Coeur de ville Ils s’abreuvent à l’eau des Fontaines Wallace
Ils s’abritent à l’ombre des Colonnes Morris
Arpentant les artères de Paris
La même litanie en guise de plaidoirie
Sollicitant la semaine et le dimanche
Les passants par des effets de manches
La mère mine triste portant son enfant
L’unijambiste véloce, l’aveugle clairvoyant
Les automobilistes assistent au triste spectacle
De la résurgence de la cour des miracles
Accordéonistes, flûtistes, guitaristes et chanteurs,
Accompagnent mon voyage station Sacré-Cœur
Le Métro parisien, rames et couloirs
Music-hall sous terrain du désespoir
Lits éphémères en carton de livraison
Présents à toutes heures et en toutes saisons
Seuls ou en compagnie d’autres infortunes
Chien et chats en bonne place au clair de lune
L’alcool souvent comme remède commun
Pour y puiser le courage de tendre la main
Terre d’indifférence, le message est clair
Un litron de vin telle une bouteille à la mer
Ils s’abreuvent à l’eau des Fontaines Wallace
Ils s’abritent à l’ombre des Colonnes Morris
il y a 8 mois
E
Elodie Santos
@elodieSantos
Dans un coin de ma ville Dans un coin de ma ville
sont posés 4 géants
un peu comme un milieu, une île,
une fontaine aux éléphants
Dans un coin de ma ville
on entend carillonner
souvent, alors on cherche asile
pour apprécier le temps
Dans un coin de ma ville
est une grande place allongée
ou les gens marchent, badinent
Hiver, été, le coeur léger
Dans un coin de ma ville
coin qui n’existe pas encore
j’aime à l’imaginer fragile
et doux comme un trésor
il y a 8 mois
E
Elodie Santos
@elodieSantos
J’étais ce jour de pluie La paille était bien belle
et jaune comme l’été
au dessus, une pelle
qui n’avait pas creusé
J’étais toute à l’abri
sous ce toit de campagne
et regardais la pluie
tomber du ciel d’Espagne
Allongée sur ce banc
de bois, terre de Sienne
je m’en allais rêvant
j’étais une italienne
Mes cheveux étaient noir
mon corps pur comme l’eau
mes pieds posés sur l’or
et mes yeux un ruisseau
J’étais ce jour de pluie
comme je ne serai jamais plus
il y a 8 mois
E
Emile Nelligan
@emileNelligan
Le salon La poussière s’étend sur tout le mobilier,
Les miroirs de Venise ont défleuri leur charme;
Il y rôde comme un très vieux parfum de Parme,
La funèbre douceur d’un sachet familier.
Plus jamais ne résonne à travers le silence
Le chant du piano dans les rythmes berceurs,
Mendelssohn et Mozart, mariant leurs douceurs,
Ne s’entendent qu’en rêve aux soirs de somnolence.
Mais le poète, errant sous son massif ennui,
Ouvrant chaque fenêtre aux clartés de la nuit,
Et se crispant les mains, hagard et solitaire,
Imagine soudain, hanté par des remords,
Un grand bal solennel tournant dans le mystère,
Où ses yeux ont cru voir danser les parents morts.
il y a 8 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
L’étable Et pleine d’un bétail magnifique, l’étable,
A main gauche, près des fumiers étagés haut,
Volets fermés, dormait d’un pesant sommeil chaud,
Sous les rayons serrés d’un soleil irritable.
Dans la moite chaleur de la ferme au repos,
Dans la vapeur montant des fumantes litières,
Les boeufs dressaient le roc de leurs croupes altières
Et les vaches beuglaient très doux, les yeux mi-clos.
Midi sonnant, les gars nombreux curaient les auges
Et les comblaient de foins, de lavandes, de sauges,
Que les bêtes broyaient d’un lourd mâchonnement ;
Tandis que les doigts gourds et durcis des servantes
Étiraient longuement les mamelles pendantes
Et grappillaient les pis tendus, canaillement.
il y a 8 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
La crypte Égarons-nous, mon âme, en ces cryptes funestes,
Où la douleur, par des crimes, se définit,
Où chaque dalle, au long du mur, atteste
Qu’un meurtre noir, à toute éternité,
Est broyé là, sous du granit.
Des pleurs y tombent sur les morts ;
Des pleurs sur des corps morts
Et leurs remords,
Y tombent ;
Des coeurs ensanglantés d’amour
Se sont jadis aimés,
Se sont tués, quoique s’aimant toujours,
Et s’entendent, les nuits, et s’entendent, les jours,
Se taire ou s’appeler, parmi ces tombes.
Le vent qui passe et que l’ombre y respire,
Est moite et lourd et vieux de souvenirs ;
On l’écoute, le soir, l’haleine suspendue ;
Et l’on surprend des effluves voler
Et s’attirer et se frôler.
Oh ! ces caves de marbre en sculpture tordues.
La vie, au-delà de la mort encor vivante,
La vie approfondie en épouvante,
Perdure là, si fort,
Qu’on croit sentir, dans les murailles,
Avec de surhumains efforts,
Battre et s’exalter encor
Tous ces coeurs fous, tous ces coeurs morts,
Qui ont vaincu leurs funérailles.
Reposent là des maîtresses de rois
Dont le caprice et le délire
Ont fait se battre des empires ;
Des conquérants, dont les glaives d’effroi
Se brisèrent, entre des doigts de femme ;
Des poètes fervents et clairs
De leur ivresse et de leur flamme,
Qui périrent, en chantant l’air
Triste ou joyeux qu’aimait leur dame.
Voici les ravageurs et les ardents
Dont le baiser masquait le coup de dents ;
Les fous dont le vertige aimait l’abîme
Qui dépeçaient l’amour en y taillant un crime ;
Les violents et les vaincus du sort
Ivres de l’inconnu que leur offrait la mort ;
Enfin, les princesses, les reines,
Mortes – depuis quels temps et sur quels échafauds ? –
Quand le peuple portait des morts, comme drapeaux,
Devant ses pas rués vers la conquête humaine.
Égarons-nous, mon âme, en ces cryptes de deuil,
Où, sous chaque tombeau, où, dans chaque linceul,
On écoute les morts si terriblement vivre.
Leur désespoir superbe et leur douleur enivrent,
Car, au-delà de l’agonie, ils ont planté
Si fortement et si tragiquement leur volonté
Que leur poussière encore est pleine
Des ferments clairs de leur amour et de leur haine.
Leurs passions, bien qu’aujourd’hui sans voix,
S’entremordent, comme autrefois,
Plus féroces depuis qu’elles se sentent
Libres, dans ce palais de la clarté absente.
Regard d’orgueil, regard de proie,
Fondent l’un sur l’autre, sans qu’on les voie,
Pour se percer et s’abîmer, en des ténèbres.
Autour des vieux granits et des pierres célèbres,
Parfois, un remuement de pas guerriers s’entend
Et tel héros debout dans son orgueil, attend
Que, sur son socle orné de combats rouges,
Soudain le bronze et l’or de la bataille bougent.
Tout drame y vit, les yeux hagards, le poing fermé,
Et traîne, à ses côtés, le désespoir armé ;
L’envie et le soupçon aux carrefours s’abouchent ;
Des mots sont étouffés, par des mains, sur des bouches ;
Des bras se nouent et se dénouent, ardents et las ;
Dans l’ombre, on croirait voir luire un assassinat ;
Mille désirs qui se lèvent et qui avortent,
D’un large élan vaincu, battent toujours les portes ;
L’intermittent reflet de vieux flambeaux d’airain
Passe, le long des murs, en gestes surhumains ;
On sent, autour de soi, les passions bandées,
Sur l’arc silencieux des plus sombres idées ;
Tout est muet et tout est haletant ;
La nuit, la fièvre encore augmente et l’on entend
Un bruit pesant sortir de terre
Et se rompre les plombs et se fendre les bières !
Oh, cette vie aiguë et toute en profondeur,
Si ténébreuse et si trouble, qu’elle fait peur !
Cette vie âpre, où les luttes s’accroissent
A force de volonté,
Jusqu’à donner l’éternité
Pour mesure à son angoisse,
Mon coeur, sens-tu, comme elle est effrénée
En son spasme suprême et sa ferveur damnée ?
Soit par pitié, soit parce qu’elle
Concentre, en son ardeur, toute l’âme rebelle,
Incline-toi, vers son mystère et sa terreur,
Ô toi, qui veux la vie à travers tout, mon coeur !
Pèse sa crainte et suppute ses rages
Et son entêtement, en ces conflits d’orages,
Toujours exaspéré, jusqu’au suprême effort ;
Sens les afflux de joie et les reflux de peine
Passer, dans l’atmosphère, et enfiévrer la mort ;
Songe à tous tes amours, songe à toutes tes haines,
Et plonge-toi, sauvage et outrancier,
Comme un rouge faisceau de lances,
En ce terrible et fourmillant brasier
De violence et de silence.
il y a 8 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
La cuisine Au fond, la crémaillère avait son croc pendu,
Le foyer scintillait comme une rouge flaque,
Et ses flammes, mordant incessamment la plaque,
Y rongeaient un sujet obscène en fer fondu.
Le feu s’éjouissait sous le manteau tendu
Sur lui, comme l’auvent par-dessus la baraque,
Dont les bibelots clairs, de bois, d’étain, de laque,
Crépitaient moins aux yeux que le brasier tordu.
Les rayons s’échappaient comme un jet d’émeraudes,
Et, ci et là, partout, donnaient des chiquenaudes
De clarté vive aux brocs de verre, aux plats d’émail,
A voir sur tout relief tomber une étincelle,
On eût dit – tant le feu s’émiettait par parcelle –
Qu’on vannait du soleil à travers un vitrail.
il y a 8 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
La ferme A voir la ferme au loin monter avec ses toits,
Monter, avec sa tour et ses meules en dômes
Et ses greniers coiffés de tuiles et de chaumes,
Avec ses pignons blancs coupés par angles droits ;
A voir la ferme au loin monter dans les verdures,
Reluire et s’étaler dans la splendeur des Mais,
Quand l’été la chauffait de ses feux rallumés
Et que les hêtres bruns l’éventaient de ramures :
Si grande semblait-elle, avec ses rangs de fours,
Ses granges, ses hangars, ses étables, ses cours,
Ses poternes de vieux clous noirs bariolées,
Son verger luisant d’herbe et grand comme un chantier,
Sa masse se carrant au bout de trois allées,
Qu’on eût dit le hameau tassé là, tout entier.
il y a 8 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
La kermesse Avec colère, avec détresse,
Avec ses refrains de quadrilles,
Qui sautèlent sur leurs béquilles,
L’orgue canaille et lourd,
Au fond du bourg,
Moud la kermesse.
Quelques étals, au coin des bornes,
Et quelques vieilles gens,
Au seuil d’un portail morne.
Et quelques couples seuls qui se hasardent,
Les gars braillards et les filles hagardes,
Alors qu’au cimetière deux corbeaux,
Sur les tombeaux,
Regardent.
Avec colère, avec détresse, avec blasphème,
Mais, vers la fête
Quand même,
L’orgue s’entête.
Sa musique de tintamarres
Se casse, en des bagarres
De cuivre vert et de fer blanc,
Et crie et grince dans le vide,
Obstinément,
Sa note acide.
Sur la place, l’église,
Sous le cercueil de ses grands toits
Et les linceuls de ses murs droits,
Tait les reproches
Solennels de ses cloches ;
Un charlatan, sur un tréteau,
Pantalon rouge et vert manteau,
Vend à grands cris la vie ;
Puis échange, contre des sous,
Son remède pour loups garous
Et l’histoire de point en point suivie,
Sur sa pancarte,
D’un bossu noir qu’il délivra de fièvre quarte.
Et l’orgue rage
Son quadrille sauvage.
Et personne, des hameaux proches,
N’est accouru ;
Vides les étables — vides les poches,
Et rien que la mort et la faim
Dont se peuple l’armoire à pain ;
Dans la misère qui les soude
On sent que les hameaux se boudent,
Qu’entre filles et gars d’amour
La pauvreté découd les alliances
Et que les jours suivant les jours
Chacun des bourgs
Fait son silence avec ses défiances.
L’orgue grinçant et faux,
Dans son armoire
D’architecture ostentatoire,
Criaille un bruit de faux
Et de cisailles.
Dans la salle de plâtre cru,
Où ses cris tors et discors, dru,
Contre des murs de lattes
Éclatent,
Des colonnes de verre et de jouants bâtons
— Clinquant et or — tournent sur son fronton ;
Et les concassants bruits des cors et des trompettes
Et les fifres, tels des forets,
Cinglent et trouent le cabaret
De leurs tempêtes
Et vont là-bas
Contre un pignon, avec fracas,
Broyer l’écho de la grand’rue.
Et l’orgue avec sa rage
S’ameute une dernière fois et rue
Des quatre fers de son tapage
Jusqu’aux lointains des champs,
Jusqu’aux routes, jusqu’aux étangs,
Jusqu’aux jachères de méteil,
Jusqu’au soleil ;
Et seuls dansent aux carrefours,
Jupons gonflés et sabots lourds,
Deux pauvres fous avec deux folles.
il y a 8 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
La ville Tous les chemins vont vers la ville.
Du fond des brumes, Là-bas, avec tous ses étages
Et ses grands escaliers et leurs voyages
Jusques au ciel, vers de plus hauts étages,
Comme d’un rêve, elle s’exhume.
Là-bas,
Ce sont des ponts tressés en fer
Jetés, par bonds, à travers l’air;
Ce sont des blocs et des colonnes
Que dominent des faces de gorgones;
Ce sont des tours sur des faubourgs,
Ce sont des toits et des pignons,
En vols pliés, sur les maisons;
C’est la ville tentaculaire,
Debout,
Au bout des plaines et des domaines.
Des clartés rouges
Qui bougent
Sur des poteaux et des grands mâts,
Même à midi, brûlent encor
Comme des œufs monstrueux d’or,
Le soleil clair ne se voit pas:
Bouche qu’il est de lumière, fermée
Par le charbon et la fumée,
Un fleuve de naphte et de poix
Bat les môles de pierre et les pontons de bois;
Les sifflets crus des navires qui passent
Hurlent la peur dans le brouillard:
Un fanal vert est leur regard
Vers l’océan et les espaces.
Des quais sonnent aux entrechocs de leurs fourgons,
Des tombereaux grincent comme des gonds,
Des balances de fer font choir des cubes d’ombre
Et les glissent soudain en des sous-sols de feu;
Des ponts s’ouvrant par le milieu,
Entre les mâts touffus dressent un gibet sombre
Et des lettres de cuivre inscrivent l’univers,
Immensément, par à travers
Les toits, les corniches et les murailles,
Face à face, comme en bataille.
Par au-dessus, passent les cabs, filent les roues,
Roulent les trains, vole l’effort,
Jusqu’aux gares, dressant, telles des proues
Immobiles, de mille en mille, un fronton d’or.
Les rails ramifiés rampent sous terre
En des tunnels et des cratères
Pour reparaître en réseaux clairs d’éclairs
Dans le vacarme et la poussière.
C’est la ville tentaculaire.
La rue – et ses remous comme des câbles
Noués autour des monuments –
Fuit et revient en longs enlacements;
Et ses foules inextricables
Les mains folles, les pas fiévreux,
La haine aux yeux,
Happent des dents le temps qui les devance.
A l’aube, au soir, la nuit,
Dans le tumulte et la querelle, ou dans l’ennui,
Elles jettent vers le hasard l’âpre semence
De leur labeur que l’heure emporte.
Et les comptoirs mornes et noirs
Et les bureaux louches et faux
Et les banques battent des portes
Aux coups de vent de leur démence.
Dehors, une lumière ouatée,
Trouble et rouge, comme un haillon qui brûle,
De réverbère en réverbère se recule.
La vie, avec des flots d’alcool est fermentée.
Les bars ouvrent sur les trottoirs
Leurs tabernacles de miroirs
Où se mirent l’ivresse et la bataille;
Une aveugle s’appuie à la muraille
Et vend de la lumière, en des boîtes d’un sou;
La débauche et la faim s’accouplent en leur trou
Et le choc noir des détresses charnelles
Danse et bondit à mort dans les ruelles.
Et coup sur coup, le rut grandit encore
Et la rage devient tempête:
On s’écrase sans plus se voir, en quête
Du plaisir d’or et de phosphore;
Des femmes s’avancent, pâles idoles,
Avec, en leurs cheveux, les sexuels symboles.
L’atmosphère fuligineuse et rousse
Parfois loin du soleil recule et se retrousse
Et c’est alors comme un grand cri jeté
Du tumulte total vers la clarté:
Places, hôtels, maisons, marchés,
Ronflent et s’enflamment si fort de violence
Que les mourants cherchent en vain le moment de silence
Qu’il faut aux yeux pour se fermer.
Telle, le jour – pourtant, lorsque les soirs
Sculptent le firmament, de leurs marteaux d’ébène,
La ville au loin s’étale et domine la plaine
Comme un nocturne et colossal espoir;
Elle surgit: désir, splendeur, hantise;
Sa clarté se projette en lueurs jusqu’aux cieux,
Son gaz myriadaire en buissons d’or s’attise,
Ses rails sont des chemins audacieux
Vers le bonheur fallacieux
Que la fortune et la force accompagnent;
Ses murs se dessinent pareils à une armée
Et ce qui vient d’elle encore de brume et de fumée
Arrive en appels clairs vers les campagnes.
C’est la ville tentaculaire,
La pieuvre ardente et l’ossuaire
Et la carcasse solennelle.
Et les chemins d’ici s’en vont à l’infini
Vers elle.
il y a 8 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
Le bazar C’est un bazar, au bout des faubourgs rouges :
Étalages bondés, éventaires ventrus.
Tumulte et cris brandis, gestes bourrus et crus,
Et lettres d’or, qui soudain bougent,
En torsades, sur la façade.
Chaque matin, on vend, en ce bazar,
Parmi les épices, les fards
Et les drogues omnipotentes,
À bon marché, pour quelques sous,
Les diamants dissous
De la rosée immense et éclatante.
Le soir, à prix numéroté,
Avec le désir noir de trafiquer de la pureté,
On y brocante le soleil
Que toutes les vagues de la mer claire
Lavent, entre leurs doigts vermeils,
Aux horizons auréolaires.
C’est un bazar, avec des murs géants
Et des balcons et des sous-sols béants
Et des tympans montés sur des corniches
Et des drapeaux et des affiches,
Où deux clowns noirs plument un ange.
À travers boue, à travers fange,
Roulent, la nuit vers le bazar,
Les chars, les camions et les fardiers,
Qui s’en reviennent des usines
Voisines,
Des cimetières et des charniers,
Avec un tel poids noir de cargaisons,
Que le sol bouge et les maisons.
On met au clair à certains jours,
En de vaines et frivoles boutiques,
Ce que l’humanité des temps antiques
Croyait divinement être l’amour ;
Aussi les Dieux et leur beauté
Et l’effrayant aspect de leur éternité
Et leurs yeux d’or et leurs mythes et leurs emblèmes
Et des livres qui les blasphèment.
Toutes ardeurs, tous souvenirs, toutes prières
Sont là, sur des étals, et s’empoussièrent.
Des mots qui renfermaient l’âme du monde
Et que les prêtres seuls disaient au nom de tous,
Sont charriés et ballottés, dans la faconde
Des camelots et des voyous.
L’immensité se serre en des armoires
Dérisoires et rayonne de plaies
Et le sens même de la gloire
Se définit par des monnaies.
Lettres jusques au ciel, lettres en or qui bouge,
C’est un bazar au bout des faubourgs rouges !
La foule et ses flots noirs
S’y bouscule près des comptoirs ;
La foule et ses désirs multipliés,
Par centaines et par milliers,
Y tourne, y monte, au long des escaliers,
Et s’érige folle et sauvage,
En spirale, vers les étages.
Là haut, c’est la pensée
Immortelle, mais convulsée,
Avec ses triomphes et ses surprises,
Qu’à la hâte on expertise.
Tous ceux dont le cerveau
S’enflamme aux feux des problèmes nouveaux,
Tous les chercheurs qui se fixent pour cible
Le front d’airain de l’impossible
Et le cassent, pour que les découvertes
S’en échappent, ailes ouvertes,
Sont là gauches, fiévreux, distraits,
Dupes des gens qui les renient
Mais utilisent leur génie,
Et font argent de leurs secrets.
Oh ! les Edens, là-bas, au bout du monde,
Avec des arbres purs à leurs sommets,
Que ces voyants des lois profondes
Ont exploré pour à jamais,
Sans se douter qu’ils sont les Dieux.
Oh ! leur ardeur à recréer la vie,
Selon la foi qu’ils ont en eux
Et la douceur et la bonté de leurs grands yeux,
Quand, revenus de l’inconnu
Vers les hommes, d’où ils s’érigent,
On leur vole ce qui leur reste aux mains
De vérité conquise et de destin.
C’est un bazar tout en vertiges
Que bat, continûment, la foule, avec ses houles
Et ses vagues d’argent et d’or ;
C’est un bazar tout en décors,
Avec des tours de feux et des lumières,
Si large et haut que, dans la nuit,
Il apparaît la bête éclatante de bruit
Qui monte épouvanter le silence stellaire.
il y a 8 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
Le port Toute la mer va vers la ville !
Son port est innombrable et sinistre de croix,
Vergues transversales barrant les grands mâts droits.
Son port est pluvieux de suie à travers brumes,
Où le soleil comme un œil rouge et colossal larmoie.
Son port est ameuté de steamers noirs qui fument
Et mugissent, au fond du soir, sans qu’on les voie.
Son port est fourmillant et musculeux de bras
Perdus en un fouillis dédalien d’amarres.
Son port est concassé de chocs et de fracas
Et de marteaux tonnant dans l’air leurs tintamarres.
Toute la mer va vers la ville !
Les flots qui voyagent comme les vents,
Les flots légers, les flots vivants,
Pour que la ville en feu l’absorbe et le respire
Lui rapportent le monde en des navires.
Les orients et les midis tanguent vers elle
Et les Nords blancs et la folie universelle
Et tous nombres dont le désir prévoit la somme.
Et tout ce qui s’invente et tout ce que les hommes
Tirent de leurs cerveaux puissants et volcaniques
Tend vers elle, cingle vers elle et vers ses luttes :
Elle est la ville en rut des humaines disputes,
Elle est la ville au clair des richesses uniques
Et les marins naïfs peignent son caducée
Sur leur peau rousse et crevassée,
À l’heure où l’ombre emplit les soirs océaniques.
Toute la mer va vers la ville !
Ô les Babels enfin réalisées !
Et les peuples fondus et la cité commune ;
Et les langues se dissolvant en une ;
Et la ville comme une main, les doigs ouverts.
Se refermant sur l’univers.
Dites, les docks bondés jusques au faîte !
Et la montagne, et le désert, et les forêts,
Et leurs siècles captés comme en des rets ;
Dites, leurs blocs d’éternité : marbres et bois,
Que l’on achète,
Et que l’on vend au poids,
Et puis, dites ! les morts, les morts, les morts
Qu’il a fallu pour ces conquêtes.
Toute la mer va vers la ville !
La mer soudaine, ardente et libre,
Qui tient la terre en équilibre ;
La mer que domine la loi des multitudes,
La mer où les courants tracent les certitudes ;
La mer et ses vagues coalisées,
Comme un désir multiple et fou,
Qui renversent des rocs depuis mille ans debout
Et retombent et s’effacent, égalisées ;
La mer dont chaque lame ébauche une tendresse
Ou voile une fureur, la mer plane ou sauvage,
La mer qui inquiète et angoisse et oppresse
De l’ivresse de son image.
Toute la mer va vers la ville !
Son port est flamboyant et tourmenté de feux
Qui éclairent de hauts leviers silencieux.
Son port est hérissé de tours dont les murs sonnent
D’un bruit souterrain d’eau qui s’enfle et ronfle en elles.
Son port est lourd de blocs taillés, où des gorgones
Dardent les réseaux noirs des vipères mortelles.
Son port est fabuleux de déesses sculptées
À l’avant des vaisseaux dont les mâts d’or s’exaltent.
Son port est solennel de tempêtes domptées
En des havres d’airain de marbre et de basalte.
il y a 8 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
Les cathédrales Au fond du choeur monumental,
D’où leur splendeur s’érige
– Or, argent, diamant, cristal –
Lourds de siècles et de prestiges,
Pendant les vêpres, quand les soirs
Aux longues prières invitent,
Ils s’imposent, les ostensoirs,
Dont les fixes joyaux méditent.
Ils conservent, ornés de feu,
Pour l’universelle amnistie,
Le baiser blanc du dernier Dieu,
Tombé sur terre en une hostie.
Et l’église, comme un palais de marbres noirs,
Où des châsses d’argent et d’ombre
Ouvrent leurs yeux de joyaux sombres,
Par l’élan clair de ses colonnes exulte
Et dresse avec ses arcs et ses voussoirs
Jusqu’au faîte, l’éternité du culte.
Dans un encadrement de grands cierges qui pleurent,
A travers temps et jours et heures,
Les ostensoirs
Sont le seul coeur de la croyance
Qui luise encor, cristal et or,
Dans les villes de la démence.
Le bourdon sonne et sonne,
A grand battant tannant,
De larges glas qui sont les râles
Et les sursauts des cathédrales.
Et les foules qui tiennent droits,
Pour refléter le ciel, les miroirs de leur foi,
Réunissent, à ces appels, leurs âmes,
Autour des ostensoirs de flamme.
– O ces foules, ces foules,
Et la misère et la détresse qui les foulent !
Voici les pauvres gens des blafardes ruelles,
Barrant de croix, avec leurs bras tendus,
L’ombre noire qui dort dans les chapelles.
– O ces foules, ces foules,
Et la misère et la détresse qui les foulent !
Voici les corps usés, voici les coeurs fendus,
Voici les coeurs lamentables des veuves
En qui les larmes pleuvent,
Continûment, depuis des ans.
– O ces foules, ces foules
Et la misère et la détresse qui les foulent !
Voici les mousses et les marins du port
Dont les vagues monstrueuses bercent le sort.
– O ces foules, ces foules
Et la misère et la détresse qui les foulent !
Voici les travailleurs cassés de peine,
Aux six coups de marteaux des jours de la semaine.
– O ces foules, ces foules
Et la misère et la détresse qui les foulent !
Voici les enfants las de leur sang morne
Et qui mendient et qui s’offrent au coin des bornes.
– O ces foules, ces foules
Et la misère et la détresse qui les foulent !
Voici les marguilliers massifs et mous
Qui font craquer leur stalle en pliant les genoux.
– O ces foules, ces foules
Et la misère et la détresse qui les foulent !
Voici les armateurs dont les bateaux de fer,
Fortune au vent, tanguent parmi la mer.
– O ces foules, ces foules
Et la misère et la détresse qui les foulent !
Voici les grands bourgeois de droit divin
Qui bâtissent sur Dieu la maison de leur gain.
– O ces foules, ces foules
Et la misère et la détresse qui les foulent !
Les ostensoirs, qu’on élève, le soir,
Vers les villes échafaudées
En toits de verre et de cristal,
Du haut du choeur sacerdotal,
Tendent la croix des gothiques idées.
Ils s’imposent dans l’or des clairs dimanches
– Toussaint, Noël, Pâques et Pentecôtes blanches –
Ils s’imposent dans l’or et dans les bruits de fête
Du grand orgue battant du vol de ses tempêtes
L’autel de marbre rouge et ses piliers vermeils ;
Ils sont une âme en du soleil,
Qui vit de vieux décor et d’antique mystère
Autoritaire.
Pourtant, dès que s’éteignent les grands cierges
Et les lampes veillant le coeur des saintes vierges,
Un deuil d’encens évaporé flotte et s’empreint
Sur les châsses d’argent et les tombeaux d’airain ;
Et les vitraux, peuplés de siècles rassemblés
Devant le Christ – avec leurs papes immobiles
Et leurs martyrs et leurs héros – semblent trembler
Au bruit d’un train lointain qui roule sur la ville.
Emile Verhaeren, Les villes tentaculaires
il y a 8 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
Pauvres vieilles cités Pauvres vieilles cités par les plaines perdues,
Dites de quel grand plan de gloire,
Vers la vie humble et dérisoire,
Toutes, vous voilà descendues.
Vous ne comprenez plus vos hauts beffrois en deuil,
Ni ce que disent aux nuées
Tant de pierres destituées
De leur ancien et bel orgueil,
Vos carrefours, vos grand’places et votre port,
Tout est muet et léthargique ;
Tout semble aller à pas logiques
Vers l’horizon, où luit la mort.
Seule, quand le marché aligne au jour levé,
Sur le trottoir, ses éventaires,
Un peu de vie hebdomadaire
Se cabre aux joints de vos pavés.
Ou bien, quand la kermesse et ses cortèges d’or
Mènent leur ronde autour des rues,
L’émoi des foules accourues
Vous fait revivre une heure encor.
Vos moeurs sont pareilles à vos petits jardins :
Buissons corrects, calmes verdures,
Mais une odeur de moisissure
Séjourne en leurs recoins malsains.
Vos gestes sont prudents, mesquins et routiniers,
Vous ne penchez sur vos négoces
Que des yeux mornes ou féroces,
Qui ne comptent que par deniers.
Vos cerveaux sans révolte et vos coeurs sans fierté
Se complaisent aux moindres choses,
Et de pauvres apothéoses
Font tressaillir vos vanités.
Vous ne produisez plus ni communiers ni gueux
Et vivez à la dérobée
Des miettes d’ombre et d’or tombées
Du festin rouge des aïeux.
Pourtant, si triste et long que soit votre déclin,
Notre rêve ne veut pas croire
Que plus jamais la belle gloire
Ne bondira de vos tremplins.
Vous vous armez encore de trop d’entêtement,
Damme, Courtrai, Ypres, Termonde,
Pour n’être plus au vent du monde
Que des tombeaux d’orgueil flamand.
Et n’avoir plus aucun remords, aucun sursaut
En ces heures de somnolence
Où le visage du silence
Se mire seul dans vos canaux.
il y a 8 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
Un village Des murs crépis, de pauvres toits,
Un pont, un chemin de halage,
Et le moulin qui fait sa croix
De haut en bas, sur le village.
Les appentis et les maisons
S’échouent, ainsi que choses mortes.
Le filet dort : et les poissons
Sèchent, pendus au seuil des portes.
Un chien sursaute en longs abois ;
Des cris passent, lourds et funèbres ;
Le menuisier coupe son bois,
Presque à tâtons, dans les ténèbres.
Tous les métiers à bruit discord
Se sont lassés l’un après l’autre
Derrière un mur, marmonne encor
Un dernier bruit de patenôtres.
Une pauvresse aux longues mains,
Du bout de son bâton tâtonne
De seuil en seuil, par les chemins ;
Le soir se fait et c’est l’automne.
Et puis viendra l’hiver osseux,
Le maigre hiver expiatoire,
Où les gens sont plus malchanceux
Que les âmes en purgatoire.
il y a 8 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
Une heure de soir En ces heures de soirs et de brumes ployés
Sur des fleuves partis vers des fleuves sans bornes,
Si mornement tristes contre les quais si mornes,
Luisent encor des flots comme des yeux broyés.
Comme des yeux broyés luisent des flots encor,
Tandis qu’aux poteaux noirs des ponts, barrant les hâvres,
Quels heurts mous et pourris d’abandonnés cadavres
Et de sabords de bateaux morts au Nord ?
La brume est fauve et pleut dans l’air rayé,
La brume en drapeaux morts pend sur la cité morte ;
Quelque chose s’en va du ciel, que l’on emporte,
Lamentable, comme un soleil noyé.
Des tours, immensément des tours, avec des voix de glas,
Pour ceux du lendemain qui s’en iront en terre,
Lèvent leur vieux grand deuil de granit solitaire,
Nocturnement, par au-dessus des toits en tas.
Et des vaisseaux s’en vont, sans même, un paraphe d’éclair,
Tels des cercueils, par ces vides de brouillard rouge,
Sans même un cri de gouvernail qui bouge
Et tourne, au long des chemins d’eau, qu’ils tracent vers la mer.
Et si vers leurs départs, les vieux môles tendent des bras,
Avec au bout des croix emblématiques,
Par à travers l’embu des quais hiératiques,
Les christs implorateurs et doux ne se voient pas :
La brume en drapeaux morts plombe la cité morte,
En cette fin de jour et de soir reployé,
Et du ciel noir, comme un soleil noyé,
Lamentable, c’est tout mon cœur que l’on emporte.
il y a 8 mois
Emile Verhaeren
@emileVerhaeren
Vieille ferme à la toussaint La ferme aux longs murs blancs, sous les grands arbres jaunes,
Regarde, avec les yeux de ses carreaux éteints,
Tomber très lentement, en ce jour de Toussaint,
Les feuillages fanés des frênes et des aunes.
Elle songe et resonge à ceux qui sont ailleurs,
Et qui, de père en fils, longuement s’éreintèrent,
Du pied bêchant le sol, des mains fouillant la terre,
A secouer la plaine à grands coups de labeur.
Puis elle songe encor qu’elle est finie et seule,
Et que ses murs épais et lourds, mais crevassés,
Laissent filtrer la pluie et les brouillards tassés,
Même jusqu’au foyer où s’abrite l’aïeule.
Elle regarde aux horizons bouder les bourgs ;
Des nuages compacts plombent le ciel de Flandre ;
Et tristement, et lourdement se font entendre,
Là-bas, des bonds de glas sautant de tour en tour.
Et quand la chute en or des feuillage effleure,
Larmes ! ses murs flétris et ses pignons usés,
La ferme croit sentir ses lointains trépassés
Qui doucement se rapprochent d’elle, à cette heure,
Et pleurent.
il y a 8 mois
E
Emmanuel Arago
@emmanuelArago
Le petit endroit Vous qui venez ici dans une humble posture,
Débarrasser vos flancs d’un importun fardeau,
Veuillez, quand vous aurez soulagé la nature
Et déposé dans l’urne un modeste cadeau,
Épancher dans l’amphore un courant d’onde pure,
Puis, sur l’autel fumant, placer pour chapiteau
Le couvercle arrondi dont l’auguste jointure
Aux parfums indiscrets doit servir de tombeau.
il y a 8 mois
E
Eustache Deschamps
@eustacheDeschamps
Adieux a Paris Adieu m'amour, adieu douces fillettes,
Adieu
Grand
Pont, haies, estuves, bains,
Adieu pourpoins, chauces, vestures nettes,
Adieu harnois tant clouez comme plains,
Adieu molz liz, broderie et beaus seins
Adieu dances, adieu qui les hantez,
Adieu connins, perdriz que je reclaims,
Adieu
Paris, adieu petiz pastez.
Adieu chapeaulx faiz de toutes flourettes,
Adieu bons vins, ypocras, doulz compains,
Adieu poisson de mer, d'eaues doucettes.
Adieu moustiers ou l'en voit les doulz sains
Dont pluseurs sont maintefoiz chapellains.
Adieu déduit et dames qui chantez !
En
Languedoc m'en vois comme contrains :
Adieu
Paris, adieu petiz pastez.
Adieu, je suis desor surespinettes
Car arrebours versera mes estrains,
Je pourrai bien perdre mes amourettes
S'amour change pour estre trop loingtains.
Crotez seray, dessirez et dessains,
Car li pais est détruit et gastez.
Si dirai lors pour reconfort au mains :
Adieu
Paris, adieu petiz pastez !
il y a 8 mois
Federico Garcia Lorca
@federicoGarciaLorca
Couleurs Au-dessus de Paris
la lune est violette.
Elle devient jaune
dans les villes mortes.
Il y a une lune verte
dans toutes les légendes.
Lune de toile d’araignée
et de verrière brisée,
et par-dessus les déserts
elle est profonde et sanglante.
Mais la lune blanche,
la seule vraie lune,
brille sur les calmes
cimetières de villages.
il y a 8 mois
F
Francis Etienne Sicard
@francisEtienneSicard
A Londres au crépuscule Les rues en diamants et leur soyeux pavage,
Comme des serpentins lâchés des toits obscurs,
Glissent, de pas en pas, le long de mers de murs,
Tapissés du soleil de vitrine en voyage.
Un bus à impériale et son rouge ramage
Croise une limousine aux fourreaux de noirs purs,
L’un éteignant le jour et ses rêves d’azurs,
L’autre incendiant la nuit d’une ivresse volage.
La Tamise soudain se pare de colliers,
Et Big Ben se maquille à l’or de ses aiguilles,
Chuchotant des dîners, fards des joailliers.
La magicienne alors entre de scène en scène
Soulevant les rideaux dont les tons de charmilles
Font frissonner la ville aux plaisirs des mécènes.
il y a 8 mois
F
Francis Etienne Sicard
@francisEtienneSicard
Bangkok à l’aube L’ivoire du matin comme un voile en satin,
Repose sur les toits de la ville endormie
Que des oiseaux de jais pillent par colonie,
Dans un tiède silence au turgide câlin.
Les bouddhas aveuglés par leur riche destin,
Patronnent l’horizon de leur lente atrophie,
Que l’encens et les gongs couvrent de féérie,
Quand le soleil se plie à leur peau de calcin.
Le fleuve saigne l’or et les rives l’argent,
Comme si le ciel gris avait fondu la nuit
Dans un creuset de boue aux couleurs de serpent.
Imperceptiblement, les parfums de la mangue,
Glissent leur chair de feu et leur saveur de fruit,
A la bouche d’un jour fondant crû sous la langue.
il y a 8 mois
F
Francis Etienne Sicard
@francisEtienneSicard
Carnavalesque esquisses Un domino de soie et son masque d’argile
Hantent toutes mes nuits de leur peau de fantôme,
Et gravent dans mes yeux un verset palindrome,
Qu’un miroir d’argent pur lit comme un Evangile.
Ganté d’or, l’arlequin, joue à pincée agile,
Des mélodies d’amour sur un luth polychrome
Qui charment le destin d’un lutin et d’un gnome
Dont le visage nu sourit au soir fragile.
Le long des quais lapés par la brume du jour,
Il glisse à pas feutrés sur le marbre meurtri,
Puis se fond dans la nuit comme un fin troubadour.
Est-ce un ange du ciel qui s’abreuve de paix,
Aux riches abreuvoirs d’un palais assoupi,
Ou le diable affublé d’un corps de portefaix ?
il y a 8 mois
F
Francis Etienne Sicard
@francisEtienneSicard
Cascade Au flanc de la bière, le triple mur de pierre,
Sous la chair d’un drapeau enclavé dans le sang,
Lance le mikado au-dessus des enfants
Comme l’arlequin blanc qu’on voit au cimetière.
L’Egypte assoiffée de nourrices et d’ornières,
Valse silencieusement au fil du temps,
Relevant lentement, sans gant, le pan tranchant
De son tulle de gré surpiqué de lumière.
Salle vide de bal, le désert qui s’endort,
Veille, couché, comme un chacal perlé de feu,
Déployant sa poitrine enflée de sable et d’or.
Loin des terrasses, le souffle de l’aube perce
Enfin, l’anneau de la nuit, du stylet de son jeu,
Et dévoilant son corps, se couche sous la herse.
il y a 8 mois
F
Francis Etienne Sicard
@francisEtienneSicard
Constantinopolis Imaginez le soir en robe de satin
Et le ciel, sous un dais broché de perles pâles.
Découpez dans vos rêves des bruits de pétales,
Et colorez vos yeux d’un lourd parfum de marbre.
Attachez-y la soie d’un voile byzantin
Dont la Sainte, Sophie, aux langueurs médiévales,
Fond la cire de paix sur un miroir de dalles,
Et vous verrez l’Orient déguiser son destin.
Bosphore et Corne d’or, la mer de Marmara,
Etale son tapis de navires marchands
Sur le toit des palais, d’un pas fragile et lent.
Or, écoutez la voix des minarets béats,
Où se froisse le souffle d’un soleil couchant,
Sous l’enclume alanguie des fanions de sultans.
il y a 8 mois
F
Francis Etienne Sicard
@francisEtienneSicard
Empire d’une illusion Des flammes de cendal éfaufilent le ciel
D’une aiguille de vent en verre de Venise,
Et dévorent le soir à la sombre chemise,
De baisers amoureux aux essences de miel.
Des barques en suspend au bord d’un arc en ciel,
S’endorment lentement d’un sommeil de banquise,
Où parfois glisse un cygne au souffle de la brise,
Comme un peuple d’oiseaux s’effaçant du pluriel.
La ruse d’un renard échappé d’une bestiaire,
Trompe l’œil amusé par la pâleur lunaire
D’une branche de houx d’où s’envole un hibou.
Au froissement d’un pas murmuré par un ange,
On reconnaît alors la sente du passage
Entre l’eau qui bouillonne et l’odeur du thé bou.
il y a 8 mois
F
Francis Etienne Sicard
@francisEtienneSicard
Images de boudoir Des flasques de cristal aux couleurs de l’aurore,
Irisant un parfum à la pulpe de fruit,
Glissent leurs bouches d’or au feutre de la nuit
Dont le soyeux velours épouse un météore.
L’âme d’un jasmin frais à l’haleine incolore,
Suspendue au miel crû d’un parfum de biscuit,
Grise le regard clos de cet instant fortuit
Où l’enfance se mêle à l’encens de la flore.
Une goutte posée à même la chair nue,
Habille de satin un frisson de plaisir,
Qu’une ivresse de gloire enfle de sa ciguë.
Puis une main gantée annelle une émeraude,
Dont les mèches de feu soudain vont engloutir
Un cœur émerveillé partant à la maraude.
il y a 8 mois
F
Francis Etienne Sicard
@francisEtienneSicard
Jarres d’étoiles Des étoffes de soie et des nappes de lin
De la vaisselle en or et des cristaux de lune
Scintillant des splendeurs d’une grande fortune
Ensorcellent le soir aux griffes de félin.
Un prince maquillé comme un fier jobelin
Descend à pas tendus sous une cape brune
Un escalier brumeux qui mène à la lagune
Cachant sous son silence un démon gibelin.
Le clocher de Saint Marc sonne la onzième heure
Que des rires lointains dans une autre demeure
Couvrent de leur jeunesse ignorant la rancœur.
Quand la gondole glisse le long d’un quai hostile
Une main de velours saisit d’un geste habile
Une dague de bronze et frappe dans le cœur.
il y a 8 mois
Francis Jammes
@francisJammes
Dans le verger… Dans le Verger où sont les arbres de lumière,
La pulpe des fruits lourds pleure ses larmes d’or,
Et l’immense Bagdad s’alanguit et s’endort
Sous le ciel étouffant qui bleuit la rivière.
Il est deux heures. Les palais silencieux
Ont des repas au fond des grandes salles froides
Et Sindbad le marin, sous les tentures roides,
Passe l’alcarazas d’un air sentencieux.
Mangeant l’agneau rôti, puis les pâtes d’amandes,
Tous laissent fuir la vie en écoutant pleuvoir
Les seaux d’eau qu’au seuil blanc jette un esclave noir.
Les passants curieux lui posent des demandes.
C’est Sindbad le marin qui donne un grand repas !
C’est Sindbad, l’avisé marin dont l’opulence
Est renommée et que l’on écoute en silence.
Sa galère était belle et s’en allait là-bas !
Il sent bon, le camphre et les rares arômes.
Sa tête est parfumée et son nez aquilin
Tombe railleusement sur sa barbe de lin :
Il a la connaissance et le savoir des hommes.
Il parle, et le soleil oblique sur Bagdad
Jette une braise immense où s’endorment les palmes,
Et les convives, tous judicieux et calmes,
Écoutent gravement ce que leur dit Sindbad.
il y a 8 mois
François Coppée
@francoisCoppee
A Paris, en été, les soirs sont étouffants… A Paris, en été, les soirs sont étouffants.
Et moi, noir promeneur qu’évitent les enfants,
Qui fuis la joie et fais, en flânant, bien des lieues,
Je m’en vais, ces jours-là, vers les tristes banlieues.
Je prends quelque ruelle où pousse le gazon
Et dont un mur tournant est le seul horizon.
Je me plais dans ces lieux déserts où le pied sonne,
Où je suis presque sûr de ne croiser personne.
Au-dessus des enclos les tilleuls sentent bon ;
Et sur le plâtre frais sont écrits au charbon
Les noms entrelacés de Victoire et d’Eugène,
Populaire et naïf monument, que ne gêne
Pas du tout le croquis odieux qu’à côté
A tracé gauchement, d’un fusain effronté,
En passant après eux, la débauche impubère.
Et, quand s’allume au loin le premier réverbère,
Je gagne la grand’ rue, où je puis encor voir
Des boutiquiers prenant le frais sur le trottoir,
Tandis que, pour montrer un peu ses formes grasses,
Avec son prétendu leur fille joue aux grâces.