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Victor Hugo

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Victor Hugo, parfois surnommé l'Homme océan ou, de manière posthume, l'Homme siècle, est un poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français, né le 7 ventôse an X (26 février 1802) à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris. Il est considéré comme l'un des écrivains de la langue française et de la littérature mondiale les plus importants. Hugo est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a un rôle idéologique majeur et occupe une place marquante dans l'histoire des lettres françaises au XIXe siècle. Au théâtre, Victor Hugo s'impose comme un des chefs de file du romantisme français en présentant sa conception du drame romantique dans les préfaces qui introduisent Cromwell en 1827, puis Hernani en 1830, qui sont de véritables manifestes, puis par ses autres œuvres dramatiques, en particulier Lucrèce Borgia en 1833 et Ruy Blas en 1838. Son œuvre poétique comprend plusieurs recueils de poèmes lyriques, dont les plus célèbres sont Odes et Ballades paru en 1826, Les Feuilles d'automne en 1831 et Les Contemplations en 1856. Victor Hugo est aussi un poète engagé contre Napoléon III dans Les Châtiments, paru en 1853, et un poète épique dans La Légende des siècles, publié de 1859 à 1883. Comme romancier, il rencontre un grand succès populaire, d'abord avec Notre-Dame de Paris en 1831, et plus encore avec Les Misérables en 1862. Son œuvre multiple comprend aussi des écrits et discours politiques, des récits de voyages, des recueils de notes et de mémoires, des commentaires littéraires, une correspondance abondante, près de quatre mille dessins dont la plupart réalisés à l'encre, ainsi que la conception de décors intérieurs et une contribution à la photographie. Très impliqué dans le débat public, Victor Hugo est parlementaire sous la monarchie de Juillet et sous la Deuxième et Troisième République. Il s'exile pendant près de vingt ans à Jersey et Guernesey sous le Second Empire, dont il est l'un des grands opposants. Attaché à la paix et à la liberté et sensible à la misère humaine, il s'exprime en faveur de nombreuses avancées sociales, s'oppose à la peine de mort et à l'esclavage. Il soutient aussi l'idée d'une Europe unifiée. Son engagement résolument républicain dans la deuxième partie de sa vie et son immense œuvre littéraire font de lui un personnage emblématique, que la Troisième République honore par des funérailles nationales et le transfert de sa dépouille au Panthéon de Paris le 1er juin 1885, dix jours après sa mort. Pendant les deux jours où sa tombe est exposée au public, plus de deux millions de personnes se déplacent pour lui rendre hommage. Ayant fortement contribué au renouvellement de la poésie et du théâtre et ayant marqué son époque par ses prises de position politiques et sociales, Victor Hugo est encore célébré aujourd'hui, en France et à l'étranger, comme un personnage illustre, dont la vie et l'œuvre font l'objet de multiples commentaires et hommages.

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Poésies

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    Mes deux filles Dans le frais clair-obscur du soir charmant qui tombe, L'une pareille au cygne et l'autre à la colombe, Belle, et toutes deux joyeuses, ô douceur ! Voyez, la grande soeur et la petite soeur Sont assises au seuil du jardin, et sur elles Un bouquet d'oeillets blancs aux longues tiges frêles, Dans une urne de marbre agité par le vent, Se penche, et les regarde, immobile et vivant, Et frissonne dans l'ombre, et semble, au bord du vase, Un vol de papillons arrêté dans l'extase. La Terrasse, près Enghien, juin 1842.

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    Lorsque j'étais encore un tout jeune homme pâle Lorsque j'étais encore un tout jeune homme pâle, Et que j'allais entrer dans la lice fatale, Sombre arène où plus d'un avant moi se perdit, L'âpre Muse aux regards mystérieux m'a dit : — Tu pars ; mais quand le Cid se mettait en campagne Pour son Dieu, pour son droit et pour sa chère Espagne, Il était bien armé ; ce vaillant Cid avait Deux casques, deux estocs, sa lance de chevet, Deux boucliers ; il faut des armes de rechange ; Puis il tirait l'épée et devenait archange. As-tu ta dague au flanc ? Voyons, soldat martyr, Quelle armure vas-tu choisir et revêtir ? Quels glaives va-t-on voir luire à ton bras robuste ? — J'ai la haine du mal et j'ai l'amour du juste, Muse ; et je suis armé mieux que le paladin. — Et tes deux boucliers ? — J'ai mépris et dédain. Le 17 juin 1856.

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    Lorsque l'enfant paraît Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille Applaudit à grands cris. Son doux regard qui brille Fait briller tous les yeux, Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être, Se dérident soudain à voir l'enfant paraître, Innocent et joyeux. Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la chambre Les chaises se toucher, Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire. On rit, on se récrie, on l'appelle, et sa mère Tremble à le voir marcher. Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme, De patrie et de Dieu, des poètes, de l'âme Qui s'élève en priant ; L'enfant paraît, adieu le ciel et la patrie Et les poètes saints ! la grave causerie S'arrête en souriant. La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rêve, à l'heure Où l'on entend gémir, comme une voix qui pleure, L'onde entre les roseaux, Si l'aube tout à coup là-bas luit comme un phare, Sa clarté dans les champs éveille une fanfare De cloches et d'oiseaux. Enfant, vous êtes l'aube et mon âme est la plaine Qui des plus douces fleurs embaume son haleine Quand vous la respirez ; Mon âme est la forêt dont les sombres ramures S'emplissent pour vous seul de suaves murmures Et de rayons dorés ! Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies, Car vos petites mains, joyeuses et bénies, N'ont point mal fait encor ; Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange, Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds ! bel ange À l'auréole d'or ! Vous êtes parmi nous la colombe de l'arche. Vos pieds tendres et purs n'ont point l'âge où l'on marche. Vos ailes sont d'azur. Sans le comprendre encor vous regardez le monde. Double virginité ! corps où rien n'est immonde, Âme où rien n'est impur ! Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire, Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire, Ses pleurs vite apaisés, Laissant errer sa vue étonnée et ravie, Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie Et sa bouche aux baisers ! Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j'aime, Frères, parents, amis, et mes ennemis même Dans le mal triomphants, De jamais voir, Seigneur ! l'été sans fleurs vermeilles, La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles, La maison sans enfants ! Mai 1830

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    Lux Temps futurs ! vision sublime ! Les peuples sont hors de l'abîme. Le désert morne est traversé. Après les sables, la pelouse ; Et la terre est comme une épouse, Et l'homme est comme un fiancé ! Dès à présent l'œil qui s'élève Voit distinctement ce beau rêve Qui sera le réel un jour ; Car Dieu dénouera toute chaîne, Car le passé s'appelle haine Et l'avenir se nomme amour ! Dès à présent dans nos misères Germe l'hymen des peuples frères ; Volant sur nos sombres rameaux, Comme un frelon que l'aube éveille, Le progrès, ténébreuse abeille, Fait du bonheur avec nos maux. Oh ! voyez ! la nuit se dissipe. Sur le monde qui s'émancipe, Oubliant Césars et Capets, Et sur les nations nubiles, S'ouvrent dans l'azur, immobiles, Les vastes ailes de la paix ! O libre France enfin surgie ! O robe blanche après l'orgie ! O triomphe après les douleurs ! Le travail bruit dans les forges, Le ciel rit, et les rouges-gorges Chantent dans l'aubépine en fleurs !

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    L’enfant Les turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil. Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil, Chio, qu’ombrageaient les charmilles, Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois, Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois Un chœur dansant de jeunes filles. Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis, Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis, Courbait sa tête humiliée ; Il avait pour asile, il avait pour appui Une blanche aubépine, une fleur, comme lui Dans le grand ravage oubliée. Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux ! Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus Comme le ciel et comme l’onde, Pour que dans leur azur, de larmes orageux, Passe le vif éclair de la joie et des jeux, Pour relever ta tête blonde, Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner Pour rattacher gaîment et gaîment ramener En boucles sur ta blanche épaule Ces cheveux, qui du fer n’ont pas subi l’affront, Et qui pleurent épars autour de ton beau front, Comme les feuilles sur le saule ? Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ? Est-ce d’avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus, Qui d’Iran borde le puits sombre ? Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand, Qu’un cheval au galop met, toujours en courant, Cent ans à sortir de son ombre ? Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois, Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois, Plus éclatant que les cymbales ? Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l’oiseau merveilleux ? – Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus, Je veux de la poudre et des balles. 8-10 juillet 1828

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    L’expiation I Il neigeait. On était vaincu par sa conquête. Pour la première fois l’aigle baissait la tête. Sombres jours! l’empereur revenait lentement, Laissant derrière lui brûler Moscou fumant. Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche. Après la plaine blanche une autre plaine blanche. On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau. Hier la grande armée, et maintenant troupeau. On ne distinguait plus les ailes ni le centre. Il neigeait. Les blessés s’abritaient dans le ventre Des chevaux morts; au seuil des bivouacs désolés On voyait des clairons à leur poste gelés, Restés debout, en selle et muets, blancs de givre, Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre. Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs, Pleuvaient; les grenadiers, surpris d’être tremblants, Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise. Il neigeait, il neigeait toujours! La froide bise Sifflait; sur le verglas, dans des lieux inconnus, On n’avait pas de pain et l’on allait pieds nus. Ce n’étaient plus des cœurs vivants, des gens de guerre: C’était un rêve errant dans la brume, un mystère, Une procession d’ombres sous le ciel noir. La solitude vaste, épouvantable à voir, Partout apparaissait, muette vengeresse. Le ciel faisait sans bruit avec la neige épaisse Pour cette immense armée un immense linceul. Et chacun se sentant mourir, on était seul. – Sortira-t-on jamais de ce funeste empire? Deux ennemis! le czar, le nord. Le nord est pire. On jetait les canons pour brûler les affûts. Qui se couchait, mourait. Groupe morne et confus, Ils fuyaient; le désert dévorait le cortège. On pouvait, à des plis qui soulevaient la neige, Voir que des régiments s’étaient endormis là. Ô chutes d’Annibal! lendemains d’Attila! Fuyards, blessés, mourants, caissons, brancards, civières, On s’écrasait aux ponts pour passer les rivières, On s’endormait dix mille, on se réveillait cent. Ney, que suivait naguère une armée, à présent S’évadait, disputant sa montre à trois cosaques. Toutes les nuits, qui vive! alerte, assauts! attaques! Ces fantômes prenaient leur fusil, et sur eux Ils voyaient se ruer, effrayants, ténébreux, Avec des cris pareils aux voix des vautours chauves, D’horribles escadrons, tourbillons d’hommes fauves. Toute une armée ainsi dans la nuit se perdait. L’empereur était là, debout, qui regardait. Il était comme un arbre en proie à la cognée. Sur ce géant, grandeur jusqu’alors épargnée, Le malheur, bûcheron sinistre, était monté; Et lui, chêne vivant, par la hache insulté, Tressaillant sous le spectre aux lugubres revanches, Il regardait tomber autour de lui ses branches. Chefs, soldats, tous mouraient. Chacun avait son tour. Tandis qu’environnant sa tente avec amour, Voyant son ombre aller et venir sur la toile, Ceux qui restaient, croyant toujours à son étoile, Accusaient le destin de lèse-majesté, Lui se sentit soudain dans l’âme épouvanté. Stupéfait du désastre et ne sachant que croire, L’empereur se tourna vers Dieu; l’homme de gloire Trembla; Napoléon comprit qu’il expiait Quelque chose peut-être, et, livide, inquiet, Devant ses légions sur la neige semées: «Est-ce le châtiment, dit-il. Dieu des armées?» Alors il s’entendit appeler par son nom Et quelqu’un qui parlait dans l’ombre lui dit: Non. II Waterloo! Waterloo! Waterloo! morne plaine! Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine, Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons, La pâle mort mêlait les sombres bataillons. D’un côté c’est l’Europe et de l’autre la France. Choc sanglant! des héros Dieu trompait l’espérance; Tu désertais, victoire, et le sort était las. O Waterloo! je pleure et je m’arrête, hélas! Car ces derniers soldats de la dernière guerre Furent grands; ils avaient vaincu toute la terre, Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Rhin, Et leur âme chantait dans les clairons d’airain! Le soir tombait; la lutte était ardente et noire. Il avait l’offensive et presque la victoire; Il tenait Wellington acculé sur un bois. Sa lunette à la main, il observait parfois Le centre du combat, point obscur où tressaille La mêlée, effroyable et vivante broussaille, Et parfois l’horizon, sombre comme la mer. Soudain, joyeux, il dit: Grouchy! – C’était Blücher. L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme, La mêlée en hurlant grandit comme une flamme. La batterie anglaise écrasa nos carrés. La plaine, où frissonnaient les drapeaux déchirés, Ne fut plus, dans les cris des mourants qu’on égorge, Qu’un gouffre flamboyant, rouge comme une forge; Gouffre où les régiments comme des pans de murs Tombaient, où se couchaient comme des épis mûrs Les hauts tambours-majors aux panaches énormes, Où l’on entrevoyait des blessures difformes! Carnage affreux! moment fatal! L’homme inquiet Sentit que la bataille entre ses mains pliait. Derrière un mamelon la garde était massée. La garde, espoir suprême et suprême pensée! «Allons! faites donner la garde!» cria-t-il. Et, lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil, Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires, Cuirassiers, canonniers qui traînaient des tonnerres, Portant le noir colback ou le casque poli, Tous, ceux de Friedland et ceux de Rivoli, Comprenant qu’ils allaient mourir dans cette fête, Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête. Leur bouche, d’un seul cri, dit: vive l’empereur! Puis, à pas lents, musique en tête, sans fureur, Tranquille, souriant à la mitraille anglaise, La garde impériale entra dans la fournaise. Hélas! Napoléon, sur sa garde penché, Regardait, et, sitôt qu’ils avaient débouché Sous les sombres canons crachant des jets de soufre, Voyait, l’un après l’autre, en cet horrible gouffre, Fondre ces régiments de granit et d’acier Comme fond une cire au souffle d’un brasier. Ils allaient, l’arme au bras, front haut, graves, stoïques. Pas un ne recula. Dormez, morts héroïques! Le reste de l’armée hésitait sur leurs corps Et regardait mourir la garde. – C’est alors Qu’élevant tout à coup sa voix désespérée, La Déroute, géante à la face effarée Qui, pâle, épouvantant les plus fiers bataillons, Changeant subitement les drapeaux en haillons, A de certains moments, spectre fait de fumées, Se lève grandissante au milieu des armées, La Déroute apparut au soldat qui s’émeut, Et, se tordant les bras, cria: Sauve qui peut! Sauve qui peut! – affront! horreur! – toutes les bouches Criaient; à travers champs, fous, éperdus, farouches, Comme si quelque souffle avait passé sur eux. Parmi les lourds caissons et les fourgons poudreux, Roulant dans les fossés, se cachant dans les seigles, Jetant shakos, manteaux, fusils, jetant les aigles, Sous les sabres prussiens, ces vétérans, ô deuil! Tremblaient, hurlaient, pleuraient, couraient! – En un clin d’œil, Comme s’envole au vent une paille enflammée, S’évanouit ce bruit qui fut la grande armée, Et cette plaine, hélas, où l’on rêve aujourd’hui, Vit fuir ceux devant qui l’univers avait fui! Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre, Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire, Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants, Tremble encor d’avoir vu la fuite des géants! Napoléon les vit s’écouler comme un fleuve; Hommes, chevaux, tambours, drapeaux; – et dans l’épreuve Sentant confusément revenir son remords, Levant les mains au ciel, il dit: «Mes soldats morts, Moi vaincu! mon empire est brisé comme verre. Est-ce le châtiment cette fois, Dieu sévère?» Alors parmi les cris, les rumeurs, le canon, Il entendit la voix qui lui répondait: Non! III Il croula. Dieu changea la chaîne de l’Europe. Il est, au fond des mers que la brume enveloppe, Un roc hideux, débris des antiques volcans. Le Destin prit des clous, un marteau, des carcans, Saisit, pâle et vivant, ce voleur du tonnerre, Et, joyeux, s’en alla sur le pic centenaire Le clouer, excitant par son rire moqueur Le vautour Angleterre à lui ronger le coeur. Évanouissement d’une splendeur immense! Du soleil qui se lève à la nuit qui commence, Toujours l’isolement, l’abandon, la prison; Un soldat rouge au seuil, la mer à l’horizon. Des rochers nus, des bois affreux, l’ennui, l’espace, Des voiles s’enfuyant comme l’espoir qui passe, Toujours le bruit des flots, toujours le bruit des vents! Adieu, tente de pourpre aux panaches mouvants, Adieu, le cheval blanc que César éperonne! Plus de tambours battant aux champs, plus de couronne, Plus de rois prosternés dans l’ombre avec terreur, Plus de manteau traînant sur eux, plus d’empereur! Napoléon était retombé Bonaparte. Comme un romain blessé par la flèche du parthe, Saignant, morne, il songeait à Moscou qui brûla. Un caporal anglais lui disait: halte-là! Son fils aux mains des rois, sa femme au bras d’un autre! Plus vil que le pourceau qui dans l’égout se vautre, Son sénat, qui l’avait adoré, l’insultait. Au bord des mers, à l’heure où la bise se tait, Sur les escarpements croulant en noirs décombres, Il marchait, seul, rêveur, captif des vagues sombres. Sur les monts, sur les flots, sur les cieux, triste et fier, L’oeil encore ébloui des batailles d’hier, Il laissait sa pensée errer à l’aventure. Grandeur, gloire, ô néant! calme de la nature! Les aigles qui passaient ne le connaissaient pas. Les rois, ses guichetiers, avaient pris un compas Et l’avaient enfermé dans un cercle inflexible. Il expirait. La mort de plus en plus visible Se levait dans sa nuit et croissait à ses yeux, Comme le froid matin d’un jour mystérieux. Son âme palpitait, déjà presque échappée. Un jour enfin il mit sur son lit son épée, Et se coucha près d’elle, et dit: c’est aujourd’hui! On jeta le manteau de Marengo sur lui. Ses batailles du Nil, du Danube, du Tibre, Se penchaient sur son front; il dit: Me voici libre! Je suis vainqueur! je vois mes aigles accourir! – Et, comme il retournait sa tête pour mourir, Il aperçut, un pied dans la maison déserte, Hudson Lowe guettant par la porte entr’ouverte. Alors, géant broyé sous le talon des rois, Il cria: La mesure est comble cette fois! Seigneur! c’est maintenant fini! Dieu que j’implore, Vous m’avez châtié! – La voix dit: – Pas encore! IV Ô noirs événements, vous fuyez dans la nuit! L’empereur mort tomba sur l’empire détruit. Napoléon alla s’endormir sous le saule. Et les peuples alors, de l’un à l’autre pôle, Oubliant le tyran, s’éprirent du héros. Les poètes, marquant au front les rois bourreaux, Consolèrent, pensifs, cette gloire abattue. À la colonne veuve on rendit sa statue. Quand on levait les yeux, on le voyait debout Au-dessus de Paris, serein, dominant tout, Seul, le jour dans l’azur et la nuit dans les astres. Panthéons, on grava son nom sur vos pilastres! On ne regarda plus qu’un seul côté des temps, On ne se souvint plus que des jours éclatants Cet homme étrange avait comme enivré l’histoire La justice à l’œil froid disparut sous sa gloire; On ne vit plus qu’Eylau, Ulm, Arcole, Austerlitz; Comme dans les tombeaux des romains abolis, On se mit à fouiller dans ces grandes années Et vous applaudissiez, nations inclinées, Chaque fois qu’on tirait de ce sol souverain Ou le consul de marbre ou l’empereur d’airain! V Le nom grandit quand l’homme tombe; Jamais rien de tel n’avait lui. Calme, il écoutait dans sa tombe La terre qui parlait de lui. La terre disait: «La victoire A suivi cet homme en tous lieux. Jamais tu n’as vu, sombre histoire, Un passant plus prodigieux! » Gloire au maître qui dort sous l’herbe! Gloire à ce grand audacieux! Nous l’avons vu gravir, superbe, Les premiers échelons des cieux! » Il envoyait, âme acharnée, Prenant Moscou, prenant Madrid, Lutter contre la destinée Tous les rêves de son esprit. » À chaque instant, rentrant en lice, Cet homme aux gigantesques pas Proposait quelque grand caprice À Dieu, qui n’y consentait pas. » Il n’était presque plus un homme. Il disait, grave et rayonnant, En regardant fixement Rome C’est moi qui règne maintenant! » Il voulait, héros et symbole, Pontife et roi, phare et volcan, Faire du Louvre un Capitole Et de Saint-Cloud un Vatican. » César, il eût dit à Pompée: ‹ Sois fier d’être mon lieutenant!› On voyait luire son épée Au fond d’un nuage tonnant. » Il voulait, dans les frénésies De ses vastes ambitions, Faire devant ses fantaisies Agenouiller les nations, » Ainsi qu’en une urne profonde, Mêler races, langues, esprits, Répandre Paris sur le monde, Enfermer le monde en Paris! » Comme Cyrus dans Babylone, Il voulait sous sa large main Ne faire du monde qu’un trône Et qu’un peuple du genre humain, » Et bâtir, malgré les huées, Un tel empire sous son nom, Que Jéhovah dans les nuées Fût jaloux de Napoléon!» VI Enfin, mort triomphant, il vit sa délivrance, Et l’océan rendit son cercueil à la France. L’homme, depuis douze ans, sous le dôme doré Reposait, par l’exil et par la mort sacré. En paix! – Quand on passait près du monument sombre, On se le figurait, couronne au front, dans l’ombre, Dans son manteau semé d’abeilles d’or, muet, Couché sous cette voûte où rien ne remuait, Lui, l’homme qui trouvait la terre trop étroite, Le sceptre en sa main gauche et l’épée en sa droite, À ses pieds son grand aigle ouvrant l’œil à demi, Et l’on disait: C’est là qu’est César endormi! Laissant dans la clarté marcher l’immense ville, Il dormait; il dormait confiant et tranquille. VII Une nuit, – c’est toujours la nuit dans le tombeau, – Il s’éveilla. Luisant comme un hideux flambeau, D’étranges visions emplissaient sa paupière; Des rires éclataient sous son plafond de pierre; Livide, il se dressa; la vision grandit; Ô terreur! une voix qu’il reconnut, lui dit: – Réveille-toi. Moscou, Waterloo, Sainte-Hélène, L’exil, les rois geôliers, l’Angleterre hautaine Sur ton lit accoudée à ton dernier moment, Sire, cela n’est rien. Voici le châtiment: La voix alors devint âpre, amère, stridente, Comme le noir sarcasme et l’ironie ardente; C’était le rire amer mordant un demi-dieu. – Sire! on t’a retiré de ton Panthéon bleu! Sire! on t’a descendu de ta haute colonne! Regarde. Des brigands, dont l’essaim tourbillonne, D’affreux bohémiens, des vainqueurs de charnier Te tiennent dans leurs mains et t’ont fait prisonnier. À ton orteil d’airain leur patte infâme touche. Ils t’ont pris. Tu mourus, comme un astre se couche, Napoléon le Grand, empereur; tu renais Bonaparte, écuyer du cirque Beauharnais. Te voilà dans leurs rangs, on t’a, l’on te harnache. Ils t’appellent tout haut grand homme, entre eux, ganache. Ils traînent, sur Paris qui les voit s’étaler, Des sabres qu’au besoin ils sauraient avaler. Aux passants attroupés devant leur habitacle, Ils disent, entends-les: – Empire à grand spectacle! Le pape est engagé dans la troupe; c’est bien, Nous avons mieux; le czar en est mais ce n’est rien, Le czar n’est qu’un sergent, le pape n’est qu’un bonze Nous avons avec nous le bonhomme de bronze! Nous sommes les neveux du grand Napoléon! – Et Fould, Magnan, Rouher, Parieu caméléon, Font rage. Ils vont montrant un sénat d’automates. Ils ont pris de la paille au fond des casemates Pour empailler ton aigle, ô vainqueur d’Iéna! Il est là, mort, gisant, lui qui si haut plana, Et du champ de bataille il tombe au champ de foire. Sire, de ton vieux trône ils recousent la moire. Ayant dévalisé la France au coin d’un bois, Ils ont à leurs haillons du sang, comme tu vois, Et dans son bénitier Sibour lave leur linge. Toi, lion, tu les suis; leur maître, c’est le singe. Ton nom leur sert de lit, Napoléon premier. On voit sur Austerlitz un peu de leur fumier. Ta gloire est un gros vin dont leur honte se grise. Cartouche essaie et met ta redingote grise On quête des liards dans le petit chapeau Pour tapis sur la table ils ont mis ton drapeau. À cette table immonde où le grec devient riche, Avec le paysan on boit, on joue, on triche; Tu te mêles, compère, à ce tripot hardi, Et ta main qui tenait l’étendard de Lodi, Cette main qui portait la foudre, ô Bonaparte, Aide à piper les dés et fait sauter la carte. Ils te forcent à boire avec eux, et Carlier Pousse amicalement d’un coude familier Votre majesté, sire, et Piétri dans son antre Vous tutoie, et Maupas vous tape sur le ventre. Faussaires, meurtriers, escrocs, forbans, voleurs, Ils savent qu’ils auront, comme toi, des malheurs Leur soif en attendant vide la coupe pleine À ta santé; Poissy trinque avec Sainte-Hélène. Regarde! bals, sabbats, fêtes matin et soir. La foule au bruit qu’ils font se culbute pour voir; Debout sur le tréteau qu’assiège une cohue Qui rit, bâille, applaudit, tempête, siffle, hue, Entouré de pasquins agitant leur grelot, – Commencer par Homère et finir par Callot! Épopée! épopée! oh! quel dernier chapitre! – Entre Troplong paillasse et Chaix-d’Est-Ange pitre, Devant cette baraque, abject et vil bazar Où Mandrin mal lavé se déguise en César, Riant, l’affreux bandit, dans sa moustache épaisse, Toi, spectre impérial, tu bats la grosse caisse! – L’horrible vision s’éteignit. L’empereur, Désespéré, poussa dans l’ombre un cri d’horreur, Baissant les yeux, dressant ses mains épouvantées. Les Victoires de marbre à la porte sculptées, Fantômes blancs debout hors du sépulcre obscur, Se faisaient du doigt signe, et, s’appuyant au mur, Écoutaient le titan pleurer dans les ténèbres. Et lui, cria: «Démon aux visions funèbres, Toi qui me suis partout, que jamais je ne vois, Qui donc es-tu? – Je suis ton crime», dit la voix. La tombe alors s’emplit d’une lumière étrange Semblable à la clarté de Dieu quand il se venge Pareils aux mots que vit resplendir Balthazar, Deux mots dans l’ombre écrits flamboyaient sur César; Bonaparte, tremblant comme un enfant sans mère, Leva sa face pâle et lut: – Dix huit Brumaire! 25-30 novembre. Jersey.

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    Mai Je ne laisserai pas se faner les pervenches Sans aller écouter ce qu'on dit sous les branches Et sans guetter, parmi les rameaux infinis, La conversation des feuilles et des nids. Il n'est qu'un dieu, l'amour ; avril est son prophète. Je me supposerai convive de la fête Que le pinson chanteur donne au pluvier doré ; Je fuirai de la ville, et je m'envolerai - Car l'âme du poëte est une vagabonde - Dans les ravins où mai plein de roses abonde. Là, les papillons blancs et les papillons bleus, Ainsi que le divin se mêle au fabuleux, Vont et viennent, croisant leurs essors gais et lestes, Si bien qu'on les prendrait pour des lueurs célestes. Là, jasent les oiseaux, se cherchant, s'évitant ; Là, Margot vient quand c'est Glycère qu'on attend ; L'idéal démasqué montre ses pieds d'argile ; On trouve Rabelais où l'on cherchait Virgile. Ô jeunesse ! ô seins nus des femmes dans les bois ! Oh ! quelle vaste idylle et que de sombres voix ! Comme tout le hallier, plein d'invisibles mondes, Rit dans le clair-obscur des églogues profondes ! J'aime la vision de ces réalités ; La vie aux yeux sereins luit de tous les côtés ; La chanson des forêts est d'une douceur telle Que, si Phébus l'entend quand, rêveur, il dételle Ses chevaux las souvent au point de haleter, Il s'arrête, et fait signe aux Muses d'écouter.

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    Melancholia Écoutez. Une femme au profil décharné, Maigre, blême, portant un enfant étonné, Est là qui se lamente au milieu de la rue. La foule, pour l'entendre, autour d'elle se rue. Elle accuse quelqu'un, une autre femme, ou bien Son mari. Ses enfants ont faim. Elle n'a rien ; Pas d'argent ; pas de pain ; à peine un lit de paille. L'homme est au cabaret pendant qu'elle travaille. Elle pleure, et s'en va. Quand ce spectre a passé, Ô penseurs, au milieu de ce groupe amassé, Qui vient de voir le fond d'un cœur qui se déchire, Qu'entendez-vous toujours ? Un long éclat de rire. Cette fille au doux front a cru peut-être, un jour, Avoir droit au bonheur, à la joie, à l'amour. Mais elle est seule, elle est sans parents, pauvre fille ! Seule ! — n'importe ! elle a du courage, une aiguille, Elle travaille, et peut gagner dans son réduit, En travaillant le jour, en travaillant la nuit, Un peu de pain, un gîte, une jupe de toile. Le soir, elle regarde en rêvant quelque étoile, Et chante au bord du toit tant que dure l'été. Mais l'hiver vient. Il fait bien froid, en vérité, Dans ce logis mal clos tout en haut de la rampe ; Les jours sont courts, il faut allumer une lampe ; L'huile est chère, le bois est cher, le pain est cher. Ô jeunesse ! printemps ! aube ! en proie à l'hiver ! La faim passe bientôt sa griffe sous la porte, Décroche un vieux manteau, saisit la montre, emporte Les meubles, prend enfin quelque humble bague d'or ; Tout est vendu ! L'enfant travaille et lutte encor ; Elle est honnête ; mais elle a, quand elle veille, La misère, démon, qui lui parle à l'oreille. L'ouvrage manque, hélas ! cela se voit souvent. Que devenir ! Un jour, ô jour sombre ! elle vend La pauvre croix d'honneur de son vieux père, et pleure ; Elle tousse, elle a froid. Il faut donc qu'elle meure ! A dix-sept ans ! grand Dieu ! mais que faire ?... — Voilà Ce qui fait qu'un matin la douce fille alla Droit au gouffre, et qu'enfin, à présent, ce qui monte À son front, ce n'est plus la pudeur, c'est la honte. Hélas, et maintenant, deuil et pleurs éternels ! C'est fini. Les enfants, ces innocents cruels, La suivent dans la rue avec des cris de joie. Malheureuse ! elle traîne une robe de soie, Elle chante, elle rit... ah ! pauvre âme aux abois ! Et le peuple sévère, avec sa grande voix, Souffle qui courbe un homme et qui brise une femme, Lui dit quand elle vient : « C'est toi ? Va-t-en, infâme ! » Un homme s'est fait riche en vendant à faux poids ; La loi le fait juré. L'hiver, dans les temps froids ; Un pauvre a pris un pain pour nourrir sa famille. Regardez cette salle où le peuple fourmille ; Ce riche y vient juger ce pauvre. Écoutez bien. C'est juste, puisque l'un a tout et l'autre rien. Ce juge, — ce marchand, — fâché de perdre une heure, Jette un regard distrait sur cet homme qui pleure, L'envoie au bagne, et part pour sa maison des champs. Tous s'en vont en disant : « C'est bien ! » bons et méchants ; Et rien ne reste là qu'un Christ pensif et pâle, Levant les bras au ciel dans le fond de la salle. Un homme de génie apparaît. Il est doux, Il est fort, il est grand ; il est utile à tous ; Comme l'aube au-dessus de l'océan qui roule, Il dore d'un rayon tous les fronts de la foule ; Il luit ; le jour qu'il jette est un jour éclatant ; Il apporte une idée au siècle qui l'attend ; Il fait son œuvre ; il veut des choses nécessaires, Agrandir les esprits, amoindrir les misères ; Heureux, dans ses travaux dont les cieux sont témoins, Si l'on pense un peu plus, si l'on souffre un peu moins ! Il vient. — Certe, on le va couronner ! — On le hue ! Scribes, savants, rhéteurs, les salons, la cohue, Ceux qui n'ignorent rien, ceux qui doutent de tout, Ceux qui flattent le roi, ceux qui flattent l'égout, Tous hurlent à la fois et font un bruit sinistre. Si c'est un orateur ou si c'est un ministre, On le siffle. Si c'est un poète, il entend Ce chœur : « Absurde ! faux ! monstrueux ! révoltant ! » Lui, cependant, tandis qu'on bave sur sa palme, Debout, les bras croisés, le front levé, l'œil calme, Il contemple, serein, l'idéal et le beau ; Il rêve ; et, par moments, il secoue un flambeau Qui, sous ses pieds, dans l'ombre, éblouissant la haine, Éclaire tout à coup le fond de l'âme humaine ; Ou, ministre, il prodigue et ses nuits et ses jours ; Orateur, il entasse efforts, travaux, discours ; Il marche, il lutte ! Hélas ! l'injure ardente et triste, À chaque pas qu'il fait, se transforme et persiste. Nul abri. Ce serait un ennemi public, Un monstre fabuleux, dragon ou basilic, Qu'il serait moins traqué de toutes les manières, Moins entouré de gens armés de grosses pierres, Moins haï ! -- Pour eux tous et pour ceux qui viendront, Il va semant la gloire, il recueille l'affront. Le progrès est son but, le bien est sa boussole ; Pilote, sur l'avant du navire il s'isole ; Tout marin, pour dompter les vents et les courants, Met tour à tour le cap sur des points différents, Et, pour mieux arriver, dévie en apparence ; Il fait de même ; aussi blâme et cris ; l'ignorance Sait tout, dénonce tout ; il allait vers le nord, Il avait tort ; il va vers le sud, il a tort ; Si le temps devient noir, que de rage et de joie ! Cependant, sous le faix sa tête à la fin ploie, L'âge vient, il couvait un mal profond et lent, Il meurt. L'envie alors, ce démon vigilant, Accourt, le reconnaît, lui ferme la paupière, Prend soin de la clouer de ses mains dans la bière, Se penche, écoute, épie en cette sombre nuit S'il est vraiment bien mort, s'il ne fait pas de bruit, S'il ne peut plus savoir de quel nom on le nomme, Et, s'essuyant les yeux, dit : « C'était un grand homme ! » Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ? Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ? Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement Dans la même prison le même mouvement. Accroupis sous les dents d'une machine sombre, Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre, Innocents dans un bagne, anges dans un enfer, Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer. Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue. Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue. Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las. Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas ! Ils semblent dire à Dieu : - Petits comme nous sommes, Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! Ô servitude infâme imposée à l'enfant ! Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée, La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée, Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain ! - D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin ! Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre, Qui produit la richesse en créant la misère, Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil ! Progrès dont on demande : Où va-t-il ? que veut-il ? Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme, Une âme à la machine et la retire à l'homme ! Que ce travail, haï des mères, soit maudit ! Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit, Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème ! Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même, Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux, Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux ! Le pesant chariot porte une énorme pierre ; Le limonier, suant du mors à la croupière, Tire, et le roulier fouette, et le pavé glissant Monte, et le cheval triste à le poitrail en sang. Il tire, traîne, geint, tire encore et s'arrête ; Le fouet noir tourbillonne au-dessus de sa tête ; C'est lundi ; l'homme hier buvait aux Porcherons Un vin plein de fureur, de cris et de jurons ; Oh ! quelle est donc la loi formidable qui livre L'être à l'être, et la bête effarée à l'homme ivre ! L'animal éperdu ne peut plus faire un pas ; Il sent l'ombre sur lui peser ; il ne sait pas, Sous le bloc qui l'écrase et le fouet qui l'assomme, Ce que lui veut la pierre et ce que lui veut l'homme. Et le roulier n'est plus qu'un orage de coups Tombant sur ce forçat qui traîne des licous, Qui souffre et ne connaît ni repos ni dimanche. Si la corde se casse, il frappe avec le pié ; Et le cheval, tremblant, hagard, estropié, Baisse son cou lugubre et sa tête égarée ; On entend, sous les coups de la botte ferrée, Sonner le ventre nu du pauvre être muet ! Il râle ; tout à l'heure encore il remuait ; Mais il ne bouge plus, et sa force est finie ; Et les coups furieux pleuvent ; son agonie Tente un dernier effort ; son pied fait un écart, Il tombe, et le voilà brisé sous le brancard ; Et, dans l'ombre, pendant que son bourreau redouble, Il regarde quelqu'un de sa prunelle trouble ; Et l'on voit lentement s'éteindre, humble et terni, Son œil plein des stupeurs sombres de l'infini, Où luit vaguement l'âme effrayante des choses. Hélas ! Cet avocat plaide toutes les causes ; Il rit des généreux qui désirent savoir Si blanc n'a pas raison, avant de dire noir ; Calme, en sa conscience il met ce qu'il rencontre, Ou le sac d'argent Pour, ou le sac d'argent Contre ; Le sac pèse pour lui ce que la cause vaut. Embusqué, plume au poing, dans un journal dévot, Comme un bandit tuerait, cet écrivain diffame. La foule hait cet homme et proscrit cette femme ; Ils sont maudits. Quel est leur crime ? Ils ont aimé. L'opinion rampante accable l'opprimé, Et, chatte aux pieds des forts, pour le faible est tigresse. De l'inventeur mourant le parasite engraisse. Le monde parle, assure, affirme, jure, ment, Triche, et rit d'escroquer la dupe Dévouement. Le puissant resplendit et du destin se joue ; Derrière lui, tandis qu'il marche et fait la roue, Sa fiente épanouie engendre son flatteur. Les nains sont dédaigneux de toute leur hauteur. Ô hideux coins de rue où le chiffonnier morne Va, tenant à la main sa lanterne de corne, Vos tas d'ordures sont moins noirs que les vivants ! Qui, des vents ou des cœurs, est le plus sûr ? Les vents. Cet homme ne croit rien et fait semblant de croire ; Il a l'œil clair, le front gracieux, l'âme noire ; Il se courbe ; il sera votre maître demain. Tu casses des cailloux, vieillard, sur le chemin ; Ton feutre humble et troué s'ouvre à l'air qui le mouille ; Sous la pluie et le temps ton crâne nu se rouille ; Le chaud est ton tyran, le froid est ton bourreau ; Ton vieux corps grelottant tremble sous ton sarrau ; Ta cahute, au niveau du fossé de la route, Offre son toit de mousse à la chèvre qui broute ; Tu gagnes dans ton jour juste assez de pain noir Pour manger le matin et pour jeûner le soir ; Et, fantôme suspect devant qui l'on recule, Regardé de travers quand vient le crépuscule, Pauvre au point d'alarmer les allants et venants, Frère sombre et pensif des arbres frissonnants, Tu laisses choir tes ans ainsi qu'eux leur feuillage ; Autrefois, homme alors dans la force de l'âge, Quand tu vis que l'Europe implacable venait, Et menaçait Paris et notre aube qui naît, Et, mer d'hommes, roulait vers la France effarée, Et le Russe et le Hun sur la terre sacrée Se ruer, et le nord revomir Attila, Tu te levas, tu pris ta fourche ; en ces temps-là, Tu fus, devant les rois qui tenaient la campagne, Un des grands paysans de la grande Champagne. C'est bien. Mais, vois, là-bas, le long du vert sillon, Une calèche arrive, et, comme un tourbillon, Dans la poudre du soir qu'à ton front tu secoues, Mêle l'éclair du fouet au tonnerre des roues. Un homme y dort. Vieillard, chapeau bas ! Ce passant Fit sa fortune à l'heure où tu versais ton sang ; Il jouait à la baisse, et montait à mesure Que notre chute était plus profonde et plus sûre ; Il fallait un vautour à nos morts ; il le fut ; Il fit, travailleur âpre et toujours à l'affût, Suer à nos malheurs des châteaux et des rentes ; Moscou remplit ses prés de meules odorantes ; Pour lui, Leipsick payait des chiens et des valets, Et la Bérésina charriait un palais ; Pour lui, pour que cet homme ait des fleurs, des charmilles, Des parcs dans Paris même ouvrant leurs larges grilles, Des jardins où l'on voit le cygne errer sur l'eau, Un million joyeux sortit de Waterloo ; Si bien que du désastre il a fait sa victoire, Et que, pour la manger, et la tordre, et la boire, Ce Shaylock, avec le sabre de Blucher, A coupé sur la France une livre de chair. Or, de vous deux, c'est toi qu'on hait, lui qu'on vénère ; Vieillard, tu n'es qu'un gueux, et ce millionnaire, C'est l'honnête homme. Allons, debout, et chapeau bas ! Les carrefours sont pleins de chocs et de combats. Les multitudes vont et viennent dans les rues. Foules ! sillons creusés par ces mornes charrues : Nuit, douleur, deuil ! champ triste où souvent a germé Un épi qui fait peur à ceux qui l'ont semé ! Vie et mort ! onde où l'hydre à l'infini s'enlace ! Peuple océan jetant l'écume populace ! Là sont tous les chaos et toutes les grandeurs ; Là, fauve, avec ses maux, ses horreurs, ses laideurs, Ses larves, désespoirs, haines, désirs, souffrances, Qu'on distingue à travers de vagues transparences, Ses rudes appétits, redoutables aimants, Ses prostitutions, ses avilissements, Et la fatalité des mœurs imperdables, La misère épaissit ses couches formidables. Les malheureux sont là, dans le malheur reclus. L'indigence, flux noir, l'ignorance, reflux, Montent, marée affreuse, et parmi les décombres, Roulent l'obscur filet des pénalités sombres. Le besoin fuit le mal qui le tente et le suit, Et l'homme cherche l'homme à tâtons ; il fait nuit ; Les petits enfants nus tendent leurs mains funèbres ; Le crime, antre béant, s'ouvre dans ces ténèbres ; Le vent secoue et pousse, en ses froids tourbillons, Les âmes en lambeaux dans les corps en haillons : Pas de cœur où ne croisse une aveugle chimère. Qui grince des dents ? L'homme. Et qui pleure ? La mère. Qui sanglote ? La vierge aux yeux hagards et doux. Qui dit : « J'ai froid ? » L'aïeule. Et qui dit : « J'ai faim ? » Tous ! Et le fond est horreur, et la surface est joie. Au-dessus de la faim, le festin qui flamboie, Et sur le pâle amas des cris et des douleurs, Les chansons et le rire et les chapeaux de fleurs ! Ceux-là sont les heureux. Ils n'ont qu'une pensée : A quel néant jeter la journée insensée ? Chiens, voitures, chevaux ! cendre au reflet vermeil ! Poussière dont les grains semblent d'or au soleil ! Leur vie est aux plaisirs sans fin, sans but, sans trêve, Et se passe à tâcher d'oublier dans un rêve L'enfer au-dessous d'eux et le ciel au-dessus. Quand on voile Lazare, on efface Jésus. Ils ne regardent pas dans les ombres moroses. Ils n'admettent que l'air tout parfumé de roses, La volupté, l'orgueil, l'ivresse et le laquais Ce spectre galonné du pauvre, à leurs banquets. Les fleurs couvrent les seins et débordent des vases. Le bal, tout frissonnant de souffles et d'extases, Rayonne, étourdissant ce qui s'évanouit ; Éden étrange fait de lumière et de nuit. Les lustres aux plafonds laissent pendre leurs flammes, Et semblent la racine ardente et pleine d'âmes De quelque arbre céleste épanoui plus haut. Noir paradis dansant sur l'immense cachot ! Ils savourent, ravis, l'éblouissement sombre Des beautés, des splendeurs, des quadrilles sans nombre, Des couples, des amours, des yeux bleus, des yeux noirs. Les valses, visions, passent dans les miroirs. Parfois, comme aux forêts la fuite des cavales, Les galops effrénés courent ; par intervalles, Le bal reprend haleine ; on s'interrompt, on fuit, On erre, deux à deux, sous les arbres sans bruit ; Puis, folle, et rappelant les ombres éloignées, La musique, jetant les notes à poignées, Revient, et les regards s'allument, et l'archet, Bondissant, ressaisit la foule qui marchait. Ô délire ! et d'encens et de bruit enivrées, L'heure emporte en riant les rapides soirées, Et les nuits et les jours, feuilles mortes des cieux. D'autres, toute la nuit, roulent les dés joyeux, Ou bien, âpre, et mêlant les cartes qu'ils caressent, Où des spectres riants ou sanglants apparaissent, Leur soif de l'or, penchée autour d'un tapis vert, Jusqu'à ce qu'au volet le jour bâille entr'ouvert, Poursuit le pharaon, le lansquenet ou l'hombre ; Et, pendant qu'on gémit et qu'on frémit dans l'ombre, Pendant que les greniers grelottent sous les toits, Que les fleuves, passants pleins de lugubres voix, Heurtent aux grands quais blancs les glaçons qu'ils charrient, Tous ces hommes contents de vivre, boivent, rient, Chantent ; et, par moments, on voit, au-dessus d'eux, Deux poteaux soutenant un triangle hideux, Qui sortent lentement du noir pavé des villes... — Ô forêts ! bois profonds ! solitudes ! asiles !

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    Mes poèmes Mes poèmes ! soyez des fleuves ! Allez en vous élargissant ! Désaltérez dans les épreuves Les coeurs saignants, les âmes veuves, Celui qui monte ou qui descend. Que l'aigle plonge, loin des fanges, Son bec de lumière en vos eaux ! Et dans vos murmures étranges Mêlez l'hymne de tous les anges Aux chansons de tous les oiseaux !

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    Mille chemins, un seul but Le chasseur songe dans les bois À des beautés sur l'herbe assises, Et dans l'ombre il croit voir parfois Danser des formes indécises. Le soldat pense à ses destins Tout en veillant sur les empires, Et dans ses souvenirs lointains Entrevoit de vagues sourires. Le pâtre attend sous le ciel bleu L'heure où son étoile paisible Va s'épanouir, fleur de feu, Au bout d'une tige invisible. Regarde-les, regarde encor Comme la vierge, fille d'Ève, Jette en courant dans les blés d'or Sa chanson qui contient son rêve ! Vois errer dans les champs en fleur, Dos courbé, paupières baissées, Le poète, cet oiseleur, Qui cherche à prendre des pensées. Vois sur la mer les matelots Implorant la terre embaumée, Lassés de l'écume des flots, Et demandant une fumée ! Se rappelant quand le flot noir Bat les flancs plaintifs du navire, Les hameaux si joyeux le soir, Les arbres pleins d'éclats de rire ! Vois le prêtre, priant pour tous, Front pur qui sous nos fautes penche, Songer dans le temple, à genoux Sur les plis de sa robe blanche. Vois s'élever sur les hauteurs Tous ces grands penseurs que tu nommes, Sombres esprit dominateurs, Chênes dans la forêt des hommes. Vois, couvant des yeux son trésor, La mère contempler, ravie, Son enfant, cœur sans ombre encor, Vase que remplira la vie ! Tous, dans la joie ou dans l'affront, Portent, sans nuage et sans tache, Un mot qui rayonne à leur front, Dans leur âme un mot qui se cache. Selon les desseins du Seigneur, Le mot qu'on voit pour tous varie ; – L'un a : Gloire ! l'autre a : Bonheur ! L'un dit : Vertu ! l'autre : Patrie ! Le mot caché ne change pas. Dans tous les cœurs toujours le même ; Il y chante ou gémit tout bas ; Et ce mot, c'est le mot suprême ! C'est le mot qui peut assoupir L'ennui du front le plus morose ! C'est le mystérieux soupir Qu'à toute heure fait toute chose ! C'est le mot d'où les autres mots Sortent comme d'un tronc austère, Et qui remplit de ses rameaux Tous les langages de la terre ! C'est le verbe, obscur ou vermeil, Qui luit dans le reflet des fleuves, Dans le phare, dans le soleil, Dans la sombre lampe des veuves ! Qui se mêle au bruit des roseaux, Au tressaillement des colombes ; Qui jase et rit dans les berceaux, Et qu'on sent vivre au fond des tombes ! Qui fait éclore dans les bois Les feuilles, les souffles, les ailes, La clémence au cœur des grands rois, Le sourire aux lèvres des belles ! C'est le nœud des prés et des eaux ! C'est le charme qui se compose Du plus tendre cri des oiseaux, Du plus doux parfum de la rose ! C'est l'hymne que le gouffre amer Chante en poussant au port des voiles ! C'est le mystère de la mer, Et c'est le secret des étoiles ! Ce mot, fondement éternel De la seconde des deux Romes, C'est Foi dans la langue du ciel, Amour dans la langue des hommes ! Aimer, c'est avoir dans les mains Un fil pour toutes les épreuves, Un flambeau pour tous les chemins, Une coupe pour tous les fleuves ! Aimer, c'est comprendre les cieux. C'est mettre, qu'on dorme ou qu'on veille, Une lumière dans ses yeux, Une musique en son oreille ! C'est se chauffer à ce qui bout ! C'est pencher son âme embaumée Sur le côté divin de tout ! Ainsi, ma douce bien-aimée, Tu mêles ton cœur et tes sens, Dans la retraite où tu m'accueilles, Aux dialogues ravissants Des flots, des astres et des feuilles ! La vitre laisse voir le jour ; Malgré nos brumes et nos doutes, Ô mon ange ! à travers l'amour Les vérités paraissent toutes ! L'homme et la femme, couple heureux, À qui le cœur tient lieu d'apôtre, Laissent voir le ciel derrière eux, Et sont transparents l'un pour l'autre. Ils ont en eux, comme un lac noir Reflète un astre en son eau pure, Du Dieu caché qu'on ne peut voir Une lumineuse figure ! Aimons ! prions ! les bois sont verts, L'été resplendit sur la mousse, Les germes vivent entr'ouverts, L'onde s'épanche et l'herbe pousse ! Que la foule, bien loin de nous Suive ses routes insensées. Aimons, et tombons à genoux, Et laissons aller nos pensées ! L'amour, qu'il vienne tôt ou tard, Prouve Dieu dans notre âme sombre. Il faut bien un corps quelque part Pour que le miroir ait une ombre. Le 23 mai 1839.

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    Mères, l'enfant qui joue à votre seuil joyeux Mères, l'enfant qui joue à votre seuil joyeux, Plus frêle que les fleurs, plus serein que les cieux, Vous conseille l'amour, la pudeur, la sagesse. L'enfant, c'est un feu pur dont la chaleur caresse ; C'est de la gaîté sainte et du bonheur sacré, C'est le nom paternel dans un rayon doré ; Et vous n'avez besoin que de cette humble flamme Pour voir distinctement dans l'ombre de votre âme. Mères, l'enfant que l'on pleure et qui s'en est allé, Si vous levez vos fronts vers le ciel constellé, Verse à votre douleur une lumière auguste ; Car l'innocent éclaire aussi bien que le juste ! Il montre, clarté douce, à vos yeux abattus, Derrière notre orgueil, derrière nos vertus, Derrière nos malheurs, Dieu profond et tranquille. Que l'enfant vive ou dorme, il rayonne toujours ! Sur cette terre où rien ne va loin sans secours, Où nos jours incertains sur tant d'abîmes pendent, Comme un guide au milieu des brumes que répandent Nos vices ténébreux et nos doutes moqueurs, Vivant, l'enfant fait voir le devoir à vos coeurs ; Mort, c'est la vérité qu'à votre âme il dévoile. Ici, c'est un flambeau ; là-haut, c'est une étoile. Mars 1840.

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    N'envions rien Ô femme, pensée aimante Et coeur souffrant, Vous trouvez la fleur charmante Et l'oiseau grand ; Vous enviez la pelouse Aux fleurs de miel ; Vous voulez que je jalouse L'oiseau du ciel. Vous dites, beauté superbe Au front terni, Regardant tour à tour l'herbe Et l'infini : « Leur existence est la bonne ; Là, tout est beau ; Là, sur la fleur qui rayonne, Plane l'oiseau ! Près de vous, aile bénie, Lis enchanté, Qu'est-ce, hélas ! que le génie Et la beauté ? Fleur pure, alouette agile, À vous le prix ! Toi, tu dépasse Virgile ; Toi, Lycoris ! Quel vol profond dans l'air sombre ! Quels doux parfums ! » Et des pleurs brillent sous l'ombre De vos cils bruns. Oui, contemplez l'hirondelle, Les liserons ; Mais ne vous plaignez pas, belle, Car nous mourrons ! Car nous irons dans la sphère De l'éther pur ; La femme y sera lumière Et l'homme azur ; Et les roses sont moins belles Que les houris ; Et les oiseaux ont moins d'ailes Que les esprits ! Août 18...

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    Ne vous contentez pas, madame, d'être belle Ne vous contentez pas, madame, d'être belle. Notre cœur vieillit mal s'il ne se renouvelle. Il faut songer, penser, lire, avoir de l'esprit. Être, pendant dix ans, une rose qui rit, Cela passe... — La vie est une triste chose, Un travail de ruine et de métamorphose Qui fait d'une beauté sortir une laideur. Fixez votre œil charmant, parfois un peu boudeur, Sur les deux termes sûrs d'une vie achevée, Sur le point de départ et le point d'arrivée, Chemin que parcourront, hélas ! vos pas tremblants, — Dents blanches, cheveux noirs ; — dents noires, cheveux blancs ! Moi, j'estime la femme, humble et sage personne, Qui ne s'éblouit pas, belle, veut être bonne, Songe à la saison dure ainsi que les fourmis, Et qui fait pour l'hiver provision d'amis. Vieillir, c'est remplacer par la clarté la flamme ; Le cœur doit lentement rentrer derrière l'âme.

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    Novembre Je lui dis : La rose du jardin, comme tu sais, dure peu ; et la saison des roses est bien vite écoulée. SADI. Quand l’Automne, abrégeant les jours qu’elle dévore, Éteint leurs soirs de flamme et glace leur aurore, Quand Novembre de brume inonde le ciel bleu, Que le bois tourbillonne et qu’il neige des feuilles, Ô ma muse ! en mon âme alors tu te recueilles, Comme un enfant transi qui s’approche du feu. Devant le sombre hiver de Paris qui bourdonne, Ton soleil d’orient s’éclipse, et t’abandonne, Ton beau rêve d’Asie avorte, et tu ne vois Sous tes yeux que la rue au bruit accoutumée, Brouillard à ta fenêtre, et longs flots de fumée Qui baignent en fuyant l’angle noirci des toits. Alors s’en vont en foule et sultans et sultanes, Pyramides, palmiers, galères capitanes, Et le tigre vorace et le chameau frugal, Djinns au vol furieux, danses des bayadères, L’Arabe qui se penche au cou des dromadaires, Et la fauve girafe au galop inégal ! Alors, éléphants blancs chargés de femmes brunes, Cités aux dômes d’or où les mois sont des lunes, Imans de Mahomet, mages, prêtres de Bel, Tout fuit, tout disparaît : – plus de minaret maure, Plus de sérail fleuri, plus d’ardente Gomorrhe Qui jette un reflet rouge au front noir de Babel ! C’est Paris, c’est l’hiver. – A ta chanson confuse Odalisques, émirs, pachas, tout se refuse. Dans ce vaste Paris le klephte est à l’étroit ; Le Nil déborderait ; les roses du Bengale Frissonnent dans ces champs où se tait la cigale ; A ce soleil brumeux les Péris auraient froid. Pleurant ton Orient, alors, muse ingénue, Tu viens à moi, honteuse, et seule, et presque nue. – N’as-tu pas, me dis-tu, dans ton coeur jeune encor Quelque chose à chanter, ami ? car je m’ennuie A voir ta blanche vitre où ruisselle la pluie, Moi qui dans mes vitraux avais un soleil d’or ! Puis, tu prends mes deux mains dans tes mains diaphanes ; Et nous nous asseyons, et, loin des yeux profanes, Entre mes souvenirs je t’offre les plus doux, Mon jeune âge, et ses jeux, et l’école mutine, Et les serments sans fin de la vierge enfantine, Aujourd’hui mère heureuse aux bras d’un autre époux. Je te raconte aussi comment, aux Feuillantines, Jadis tintaient pour moi les cloches argentines ; Comment, jeune et sauvage, errait ma liberté, Et qu’à dix ans, parfois, resté seul à la brune, Rêveur, mes yeux cherchaient les deux yeux de la lune, Comme la fleur qui s’ouvre aux tièdes nuits d’été. Puis tu me vois du pied pressant l’escarpolette Qui d’un vieux marronnier fait crier le squelette, Et vole, de ma mère éternelle terreur ! Puis je te dis les noms de mes amis d’Espagne, Madrid, et son collège où l’ennui t’accompagne, Et nos combats d’enfants pour le grand Empereur ! Puis encor mon bon père, ou quelque jeune fille Morte à quinze ans, à l’âge où l’oeil s’allume et brille. Mais surtout tu te plais aux premières amours, Frais papillons dont l’aile, en fuyant rajeunie, Sous le doigt qui la fixe est si vite ternie, Essaim doré qui n’a qu’un jour dans tous nos jours.

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    Nuits de Juin L’été, lorsque le jour a fui, de fleurs couverte La plaine verse au loin un parfum enivrant ; Les yeux fermés, l’oreille aux rumeurs entrouverte, On ne dort qu’à demi d’un sommeil transparent. Les astres sont plus purs, l’ombre paraît meilleure ; Un vague demi-jour teint le dôme éternel ; Et l’aube douce et pâle, en attendant son heure, Semble toute la nuit errer au bas du ciel.

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    Nuits d’hiver I Comme la nuit tombe vite ! Le jour, en cette saison, Comme un voleur prend la fuite, S’évade sous l’horizon. Il semble, ô soleil de Rome, De l’Inde et du Parthénon, Que, quand la nuit vient de l’homme Visiter le cabanon, Tu ne veux pas qu’on te voie, Et que tu crains d’être pris En flagrant délit de joie Par la geôlière au front gris. Pour les heureux en démence L’âpre hiver n’a point d’effroi, Mais il jette un crêpe immense Sur celui qui, comme moi, Rêveur, saignant, inflexible, Souffrant d’un stoïque ennui, Sentant la bouche invisible Et sombre souffler sur lui, Montant des effets aux causes, Seul, étranger en tout lieu, Réfugié dans les choses Où l’on sent palpiter Dieu, De tous les biens qu’un jour fane Et dont rit le sage amer, N’ayant plus qu’une cabane Au bord de la grande mer, Songe, assis dans l’embrasure, Se console en s’abîmant, Et, pensif, à sa masure Ajoute le firmament ! Pour cet homme en sa chaumière, C’est une amère douleur Que l’adieu de la lumière Et le départ de la fleur. C’est un chagrin quand, moroses, Les rayons dans les vallons S’éclipsent, et quand les roses Disent : Nous nous en allons ! …….. V Oh ! Reviens ! printemps ! fanfare Des parfums et des couleurs ! Toute la plaine s’effare Dans une émeute de fleurs. La prairie est une fête ; L’âme aspire l’air, le jour, L’aube, et sent qu’elle en est faite ; L’azur se mêle à l’amour. On croit voir, tant avril dore Tout de son reflet riant, Éclore au rosier l’aurore Et la rose à l’orient. Comme ces aubes de flamme Chassent les soucis boudeurs ! On sent s’ouvrir dans son âme De charmantes profondeurs. On se retrouve heureux, jeune, Et, plein d’ombre et de matin, On rit de l’hiver, ce jeûne, Avec l’été, ce festin. Oh ! mon coeur loin de ces grèves Fuit et se plonge, insensé, Dans tout ce gouffre de rêves Que nous nommons le passé ! Je revois mil huit cent douze, Mes frères petits, le bois, Le puisard et la pelouse, Et tout le bleu d’autrefois. Enfance ! Madrid ! campagne Où mon père nous quitta ! Et dans le soleil, l’Espagne ! Toi dans l’ombre, Pepita ! Moi, huit ans, elle le double ; En m’appelant son mari, Elle m’emplissait de trouble… – O rameaux de mai fleuri ! Elle aimait un capitaine ; J’ai compris plus tard pourquoi, Tout en l’aimant, la hautaine N’était douce que pour moi. Elle attisait son martyre Avec moi, pour l’embraser, Lui refusait un sourire Et me donnait un baiser. L’innocente, en sa paresse, Se livrant sans se faner, Me donnait cette caresse Afin de ne rien donner. Et ce baiser économe, Qui me semblait généreux, Rendait jaloux le jeune homme, Et me rendait amoureux. Il partait, la main crispée ; Et, me sentant un rival, Je méditais une épée Et je rêvais un cheval. Ainsi, du bout de son aile Touchant mon coeur nouveau-né, Gaie, ayant dans sa prunelle Un doux regard étonné, Sans savoir qu’elle était femme, Et riant de m’épouser, Cet ange allumait mon âme Dans l’ombre avec un baiser. Mal ou bien, épine ou rose, A tout âge, sages, fous, Nous apprenons quelque chose D’un enfant plus vieux que nous. Un jour la pauvre petite S’endormit sous le gazon… – Comme la nuit tombe vite Sur notre sombre horizon !

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    Oceano Nox Oh ! combien de marins, combien de capitaines Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, Dans ce morne horizon se sont évanouis ? Combien ont disparu, dure et triste fortune ? Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune, Sous l’aveugle océan à jamais enfouis ? Combien de patrons morts avec leurs équipages ? L’ouragan de leur vie a pris toutes les pages Et d’un souffle il a tout dispersé sur les flots ! Nul ne saura leur fin dans l’abîme plongée, Chaque vague en passant d’un butin s’est chargée ; L’une a saisi l’esquif, l’autre les matelots ! Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues ! Vous roulez à travers les sombres étendues, Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus Oh ! que de vieux parents qui n’avaient plus qu’un rêve, Sont morts en attendant tous les jours sur la grève Ceux qui ne sont pas revenus ! On s’entretient de vous parfois dans les veillées, Maint joyeux cercle, assis sur les ancres rouillées, Mêle encore quelque temps vos noms d’ombre couverts, Aux rires, aux refrains, aux récits d’aventures, Aux baisers qu’on dérobe à vos belles futures Tandis que vous dormez dans les goémons verts ! On demande: « Où sont-ils ? Sont-ils rois dans quelque île ? Nous ont’ ils délaissés pour un bord plus fertile ? » Puis, votre souvenir même est enseveli. Le corps se perd dans l’eau, le nom dans la mémoire. Le temps qui sur toute ombre en verse une plus noire, Sur le sombre océan jette le sombre oubli. Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue. L’un n’a-t-il pas sa barque et l’autre sa charrue ? Seules, durant ces nuits où l’orage est vainqueur, Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre, Parlent encore de vous en remuant la cendre De leur foyer et de leur coeur ! Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière, Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre Dans l’étroit cimetière où l’écho nous répond, Pas même un saule vert qui s’effeuille à l’automne, Pas même la chanson naïve et monotone Que chante un mendiant à l’angle d’un vieux pont ! Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ? O flots ! que vous savez de lugubres histoires ! Flots profonds redoutés des mères à genoux ! Vous vous les racontez en montant les marées, Et c’est ce qui vous fait ces voix désespérées Que vous avez le soir, quand vous venez vers nous !

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    Oh ! de mon ardente fièvre Oh ! de mon ardente fièvre Un baiser peut me guérir. Laisse ma lèvre à ta lèvre S'attacher pour y mourir. Ta bouche, c'est le ciel même. Mon âme veut s'y poser. Puisse mon souffle suprême S'en aller dans un baiser !

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    Oh ! je sais qu'ils feront des mensonges I. Oh ! je sais qu'ils feront des mensonges sans nombre Pour s'évader des mains de la Vérité sombre, Qu'ils nieront, qu'ils diront : ce n'est pas moi, c'est lui. Mais, n'est-il pas vrai, Dante, Eschyle, et vous, prophètes ? Jamais, du poignet des poètes, Jamais, pris en collet, les malfaiteurs n'ont fui. J'ai fermé sur ceux-ci mon livre expiatoire ; J'ai mis des verrous à l'histoire ; L'histoire est un bagne aujourd'hui. Le poète n'est plus l'esprit qui rêve et prie ; Il a la grosse clef de la conciergerie. Quand ils entrent au greffe, où pend leur chaîne au clou, On regarde le prince aux poches, comme un drôle, Et les empereurs à l'épaule ; Macbeth est un escroc, César est un filou. Vous gardes des forçats, ô mes strophes ailées ! Les Calliopes étoilées Tiennent des registres d'écrou. II. Ô peuples douloureux, il faut bien qu'on vous venge ! Les rhéteurs froids m'ont dit : Le poète, c'est l'ange, Il plane, ignorant Fould, Magnan, Morny, Maupas ; Il contemple la nuit sereine avec délices... - Non, tant que vous serez complices De ces crimes hideux que je suis pas à pas, Tant que vous couvrirez ces brigands de vos voiles, Cieux azurés, soleils, étoiles, Je ne vous regarderai pas ! Tant qu'un gueux forcera les bouches à se taire, Tant que la liberté sera couchée à terre Comme une femme morte et qu'on vient de noyer, Tant que dans les pontons on entendra des râles, J'aurai des clartés sépulcrales Pour tous ces fronts abjects qu'un bandit fait ployer ; Je crierai : Lève-toi, peuple ! ciel, tonne et gronde ! La France, dans sa nuit profonde, Verra ma torche flamboyer ! III. Ces coquins vils qui font de la France une Chine, On entendra mon fouet claquer sur leur échine. Ils chantent : Te Deum, je crierai : Memento ! Je fouaillerai les gens, les faits, les noms, les titres, Porte-sabres et porte-mitres ; Je les tiens dans mon vers comme dans un étau. On verra choir surplis, épaulettes, bréviaires, Et César, sous mes étrivières, Se sauver, troussant son manteau ! Et les champs, et les prés, le lac, la fleur, la plaine, Les nuages, pareils à des flocons de laine, L'eau qui fait frissonner l'algue et les goëmons, Et l'énorme océan, hydre aux écailles vertes, Les forêts de rumeurs couvertes, Le phare sur les flots, l'étoile sur les monts, Me reconnaîtront bien et diront à voix basse C'est un esprit vengeur qui passe, Chassant devant lui les démons ! Jersey, le 13 novembre 1852.

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    Oh ! les charmants oiseaux joyeux Oh ! les charmants oiseaux joyeux ! Comme ils maraudent ! comme ils pillent ! Où va ce tas de petits gueux Que tous les souffles éparpillent ? Ils s'en vont au clair firmament ; Leur voix raille, leur bec lutine ; Ils font rire éternellement La grande nature enfantine. Ils vont aux bois, ils vont aux champs, À nos toits remplis de mensonges, Avec des cris, avec des chants, Passant, fuyant, pareils aux songes. Comme ils sont près du Dieu vivant Et de l'aurore fraîche et douce, Ces gais bohémiens du vent N'amassent rien qu'un peu de mousse. Toute la terre est sous leurs yeux ; Dieu met, pour ces purs êtres frêles, Un triomphe mystérieux Dans la légèreté des ailes. Atteignent-ils les astres ? Non. Mais ils montent jusqu'aux nuages. Vers le rêveur, leur compagnon, Ils vont, familiers et sauvages. La grâce est tout leur mouvement, La volupté toute leur vie ; Pendant qu'ils volent vaguement La feuillée immense est ravie. L'oiseau va moins haut que Psyché. C'est l'ivresse dans la nuée. Vénus semble l'avoir lâché De sa ceinture dénouée. Il habite le demi-jour ; Le plaisir est sa loi secrète. C'est du temple que sort l'amour, C'est du nid que vient l'amourette. L'oiseau s'enfuit dans l'infini Et s'y perd comme un son de lyre. Avec sa queue il dit nenni Comme Jeanne avec son sourire. Que lui faut-il ? un réséda, Un myrte, un ombre, une cachette. Esprit, tu voudrais Velléda ; Oiseau, tu chercherais Fanchette. Colibri, comme Ithuriel, Appartient à la zone bleue. L'ange est de la cité du ciel ; Les oiseaux sont de la banlieue.

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    Oh ! n'insultez jamais une femme qui tombe Oh ! n'insultez jamais une femme qui tombe ! Qui sait sous quel fardeau la pauvre âme succombe ! Qui sait combien de jours sa faim a combattu ! Quand le vent du malheur ébranlait leur vertu, Qui de nous n'a pas vu de ces femmes brisées S'y cramponner longtemps de leurs mains épuisées ! Comme au bout d'une branche on voit étinceler Une goutte de pluie où le ciel vient briller, Qu'on secoue avec l'arbre et qui tremble et qui lutte, Perle avant de tomber et fange après sa chute ! La faute en est à nous ; à toi, riche ! à ton or ! Cette fange d'ailleurs contient l'eau pure encor. Pour que la goutte d'eau sorte de la poussière, Et redevienne perle en sa splendeur première, Il suffit, c'est ainsi que tout remonte au jour, D'un rayon de soleil ou d'un rayon d'amour ! Le 6 septembre 1835.

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    Oh ! pour le reste de ta vie Oh ! pour le reste de ta vie, Qu'on nous plaigne ou qu'on nous envie, Tant que nos coeurs se comprendront, Puisse une sereine pensée, À ton chevet toujours fixée, Poser ses ailes sur ton front !

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    Oh ! pour remplir de moi Oh ! pour remplir de moi ta rêveuse pensée, Tandis que tu m'attends, par la marche lassée, Sous l'arbre au bord du lac, loin des yeux importuns, Tandis que sous tes pieds l'odorante vallée, Toute pleine de brume au soleil envolée, Fume comme un beau vase où brûlent des parfums ; Que tout ce que tu vois, les coteaux et les plaines, Les doux buissons de fleurs aux charmantes haleines, La vitre au vif éclair, Le pré vert, le sentier qui se noue aux villages, Et le ravin profond débordant de feuillages Comme d'ondes la mer ; Que le bois, le jardin, la maison, la nuée, Dont midi ronge au loin l'ombre diminuée ; Que tous les points confus qu'on voit là-bas trembler ; Que la branche aux fruits mûrs ; que la feuille séchée ; Que l'automne, déjà par septembre ébauchée ; Que tout ce qu'on entend ramper, marcher, voler ; Que ce réseau d'objets qui t'entoure et te presse, Et dont l'arbre amoureux qui sur ton front se dresse Est le premier chaînon ; Herbe et feuille, onde et terre, ombre, lumière et flamme, Que tout prenne une voix, que tout devienne une âme, Et te dise mon nom ! Enghien, le 19 septembre 1834.

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    Oh ! pourquoi te Cacher ? Oh ! pourquoi te cacher ? Tu pleurais seule ici. Devant tes yeux rêveurs qui donc passait ainsi ? Quelle ombre flottait dans ton âme ? Était-ce long regret ou noir pressentiment, Ou jeunes souvenirs dans le passé dormant, Ou vague faiblesse de femme ? Voyais-tu fuir déjà l'amour et ses douceurs, Ou les illusions, toutes ces jeunes soeurs Qui le matin, devant nos portes, Dans l'avenir sans borne ouvrant mille chemins, Dansent, des fleurs au front et les mains dans les mains, Et bien avant le soir sont mortes ? Ou bien te venait-il des tombeaux endormis Quelque ombre douloureuse avec des traits amis, Te rappelant le peu d'années, Et demandant tout bas quand tu viendrais le soir Prier devant ces croix de pierre ou de bois noir Où pendent tant de fleurs fanées ? Mais non, ces visions ne te poursuivaient pas. Il suffit pour pleurer de songer qu'ici-bas Tout miel est amer, tout ciel sombre, Que toute ambition trompe l'effort humain, Que l'espoir est un leurre, et qu'il n'est pas de main Qui garde l'onde ou prenne l'ombre ! Toujours ce qui là-bas vole au gré du zéphyr Avec des ailes d'or, de pourpre et de saphir, Nous fait courir et nous devance ; Mais adieu l'aile d'or, pourpre, émail, vermillon, Quand l'enfant a saisi le frêle papillon, Quand l'homme a pris son espérance ! Pleure. Les pleurs vont bien, même au bonheur ; tes chants Sont plus doux dans les pleurs ; tes yeux purs et touchants Sont plus beaux quand tu les essuies. L'été, quand il a plu, le champ est plus vermeil, Et le ciel fait briller plus au beau soleil Son azur lavé par les pluies ! Pleure comme Rachel, pleure comme Sara. On a toujours souffert ou bien on souffrira. Malheur aux insensés qui rient ! Le Seigneur nous relève alors que nous tombons. Car s'il préfère encor les malheureux aux bons, Ceux qui pleurent à ceux qui prient ! Pleure afin de savoir ! Les larmes sont un don. Souvent les pleurs, après l'erreur et l'abandon, Raniment nos forces brisées ! Souvent l'âme, sentant, au doute qui s'enfuit, Qu'un jour l'intérieur se lève dans sa nuit, Répand de ces douces rosées ! Pleure ! mais, tu fais bien, cache-toi pour pleurer. Aie un asile en toi. Pour t'en désaltérer, Pour les savourer avec charmes, Sous le riche dehors de ta prospérité, Dans le fond de ton coeur, comme un fruit pour l'été, Mets à part ton trésor de larmes ! Car la fleur, qui s'ouvrit avec l'aurore en pleurs, Et qui fait à midi de ses belles couleurs Admirer la splendeur timide, Sous ses corolles d'or, loin des yeux importuns, Au fond de ce calice où sont tous ses parfums, Souvent cache une perle humide ! Le 17 juin 1830

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    Oh ! quand je dors, viens auprès de ma couche Oh ! quand je dors, viens auprès de ma couche, Comme à Pétrarque apparaissait Laura, Et qu'en passant ton haleine me touche... – Soudain ma bouche S'entrouvrira ! Sur mon front morne où peut-être s'achève Un songe noir qui trop longtemps dura, Que ton regard comme un astre se lève... – Soudain mon rêve Rayonnera ! Puis sur ma lèvre où voltige une flamme, Éclair d'amour que Dieu même épura, Pose un baiser, et d'ange deviens femme... – Soudain mon âme S'éveillera ! Le 19 juin 1839.

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    On croyait dans ces temps On croyait dans ces temps où le pâtre nocturne, Loin dans l'air, au-dessus de son front taciturne, Voyait parfois, témoin par l'ombre recouvert, Dans un noir tourbillon de tonnerre et de pluie, Passer rapidement la figure éblouie D'un prophète emporté par l'Esprit au désert ! On croyait dans les jours du barde et du trouvère ! Quand tout un monde armé se ruait au Calvaire, Pour délivrer la croix, Et pour voir le lac sombre où Jésus sauva Pierre, L'Horeb et le Cédron, et les portes de pierre Du sépulcre des rois ! On croyait dans ce siècle où tout était prière ; Où Louis, au moment de ravir La Vallière, S'arrêtait éperdu devant un crucifix ; Où l'autel rayonnait près du trône prospère ; Où, quand le roi disait : Dieu seul est grand, mon père ? L'évêque répondait : Dieu seul est grand, mon fils ! Les pâtres maintenant dorment dans les ravines ; Jérusalem est turque ; et les moissons divines N'ont plus de moissonneur ; La royauté décline et le peuple se lève. – Hélas ! l'homme aujourd'hui ne croit plus, mais il rêve. – Lequel vaut mieux, Seigneur ? Le 26 mars 1839.

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    Où est donc le bonheur ? Où donc est le bonheur ? disais-je. - Infortuné ! Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l'avez donné. Naître, et ne pas savoir que l'enfance éphémère, Ruisseau de lait qui fuit sans une goutte amère, Est l'âge du bonheur, et le plus beau moment Que l'homme, ombre qui passe, ait sous le firmament ! Plus tard, aimer, - garder dans son coeur de jeune homme Un nom mystérieux que jamais on ne nomme, Glisser un mot furtif dans une tendre main, Aspirer aux douceurs d'un ineffable hymen, Envier l'eau qui fuit, le nuage qui vole, Sentir son coeur se fondre au son d'une parole, Connaître un pas qu'on aime et que jaloux on suit, Rêver le jour, brûler et se tordre la nuit, Pleurer surtout cet âge où sommeillent les âmes, Toujours souffrir ; parmi tous les regards de femmes, Tous les buissons d'avril, les feux du ciel vermeil, Ne chercher qu'un regard, qu'une fleur, qu'un soleil ! Puis effeuiller en hâte et d'une main jalouse Les boutons d'orangers sur le front de l'épouse ; Tout sentir, être heureux, et pourtant, insensé Se tourner presque en pleurs vers le malheur passé ; Voir aux feux de midi, sans espoir qu'il renaisse, Se faner son printemps, son matin, sa jeunesse, Perdre l'illusion, l'espérance, et sentir Qu'on vieillit au fardeau croissant du repentir, Effacer de son front des taches et des rides ; S'éprendre d'art, de vers, de voyages arides, De cieux lointains, de mers où s'égarent nos pas ; Redemander cet âge où l'on ne dormait pas ; Se dire qu'on était bien malheureux, bien triste, Bien fou, que maintenant on respire, on existe, Et, plus vieux de dix ans, s'enfermer tout un jour Pour relire avec pleurs quelques lettres d'amour ! Vieillir enfin, vieillir ! comme des fleurs fanées Voir blanchir nos cheveux et tomber nos années, Rappeler notre enfance et nos beaux jours flétris, Boire le reste amer de ces parfums aigris, Être sage, et railler l'amant et le poète, Et, lorsque nous touchons à la tombe muette, Suivre en les rappelant d'un oeil mouillé de pleurs Nos enfants qui déjà sont tournés vers les leurs ! Ainsi l'homme, ô mon Dieu ! marche toujours plus sombre Du berceau qui rayonne au sépulcre plein d'ombre. C'est donc avoir vécu ! c'est donc avoir été ! Dans la joie et l'amour et la félicité C'est avoir eu sa part ! et se plaindre est folie. Voilà de quel nectar la coupe était remplie ! Hélas ! naître pour vivre en désirant la mort ! Grandir en regrettant l'enfance où le coeur dort, Vieillir en regrettant la jeunesse ravie, Mourir en regrettant la vieillesse et la vie ! Où donc est le bonheur, disais-je ? - Infortuné ! Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l'avez donné ! Le 28 mai 1830.

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    Parfois, lorsque tout dort Parfois, lorsque tout dort, je m'assieds plein de joie Sous le dôme étoilé qui sur nos fronts flamboie ; J'écoute si d'en haut il tombe quelque bruit ; Et l'heure vainement me frappe de son aile Quand je contemple, ému, cette fête éternelle Que le ciel rayonnant donne au monde la nuit. Souvent alors j'ai cru que ces soleils de flamme Dans ce monde endormi n'échauffaient que mon âme ; Qu'à les comprendre seul j'étais prédestiné ; Que j'étais, moi, vaine ombre obscure et taciturne, Le roi mystérieux de la pompe nocturne ; Que le ciel pour moi seul s'était illuminé ! Novembre 1829

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    Pauline Roland Elle ne connaissait ni l'orgueil ni la haine ; Elle aimait ; elle était pauvre, simple et sereine ; Souvent le pain qui manque abrégeait son repas. Elle avait trois enfants, ce qui n'empêchait pas Qu'elle ne se sentît mère de ceux qui souffrent. Les noirs événements qui dans la nuit s'engouffrent, Les flux et les reflux, les abîmes béants, Les nains, sapant sans bruit l'ouvrage des géants, Et tous nos malfaiteurs inconnus ou célèbres, Ne l'épouvantaient point ; derrière ces ténèbres, Elle apercevait Dieu construisant l'avenir. Elle sentait sa foi sans cesse rajeunir De la liberté sainte elle attisait les flammes Elle s'inquiétait des enfants et des femmes ; Elle disait, tendant la main aux travailleurs : La vie est dure ici, mais sera bonne ailleurs. Avançons ! — Elle allait, portant de l'un à l'autre L'espérance ; c'était une espèce d'apôtre Que Dieu, sur cette terre où nous gémissons tous, Avait fait mère et femme afin qu'il fût plus doux ; L'esprit le plus farouche aimait sa voix sincère. Tendre, elle visitait, sous leur toit de misère, Tous ceux que la famine ou la douleur abat, Les malades pensifs, gisant sur leur grabat, La mansarde où languit l'indigence morose ; Quand, par hasard moins pauvre, elle avait quelque chose, Elle le partageait à tous comme une sœur ; Quand elle n'avait rien, elle donnait son cœur. Calme et grande, elle aimait comme le soleil brille. Le genre humain pour elle était une famille Comme ses trois enfants étaient l'humanité. Elle criait : progrès ! amour ! fraternité ! Elle ouvrait aux souffrants des horizons sublimes. Quand Pauline Roland eut commis tous ces crimes, Le sauveur de l'église et de l'ordre la prit Et la mit en prison. Tranquille, elle sourit, Car l'éponge de fiel plaît à ces lèvres pures. Cinq mois, elle subit le contact des souillures, L'oubli, le rire affreux du vice, les bourreaux, Et le pain noir qu'on jette à travers les barreaux, Edifiant la geôle au mal habituée, Enseignant la voleuse et la prostituée. Ces cinq mois écoulés, un soldat, un bandit, Dont le nom souillerait ces vers, vint et lui dit — Soumettez-vous sur l'heure au règne qui commence, Reniez votre foi ; sinon, pas de clémence, Lambessa ! choisissez. — Elle dit : Lambessa. Le lendemain la grille en frémissant grinça, Et l'on vit arriver un fourgon cellulaire. — Ah ! voici Lambessa, dit-elle sans colère. Elles étaient plusieurs qui souffraient pour le droit Dans la même prison. Le fourgon trop étroit Ne put les recevoir dans ses cloisons infâmes Et l'on fit traverser tout Paris à ces femmes Bras dessus bras dessous avec les argousins. Ainsi que des voleurs et que des assassins, Les sbires les frappaient de paroles bourrues. S'il arrivait parfois que les passants des rues, Surpris de voir mener ces femmes en troupeau, S'approchaient et mettaient la main à leur chapeau, L'argousin leur jetait des sourires obliques, Et les passants fuyaient, disant : filles publiques ! Et Pauline Roland disait : courage, sœurs ! L'océan au bruit rauque, aux sombres épaisseurs, Les emporta. Durant la rude traversée, L'horizon était noir, la bise était glacée, Sans l'ami qui soutient, sans la voix qui répond, Elles tremblaient. La nuit, il pleuvait sur le pont Pas de lit pour dormir, pas d'abri sous l'orage, Et Pauline Roland criait : mes soeurs, courage ! Et les durs matelots pleuraient en les voyant. On atteignit l'Afrique au rivage effrayant, Les sables, les déserts qu'un ciel d'airain calcine, Les rocs sans une source et sans une racine ; L'Afrique, lieu d'horreur pour les plus résolus, Terre au visage étrange où l'on ne se sent plus Regardé par les yeux de la douce patrie. Et Pauline Roland, souriante et meurtrie, Dit aux femmes en pleurs : courage, c'est ici. Et quand elle était seule, elle pleurait aussi. Ses trois enfants ! loin d'elle ! Oh ! quelle angoisse amère ! Un jour, un des geôliers dit à la pauvre mère Dans la casbah de Bône aux cachots étouffants : Voulez-vous être libre et revoir vos enfants ? Demandez grâce au prince. — Et cette femme forte Dit : — J'irai les revoir lorsque je serai morte. Alors sur la martyre, humble cœur indompté, On épuisa la haine et la férocité. Bagnes d'Afrique ! enfers qu'a sondés Ribeyrolles ! Oh ! la pitié sanglote et manque de paroles. Une femme, une mère, un esprit ! ce fut là Que malade, accablée et seule, on l'exila. Le lit de camp, le froid et le chaud, la famine, Le jour l'affreux soleil et la nuit la vermine, Les verrous, le travail sans repos, les affronts, Rien ne plia son âme ; elle disait : — Souffrons. Souffrons comme Jésus, souffrons comme Socrate. — Captive, on la traîna sur cette terre ingrate ; Et, lasse, et quoiqu'un ciel torride l'écrasât, On la faisait marcher à pied comme un forçat. La fièvre la rongeait ; sombre, pâle, amaigrie, Le soir elle tombait sur la paille pourrie, Et de la France aux fers murmurait le doux nom. On jeta cette femme au fond d'un cabanon. Le mal brisait sa vie et grandissait son âme. Grave, elle répétait : « Il est bon qu'une femme, Dans cette servitude et cette lâcheté, Meure pour la justice et pour la liberté. » Voyant qu'elle râlait, sachant qu'ils rendront compte, Les bourreaux eurent peur, ne pouvant avoir honte Et l'homme de décembre abrégea son exil. « Puisque c'est pour mourir, qu'elle rentre ! » dit-il. Elle ne savait plus ce que l'on faisait d'elle. L'agonie à Lyon la saisit. Sa prunelle, Comme la nuit se fait quand baisse le flambeau, Devint obscure et vague, et l'ombre du tombeau Se leva lentement sur son visage blême. Son fils, pour recueillir à cette heure suprême Du moins son dernier souffle et son dernier regard, Accourut. Pauvre mère ! Il arriva trop tard. Elle était morte ; morte à force de souffrance, Morte sans avoir su qu'elle voyait la France Et le doux ciel natal aux rayons réchauffants Morte dans le délire en criant : mes enfants ! On n'a pas même osé pleurer à ses obsèques ; Elle dort sous la terre. — Et maintenant, évêques, Debout, la mitre au front, dans l'ombre du saint lieu, Crachez vos Te Deum à la face de Dieu ! Jersey, le 12 mars 1853.

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    Victor Hugo

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    Pepita Comme elle avait la résille, D’abord la rime hésita. Ce devait être Inésille… – Mais non, c’était Pepita. Seize ans. Belle et grande fille… – (Ici la rime insista : Rimeur, c’était Inésille. Rime, c’était Pepita.) Pepita… – Je me rappelle ! Oh ! le doux passé vainqueur, Tout le passé, pêle-mêle Revient à flots dans mon coeur ; Mer, ton flux roule et rapporte Les varechs et les galets. Mon père avait une escorte ; Nous habitions un palais ; Dans cette Espagne que j’aime, Au point du jour, au printemps, Quand je n’existais pas même, Pepita – j’avais huit ans – Me disait : – Fils, je me nomme Pepa ; mon père est marquis. – Moi, je me croyais un homme, Etant en pays conquis. Dans sa résille de soie Pepa mettait des doublons ; De la flamme et de la joie Sortaient de ses cheveux blonds. Tout cela, jupe de moire, Veste de toréador, Velours bleu, dentelle noire, Dansait dans un rayon d’or. Et c’était presque une femme Que Pepita mes amours. L’indolente avait mon âme Sous son coude de velours. Je palpitais dans sa chambre Comme un nid près du faucon, Elle avait un collier d’ambre, Un rosier sur son balcon. Tous les jours un vieux qui pleure Venait demander un sou ; Un dragon à la même heure Arrivait je ne sais d’où. Il piaffait sous la croisée, Tandis que le vieux râlait De sa vieille voix brisée : La charité, s’il vous plaît ! Et la belle au collier jaune, Se penchant sur son rosier, Faisait au pauvre l’aumône Pour la faire à l’officier. L’un plus fier, l’autre moins sombre, Ils partaient, le vieux hagard Emportant un sou dans l’ombre, Et le dragon un regard. J’étais près de la fenêtre, Tremblant, trop petit pour voir, Amoureux sans m’y connaître, Et bête sans le savoir. Elle disait avec charme : Marions-nous ! choisissant Pour amoureux le gendarme Et pour mari l’innocent. Je disais quelque sottise ; Pepa répondait : Plus bas ! M’éteignant comme on attise ; Et, pendant ces doux ébats, Les soldats buvaient des pintes Et jouaient au domino Dans les grandes chambres peintes Du palais Masserano.

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