forts. — Et ces colombes-là vous disent des paroles À faire remuer d'horreur les os des morts.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Les oiseaux Je rêvais dans un grand cimetière désert ; De mon âme et des morts j'écoutais le concert, Parmi les fleurs de l'herbe et les croix de la tombe. Dieu veut que ce qui naît sorte de ce qui tombe. Et l'ombre m'emplissait. Autour de moi, nombreux, Gais, sans avoir souci de mon front ténébreux, Dans ce champ, lit fatal de la sieste dernière, Des moineaux francs faisaient l'école buissonnière. C'était l'éternité que taquine l'instant. Ils allaient et venaient, chantant, volant, sautant, Égratignant la mort de leurs griffes pointues, Lissant leur bec au nez lugubre des statues, Becquetant les tombeaux, ces grains mystérieux. Je pris ces tapageurs ailés au sérieux ; Je criai : « Paix aux morts ! vous êtes des harpies. — Nous sommes des moineaux, me dirent ces impies. — Silence ! allez-vous en ! » repris-je, peu clément. Ils s'enfuirent ; j'étais le plus fort. Seulement, Un d'eux resta derrière, et, pour toute musique, Dressa la queue, et dit : « Quel est ce vieux classique ? » Comme ils s'en allaient tous, furieux, maugréant, Criant, et regardant de travers le géant, Un houx noir qui songeait près d'une tombe, un sage, M'arrêta brusquement par la manche au passage, Et me dit : « Ces oiseaux sont dans leur fonction. Laisse-les. Nous avons besoin de ce rayon. Dieu les envoie. Ils font vivre le cimetière. Homme, ils sont la gaîté de la nature entière ; Ils prennent son murmure au ruisseau, sa clarté A l'astre, son sourire au matin enchanté ; Partout où rit un sage, ils lui prennent sa joie, Et nous l'apportent ; l'ombre en les voyant flamboie ; Ils emplissent leurs becs des cris des écoliers ; A travers l'homme et l'herbe, et l'onde, et les halliers, Ils vont pillant la joie en l'univers immense. Ils ont cette raison qui te semble démence. Ils ont pitié de nous qui loin d'eux languissons ; Et, lorsqu'ils sont bien pleins de jeux et de chansons ; D'églogues, de baisers, de tous les commérages Que les nids en avril font sous les verts ombrages, Ils accourent, joyeux, charmants, légers, bruyants, Nous jeter tout cela dans nos trous effrayants ; Et viennent, des palais, des bois, de la chaumière, Vider dans notre nuit toute cette lumière ! » Quand mai nous les ramène, ô songeur, nous disons : « Les voilà ! » tout s'émeut, pierres, tertres, gazons ; Le moindre arbrisseau parle, et l'herbe est en extase ; Le saule pleureur chante en achevant sa phrase ; Ils confessent les ifs, devenus babillards ; Ils jasent de la vie avec les corbillards ; Des linceuls trop pompeux ils décrochent l'agrafe ; Ils se moquent du marbre ; ils savent l'orthographe ; Et, moi qui suis ici le vieux chardon boudeur, Devant qui le mensonge étale sa laideur, Et ne se gène pas, me traitant comme un hôte, Je trouve juste, ami, qu'en lisant à voix haute L'épitaphe où le mort est toujours bon et beau, Ils fassent éclater de rire le tombeau. Paris, mai 1835.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Les paupières des fleurs Les paupières des fleurs, de larmes toujours pleines, Ces visages brumeux qui, le soir, sur les plaines Dessinent les vapeurs qui vont se déformant, Ces profils dont l'ébauche apparaît dans le marbre, Ces yeux mystérieux ouverts sur les troncs d'arbre, Les prunelles de l'ombre et du noir firmament Qui rayonnent partout et qu'aucun mot ne nomme, Sont les regards de Dieu, toujours surveillant l'homme, Par le sombre penseur entrevus vaguement.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Les trop heureux Quand avec celle qu'on enlève, Joyeux, on s'est enfui si loin, Si haut, qu'au-dessus de son rêve On n'a plus que Dieu, doux témoin ; Quand, sous un dais de fleurs sans nombre, On a fait tomber sa beauté Dans quelque précipice d'ombre, De silence et de volupté ; Quand, au fond du hallier farouche, Dans une nuit pleine de jour, Une bouche sur une bouche Baise ce mot divin : amour ! Quand l'homme contemple la femme, Quand l'amante adore l'amant, Quand, vaincus, ils n'ont plus dans l'âme Qu'un muet éblouissement, Ce profond bonheur solitaire, C'est le ciel que nous essayons. Il irrite presque la terre Résistante à trop de rayons. Ce bonheur rend les fleurs jalouses Et les grands chênes envieux, Et fait qu'au milieu des pelouses Le lys trouve le rosier vieux ; Ce bonheur est si beau qu'il semble Trop grand, même aux êtres ailés ; Et la libellule qui tremble, La graine aux pistils étoilés, Et l'étamine, âme inconnue Qui de la plante monte au ciel, Le vent errant de nue en nue, L'abeille errant de miel en miel, L'oiseau, que les hivers désolent, Le frais papillon rajeuni, Toutes les choses qui s'envolent, En murmurant dans l'infini.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Les vierges de Verdun Le prêtre portera l'étole blanche et noire Lorsque les saints flambeaux pour vous s'allumeront. Et de leurs longs cheveux voilant leurs fronts d'ivoire Les jeunes filles pleureront. A. Guiraud. I. Pourquoi m'apportez-vous ma lyre, Spectres légers ? — que voulez-vous ? Fantastiques beautés, ce lugubre sourire M'annonce-t-il votre courroux ? Sur vos écharpes éclatantes Pourquoi flotte à longs plis ce crêpe menaçant ? Pourquoi sur des festons ces chaînes insultantes, Et ces roses, teintes de sang ? Retirez-vous : rentrez dans les sombres abîmes... Ah ! que me montrez-vous ?... quels sont ces trois tombeaux ? Quel est ce char affreux, surchargé de victimes ? Quels sont ces meurtriers, couverts d'impurs lambeaux ? J'entends des chants de mort, j'entends des cris de fête. Cachez-moi le char qui s'arrête !... Un fer lentement tombe à mes regards troublés ; — J'ai vu couler du sang... Est-il bien vrai, parlez, Qu'il ait rejailli sur ma tête ? Venez-vous dans mon âme éveiller le remord ? Ce sang... je n'en suis point coupable ! Fuyez, vierges ; fuyez, famille déplorable : Lorsque vous n'étiez plus, je n'étais pas encor. Qu'exigez-vous de moi ? J'ai pleuré vos misères ; Dois-je donc expier les crimes de mes pères ? Pourquoi troublez-vous mon repos ? Pourquoi m'apportez-vous ma lyre frémissante ? Et des remords à vos bourreaux ? II. Sous les murs entourés de cohortes sanglantes, Siège le sombre tribunal. L'accusateur se lève, et ses lèvres tremblante S'agitent d'un rire infernal. C'est Tainville : on le voit, au nom de la patrie, Convier aux forfaits cette horde flétrie D'assassins, juges à leur tour ; Le besoin du sang le tourmente ; Et sa voix homicide à la hache fumante Désigne les têtes du jour. Il parle : ses licteurs vers l'enceinte fatale Traînent les malheureux que sa fureur signale ; Les portes devant eux s'ouvrent avec fracas ; Et trois vierges, de grâce et de pudeur parées, De leurs compagnes entourées, Paraissent parmi les soldats. Le peuple, qui se tait, frémit de son silence ; Il plaint son esclavage en plaignant leurs malheurs, Et repose sur l'innocence Ses regards las du crime et troublés par ses pleurs. Eh quoi ! quand ces beautés, lâchement accusées, Vers ces juges de mort s'avançaient dans les fers, Ces murs n'ont pas, croulant sous leurs voûtes brisées, Rendu les monstres aux enfers ! Que faisaient nos guerriers ?... Leur vaillance trompée Prêtait au vil couteau le secours de l'épée ; Ils sauvaient ces bourreaux qui souillaient leurs combats. Hélas ! un même jour, jour d'opprobre et de gloire, Voyait Moreau monter au char de la victoire. Et son père au char du trépas ! Quand nos chefs, entourés des armes étrangères, Couvrant nos cyprès de lauriers, Vers Paris lentement reportaient leurs bannières, Frédéric sur Verdun dirigeait ses guerriers. Verdun, premier rempart de la France opprimée, D'un roi libérateur crut saluer l'armée. En vain tonnaient d'horribles lois ; Verdun se revêtit de sa robe de fête, Et, libre de ses fers, vint offrir sa conquête Au monarque vengeur des rois. Alors, vierges, vos mains (ce fut là votre crime !) Des festons de la joie ornèrent les vainqueurs. Ah ! pareilles à la victime, La hache à vos regards se cachait sous des fleurs. Ce n'est pas tout ; hélas ! sans chercher la vengeance, Quand nos bannis, bravant la mort et l'indigence, Combattaient nos tyrans encor mal affermis, Vos nobles cœurs ont plaint de si nobles misères ; Votre or a secouru ceux qui furent nos frères Et n'étaient pas nos ennemis. Quoi ! ce trait glorieux, qui trahit leur belle âme, Sera donc l'arrêt de leur mort ! Mais non, l'accusateur, que leur aspect enflamme, Tressaille d'un honteux transport. Il veut, vierges, au prix d'un affreux sacrifice, En taisant vos bienfaits, vous ravir au supplice ; Il croit vos chastes cœurs par la crainte abattus. Du mépris qui le couvre acceptez le partage, Souillez-vous d'un forfait, l'infâme aréopage Vous absoudra de vos vertus. Répondez-moi, vierges timides ; Qui, d'un si noble orgueil arma ces yeux si doux ? Dites, qui fit rouler dans vos regards humides Les pleurs généreux du courroux ? Je le vois à votre courage : Quand l'oppresseur qui vous outrage N'eût pas offert la honte en offrant son bienfait, Coupables de pitié pour des français fidèles, Vous n'auriez pas voulu, devant des lois cruelles, Nier un si noble forfait ! C'en est donc fait ; déjà sous la lugubre enceinte A retenti l'arrêt dicté par la fureur. Dans un muet murmure, étouffé par la crainte, Le peuple, qui l'écoute, exhale son horreur. Regagnez des cachots les sinistres demeures, O vierges ! encor quelques heures... Ah ! priez sans effroi, votre âme est sans remord. Coupez ces longues chevelures, Où la main d'une mère enlaçait des fleurs pures, Sans voir qu'elle y mêlait les pavots de la mort ! Bientôt ces fleurs encor pareront votre tête ; Les anges vous rendront ces symboles touchants ; Votre hymne de trépas sera l'hymne de fête Que les vierges du ciel rediront dans leurs chants. Vous verrez près de vous, dans ces chœurs d'innocence, Charlotte, autre Judith, qui vous vengea d'avance ; Cazotte ; Elisabeth, si malheureuse en vain ; Et Sombreuil, qui trahit par ses pâleurs soudaines Le sang glacé des morts circulant dans ses veines ; Martyres, dont l'encens plaît au Martyr divin ! III. Ici, devant mes yeux erraient des lueurs sombres ; Des visions troublaient mes sens épouvantés ; Les spectres sur mon front balançaient dans les ombres De longs linceuls ensanglantés. Les trois tombeaux, le char, les échafauds funèbres, M'apparurent dans les ténèbres ; Tout rentra dans la nuit des siècles révolus ; Les vierges avaient fui vers la naissante aurore ; Je me retrouvai seul, et je pleurais encor Quand ma lyre ne chantait plus ! Octobre 1818.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Les évangélistes Sur des livres où rien n'était écrit encore, Quatre hommes méditaient quand mourut l'homme-Dieu ; Tournés au nord, au sud, au couchant, à l'aurore, Ces hommes se nommaient Luc, Jean, Marc et Matthieu. Pendant que sur leur noir registre Tombait l'ombre du mont sinistre, Et qu'ils rêvaient, battus des vents, On vit, sur la croix qui nous navre ; Les clous de l'immense cadavre Grandir et devenir vivants. Le premier clou devint un aigle à forme étrange, Le second fut un boeuf, le troisième un lion, Le quatrième prit la figure d'un ange Ayant l'éclair pour aile et pour oeil le rayon ; Puis, s'envolant du haut calvaire, Ils quittèrent l'arbre sévère, Ils quittèrent l'affreux chevet, Et chacun, dans l'ombre où nous sommes, À l'oreille de ces quatre hommes Vint raconter ce qu'il savait. Le 4 avril 1854.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Lettre - J'ai mal dormi J'ai mal dormi. C'est votre faute. J'ai rêvé que, sur des sommets, Nous nous promenions côte à côte, Et vous chantiez, et tu m'aimais. Mes dix-neuf ans étaient la fête Qu'en frissonnant je vous offrais ; Vous étiez belle et j'étais bête Au fond des bois sombres et frais. Je m'abandonnais aux ivresse ; Au-dessus de mon front vivant Je voyais fuir les molles tresses De l'aube, du rêve et du vent. J'étais ébloui, beau, superbe ; Je voyais des jardins de feu, Des nids dans l'air, des fleurs dans l'herbe, Et dans un immense éclair, Dieu. Mon sang murmurait dans mes tempes Une chanson que j'entendais ; Les planètes étaient mes lampes ; J'étais archange sous un dais. Car la jeunesse est admirable, La joie emplit nos seins hardis ; Et la femme est le divin diable Qui taquine ce paradis. Elle tient un fruit qu'elle achève Et qu'elle mord, ange et tyran ; Ce qu'on nomme la pomme d'Ève, Tristes cieux ! c'est le coeur d'Adam. J'ai toute la nuit eu la fièvre. Je vous adorais en dormant ; Le mot amour sur votre lèvre Faisait un vague flamboiement. Pareille à la vague où l'oeil plonge, Votre gorge m'apparaissait Dans une nudité de songe, Avec une étoile au corset. Je voyais vos jupes de soie, Votre beauté, votre blancheur ; J'ai jusqu'à l'aube été la proie De ce rêve mauvais coucheur. Vous aviez cet air qui m'enchante ; Vous me quittiez, vous me preniez ; Vous changiez d'amours, plus méchante Que les tigres calomniés. Nos âmes se sont dénouées, Et moi, de souffrir j'étais las ; Je me mourais dans des nuées Où je t'entendais rire, hélas ! Je me réveille, et ma ressource C'est de ne plus penser à vous, Madame, et de fermer la source Des songes sinistres et doux. Maintenant, calmé, je regarde, Pour oublier d'être jaloux, Un tableau qui dans ma mansarde Suspend Venise à quatre clous. C'est un cadre ancien qu'illumine, Sous de grands arbres, jadis verts, Un soleil d'assez bonne mine Quoique un peu mangé par les vers. Le paysage est plein d'amantes, Et du vieux sourire effacé De toutes les femmes charmantes Et cruelles du temps passé. Sans les éteindre, les années Ont couvert de molles pâleurs Les robes vaguement traînées Dans de la lumière et des fleurs. Un bateau passe. Il porte un groupe Où chante un prélat violet ; L'ombre des branches se découpe Sur le plafond du tendelet. À terre, un pâtre, aimé des muses, Qui n'a que la peau sur les os, Regarde des choses confuses Dans le profond ciel, plein d'oiseaux.

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Liberté ! De quel droit mettez-vous des oiseaux dans des cages ? De quel droit ôtez-vous ces chanteurs aux bocages, Aux sources, à l'aurore, à la nuée, aux vents ? De quel droit volez-vous la vie à ces vivants ? Homme, crois-tu que Dieu, ce père, fasse naître L'aile pour l'accrocher au clou de ta fenêtre ? Ne peux-tu vivre heureux et content sans cela ? Qu'est-ce qu'ils ont donc fait tous ces innocents-là Pour être au bagne avec leur nid et leur femelle ? Qui sait comment leur sort à notre sort se mêle ? Qui sait si le verdier qu'on dérobe aux rameaux, Qui sait si le malheur qu'on fait aux animaux Et si la servitude inutile des bêtes Ne se résolvent pas en Nérons sur nos têtes ? Qui sait si le carcan ne sort pas des licous ? Oh ! de nos actions qui sait les contre-coups, Et quels noirs croisements ont au fond du mystère Tant de choses qu'on fait en riant sur la terre ? Quand vous cadenassez sous un réseau de fer Tous ces buveurs d'azur faits pour s'enivrer d'air, Tous ces nageurs charmants de la lumière bleue, Chardonneret, pinson, moineau franc, hochequeue, Croyez-vous que le bec sanglant des passereaux Ne touche pas à l'homme en heurtant ces barreaux ?

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Lise J’avais douze ans ; elle en avait bien seize. Elle était grande, et, moi, j’étais petit. Pour lui parler le soir plus à mon aise, Moi, j’attendais que sa mère sortît ; Puis je venais m’asseoir près de sa chaise Pour lui parler le soir plus à mon aise. Que de printemps passés avec leurs fleurs ! Que de feux morts, et que de tombes closes ! Se souvient-on qu’il fut jadis des coeurs ? Se souvient-on qu’il fut jadis des roses ? Elle m’aimait. Je l’aimais. Nous étions Deux purs enfants, deux parfums, deux rayons. Dieu l’avait faite ange, fée et princesse. Comme elle était bien plus grande que moi, Je lui faisais des questions sans cesse Pour le plaisir de lui dire : Pourquoi ? Et par moments elle évitait, craintive, Mon oeil rêveur qui la rendait pensive. Puis j’étalais mon savoir enfantin, Mes jeux, la balle et la toupie agile ; J’étais tout fier d’apprendre le latin ; Je lui montrais mon Phèdre et mon Virgile ; Je bravais tout; rien ne me faisait mal ; Je lui disais : Mon père est général. Quoiqu’on soit femme, il faut parfois qu’on lise Dans le latin, qu’on épelle en rêvant ; Pour lui traduire un verset, à l’église, Je me penchais sur son livre souvent. Un ange ouvrait sur nous son aile blanche, Quand nous étions à vêpres le dimanche. Elle disait de moi : C’est un enfant ! Je l’appelais mademoiselle Lise. Pour lui traduire un psaume, bien souvent, Je me penchais sur son livre à l’église ; Si bien qu’un jour, vous le vîtes, mon Dieu ! Sa joue en fleur toucha ma lèvre en feu. Jeunes amours, si vite épanouies, Vous êtes l’aube et le matin du coeur. Charmez l’enfant, extases inouïes ! Et quand le soir vient avec la douleur, Charmez encor nos âmes éblouies, Jeunes amours, si vite épanouies ! Mai 1843

    en cours de vérification

    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Littérature Donc, vieux passé plaintif, toujours tu reviendras Nous criant : — Pourquoi donc est-on si loin ? Ingrats ! Qu'êtes-vous devenus ? Dites, avec l'abîme Quel pacte avez-vous fait ? Quel attentat ? Quel crime ? — Nous questionnant, sombre et de rage écumant, Furieux. Nous avons marché, tout bonnement. Qui marche t'assassine, ô bon vieux passé blême. Mais que veux-tu ? Je suis de mon siècle, et je l'aime ! Je te l'ai déjà dit. Non, ce n'est plus du tout L'époque où la nature était de mauvais goût, Où Bouhours, vieux jésuite, et le Batteux, vieux cancre, Lunette au nez et plume au poing, barbouillaient d'encre Le cygne au bec doré, le bois vert, le ciel bleu ; Où l'homme corrigeait le manuscrit de Dieu. Non, ce n'est plus le temps où Lenôtre à Versailles Raturait le buisson, la ronce, la broussaille ; Siècle où l'on ne voyait dans les champs éperdus Que des hommes poudrés sous des arbres tondus. Tout est en liberté maintenant. Sur sa nuque L'arbre a plus de cheveux, l'homme a moins de perruque. La vieille idée est morte avec le vieux cerveau. La révolution est un monde nouveau. Notre oreille en changeant a changé la musique. Lorsque Fernand Cortez arriva du Mexique, Il revint la main pleine, et, du jeune univers, Il rapporta de l'or ; nous rapportons des vers. Nous rapportons des chants mystérieux. Nous sommes D'autres yeux, d'autres fronts, d'autres cœurs, d'autres hommes. Braves pédants, calmez votre bon vieux courroux. Nous arrachons de l'âme humaine les verrous. Tous frères, et mêlés dans les monts, dans les plaines, Nous laissons librement s'en aller nos haleines À travers les grands bois et les bleus firmaments. Nous avons démoli les vieux compartiments. Non, nous ne sommes plus ni paysan, ni noble, Ni lourdaud dans son pré, ni rustre en son vignoble, Ni baron dans sa tour, ni reître à ses canons ; Nous brisons cette écorce, et nous redevenons L'homme ; l'homme enfin hors des temps crépusculaires ; L'homme égal à lui-même en tous ses exemplaires ; Ni tyran, ni forçat, ni maître, ni valet ; L'humanité se montre enfin telle qu'elle est, Chaque matin plus libre et chaque soir plus sage ; Et le vieux masque usé laisse voir le visage. Avec Ézéchiel nous mêlons Spinosa. La nature nous prend, la nature nous a ; Dans son antre profond, douce, elle nous attire ; Elle en chasse pour nous son antique satyre, Et nous y montre un sphinx nouveau qui dit : pensez. Pour nous les petits cris au fond des nids poussés, Sont augustes ; pour nous toutes les monarchies Que vous saluez, vous, de vos têtes blanchies, Tous les fauteuils royaux aux dossiers empourprés, Sont peu de chose auprès d'un liseron des prés. Régner ! Cela vaut-il rêver sous un vieux aulne ? Nous regardons passer Charles-Quint sur son trône, Jules deux sous son dais, César dans les clairons, Et nous avons pitié lorsque nous comparons À l'aurore des cieux cette fausse dorure. Lorsque nous contemplons, par une déchirure Des nuages, l'oiseau volant dans sa fierté, Nous sentons frissonner notre aile, ô liberté ! En fait d'or, à la cour nous préférons la gerbe. La nature est pour nous l'unique et sacré verbe, Et notre art poétique ignore Despréaux. Nos rois très excellents, très puissants et très hauts, C'est le roc dans les flots, c'est dans les bois le chêne. Mai, qui brise l'hiver, c'est-à-dire la chaîne, Nous plaît. Le vrai nous tient. Je suis parfois tenté De dire au mont Blanc : — Sire ! Et : — Votre majesté À la vierge qui passe et porte, agreste et belle, Sa cruche sur son front et Dieu dans sa prunelle. Pour nous, songeurs, bandits, romantiques, démons, Bonnets rouges, les flots grondants, l'aigle, les monts, La bise, quand le soir ouvre son noir portique, La tempête effarant l'onde apocalyptique, Dépassent en musique, en mystère, en effroi, Les quatre violons de la chambre du roi. Chaque siècle, il s'y faut résigner, suit sa route. Les hommes d'autrefois ont été grands sans doute ; Nous ne nous tournons plus vers les mêmes clartés. Jadis, frisure au front, ayant à ses côtés Un tas d'abbés sans bure et de femmes sans guimpes, Parmi des princes dieux, sous des plafonds olympes, Prêt dans son justaucorps à poser pour Audran, La dentelle au cou, grave, et l'œil sur un cadran, Dans le salon de Mars ou dans la galerie D'apollon, submergé dans la grand'seigneurie, Dans le flot des Rohan, des Sourdis, des Elbeuf, Et des fiers habits d'or roulant vers l'Œil-de-Boeuf, Le poète, fût-il Corneille, ou toi, Molière, — Tandis qu'en la chapelle ou bien dans la volière, Les chanteurs accordaient le théorbe et le luth, Et que Lulli tremblant s'écriait : gare à l'ut ! — Attendait qu'au milieu de la claire fanfare Et des fronts inclinés apparût, comme un phare, Le page, aux tonnelets de brocart d'argent fin, Qui portait le bougeoir de monsieur le dauphin. Aujourd'hui, pour Versaille et pour salon d'Hercule, Ayant l'ombre et l'airain du rouge crépuscule, Fauve, et peu coudoyé de Guiche ou de Brissac, La face au vent, les poings dans un paletot sac, Seul, dans l'immensité que l'ouragan secoue, Il écoute le bruit que fait la sombre proue De la terre, et pensif, sur le blême horizon, À l'heure où, dans l'orchestre inquiet du buisson, De l'arbre et de la source, un frémissement passe, Où le chêne chuchote et prend sa contrebasse, L'eau sa flûte et le vent son stradivarius, Il regarde monter l'effrayant Sirius. Pour la muse en paniers, par Dorat réchauffée, C'est un orang-outang ; pour les bois, c'est Orphée. La nature lui dit : mon fils. Ce malotru, Ô grand siècle ! Écrit mieux qu'Ablancourt et Patru. Est-il féroce ? Non. Ce troglodyte affable À l'ormeau du chemin fait réciter sa fable ; Il dit au doux chevreau : bien bêlé, mon enfant ! Quand la fleur, le matin, de perles se coiffant, Se mire aux flots, coquette et mijaurée exquise, Il passe et dit : Bonjour, madame la marquise. Et puis il souffre, il pleure, il est homme ; le sort En rayons douloureux de son front triste sort. Car, ici-bas, si fort qu'on soit, si peu qu'on vaille, Tous, qui que nous soyons, le destin nous travaille Pour orner dans l'azur la tiare de Dieu. Le même bras nous fait passer au même feu ; Et, sur l'humanité, qu'il use de sa lime, Essayant tous les cœurs à sa meule sublime, Scrutant tous les défauts de l'homme transparent, Sombre ouvrier du ciel, noir orfèvre, tirant Du sage une étincelle et du juste une flamme, Se penche le malheur, lapidaire de l'âme. Oui, tel est le poète aujourd'hui. Grands, petits, Tous dans Pan effaré nous sommes engloutis. Et ces secrets surpris, ces splendeurs contemplées, Ces pages de la nuit et du jour épelées, Ce qu'affirme Newton, ce qu'aperçoit Mesmer, La grande liberté des souffles sur la mer, La forêt qui craint Dieu dans l'ombre et qui le nomme, Les eaux, les fleurs, les champs, font naître en nous un homme Mystérieux, semblable aux profondeurs qu'il voit. La nature aux songeurs montre les cieux du doigt. Le cèdre au torse énorme, athlète des tempêtes, Sur le fauve Liban conseillait les prophètes, Et ce fut son exemple austère qui poussa Nahum contre Ninive, Amos contre Gaza. Les sphères en roulant nous jettent la justice. Oui, l'âme monte au bien comme l'astre au solstice ; Et le monde équilibre a fait l'homme devoir. Quand l'âme voit mal Dieu, l'aube le fait mieux voir. La nuit, quand Aquilon sonne de la trompette, Ce qu'il dit, notre cœur frémissant le répète. Nous vivons libres, fiers, tressaillants, prosternés, Éblouis du grand Dieu formidable ; et, tournés Vers tous les idéals et vers tous les possibles, Nous cueillons dans l'azur les roses invisibles. L'ombre est notre palais. Nous sommes commensaux De l'abeille, du jonc nourri par les ruisseaux, Du papillon qui boit dans la fleur arrosée. Nos âmes aux oiseaux disputent la rosée. Laissant le passé mort dans les siècles défunts, Nous vivons de rayons, de soupirs, de parfums, Et nous nous abreuvons de l'immense ambroisie Qu'Homère appelle amour et Platon poésie. Sous les branchages noirs du destin, nous errons, Purs et graves, avec les souffles sur nos fronts. Notre adoration, notre autel, notre Louvre, C'est la vertu qui saigne ou le matin qui s'ouvre ; Les grands levers auxquels nous ne manquons jamais, C'est Vénus des monts noirs blanchissant les sommets ; C'est le lys fleurissant, chaste, charmant, sévère ; C'est Jésus se dressant, pâle, sur le calvaire. Le 22 novembre 1854.

    en cours de vérification