Apparition La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles.
C’était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S’énivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d’un rêve au coeur qui l’a cueilli.
J’errais donc, l’oeil rivé sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m’es en riant apparue
Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées.
il y a 10 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
Dans le jardin La jeune dame qui marche sur la pelouse
Devant l’été paré de pommes et d’appas,
Quand des heures Midi comblé jette les douze,
Dans cette plénitude arrêtant ses beaux pas,
A dit un jour, tragique abandonnée – épouse –
A la Mort séduisant son Poëte : « Trépas !
Tu mens. Ô vain climat nul ! je me sais jalouse
Du faux Éden que, triste, il n’habitera pas. »
Voilà pourquoi les fleurs profondes de la terre
L’aiment avec silence et savoir et mystère,
Tandis que dans leur coeur songe le pur pollen :
Et lui, lorsque la brise, ivre de ces délices,
Suspend encore un nom qui ravit les calices,
A voix faible, parfois, appelle bas : Ellen !
il y a 10 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
L'après-midi d'un faune Le Faune:
Ces nymphes, je les veux perpétuer.
Si clair,
Leur incarnat léger, qu'il voltige dans l'air
Assoupi de sommeils touffus.
Aimai-je un rêve?
Mon doute, amas de nuit ancienne, s'achève
En maint rameau subtil, qui, demeuré les vrais
Bois même, prouve, hélas! que bien seul je m'offrais
Pour triomphe la faute idéale de roses.
Réfléchissons…
ou si les femmes dont tu gloses
Figurent un souhait de tes sens fabuleux!
Faune, l'illusion s'échappe des yeux bleus
Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste:
Mais, l'autre tout soupirs, dis-tu qu'elle contraste
Comme brise du jour chaude dans ta toison?
Que non! par l'immobile et lasse pâmoison
Suffoquant de chaleurs le matin frais s'il lutte,
Ne murmure point d'eau que ne verse ma flûte
Au bosquet arrosé d'accords; et le seul vent
Hors des deux tuyaux prompt à s'exhaler avant
Qu'il disperse le son dans une pluie aride,
C'est, à l'horizon pas remué d'une ride
Le visible et serein souffle artificiel
De l'inspiration, qui regagne le ciel.
O bords siciliens d'un calme marécage
Qu'à l'envi de soleils ma vanité saccage
Tacite sous les fleurs d'étincelles, CONTEZ
Que je coupais ici les creux roseaux domptés
Par le talent; quand, sur l'or glauque de lointaines
Verdures dédiant leur vigne à des fontaines,
Ondoie une blancheur animale au repos:
Et qu'au prélude lent où naissent les pipeaux
Ce vol de cygnes, non! de naïades se sauve
Ou plonge…
il y a 10 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
Les fleurs Des avalanches d’or du vieil azur, au jour
Premier et de la neige éternelle des astres
Jadis tu détachas les grands calices pour
La terre jeune encore et vierge de désastres,
Le glaïeul fauve, avec les cygnes au col fin,
Et ce divin laurier des âmes exilées
Vermeil comme le pur orteil du séraphin
Que rougit la pudeur des aurores foulées,
L’hyacinthe, le myrte à l’adorable éclair
Et, pareille à la chair de la femme, la rose
Cruelle, Hérodiade en fleur du jardin clair,
Celle qu’un sang farouche et radieux arrose !
Et tu fis la blancheur sanglotante des lys
Qui roulant sur des mers de soupirs qu’elle effleure
A travers l’encens bleu des horizons pâlis
Monte rêveusement vers la lune qui pleure !
Hosannah sur le cistre et dans les encensoirs,
Notre Dame, hosannah du jardin de nos limbes !
Et finisse l’écho par les célestes soirs,
Extase des regards, scintillement des nimbes !
Ô Mère qui créas en ton sein juste et fort,
Calices balançant la future fiole,
De grandes fleurs avec la balsamique Mort
Pour le poète las que la vie étiole.
il y a 10 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
Renouveau Le printemps maladif a chassé tristement
L'hiver, saison de l'art serein, l'hiver lucide,
Et, dans mon être à qui le sang morne préside
L'impuissance s'étire en un long bâillement.
Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
Qu'un cercle de fer serre ainsi qu'un vieux tombeau
Et triste, j'erre après un rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane
il y a 10 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
Soupir Mon âme vers ton front où rêve, ô calme sœur,
Un automne jonché de taches de rousseur
Et vers le ciel errant de ton œil angélique
Monte, comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle, un blanc jet d'eau soupire vers l'Azur !
— Vers l'Azur attendri d'Octobre pâle et pur
Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie
Et laisse, sur l'eau morte où la fauve agonie
Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon,
Se traîner le soleil jaune d'un long rayon.
il y a 10 mois
Stéphane Mallarmé
@stephaneMallarme
Tristesse d'été Le soleil, sur le sable, ô lutteuse endormie,
En l'or de tes cheveux chauffe un bain langoureux
Et, consumant l'encens sur ta joue ennemie,
Il mêle avec les pleurs un breuvage amoureux.
De ce blanc Flamboiement l'immuable accalmie
T'a fait dire, attristée, ô mes baisers peureux,
« Nous ne serons jamais une seule momie
Sous l'antique désert et les palmiers heureux ! »
Mais ta chevelure est une rivière tiède,
Où noyer sans frissons l'âme qui nous obsède
Et trouver ce Néant que tu ne connais pas.
Je goûterai le fard pleuré par tes paupières,
Pour voir s'il sait donner au cœur que tu frappas
L'insensibilité de l'azur et des pierres.
il y a 10 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Ambivalence lacustre Le secret exquis noircit l’horizon lointain
le mouvement représente une courbe
la respiration cache un secret
Concert de vagues redessinant la mer
Les rameuses avancent
ensemble
Deux, Quatre, Huit
Les mouvements s’enchaînent
sémillants, itératifs, opalescents
De ma falaise je transperce ce lac
Beauté incendiaire !
Le rêve de Lamartine se réalise
Mon regard se remplit d’ondes ambivalentes
pour se dissoudre dans le vent
du Nord
il y a 10 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Cascade subliminale Les rochers s’enivrent de fraîcheur intemporelle
Gouttelettes éparpillées en écrins de plaisir
Pinceaux aux mille larmes embellies de transparence
Arc-en-ciel des désirs jaillissant de la montagne
Une histoire se dessine
journée ensoleillée
éclat des enfants
les yeux irisés par cette beauté inespérée
La descente
une marche après l’autre
l’enfer n’est pas là
La cascade a métamorphosé l’émotion
Alcool sublimé, volupté
L’Homme transformé en chérubin
patauge dans le bénitier de la terre
s’agenouillant
éperdu
parmi les crapauds aux regards cuivrés
il y a 10 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Juxtaposition Jardin inondé par la pluie
battante sur mes pensées matinales
Les petites fleurs me regardent
chaque pétale tremble
Les chimères lointaines crachent
la folle course de la sève
Vers la lune, le soleil se penche
de loin
insouciant du demain
Je me sens transportée dans le marasme
du bonheur assoupi
Au fond de mon âme
les souvenirs de jeunesse
éclatent dans le puzzle de la vie
il y a 10 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Lilas La pluie larmoyante caresse ton parfum
aime le déséquilibre éphémère
des gouttelettes assoiffées de sève
À chaque pétale elle découvre ta beauté
symphonie d’unités réfractées
Les fleurs minuscules bleutées par la lumière
avancent comme un cortège
joyeux
dansent comme une valse
d’amour
Forsythias et pivoines couronnent cet instant
courtisent l’allégorie
Sous le sublime chapiteau de la nature
un voile parfumé fleurit notre chimère
il y a 10 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Montagne aride Rêverie enneigée par le rythme du soleil
cime solitaire transperçant les étoiles
Au sommet
la peau frémit
les jambes vacillent
l’âme décrit un cercle enrubanné
Le randonneur puise sa puissance dans l’impuissance
les dernières neiges capturent les regards
Il a envie de prier les dieux de la Victoire
Il s’éveille
l’eau coule comme lave transparente
le glacier fond
la chaleur pirate son cœur asséché
la glace n’est plus
une larme ruisselle au creux de la montagne
assoiffée à jamais
il y a 10 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Nature en deuil Vie sacrifiée d’une journée sans soleil
Les arbres tombant, sans feuilles.
Amie de la nature qui juge ce qui n’est pas,
Ouvre ton cœur à l’espoir d’un demain sans nuages,
Tu sais que rien ne te touche, rien que le silence d’une vie
La tienne
Vie sacrifiée, un jour sans toi.
il y a 10 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Nuit d’orage La violence inonde l’empyrée
Tonnerre
Esprit captif
Réitération du présent
Tes mains caressent la lueur de mes yeux
bleus
Je regarde la colline
La tornade se rapproche
éthérique
La musique de ton souffle tambourine sur ma peau
Un éclair transperce la galaxie lointaine
Etoile invisible, accrochée à mon cœur
Les gouttes innocentes éclaboussent notre paradis
Soupirs figés
Symbiose suprême
Destruction
il y a 10 mois
S
Sybille Rembard
@sybilleRembard
Tempête Neige réitérée
éblouissante blancheur
balaye mon cœur asphyxié par la peur du lendemain
empreinte volubile
glaçon du destin
un jour de plus vers l’abime
Je marche sur un lac gelé à la recherche de mon âme
les flocons tourbillonnent come des étoiles
le cap est là
devant moi
figé
il ne changera pas
seul un rayon de soleil le fera disparaitre
pour une saison
mais il reviendra
froid
corps inanimé
sublimation de la vérité perpétuelle
comme les ailes d’un papillon refroidies dans l’éternité
il y a 10 mois
T
Thibault Desbordes
@thibaultDesbordes
Le Cheval Adossé à l’un de ces murs centenaires
Comme il y en a tant dans la Forêt de Marly,
Un banc, une poubelle et une barrière
Ressemblaient fort à un cheval qui hennit.
Et le tout était planté là, dans la mousse,
Le cheval galopait sur les feuilles rousses ;
La canopée lui tendait de moelleux parfums ;
L’heureux cheval humait, ses naseaux au matin.
Il riait, et parfois montrait de grandes dents,
Il couchait dehors, car c’est bien triste au-dedans,
L’humus époussetait doucement sous son fer
Un mucus spongieux, sans savoir quoi en faire !
Le joyeux canasson, hilare et sans raison,
Teignait son crin selon l’humeur de la saison.
Roulait sa croupe et son sabot sur les sentiers,
Discrets forestiers dont il avait l’amitié !
Ainsi ce singulier cheval vagabondait
Dans cette forêt où toute vie abondait ;
Libéré des contraintes de son forgeage,
Il existait ; créant le monde à son image !
il y a 10 mois
T
Thibault Desbordes
@thibaultDesbordes
Les cônes 23h54.
Un bâton de réglisse ancré entre les dents,
Le béton d’un quartier battant sous ma semelle,
L’odeur du chèvrefeuille exprime dans mon chant
Le regard de la Lune, aussi blanche que belle.
Sous cette rue livide où la lumière est jaune,
Des armadas de nefs croisent en ciel obscur.
Alors que sur le sol, de bien modestes cônes
Pointent vers les hauteurs, exaspérés d’azur !
il y a 10 mois
T
Thibault Desbordes
@thibaultDesbordes
Les soirs orange En bas, il y a une jolie mésange
Avec un ver en bec ; la voici qui le mange
Dans l’air bleu. Les fantômes blancs sonnent de sons
Lumineux ; la sombre complainte des bassons
Ensoleille les murs, égaye les maisons.
Avec ce son résonne le ban des vendanges ;
La terre est colorée et nos soirs sont orange,
L’astrée tourbillonne au goulot des oraisons.
Ces territoires peints m’emporteront en eux,
La marée des couleurs s’accrochera aux nœuds
Des arbres, des épis, des mains des paysans.
Je contemplerai l’air, et je verrai bien loin.
Au gré du paysage en me dépaysant,
J’irai, et reviendrai poèmes à la main.
il y a 10 mois
T
Thomas Chaline
@thomasChaline
Tanière d’azur Dans ma tanière d’azur ancestrale,
j’entends le monde à grands moteurs faire trembler mes montagnes.
je l’entends avec douleur bousculer la lune
et ce qui reste d’étoiles.
Et je prie l’âme bienveillante
solidement accrochée au dessus de mon berceau,
d’enrayer ces moteurs et de ralentir la course de leurres
Il nous faut retravailler la chaussée et les petits ponts
qui traversent nos silencieux vallons blasés,
refleurir nos collines de mots chaleureux et de laines cousues mains
il y a 10 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
Érato Nature, où sont tes Dieux ? Ô prophétique aïeule,
Ô chair mystérieuse où tout est contenu,
Qui pendant si longtemps as vécu de toi seule
Et qui sembles mourir, parle, qu’est devenu
Cet âge de vertu que chaque jour efface,
Où le sourire humain rayonnait sur ta face ?
Où s’est enfui le chœur de tes Olympiens ?
Ô Nature à présent désespérée et vide,
Jadis l’affreux désert des Éthiopiens
Sous le midi sauvage ou sous la nuit livide
Fut moins appesanti, moins formidable, et moins
Fait pour ce désespoir qui n’a pas de témoins,
Que tu ne m’apparais à présent tout entière,
Depuis que tu n’as plus ce chœur mélodieux
De tes fils immortels, orgueil de la Matière.
Aïeule au flanc meurtri, Nature, où sont tes Dieux ?
Jadis, avant, hélas ! que l’Ignorance impie
T’eût dédaigneusement sous ses pieds accroupie,
Nature, comme nous tu vivais, tu vivais !
Avec leurs rocs géants, leurs granits et leurs marbres,
Les monts furent alors les immenses chevets
Où tu dormais la nuit dans ta ceinture d’arbres.
Les constellations étaient des yeux vivants,
Une haleine passait dans le souffle des vents ;
Leur aile frissonnante aux sauvages allures
Qui brise dans les bois les grands feuillages roux,
En pliant les rameaux courbait des chevelures,
Et dans la mer, ces flots palpitants de courroux
Ainsi que des lions, qui sous l’ardente lame
Bondissent dans l’azur, étaient des seins de femme.
Mais que dis-je, ô Dieux forts, Dieux éclatants, Dieux beaux,
Triomphateurs ornés de dépouilles sanglantes,
Porteurs d’arcs, de tridents, de thyrses, de flambeaux,
De lyres, de tambours, d’armes étincelantes,
Voyageurs accourus du ciel et de l’enfer,
Qui parmi les buissons de Sicile et de Corse
Avec vos cheveux blonds toujours vierges du fer
Parliez dans le nuage et viviez dans l’écorce,
Dieux exterminateurs des serpents et des loups,
Non, vous n’êtes pas morts ! En vain l’homme jaloux
Dit que l’Érèbe a clos vos radieuses bouches :
Moi qui vous aime encor, je sais que votre voix
Est vivante, et vos fronts célestes, je les vois !
Je vois l’ardent Bacchus, Diane aux yeux farouches,
Vénus, et toi surtout dont le nom triomphant
Écrasera toujours leur espoir chimérique,
Ô Muse ! qui naguère et tout petit enfant
M’a choisi pour les vers et pour le chant lyrique !
Nourrice de guerriers, louangeuse Érato !
Déjà le blanc cheval aux yeux pleins d’étincelles,
Impatient du libre azur, ouvre ses ailes
Et de ses pieds légers bondit sur le coteau.
Saisis sa chevelure, et dans l’herbe fleurie
Que le coursier t’emporte au gré de sa furie !
Puis quand tu reviendras, Muse, nous chanterons.
Va voir les durs combats, les grands chocs, les mêlées,
Des crinières de pourpre au vent échevelées,
Des blessures brisant les bras, trouant les fronts,
Et, comme un vin joyeux sort des vendanges mûres,
Le rouge flot du sang coulant sur les armures,
Et l’épée autour d’elle agitant ses éclairs,
Et les soldats avec une âme vengeresse
Bondissant, emportés par le chef aux yeux clairs.
Va, mais que ni les rois, ni le peuple, ô Déesse,
Ne puissent te convaincre et changer ton dessein,
Car seule gouvernant les chants où tu les nommes,
Plus forte que la vie et le destin des hommes,
L’immuable Justice habite dans ton sein.
Puis tu délaceras ta cuirasse guerrière.
Alors, bravant l’orage effroyable et ses jeux,
Marche, tes noirs cheveux au vent, dans la clairière,
Va dans les antres sourds, gravis les rocs neigeux,
Près des gouffres ouverts et sur les pics sublimes
Qui fument au soleil, de glace hérissés,
Respire, et plonge-toi dans les fleuves glacés.
Muse, il est bon pour toi de vivre sur les cimes,
De sentir sur ton sein la caresse des airs,
De franchir l’âpre horreur des torrents sans rivages,
Et, quand les vents affreux pleurent dans les déserts,
De livrer ta poitrine à leurs bouches sauvages.
Le flot aigu, le mont qu’endort l’éternité,
La forêt qui grandit selon les saintes règles
Vers l’azur, et la neige et les chemins des aigles
Conviennent, ô Déesse, à ta virginité.
Car rien ne doit ternir ta pureté première
Et souiller par un long baiser matériel
Ta belle chair, pétrie avec de la lumière.
Ton véritable amant, chaste fille du ciel,
Est celui qui, malgré ta voix qui le rassure
Et ton regard penché sur lui, n’oserait pas
D’une lèvre timide effleurer ta chaussure
Et baiser seulement la trace de tes pas.
Oui, c’est moi qui te sers et c’est moi qui t’adore.
Viens ! ceux qu’on a crus morts, nous les retrouverons !
Les guerriers, les archers, les rois, les forgerons,
Les reines de l’azur aux fronts baignés d’aurore !
Viens, nous retrouverons le fils des rois Titans
Assis, la foudre en main, dans les cieux éclatants ;
Celle qui de son front jaillit, Déesse armée,
Comme jaillit l’éclair de la nue enflammée,
Et celui qui se plaît aux combats, dans les cris
D’horreur, et portant l’arc avec sa fierté mâle
Cette amante des bois, la chasseresse pâle
Qui court dans les sentiers par la neige fleuris
Et montre ses bras nus tachés du sang des lices ;
Celui qui dans les noirs marais vils et rampants
Exterminant les nœuds d’hydres et de serpents,
De ses traits lourds d’airain les tue avec délices ;
Puis, celui qui régit les Déesses des flots ;
Celui-là qu’on déchire en ses douleurs divines,
Qui meurt pour nous et, pour apaiser nos sanglots,
Dieu fort, renaît vivant et chaud dans nos poitrines ;
Celle qui, s’élançant quand l’âpre hiver s’enfuit,
Ressuscite du noir enfer et de la nuit,
Et celle-là surtout, vierge délicieuse,
Qui fait grandir, aimer, naître, sourdre, germer,
Fleurir tout ce qui vit, et vient tout embaumer
Et fait frémir d’amour les chênes et l’yeuse,
Et fait partout courir le grand souffle indompté
De l’ardente caresse et de la volupté.
Près de nous brilleront le sceptre que décore
Une fleur, le trident et, plus terrible encore,
La ceinture qui tient les désirs en éveil ;
L’épée au dur tranchant, belle et de sang vermeille,
Dont la lame d’airain pour la forme est pareille
À la feuille de sauge, et qui luit au soleil ;
L’arc, le thyrse léger, la torche qui flamboie ;
Et la grande Nature avec ses milliers d’yeux
Nous verra, stupéfaite en sa tranquille joie,
Voyageurs éblouis, lui ramener ses Dieux !
il y a 10 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
Décor Dans les grottes sans fin brillent les Stalactites.
Du cyprès gigantesque aux fleurs les plus petites,
Un clair jardin s’accroche au rocher spongieux,
Lys de glace, roseaux, lianes, clématites.
Des thyrses pâlissants, bouquets prestigieux,
Naissent, et leur éclat mystique divinise
Des villes de féerie au vol prodigieux.
Voici les Alhambras où Grenade éternise
Le trèfle pur ; voici les palais aux plafonds
En feu, d’où pendent clairs les lustres de Venise.
Transparents et pensifs, de grands sphinx, des griffons
Projettent des regards longs et mélancoliques
Sur des Dieux monstrueux aux costumes bouffons.
Dans un tendre cristal aux reflets métalliques
S’élancent, dessinant le rhythme essentiel,
Vos clochetons à jour, ô sveltes basiliques,
Et sous l’arbre sanglant et providentiel
De la croix, sont éclos, enamourés des mythes,
Les vitraux où revit tout le peuple du ciel.
Stalactites tombant des voûtes, stalagmites
Montant du sol, partout les orgueilleux glaçons
Argentent de splendeurs l’horizon sans limites.
Babels de diamants où courent des frissons,
Colonnes à des Dieux inconnus dédiées,
Souterrains éblouis, miraculeux buissons,
Tout frémit : cent lueurs baignent, irradiées,
Les coupoles qui sont pareilles à des cieux.
Pourtant c’est le destin, voûtes incendiées !
Le voyageur, ravi dans ce lieu précieux
Et sachant qu’une Nymphe auguste est son hôtesse,
Parfois sur vos trésors lève un oeil soucieux.
Quel trouble appesanti sur leur délicatesse
Pare de la langueur mourante du sommeil
Ces merveilles du rêve, et d’où vient leur tristesse ?
Hélas ! l’ardent soleil de Dieu, le vrai soleil
Ne les éclaire pas de son regard propice
Et fait voler plus haut ses flèches d’or vermeil.
Sous un mont que jamais le lierre ne tapisse,
Vit cet enchantement qui tremble au son du cor,
Gardé par la caverne et par le précipice.
Mais (chère nymphe, ô Muse inassouvie encor,
Que devance le choeur ailé des Métaphores),
Pour installer ce rare et flamboyant décor,
Sous ces blancs chapiteaux et ces arceaux sonores
Où les métaux ont mis leur charme et leurs poisons,
Il a fallu les pleurs des Soirs et des Aurores.
Car, toi pour qui le roc orna ces floraisons
De rose, de safran et d’azur constellées,
Tu le sais, Poésie, ange de nos raisons,
Ces caprices divins sont des larmes gelées !
il y a 10 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
Les roses Le Printemps rayonnant, qui fait rire le jour
En montrant son beau front, vermeil comme l’aurore,
Naît, tressaille, fleurit, chante, et dans l’air sonore
Éveille les divins murmures de l’amour.
O Sylphes ingénus, vous voilà de retour!
De mille joyaux d’or la forêt se décore,
Et blanche, regardant les corolles éclore,
Titania folâtre au milieu de sa cour,
A travers l’éther pur dont elle fait sa proie,
Tandis que la lumière, éclatante de joie,
Frissonne dans la bleue immensité des cieux.
Beauté qui nous ravis avec tes molles poses,
Dis, n’est-ce pas qu’il est doux et délicieux
De plonger follement ta bouche dans les roses?
Novembre 1888
il y a 10 mois
Théodore de Banville
@theodoreDeBanville
Premier soleil Italie, Italie, ô terre où toutes choses
Frissonnent de soleil, hormis tes méchants vins !
Paradis où l’on trouve avec des lauriers-roses
Des sorbets à la neige et des ballets divins !
Terre où le doux langage est rempli de diphthongues !
Voici qu’on pense à toi, car voici venir mai,
Et nous ne verrons plus les redingotes longues
Où tout parfait dandy se tenait enfermé.
Sourire du printemps, je t’offre en holocauste
Les manchons, les albums et le pesant castor.
Hurrah ! gais postillons, que les chaises de poste
Volent, en agitant une poussière d’or !
Les lilas vont fleurir, et Ninon me querelle,
Et ce matin j’ai vu mademoiselle Ozy
Près des Panoramas déployer son ombrelle :
C’est que le triste hiver est bien mort, songez-y !
Voici dans le gazon les corolles ouvertes,
Le parfum de la sève embaumera les soirs,
Et devant les cafés, des rangs de tables vertes
Ont par enchantement poussé sur les trottoirs.
Adieu donc, nuits en flamme où le bal s’extasie !
Adieu, concerts, scotishs, glaces à l’ananas ;
Fleurissez maintenant, fleurs de la fantaisie,
Sur la toile imprimée et sur le jaconas !
Et vous, pour qui naîtra la saison des pervenches,
Rendez à ces zéphyrs que voilà revenus,
Les légers mantelets avec les robes blanches,
Et dans un mois d’ici vous sortirez bras nus !
Bientôt, sous les forêts qu’argentera la lune,
S’envolera gaîment la nouvelle chanson ;
Nous y verrons courir la rousse avec la brune,
Et Musette et Nichette avec Mimi Pinson !
Bientôt tu t’enfuiras, ange Mélancolie,
Et dans le Bas-Meudon les bosquets seront verts.
Débouchez de ce vin que j’aime à la folie,
Et donnez-moi Ronsard, je veux lire des vers.
Par ces premiers beaux jours la campagne est en fête
Ainsi qu’une épousée, et Paris est charmant.
Chantez, petits oiseaux du ciel, et toi, poëte,
Parle ! nous t’écoutons avec ravissement.
C’est le temps où l’on mène une jeune maîtresse
Cueillir la violette avec ses petits doigts,
Et toute créature a le coeur plein d’ivresse,
Excepté les pervers et les marchands de bois !
il y a 10 mois
T
Théophile de Viau
@theophileDeViau
Le matin L'Aurore sur le front du jour
Seme l'azur, l'or et l'yvoire,
Et le Soleil, lassé de boire,
Commence son oblique tour.
Ses chevaux, au sortir de l'onde,
De flame et de clarté couverts,
La bouche et les nasaux ouverts,
Ronflent la lumiere du monde.
Ardans ils vont à nos ruisseaux
Et dessous le sel et l'escume
Boivent l'humidité qui fume
Si tost qu'ils ont quitté les eaux.
La lune fuit devant nos yeux ;
La nuict a retiré ses voiles ;
Peu à peu le front des estoilles
S'unit à la couleur des Cieux.
il y a 10 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Ballade « Quand à peine un nuage » Quand à peine un nuage,
Flocon de laine, nage
Dans les champs du ciel bleu,
Et que la moisson mûre,
Sans vagues ni murmure,
Dort sous le ciel en feu ;
Quand les couleuvres souples
Se promènent par couples
Dans les fossés taris ;
Quand les grenouilles vertes,
Par les roseaux couvertes,
Troublent l’air de leurs cris ;
Aux fentes des murailles
Quand luisent les écailles
Et les yeux du lézard,
Et que les taupes fouillent
Les prés, où s’agenouillent
Les grands bœufs à l’écart,
Qu’il fait bon ne rien faire,
Libre de toute affaire,
Libre de tous soucis,
Et sur la mousse tendre
Nonchalamment s’étendre,
Ou demeurer assis ;
Et suivre l’araignée,
De lumière baignée,
Allant au bout d’un fil
À la branche d’un chêne
Nouer la double chaîne
De son réseau subtil,
Ou le duvet qui flotte,
Et qu’un souffle ballotte
Comme un grand ouragan,
Et la fourmi qui passe
Dans l’herbe, et se ramasse
Des vivres pour un an,
Le papillon frivole,
Qui de fleurs en fleurs vole
Tel qu’un page galant,
Le puceron qui grimpe
À l’odorant olympe
D’un brin d’herbe tremblant ;
Et puis s’écouter vivre,
Et feuilleter un livre,
Et rêver au passé
En évoquant les ombres,
Ou riantes ou sombres,
D’un long rêve effacé,
Et battre la campagne,
Et bâtir en Espagne
De magiques châteaux,
Créer un nouveau monde
Et jeter à la ronde
Pittoresques coteaux,
Vastes amphithéâtres
De montagnes bleuâtres,
Mers aux lames d’azur,
Villes monumentales,
Splendeurs orientales,
Ciel éclatant et pur,
Jaillissantes cascades,
Lumineuses arcades
Du palais d’Obéron,
Gigantesques portiques,
Colonnades antiques,
Manoir de vieux baron
Avec sa châtelaine,
Qui regarde la plaine
Du sommet des donjons,
Avec son nain difforme,
Son pont-levis énorme,
Ses fossés pleins de joncs,
Et sa chapelle grise,
Dont l’hirondelle frise
Au printemps les vitraux,
Ses mille cheminées
De corbeaux couronnées,
Et ses larges créneaux,
Et sur les hallebardes
Et les dagues des gardes
Un éclair de soleil,
Et dans la forêt sombre
Lévriers eu grand nombre
Et joyeux appareil,
Chevaliers, damoiselles,
Beaux habits, riches selles
Et fringants palefrois,
Varlets qui sur la hanche
Ont un poignard au manche
Taillé comme une croix !
Voici le cerf rapide,
Et la meute intrépide !
Hallali, hallali !
Les cors bruyants résonnent,
Les pieds des chevaux tonnent,
Et le cerf affaibli
Sort de l’étang qu’il trouble ;
L’ardeur des chiens redouble :
Il chancelle, il s’abat.
Pauvre cerf ! son corps saigne,
La sueur à flots baigne
Son flanc meurtri qui bat ;
Son œil plein de sang roule
Une larme, qui coule
Sans toucher ses vainqueurs ;
Ses membres froids s’allongent ;
Et dans son col se plongent
Les couteaux des piqueurs.
Et lorsque de ce rêve
Qui jamais ne s’achève
Mon esprit est lassé,
J’écoute de la source
Arrêtée en sa course
Gémir le flot glacé,
Gazouiller la fauvette
Et chanter l’alouette
Au milieu d’un ciel pur ;
Puis je m’endors tranquille
Sous l’ondoyant asile
De quelque ombrage obscur.
il y a 10 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Far-niente Quand je n’ai rien à faire, et qu’à peine un nuage
Dans les champs bleus du ciel, flocon de laine, nage,
J’aime à m’écouter vivre, et, libre de soucis,
Loin des chemins poudreux, à demeurer assis
Sur un moelleux tapis de fougère et de mousse,
Au bord des bois touffus où la chaleur s’émousse.
Là, pour tuer le temps, j’observe la fourmi
Qui, pensant au retour de l’hiver ennemi,
Pour son grenier dérobe un grain d’orge à la gerbe,
Le puceron qui grimpe et se pend au brin d’herbe,
La chenille traînant ses anneaux veloutés,
La limace baveuse aux sillons argentés,
Et le frais papillon qui de fleurs en fleurs vole.
Ensuite je regarde, amusement frivole,
La lumière brisant dans chacun de mes cils,
Palissade opposée à ses rayons subtils,
Les sept couleurs du prisme, ou le duvet qui flotte
En l’air, comme sur l’onde un vaisseau sans pilote ;
Et lorsque je suis las je me laisse endormir,
Au murmure de l’eau qu’un caillou fait gémir,
Ou j’écoute chanter près de moi la fauvette,
Et là-haut dans l’azur gazouiller l’alouette.
il y a 10 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Le chasseur Je suis enfant de la montagne,
Comme l’isard, comme l’aiglon ;
Je ne descends dans la campagne
Que pour ma poudre et pour mon plomb ;
Puis je reviens, et de mon aire
Je vois en bas l’homme ramper,
Si haut placé que le tonnerre
Remonterait pour me frapper.
Je n’ai pour boire, après ma chasse,
Que l’eau du ciel dans mes deux mains ;
Mais le sentier par où je passe
Est vierge encor de pas humains.
Dans mes poumons nul souffle immonde
En liberté je bois l’air bleu,
Et nul vivant en ce bas monde
Autant que moi n’approche Dieu.
Pour mon berceau j’eus un nid d’aigle
Comme un héros ou comme un roi,
Et j’ai vécu sans frein ni règle,
Plus haut que l’homme et que la loi.
Après ma mort une avalanche
De son linceul me couvrira,
Et sur mon corps la neige blanche,
Tombeau d’argent, s’élèvera.
il y a 10 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Le merle Un oiseau siffle dans les branches
Et sautille gai, plein d'espoir,
Sur les herbes, de givre blanches,
En bottes jaunes, en frac noir.
C'est un merle, chanteur crédule,
Ignorant du calendrier,
Qui rêve soleil, et module
L'hymne d'avril en février.
Pourtant il vente, il pleut à verse ;
L'Arve jaunit le Rhône bleu,
Et le salon, tendu de perse,
Tient tous ses hôtes près du feu.
Les monts sur l'épaule ont l'hermine,
Comme des magistrats siégeant.
Leur blanc tribunal examine
Un cas d'hiver se prolongeant.
Lustrant son aile qu'il essuie,
L'oiseau persiste en sa chanson,
Malgré neige, brouillard et pluie,
Il croit à la jeune saison.
Il gronde l'aube paresseuse
De rester au lit si longtemps
Et, gourmandant la fleur frileuse,
Met en demeure le printemps.
Il voit le jour derrière l'ombre,
Tel un croyant, dans le saint lieu,
L'autel désert, sous la nef sombre,
Avec sa foi voit toujours Dieu.
A la nature il se confie,
Car son instinct pressent la loi.
Qui rit de ta philosophie,
Beau merle, est moins sage que toi !
il y a 10 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Pendant la tempête La barque est petite et la mer immense ;
La vague nous jette au ciel en courroux,
Le ciel nous renvoie au flot en démence :
Près du mât rompu prions à genoux !
De nous à la tombe, il n’est qu’une planche.
Peut-être ce soir, dans un lit amer,
Sous un froid linceul fait d’écume blanche,
Irons-nous dormir, veillés par l’éclair !
Fleur du paradis, sainte Notre-Dame,
Si bonne aux marins en péril de mort,
Apaise le vent, fais taire la lame,
Et pousse du doigt notre esquif au port.
Nous te donnerons, si tu nous délivres,
Une belle robe en papier d’argent,
Un cierge à festons pesant quatre livres,
Et, pour ton Jésus, un petit saint Jean.
il y a 10 mois
Théophile Gautier
@theophileGautier
Premier sourire du printemps Tandis qu'à leurs oeuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.
Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d'or.
Dans le verger et dans la vigne,
Il s'en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l'amandier.
La nature au lit se repose ;
Lui descend au jardin désert,
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.
Tout en composant des solfèges,
Qu'aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés les perce-neiges
Et les violettes aux bois.
Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d'argent du muguet.
Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.
Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d'avril tournant la tête,
Il dit : " Printemps, tu peux venir ! "