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Titre : Le poète bat aux champs

Auteur : Victor Hugo Recueil : Les chansons des rues et des bois, 1865

I. Aux champs, compagnons et compagnes ! Fils, j'élève à la dignité De géorgiques les campagnes Quelconques où flambe l'été ! Flamber, c'est là toute l'histoire Du cœur, des sens, de la saison, Et de la pauvre mouche noire Que nous appelons la raison. Je te fais molosse, ô mon dogue ! L'acanthe manque ? j'ai le thym. Je nomme Vaugirard églogue ; J'installe Amyntas à Pantin. La nature est indifférente Aux nuances que nous créons Entre Gros-Guillaume et Dorante ; Tout pampre a ses Anacréons. L'idylle volontiers patoise. Et je ne vois point que l'oiseau Préfère Haliarte à Pontoise Et Coronée à Palaiseau. Les plus beaux noms de la Sicile Et de la Grèce ne font pas Que l'âne au fouet soit plus docile, Que l'amour fuie à moins grand pas. Les fleurs sont à Sèvre aussi fraîches Que sur l'Hybla, cher au sylvain ; Montreuil mérite avec ses pêches La garde du dragon divin. Marton nue est Phyllis sans voiles ; Fils, le soir n'est pas plus vermeil, Sous son chapeau d'ombre et d'étoiles, A Blanduse qu'à Montfermeil. Bercy pourrait griser sept sages ; Les Auteuils sont fils des Tempés ; Si l'Ida sombre a des nuages, La guinguette a des canapés. Rien n'est haut ni bas ; les fontaines Lavent la pourpre et le sayon ; L'aube d'Ivry, l'aube d'Athènes, Sont faites du même rayon. J'ai déjà dit parfois ces choses, Et toujours je les redirai ; Car du fond de toutes les proses Peut s'élancer le vers sacré. Si Babet a la gorge ronde, Babet égale Pholoé. Comme Chypre la Beauce est blonde. Larifla descend d'Evohé. Toinon, se baignant sur la grève, A plus de cheveux sur le dos Que la Callyrhoé qui rêve Dans le grand temps d'Abydos. Ça, que le bourgeois fraternise Avec les satyres cornus ! Amis, le corset de Denise Vaut la ceinture de Vénus. II. Donc, fuyons Paris ! plus de gêne ! Bergers, plantons là Tortoni ! Allons boire à la coupe pleine Du printemps, ivre d'infini. Allons fêter les fleurs exquises, Partons ! quittons, joyeux et fous, Pour les dryades, les marquises, Et pour les faunes, les voyous ! Plus de bouquins, point de gazettes ! Je hais cette submersion. Nous irons cueillir des noisettes Dans l'été, fraîche vision. La banlieue, amis, peut suffire. La fleur, que Paris souille, y naît. Flore y vivait avec Zéphire Avant de vivre avec Brunet. Aux champs les vers deviennent strophes ; A Paris, l'étang, c'est l'égout. Je sais qu'il est des philosophes Criant très haut : « Lutèce est tout ! « Les champs ne valent pas la ville ! » Fils, toujours le bon sens hurla Quand Voltaire à Damilaville Dit ces calembredaines-là. III. Aux champs, la nuit est vénérable, Le jour rit d'un rire enfantin ; Le soir berne l'orme et l'érable, Le soir est beau ; mais le matin, Le matin, c'est la grande fête ; C'est l'auréole où la nuit fond, Où le diplomate a l'air bête, Où le bouvier a l'air profond. La fleur d'or du pré d'azur sombre, L'astre, brille au ciel clair encor ; En bas, le bleuet luit dans l'ombre, Etoile bleue en un champ d'or. L'oiseau court, les taureaux mugissent ; Les feuillages sont enchantés ; Les cercles du vent s'élargissent Dans l'ascension des clartés. L'air frémit ; l'onde est plus sonore ; Toute âme entr-ouvre son secret ; L'univers croit, quand vient l'aurore, Que sa conscience apparaît. IV. Quittons Paris et ses casernes. Plongeons-nous, car les ans sont courts, Jusqu'au genoux dans les luzernes Et jusqu'au cœur dans les amours. Joignons les baisers aux spondées ; Souvenons-nous que le hautbois Donnait à Platon des idées Voluptueuses, dans les bois. Vanvre a d'indulgentes prairies ; Ville-d'Avray ferme les yeux Sur les douces gamineries Des cupidons mystérieux. Là, les Jeux, les Ris, et les Farces Poursuivent, sous les bois flottants, Les chimères de joie éparses Dans la lumière du printemps. L'onde à Triel est bucolique ; Asnière a des flux et reflux Où vogue l'adorable clique De tous ces petits dieux joufflus. Le sel attique et l'eau de Seine Se mêlent admirablement. Il n'est qu'une chose malsaine, Jeanne, c'est d'être sans amant. Que notre ivresse se signale ! Allons où Pan nous conduira. Ressuscitons la bacchanale, Cette aïeule de l'opéra. Laissons, et même envoyons paître Les bœufs, les chèvres, les brebis, La raison, le garde-champêtre ! Fils, avril chante, crions bis ! Qu'à Gif, grâce à nous, le notaire Et le marguillier soient émus, Fils, et qu'on entende à Nanterre Les vagues flûtes de l'Hémus ! Acclimatons Faune à Vincenne, Sans pourtant prendre pour conseil L'immense Aristophane obscène, Effronté comme le soleil. Rions du maire, ou de l'édile ; Et mordons, en gens convaincus, Dans cette pomme de l'idylle Où l'on voit les dents de Moschus.