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Titre : Chère, voici le mois de mai

Auteur : Théodore de Banville Recueil : Les Stalactites, 1846

Chère, voici le mois de mai, Le mois du printemps parfumé Qui, sous les branches, Fait vibrer des sons inconnus, Et couvre les seins demi-nus De robes blanches. Voici la saison des doux nids, Le temps où les cieux rajeunis Sont tout en flamme, Où déjà, tout le long du jour, Le doux rossignol de l’amour Chante dans l’âme. Ah ! de quels suaves rayons Se dorent nos illusions Les plus chéries, Et combien de charmants espoirs Nous jettent dans l’ombre des soirs Leurs rêveries ! Parmi nos rêves à tous deux, Beaux projets souvent hasardeux Qui sont les mêmes, Songes pleins d’amour et de foi Que tu dois avoir comme moi, Puisque tu m’aimes ; Il en est un seul plus aimé. Tel meurt un zéphyr embaumé Sur votre bouche, Telle, par une ardente nuit, De quelque Séraphin, sans bruit, L’aile vous touche. Camille, as-tu rêvé parfois Qu’à l’heure où s’éveillent les bois Et l’alouette, Où Roméo, vingt fois baisé, Enjambe le balcon brisé De Juliette, Nous partons tous les deux, tout seuls ? Hors Paris, dans les grands tilleuls Un rayon joue ; L’air sent les lilas et le thym, La fraîche brise du matin Baise ta joue. Après avoir passé tout près De vastes ombrages, plus frais Qu’une glacière Et tout pleins de charmants abords, Nous allons nous asseoir aux bords De la rivière. L’eau frémit, le poisson changeant Émaille la vague d’argent D’écailles blondes ; Le saule, arbre des tristes vœux, Pleure, et baigne ses longs cheveux Parmi les ondes. Tout est calme et silencieux. Étoiles que la terre aux cieux A dérobées, On voit briller d’un éclat pur Les corsages d’or et d’azur Des scarabées. Nos yeux s’enivrent, assouplis, A voir l’eau dérouler les plis De sa ceinture. Je baise en pleurant tes genoux, Et nous sommes seuls, rien que nous Et la nature ! Tout alors, les flots enchanteurs, L’arbre ému, les oiseaux chanteurs Et les feuillées, Et les voix aux accords touchants Que le silence dans les champs Tient éveillées, La brise aux parfums caressants, Les horizons éblouissants De fantaisie, Les serments dans nos cœurs écrits, Tout en nous demande à grands cris La Poésie. Nous sommes heureux sans froideur. Plus de bouderie ou d’humeur Triste ou chagrine ; Tu poses d’un air triomphant Ta petite tête d’enfant Sur ma poitrine ; Tu m’écoutes, et je te lis, Quoique ta bouche aux coins pâlis S’ouvre et soupire, Quelques stances d’Alighieri, Ronsard, le poëte chéri, Ou bien Shakspere. Mais je jette le livre ouvert, Tandis que ton regard se perd Parmi les mousses, Et je préfère, en vrai jaloux, A nos poëtes les plus doux Tes lèvres douces ! Tiens, voici qu’un couple charmant, Comme nous jeune et bien aimant, Vient et regarde. Que de bonheur rien qu’à leurs pas ! Ils passent et ne nous voient pas : Que Dieu les garde ! Ce sont des frères, mon cher cœur, Que, comme nous, l’amour vainqueur Fit l’un pour l’autre. Ah ! qu’ils soient heureux à leur tour ! Embrassons-nous pour leur amour Et pour le nôtre ! Chère, quel ineffable émoi, Sur ce rivage où près de moi Tu te recueilles, De mêler d’amoureux sanglots Aux douces plaintes que les flots Disent aux feuilles ! Dis, quel bonheur d’être enlacés Par des bras forts, jamais lassés ! Avec quels charmes, Après tous nos mortels exils, Je savoure au bout de tes cils De fraîches larmes ! Avril 1844.