Chère, voici le mois de mai Chère, voici le mois de mai,
Le mois du printemps parfumé
Qui, sous les branches,
Fait vibrer des sons inconnus,
Et couvre les seins demi-nus
De robes blanches.
Voici la saison des doux nids,
Le temps où les cieux rajeunis
Sont tout en flamme,
Où déjà, tout le long du jour,
Le doux rossignol de l’amour
Chante dans l’âme.
Ah ! de quels suaves rayons
Se dorent nos illusions
Les plus chéries,
Et combien de charmants espoirs
Nous jettent dans l’ombre des soirs
Leurs rêveries !
Parmi nos rêves à tous deux,
Beaux projets souvent hasardeux
Qui sont les mêmes,
Songes pleins d’amour et de foi
Que tu dois avoir comme moi,
Puisque tu m’aimes ;
Il en est un seul plus aimé.
Tel meurt un zéphyr embaumé
Sur votre bouche,
Telle, par une ardente nuit,
De quelque Séraphin, sans bruit,
L’aile vous touche.
Camille, as-tu rêvé parfois
Qu’à l’heure où s’éveillent les bois
Et l’alouette,
Où Roméo, vingt fois baisé,
Enjambe le balcon brisé
De Juliette,
Nous partons tous les deux, tout seuls ?
Hors Paris, dans les grands tilleuls
Un rayon joue ;
L’air sent les lilas et le thym,
La fraîche brise du matin
Baise ta joue.
Après avoir passé tout près
De vastes ombrages, plus frais
Qu’une glacière
Et tout pleins de charmants abords,
Nous allons nous asseoir aux bords
De la rivière.
L’eau frémit, le poisson changeant
Émaille la vague d’argent
D’écailles blondes ;
Le saule, arbre des tristes vœux,
Pleure, et baigne ses longs cheveux
Parmi les ondes.
Tout est calme et silencieux.
Étoiles que la terre aux cieux
A dérobées,
On voit briller d’un éclat pur
Les corsages d’or et d’azur
Des scarabées.
Nos yeux s’enivrent, assouplis,
A voir l’eau dérouler les plis
De sa ceinture.
Je baise en pleurant tes genoux,
Et nous sommes seuls, rien que nous
Et la nature !
Tout alors, les flots enchanteurs,
L’arbre ému, les oiseaux chanteurs
Et les feuillées,
Et les voix aux accords touchants
Que le silence dans les champs
Tient éveillées,
La brise aux parfums caressants,
Les horizons éblouissants
De fantaisie,
Les serments dans nos cœurs écrits,
Tout en nous demande à grands cris
La Poésie.
Nous sommes heureux sans froideur.
Plus de bouderie ou d’humeur
Triste ou chagrine ;
Tu poses d’un air triomphant
Ta petite tête d’enfant
Sur ma poitrine ;
Tu m’écoutes, et je te lis,
Quoique ta bouche aux coins pâlis
S’ouvre et soupire,
Quelques stances d’Alighieri,
Ronsard, le poëte chéri,
Ou bien Shakspere.
Mais je jette le livre ouvert,
Tandis que ton regard se perd
Parmi les mousses,
Et je préfère, en vrai jaloux,
A nos poëtes les plus doux
Tes lèvres douces !
Tiens, voici qu’un couple charmant,
Comme nous jeune et bien aimant,
Vient et regarde.
Que de bonheur rien qu’à leurs pas !
Ils passent et ne nous voient pas :
Que Dieu les garde !
Ce sont des frères, mon cher cœur,
Que, comme nous, l’amour vainqueur
Fit l’un pour l’autre.
Ah ! qu’ils soient heureux à leur tour !
Embrassons-nous pour leur amour
Et pour le nôtre !
Chère, quel ineffable émoi,
Sur ce rivage où près de moi
Tu te recueilles,
De mêler d’amoureux sanglots
Aux douces plaintes que les flots
Disent aux feuilles !
Dis, quel bonheur d’être enlacés
Par des bras forts, jamais lassés !
Avec quels charmes,
Après tous nos mortels exils,
Je savoure au bout de tes cils
De fraîches larmes !
Avril 1844.
il y a 9 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
Le vin de l’amour Accablé de soif, l’Amour
Se plaignait, pâle de rage,
A tous les bois d’alentour.
Alors il vit, sous l’ombrage,
Des enfants à l’oeil d’azur
Lui présenter un lait pur
Et les noirs raisins des treilles.
Mais il leur dit : Laissez-moi,
Vous qui jouez sans effroi,
Enfants aux lèvres vermeilles !
Petits enfants ingénus
Qui folâtrez demi-nus,
Ne touchez pas à mes armes.
Le lait pur et le doux vin
Pour moi ruissellent en vain :
Je bois du sang et des larmes.
il y a 9 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
À deux beaux yeux Vous avez un regard singulier et charmant ;
Comme la lune au fond du lac qui la reflète,
Votre prunelle, où brille une humide paillette,
Au coin de vos doux yeux roule languissamment ;
Ils semblent avoir pris ses feux au diamant ;
Ils sont de plus belle eau qu'une perle parfaite,
Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète,
Ne voilent qu'à demi leur vif rayonnement.
Mille petits amours, à leur miroir de flamme,
Se viennent regarder et s'y trouvent plus beaux,
Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux.
Ils sont si transparents, qu'ils laissent voir votre âme,
Comme une fleur céleste au calice idéal
Que l'on apercevrait à travers un cristal.
il y a 9 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Affinités secrètes Madrigal panthéiste
Dans le fronton d’un temple antique,
Deux blocs de marbre ont, trois mille ans,
Sur le fond bleu du ciel attique
Juxtaposé leurs rêves blancs ;
Dans la même nacre figées,
Larmes des flots pleurant Vénus,
Deux perles au gouffre plongées
Se sont dit des mots inconnus ;
Au frais Généralife écloses,
Sous le jet d’eau toujours en pleurs,
Du temps de Boabdil, deux roses
Ensemble ont fait jaser leurs fleurs ;
Sur les coupoles de Venise
Deux ramiers blancs aux pieds rosés,
Au nid où l’amour s’éternise
Un soir de mai se sont posés.
Marbre, perle, rose, colombe,
Tout se dissout, tout se détruit ;
La perle fond, le marbre tombe,
La fleur se fane et l’oiseau fuit.
En se quittant, chaque parcelle
S’en va dans le creuset profond
Grossir la pâte universelle
Faite des formes que Dieu fond.
Par de lentes métamorphoses,
Les marbres blancs en blanches chairs,
Les fleurs roses en lèvres roses
Se refont dans des corps divers.
Les ramiers de nouveau roucoulent
Au coeur de deux jeunes amants,
Et les perles en dents se moulent
Pour l’écrin des rires charmants.
De là naissent ces sympathies
Aux impérieuses douceurs,
Par qui les âmes averties
Partout se reconnaissent soeurs.
Docile à l’appel d’un arome,
D’un rayon ou d’une couleur,
L’atome vole vers l’atome
Comme l’abeille vers la fleur.
L’on se souvient des rêveries
Sur le fronton ou dans la mer,
Des conversations fleuries
Prés de la fontaine au flot clair,
Des baisers et des frissons d’ailes
Sur les dômes aux boules d’or,
Et les molécules fidèles
Se cherchent et s’aiment encor.
L’amour oublié se réveille,
Le passé vaguement renaît,
La fleur sur la bouche vermeille
Se respire et se reconnaît.
Dans la nacre où le rire brille,
La perle revoit sa blancheur ;
Sur une peau de jeune fille,
Le marbre ému sent sa fraîcheur.
Le ramier trouve une voix douce,
Echo de son gémissement,
Toute résistance s’émousse,
Et l’inconnu devient l’amant.
Vous devant qui je brûle et tremble,
Quel flot, quel fronton, quel rosier,
Quel dôme nous connut ensemble,
Perle ou marbre, fleur ou ramier ?
il y a 9 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Apollonie J’aime ton nom d’Apollonie,
Echo grec du sacré vallon,
Qui, dans sa robuste harmonie,
Te baptise soeur d’Apollon.
Sur la lyre au plectre d’ivoire,
Ce nom splendide et souverain,
Beau comme l’amour et la gloire,
Prend des résonances d’airain.
Classique, il fait plonger les Elfes
Au fond de leur lac allemand,
Et seule la Pythie à Delphes
Pourrait le porter dignement,
Quand relevant sa robe antique
Elle s’assoit au trépied d’or,
Et dans sa pose fatidique
Attend le dieu qui tarde encor.
il y a 9 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Cher ange, vous êtes belle Cher ange, vous êtes belle
A faire rêver d’amour,
Pour une seule étincelle
De votre vive prunelle,
Le poète tout un jour.
Air naïf de jeune fille,
Front uni, veines d’azur,
Douce haleine-de vanille,
Bouche rosée où scintille
Sur l’ivoire un rire pur ;
Pied svelte et cambré, main blanche,
Soyeuses boucles de jais,
Col de cygne qui se penche,
Flexible comme la branche
Qu’au soir caresse un vent frais ;
Vous avez, sur ma parole,
Tout ce qu’il faut pour charmer ;
Mais votre âme est si frivole,
Mais votre tête est si folle
Que l’on n’ose vous aimer.
il y a 9 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Le poème de la femme Un jour, au doux rêveur qui l'aime,
En train de montrer ses trésors,
Elle voulut lire un poème,
Le poème de son beau corps.
D'abord, superbe et triomphante
Elle vint en grand apparat,
Traînant avec des airs d'infante
Un flot de velours nacarat :
Telle qu'au rebord de sa loge
Elle brille aux Italiens,
Ecoutant passer son éloge
Dans les chants des musiciens.
Ensuite, en sa verve d'artiste,
Laissant tomber l'épais velours,
Dans un nuage de batiste
Elle ébaucha ses fiers contours.
Glissant de l'épaule à la hanche,
La chemise aux plis nonchalants,
Comme une tourterelle blanche
Vint s'abattre sur ses pieds blancs.
Pour Apelle ou pour Cléoméne,
Elle semblait, marbre de chair,
En Vénus Anadyomène
Poser nue au bord de la mer.
De grosses perles de Venise
Roulaient au lieu de gouttes d'eau,
Grains laiteux qu'un rayon irise,
Sur le frais satin de sa peau.
Oh ! quelles ravissantes choses,
Dans sa divine nudité,
Avec les strophes de ses poses,
Chantait cet hymne de beauté !
Comme les flots baisant le sable
Sous la lune aux tremblants rayons,
Sa grâce était intarissable
En molles ondulations.
Mais bientôt, lasse d'art antique,
De Phidias et de Vénus,
Dans une autre stance plastique
Elle groupe ses charmes nus.
Sur un tapis de Cachemire,
C'est la sultane du sérail,
Riant au miroir qui l'admire
Avec un rire de corail ;
La Géorgienne indolente,
Avec son souple narguilhé,
Etalant sa hanche opulente,
Un pied sous l'autre replié.
Et comme l'odalisque d'Ingres,
De ses reins cambrant les rondeurs,
En dépit des vertus malingres,
En dépit des maigres pudeurs !
Paresseuse odalisque, arrière !
Voici le tableau dans son jour,
Le diamant dans sa lumière ;
Voici la beauté dans l'amour !
Sa tête penche et se renverse ;
Haletante, dressant les seins,
Aux bras du rêve qui la berce,
Elle tombe sur ses coussins.
Ses paupières battent des ailes
Sur leurs globes d'argent bruni,
Et l'on voit monter ses prunelles
Dans la nacre de l'infini.
D'un linceul de point d'Angleterre
Que l'on recouvre sa beauté :
L'extase l'a prise à la terre ;
Elle est morte de volupté !
Que les violettes de Parme,
Au lieu des tristes fleurs des morts
Où chaque perle est une larme,
Pleurent en bouquets sur son corps !
Et que mollement on la pose
Sur son lit, tombeau blanc et doux,
Où le poète, à la nuit close,
Ira prier à deux genoux.
il y a 9 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Sérénade Sur le balcon où tu te penches
Je veux monter… efforts perdus !
Il est trop haut, et tes mains blanches
N’atteignent pas mes bras tendus.
Pour déjouer ta duègne avare,
Jette un collier, un ruban d’or ;
Ou des cordes de ta guitare
Tresse une échelle, ou bien encor…
Ôte tes fleurs, défais ton peigne,
Penche sur moi tes cheveux longs,
Torrent de jais dont le flot baigne
Ta jambe ronde et tes talons.
Aidé par cette échelle étrange,
Légèrement je gravirai,
Et jusqu’au ciel, sans être un ange,
Dans les parfums je monterai !
il y a 9 mois
Tristan Corbière
@tristanCorbiere
Fleur d’art Oui — Quel art jaloux dans Ta fine histoire !
Quels bibelots chers ! — Un bout de sonnet,
Un cœur gravé dans ta manière noire,
Des traits de canif à coups de stylet. —
Tout fier mon cœur porte à la boutonnière
Que tu lui taillas, un petit bouquet
D’immortelle rouge — Encor ta manière —
C’est du sang en fleur. Souvenir coquet.
Allons, pas de pleurs à notre mémoire !
— C’est la mâle-mort de l’amour ici —
Foin du myosotis, vieux sachet d’armoire !
Double femme, va !… Qu’un âne te braie !
Si tu n’étais fausse, eh serais-tu vraie ?…
L’amour est un duel : — Bien touché ! Merci.
il y a 9 mois
Tristan Corbière
@tristanCorbiere
Sonnet de nuit Ô croisée ensommeillée,
Dure à mes trente-six morts !
Vitre en diamant, éraillée
Par mes atroces accords !
Herse hérissant rouillée
Tes crocs où je pends et mords !
Oubliette verrouillée
Qui me renferme… dehors !
Pour Toi, Bourreau que j’encense,
L’amour n’est donc que vengeance ?…
Ton balcon : gril à braiser ?…
Ton col : collier de garotte ?…
Eh bien ! ouvre, Iscariote,
Ton judas pour un baiser !
il y a 9 mois
T
Tristan L'Hermite
@tristanLhermite
Le promenoir des deux amants Auprès de cette grotte sombre
Où l'on respire un air si doux
L'onde lutte avec les cailloux
Et la lumière avecque l'ombre.
Ces flots lassés de l'exercice
Qu'ils ont fait dessus ce gravier
Se reposent dans ce vivier
Où mourut autrefois Narcisse.
C'est un des miroirs où le faune
Vient voir si son teint cramoisi
Depuis que l'Amour l'a saisi
Ne serait point devenu jaune.
L'ombre de cette fleur vermeille
Et celle de ces joncs pendants
Paraissent être là-dedans
Les songes de l'eau qui sommeille.
Les plus aimables influences
Qui rajeunissent l'univers,
Ont relevé ces tapis verts
De fleurs de toutes les nuances.
Dans ce bois ni dans ces montagnes
Jamais chasseur ne vint encor ;
Si quelqu'un y sonne du cor,
C'est Diane avec ses compagnes.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
A celle qui est voilée Tu me parles du fond d’un rêve
Comme une âme parle aux vivants.
Comme l’écume de la grève,
Ta robe flotte dans les vents.
Je suis l’algue des flots sans nombre,
Le captif du destin vainqueur ;
Je suis celui que toute l’ombre
Couvre sans éteindre son coeur.
Mon esprit ressemble à cette île,
Et mon sort à cet océan ;
Et je suis l’habitant tranquille
De la foudre et de l’ouragan.
Je suis le proscrit qui se voile,
Qui songe, et chante, loin du bruit,
Avec la chouette et l’étoile,
La sombre chanson de la nuit.
Toi, n’es-tu pas, comme moi-même,
Flambeau dans ce monde âpre et vil,
Ame, c’est-à-dire problème,
Et femme, c’est-à-dire exil ?
Sors du nuage, ombre charmante.
O fantôme, laisse-toi voir !
Sois un phare dans ma tourmente,
Sois un regard dans mon ciel noir !
Cherche-moi parmi les mouettes !
Dresse un rayon sur mon récif,
Et, dans mes profondeurs muettes,
La blancheur de l’ange pensif !
Sois l’aile qui passe et se mêle
Aux grandes vagues en courroux.
Oh, viens ! tu dois être bien belle,
Car ton chant lointain est bien doux ;
Car la nuit engendre l’aurore ;
C’est peut-être une loi des cieux
Que mon noir destin fasse éclore
Ton sourire mystérieux !
Dans ce ténébreux monde où j’erre,
Nous devons nous apercevoir,
Toi, toute faite de lumière,
Moi, tout composé de devoir !
Tu me dis de loin que tu m’aimes,
Et que, la nuit, à l’horizon,
Tu viens voir sur les grèves blêmes
Le spectre blanc de ma maison.
Là, méditant sous le grand dôme,
Près du flot sans trêve agité,
Surprise de trouver l’atome
Ressemblant à l’immensité,
Tu compares, sans me connaître,
L’onde à l’homme, l’ombre au banni,
Ma lampe étoilant ma fenêtre
A l’astre étoilant l’infini !
Parfois, comme au fond d’une tombe,
Je te sens sur mon front fatal,
Bouche de l’Inconnu d’où tombe
Le pur baiser de l’Idéal.
A ton souffle, vers Dieu poussées,
Je sens en moi, douce frayeur,
Frissonner toutes mes pensées,
Feuilles de l’arbre intérieur.
Mais tu ne veux pas qu’on te voie ;
Tu viens et tu fuis tour à tour ;
Tu ne veux pas te nommer joie,
Ayant dit : Je m’appelle amour.
Oh ! fais un pas de plus ! Viens, entre,
Si nul devoir ne le défend ;
Viens voir mon âme dans son antre,
L’esprit lion, le coeur enfant ;
Viens voir le désert où j’habite
Seul sous mon plafond effrayant ;
Sois l’ange chez le cénobite,
Sois la clarté chez le voyant.
Change en perles dans mes décombres
Toutes mes gouttes de sueur !
Viens poser sur mes oeuvres sombres
Ton doigt d’où sort une lueur !
Du bord des sinistres ravines
Du rêve et de la vision,
J’entrevois les choses divines… –
Complète l’apparition !
Viens voir le songeur qui s’enflamme
A mesure qu’il se détruit,
Et, de jour en jour, dans son âme
A plus de mort et moins de nuit !
Viens ! viens dans ma brume hagarde,
Où naît la foi, d’où l’esprit sort,
Où confusément je regarde
Les formes obscures du sort.
Tout s’éclaire aux lueurs funèbres ;
Dieu, pour le penseur attristé,
Ouvre toujours dans les ténèbres
De brusques gouffres de clarté.
Avant d’être sur cette terre,
Je sens que jadis j’ai plané ;
J’étais l’archange solitaire,
Et mon malheur, c’est d’être né.
Sur mon âme, qui fut colombe,
Viens, toi qui des cieux as le sceau.
Quelquefois une plume tombe
Sur le cadavre d’un oiseau.
Oui, mon malheur irréparable,
C’est de pendre aux deux éléments,
C’est d’avoir en moi, misérable,
De la fange et des firmaments !
Hélas ! hélas ! c’est d’être un homme ;
C’est de songer que j’étais beau,
D’ignorer comment je me nomme,
D’être un ciel et d’être un tombeau !
C’est d’être un forçat qui promène
Son vil labeur sous le ciel bleu ;
C’est de porter la hotte humaine
Où j’avais vos ailes, mon Dieu !
C’est de traîner de la matière ;
C’est d’être plein, moi, fils du jour,
De la terre du cimetière,
Même quand je m’écrie : Amour !
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Aimons toujours ! Aimons encore Aimons toujours ! Aimons encore !
Quand l’amour s’en va, l’espoir fuit.
L’amour, c’est le cri de l’aurore,
L’amour c’est l’hymne de la nuit.
Ce que le flot dit aux rivages,
Ce que le vent dit aux vieux monts,
Ce que l’astre dit aux nuages,
C’est le mot ineffable : Aimons !
L’amour fait songer, vivre et croire.
Il a pour réchauffer le coeur,
Un rayon de plus que la gloire,
Et ce rayon c’est le bonheur !
Aime ! qu’on les loue ou les blâme,
Toujours les grand coeurs aimeront :
Joins cette jeunesse de l’âme
A la jeunesse de ton front !
Aime, afin de charmer tes heures !
Afin qu’on voie en tes beaux yeux
Des voluptés intérieures
Le sourire mystérieux !
Aimons-nous toujours davantage !
Unissons-nous mieux chaque jour.
Les arbres croissent en feuillage ;
Que notre âme croisse en amour !
Soyons le miroir et l’image !
Soyons la fleur et le parfum !
Les amants, qui, seuls sous l’ombrage,
Se sentent deux et ne sont qu’un !
Les poètes cherchent les belles.
La femme, ange aux chastes faveurs,
Aime à rafraîchir sous ses ailes
Ces grand fronts brûlants et rêveurs.
Venez à nous, beautés touchantes !
Viens à moi, toi, mon bien, ma loi !
Ange ! viens à moi quand tu chantes,
Et, quand tu pleures, viens à moi !
Nous seuls comprenons vos extases.
Car notre esprit n’est point moqueur ;
Car les poètes sont les vases
Où les femmes versent leur coeurs.
Moi qui ne cherche dans ce monde
Que la seule réalité,
Moi qui laisse fuir comme l’onde
Tout ce qui n’est que vanité,
Je préfère aux biens dont s’enivre
L’orgueil du soldat ou du roi,
L’ombre que tu fais sur mon livre
Quand ton front se penche sur moi.
Toute ambition allumée
Dans notre esprit, brasier subtil,
Tombe en cendre ou vole en fumée,
Et l’on se dit : » Qu’en reste-t-il ? «
Tout plaisir, fleur à peine éclose
Dans notre avril sombre et terni,
S’effeuille et meurt, lis, myrte ou rose,
Et l’on se dit : » C’est donc fini ! «
L’amour seul reste. Ô noble femme
Si tu veux dans ce vil séjour,
Garder ta foi, garder ton âme,
Garder ton Dieu, garde l’amour !
Conserve en ton coeur, sans rien craindre,
Dusses-tu pleurer et souffrir,
La flamme qui ne peut s’éteindre
Et la fleur qui ne peut mourir !
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Amour Amour ! « Loi, » dit Jésus. « Mystère, » dit Platon.
Sait-on quel fil nous lie au firmament ? Sait-on
Ce que les mains de Dieu dans l'immensité sèment ?
Est-on maître d'aimer ? pourquoi deux êtres s'aiment,
Demande à l'eau qui court, demande à l'air qui fuit,
Au moucheron qui vole à la flamme la nuit,
Au rayon d'or qui veut baiser la grappe mûre !
Demande à ce qui chante, appelle, attend, murmure !
Demande aux nids profonds qu'avril met en émoi
Le cœur éperdu crie : « Est-ce que je sais, moi ?
Cette femme a passé : je suis fou. C'est l'histoire.
Ses cheveux étaient blonds, sa prunelle était noire ;
En plein midi, joyeuse, une fleur au corset,
Illumination du jour, elle passait ;
Elle allait, la charmante, et riait, la superbe ;
Ses petits pieds semblaient chuchoter avec l'herbe ;
Un oiseau bleu volait dans l'air, et me parla ;
Et comment voulez-vous que j'échappe à cela ?
Est-ce que je sais, moi ? c'était au temps des roses ;
Les arbres se disaient tout bas de douces choses ;
Les ruisseaux l'ont voulu, les fleurs l'ont comploté.
J'aime ! » Ô Bodin, Vouglans, Delancre ! prévôté,
Bailliage, châtelet, grand'chambre, saint-office,
Demandez le secret de ce doux maléfice
Aux vents, au frais printemps chassant l'hiver hagard,
Au philtre qu'un regard boit dans l'autre regard,
Au sourire qui rêve, à la voix qui caresse,
À ce magicien, à cette charmeresse !
Demandez aux sentiers traîtres qui, dans les bois,
Vous font recommencer les mêmes pas cent fois,
À la branche de mai, cette Armide qui guette,
Et fait tourner sur nous en cercle sa baguette !
Demandez à la vie, à la nature, aux cieux,
Au vague enchantement des champs mystérieux !
Exorcisez le pré tentateur, l'antre, l'orme !
Faite, Cujas au poing, un bon procès en forme
Aux sources dont le cœur écoute les sanglots,
Au soupir éternel des forêts et des flots.
Dressez procès-verbal contre les pâquerettes
Qui laissent les bourdons froisser leurs collerettes ;
Instrumentez ; tonnez. Prouvez que deux amants
Livraient leur âme aux fleurs, aux bois, aux lacs dormants,
Et qu'ils ont fait un pacte avec la lune sombre,
Avec l'illusion, l'espérance aux yeux d'ombre,
Et l'extase chantant des hymnes inconnus,
Et qu'ils allaient tous deux, dès que brillait Vénus,
Sur l'herbe que la brise agite par bouffées,
Danser au bleu sabbat de ces nocturnes fées,
Éperdus, possédés d'un adorable ennui,
Elle n'étant plus elle et lui n'étant plus lui !
Quoi ! nous sommes encore aux temps où la Tournelle,
Déclarant la magie impie et criminelle,
Lui dressait un bûcher par arrêt de la cour,
Et le dernier sorcier qu'on brûle, c'est l'Amour !
Juillet 1843.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Amour secret Ô toi d'où me vient ma pensée,
Sois fière devant le Seigneur !
Relève ta tête abaissée,
Ô toi d'où me vient mon bonheur !
Quand je traverse cette lieue
Qui nous sépare, au sein des nuits,
Ta patrie étoilée et bleue
Rayonne à mes yeux éblouis.
C'est l'heure où cent lampes en flammes
Brillent aux célestes plafonds ;
L'heure où les astres et les âmes
Échangent des regards profonds.
Je sonde alors ta destinée,
Je songe à toi, qui viens des cieux,
A toi, grande âme emprisonnée,
A toi, grand coeur mystérieux !
Noble femme, reine asservie,
Je rêve à ce sort envieux
Qui met tant d'ombre dans ta vie,
Tant de lumière dans tes yeux
Moi, je te connais tout entière
Et je te contemple à genoux ;
Mais autour de tant de lumière
Pourquoi tant d'ombre, ô sort jaloux ?
Dieu lui donna tout, hors l'aumône
Qu'il fait à tous dans sa bonté ;
Le ciel qui lui devait un trône
Lui refusa la liberté.
Oui, ton aile, que le bocage,
Que l'air joyeux réclame en vain,
Se brise aux barreaux d'une cage,
Pauvre grande âme, oiseau divin !
Bel ange, un joug te tient captive,
Cent préjugés sont ta prison,
Et ton attitude pensive,
Hélas, attriste ta maison.
Tu te sens prise par le monde
Qui t'épie, injuste et mauvais.
Dans ton amertume profonde
Souvent tu dis : si je pouvais !
Mais l'amour en secret te donne
Ce qu'il a de pur et de beau,
Et son invisible couronne,
Et son invisible flambeau !
Flambeau qui se cache à l'envie,
Qui luit, splendide et clandestin,
Et qui n'éclaire de la vie
Que l'intérieur du destin.
L'amour te donne, ô douce femme,
Ces plaisirs où rien n'est amer,
Et ces regards où toute l'âme
Apparaît dans un seul éclair,
Et le sourire, et la caresse,
L'entretien furtif et charmant,
Et la mélancolique ivresse
D'un ineffable épanchement,
Et les traits chéris d'un visage,
Ombre qu'on aime et qui vous suit,
Qu'on voit le jour dans le nuage,
Qu'on voit dans le rêve la nuit,
Et les extases solitaires,
Quand tous deux nous nous asseyons
Sous les rameaux pleins de mystères
Au fond des bois pleins de rayons ;
Purs transports que la foule ignore,
Et qui font qu'on a d'heureux jours
Tant qu'on peut espérer encore
Ce dont on se souvient toujours.
Va, sèche ton bel oeil qui pleure,
Ton sort n'est pas déshérité.
Ta part est encor la meilleure,
Ne te plains pas, ô ma beauté !
Ce qui manque est bien peu de chose
Quand on est au printemps vermeil,
Et quand on vit comme la rose
De parfums, d'ombre et de soleil.
Laisse donc, ô ma douce muse,
Sans le regretter un seul jour,
Ce que le destin te refuse
Pour ce que te donne l'amour !
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Claire Quoi donc ! la vôtre aussi ! la vôtre suit la mienne !
O mère au coeur profond, mère, vous avez beau
Laisser la porte ouverte afin qu’elle revienne,
Cette pierre là-bas dans l’herbe est un tombeau !
La mienne disparut dans les flots qui se mêlent ;
Alors, ce fut ton tour, Claire, et tu t’envolas.
Est-ce donc que là-haut dans l’ombre elles s’appellent,
Qu’elles s’en vont ainsi l’une après l’autre, hélas ?
Enfant qui rayonnais, qui chassais la tristesse,
Que ta mère jadis berçait de sa chanson,
Qui d’abord la charmas avec ta petitesse
Et plus tard lui remplis de clarté l’horizon,
Voilà donc que tu dors sous cette pierre grise !
Voilà que tu n’es plus, ayant à peine été !
L’astre attire le lys, et te voilà reprise,
O vierge, par l’azur, cette virginité !
Te voilà remontée au firmament sublime,
Échappée aux grands cieux comme la grive aux bois,
Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongée à l’abîme
Des rayons, des amours, des parfums et des voix !
Nous ne t’entendrons plus rire en notre nuit noire.
Nous voyons seulement, comme pour nous bénir,
Errer dans notre ciel et dans notre mémoire
Ta figure, nuage, et ton nom, souvenir !
Pressentais-tu déjà ton sombre épithalame ?
Marchant sur notre monde à pas silencieux,
De tous les idéals tu composais ton âme,
Comme si tu faisais un bouquet pour les cieux !
En te voyant si calme et toute lumineuse,
Les coeurs les plus saignants ne haïssaient plus rien.
Tu passais parmi nous comme Ruth la glaneuse ,
Et, comme Ruth l’épi, tu ramassais le bien.
La nature, ô front pur, versait sur toi sa grâce,
L’aurore sa candeur, et les champs leur bonté ;
Et nous retrouvions, nous sur qui la douleur passe,
Toute cette douceur dans toute ta beauté !
Chaste, elle paraissait ne pas être autre chose
Que la forme qui sort des cieux éblouissants ;
Et de tous les rosiers elle semblait la rose,
Et de tous les amours elle semblait l’encens.
Ceux qui n’ont pas connu cette charmante fille
Ne peuvent pas savoir ce qu’était ce regard
Transparent comme l’eau qui s’égaie et qui brille
Quand l’étoile surgit sur l’océan hagard.
Elle était simple, franche, humble, naïve et bonne ;
Chantant à demi-voix son chant d’illusion,
Ayant je ne sais quoi dans toute sa personne
De vague et de lointain comme la vision.
On sentait qu’elle avait peu de temps sur la terre,
Qu’elle n’apparaissait que pour s’évanouir,
Et qu’elle acceptait peu sa vie involontaire ;
Et la tombe semblait par moments l’éblouir.
Elle a passé dans l’ombre où l’homme se résigne ;
Le vent sombre soufflait ; elle a passé sans bruit,
Belle, candide, ainsi qu’une plume de cygne
Qui reste blanche, même en traversant la nuit !
Elle s’en est allée à l’aube qui se lève,
Lueur dans le matin, vertu dans le ciel bleu,
Bouche qui n’a connu que le baiser du rêve,
Ame qui n’a dormi que dans le lit de Dieu !
Nous voici maintenant en proie aux deuils sans bornes,
Mère, à genoux tous deux sur des cercueils sacrés,
Regardant à jamais dans les ténèbres mornes
La disparition des êtres adorés !
Croire qu’ils resteraient ! quel songe ! Dieu les presse.
Même quand leurs bras blancs sont autour de nos cous,
Un vent du ciel profond fait frissonner sans cesse
Ces fantômes charmants que nous croyons à nous.
Ils sont là, près de nous, jouant sur notre route ;
Ils ne dédaignent pas notre soleil obscur,
Et derrière eux, et sans que leur candeur s’en doute,
Leurs ailes font parfois de l’ombre sur le mur.
Ils viennent sous nos toits ; avec nous ils demeurent ;
Nous leur disons : Ma fille, ou : Mon fils ; ils sont doux,
Riants, joyeux, nous font une caresse, et meurent. –
O mère, ce sont là les anges, voyez-vous !
C’est une volonté du sort, pour nous sévère,
Qu’ils rentrent vite au ciel resté pour eux ouvert ;
Et qu’avant d’avoir mis leur lèvre à notre verre,
Avant d’avoir rien fait et d’avoir rien souffert,
Ils partent radieux ; et qu’ignorant l’envie,
L’erreur, l’orgueil, le mal, la haine, la douleur,
Tous ces êtres bénis s’envolent de la vie
A l’âge où la prunelle innocente est en fleur !
Nous qui sommes démons ou qui sommes apôtres,
Nous devons travailler, attendre, préparer ;
Pensifs, nous expions pour nous-même ou pour d’autres ;
Notre chair doit saigner, nos yeux doivent pleurer.
Eux, ils sont l’air qui fuit, l’oiseau qui ne se pose
Qu’un instant, le soupir qui vole, avril vermeil
Qui brille et passe ; ils sont le parfum de la rose
Qui va rejoindre aux cieux le rayon du soleil !
Ils ont ce grand dégoût mystérieux de l’âme
Pour notre chair coupable et pour notre destin ;
Ils ont, êtres rêveurs qu’un autre azur réclame,
Je ne sais quelle soif de mourir le matin !
Ils sont l’étoile d’or se couchant dans l’aurore,
Mourant pour nous, naissant pour l’autre firmament ;
Car la mort, quand un astre en son sein vient éclore,
Continue, au delà, l’épanouissement !
Oui, mère, ce sont là les élus du mystère,
Les envoyés divins, les ailés, les vainqueurs,
A qui Dieu n’a permis que d’effleurer la terre
Pour faire un peu de joie à quelques pauvres coeurs.
Comme l’ange à Jacob, comme Jésus à Pierre,
Ils viennent jusqu’à nous qui loin d’eux étouffons,
Beaux, purs, et chacun d’eux portant sous sa paupière
La sereine clarté des paradis profonds.
Puis, quand ils ont, pieux, baisé toutes nos plaies,
Pansé notre douleur, azuré nos raisons,
Et fait luire un moment l’aube à travers nos claies,
Et chanté la chanson du ciel dam nos maisons,
Ils retournent là-haut parler à Dieu des hommes,
Et, pour lui faire voir quel est notre chemin,
Tout ce que nous souffrons et tout ce que nous sommes,
S’en vont avec un peu de terre dans la main.
Ils s’en vont ; c’est tantôt l’éclair qui les emporte,
Tantôt un mal plus fort que nos soins superflus.
Alors, nous, pâles, froids, l’oeil fixé sur la porte,
Nous ne savons plus rien, sinon qu’ils ne sont plus.
Nous disons : – A quoi bon l’âtre sans étincelles ?
A quoi bon la maison où ne sont plus leurs pas ?
A quoi bon la ramée où ne sont plus les ailes ?
Qui donc attendons-nous s’ils ne reviendront pas ? –
Ils sont partis, pareils au bruit qui sort des lyres.
Et nous restons là, seuls, près du gouffre où tout fuit,
Tristes ; et la lueur de leurs charmants sourires
Parfois nous apparaît vaguement dans la nuit.
Car ils sont revenus, et c’est là le mystère ;
Nous entendons quelqu’un flotter, un souffle errer,
Des robes effleurer notre seuil solitaire,
Et cela fait alors que nous pouvons pleurer.
Nous sentons frissonner leurs cheveux dans notre ombre ;
Nous sentons, lorsqu’ayant la lassitude en nous,
Nous nous levons après quelque prière sombre,
Leurs blanches mains toucher doucement nos genoux.
Ils nous disent tout bas de leur voix la plus tendre :
« Mon père, encore un peu ! ma mère, encore un jour !
« M’entends-tu ? je suis là, je reste pour t’attendre
« Sur l’échelon d’en bas de l’échelle d’amour.
« Je t’attends pour pouvoir nous en aller ensemble.
« Cette vie est amère, et tu vas en sortir.
« Pauvre coeur, ne crains rien, Dieu vit ! la mort rassemble.
« Tu redeviendras ange ayant été martyr. »
Oh ! quand donc viendrez-vous ? Vous retrouver, c’est naître.
Quand verrons-nous, ainsi qu’un idéal flambeau,
La douce étoile mort, rayonnante, apparaître
A ce noir horizon qu’on nomme le tombeau ?
Quand nous en irons-nous où vous êtes, colombes !
Où sont les enfants morts et les printemps enfuis,
Et tous les chers amours dont nous sommes les tombes,
Et toutes les clartés dont nous sommes les nuits ?
Vers ce grand ciel clément où sont tous les dictames,
Les aimés, les absents, les êtres purs et doux,
Les baisers des esprits et les regards des âmes,
Quand nous en irons-nous ? quand nous en irons-nous ?
Quand nous en irons-nous où sont l’aube et la foudre ?
Quand verrons-nous, déjà libres, hommes encor,
Notre chair ténébreuse en rayons se dissoudre,
Et nos pieds faits de nuit éclore en ailes d’or ?
Quand nous enfuirons-nous dans la joie infinie
Où les hymnes vivants sont des anges voilés,
Où l’on voit, à travers l’azur de l’harmonie,
La strophe bleue errer sur les luths étoilés ?
Quand viendrez-vous chercher notre humble coeur qui sombre ?
Quand nous reprendrez-vous à ce monde charnel,
Pour nous bercer ensemble aux profondeurs de l’ombre,
Sous l’éblouissement du regard éternel ?
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Crépuscule L’étang mystérieux, suaire aux blanches moires,
Frisonne; au fond du bois la clairière apparaît ;
Les arbres sont profonds et les branches sont noires ;
Avez-vous vu Vénus à travers la forêt ?
Avez-vous vu Vénus au sommet des collines ?
Vous qui passez dans l’ombre, êtes-vous des amants ?
Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines;
L’herbe s’éveille et parle aux sépulcres dormants.
Que dit-il, le brin d’herbe ? et que répond la tombe ?
Aimez, vous qui vivez ! on a froid sous les ifs.
Lèvre, cherche la bouche ! aimez-vous ! la nuit tombe;
Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs.
Dieu veut qu’on ait aimé. Vivez ! faites envie,
O couples qui passez sous le vert coudrier.
Tout ce que dans la tombe, en sortant de la vie,
On emporta d’amour, on l’emploie à prier.
Les mortes d’aujourd’hui furent jadis les belles.
Le ver luisant dans l’ombre erre avec son flambeau.
Le vent fait tressaillir, au milieu des javelles,
Le brin d’herbe, et Dieu fait tressaillir le tombeau.
La forme d’un toit noir dessine une chaumière;
On entend dans les prés le pas lourd du faucheur;
L’étoile aux cieux, ainsi qu’une fleur de lumière,
Ouvre et fait rayonner sa splendide fraîcheur.
Aimez-vous ! c’est le mois où les fraises sont mûres.
L’ange du soir rêveur, qui flotte dans les vents,
Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures,
Les prières des morts aux baisers des vivants.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Hier, la nuit d'été Hier, la nuit d'été, qui nous prêtait ses voiles,
Etait digne de toi, tant elle avait d'étoiles !
Tant son calme était frais ! tant son souffle était doux !
Tant elle éteignait bien ses rumeurs apaisées !
Tant elle répandait d'amoureuses rosées
Sur les fleurs et sur nous !
Moi, j'étais devant toi, plein de joie et de flamme,
Car tu me regardais avec toute ton âme !
J'admirais la beauté dont ton front se revêt.
Et sans même qu'un mot révélât ta pensée,
La tendre rêverie en ton cœur commencée
Dans mon cœur s'achevait !
Et je bénissais Dieu, dont la grâce infinie
Sur la nuit et sur toi jeta tant d'harmonie,
Qui, pour me rendre calme et pour me rendre heureux,
Vous fit, la nuit et toi, si belles et si pures,
Si pleines de rayons, de parfums, de murmures,
Si douces toutes deux !
Oh oui, bénissons Dieu dans notre foi profonde !
C'est lui qui fit ton âme et qui créa le monde !
Lui qui charme mon cœur ! lui qui ravit mes yeux !
C'est lui que je retrouve au fond de tout mystère !
C'est lui qui fait briller ton regard sur la terre
Comme l'étoile aux cieux !
C'est Dieu qui mit l'amour au bout de toute chose,
L'amour en qui tout vit, l'amour sur qui tout pose !
C'est Dieu qui fait la nuit plus belle que le jour.
C'est Dieu qui sur ton corps, ma jeune souveraine,
A versé la beauté, comme une coupe pleine,
Et dans mon cœur l'amour !
Laisse-toi donc aimer ! — Oh ! l'amour, c'est la vie.
C'est tout ce qu'on regrette et tout ce qu'on envie
Quand on voit sa jeunesse au couchant décliner.
Sans lui rien n'est complet, sans lui rien ne rayonne.
La beauté c'est le front, l'amour c'est la couronne :
Laisse-toi couronner !
Ce qui remplit une âme, hélas ! tu peux m'en croire,
Ce n'est pas un peu d'or, ni même un peu de gloire,
Poussière que l'orgueil rapporte des combats,
Ni l'ambition folle, occupée aux chimères,
Qui ronge tristement les écorces amères
Des choses d'ici-bas ;
Non, il lui faut, vois-tu, l'hymen de deux pensées,
Les soupirs étouffés, les mains longtemps pressées,
Le baiser, parfum pur, enivrante liqueur,
Et tout ce qu'un regard dans un regard peut lire,
Et toutes les chansons de cette douce lyre
Qu'on appelle le cœur !
Il n'est rien sous le ciel qui n'ait sa loi secrète,
Son lieu cher et choisi, son abri, sa retraite,
Où mille instincts profonds nous fixent nuit et jour ;
Le pêcheur a la barque où l'espoir l'accompagne,
Les cygnes ont le lac, les aigles la montagne,
Les âmes ont l'amour !
Le 21 mai 1833.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Je prendrai par la main les deux petits enfants Je prendrai par la main les deux petits enfants ;
J’aime les bois où sont les chevreuils et les faons,
Où les cerfs tachetés suivent les biches blanches
Et se dressent dans l’ombre effrayés par les branches ;
Car les fauves sont pleins d’une telle vapeur
Que le frais tremblement des feuilles leur fait peur.
Les arbres ont cela de profond qu’ils vous montrent
Que l’éden seul est vrai, que les coeurs s’y rencontrent,
Et que, hors les amours et les nids, tout est vain ;
Théocrite souvent dans le hallier divin
Crut entendre marcher doucement la ménade.
C’est là que je ferai ma lente promenade
Avec les deux marmots. J’entendrai tour à tour
Ce que Georges conseille à Jeanne, doux amour,
Et ce que Jeanne enseigne à George. En patriarche
Que mènent les enfants, je réglerai ma marche
Sur le temps que prendront leurs jeux et leurs repas,
Et sur la petitesse aimable de leurs pas.
Ils cueilleront des fleurs, ils mangeront des mûres.
Ô vaste apaisement des forêts ! ô murmures !
Avril vient calmer tout, venant tout embaumer.
Je n’ai point d’autre affaire ici-bas que d’aimer.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Je respire où tu palpites Je respire où tu palpites,
Tu sais ; à quoi bon, hélas !
Rester là si tu me quittes,
Et vivre si tu t’en vas ?
A quoi bon vivre, étant l’ombre
De cet ange qui s’enfuit ?
A quoi bon, sous le ciel sombre,
N’être plus que de la nuit ?
Je suis la fleur des murailles
Dont avril est le seul bien.
Il suffit que tu t’en ailles
Pour qu’il ne reste plus rien.
Tu m’entoures d’Auréoles;
Te voir est mon seul souci.
Il suffit que tu t’envoles
Pour que je m’envole aussi.
Si tu pars, mon front se penche ;
Mon âme au ciel, son berceau,
Fuira, dans ta main blanche
Tu tiens ce sauvage oiseau.
Que veux-tu que je devienne
Si je n’entends plus ton pas ?
Est-ce ta vie ou la mienne
Qui s’en va ? Je ne sais pas.
Quand mon orage succombe,
J’en reprends dans ton coeur pur ;
Je suis comme la colombe
Qui vient boire au lac d’azur.
L’amour fait comprendre à l’âme
L’univers, salubre et béni ;
Et cette petite flamme
Seule éclaire l’infini
Sans toi, toute la nature
N’est plus qu’un cachot fermé,
Où je vais à l’aventure,
Pâle et n’étant plus aimé.
Sans toi, tout s’effeuille et tombe ;
L’ombre emplit mon noir sourcil ;
Une fête est une tombe,
La patrie est un exil.
Je t’implore et réclame ;
Ne fuis pas loin de mes maux,
O fauvette de mon âme
Qui chantes dans mes rameaux !
De quoi puis-je avoir envie,
De quoi puis-je avoir effroi,
Que ferai-je de la vie
Si tu n’es plus près de moi ?
Tu portes dans la lumière,
Tu portes dans les buissons,
Sur une aile ma prière,
Et sur l’autre mes chansons.
Que dirai-je aux champs que voile
L’inconsolable douleur ?
Que ferai-je de l’étoile ?
Que ferai-je de la fleur ?
Que dirai-je au bois morose
Qu’illuminait ta douceur ?
Que répondrai-je à la rose
Disant : » Où donc est ma soeur ? »
J’en mourrai ; fuis, si tu l’oses.
A quoi bon, jours révolus !
Regarder toutes ces choses
Qu’elle ne regarde plus ?
Que ferai-je de la lyre,
De la vertu, du destin ?
Hélas ! et, sans ton sourire,
Que ferai-je du matin ?
Que ferai-je, seul, farouche,
Sans toi, du jour et des cieux,
De mes baisers sans ta bouche,
Et de mes pleurs sans tes yeux !
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Le doigt de la femme Dieu prit sa plus molle argile
Et son plus pur kaolin,
Et fit un bijou fragile,
Mystérieux et câlin.
Il fit le doigt de la femme,
Chef-d’œuvre auguste et charmant,
Ce doigt fait pour toucher l’âme
Et montrer le firmament.
Il mit dans ce doigt le reste
De la lueur qu’il venait
D’employer au front céleste
De l’heure où l’aurore naît.
Il y mit l’ombre du voile,
Le tremblement du berceau,
Quelque chose de l’étoile,
Quelque chose de l’oiseau.
Le Père qui nous engendre
Fit ce doigt mêlé d’azur,
Très fort pour qu’il restât tendre,
Très blanc pour qu’il restât pur,
Et très doux, afin qu’en somme
Jamais le mal n’en sortît,
Et qu’il pût sembler à l’homme
Le doigt de Dieu, plus petit.
Il en orna la main d’Ève,
Cette frêle et chaste main
Qui se pose comme un rêve
Sur le front du genre humain.
Cette humble main ignorante,
Guide de l’homme incertain,
Qu’on voit trembler, transparente,
Sur la lampe du destin.
Oh ! dans ton apothéose,
Femme, ange aux regards baissés,
La beauté, c’est peu de chose,
La grâce n’est pas assez ;
Il faut aimer. Tout soupire,
L’onde, la fleur, l’alcyon ;
La grâce n’est qu’un sourire,
La beauté n’est qu’un rayon ;
Dieu, qui veut qu’Ève se dresse
Sur notre rude chemin,
Fit pour l’amour la caresse,
Pour la caresse ta main.
Dieu, lorsque ce doigt qu’on aime
Sur l’argile fut conquis,
S’applaudit, car le suprême
Est fier de créer l’exquis.
Ayant fait ce doigt sublime,
Dieu dit aux anges : Voilà !
Puis s’endormit dans l’abîme ;
Le diable alors s’éveilla.
Dans l’ombre où Dieu se repose,
Il vint, noir sur l’orient,
Et tout au bout du doigt rose
Mit un ongle en souriant.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Lise J’avais douze ans ; elle en avait bien seize.
Elle était grande, et, moi, j’étais petit.
Pour lui parler le soir plus à mon aise,
Moi, j’attendais que sa mère sortît ;
Puis je venais m’asseoir près de sa chaise
Pour lui parler le soir plus à mon aise.
Que de printemps passés avec leurs fleurs !
Que de feux morts, et que de tombes closes !
Se souvient-on qu’il fut jadis des coeurs ?
Se souvient-on qu’il fut jadis des roses ?
Elle m’aimait. Je l’aimais. Nous étions
Deux purs enfants, deux parfums, deux rayons.
Dieu l’avait faite ange, fée et princesse.
Comme elle était bien plus grande que moi,
Je lui faisais des questions sans cesse
Pour le plaisir de lui dire : Pourquoi ?
Et par moments elle évitait, craintive,
Mon oeil rêveur qui la rendait pensive.
Puis j’étalais mon savoir enfantin,
Mes jeux, la balle et la toupie agile ;
J’étais tout fier d’apprendre le latin ;
Je lui montrais mon Phèdre et mon Virgile ;
Je bravais tout; rien ne me faisait mal ;
Je lui disais : Mon père est général.
Quoiqu’on soit femme, il faut parfois qu’on lise
Dans le latin, qu’on épelle en rêvant ;
Pour lui traduire un verset, à l’église,
Je me penchais sur son livre souvent.
Un ange ouvrait sur nous son aile blanche,
Quand nous étions à vêpres le dimanche.
Elle disait de moi : C’est un enfant !
Je l’appelais mademoiselle Lise.
Pour lui traduire un psaume, bien souvent,
Je me penchais sur son livre à l’église ;
Si bien qu’un jour, vous le vîtes, mon Dieu !
Sa joue en fleur toucha ma lèvre en feu.
Jeunes amours, si vite épanouies,
Vous êtes l’aube et le matin du coeur.
Charmez l’enfant, extases inouïes !
Et quand le soir vient avec la douleur,
Charmez encor nos âmes éblouies,
Jeunes amours, si vite épanouies !
Mai 1843
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Novembre Je lui dis : La rose du jardin, comme tu sais, dure peu ;
et la saison des roses est bien vite écoulée.
SADI.
Quand l’Automne, abrégeant les jours qu’elle dévore,
Éteint leurs soirs de flamme et glace leur aurore,
Quand Novembre de brume inonde le ciel bleu,
Que le bois tourbillonne et qu’il neige des feuilles,
Ô ma muse ! en mon âme alors tu te recueilles,
Comme un enfant transi qui s’approche du feu.
Devant le sombre hiver de Paris qui bourdonne,
Ton soleil d’orient s’éclipse, et t’abandonne,
Ton beau rêve d’Asie avorte, et tu ne vois
Sous tes yeux que la rue au bruit accoutumée,
Brouillard à ta fenêtre, et longs flots de fumée
Qui baignent en fuyant l’angle noirci des toits.
Alors s’en vont en foule et sultans et sultanes,
Pyramides, palmiers, galères capitanes,
Et le tigre vorace et le chameau frugal,
Djinns au vol furieux, danses des bayadères,
L’Arabe qui se penche au cou des dromadaires,
Et la fauve girafe au galop inégal !
Alors, éléphants blancs chargés de femmes brunes,
Cités aux dômes d’or où les mois sont des lunes,
Imans de Mahomet, mages, prêtres de Bel,
Tout fuit, tout disparaît : – plus de minaret maure,
Plus de sérail fleuri, plus d’ardente Gomorrhe
Qui jette un reflet rouge au front noir de Babel !
C’est Paris, c’est l’hiver. – A ta chanson confuse
Odalisques, émirs, pachas, tout se refuse.
Dans ce vaste Paris le klephte est à l’étroit ;
Le Nil déborderait ; les roses du Bengale
Frissonnent dans ces champs où se tait la cigale ;
A ce soleil brumeux les Péris auraient froid.
Pleurant ton Orient, alors, muse ingénue,
Tu viens à moi, honteuse, et seule, et presque nue.
– N’as-tu pas, me dis-tu, dans ton coeur jeune encor
Quelque chose à chanter, ami ? car je m’ennuie
A voir ta blanche vitre où ruisselle la pluie,
Moi qui dans mes vitraux avais un soleil d’or !
Puis, tu prends mes deux mains dans tes mains diaphanes ;
Et nous nous asseyons, et, loin des yeux profanes,
Entre mes souvenirs je t’offre les plus doux,
Mon jeune âge, et ses jeux, et l’école mutine,
Et les serments sans fin de la vierge enfantine,
Aujourd’hui mère heureuse aux bras d’un autre époux.
Je te raconte aussi comment, aux Feuillantines,
Jadis tintaient pour moi les cloches argentines ;
Comment, jeune et sauvage, errait ma liberté,
Et qu’à dix ans, parfois, resté seul à la brune,
Rêveur, mes yeux cherchaient les deux yeux de la lune,
Comme la fleur qui s’ouvre aux tièdes nuits d’été.
Puis tu me vois du pied pressant l’escarpolette
Qui d’un vieux marronnier fait crier le squelette,
Et vole, de ma mère éternelle terreur !
Puis je te dis les noms de mes amis d’Espagne,
Madrid, et son collège où l’ennui t’accompagne,
Et nos combats d’enfants pour le grand Empereur !
Puis encor mon bon père, ou quelque jeune fille
Morte à quinze ans, à l’âge où l’oeil s’allume et brille.
Mais surtout tu te plais aux premières amours,
Frais papillons dont l’aile, en fuyant rajeunie,
Sous le doigt qui la fixe est si vite ternie,
Essaim doré qui n’a qu’un jour dans tous nos jours.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Premier Mai Tout conjugue le verbe aimer. Voici les roses.
Je ne suis pas en train de parler d’autres choses.
Premier mai ! l’amour gai, triste, brûlant, jaloux,
Fait soupirer les bois, les nids, les fleurs, les loups ;
L’arbre où j’ai, l’autre automne, écrit une devise,
La redit pour son compte et croit qu’il l’improvise ;
Les vieux antres pensifs, dont rit le geai moqueur,
Clignent leurs gros sourcils et font la bouche en coeur ;
L’atmosphère, embaumée et tendre, semble pleine
Des déclarations qu’au Printemps fait la plaine,
Et que l’herbe amoureuse adresse au ciel charmant.
A chaque pas du jour dans le bleu firmament,
La campagne éperdue, et toujours plus éprise,
Prodigue les senteurs, et dans la tiède brise
Envoie au renouveau ses baisers odorants ;
Tous ses bouquets, azurs, carmins, pourpres, safrans,
Dont l’haleine s’envole en murmurant : Je t’aime !
Sur le ravin, l’étang, le pré, le sillon même,
Font des taches partout de toutes les couleurs ;
Et, donnant les parfums, elle a gardé les fleurs ;
Comme si ses soupirs et ses tendres missives
Au mois de mai, qui rit dans les branches lascives,
Et tous les billets doux de son amour bavard,
Avaient laissé leur trace aux pages du buvard !
Les oiseaux dans les bois, molles voix étouffées,
Chantent des triolets et des rondeaux aux fées ;
Tout semble confier à l’ombre un doux secret ;
Tout aime, et tout l’avoue à voix basse ; on dirait
Qu’au nord, au sud brûlant, au couchant, à l’aurore,
La haie en fleur, le lierre et la source sonore,
Les monts, les champs, les lacs et les chênes mouvants,
Répètent un quatrain fait par les quatre vents.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
Puisque j'ai mis ma lèvre à ta coupe encor pleine Puisque j'ai mis ma lèvre à ta coupe encor pleine ;
Puisque j'ai dans tes mains posé mon front pâli ;
Puisque j'ai respiré parfois la douce haleine
De ton âme, parfum dans l'ombre enseveli ;
Puisqu'il me fut donné de t'entendre me dire
Les mots où se répand le cœur mystérieux ;
Puisque j'ai vu pleurer, puisque j'ai vu sourire
Ta bouche sur ma bouche et tes yeux sur mes yeux ;
Puisque j'ai vu briller sur ma tête ravie
Un rayon de ton astre, hélas ! voilé toujours ;
Puisque j'ai vu tomber dans l'onde de ma vie
Une feuille de rose arrachée à tes jours ;
Je puis maintenant dire aux rapides années :
- Passez ! passez toujours ! je n'ai plus à vieillir !
Allez-vous-en avec vos fleurs toutes fanées ;
J'ai dans l'âme une fleur que nul ne peut cueillir !
Votre aile en le heurtant ne fera rien répandre
Du vase où je m'abreuve et que j'ai bien rempli.
Mon âme a plus de feu que vous n'avez de cendre !
Mon cœur a plus d'amour que vous n'avez d'oubli !
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
À cette terre, où l'on ploie À cette terre, où l'on ploie
Sa tente au déclin du jour,
Ne demande pas la joie.
Contente-toi de l'amour !
Excepté lui, tout s'efface.
La vie est un sombre lieu
Où chaque chose qui passe
Ébauche l'homme pour Dieu.
L'homme est l'arbre à qui la sève
Manque avant qu'il soit en fleur.
Son sort jamais ne s'achève
Que du côté du malheur.
Tous cherchent la joie ensemble ;
L'esprit rit à tout venant ;
Chacun tend sa main qui tremble
Vers quelque objet rayonnant.
Mais vers toute âme, humble ou fière,
Le malheur monte à pas lourds,
Comme un spectre aux pieds de pierre ;
Le reste flotte toujours !
Tout nous manque, hormis la peine !
Le bonheur, pour l'homme en pleurs,
N'est qu'une figure vaine
De choses qui sont ailleurs.
L'espoir c'est l'aube incertaine ;
Sur notre but sérieux
C'est la dorure lointaine
D'un rayon mystérieux.
C'est le reflet, brume ou flamme,
Que dans leur calme éternel
Versent d'en haut sur notre âme
Les félicités du ciel.
Ce sont les visions blanches
Qui, jusqu'à nos yeux maudits,
Viennent à travers les branches
Des arbres du paradis !
C'est l'ombre que sur nos grèves
Jettent ces arbres charmants
Dont l'âme entend dans ses rêves
Les vagues frissonnements !
Ce reflet des biens sans nombre,
Nous l'appelons le bonheur ;
Et nous voulons saisir l'ombre
Quand la chose est au Seigneur !
Va, si haut nul ne s'élève ;
Sur terre il faut demeurer ;
On sourit de ce qu'on rêve,
Mais ce qu'on a, fait pleurer.
Puisqu'un Dieu saigne au Calvaire,
Ne nous plaignons pas, crois-moi.
Souffrons ! c'est la loi sévère.
Aimons ! c'est la douce loi.
Aimons ! soyons deux ! Le sage
N'est pas seul dans son vaisseau.
Les deux yeux font le visage ;
Les deux ailes font l'oiseau.
Soyons deux ! – Tout nous convie
À nous aimer jusqu'au soir.
N'ayons à deux qu'une vie !
N'ayons à deux qu'un espoir !
Dans ce monde de mensonges,
Moi, j'aimerai mes douleurs,
Si mes rêves sont tes songes,
Si mes larmes sont tes pleurs !
Le 20 mai 1838.
il y a 9 mois
Victor Hugo
@victorHugo
À la belle impérieuse L’amour, panique
De la raison,
Se communique
Par le frisson.
Laissez-moi dire,
N’accordez rien.
Si je soupire,
Chantez, c’est bien.
Si je demeure,
Triste, à vos pieds,
Et si je pleure,
C’est bien, riez.
Un homme semble
Souvent trompeur.
Mais si je tremble,
Belle, ayez peur.
il y a 9 mois
Voltaire
@voltaire
À Mme Lullin Hé quoi ! vous êtes étonnée
Qu'au bout de quatre-vingts hivers,
Ma Muse faible et surannée
Puisse encor fredonner des vers ?
Quelquefois un peu de verdure
Rit sous les glaçons de nos champs ;
Elle console la nature,
Mais elle sèche en peu de temps.
Un oiseau peut se faire entendre
Après la saison des beaux jours ;
Mais sa voix n'a plus rien de tendre,
Il ne chante plus ses amours.
il y a 9 mois
Voltaire
@voltaire
L'hymen et ses liens À mon avis, l'hymen et ses liens
Sont les plus grands ou des maux ou des biens.
Point de milieu ; l'état du mariage
Est des humains le plus cher avantage,
Quand le rapport des esprits et des cœurs,
Des sentiments, des goûts, et des humeurs,
Serre ces nœuds tissus par la nature,
Que l'amour forme et que l'honneur épure.
Dieux ! quel plaisir d'aimer publiquement,
Et de porter le nom de son amant !
Votre maison, vos gens, votre livrée,
Tout vous retrace une image adorée ;
Et vos enfants, ces gages précieux,
Nés de l'amour, en sont de nouveaux nœuds.
Un tel hymen, une union si chère,
Si l'on en voit, c'est le ciel sur la terre.
Mais tristement vendre par un contrat
Sa liberté, son nom, et son état,
Aux volontés d'un maître despotique,
Dont on devient le premier domestique ;
Se quereller ou s'éviter le jour ;
Sans joie à table, et la nuit sans amour ;
Trembler toujours d'avoir une faiblesse,
Y succomber, ou combattre sans cesse ;
Tromper son maître, ou vivre sans espoir
Dans les langueurs d'un importun devoir ;
Gémir, sécher dans sa douleur profonde ;
Un tel hymen est l'enfer de ce monde.
il y a 9 mois
Voltaire
@voltaire
À la marquise du Châtelet Ainsi donc cent beautés nouvelles
Vont fixer vos brillants esprits
Vous renoncez aux étincelles,
Aux feux follets de mes écrits
Pour des lumières immortelles ;
Et le sublime Maupertuis
Vient éclipser mes bagatelles.
Je n’en suis fâché ni surpris ;
Un esprit vrai doit être épris
Pour des vérités éternelles :
Mais ces vérités que sont-elles ?
Quel est leur usage et leur prix ?
Du vrai savant que je chéris
La raison ferme et lumineuse
Vous montrera les cieux décrits,
Et d’une main audacieuse
Vous dévoilera les replis
De la nature ténébreuse :
Mais, sans le secret d’être heureuse,
Il ne vous aura rien appris.