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Lieux

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Poésies de la collection lieux

    Paul-Jean Toulet

    Paul-Jean Toulet

    @paulJeanToulet

    Alcôve noire Ces premiers froids que l’on réchauffe d’un sarment, – Et des platanes d’or le long gémissement, – Et l’alcôve au lit noir qui datait d’Henri IV, Où ton corps, au hasard de l’ombre dévêtu, S’illuminait parfois d’un rouge éclair de l’âtre, Quand tu m’aiguillonnais de ton genou pointu, Chevaucheuse d’amour si triste et si folâtre ; – Et cet abyme où l’on tombait : t’en souviens-tu ?

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    Paul-Jean Toulet

    Paul-Jean Toulet

    @paulJeanToulet

    Boulogne Boulogne, où nous nous querellâmes Aux pleurs d’un soir trop chaud Dans la boue ; et toi, le pied haut, Foulant aussi nos âmes. La nuit fut ; ni, rentrés chez moi, Tes fureurs plus de mise. Ah ! de te voir nue en chemise, Quel devint mon émoi ! On était seuls (du moins j’espère) ; Mais tu parlais tout bas. Ainsi l’amour naît des combats : Le dieu Mars est son père.

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    Paul-Jean Toulet

    Paul-Jean Toulet

    @paulJeanToulet

    Chevaux de bois A Pau, les foires Saint-Martin, C’est à la Haute Plante. Des poulains, crinière volante, Virent dans le crottin. Là-bas, c’est une autre entreprise. Les chevaux sont en bois, L’orgue enrhumé comme un hautbois, Zo’ sur un bai cerise. Le soir tombe. Elle dit :  » Merci,  » Pour la bonne journée !  » Mais j’ai la tête bien tournée… «  – Ah, Zo’ : la jambe aussi.

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    Paul-Jean Toulet

    Paul-Jean Toulet

    @paulJeanToulet

    Douce plage ou naquit mon âme Douce plage où naquit mon âme ; Et toi, savane en fleurs Que l'Océan trempe de pleurs Et le soleil de flamme ; Douce aux ramiers, douce aux amants, Toi de qui la ramure Nous charmait d'ombre, et de murmure, Et de roucoulements ; Où j'écoute frémir encore Un aveu tendre et fier - Tandis qu'au loin riait la mer Sur le corail sonore.

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    Paul-Jean Toulet

    Paul-Jean Toulet

    @paulJeanToulet

    En Arles Dans Arles, où sont les Aliscams, Quand l’ombre est rouge, sous les roses, Et clair le temps, Prends garde à la douceur des choses. Lorsque tu sens battre sans cause Ton coeur trop lourd ; Et que se taisent les colombes : Parle tout bas, si c’est d’amour, Au bord des tombes.

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    Renee Vivien

    @reneeVivien

    En débarquant à Mytilène Du fond de mon passé, je retourne vers toi, Mytilène, à travers les siècles disparates, T’apportant ma ferveur, ma jeunesse et ma foi, Et mon amour, ainsi qu’un présent d’aromates, Mytilène, à travers les siècles disparates, Du fond de mon passé, je retourne vers toi. Je retrouve tes flots, tes oliviers, tes vignes, Et ton azur où je me fonds et me dissous, Tes barques, et tes monts avec leurs nobles lignes, Tes cigales aux cris exaspérés et fous, Sous ton azur, où je me fonds et me dissous, Je retrouve tes flots, tes oliviers, tes vignes. Reçois dans tes vergers un couple féminin, Île mélodieuse et propice aux caresses, Parmi l’asiatique odeur du lourd jasmin, Tu n’as point oublié Psappha ni ses maîtresses, Ile mélodieuse et propice aux caresses, Reçois dans tes vergers un couple féminin. Lesbos aux flancs dorés, rends-nous notre âme antique, Ressuscite pour nous les lyres et les voix, Et les rires anciens, et l’ancienne musique Qui rendit si poignants les baisers d’autrefois, Toi qui gardes l’écho des lyres et des voix, Lesbos aux flancs dorés, rends-nous notre âme antique, Évoque les péplos ondoyant dans le soir, Les lueurs blondes et rousses des chevelures, La coupe d’or et les colliers et le miroir, Et la fleur d’hyacinthe et les faibles murmures, Évoque la clarté des belles chevelures Et les légers péplos qui passaient, dans le soir, Quand, disposant leurs corps sur tes lits d’algues sèches, Les amantes jetaient des mots las et brisés, Tu mêlais tes odeurs de roses et de pêches Aux longs chuchotements qui suivent les baisers, À notre tour, jetant des mots las et brisés, Nous disposons nos corps sur tes lits d’algues sèches, Mythilène, parure et splendeur de la mer, Comme elle versatile et comme elle éternelle, Sois l’autel aujourd’hui des ivresses d’hier, Puisque Psappha couchait avec une immortelle, Accueille-nous avec bonté, pour l’amour d’elle, Mytilène, parure et splendeur de la mer !

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    Sabine Sicaud

    @sabineSicaud

    Chemins de l’Est Quand j’étais Russe, il m’arrivait de m’appeler Katia, Masha, Tania. J’avais une niania, une baba, tout ce qui chante en « a » dans les noms russes. Dans notre isba Notre-Dame de Portchaïef luisait comme une étoile et dehors les étoiles luisaient comme la mosaïque de notre église à Pâques. Et sur la terre pâle de sa pâleur de neige ou rouge de ses coquelicots, courait comme le vent mon beau petit cheval de Sibérie. Traîneaux, bateaux, troupeaux, blanche et rouge Russie, danses, musique de chez moi, quand j’étais Russe… Pouvoir de tant souffrir, d’être si vieux, si jeune, de faire un geste de la main sans pleur ni cri. J’avais de longues tresses blondes comme aujourd’hui.

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    Sabine Sicaud

    @sabineSicaud

    Chemins de l’Ouest Pour qui vous a-t-on faits, grands chemins de l’Ouest ? chemins de liberté que l’on suppose tels et qui mentez sans doute… Espaces où surgit le Popocatepelt, où le noir séquoïa cerne d’étranges routes, où la faune et la flore ont de si vastes ciels que l’homme ne sait plus à quel étage vivre. Chemins de liberté que nous supposons libres. À travers les Pampas court mon cheval sans bride, mais la ville géante a ses réseaux de feu, et les jeunes mortels faits de toutes les races ont leurs lassos, leurs murs, leur pères et leurs dieux. Des  » Trois Puntas  » à la mer des Sargasses, Amériques du Sud, du Nord, pays des toisons d’or, des mines d’or, de l’or qui fait l’homme libre et l’esclave, le Pampero peut-être ignore les entraves et l’aigle boréal, les pièges du chasseur… Mais, ô ma liberté, plus chère qu’une soeur, c’est en moi que tu vis, sereine et sédentaire, pendant que les chemins font le tour de la terre.

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    Sabine Sicaud

    @sabineSicaud

    Chemins du Nord Lorsque « je pâlissais au nom de Vancouver » et que j’étais du Nord trop de froid traversait ma pelisse d’hiver et mon bonnet de bêtes mortes. Mes frères chassaient les oursons jusqu’au fond des grottes de fées ; du sang parlait sous leurs trophées, les Tomtes se cachaient, le vent hurlait aux portes et la glace barrait les fjords lorsque j’étais du Nord. Murs blancs du froid, prison. Je ne voyais jamais passer Nils Holgersson. Selma, Selma, pourquoi m’aviez-vous oubliée ? Il fallait naître à Morbacka, le jour de Pâques. Je savais bien pourtant que j’étais conviée…

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    Sabine Sicaud

    @sabineSicaud

    Chemins du Sud Chemins du Sud avec un nom qui vous fait mal certains jours à force de creuser des nostalgies… Inscrits en rouge ou bleu sur le cristal de vos grandes agences de voyage, inscrits sur les navires au mouillage, sur l’avion postal ou sur l’oiseau qui craint le froid des jours plus courts, certains jours – certains jours comme se fait insidieuse leur magie ! Chemins du Sud – l’odeur du pamplemousse ou du désert sans oasis ou de la forêt vierge aux dangereuses nuits. Pistes de bêtes dans la brousse ou dans ces mers pleines d’étoiles rousses dont parlent entre eux les marins. Soleil du Sud qui fait la peau d’huile et d’ébène, soirs de villages indigènes, tam-tam…Plus loin que vous, au Sud, Bolero de Ravel qui pourtant faites mal comme ces noms aux tristesses étranges, bord astral de ces routes sans ange où sombre lentement la Croix du Sud…

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    Sabine Sicaud

    @sabineSicaud

    Château de Biron Sur les chemins nus, plus personne. Couleur de sanguine pâlie Un horizon de bois frissonne. De quelle âpre mélancolie Nous enveloppe ici l’automne ? Un gémissement de poulie Survit seul en haut du puits rond. La cour d’honneur et le perron En vain parleraient d’Italie… Trop de couloirs sombres relient Aux salles où nos pas résonnent Des retraits que nous ignorons. Trop d’ombre se tasse aux chevrons Le long de frises abolies. Feu le duc aux « souliers tout ronds » A rejoint défunt Bragelonne. Dans les cuisines, plus personne. Le soir meurt, plein de moucherons. Vieux château des Gontaut-Biron Avec quelle mélancolie Vous regardez venir l’automne…

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    Sabine Sicaud

    @sabineSicaud

    Corrida de muerte Du sang… Je le sais trop. J’en ai l’horreur, Le remords comme vous qui chérissez les bêtes. Mais ce vertige de soleil ! cette couleur Des Goya qui bougent et chantent – ce que jette L’éclat des éventails, des fleurs, Des lèvres et des yeux sur les plazas en fête À Séville, à Madrid, partout où l’on entend Des grelots et des castagnettes… Ce décor éclatant Où des mules aux pompons rouges se profilent… Ah ! tout cela, toute la fièvre d’une ville, Parce qu’un beau toréador aux sourcils noirs Va passer comme un roi de légende – pourrais-je, Ayant vu tout cela, dites, ne plus le voir ? Ne plus revoir les gradins qu’on assiège, L’arène fauve où la quadrille décrira Cette courbe qui s’infléchit vers les tribunes, Le geste, en rapide salut, d’une main brune Vers l’œillet qui s’effeuille aux doigts des señoras ; L’or et l’argent brodés ; le chatoiement des soies ; Dans l’air, cette dansante joie Où la clef du toril tombe subitement Comme un défi poignant le cœur… sans doute, Faudrait-il échapper à l’ensorcellement Du mot magique : « A los toros », que chaque route, Chaque balcon, demain, se renverra, Bayonne, sous ton ciel aux couleurs espagnoles… Mais, oublier ? Voyez flotter les banderoles ! Plus haut que les frontons d’Aguilera Monte cette rumeur, là-bas… Pardonnez-moi, Taureaux noirs aux beaux yeux sauvages qui s’affolent, Pauvres doux vieux chevaux ruant d’effroi, Pardonnez-moi… Devant l’art souple qui se joue De la mort et la brave – et le cadre où se noue Le drame préparé dans les ganaderias Là-bas, au pied vert des montagnes – Je ne sais plus pourquoi, je ne sais pas Comment l’amour de ces choses me gagne ! Pardonnez-moi de ne plus voir que la beauté Du poème barbare, et d’oublier l’épée Sous la cape écarlate… Il faudrait moins d’été, Moins de soleil peut-être et de roses coupées, Moins d’éventails ouverts et de gens qui se hâtent, Pour dire – le pensant – : Je ne veux plus vous voir, Ô corridas de muerte, Corridas aux couleurs des romantiques soirs Dont la muleta saigne entre des rochers noirs Sur les arènes de la mer luisante et verte… Biarritz (Veille de course)

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    Sabine Sicaud

    @sabineSicaud

    La grotte des Lépreux Vallée du Gavaudun Ne me parlez ni de la tour, Ni des belles ruines rousses, Ni de cette vivante housse De feuillages en demi-jour. La gorge est trop fraîche et trop verte ; La rivière, comme un serpent, S’y tord, à peine découverte Sous trop d’herbe où reste en suspens Le mystère des forêts vierges. Ne me parlez ni de l’auberge, Ni des écrevisses qu’on prend Dans la mousse et les capillaires. Je n’ai vu, de ce coin de terre, Ni la paix du soir transparent, Ni celle des crêtes désertes. Mais, barrant le ciel, deux rochers Tout à coup si nus, écorchés, Avec plusieurs bouches ouvertes ! Vers ces bouches noires, clamant On ne sait quelle horreur ancienne, Savez-vous si, furtivement, De pauvres âmes ne reviennent ? Où sont-ils, où sont-ils, mon Dieu, Ces parias vêtus de rouge Qui, là-haut, guettaient les soirs bleus Par les trous béants de ce bouge ? Grotte des Lépreux, seuil maudit Au bord de la falaise ocreuse… Il faudrait qu’on ne m’eût pas dit Quel frisson traversait jadis Ce décor de feuilles heureuses…

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    Sabine Sicaud

    @sabineSicaud

    Le cinéma Pour un vieux Monsieur qui ne comprend pas le cinéma Trou d’ombre. Grotte obscure, où l’on sent, vaguement, Bouger des êtres. La pâleur de l’écran nu Comme une baie ouverte, au fond, sur l’inconnu… Musique en sourdine, tiédeur, chuchotements, Odeur de mandarine, De sucre d’orge et d’amandes grillées. Attente, carillon d’un timbre qui s’obstine, Petite danse de lueurs éparpillées. …………………………………… Puis, coup de soleil brusque. Le mystère De ce carré de neige s’animant. Floraisons de jardins, pics, fleuves, coins charmants, Coins tragiques, villes, forêts, la vaste terre… La vaste terre, et le ciel vaste, et la magie De visages parlant des yeux, des lèvres, Sans la voix. Gestes précis, calme, énergie Ou nerfs qui cèdent, Fièvres, Bonheurs et désespoirs. Des paroles, pourquoi ? Un sourire, une larme, Un battement de cils… L’émotion n’est pas dans le vacarme. Une ligne, des points… voici le fil Du roman triste ou gai qui se déroule. Aimes-tu voir les hommes s’agiter ? Assis, tu regardes la foule. Aimes-tu le désert ? Tu le parcours, l’été, Sous un torrent de feu, sans autre peine Que de laisser pour toi marcher les sables… Plaines, Montagnes, mers, te livrent leurs secrets, Et le pôle est si près Que Nanouk l’Esquimau l’accueille en frère ; Et la jungle est si près Que tu t’en vas avec le chasseur de panthères… Ô beaux voyages que jamais tu ne ferais ! Tous les héros, tu les connais, Ceux de l’Histoire et ceux de la légende ; Tous les contes des Mille et une nuits, – Les contes d’autrefois, ceux d’aujourd’hui – Et les temples, et les palais, Et les vieux bourgs où les clairs de lune descendent… Tu les connais… Tu les connais, toi, prisonnier, Peut-être, de murs gris, de choses grises, toi Dont la vie est grise ou pire… Vois, des fleurs s’ouvrent, des oiseaux t’invitent, vois : Aux vergers d’Aladin s’emplissent des paniers… Cueille des rêves, toi qui fus un prisonnier ! Ainsi qu’une arche de porphyre, La muraille s’écarte… Évade-toi ! Il pleut, ou le vent souffle sur le toit, Ou c’est juillet qui brûle, ou dans la rue, C’est trop dimanche avec trop de gens qui bavardent, Viens dans ce petit coin merveilleux et regarde… Ici, l’heure vécue, Même terrible – tous les drames sont possibles ! – N’est qu’à demi terrible, Et te voilà, comme les tout-petits, Riant, toi qui pleurais… Tu ris, Toi, vieux, comme les écoliers que rien n’étonne. Charlie est là… Charlie ! Et Keaton, et Fatty, Et pour ce bon rire, conquis Sur toi-même, c’est le meilleur d’eux-mêmes Qu’ils te donnent. Art muet, soit… N’ajoute rien. Tu l’aimes, Tu l’aimeras, quoi que tu dises, l’art vivant Qui t’offre son visage neuf et son langage, Ses ralentis, ses raccourcis, tous ses mirages, Tous ses décors mouvants… Près de ces gens qui, dans l’ombre, s’effacent, Viens seulement t’asseoir, veux-tu, sans parti pris ? De la nuit d’une salle étroite, aux longs murs gris, Regarde ce miracle : un film qui passe…

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    Sabine Sicaud

    @sabineSicaud

    L’oustalet est vide L’oustalet est vide. Il est éventré, l’on ne sait pourquoi. La guerre des hommes était loin d’ici… Les vents du pays sautaient par-dessus comme des cabris, Sans même effleurer son toit de joubarbes. Et le feu du ciel, qu’aurait-il puni dans ces quatre murs couleur de cigales ? Un pauvre foyer, couleur de souris, mourut en secret sous la crémaillère. Peut-être un passant, le temps d’une averse, rêva-t-il, hier de le ranimer ?… Peut-être les dieux nous attendent-ils ? Le chemin s’arrête… Au bord du ravin, n’est-ce pas, l’odeur de ces violettes dont tu te souviens ?…

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    Thibault Desbordes

    @thibaultDesbordes

    Beaubourg Écrit sur le parvis du centre culturel Georges Pompidou. À Nicolas Dax. Un grand chatoiement simple, où bulles et musiques Se mêlent à l’instinct d’une brève seconde. Vibrant dans l’air uni par leur magie féconde Les corps sont revêtus de rondeurs amnésiques. Les pigeons noirs et blancs sont comme autant de poules Qui piochent le pavé par leur preste cadence, Quand un éclat de rire, en cette rumeur saoule, Donne corps à l’envol qui respire et qui danse. Paris est un poème où Beaubourg est la chute ; Sa place est sur ma feuille – n’en déplaise à la butte ! Quand ma peine inlassable embrumera mes dires, Je me libèrerai, loin des grands rejets tristes, Assis sur l’Esplanade où viendra m’étourdir Le résonnement sourd de mille pieds artistes !

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    Théodore de Banville

    Théodore de Banville

    @theodoreDeBanville

    Aimer Paris Artiste, désormais tu veux peindre la Vie Moderne, frémissante, avide, inassouvie, Belle de douleur calme et de sévérité; Car ton esprit sincère a soif de vérité. Vois, comme une forêt d’arbres, la ville immense Murmure sous l’orage et le vent en démence; Ses entassements noirs de toits et de maisons Ont le charme effrayant des larges frondaisons. Aime ses bruits, ses voix, ses rires, son tumulte, Ses monuments qu’en vain le Temps railleur insulte, Ses marchés, ses jardins; aime ses pauvres cieux Toujours mornes, d’un gris terne et délicieux. Surtout, n’imite pas Hamlet; sans épigramme Et d’un coeur chaleureux, aime l’Homme et la Femme. La Femme surtout! Suis de l’oeil ces bataillons De gamines qui vont, blanches sous les haillons, Et qui, montrant leurs dents, croquent de jaunes pommes De terre frites, sous l’oeil allumé des hommes! Peins la svelte maigreur aux méplats séduisants Et la gracilité des filles de seize ans; Va, ne dédaigne rien, ni la bourgeoise obèse Ni la duchesse au front d’or que le zéphyr baise, Ni la pierreuse, proie offerte au noir filou, Qui peigne ses cheveux lourds avec un vieux clou, Ni la bonne admirant, parmi la transparence Des bassins, le reflet d’un pantalon garance, Ni la vieille qui, pour implorer un secours, Se coiffe d’un madras et chante dans les cours, Ni ces filles de joie aux tragiques allures Offrant au vent furtif leurs roses chevelures, Et poursuivant, les soirs, leur patient calcul Devant les Nouveautés et le café Méhul, Catins dont les satins, sans jamais faire halte, Comme des serpents noirs se traînent sur l’asphalte! Regarde l’Homme aussi! Peins tous les noirs troupeaux Des hommes, sénateurs on bien marchands de peaux De lapins; droit, bossu, formidable ou bancroche, Vois l’Homme, vois-le bien, de d’Arthez à Gavroche! L’homme actuel, sublime à la fois et mesquin, Est vêtu d’un complet, comme un Américain; Mais tel qu’il est, ce pitre, épris de Navarette, Qui dans ses doigts pâlis roule une cigarette, Lit dans les astres noirs d’un oeil terrible et sûr, Voleur divin, saisit Isis en plein azur, Pose un baiser brutal sur ses yeux pleins d’étoiles, D’un ongle furieux déchire tous ses voiles, Comme un fer rouge met la lèvre sur son col Et la contemple, et pâle encor de son viol, A ses pieds gémissant une plainte ingénue Regarde la Nature échevelée et nue. Oui, l’Homme, vois-le bien, tire parti de tout! Il est beau, l’orateur farouche, qui debout, Du Progrès fugitif embrassant la chimère, Parle et courbe les fronts sous sa parole amère; Mais le vieux chiffonnier, qui sous le ciel changeant Montre son crochet noir et sa barbe d’argent, Près de la verte Seine a des beautés de Fleuve. Et c’est un beau modèle, avec sa blouse neuve, Que l’Alphonse blêmi, fashionable et vainqueur, Dont la cravate rose et les accroche-coeur Font fanatisme, et qui, doux jeune homme de joie, Tortille crânement sa casquette de soie. Oh! ne dédaigne rien dans ta ville! Chéris Les parcs éblouissants, ces jardins de Paris Où pour nous réjouir, en leurs apothéoses Brillent les coeurs sanglants et fulgurants des roses; Mais, artiste, aime aussi les pauvres talus des Fortifications, où sous le triste dais Du ciel gris, l’herbe jaune et sèche qui se pèle Semble un front dévoré par un érésipèle; Car c’est là que, toujours las de voir empirer Son destin, l’ouvrier captif vient respirer Et que la jeune fille heureuse, en mince robe, Laissant errer son clair sourire, où se dérobe Quelque rêve secret de ménage et d’amour, Avec ses yeux brûlants vient boire un peu de jour! 10 avril 1879.

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    Théodore de Banville

    Théodore de Banville

    @theodoreDeBanville

    À la Font-Georges Voici les lieux charmans où mon âme ravie Passoit à contempler Sylvie Ces tranquilles momens si doucement perdus. Boileau. O champs pleins de silence, Où mon heureuse enfance Avait des jours encor Tout filés d’or ! O ma vieille Font-Georges, Vers qui les rouges-gorges Et le doux rossignol Prenaient leur vol ! Maison blanche où la vigne Tordait en longue ligne Son feuillage qui boit Les pleurs du toit ! O claire source froide, Qu’ombrageait, vieux et roide, Un noyer vigoureux A moitié creux ! Sources ! fraîches fontaines ! Qui, douces à mes peines, Frémissiez autrefois Rien qu’à ma voix ! Bassin où les laveuses Chantaient insoucieuses En battant sur leur banc Le linge blanc ! O sorbier centenaire, Dont trois coups de tonnerre Avaient laissé tout nu Le front chenu ! Tonnelles et coudrettes, Verdoyantes retraites De peupliers mouvants A tous les vents ! O vignes purpurines, Dont, le long des collines, Les ceps accumulés Ployaient gonflés ; Où, l’automne venue, La Vendange mi-nue A l’entour du pressoir Dansait le soir ! O buissons d’églantines, Jetant dans les ravines, Comme un chêne le gland, Leur fruit sanglant ! Murmurante oseraie, Où le ramier s’effraie, Saule au feuillage bleu, Lointains en feu ! Rameaux lourds de cerises ! Moissonneuses surprises A mi-jambe dans l’eau Du clair ruisseau ! Antres, chemins, fontaines, Acres parfums et plaines, Ombrages et rochers Souvent cherchés ! Ruisseaux ! forêts ! silence ! O mes amours d’enfance ! Mon âme, sans témoins, Vous aime moins Que ce jardin morose Sans verdure et sans rose Et ces sombres massifs D’antiques ifs, Et ce chemin de sable, Où j’eus l’heur ineffable, Pour la première fois, D’ouïr sa voix ! Où rêveuse, l’amie Doucement obéie, S’appuyant à mon bras, Parlait tout bas, Pensive et recueillie, Et d’une fleur cueillie Brisant le cœur discret D’un doigt distrait, A l’heure où les étoiles Frissonnant sous leurs voiles Brodent le ciel changeant De fleurs d’argent. Octobre 1844.

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    Théodore de Banville

    Théodore de Banville

    @theodoreDeBanville

    Bien souvent je revois… Bien souvent je revois sous mes paupières closes, La nuit, mon vieux Moulins bâti de briques roses, Les cours tout embaumés par la fleur du tilleul, Ce vieux pont de granit bâti par mon aïeul, Nos fontaines, les champs, les bois, les chères tombes, Le ciel de mon enfance où volent des colombes, Les larges tapis d’herbe où l’on m’a promené Tout petit, la maison riante où je suis né Et les chemins touffus, creusés comme des gorges, Qui mènent si gaiement vers ma belle Font-Georges, À qui mes souvenirs les plus doux sont liés. Et son sorbier, son haut salon de peupliers, Sa source au flot si froid par la mousse embellie Où je m’en allais boire avec ma soeur Zélie, Je les revois ; je vois les bons vieux vignerons Et les abeilles d’or qui volaient sur nos fronts, Le verger plein d’oiseaux, de chansons, de murmures, Les pêchers de la vigne avec leurs pêches mûres, Et j’entends près de nous monter sur le coteau Les joyeux aboiements de mon chien Calisto !

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    Théodore de Banville

    Théodore de Banville

    @theodoreDeBanville

    Dernière angoisse Au moment de jeter dans le flot noir des villes Ces choses de mon coeur, gracieuses ou viles, Que boira le gouffre sans fond, Ce gouffre aux mille voix où s’en vont toutes choses, Et qui couvre d’oubli les tombes et les roses, Je me sens un trouble profond. Dans ces rhythmes polis où mon destin m’attache Je devrais servir mieux la Muse au front sans tache ; Au lieu de passer en riant, Sur ces temples sculptés dont l’éclat tourbillonne Je devrais faire luire un flambeau qui rayonne Comme une étoile à l’Orient ; Rebâtir avec soin les histoires anciennes, A chaque monument redemander les siennes, Dont le souvenir a péri ; Chanter les dieux du Nord dont la splendeur étonne, A côté de Vénus et du fils de Latone Peindre la Fée et la Péri ; Ranimer toute chose avec une syllabe, L’ogive et ses vitraux de feu, le trèfle arabe, Le cirque, l’église et la tour, Le château fort tout plein de rumeurs inouïes, Et le palais des rois, demeures éblouies Dont chacune règne à son tour ; Les murs Tyrrhéniens aux majestés hautaines, Les granits de Memphis et les marbres d’Athènes Qu’un regard du soleil ambra, Et des temps révolus éveillant le fantôme, Faire briller auprès d’un temple polychrome Le Colisée et l’Alhambra! J’aurais dû ranimer ces effroyables guerres Dont les peuples mourants s’épouvantaient naguères, Meurtris sous un rude talon, Dire Attila suivi de sa farouche horde, Charlemagne et César, et celui dont l’exorde Fut le grand siège de Toulon ! Puis, après tous ces noms, sur la page choisie Écrire d’autres noms d’art et de poésie, Dont le bataillon espacé Par des poëmes d’or, dont la splendeur enchaîne L’époque antérieure à l’époque prochaine, Illumine tout le passé ! Dans ce grand Panthéon, des dalles jusqu’aux cintres Graver des noms sacrés de chanteurs et de peintres, D’artistes rêvés ardemment ; A chacun, soit qu’il cherche un poëme sous l’arbre, Ou qu’il jette son coeur dans la note ou le marbre, Faire une place au monument ! Dire Moïse, Homère à la voix débordante Qui contenait en lui Tasse, Virgile et Dante; Dire Gluck, penché vers l’Éden, Mozart, Goethe, Byron, Phidias et Shakspere, Molière, devant qui toute louange expire, Et Raphaël et Beethoven ! Montrer comment Rubens, Rembrandt et Michel-Ange Mélangeaient la couleur et pétrissaient la fange Pour en faire un Jésus en croix; Et comment, quand mourait notre Art paralytique Apparurent, guidés par l’instinct prophétique, Le grand Ingres et Delacroix ! Comment la Statuaire et la Musique aux voiles Transparents, ont porté nos coeurs jusqu’aux étoiles; Nommer David, sculptant ses Dieux, Rossini, gaieté, joie, ivresse, amour, extase, Et Meyerbeer, titan ravi sur un Caucase Dans l’ouragan mélodieux ! Mais surtout dire à tous que tu grandis encore, O notre chêne ancien que le vieux gui décore, Arbre qui te déchevelais Sur le front des aïeux et jusqu’à leur épaule, Car Gautier et Balzac sont encore la Gaule De Villon et de Rabelais ! Montrer l’Antiquité largement compensée, Et comparant de loin ces oeuvres de pensée Qu’un sublime destin lia, Répéter après eux, dans leur langage énorme, Ce que disent les vers de Marion Delorme Aux chapitres de Lélia ! Pas à pas dans son vers suivre chaque poëme, Chaque création arrachée au ciel même, Et surtout le vers de Musset, Fantasio divin, qui, soit qu’il se promène Dans les rêves du ciel ou la souffrance humaine, Devient un vers que chacun sait ! Enfin, pour un moment traînant mes Muses blanches Sur les hideux tréteaux et les sublimes planches, Aller demander au public Les noms de ceux qui font sa douleur ou son rire, Puis, avant tous ces noms, sur le feuillet inscrire George, Dorval et Frédérick ! Ainsi, des temps passés relevant l’hyperbole, Et, comme un pèlerin, apportant mon obole A tout ce qui luit fort et beau, J’aurais voulu bâtir sur l’arène mouvante Un monument hardi pour la gloire vivante, Pour la gloire ancienne un tombeau ! Hélas ! ma folle Muse est une enfant bohème Qui se consolera d’avoir fait un poëme Dont le dessin va de travers, Pourvu qu’un beau collier pare sa gorge nue, Et que, charmante et rose, une fille ingénue Rie ou pleure en lisant ses vers. Juillet 1842

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    Théodore de Banville

    Théodore de Banville

    @theodoreDeBanville

    La fontaine de jouvence Il est une fontaine heureuse, dont l’eau tombe Dans un bassin plus blanc qu’une aile de colombe ; Cette eau limpide, avec de clairs rayonnements, Sur les dauphins de marbre éclate en diamants. Elle rend aux vieillards la jeunesse et la force. Mille jeunes Cypris, fières de leur beau torse, Sur l’azur de ses flots qui ne sont point amers Lèvent un pied plus blanc que la perle des mers. Celles qui n’aimaient plus les tourterelles blanches, Et ne tressaillaient pas dans le mois des pervenches, Ceux que laissaient glacés la Lyre et le bon vin, Sortent joyeux et beaux de ce Léthé divin ; Non beaux comme autrefois d’une beauté sévère, Mais semblables aux Dieux qui boivent à plein verre Le feu que le Titan pour nous a dérobé, Et qui puisent le vin dans la coupe d’Hébé. La Naïde aux yeux bleus, qui pleure goutte à goutte, Noie au fond de leur cœur la tristesse et le doute, Et, tournant leur esprit vers les biens éternels, Leur montre l’Idéal dans les plaisirs charnels. Voyez-les, souriants, fiers de leur belle taille, Dans ces riches habits de fête et de bataille Qui relèvent la mine, et qu’aux siècles anciens Peignaient avec amour les grands Vénitiens. Les couples sont épars : de jeunes femmes rousses Dont les yeux rallumés sont pleins de clartés douces, Avec leurs amoureux assis sur le gazon Effeuillent les bouquets de leur jeune saison. L’une parle à mi-voix, et, comme en un méandre, Erre par les sentiers de la carte du Tendre ; Celle-là, fière enfin de vivre et de se voir, Tantôt joue, et ternit l’acier de son miroir. Tandis qu’à ses genoux son compagnon étale, Jeune et fort comme un dieu, la grâce orientale, Une verse du vin dans le verre incrusté D’un jeune cavalier debout à son côté. Plus loin, deux rajeunis, sur la mousse des plaines, Mêlent dans un baiser les fleurs de leurs haleines ; Et, seins nus, une vierge en fleur, sans embarras, Tord ses cheveux luisants qui pleurent sur ses bras. Dans l’humide vapeur de sa métamorphose, Blanche encore à demi comme une jeune rose, Une autre naît au monde, et ses beaux yeux voilés Argentent l’eau d’azur de rayons étoilés. Dans les vagues lointains l’une l’autre s’enchantent, Agitant leurs tambours dont les clochettes chantent, De galantes beautés, honneur de ces pourpris, Qui teignent l’air limpide à leur rose souris. Et tous ces nouveau-nés de qui l’âme ravie Connaît le prix des biens qui font aimer la vie, Sans trouble et sans froideur cèdent à leurs désirs, Et vident lentement la coupe des plaisirs. O doux cygnes chanteurs, vous que la Poésie Retrempe incessamment dans son onde choisie, Amis, soyons pareils à ces beaux jeunes gens : Créons autour de nous des cieux intelligents. Cherchons au fond du vin les sciences rebelles, Et l’amour idéal sur les lèvres des belles, Et dans leurs bras, qu’anime une calme fierté, Rêvons la Jouissance et l’Immortalité. Mai 1844.

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    Théodore de Banville

    Théodore de Banville

    @theodoreDeBanville

    Musique Dans un coin de la ville ancienne disparue, Depuis douze ans bientôt passés, j’habite, rue De l’Éperon, au rez-de-chaussée, un très vieil Hôtel, hanté par les oiseaux et le soleil. Du côté du jardin, les ailes familières Emplissent de frissons les feuillages des lierres; Mais, hélas! on entend, dès que revient le jour, De bien autres chanteurs du côté de la cour, Où force malheureux, affligés d’un catarrhe, Miaulent avec rage en pinçant la guitare, Bande qui fait la joie et l’ornement des cours. Là sont des béquillards, des aveugles, des sourds. Blêmes comme Pierrot, verts comme des pistaches Des gens à chapeaux mous, des masques à moustaches Chantent des airs, hélas! — car tels sont leurs talents, Qu’ils ne sauront jamais, quand ils vivraient mille ans. Tel, pareil à ces morts échoués à la Morgue, Tourne la manivelle indécente de l’orgue Ou, triste comme un vieil acteur de l’Odéon, Tourmente le soufflet du faible accordéon, Et tel, car c’est encore une façon plus nette, De sa bouche sans dents mord une clarinette. Celui-là fait pleurer l’âme du violon En jouant du Lecocq ou du Bach, c’est selon, Et tous chantent! — Déesse adorable, ô Musique! Ces types accomplis de la hideur physique Chantent d’un coeur tranquille. Oh! comme ils chantent faux Et de leurs pantalons soulignant les défauts Toutes les fanges, par les balais reculées, Baisent avec amour leurs bottes éculées. Cependant, tels qu’ils sont, déguenillés, maudits, Je les aime, ces noirs mendiants, ces bandits Que l’âpre faim déchire et sur qui les cieux pleuvent, Parce que sous la nue ils chantent comme ils peuvent, Oiseaux boiteux qu’en vain sollicite l’azur, Parce que je ne sais quel souvenir obscur De la Lyre frémit dans leur voix étouffée Et qu’ils sont, comme moi, de la race d’Orphée. Ces gueux, plus enroués qu’une meute aux abois, Ressemblent à des loups qui pleurent dans les bois Et, parmi ces faiseurs de trilles et de gammes, Du matin jusqu’au soir grouillent des tas de femmes. Des fillettes à l’oeil déjà noyé d’amour Sur un rhythme dansant font sonner leur tambour, Et des vieilles sans nombre aux allures fossiles Convulsent en chantant leurs faces imbéciles, Gémissent avec des sanglots et des hoquets Et portent leurs petits roulés en des paquets. C’est la procession de tous les monstres. L’une Montre sur son visage une pâleur de lune Et, comme un lac, s’argente, et l’autre, au nez camard, A sur sa joue en feu des rougeurs de homard. Rien n’est plus effrayant à voir que les structures Et les corps abolis de ces caricatures; Et pourtant, quand leurs voix font leur bruit énervant Comme les grincements de l’orage et du vent, Avec leurs fronts hideux que les bises meurtrissent, Dans leur misère ces chanteuses m’attendrissent Et sans être offensé de leurs chants criminels, Je les contemple avec des regards fraternels. Une surtout, pareille à quelque étrange fée, Pâle, jaune, recuite et d’un mouchoir coiffée. Au fond de ses yeux bleus tout petits, dont le tour Est bistré, se lamente un long passé d’amour, Et sur sa bouche en coup de sabre, le génie De la femme a gravé sa tranquille ironie. Sans nul doute elle fut, parmi l’or et les fleurs, Une Parisienne aux yeux ensorceleurs; Car le reflet des vieux souvenirs la décore Et le songeur ému voit trembloter encore Le triomphe et l’orgueil en son regard terni. Je la nomme souvent: la vieille Gavarni, Car je crois la revoir parmi ces aquarelles Que le maître peuplait d’âmes surnaturelles, Et sur le châle où court un frisson d’air subtil, Je vois distinctement les hachures dont il Avivait sa peinture avec de l’encre rouge. Et ce mince lambeau qui grelotte et qui bouge, Où parfois le soleil jette un fuyant éclair, Étoffe tristement décolorée, a l’air Des drapeaux devenus haillons, que la Victoire Avait jadis enflés dans la bataille noire, Alors que les clairons sonnaient dans l’air fumant, Et que les vieux soldats gardent pieusement. Jeudi, 6 janvier 1887.

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    Théophile Gautier

    Théophile Gautier

    @theophileGautier

    L’obélisque de Paris Sur cette place je m’ennuie, Obélisque dépareillé ; Neige, givre, bruine et pluie Glacent mon flanc déjà rouillé ; Et ma vieille aiguille, rougie Aux fournaises d’un ciel de feu, Prend des pâleurs de nostalgie Dans cet air qui n’est jamais bleu. Devant les colosses moroses Et les pylônes de Luxor, Près de mon frère aux teintes roses Que ne suis-je debout encor, Plongeant dans l’azur immuable Mon pyramidion vermeil Et de mon ombre, sur le sable, Écrivant les pas du soleil ! Rhamsès, un jour mon bloc superbe, Où l’éternité s’ébréchait, Roula fauché comme un brin d’herbe, Et Paris s’en fit un hochet. La sentinelle granitique, Gardienne des énormités, Se dresse entre un faux temple antique Et la chambre des députés. Sur l’échafaud de Louis seize, Monolithe au sens aboli, On a mis mon secret, qui pèse Le poids de cinq mille ans d’oubli. Les moineaux francs souillent ma tête, Où s’abattaient dans leur essor L’ibis rose et le gypaëte Au blanc plumage, aux serres d’or. La Seine, noir égout des rues, Fleuve immonde fait de ruisseaux, Salit mon pied, que dans ses crues Baisait le Nil, père des eaux, Le Nil, géant à barbe blanche Coiffé de lotus et de joncs, Versant de son urne qui penche Des crocodiles pour goujons ! Les chars d’or étoilés de nacre Des grands pharaons d’autrefois Rasaient mon bloc heurté du fiacre Emportant le dernier des rois. Jadis, devant ma pierre antique, Le pschent au front, les prêtres saints Promenaient la bari mystique Aux emblèmes dorés et peints ; Mais aujourd’hui, pilier profane Entre deux fontaines campé, Je vois passer la courtisane Se renversant dans son coupé. Je vois, de janvier à décembre, La procession des bourgeois, Les Solons qui vont à la chambre, Et les Arthurs qui vont au bois. Oh ! dans cent ans quels laids squelettes Fera ce peuple impie et fou, Qui se couche sans bandelettes Dans des cercueils que ferme un clou, Et n’a pas même d’hypogées A l’abri des corruptions, Dortoirs où, par siècles rangées, Plongent les générations ! Sol sacré des hiéroglyphes Et des secrets sacerdotaux, Où les sphinx s’aiguisent les griffes Sur les angles des piédestaux ; Où sous le pied sonne la crypte, Où l’épervier couve son nid, Je te pleure, ô ma vieille Égypte, Avec des larmes de granit !

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    Théophile Gautier

    Théophile Gautier

    @theophileGautier

    Notre-dame I Las de ce calme plat où d’avance fanées, Comme une eau qui s’endort, croupissent nos années ; Las d’étouffer ma vie en un salon étroit, Avec de jeunes fats et des femmes frivoles, Echangeant sans profit de banales paroles ; Las de toucher toujours mon horizon du doigt. Pour me refaire au grand et me rélargir l’âme, Ton livre dans ma poche, aux tours de Notre-Dame ; Je suis allé souvent, Victor, A huit heures, l’été, quand le soleil se couche, Et que son disque fauve, au bord des toits qu’il touche, Flotte comme un gros ballon d’or. Tout chatoie et reluit ; le peintre et le poète Trouvent là des couleurs pour charger leur palette, Et des tableaux ardents à vous brûler les yeux ; Ce ne sont que saphirs, cornalines, opales, Tons à faire trouver Rubens et Titien pâles ; Ithuriel répand son écrin dans les cieux. Cathédrales de brume aux arches fantastiques ; Montagnes de vapeurs, colonnades, portiques, Par la glace de l’eau doublés, La brise qui s’en joue et déchire leurs franges, Imprime, en les roulant, mille formes étranges Aux nuages échevelés. Comme, pour son bonsoir, d’une plus riche teinte, Le jour qui fuit revêt la cathédrale sainte, Ébauchée à grands traits à l’horizon de feu ; Et les jumelles tours, ces cantiques de pierre, Semblent les deux grands bras que la ville en prière, Avant de s’endormir, élève vers son Dieu. Ainsi que sa patronne, à sa tête gothique, La vieille église attache une gloire mystique Faite avec les splendeurs du soir ; Les roses des vitraux, en rouges étincelles, S’écaillent brusquement, et comme des prunelles, S’ouvrent toutes rondes pour voir. La nef épanouie, entre ses côtes minces, Semble un crabe géant faisant mouvoir ses pinces, Une araignée énorme, ainsi que des réseaux, Jetant au front des tours, au flanc noir des murailles, En fils aériens, en délicates mailles, Ses tulles de granit, ses dentelles d’arceaux. Aux losanges de plomb du vitrail diaphane, Plus frais que les jardins d’Alcine ou de Morgane, Sous un chaud baiser de soleil, Bizarrement peuplés de monstres héraldiques, Éclosent tout d’un coup cent parterres magiques Aux fleurs d’azur et de vermeil. Légendes d’autrefois, merveilleuses histoires Écrites dans la pierre, enfers et purgatoires, Dévotement taillés par de naïfs ciseaux ; Piédestaux du portail, qui pleurent leurs statues, Par les hommes et non par le temps abattues, Licornes, loups-garous, chimériques oiseaux, Dogues hurlant au bout des gouttières ; tarasques, Guivres et basilics, dragons et nains fantasques, Chevaliers vainqueurs de géants, Faisceaux de piliers lourds, gerbes de colonnettes, Myriades de saints roulés en collerettes, Autour des trois porches béants. Lancettes, pendentifs, ogives, trèfles grêles Où l’arabesque folle accroche ses dentelles Et son orfèvrerie, ouvrée à grand travail ; Pignons troués à jour, flèches déchiquetées, Aiguilles de corbeaux et d’anges surmontées, La cathédrale luit comme un bijou d’émail ! II Mais qu’est-ce que cela ? Lorsque l’on a dans l’ombre Suivi l’escalier svelte aux spirales sans nombre Et qu’on revoit enfin le bleu, Le vide par-dessus et par-dessous l’abîme, Une crainte vous prend, un vertige sublime A se sentir si près de Dieu ! Ainsi que sous l’oiseau qui s’y perche, une branche Sous vos pieds qu’elle fuit, la tour frissonne et penche, Le ciel ivre chancelle et valse autour de vous ; L’abîme ouvre sa gueule, et l’esprit du vertige, Vous fouettant de son aile en ricanant voltige Et fait au front des tours trembler les garde-fous, Les combles anguleux, avec leurs girouettes, Découpent, en passant, d’étranges silhouettes Au fond de votre œil ébloui, Et dans le gouffre immense où le corbeau tournoie, Bête apocalyptique, en se tordant aboie, Paris éclatant, inouï ! Oh ! le cœur vous en bat, dominer de ce faîte, Soi, chétif et petit, une ville ainsi faite ; Pouvoir, d’un seul regard, embrasser ce grand tout, Debout, là-haut, plus près du ciel que de la terre, Comme l’aigle planant, voir au sein du cratère, Loin, bien loin, la fumée et la lave qui bout ! De la rampe, où le vent, par les trèfles arabes, En se jouant, redit les dernières syllabes De l’hosanna du séraphin ; Voir s’agiter là-bas, parmi les brumes vagues, Cette mer de maisons dont les toits sont les vagues ; L’entendre murmurer sans fin ; Que c’est grand ! Que c’est beau ! Les frêles cheminées, De leurs turbans fumeux en tout temps couronnées, Sur le ciel de safran tracent leurs profils noirs, Et la lumière oblique, aux arêtes hardies, Jetant de tous côtés de riches incendies Dans la moire du fleuve enchâsse cent miroirs. Comme en un bal joyeux, un sein de jeune fille, Aux lueurs des flambeaux s’illumine et scintille Sous les bijoux et les atours ; Aux lueurs du couchant, l’eau s’allume, et la Seine Berce plus de joyaux, certes, que jamais reine N’en porte à son col les grands jours. Des aiguilles, des tours, des coupoles, des dômes Dont les fronts ardoisés luisent comme des heaumes, Des murs écartelés d’ombre et de clair, des toits De toutes les couleurs, des résilles de rues, Des palais étouffés, où, comme des verrues, S’accrochent des étaux et des bouges étroits ! Ici, là, devant vous, derrière, à droite, à gauche, Des maisons ! Des maisons ! Le soir vous en ébauche Cent mille avec un trait de feu ! Sous le même horizon, Tyr, Babylone et Rome, Prodigieux amas, chaos fait de main d’homme, Qu’on pourrait croire fait par Dieu ! III Et cependant, si beau que soit, ô Notre-Dame, Paris ainsi vêtu de sa robe de flamme, Il ne l’est seulement que du haut de tes tours. Quand on est descendu tout se métamorphose, Tout s’affaisse et s’éteint, plus rien de grandiose, Plus rien, excepté toi, qu’on admire toujours. Car les anges du ciel, du reflet de leurs ailes, Dorent de tes murs noirs les ombres solennelles, Et le Seigneur habite en toi. Monde de poésie, en ce monde de prose, A ta vue, on se sent battre au cœur quelque chose ; L’on est pieux et plein de foi ! Aux caresses du soir, dont l’or te damasquine, Quand tu brilles au fond de ta place mesquine, Comme sous un dais pourpre un immense ostensoir ; A regarder d’en bas ce sublime spectacle, On croit qu’entre tes tours, par un soudain miracle, Dans le triangle saint Dieu se va faire voir. Comme nos monuments à tournure bourgeoise Se font petits devant ta majesté gauloise, Gigantesque sœur de Babel, Près de toi, tout là-haut, nul dôme, nulle aiguille, Les faîtes les plus fiers ne vont qu’à ta cheville, Et, ton vieux chef heurte le ciel. Qui pourrait préférer, dans son goût pédantesque, Aux plis graves et droits de ta robe Dantesque, Ces pauvres ordres grecs qui se meurent de froid, Ces panthéons bâtards, décalqués dans l’école, Antique friperie empruntée à Vignole, Et, dont aucun dehors ne sait se tenir droit. Ô vous ! Maçons du siècle, architectes athées, Cervelles, dans un moule uniforme jetées, Gens de la règle et du compas ; Bâtissez des boudoirs pour des agents de change, Et des huttes de plâtre à des hommes de fange ; Mais des maisons pour Dieu, non pas ! Parmi les palais neufs, les portiques profanes, Les parthénons coquets, églises courtisanes, Avec leurs frontons grecs sur leurs piliers latins, Les maisons sans pudeur de la ville païenne ; On dirait, à te voir, Notre-Dame chrétienne, Une matrone chaste au milieu de catins !

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    Tristan Corbière

    Tristan Corbière

    @tristanCorbiere

    A l’etna Etna – j’ai monté le Vésuve … Le Vésuve a beaucoup baissé : J’étais plus chaud que son effluve, Plus que sa crête hérissés … – Toi que l’on compare à la femme … – Pourquoi ? – Pour ton âge ? Ou ton âme De caillou cuit ? … – Ça fait rêver … – Et tu t’en fais rire à crever ! – – Tu ris jaune et tousses : sans doute, Crachant un vieil amour malsain ; La lave coule sous la croûte De ton vieux cancer au sein. – Couchons ensemble, Camarade ! Là – mon flanc sur ton flanc malade : Nous sommes frères, par Vénus, Volcan ! … Un peu moins … un peu plus …

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    Jour de fête Aux environs de Paris Midi chauffe et sèche la mousse ; Les champs sont pleins de tambourins ; On voit dans une lueur douce Des groupes vagues et sereins. Là-bas, à l’horizon, poudroie Le vieux donjon de saint Louis ; Le soleil dans toute sa joie Accable les champs éblouis. L’air brûlant fait, sous ses haleines Sans murmures et sans échos, Luire en la fournaise des plaines La braise des coquelicots. Les brebis paissent inégales ; Le jour est splendide et dormant ; Presque pas d’ombre ; les cigales Chantent sous le bleu flamboiement. Voilà les avoines rentrées. Trêve au travail. Amis, du vin ! Des larges tonnes éventrées Sort l’éclat de rire divin. Le buveur chancelle à la table Qui boite fraternellement. L’ivrogne se sent véritable ; Il oublie, ô clair firmament, Tout, la ligne droite, la gêne, La loi, le gendarme, l’effroi, L’ordre ; et l’échalas de Surène Raille le poteau de l’octroi. L’âne broute, vieux philosophe ; L’oreille est longue ; l’âne en rit, Peu troublé d’un excès d’étoffe, Et content si le pré fleurit. Les enfants courent par volée. Clichy montre, honneur aux anciens ! Sa grande muraille étoilée Par la mitraille des Prussiens. La charrette roule et cahote ; Paris élève au loin sa voix, Noir chiffonnier qui dans sa hotte Porte le sombre tas des rois. On voit au loin les cheminées Et les dômes d’azur voilés ; Des filles passent, couronnées De joie et de fleurs, dans les blés.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

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    Novembre Je lui dis : La rose du jardin, comme tu sais, dure peu ; et la saison des roses est bien vite écoulée. SADI. Quand l’Automne, abrégeant les jours qu’elle dévore, Éteint leurs soirs de flamme et glace leur aurore, Quand Novembre de brume inonde le ciel bleu, Que le bois tourbillonne et qu’il neige des feuilles, Ô ma muse ! en mon âme alors tu te recueilles, Comme un enfant transi qui s’approche du feu. Devant le sombre hiver de Paris qui bourdonne, Ton soleil d’orient s’éclipse, et t’abandonne, Ton beau rêve d’Asie avorte, et tu ne vois Sous tes yeux que la rue au bruit accoutumée, Brouillard à ta fenêtre, et longs flots de fumée Qui baignent en fuyant l’angle noirci des toits. Alors s’en vont en foule et sultans et sultanes, Pyramides, palmiers, galères capitanes, Et le tigre vorace et le chameau frugal, Djinns au vol furieux, danses des bayadères, L’Arabe qui se penche au cou des dromadaires, Et la fauve girafe au galop inégal ! Alors, éléphants blancs chargés de femmes brunes, Cités aux dômes d’or où les mois sont des lunes, Imans de Mahomet, mages, prêtres de Bel, Tout fuit, tout disparaît : – plus de minaret maure, Plus de sérail fleuri, plus d’ardente Gomorrhe Qui jette un reflet rouge au front noir de Babel ! C’est Paris, c’est l’hiver. – A ta chanson confuse Odalisques, émirs, pachas, tout se refuse. Dans ce vaste Paris le klephte est à l’étroit ; Le Nil déborderait ; les roses du Bengale Frissonnent dans ces champs où se tait la cigale ; A ce soleil brumeux les Péris auraient froid. Pleurant ton Orient, alors, muse ingénue, Tu viens à moi, honteuse, et seule, et presque nue. – N’as-tu pas, me dis-tu, dans ton coeur jeune encor Quelque chose à chanter, ami ? car je m’ennuie A voir ta blanche vitre où ruisselle la pluie, Moi qui dans mes vitraux avais un soleil d’or ! Puis, tu prends mes deux mains dans tes mains diaphanes ; Et nous nous asseyons, et, loin des yeux profanes, Entre mes souvenirs je t’offre les plus doux, Mon jeune âge, et ses jeux, et l’école mutine, Et les serments sans fin de la vierge enfantine, Aujourd’hui mère heureuse aux bras d’un autre époux. Je te raconte aussi comment, aux Feuillantines, Jadis tintaient pour moi les cloches argentines ; Comment, jeune et sauvage, errait ma liberté, Et qu’à dix ans, parfois, resté seul à la brune, Rêveur, mes yeux cherchaient les deux yeux de la lune, Comme la fleur qui s’ouvre aux tièdes nuits d’été. Puis tu me vois du pied pressant l’escarpolette Qui d’un vieux marronnier fait crier le squelette, Et vole, de ma mère éternelle terreur ! Puis je te dis les noms de mes amis d’Espagne, Madrid, et son collège où l’ennui t’accompagne, Et nos combats d’enfants pour le grand Empereur ! Puis encor mon bon père, ou quelque jeune fille Morte à quinze ans, à l’âge où l’oeil s’allume et brille. Mais surtout tu te plais aux premières amours, Frais papillons dont l’aile, en fuyant rajeunie, Sous le doigt qui la fixe est si vite ternie, Essaim doré qui n’a qu’un jour dans tous nos jours.

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    Victor Hugo

    Victor Hugo

    @victorHugo

    À celle qui est restée en France I Mets-toi sur ton séant, lève tes yeux, dérange Ce drap glacé qui fait des plis sur ton front d'ange, Ouvre tes mains, et prends ce livre : il est à toi. Ce livre où vit mon âme, espoir, deuil, rêve, effroi, Ce livre qui contient le spectre de ma vie, Mes angoisses, mon aube, hélas ! de pleurs suivie, L'ombre et son ouragan, la rose et son pistil, Ce livre azuré, triste, orageux, d'où sort-il ? D'où sort le blême éclair qui déchire la brume ? Depuis quatre ans, j'habite un tourbillon d'écume ; Ce livre en a jailli. Dieu dictait, j'écrivais ; Car je suis paille au vent. Va ! dit l'esprit. Je vais. Et, quand j'eus terminé ces pages, quand ce livre Se mit à palpiter, à respirer, à vivre, Une église des champs, que le lierre verdit, Dont la tour sonne l'heure à mon néant, m'a dit : Ton cantique est fini ; donne-le-moi, poëte. - Je le réclame, a dit la forêt inquiète ; Et le doux pré fleuri m'a dit : - Donne-le-moi. La mer, en le voyant frémir, m'a dit : - Pourquoi Ne pas me le jeter, puisque c'est une voile ! - C'est à moi qu'appartient cet hymne, a dit l'étoile. - Donne-le-nous, songeur, ont crié les grands vents. Et les oiseaux m'ont dit : - Vas-tu pas aux vivants Offrir ce livre, éclos si loin de leurs querelles ? Laisse-nous l'emporter dans nos nids sur nos ailes ! - Mais le vent n'aura point mon livre, ô cieux profonds ! Ni la sauvage mer, livrée aux noirs typhons, Ouvrant et refermant ses flots, âpres embûches ; Ni la verte forêt qu'emplit un bruit de ruches ; Ni l'église où le temps fait tourner son compas ; Le pré ne l'aura pas, l'astre ne l'aura pas, L'oiseau ne l'aura pas, qu'il soit aigle ou colombe, Les nids ne l'auront pas ; je le donne à la tombe. II Autrefois, quand septembre en larmes revenait, Je partais, je quittais tout ce qui me connaît, Je m'évadais ; Paris s'effaçait ; rien, personne ! J'allais, je n'étais plus qu'une ombre qui frissonne, Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler, Sachant bien que j'irais où je devais aller ; Hélas ! je n'aurais pu même dire : Je souffre ! Et, comme subissant l'attraction d'un gouffre, Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais, J'ignorais, je marchais devant moi, j'arrivais. Ô souvenirs ! ô forme horrible des collines ! Et, pendant que la mère et la soeur, orphelines, Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir Avec l'avidité morne du désespoir ; Puis j'allais au champ triste à côté de l'église ; Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise, L'oeil aux cieux, j'approchais ; l'accablement soutient ; Les arbres murmuraient : C'est le père qui vient ! Les ronces écartaient leurs branches desséchées ; Je marchais à travers les humbles croix penchées, Disant je ne sais quels doux et funèbres mots ; Et je m'agenouillais au milieu des rameaux Sur la pierre qu'on voit blanche dans la verdure. Pourquoi donc dormais-tu d'une façon si dure Que tu n'entendais pas lorsque je t'appelais ? Et les pêcheurs passaient en traînant leurs filets, Et disaient : Qu'est-ce donc que cet homme qui songe ? Et le jour, et le soir, et l'ombre qui s'allonge, Et Vénus, qui pour moi jadis étincela, Tout avait disparu que j'étais encor là. J'étais là, suppliant celui qui nous exauce ; J'adorais, je laissais tomber sur cette fosse, Hélas ! où j'avais vu s'évanouir mes cieux, Tout mon coeur goutte à goutte en pleurs silencieux ; J'effeuillais de la sauge et de la clématite ; Je me la rappelais quand elle était petite, Quand elle m'apportait des lys et des jasmins, Ou quand elle prenait ma plume dans ses mains, Gaie, et riant d'avoir de l'encre à ses doigts roses ; Je respirais les fleurs sur cette cendre écloses, Je fixais mon regard sur ces froids gazons verts, Et par moments, ô Dieu, je voyais, à travers La pierre du tombeau, comme une lueur d'âme ! Oui, jadis, quand cette heure en deuil qui me réclame Tintait dans le ciel triste et dans mon coeur saignant, Rien ne me retenait, et j'allais ; maintenant, Hélas !... - Ô fleuve ! ô bois ! vallons dont je fus l'hôte, Elle sait, n'est-ce pas ? que ce n'est pas ma faute Si, depuis ces quatre ans, pauvre coeur sans flambeau, Je ne suis pas allé prier sur son tombeau ! III Ainsi, ce noir chemin que je faisais, ce marbre Que je contemplais, pâle, adossé contre un arbre, Ce tombeau sur lequel mes pieds pouvaient marcher, La nuit, que je voyais lentement approcher, Ces ifs, ce crépuscule avec ce cimetière, Ces sanglots, qui du moins tombaient sur cette pierre, Ô mon Dieu, tout cela, c'était donc du bonheur ! Dis, qu'as-tu fait pendant tout ce temps-là ? - Seigneur, Qu'a-t-elle fait ? - Vois-tu la vie en vos demeures ? A quelle horloge d'ombre as-tu compté les heures ? As-tu sans bruit parfois poussé l'autre endormi ? Et t'es-tu, m'attendant, réveillée à demi ? T'es-tu, pâle, accoudée à l'obscure fenêtre De l'infini, cherchant dans l'ombre à reconnaître Un passant, à travers le noir cercueil mal joint, Attentive, écoutant si tu n'entendais point Quelqu'un marcher vers toi dans l'éternité sombre ? Et t'es-tu recouchée ainsi qu'un mât qui sombre, En disant : Qu'est-ce donc ? mon père ne vient pas ! Avez-vous tous les deux parlé de moi tout bas ? Que de fois j'ai choisi, tout mouillés de rosée, Des lys dans mon jardin, des lys dans ma pensée ! Que de fois j'ai cueilli de l'aubépine en fleur ! Que de fois j'ai, là-bas, cherché la tour d'Harfleur, Murmurant : C'est demain que je pars ! et, stupide, Je calculais le vent et la voile rapide, Puis ma main s'ouvrait triste, et je disais : Tout fuit ! Et le bouquet tombait, sinistre, dans la nuit ! Oh ! que de fois, sentant qu'elle devait m'attendre, J'ai pris ce que j'avais dans le coeur de plus tendre Pour en charger quelqu'un qui passerait par là ! Lazare ouvrit les yeux quand Jésus l'appela ; Quand je lui parle, hélas ! pourquoi les ferme-t-elle ? Où serait donc le mal quand de l'ombre mortelle L'amour violerait deux fois le noir secret, Et quand, ce qu'un dieu fit, un père le ferait ? IV Que ce livre, du moins, obscur message, arrive, Murmure, à ce silence, et, flot, à cette rive ! Qu'il y tombe, sanglot, soupir, larme d'amour ! Qu'il entre en ce sépulcre où sont entrés un jour Le baiser, la jeunesse, et l'aube, et la rosée, Et le rire adoré de la fraîche épousée, Et la joie, et mon coeur, qui n'est pas ressorti ! Qu'il soit le cri d'espoir qui n'a jamais menti, Le chant du deuil, la voix du pâle adieu qui pleure, Le rêve dont on sent l'aile qui nous effleure ! Qu'elle dise : Quelqu'un est là ; j'entends du bruit ! Qu'il soit comme le pas de mon âme en sa nuit ! Ce livre, légion tournoyante et sans nombre D'oiseaux blancs dans l'aurore et d'oiseaux noirs dans l'ombre, Ce vol de souvenirs fuyant à l'horizon, Cet essaim que je lâche au seuil de ma prison, Je vous le confie, air, souffles, nuée, espace ! Que ce fauve océan qui me parle à voix basse, Lui soit clément, l'épargne et le laisse passer ! Et que le vent ait soin de n'en rien disperser, Et jusqu'au froid caveau fidèlement apporte Ce don mystérieux de l'absent à la morte ! Ô Dieu ! puisqu'en effet, dans ces sombres feuillets, Dans ces strophes qu'au fond de vos cieux je cueillais, Dans ces chants murmurés comme un épithalame Pendant que vous tourniez les pages de mon âme, Puisque j'ai, dans ce livre, enregistré mes jours, Mes maux, mes deuils, mes cris dans les problèmes sourds, Mes amours, mes travaux, ma vie heure par heure ; Puisque vous ne voulez pas encor que je meure, Et qu'il faut bien pourtant que j'aille lui parler ; Puisque je sens le vent de l'infini souffler Sur ce livre qu'emplit l'orage et le mystère ; Puisque j'ai versé là toutes vos ombres, terre, Humanité, douleur, dont je suis le passant ; Puisque de mon esprit, de mon coeur, de mon sang, J'ai fait l'âcre parfum de ces versets funèbres, Va-t'en, livre, à l'azur, à travers les ténèbres ! Fuis vers la brume où tout à pas lents est conduit ! Oui, qu'il vole à la fosse, à la tombe, à la nuit, Comme une feuille d'arbre ou comme une âme d'homme ! Qu'il roule au gouffre où va tout ce que la voix nomme ! Qu'il tombe au plus profond du sépulcre hagard, A côté d'elle, ô mort ! et que là, le regard, Près de l'ange qui dort, lumineux et sublime, Le voie épanoui, sombre fleur de l'abîme ! V Ô doux commencements d'azur qui me trompiez, Ô bonheurs ! je vous ai durement expiés ! J'ai le droit aujourd'hui d'être, quand la nuit tombe, Un de ceux qui se font écouter de la tombe, Et qui font, en parlant aux morts blêmes et seuls, Remuer lentement les plis noirs des linceuls, Et dont la parole, âpre ou tendre, émeut les pierres, Les grains dans les sillons, les ombres dans les bières, La vague et la nuée, et devient une voix De la nature, ainsi que la rumeur des bois. Car voilà, n'est-ce pas, tombeaux ? bien des années, Que je marche au milieu des croix infortunées, Échevelé parmi les ifs et les cyprès, L'âme au bord de la nuit, et m'approchant tout près, Et que je vais, courbé sur le cercueil austère, Questionnant le plomb, les clous, le ver de terre Qui pour moi sort des yeux de la tête de mort, Le squelette qui rit, le squelette qui mord, Les mains aux doigts noueux, les crânes, les poussières, Et les os des genoux qui savent des prières ! Hélas ! j'ai fouillé tout. J'ai voulu voir le fond. Pourquoi le mal en nous avec le bien se fond, J'ai voulu le savoir. J'ai dit : Que faut-il croire ? J'ai creusé la lumière, et l'aurore, et la gloire, L'enfant joyeux, la vierge et sa chaste frayeur, Et l'amour, et la vie, et l'âme, - fossoyeur. Qu'ai-je appris ? J'ai, pensif , tout saisi sans rien prendre ; J'ai vu beaucoup de nuit et fait beaucoup de cendre. Qui sommes-nous ? que veut dire ce mot : Toujours ? J'ai tout enseveli, songes, espoirs, amours, Dans la fosse que j'ai creusée en ma poitrine. Qui donc a la science ? où donc est la doctrine ? Oh ! que ne suis-je encor le rêveur d'autrefois, Qui s'égarait dans l'herbe, et les prés, et les bois, Qui marchait souriant, le soir, quand le ciel brille, Tenant la main petite et blanche de sa fille, Et qui, joyeux, laissant luire le firmament, Laissant l'enfant parler, se sentait lentement Emplir de cet azur et de cette innocence ! Entre Dieu qui flamboie et l'ange qui l'encense, J'ai vécu, j'ai lutté, sans crainte, sans remord. Puis ma porte soudain s'ouvrit devant la mort, Cette visite brusque et terrible de l'ombre. Tu passes en laissant le vide et le décombre, Ô spectre ! tu saisis mon ange et tu frappas. Un tombeau fut dès lors le but de tous mes pas. VI Je ne puis plus reprendre aujourd'hui dans la plaine Mon sentier d'autrefois qui descend vers la Seine ; Je ne puis plus aller où j'allais ; je ne puis, Pareil à la laveuse assise au bord du puits, Que m'accouder au mur de l'éternel abîme ; Paris m'est éclipsé par l'énorme Solime ; La hauteNotre-Dame à présent, qui me luit, C'est l'ombre ayant deux tours, le silence et la nuit, Et laissant des clartés trouer ses fatals voiles ; Et je vois sur mon front un panthéon d'étoiles ; Si j'appelle Rouen, Villequier, Caudebec, Toute l'ombre me crie : Horeb, Cédron, Balbeck ! Et, si je pars, m'arrête à la première lieue, Et me dit: Tourne-toi vers l'immensité bleue ! Et me dit : Les chemins où tu marchais sont clos. Penche-toi sur les nuits, sur les vents, sur les flots ! A quoi penses-tu donc ? que fais-tu, solitaire ? Crois-tu donc sous tes pieds avoir encor la terre ? Où vas-tu de la sorte et machinalement ? Ô songeur ! penche-toi sur l'être et l'élément ! Écoute la rumeur des âmes dans les ondes ! Contemple, s'il te faut de la cendre, les mondes ; Cherche au moins la poussière immense, si tu veux Mêler de la poussière à tes sombres cheveux, Et regarde, en dehors de ton propre martyre, Le grand néant, si c'est le néant qui t'attire ! Sois tout à ces soleils où tu remonteras ! Laisse là ton vil coin de terre. Tends les bras, Ô proscrit de l'azur, vers les astres patries ! Revois-y refleurir tes aurores flétries ; Deviens le grand oeil fixe ouvert sur le grand tout. Penche-toi sur l'énigme où l'être se dissout, Sur tout ce qui naît, vit, marche, s'éteint, succombe, Sur tout le genre humain et sur toute la tombe ! Mais mon coeur toujours saigne et du même côté. C'est en vain que les cieux, les nuits, l'éternité, Veulent distraire une âme et calmer un atome. Tout l'éblouissement des lumières du dôme M'ôte-t-il une larme ? Ah ! l'étendue a beau Me parler, me montrer l'universel tombeau, Les soirs sereins, les bois rêveurs, la lune amie ; J'écoute, et je reviens à la douce endormie. VII Des fleurs ! oh ! si j'avais des fleurs ! si je pouvais Aller semer des lys sur ces deux froids chevets ! Si je pouvais couvrir de fleurs mon ange pâle ! Les fleurs sont l'or, l'azur, l'émeraude, l'opale ! Le cercueil au milieu des fleurs veut se coucher ; Les fleurs aiment la mort, et Dieu les fait toucher Par leur racine aux os, par leur parfum aux âmes ! Puisque je ne le puis, aux lieux que nous aimâmes, Puisque Dieu ne veut pas nous laisser revenir, Puisqu'il nous fait lâcher ce qu'on croyait tenir, Puisque le froid destin, dans ma geôle profonde, Sur la première porte en scelle une seconde, Et, sur le père triste et sur l'enfant qui dort, Ferme l'exil après avoir fermé la mort, Puisqu'il est impossible à présent que je jette Même un brin de bruyère à sa fosse muette, C'est bien le moins qu'elle ait mon âme, n'est-ce pas ? Ô vent noir dont j'entends sur mon plafond le pas ! Tempête, hiver, qui bats ma vitre de ta grêle ! Mers, nuits ! et je l'ai mise en ce livre pour elle ! Prends ce livre ; et dis-toi : Ceci vient du vivant Que nous avons laissé derrière nous, rêvant. Prends. Et, quoique de loin, reconnais ma voix, âme ! Oh ! ta cendre est le lit de mon reste de flamme ; Ta tombe est mon espoir, ma charité, ma foi ; Ton linceul toujours flotte entre la vie et moi. Prends ce livre, et fais-en sortir un divin psaume ! Qu'entre tes vagues mains il devienne fantôme ! Qu'il blanchisse, pareil à l'aube qui pâlit, A mesure que l'oeil de mon ange le lit, Et qu'il s'évanouisse, et flotte, et disparaisse, Ainsi qu'un âtre obscur qu'un souffle errant caresse, Ainsi qu'une lueur qu'on voit passer le soir, Ainsi qu'un tourbillon de feu de l'encensoir, Et que, sous ton regard éblouissant et sombre, Chaque page s'en aille en étoiles dans l'ombre ! VIII Oh ! quoi que nous fassions et quoi que nous disions, Soit que notre âme plane au vent des visions, Soit qu'elle se cramponne à l'argile natale, Toujours nous arrivons à ta grotte fatale, Gethsémani ! qu'éclaire une vague lueur ! Ô rocher de l'étrange et funèbre sueur ! Cave où l'esprit combat le destin ! ouverture Sur les profonds effrois de la sombre nature ! Antre d'où le lion sort rêveur, en voyant Quelqu'un de plus sinistre et de plus effrayant, La douleur, entrer, pâle, amère, échevelée ! Ô chute ! asile ! ô seuil de la trouble vallée D'où nous apercevons nos ans fuyants et courts, Nos propres pas marqués dans la fange des jours, L'échelle où le mal pèse et monte, spectre louche, L'âpre frémissement de la palme farouche, Les degrés noirs tirant en bas les blancs degrés, Et les frissons aux fronts des anges effarés ! Toujours nous arrivons à cette solitude, Et, là, nous nous taisons, sentant la plénitude ! Paix à l'ombre ! Dormez ! dormez ! dormez ! dormez ! Êtres, groupes confus lentement transformés ! Dormez, les champs ! dormez, les fleurs ! dormez, les tombes ! Toits, murs, seuils des maisons, pierres des catacombes, Feuilles au fond des bois, plumes au fond des nids, Dormez ! dormez, brins d'herbe, et dormez, infinis ! Calmez-vous, forêt, chêne, érable, frêne, yeuse ! Silence sur la grande horreur religieuse, Sur l'océan qui lutte et qui ronge son mors, Et sur l'apaisement insondable des morts ! Paix à l'obscurité muette et redoutée, Paix au doute effrayant, à l'immense ombre athée, A toi, nature, cercle et centre, âme et milieu, Fourmillement de tout, solitude de Dieu ! Ô générations aux brumeuses haleines, Reposez-vous ! pas noirs qui marchez dans les plaines ! Dormez, vous qui saignez ; dormez, vous qui pleurez ! Douleurs, douleurs, douleurs, fermez vos yeux sacrés ! Tout est religion et rien n'est imposture. Que sur toute existence et toute créature, Vivant du souffle humain ou du souffle animal, Debout au seuil du bien, croulante au bord du mal, Tendre ou farouche, immonde ou splendide, humble ou grande, La vaste paix des cieux de toutes parts descende ! Que les enfers dormants rêvent les paradis ! Assoupissez-vous, flots, mers, vents, âmes, tandis Qu'assis sur la montagne en présence de l'Être, Précipice où l'on voit pêle-mêle apparaître Les créations, l'astre et l'homme, les essieux De ces chars de soleil que nous nommons les cieux, Les globes, fruits vermeils des divines ramées, Les comètes d'argent dans un champ noir semées, Larmes blanches du drap mortuaire des nuits, Les chaos, les hivers, ces lugubres ennuis, Pâle, ivre d'ignorance, ébloui de ténèbres, Voyant dans l'infini s'écrire des algèbres, Le contemplateur, triste et meurtri, mais serein, Mesure le problème aux murailles d'airain, Cherche à distinguer l'aube à travers les prodiges, Se penche, frémissant, au puits des grands vertiges, Suit de l'oeil des blancheurs qui passent, alcyons, Et regarde, pensif, s'étoiler de rayons, De clartés, de lueurs, vaguement enflammées, Le gouffre monstrueux plein d'énormes fumées. Guernesey, 2 novembre 1855, jour des morts.

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    Victor Hugo

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    À cette terre, où l'on ploie À cette terre, où l'on ploie Sa tente au déclin du jour, Ne demande pas la joie. Contente-toi de l'amour ! Excepté lui, tout s'efface. La vie est un sombre lieu Où chaque chose qui passe Ébauche l'homme pour Dieu. L'homme est l'arbre à qui la sève Manque avant qu'il soit en fleur. Son sort jamais ne s'achève Que du côté du malheur. Tous cherchent la joie ensemble ; L'esprit rit à tout venant ; Chacun tend sa main qui tremble Vers quelque objet rayonnant. Mais vers toute âme, humble ou fière, Le malheur monte à pas lourds, Comme un spectre aux pieds de pierre ; Le reste flotte toujours ! Tout nous manque, hormis la peine ! Le bonheur, pour l'homme en pleurs, N'est qu'une figure vaine De choses qui sont ailleurs. L'espoir c'est l'aube incertaine ; Sur notre but sérieux C'est la dorure lointaine D'un rayon mystérieux. C'est le reflet, brume ou flamme, Que dans leur calme éternel Versent d'en haut sur notre âme Les félicités du ciel. Ce sont les visions blanches Qui, jusqu'à nos yeux maudits, Viennent à travers les branches Des arbres du paradis ! C'est l'ombre que sur nos grèves Jettent ces arbres charmants Dont l'âme entend dans ses rêves Les vagues frissonnements ! Ce reflet des biens sans nombre, Nous l'appelons le bonheur ; Et nous voulons saisir l'ombre Quand la chose est au Seigneur ! Va, si haut nul ne s'élève ; Sur terre il faut demeurer ; On sourit de ce qu'on rêve, Mais ce qu'on a, fait pleurer. Puisqu'un Dieu saigne au Calvaire, Ne nous plaignons pas, crois-moi. Souffrons ! c'est la loi sévère. Aimons ! c'est la douce loi. Aimons ! soyons deux ! Le sage N'est pas seul dans son vaisseau. Les deux yeux font le visage ; Les deux ailes font l'oiseau. Soyons deux ! – Tout nous convie À nous aimer jusqu'au soir. N'ayons à deux qu'une vie ! N'ayons à deux qu'un espoir ! Dans ce monde de mensonges, Moi, j'aimerai mes douleurs, Si mes rêves sont tes songes, Si mes larmes sont tes pleurs ! Le 20 mai 1838.

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    Victor Hugo

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    À Granville Voici juin. Le moineau raille Dans les champs les amoureux ; Le rossignol de muraille Chante dans son nid pierreux. Les herbes et les branchages, Pleins de soupirs et d'abois, Font de charmants rabâchages Dans la profondeur des bois. La grive et la tourterelle Prolongent, dans les nids sourds, La ravissante querelle Des baisers et des amours. Sous les treilles de la plaine, Dans l'antre où verdit l'osier, Virgile enivre Silène, Et Rabelais Grandgousier. O Virgile, verse à boire ! Verse à boire, ô Rabelais ! La forêt est une gloire ; La caverne est un palais ! Il n'est pas de lac ni d'île Qui ne nous prenne au gluau, Qui n'improvise une idylle, Ou qui ne chante un duo. Car l'amour chasse aux bocages, Et l'amour pêche aux ruisseaux, Car les belles sont les cages Dont nos coeurs sont les oiseaux. De la source, sa cuvette, La fleur, faisant son miroir, Dit : -Bonjour,- à la fauvette, Et dit au hibou : -Bonsoir. Le toit espère la gerbe, Pain d'abord et chaume après ; La croupe du boeuf dans l'herbe Semble un mont dans les forêts. L'étang rit à la macreuse, Le pré rit au loriot, Pendant que l'ornière creuse Gronde le lourd chariot. L'or fleurit en giroflée ; L'ancien zéphyr fabuleux Souffle avec sa joue enflée Au fond des nuages bleus. Jersey, sur l'onde docile, Se drape d'un beau ciel pur, Et prend des airs de Sicile Dans un grand haillon d'azur. Partout l'églogue est écrite : Même en la froide Albion, L'air est plein de Théocrite, Le vent sait par coeur Bion, Et redit, mélancolique, La chanson que fredonna Moschus, grillon bucolique De la cheminée Etna. L'hiver tousse, vieux phtisique, Et s'en va; la brume fond ; Les vagues font la musique Des vers que les arbres font. Toute la nature sombre Verse un mystérieux jour ; L'âme qui rêve a plus d'ombre Et la fleur a plus d'amour. L'herbe éclate en pâquerettes ; Les parfums, qu'on croit muets, Content les peines secrètes Des liserons aux bleuets. Les petites ailes blanches Sur les eaux et les sillons S'abattent en avalanches ; Il neige des papillons. Et sur la mer, qui reflète L'aube au sourire d'émail, La bruyère violette Met au vieux mont un camail ; Afin qu'il puisse, à l'abîme Qu'il contient et qu'il bénit, Dire sa messe sublime Sous sa mitre de granit. Granville, juin 1836.

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