Résignation C’est une pauvre vieille, humble, le dos voûté.
Autrefois on l’aimait, on s’est tué pour elle.
Qui sait ? Peut-être un jour tu seras regretté
De celle qui dit non, maintenant qu’elle est belle.
Elle aussi vieillira, puis l’ombre universelle
La noîra, comme toi, dans son immensité.
Il faut que les grands dieux, pour leur oeuvre éternelle,
Reprennent le bonheur qu’ils nous avaient prêté.
Nous sommes trop petits dans l’ensemble des choses ;
La nature mûrit ses blés, fleurit ses roses
Et dédaigne nos voeux, nos regrets, nos efforts.
Attendons, résignés, la fin des heures lentes ;
Les étoiles, là-haut, roulent indifférentes ;
Qu’elles versent l’oubli sur nous ; heureux les morts !
il y a 9 mois
L
Louise Ackermann
@louiseAckermann
In memoriam (I) J'aime à changer de cieux, de climat, de lumière.
Oiseau d'une saison, je fuis avec l'été,
Et mon vol inconstant va du rivage austère
Au rivage enchanté.
Mais qu'à jamais le vent bien loin du bord m'emporte
Où j'ai dans d'autres temps suivi des pas chéris,
Et qu'aujourd'hui déjà ma félicité morte
Jonche de ses débris !
Combien ce lieu m'a plu ! non pas que j'eusse encore
Vu le ciel y briller sous un soleil pâli ;
L'amour qui dans mon âme enfin venait d'éclore
L'avait seul embelli.
Hélas ! avec l'amour ont disparu ses charmes ;
Et sous ces grands sapins, au bord des lacs brumeux,
Je verrais se lever comme un fantôme en larmes
L'ombre des jours heureux.
Oui, pour moi tout est plein sur cette froide plage
De la présence chère et du regard aimé,
Plein de la voix connue et de la douce image
Dont j'eus le cœur charmé.
Comment pourrais-je encor, désolée et pieuse,
Par les mêmes sentiers traîner ce cœur meurtri,
Seule où nous étions deux, triste où j'étais joyeuse,
Pleurante où j'ai souri ?
Painswick, Glocestershire, août 1850.
il y a 9 mois
L
Louise Ackermann
@louiseAckermann
Le fantôme D’un souffle printanier l’air tout à coup s’embaume.
Dans notre obscur lointain un spectre s’est dressé,
Et nous reconnaissons notre propre fantôme
Dans cette ombre qui sort des brumes du passé.
Nous le suivons de loin, entraînés par un charme
A travers les débris, à travers les détours,
Retrouvant un sourire et souvent une larme
Sur ce chemin semé de rêves et d’amours.
Par quels champs oubliés et déjà voilés d’ombre
Cette poursuite vaine un moment nous conduit
Vers plus d’un mont désert, dans plus d’un vallon sombre,
Le fantôme léger nous égare après lui.
Les souvenirs dormants de la jeunesse éteinte
S’éveillent sous ses pas d’un sommeil calme et doux ;
Ils murmurent ensemble ou leur chant ou leur plainte.
Dont les échos mourants arrivent jusqu’à nous.
Et ces accents connus nous émeuvent encore.
Mais à nos yeux bientôt la vision décroît ;
Comme l’ombre d’Hamlet qui fuit et s’évapore,
Le spectre disparaît en criant : Souviens-toi !
il y a 9 mois
M
Magdeleine Michel
@magdeleineMichel
Du temps Si j'avais compris, du temps, le prix des années,
Passant au fil des jours, jamais ne revenant,
J'aurais sucé la sève aux saveurs d'un instant,
Peut-être, mordant aux heures assassinées.
Mais tu voles, Chronos, avec tes ailes noires,
Sur la route! Et nos vies que tu fauches, Vieillard,
Tu en sèmes les grains dans un lit de brouillard,
Comme d'un sable roux échappant aux mémoires.
Ton sablier, impitoyablement, s'écoule
Dans le lit d'Anankè ou le destin s'écroule
Jusqu'aux replis secrets, dévoilant nos matins.
Et nous, pauvres humains, retenons la poussière
Des souvenirs perlés d'argent et de lumière,
Aux larmes des adieux lissés comme satins.
il y a 9 mois
M
Magdeleine Michel
@magdeleineMichel
Je me souviens... Je me souviens
De ces rivages d'horizons bleus,
Au large des sentiments
Où soufflait le vent de ton amour.
Je me souviens
De ces sommets aux neiges roses,
Creusés comme crevasses
Dans les replis de mon cœur.
Oui, je me souviens
Comme la brise argentée sur la mer,
De tourbillons amers et doux
Dans mes larmes de lumière.
Je me souviens
Sous la paupière aride et lourde,
Toute la route qui s'enfuit
Sous les roues de l'ennui.
Je me souviens
Sur les toits rouges et bleus,
De rideaux de fumée
Jusqu'aux coins de mes yeux.
Oh! je me souviens
Des chemins gris jusqu'à l'azur,
Comme murailles rampantes
Où s'écrivaient mes mots d'amour.
Je me souviens
Des citadelles aux murs de sable
Et de mes ciels d'incertitudes
Aussi tranchantes que des lames.
Oui, je me souviens;
Mais aujourd'hui est-ce le vent
Pour rire ou pleurer comme avant ?
Je ne sais plus... Je n'en sais rien...
il y a 9 mois
Marcel Proust
@marcelProust
Je contemple souvent le ciel de ma mémoire Le temps efface tout comme effacent les vagues
Les travaux des enfants sur le sable aplani
Nous oublierons ces mots si précis et si vagues
Derrière qui chacun nous sentions l’infini.
Le temps efface tout il n’éteint pas les yeux
Qu’ils soient d’opale ou d’étoile ou d’eau claire
Beaux comme dans le ciel ou chez un lapidaire
Ils brûleront pour nous d’un feu triste ou joyeux.
Les uns joyaux volés de leur écrin vivant
Jetteront dans mon coeur leurs durs reflets de pierre
Comme au jour où sertis, scellés dans la paupière
Ils luisaient d’un éclat précieux et décevant.
D’autres doux feux ravis encor par Prométhée
Étincelle d’amour qui brillait dans leurs yeux
Pour notre cher tourment nous l’avons emportée
Clartés trop pures ou bijoux trop précieux.
Constellez à jamais le ciel de ma mémoire
Inextinguibles yeux de celles que j’aimai
Rêvez comme des morts, luisez comme des gloires
Mon coeur sera brillant comme une nuit de Mai.
L’oubli comme une brume efface les visages
Les gestes adorés au divin autrefois,
Par qui nous fûmes fous, par qui nous fûmes sages
Charmes d’égarement et symboles de foi.
Le temps efface tout l’intimité des soirs
Mes deux mains dans son cou vierge comme la neige
Ses regards caressants mes nerfs comme un arpège
Le printemps secouant sur nous ses encensoirs.
D’autres, les yeux pourtant d’une joyeuse femme,
Ainsi que des chagrins étaient vastes et noirs
Épouvante des nuits et mystère des soirs
Entre ces cils charmants tenait toute son âme
Et son coeur était vain comme un regard joyeux.
D’autres comme la mer si changeante et si douce
Nous égaraient vers l’âme enfouie en ses yeux
Comme en ces soirs marins où l’inconnu nous pousse.
Mer des yeux sur tes eaux claires nous naviguâmes
Le désir gonflait nos voiles si rapiécées
Nous partions oublieux des tempêtes passées
Sur les regards à la découverte des âmes.
Tant de regards divers, les âmes si pareilles
Vieux prisonniers des yeux nous sommes bien déçus
Nous aurions dû rester à dormir sous la treille
Mais vous seriez parti même eussiez-vous tout su
Pour avoir dans le coeur ces yeux pleins de promesses
Comme une mer le soir rêveuse de soleil
Vous avez accompli d’inutiles prouesses
Pour atteindre au pays de rêve qui, vermeil,
Se lamentait d’extase au-delà des eaux vraies
Sous l’arche sainte d’un nuage cru prophète
Mais il est doux d’avoir pour un rêve ces plaies
Et votre souvenir brille comme une fête.
il y a 9 mois
M
Marie Krysinska
@marieKrysinska
Métempsycose À Georges Lorin
Longtemps après que toute vie
Sur la terre veuve aura cessé,
Les tristes ombres des humains,
Les âmes plaintives des humains,
Reviendront visiter
La terre veuve
Où toute vie aura cessé.
Elles quitteront les corps nouveaux
Que la tyrannique droite de Dieu
Aura assigné à leur destinée pérégrine,
Dans quelque planète lointaine,
Et pieusement viendront visiter
La terre veuve.
Allors, leur prunelle spirituelle
Et leur immatérielle oreille
Reconnaîtront les formes, les couleurs et les sons
Qui furent les œuvres de leurs mains assidues,
Durant les âges amoncelés et oubliés.
Qui furent les œuvres de leurs mains débiles,
De leurs mains plus fortes pourtant
Que le Néant.
Tandis que palpitait en eux la terrestre vie
Et que leur bouche proclamait
Le nom trois fois saint de l’Art immortel.
Et quand, au matin revenu, un autre soleil
Les rappellera vers les corps assignés
À leur destinée pérégrine,
Dans quelque planète lointaine,
Chaque ombre errante, chaque âme plaintive
Dira : – j’ai fait un rêve prodigieux.
Et, sous le fouet de l’éternelle Beauté
Et de l’éternelle Mélancolie,
Les humains à nouveau dompteront –
Dans cette planète lointaine –
Les couleurs, les formes et les sons.
il y a 9 mois
M
Maurice Rollinat
@mauriceRollinat
Nostalgie de soleil Quel poète évoquera le rose des bruyères,
Le lézard des vieux murs, la mouche des étangs,
Et le petit rayon qui vient, tout le beau temps,
Rire au carreau crasseux de la vieille chaumière ?
Les végétaux chambrés, le fleuri, la verdure
De ces jardins vitrés plus chauds que des maisons
Et tout le trompe-l'œil des tapis, des tentures
Voulant singer les rocs, les arbres, les gazons,
Accusent mieux, l'hiver, leur piteuse imposture
Alors que l'on regrette avec tant de douleur
Le soleil qui faisait éclater la couleur,
Flamber le verdoîment dans toute la nature !
Hélas ! bien avant l'heure où l'astre roi, l'été,
De sa pourpre de sang rend les plaines rougies,
Dès l'automne déjà s'impose la clarté
Des mélancoliques bougies.
Tout seul, à leur lueur si blême,
On a l'air de veiller un mort.
Sans compter que, parfois encor,
On dirait presque — horreur suprême ! —
Que ce défunt-là c'est soi-même.
Chaque retour d'hiver cause un frisson nouveau
Avec ce jour de crépuscule,
Ce sol humide de caveau
Où nul insecte ne circule
Et qui paraît sous l'ombre abaisser son niveau.
Au dur tic tac de la pendule
Le corps moisit, se caille ainsi que le cerveau.
Nos jours plus obscurcis devant le bois qui brûle
Dévident l'incertain de leur maigre écheveau.
Mais que le froid sèche ou s'endorme,
Et que le ciel s'allume, alors ! tout se transforme
En notre âme, ce sphinx inquiet, noir problème,
Louche énigme pour elle-même
Dans sa prison d'humanité !
Pour cette renfermée, au ténébreux martyre,
Le Soleil, c'est le bon sourire,
C'est l'œil compatissant de la Fatalité !
il y a 9 mois
M
Max Elskamp
@maxElskamp
Ici, c’est un vieil homme de cent ans Ici, c’est un vieil homme de cent ans
qui dit, selon la chair, Flandre et le sang :
souvenez-vous-en, souvenez-vous-en,
en ouvrant son coeur de ses doigts tremblants
pour montrer à tous sa vie comme un livre,
et, dans sa joie comme en des oraisons,
tout un genre humain occupé à vivre
en ses villes pies d’hommes et d’enfants.
Or à tous ici, ses pleurs et ses fêtes,
et, suivant le ciel peint à ses couleurs,
voici sa maison, ses fruits et ses fleurs,
en ses horizons d’hommes et de bêtes :
et lors ses heures d’hiver et printemps
venues en musique ainsi qu’en prières,
sous des Christs en croix, des saints, des calvaires,
puis sa foi aussi bonne en tous les temps,
pour la paix de sa vie trop à l’attache,
dans les jours, les mois, des quatre saisons,
et le réconfort de ses mains qui tâchent
ici de leur mieux et très simplement.
il y a 9 mois
M
Max Elskamp
@maxElskamp
À ma mère Ô Claire, Suzanne, Adolphine,
Ma Mère, qui m’étiez divine,
Comme les Maries, et qu’enfant,
J’adorais dès le matin blanc
Qui se levait là, près de l’eau,
Dans l’embrun gris monté des flots,
Du fleuve qui chantait matines
À voix de cloches dans la bruine ;
Ô ma Mère, avec vos yeux bleus,
Que je regardais comme cieux,
Penchés sur moi tout de tendresse,
Et vos mains elles, de caresses,
Lorsqu’en vos bras vous me portiez
Et si douce me souriiez,
Pour me donner comme allégresse
Du jour venu qui se levait,
Et puis après qui me baigniez
Nu, mais alors un peu revêche,
Dans un bassin blanc et d’eau fraîche,
Aux aubes d’hiver ou d’été.
Ô ma Mère qui m’étiez douce
Comme votre robe de soie,
Et qui me semblait telle mousse
Lorsque je la touchais des doigts,
Ma Mère, avec aux mains vos bagues
Que je croyais des cerceaux d’or,
Lors en mes rêves d’enfant, vagues,
Mais dont il me souvient encor ;
Ô ma Mère aussi qui chantiez,
Parfois lorsqu’à tort j’avais peine,
Des complaintes qui les faisaient
De mes chagrins choses sereines,
Et qui d’amour me les donniez
Alors que pour rien, je pleurais.
Ô ma Mère, dans mon enfance,
J’étais en vous, et vous en moi,
Et vous étiez dans ma croyance,
Comme les Saintes que l’on voit,
Peintes dans les livres de foi
Que je feuilletais sans science,
M’arrêtant aux anges en ailes
À l’Agneau du Verbe couché,
Et à des paradis vermeils
Où les âmes montaient dorées.
Et vous m’étiez la Sainte-Claire,
Et dont on m’avait lu le nom,
Qui portait comme de lumière
Un nimbe peint autour du front.
*
Mais temps qui va et jours qui passent,
Alors, ma Mère, j’ai grandi,
Et vous m’avez été l’amie
Aux heures où j’avais l’âme lasse,
Ainsi que parfois dans la vie
Il en est d’avoir trop rêvé
Et sur la voie qu’on a suivie
De s’être ainsi souvent trompé.
Et vous m’avez lors consolé
Des mauvais jours dont j’étais l’hôte,
Et m’avez aussi pardonné
Parfois encore aussi mes fautes,
Ma Mère, qui lisiez en moi,
Ce que je pensais sans le dire,
Et saviez ma peine ou ma joie
Et me l’avériez d’un sourire.
*
Claire, Suzanne, Adolphine,
Ô ma Mère, des Écaussinnes,
À présent si loin qui dormez,
Vous souvient-il des jours d’été,
Là-bas en Août, quand nous allions,
Pour les visiter nos parents
Dans leur château de Belle-Tête,
Bâti en pierres de chez vous,
Et qui alors nous faisaient fête
À vous, leur fille, ainsi qu’à nous,
En cette douce Wallonie
D’étés clairs là-bas, en Hainaut,
Où nous entendions d’harmonie,
Comme une voix venue d’en-haut,
Le bruit des ciseaux sur les pierres
Et qui chantaient sous les marteaux,
Comme cloches sonnant dans l’air
Ou mer au loin montant ses eaux,
Tandis que comme des éclairs
Passaient les trains sous les ormeaux.
Ô ma Mère des Écaussinnes,
C’est votre sang qui parle en moi,
Et mon âme qui se confine
En Vous, et d’amour, et de foi,
Car vous m’étiez comme Marie,
Bien que je ne sois pas Jésus,
Et lorsque vous êtes partie,
J’ai su que j’avais tout perdu.
il y a 9 mois
M
Maëlle Ranoux
@maelleRanoux
Au village du silence Au village du silence,
Règne le temps passé.
Par la pierre sculptée,
siècles figés,
la mémoire diffuse
ce que les hommes ont oublié.
Au village du silence,
Que la vigne encercle
Et le chemin pierreux épouse,
L’existence n’a qu’un son,
Celui de la rivière,
Celui de la fontaine,
Celui de cette eau claire qui vient de la montagne.
Au village du silence,
Les maisons s’entrecroisent
Labyrinthe de vies imbriquées
Murs qui se frôlent,
Fenêtres étroites qui auscultent
Les passagers de ces vaisseaux occultes,
réfugiés derrière leurs larges murs.
Pas un mot pas un bruit,
C’est dans le murmure que l’on se dit.
Les maisons séculaires accueillent
sous leurs massives charpentes
une forêt de colombages et montants
Les paroles s’y cachent,
les caprices, les petitesses, les racontars,
les simples humains et leurs drôles d’écueils
s’y étouffent.
Et dans la rue pavée, pas un pas.
Quelle est l’épaisseur du trait de vie, ici ?
Quel autre volume que celui des montagnes ?
Quel espace reste-il si la vallée s’ouvre comme une reine et avale toutes les vies qui s’avancent à elle ?
Au village du silence,
Je ne dors plus,
J’écoute,
L’épaisseur de l’interdit qui pèse sur chacun pour que tous puissent être là.
La lumière joue à s’éteindre
Les légendes s’approchent pour m’étreindre
A l’entrée du village,
l‘eau charrie une histoire de coquillages,
L’air frais diffuse,
Légendes des tourbières secrètes,
contes miraculeux dans une langue d’un autre âge.
il y a 9 mois
M
Maëlle Ranoux
@maelleRanoux
Se pétrir d’un voyage Je me souviens de l’océan
Chaud et doux,
S’entêtant à me séduire,
S’allongeant sur mes rêves.
Face aux torrents agités, crissants, d’ici,
Je me souviens de la vie là-bas,
Légère,
Fluide comme une rivière,
Traversante,
Dans un horizon sans barrière.
Je me souviens aussi,
Du souvenir de vous,
Mes êtres demeures,
Comme des arbres absents,
Dont l’ombre fraîche manquait sur mes rives.
Je me souviens de l’océan.
Je me souviens de vous absents.
Je me souviens encore de ceux,
Là-bas,
Restés sous le soleil ardent,
Sur les rives de ma rivière absente.
*
Mais, quelle est cette mélodie ?
Oui, je la reconnais,
C’est la triste mélodie du départ
C’est la joyeuse mélodie de l’ailleurs
Elle me pose, elle m’apaise, elle m’étreint, elle m’appelle,
Elle porte mon chagrin, elle transporte mon espoir.
*
Vos lignes monotones
M’animent !
Vos chemins chauds
M’envolent !
Votre hiver glaçant
M’échauffe !
Votre été bouillant
M’exalte
Vos grises mines
M’amusent !
Vos âmes,
à moi me lient,
à moi m’attachent,
à vous m’attachent.
*
il y a 9 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
La branche d’alisier chantant Je l’ai tout à fait désapprise
La berceuse au rythme flottant,
Qu’effeuille, par les soirs de brise,
La branche d’alisier chantant.
Du rameau qu’un souffle balance,
La miraculeuse chanson,
Au souvenir de mon enfance,
A communiqué son frisson.
La musique de l’air, sans rime,
Glisse en mon rêve, et, bien souvent,
Je cherche à noter ce qu’exprime
Le chant de la feuille et du vent.
J’attends que la brise reprenne
La note où tremble un doux passé,
Pour que mon coeur, malgré sa peine,
Un jour, une heure en soit bercé.
Nul écho ne me la renvoie,
La berceuse de l’autre jour,
Ni les collines de la joie,
Ni les collines de l’amour.
La branche éolienne est morte ;
Et les rythmes mystérieux
Que le vent soupire à ma porte,
Gonflent le coeur, mouillent les yeux.
Le poète en mélancolie
Pleure de n’être plus enfant,
Pour ouïr ta chanson jolie,
Ô branche d’alisier chantant !
il y a 9 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
La maison solitaire Seule, en un coin de terre où plane la tristesse
Et le mélancolique et vague ennui des soirs,
La vieille maison blanche, aux grands contrevents noirs,
Pleure-t-elle ses gens, son hôte, son hôtesse ?
Avec sa porte close et ses carreaux en deuil
Qui ne semblent, au loin, qu'un vaporeux décalque,
La maison blanche et noire a l'air d'un catafalque
Érigé sur le vide et la nuit d'un cercueil.
À la croix des pignons tachés d'ocre et de suie,
Comme un crêpe fané, la mousse vole au vent,
Et l'on dirait, parfois, qu'il tombe de l'auvent
Une neige de cendre et des larmes de pluie.
Trois générations ont peiné dans ce lieu :
Trois générations de laboureurs de terre
Ont vécu longuement le rêve solitaire,
Qui commence à l'autel et finit devant Dieu.
Tout semble mort... Soudain, la vitre qui brasille
S'ouvre, et, tel qu'au matin, brille un coquelicot,
Une face vermeille apparaît, et l'écho
Éparpille un fredon d'enfant qui s'égosille.
Rouge d'orgueil, le fier petit gars d'habitant,
Que le ber ancestral a couvé dans la paille,
Du jeu d'un gosier d'or, éblouit la marmaille
Et fait taire le merle et le coq éclatant.
Et la vieille maison, tant de fois attristée
Par le glas et l'adieu des funèbres convois,
Reprend jeunesse et vie au seul son de la voix
Qui conjure l'ennui, dont son âme est hantée.
Le vieil âge n'est plus. Voici le jeune temps :
L'aurore entre malgré la fenêtre morose ;
La chambre se plafonne et se meuble de rose ;
La maison recommence à vivre ses vingt ans.
Et le chef du travail, dehors à coeur d'année,
Bénit l'horizon clair et le soleil levant,
Le nuage et l'oiseau, la rosée et le vent,
Qui lui promettent tous une belle journée.
il y a 9 mois
N
Nérée Beauchemin
@nereeBeauchemin
Le vieux parler Si je le parle, à coeur de jour,
Au pays, avec les miens, comme
Au grand siècle tout gentilhomme
Le parlait aux abbés de cour,
C’est… Ains seulement par amour.
Ce français vieillot qu’on dédaigne,
Il est natif d’un haut Poitou
Et d’un lointain Paris itou.
Ces termes, que le chaume enseigne,
Ce sont des termes de Montaigne.
Le mot local, très clair, s’entend ;
Du puriste il choque l’oreille ;
Malgré tout, comme il s’appareille,
Et comme il s’accorde pourtant
Avec la parlure d’antan.
L’habitant, dit-on, baragouine.
L’habitant patoise ? C’est faux.
Il remet au jour des joyaux
Qu’incrustent souvent la patine
Et l’illustre rouille latine.
Oyez le parler du hameau :
Il coule comme aux goutterelles
Coulent les sèves naturelles ;
Il coule aux lèvres comme l’eau
Des érables au renouveau.
Mais que l’émoi d’un coeur l’anime,
Ce vieux français, c’est tout chez nous ;
Sous ses aspects âpres et doux,
Ce langage simple et sublime,
C’est toute la patrie intime.
Si le papier le souffre ici,
Oh ! c’est rapport à la victoire
Des patriotes de l’histoire !
Si je le parle encore ainsi,
À Dieu, grand’grâce et grand merci !
Durant trois siècles d’affilée,
La première langue du sol
A lutté sans peur et sans dol.
Malgré rafale et giboulée,
L’honneur et le droit l’ont parlée.
Le verbe du clocher natal
A gardé toute sa puissance,
Et le vieil esprit de la France
Poursuit l’ancien chemin royal
Vers les grands fonds de l’idéal.
il y a 9 mois
Paul Éluard
@paulEluard
Air vif J’ai regardé devant moi
Dans la foule je t’ai vue
Parmi les blés je t’ai vue
Sous un arbre je t’ai vue
Au bout de tous mes voyages
Au fond de tous mes tourments
Au tournant de tous les rires
Sortant de l’eau et du feu
L’été l’hiver je t’ai vue
Dans ma maison je t’ai vue
Entre mes bras je t’ai vue
Dans mes rêves je t’ai vue
Je ne te quitterai plus.
il y a 9 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Colloque sentimental Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.
- Te souvient-il de notre extase ancienne ?
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ?
- Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois-tu mon âme en rêve ? - Non.
Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.
il y a 9 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Les chères mains qui furent miennes Les chères mains qui furent miennes,
Toutes petites, toutes belles,
Après ces méprises mortelles
Et toutes ces choses païennes,
Après les rades et les grèves,
Et les pays et les provinces,
Royales mieux qu'au temps des princes,
Les chères mains m'ouvrent les rêves.
Mains en songe, mains sur mon âme,
Sais-je, moi, ce que vous daignâtes,
Parmi ces rumeurs scélérates,
Dire à cette âme qui se pâme ?
Ment-elle, ma vision chaste
D'affinité spirituelle,
De complicité maternelle,
D'affection étroite et vaste ?
Remords si cher, peine très bonne,
Rêves bénis, mains consacrées,
Ô ces mains, ces mains vénérées,
Faites le geste qui pardonne !
il y a 9 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Nevermore Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automne
Faisait voler la grive à travers l'air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détone.
Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant
" Quel fut ton plus beau jour ? " fit sa voix d'or vivant,
Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.
Un sourire discret lui donna la réplique,
Et je baisai sa main blanche, dévotement.
- Ah ! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées !
Et qu'il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !
il y a 9 mois
Paul Verlaine
@paulVerlaine
Spleen Les roses étaient toutes rouges
Et les lierres étaient tout noirs.
Chère, pour peu que tu ne bouges,
Renaissent tous mes désespoirs.
Le ciel était trop bleu, trop tendre,
La mer trop verte et l’air trop doux.
Je crains toujours, – ce qu’est d’attendre !
Quelque fuite atroce de vous.
Du houx à la feuille vernie
Et du luisant buis je suis las,
Et de la campagne infinie
Et de tout, fors de vous, hélas !
il y a 9 mois
Paul-Jean Toulet
@paulJeanToulet
Aimez-vous le passé Aimez-vous le passé
Et rêver d’histoires
Évocatoires
Aux contours effacés ?
Les vieilles chambres
Veuves de pas
Qui sentent tout bas
L’iris et l’ambre ;
La pâleur des portraits,
Les reliques usées
Que des morts ont baisées,
Chère, je voudrais
Qu’elles vous soient chères,
Et vous parlent un peu
D’un coeur poussiéreux
Et plein de mystère.
il y a 9 mois
Paul-Jean Toulet
@paulJeanToulet
Le sable ou nos pas ont crié Le sable où nos pas ont crié, l'or ni la gloire,
Qu'importe, et de l'hiver le funèbre décor.
Mais que l'amour demeure et me sourie encor
Comme une rose rouge à travers l'hombre noire.
il y a 9 mois
Paul-Jean Toulet
@paulJeanToulet
Le tremble est blanc Le temps irrévocable a fui. L’heure s’achève.
Mais toi, quand tu reviens, et traverses mon rêve,
Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève,
Tes yeux plus clairs.
A travers le passé ma mémoire t’embrasse.
Te voici. Tu descends en courant la terrasse
Odorante, et tes faibles pas s’embarrassent
Parmi les fleurs.
Par un après-midi de l’automne, au mirage
De ce tremble inconstant que varient les nuages,
Ah ! verrai-je encor se farder ton visage
D’ombre et de soleil ?
il y a 9 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Ciel, air et vents, plains et monts découverts Ciel, air et vents, plains et monts découverts,
Tertres vineux et forêts verdoyantes,
Rivages torts et sources ondoyantes,
Taillis rasés et vous bocages verts,
Antres moussus à demi-front ouverts,
Prés, boutons, fleurs et herbes roussoyantes,
Vallons bossus et plages blondoyantes,
Et vous rochers, les hôtes de mes vers,
Puis qu’au partir, rongé de soin et d’ire,
A ce bel oeil Adieu je n’ai su dire,
Qui près et loin me détient en émoi,
Je vous supplie, Ciel, air, vents, monts et plaines,
Taillis, forêts, rivages et fontaines,
Antres, prés, fleurs, dites-le-lui pour moi.
il y a 9 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Il faut laisser maisons et vergers et jardins Il faut laisser maisons et vergers et jardins,
Vaisselles et vaisseaux que l’artisan burine,
Et chanter son obsèque en la façon du cygne,
Qui chante son trépas sur les bords méandrins.
C’est fait j’ai dévidé le cours de mes destins,
J’ai vécu, j’ai rendu mon nom assez insigne,
Ma plume vole au ciel pour être quelque signe
Loin des appas mondains qui trompent les plus fins.
Heureux qui ne fut onc, plus heureux qui retourne
En rien comme il était, plus heureux qui séjourne
D’homme fait nouvel ange auprès de Jésus-Christ,
Laissant pourrir çà-bas sa dépouille de boue
Dont le sort, la fortune, et le destin se joue,
Franc des liens du corps pour n’être qu’un esprit.
il y a 9 mois
Pierre de Ronsard
@pierreDeRonsard
Quand je suis vingt ou trente mois Quand je suis vingt ou trente mois
Sans retourner en Vendômois,
Plein de pensées vagabondes,
Plein d'un remords et d'un souci,
Aux rochers je me plains ainsi,
Aux bois, aux antres et aux ondes.
Rochers, bien que soyez âgés
De trois mil ans, vous ne changez
Jamais ni d'état ni de forme ;
Mais toujours ma jeunesse fuit,
Et la vieillesse qui me suit,
De jeune en vieillard me transforme.
Bois, bien que perdiez tous les ans
En l'hiver vos cheveux plaisants,
L'an d'après qui se renouvelle,
Renouvelle aussi votre chef ;
Mais le mien ne peut derechef
R'avoir sa perruque nouvelle.
Antres, je me suis vu chez vous
Avoir jadis verts les genoux,
Le corps habile, et la main bonne ;
Mais ores j'ai le corps plus dur,
Et les genoux, que n'est le mur
Qui froidement vous environne.
Ondes, sans fin vous promenez
Et vous menez et ramenez
Vos flots d'un cours qui ne séjourne ;
Et moi sans faire long séjour
Je m'en vais, de nuit et de jour,
Au lieu d'où plus on ne retourne.
il y a 9 mois
Pierre Jean Jouve
@pierreJeanJouve
Les soleils disparus sont des mots éternels Les soleils disparus sont des mots éternels
Dont la phrase arrondie à cette forme : extase
De terre musicienne et de verdure et d'or
De village pendu au balcon le plus rare
De prairie et de roc glaciaire entremêlés ;
Ô beauté de là-bas, songe de l'extrême heure,
Un furieux brasier d'Automne se formait
Aux vallées par-dessous les herbes potagères,
La descente faisait l'amour à la chaleur
Les masures de bois tourmentaient la lumière
Et la noblesse était défunte aux châtaigniers,
Et partant l'on sentait la perte d'espérence
Par gravitation de désirs insensés.
il y a 9 mois
Rainer Maria Rilke
@rainerMariaRilke
Ô nostalgie des lieux Ô nostalgie des lieux qui n’étaient point
assez aimés à l’heure passagère,
que je voudrais leur rendre de loin
le geste oublié, l’action supplémentaire !
Revenir sur mes pas, refaire doucement
– et cette fois, seul – tel voyage,
rester à la fontaine davantage,
toucher cet arbre, caresser ce banc …
Monter à la chapelle solitaire
que tout le monde dit sans intérêt ;
pousser la grille de ce cimetière,
se taire avec lui qui tant se tait.
Car n’est-ce pas le temps où il importe
de prendre un contact subtil et pieux ?
Tel était fort, c’est que la terre est forte ;
et tel se plaint : c’est qu’on la connaît peu.
il y a 9 mois
Sully Prudhomme
@sullyPrudhomme
Ce qui dure Le présent se fait vide et triste,
Ô mon amie, autour de nous ;
Combien peu de passé subsiste !
Et ceux qui restent changent tous.
Nous ne voyons plus sans envie
Les yeux de vingt ans resplendir,
Et combien sont déjà sans vie
Des yeux qui nous ont vus grandir !
Que de jeunesse emporte l'heure,
Qui n'en rapporte jamais rien !
Pourtant quelque chose demeure :
Je t'aime avec mon cœur ancien,
Mon vrai cœur, celui qui s'attache
Et souffre depuis qu'il est né,
Mon cœur d'enfant, le cœur sans tache
Que ma mère m'avait donné ;
Ce cœur où plus rien ne pénètre,
D'où plus rien désormais ne sort ;
Je t'aime avec ce que mon être
A de plus fort contre la mort ;
Et, s'il peut braver la mort même,
Si le meilleur de l'homme est tel
Que rien n'en périsse, je t'aime
Avec ce que j'ai d'immortel.
il y a 9 mois
Sully Prudhomme
@sullyPrudhomme
Printemps oublié Ce beau printemps qui vient de naître
À peine goûté va finir ;
Nul de nous n'en fera connaître
La grâce aux peuples à venir.
Nous n'osons plus parler des roses :
Quand nous les chantons, on en rit ;
Car des plus adorables choses
Le culte est si vieux qu'il périt.
Les premiers amants de la terre
Ont célébré Mai sans retour,
Et les derniers doivent se taire,
Plus nouveaux que leur propre amour.
Rien de cette saison fragile
Ne sera sauvé dans nos vers,
Et les cytises de Virgile
Ont embaumé tout l'univers.
Ah ! frustrés par les anciens hommes,
Nous sentons le regret jaloux
Qu'ils aient été ce que nous sommes,
Qu'ils aient eu nos cœurs avant nous.